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Musique

Élizabeth Giuliani
Dans Études 2009/5 (Tome 410), pages 680 à 681
Éditions S.E.R.
ISSN 0014-1941
DOI 10.3917/etu.105.0680
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M u s i q u e
Joseph Haydn : déférence et indifférence

E n année riche en commémorations de musiciens : naissance de Félix


Mendelssohn, mort de Haendel, etc., celle du deux centième anniversaire
de la mort de Joseph Haydn (mort le 31 mai 1809 à l’âge de soixante-dix-
sept ans) se fait, en France, sans grand éclat public. Cette figure tutélaire
du premier classicisme viennois, avec ses cadets Mozart et Beethoven,
reste en arrière-plan, fixée sous les traits de l’homme mûr et à la perruque
poudrée, « papa Haydn ».
Il a pourtant joui, de son vivant même et sans discontinuité depuis,
d’une profonde et admirative estime de la part de tous les musiciens (com-
positeurs, interprètes et musicographes). Son contemporain Grétry, lui
aussi très fêté de son vivant, dans ses Essais sur la musique (1789), insiste
sur sa virtuosité à manier les structures harmoniques et à organiser les
parties instrumentales : « La musique de Haydn peut être regardée comme
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un modèle […] par la fécondité des motifs de chant ou celle des modula-
tions. » Cinquante plus tard, Berlioz témoigne de la présence régulière
des œuvres de Haydn dans les concerts parisiens et manifeste lui aussi
son admiration pour le « maître » et « la savante facture qui donne tant
de prix aux moindres productions de ce grand maître, les sentiments de
sérénité et de douce joie qui semblent ne l’avoir jamais abandonné, du
début à la fin de sa longue carrière.1 » L’hommage existe également au xxe 1. Revue et gazette musi-
siècle, sous la plume du chef de la seconde école de Vienne, Schoenberg, cale de Paris, 30 janvier
comme sous celle de son « concurrent » en modernité, Stravinsky. 1842.
La critique et la musicologie ont manifesté la même unanimité
dans la louange. En 1840, dans sa Biographie universelle des musiciens,
l’intraitable Fétis, qui « éreinte » Berlioz, ne ménage pas ses éloges :
« Compositeur illustre dont le nom réveillera toujours le souvenir de la
perfection dans toutes les parties de l’art qu’il a cultivé ! » Et Le style
classique de Charles Rosen, ouvrage lui-même de haute inspiration théori-
que, souligne toujours, en 1972, l’apport décisif de Haydn à cette « école »
venue de Vienne : « Haydn resta jusqu’au bout un maître de la modulation
surprenante, du silence dramatique, de la phrase asymétrique ; et il y
ajouta une aptitude pour le facétieux qu’on ne retrouve à ce point chez
personne d’autre. »
L’histoire de la musique reconnaît donc à Haydn une « place cen-
trale dans le développement du style classique qui ne peut être appréhendé
à travers celui de son œuvre. Grâce à lui, la symphonie et le quatuor à
cordes sont devenus réalité. Les grands oratorios et les messes de ses
2. New Grove’s dictio-
dernières années marquent le couronnement de l’esprit musical classi-
nar y of mu sic and
que.2 » Ce sont encore des « spécialistes » qui affirment aujourd’hui leur musicians, Londres,
égard envers Haydn. La pianiste d’origine chinoise Zhu Xiao-Mei vient 1995.

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3. Mirare MIR 076. d’enregistrer de ses sonates3 et admire « une maîtrise souveraine de la

Exposition
forme. » On pourrait donc trouver là l’exemple parfait d’une dichotomie
ordinaire dans la réception d’une œuvre artistique savante, qui satisfait
les spécialistes (seuls capables de l’apprécier) et laisse le public presque
indifférent.
Pourtant, l’engouement des auditoires qu’Haydn réunit à Paris ou
à Londres lors de concerts symphoniques fut exceptionnel. Le Mercure de
France, en décembre 1809, salue la mort de cette figure célèbre en Europe
qui « a fait éclore une foule de brochures, où les admirateurs de son génie
[…] ont essayé de retracer quelques époques de sa longue carrière, et
de lui ériger un trophée composé de ses chefs-d’œuvre. » Il est de ses
œuvres – certes souvent apocryphes ou attribuées à tort comme le choral

Théâtre
Sankt Antony utilisé par Brahms dans ses Variations pour orchestre sur
un thème de Haydn ou la Symphonie des jouets, en fait de Leopold Mozart
– qui comptent parmi les « tubes » de la musique classique : le quatuor
l’Empereur, la Symphonie des Adieux, etc.
Plus inattendue peut-être, il existe également une littérature
sur le charme de cet homme et de sa musique facétieuse. Parmi ces
thuriféraires, se trouve Henri Beyle qui, sous le pseudonyme de Louis
Alexandre César Bombet, publie en 1814 des Lettres écrites de Vienne en
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Autriche, sur le célèbre compositeur Joseph Haydn (reprises d’un texte édité
deux ans plus tôt à Milan de Giuseppe Carpani). On y voit un artiste expert

Musique
doublé d’un homme aimable. George Sand, dans son roman Consuelo, fait
du jeune homme en route pour une carrière musicale à Vienne le délicieux
compagnon de route de son héroïne : un personnage tout de juvénilité,
de fantaisie et d’espièglerie.
Toutefois, en complément de ces manifestations d’admiration,
alors qu’on le tient pour le plus grand des compositeurs vivants, paraissent
des limites, sinon encore de véritables réserves. Elles touchent à un excès
de raison et de maîtrise dans un art qui, de plus en plus au long du siècle
romantique, va devenir celui de l’expression directe des sentiments et des
profondeurs de l’âme. C’est ainsi que pour le rédacteur des Lettres sur le
célèbre compositeur : « On ne peut lui refuser sans doute une imagination
Cinéma

vaste, pleine de vigueur, créatrice au suprême degré : mais peut-être ne


fut-il pas aussi bien partagé du côté de la sensibilité. » Même sa tendre
complice, l’héroïne de George Sand, met en garde son jeune ami contre
sa propension à faire de la « musique tranquille » : « De la musique trop
correcte et trop froide. Prends garde d’en faire, si tu fuis la fatigue et
les peines de ce monde. » 
Sans doute, sa réputation d’absolue maîtrise des moyens appliquée
à un idéal esthétique de mesure, en un mot son « classicisme », dessert-elle
Haydn en cette deux centième année de sa mort. Nos contemporains ont
retrouvé des charmes à l’âge baroque (auxquels ils cherchent à rendre
Mozart), revisitent le romantisme (qu’ils aiment à percevoir chez Beetho-
Livres

ven) et respectent, à défaut de l’aimer, la modernité. Mais les valeurs du


classicisme ne sont plus tout à fait ou pas encore au goût du jour.

Elizabeth Giuliani

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