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Publications de l'École française

de Rome

Grecs et Égyptiens en Égypte lagide


Le problème de l'acculturation
Madame Françoise Dunand

Résumé
L'étude des relations entre Grecs et Égyptiens dans le cadre de l'Égypte lagide soulève le double problème des réactions
indigènes à la domination grecque et des transformations qui s'opèrent au sein des groupes en présence. Dès le IIIe s. av.
J.-C. des formes de résistance économique, politique, idéologique émergent à divers niveaux de la société égyptienne
face au pouvoir lagide et à ses représentants. Toute une série de modifications se produit dans l'organisation économique
et les rapports sociaux sans autant les transformer en profondeur. Dans les systèmes de croyances et de représentations
se révèlent à la fois la coexistence de deux mondes hétérogènes et la possibilité de communications entre eux. On peut
en conclure à une acculturation relative des milieux égyptiens, mais ce processus n'entraîne ni perte de l'identité de
groupe, ni destruction de la culture traditionnelle.

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Dunand Françoise. Grecs et Égyptiens en Égypte lagide. Le problème de l'acculturation. In: Modes de contacts et
processus de transformation dans les sociétés anciennes. Actes du colloque de Cortone (24-30 mai 1981) Rome : École
Française de Rome, 1983. pp. 45-87. (Publications de l'École française de Rome, 67);

https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1983_act_67_1_2453

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FRANÇOISE DUNAND

GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE

LE PROBLÈME DE L'ACCULTURATION

L'étude des sociétés antiques a été profondément renouvelée,


depuis quelques années, par l'apport d'historiens et d'ethnologues dont
les travaux portent sur des sociétés plus récentes, voire
contemporaines, caractérisées, comme c'est le cas pour les sociétés antiques de type
«colonial», par la domination d'un groupe conquérant sur la
population autochtone réduite en sujétion. C'est dans ce cadre, celui de
l'opposition entre groupe dominant et masse dominée, que se pose, pour
toutes les sociétés «coloniales», le problème de l'acculturation.
On peut utiliser, pour préciser le contenu de la notion contestée
d'acculturation, la formule proposée récemment par G. Devereux, qui
la définit comme un «ensemble de phénomènes résultant du contact
continu et direct entre groupes d'individus appartenant à des cultures
différentes et aboutissant à des transformations affectant les modèles
culturels originaux de l'un ou des deux groupes». Il s'agit là d'une
définition «neutre», purement descriptive, qui n'implique pas de
valorisation particulière de l'une ou de l'autre des cultures en présence, mais à
qui on peut reprocher d'une part de se limiter apparemment au niveau
«culturel», ce qui constitue peut-être une définition trop étroite du
terme considéré, d'autre part de ne pas tenir compte de la situation
respective des groupes, autrement dit des rapports de force. Or, dans le
cas qui nous intéresse, celui de l'Egypte lagide, le problème de
l'acculturation, inséré dans un problème plus vaste qui est celui des rapports
Grecs/Égyptiens, apparaît dès l'abord comme un problème de pouvoir.
À partir du moment où se met en place la monarchie lagide, dans
les dernières années du IVe siècle, et jusqu'à la fin du IIIe s. a.C, un
fort mouvement d'immigration s'effectue en Egypte; les Grecs, déjà
présents dans ce pays depuis le VIIe siècle sous la forme de
communautés de mercenaires et de marchands, sont de plus en plus nombreux à
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s'y établir, que ce soit à leur compte ou au service de la monarchie


lagide.
Le principal problème qui se pose à Ptolémée Ier est d'établir
solidement son pouvoir sur l'Egypte, pour lui et pour ses descendants, de
façon à empêcher toute contestation de la part de ses pairs, les anciens
généraux d'Alexandre, et toute velléité de résistance de la part de la
population égyptienne; quant aux immigrants grecs qui, pour la
plupart, n'ont sans doute guère conservé de liens avec leur pays d'origine,
leur problème est de réussir leur implantation dans ce «nouveau
monde» à la richesse fabuleuse, où ils peuvent espérer faire fortune. On
connaît des exemples de Grecs expatriés qui, après avoir passé une
partie de leur existence au service d'un Ptolémée, retournent finir leurs
jours dans leur patrie, ou dans une cité grecque de leur choix. Mais il
est clair que bon nombre d'entre eux partaient pour l'Egypte sans
espoir ou sans idée de retour, et qu'il s'agissait pour eux de se faire une
place, ou éventuellement de faire carrière, lorsqu'ils entraient dans
l'administration lagide. Or la désignation à des fonctions ressortissant
des divers appareils d'État, l'attribution de lots de terre, sous forme de
doreai ou de klèroi, l'adjudication de travaux d'intérêt public, ou de
fermes d'impôts, tout cela s'effectue au bénéfice des immigrants grecs;
dans certains cas il s'agit de fonctions ou d'activités nouvelles, créées et
mises en place par le pouvoir lagide, comme la ferme; mais, dans bon
nombre d'autres cas — l'administration, l'agriculture — , les Grecs
occupent des postes auparavant détenus par des Égyptiens et refoulent
ceux-ci dans une sphère d'activités dévaluée: échelons inférieurs de
l'administration, tâches purement manuelles — cela, en tout cas,
jusque vers la fin du IIIe siècle.
Mon hypothèse de travail est donc la suivante: les rapports entre
Grecs et Égyptiens, dans l'Egypte des IVe-Ier siècles a.C, soulèvent des
problèmes qui se situent à deux niveaux:

- au niveau de l'état. La nouvelle dynastie gréco-macédonienne


accapare un pouvoir qui, quelques années auparavant, et par delà
l'intermède de la 2e conquête perse, appartenait encore à une dynastie
indigène (Nectanébo II disparaît à partir de 341).
- au niveau de la catégorie dominante que constituent les Grecs.
Dans les principaux secteurs d'activité (sociale, économique, culturelle),
ils sont en position de force, au IIIe siècle tout au moins, ce qui a pour
conséquence une infériorisation, sauf exceptions, de la population
indigène. Mais à partir de la fin du IIIe siècle la situation des Grecs dans la
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société égyptienne se modifie, et le rapport des forces, dans certains


secteurs, évolue en faveur des Égyptiens.

Il s'ensuit une double série de questions:


- comment la domination grecque sur l'Egypte a-t-elle été reçue,
ou subie: c'est le problème des réactions indigènes; sur quel plan se
manifestent-elles? Sous quelles formes?
- le contact durable entre groupes hétérogènes entraîne-t-il des
transformations de l'un et de l'autre groupe, ou seulement au sein du
groupe «dominé»? À quels niveaux s'opèrent ces transformations?
Peut-on parler d'acculturation, dans le cas des rapports
Grecs/Égyptiens, et dans quel sens?

* * *

I — La mise en place de la domination grecque en Egypte

«Les Grecs en Egypte», c'est d'abord une force politique, appuyée


sur un appareil militaire et administratif et sur un système efficace de
propagande, qui procède, de manière non systématique, mais intensive,
à l'exploitation du pays, de façon à en tirer le maximum de ressources,
ressources nécessaires à la perpétuation de sa domination.

1) Une force politique.


Le régime mis en place dans les dernières années du IVe siècle —
bien avant, sans doute, qu'il ne soit officialisé du fait de l'adoption en
305, par Ptolémée, fils de Lagos, du titre de roi — , c'est une monarchie
absolue, dans laquelle tous les pouvoirs sont entre les mains du roi,
dont l'autorité n'est atténuée par aucun système de contrôle, aucun
organe consultatif du type conseil ou assemblée. Les décisions du roi,
incarnation du nomos, ont force de loi; il est chef d'armée; il est chef
de l'administration et des finances. Et comme il est investi de fonctions
religieuses, du moins aux yeux des sujets égyptiens, son pouvoir
s'exerce non seulement au plan concret, celui des rapports sociaux et
politiques et de l'activité économique, mais également au niveau symbolique,
au niveau des représentations et de l'idéologie — et c'est, à mon sens,
tout aussi important.
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Bien entendu, tout ceci serait à nuancer. Le fait même que tous les
pouvoirs sont concentrés entre les mains du roi l'oblige à déléguer une
partie de ces pouvoirs, d'où le rôle prédominant de certains hauts
fonctionnaires et ministres: le dioecète Apollonios, sous le règne de Ptolé-
mée II Philadelphe, en est un brillant exemple. D'autre part,
l'entourage royal, la hiérarchie concentrique des «parents» du roi, «parents et
amis», «premiers amis», peut également, à certaines époques et dans
certains cas, jouer un rôle important; cette hiérarchie n'est connue,
avec ses désignations officielles, qu'à partir de Ptolémée V, mais le
groupe des amis et favoris du roi existait certainement sous les
premiers Lagides, même s'il n'était pas organisé officiellement, et il est
probable que dans bien des domaines il était en mesure d'influencer les
décisions royales.
Le caractère absolutiste de la monarchie lagide a-t-il eu tendance,
avec le temps, à s'atténuer? On constate, certes, un affaiblissement
progressif du pouvoir royal, surtout à partir du IIe siècle. Signe
incontestable de cet affaiblissement: l'intervention grandissante de Rome dans les
affaires de l'Egypte, dès 168 a.C, puis pendant tout le Ier siècle. Autre
signe, sur le plan interne celui-là: le fait que, à certains moments,
l'autorité royale ne parvient plus à s'exercer, non seulement sur les sujets,
mais sur les représentants de l'État; en témoigne la tendance constante
chez les fonctionnaires, au IIe et au Ier siècle, à utiliser pour leur
compte la parcelle de pouvoir dont ils disposent, à pressurer indûment les
sujets du roi; des ordonnances royales s'efforcent d'interdire ces
pratiques, mais c'est en vain, puisqu'il faut toujours en promulguer de
nouvelles.
Concrètement, on assiste bien à une diminution progressive du
pouvoir des rois Lagides, depuis les dernières années du IIIe siècle
jusqu'à la reprise en mains, provisoire, qu'opère Cléopâtre VII à la veille
de la conquête romaine. Mais, en théorie du moins, les caractères de ce
pouvoir ne changent pas: face au roi, unique détenteur d'une fonction
sacralisante, il n'y a que des sujets, dépourvus de droits. Cela est vrai
surtout pour les habitants de la chora et il faut mettre à part le cas des
citoyens des trois cités grecques, Alexandrie, Ptolémaïs et Naucratis;
mais leur situation est complexe: s'ils ont des magistrats, ils ne
possèdent ni boule, ni organismes représentatifs.
Sur le plan politique, on a donc affaire à un pouvoir non limité,
non contrôlé, s'exerçant, par l'intermédiaire de catégories privilégiées,
quoique ne disposant pas de réels droits politiques, sur une masse de
sujets dépourvus, pour la plupart, de tous droits.
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2) Les instruments du pouvoir.

a) C'est d'abord l'appareil militaire, qui a permis à Ptolémée, fils de


Lagos, de revendiquer l'Egypte comme sa part de l'héritage
d'Alexandre, qui permettra aux premiers Lagides d'affirmer leur mainmise non
seulement sur l'Egypte, mais sur la Syrie-Palestine et sur toute une
série de cités grecques des côtes méridionales et occidentales de l'Asie
Mineure. Cette armée qui donne aux premiers Lagides les moyens de
leur politique expansionniste est aussi, et peut-être en premier lieu,
l'instrument du «maintien de l'ordre» en Egypte. Grâce à elle, Ptolémée
V Épiphane parvient à réprimer les mouvements insurrectionnels qui
ont éclaté dans le Delta, dans les toutes premières années de son règne,
puis à reconquérir la Haute Egypte, en 186, après une sécession de
vingt ans. La présence, sur le territoire égyptien, d'une armée
entraînée, essentiellement composée de mercenaires, a pu jouer un rôle dis-
suasif vis-à-vis de la population égyptienne.
Grâce au système de la clérouquie, cette armée, non permanente,
pouvait être mobilisée facilement, d'autant plus que les colonies
militaires étaient concentrées dans certaines régions, au Fayoum surtout.
L'intégration des Égyptiens à l'armée lagide ne s'effectue
massivement qu'à partir de 217 a.C. Il est probable que les Lagides ne tenaient
pas à incorporer des Égyptiens, et que par ailleurs, au premier siècle
de la conquête, ils disposaient de mercenaires en nombre suffisant;
c'est surtout lorsque le recrutement des mercenaires commence à se
tarir qu'il faut faire appel aux ressources locales. Pourtant, il apparaît
bien que les armées lagides, dès le IIIe siècle, faisaient une place aux
«indigènes»; dès cette époque, des officiers égyptiens figurent dans
leurs rangs, plus nombreux sous Ptolémée Ier que sous ses successeurs
immédiats; bien entendu, ils seront encore plus nombreux au IIe et au
Ier siècle.
b) L'appareil administratif constitue également un instrument de
pouvoir. L'objectif prioritaire de l'État lagide est d'assurer
l'exploitation du territoire, afin d'en prélever le maximum de ressources. Pour
organiser cette exploitation, c'est-à-dire imposer aux paysans et aux
artisans les directives du pouvoir et surveiller leur exécution,
comptabiliser les produits et opérer les prélèvements, il faut un appareil de
fonctionnaires — administrateurs, agents du fisc, scribes — , susceptible
d'intervenir à tous les stades de la production pour en vérifier la
qualité et la quantité, puis pour la confisquer, ou mettre de côté la part qui
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revient à l'État. Une organisation de ce type existait, bien entendu, à


l'époque pharaonique; les rois saïtes l'avaient réformée et les
conquérants perses ne l'avaient sans doute pas modifiée. Dans ce domaine, les
Lagides bénéficient d'un système éprouvé, qu'ils n'ont qu'à réutiliser à
leur profit.
Les fonctions les plus importantes, dans la hiérarchie
administrative, sont naturellement confiées à des Gréco-Macédoniens. Il y a des
exceptions; sous le règne de Ptolémée Ier, des Égyptiens appartenant à
l'ancienne aristocratie sont pourvus de charges manifestement très
importantes, comme celle de gouverneur de nome.
Sous les règnes suivants, on retrouve un certain nombre
d'Égyptiens exerçant de hautes fonctions administratives, pourvus de titres
auliques; mais au IIIe siècle, ce n'est pas la règle. En revanche, plus on
descend dans la hiérarchie administrative, plus les Égyptiens sont
nombreux. Le recrutement des fonctionnaires représente un vrai problème
pour le pouvoir lagide, et cela non seulement aux époques de troubles
et d'anarchie, lorsque l'exercice des fonctions administratives devient
plus difficile, et la responsabilité plus lourde, mais dès les débuts de la
domination lagide.
Or il est clair que le bon fonctionnement du système administratif
est un des Soucis primordiaux de l'État; c'est ce dont témoignent les
directives extraordinairement détaillées et minutieuses adressées aux
fonctionnaires, les exhortations à leur égard leur enjoignant de faire
preuve de zèle et d'efficacité, mais de ne pas abuser de leur autorité. Il
importe en effet au pouvoir lagide de ne pas apparaître comme un
pouvoir oppresseur; les directives adressées par les hauts fonctionnaires à
leurs subordonnés insistent sur la «confiance» à restaurer chez les
paysans, qui devraient être convaincus que «leurs maux sont finis» et que
«tout est réglé pour le mieux». Malgré ces injonctions, les agents de
l'État se comportent souvent en despotes locaux.
Pourtant, l'image illusoire d'un pouvoir bienveillant, préoccupé des
intérêts de ses sujets, réussit à se maintenir contre toute logique: c'est
ce qui se traduit dans les appels adressés par des travailleurs au roi,
«sauveur commun de tous», auquel ils demandent d'intervenir pour
que cesse l'exploitation dont ils sont victimes de la part de ses
représentants, agissant en son nom ... À ce niveau, l'appartenance ethnique ne
joue guère. Le conflit sans cesse plus aigu entre administrateurs et
administrés n'est pas un conflit opposant des Grecs à des Égyptiens ; les
fonctionnaires peuvent être eux-mêmes des Égyptiens, ils n'en sont pas
moins, aux yeux de leurs compatriotes, les responsables des charges
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qui pèsent sur eux, de l'oppression fiscale dont ils sont victimes. Et,
visiblement, ce n'est pas parce qu'ils sont les représentants d'un
pouvoir «étranger» qu'ils sont craints et détestés; c'est leur fonction même
— et aussi, bien souvent, la manière dont ils s'en acquittent — qui
engendre cette haine.

3) La propagande royale.

Les principaux appuis du pouvoir lagide sont donc, d'une part, la


catégorie dominante que constitue l'entourage gréco-macédonien du
roi, d'autre part l'armée et la bureaucratie (où ces mêmes
Gréco-Macédoniens sont le plus souvent présents à des postes de responsabilité).
Pour s'assurer leur fidélité, les Ptolémées ont institué un système
complexe de privilèges et d'avantages, matériels et honorifiques. Les
privilèges à caractère honorifique sont très divers; ils vont du droit de
porter un titre aulique à celui de fréquenter le gymnase; leur effet
consiste surtout à faire sortir ceux qui en sont les bénéficiaires, Grecs et
Égyptiens «hellénisés», de la masse anonyme des sujets, en leur
permettant de conserver le mode de formation et les modes de vie
caractéristiques des pays grecs — ou d'y accéder. De plus, les Grecs jouissent
en tant que tels d'un statut particulier, tant social (en tant que citoyens
des villes grecques, ou bien membres de politeumata dans les villages
de la chord) que juridique, du fait qu'ils sont justiciables du tribunal
grec des chrématistes ou des dicastères de la chora, et non des juges
indigènes, les laocrites. Les avantages matériels sont fort importants:
charges civiles ou militaires bien rémunérées, attribution de terres,
doreai et klèroi, qui évoluent progressivement vers un statut de
propriété privée.
Mais l'emprise que le pouvoir exerce sur les sujets doit se fonder
sur un consensus idéologique; un important effort de propagande est
mis en œuvre à cet effet dès le début du IIIe siècle. La propagande
royale a pour but de diffuser une image idéalisée du souverain,
conforme à un modèle élaboré dès le IVe siècle en pays grec et largement
répandu à l'époque hellénistique: selon ce schéma idéal, le roi est doté
de toutes les vertus — piété, justice, bienfaisance, valeur guerrière —
et, de ce fait, éminemment digne d'exercer un pouvoir auquel nul autre
que lui ne pourrait prétendre. Le régime monarchique se trouve par là
même justifié, et celui qui l'incarne placé au-dessus de toute
contestation. Les formes et les moyens de la propagande sont très divers ; son
expression la plus directe est représentée par les épithètes royales, qui
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mettent l'accent sur la nature bienfaisante du souverain (Évergète), son


caractère divin (Soter, Epiphane, Neos Dionysos), sa piété filiale (Philo-
pator, Philomètor); elle s'effectue également par l'intermédiaire des
monnaies, qui associent à l'image du roi des emblèmes de pouvoir
(l'aigle et le foudre de Zeus) ou de fécondité (la corne d'abondance). La
propagande emprunte aussi des moyens d'expression plus
spécifiquement liés à la «classe dominante» grecque: les représentations figurées
de l'art alexandrin, la «littérature de cour» de Théocrite et de Callima-
que, qui diffuse dans les milieux grecs une image du souverain
unanimement adulatrice, conforme aux thèmes officiels.
Le culte dynastique constitue un moyen de propagande
particulièrement efficace, ou en tout cas voulu comme tel: mis en place
progressivement par Ptolémée Philadelphe, il donne des rois morts, puis
bientôt des rois vivants, une image sacralisée qui les rend théoriquement
intouchables et justifie leur pouvoir.
Cet effort de propagande, dans les premières décennies du IIIe
siècle, apparaît surtout destiné aux Grecs et à la petite fraction
d'Égyptiens hellénisés; son langage, celui des œuvres d'art, des textes
littéraires, des rites festifs ou cultuels, est un langage grec. Les
Gréco-Macédoniens représentant le principal appui du pouvoir, il n'est pas étonnant
que celui-ci ait cherché prioritairement à s'assurer de leur adhésion à
un système auquel ils étaient, de toutes façons, partie prenante. Mais il
est clair que, dès le début du IIIe siècle et de plus en plus par la suite, la
propagande royale s'adresse également aux sujets égyptiens. C'est ce
que montrent les directives adressées aux fonctionnaires et destinées à
convaincre les travailleurs — paysans et artisans, dans leur majorité de
souche égyptienne — de la bienveillance du roi à leur égard; c'est ce
que montre également la politique religieuse des Lagides qui, dès
l'époque de Ptolémée Ier, sont visiblement soucieux de ne pas heurter le
clergé et la population égyptienne dans leurs croyances fondamentales:
Ptolémée Ier et ses successeurs patronnent la construction d'édifices
religieux, Ptolémée II se fait, peut-être, couronner à Memphis,
Ptolémée III fait instaurer par le synode de Canope un culte à l'égyptienne
de sa fille Bérénice. Dans le même temps, il est vrai, les Lagides
reprennent en mains l'administration des domaines des temples. . . Mais ils
s'efforcent d'apparaître respectueux des croyances égyptiennes, à
l'inverse, prétend-on, des Perses, autour desquels s'élabore désormais une
légende quelque peu suspecte dont les thèmes principaux sont l'impiété
et la violence sacrilège — ce qui permet de faire ressortir d'autant
mieux la piété des rois grecs et leur fidélité aux coutumes égyptiennes.
GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE 53

À partir de la fin du IIIe siècle, les gestes de propagande, en


particulier religieuse, à l'égard des Égyptiens, les signes de ce qu'on a
désigné comme l'«égyptianisation» du pouvoir lagide, deviennent de
plus en plus fréquents; le rôle joué par les Grecs dans les différents
secteurs d'activité n'étant plus prédominant (à la fin du IIIe siècle,
l'immigration grecque s'est beaucoup ralentie), les Lagides prennent
conscience d'une nécessité nouvelle: s'assurer l'appui, et le consentement,
des Égyptiens.
Les formes diverses et complexes de la propagande lagide
manifestent clairement le besoin qu'a le roi de ceux dont il est théoriquement le
maître absolu: il a besoin de la force de travail que constituent les
masses égyptiennes; il dépend, pour exploiter cette force, de ceux qui sont
ses instruments et ses agents, les fonctionnaires; il dépend aussi de
l'armée, de son efficacité et de sa fidélité. Enfin, à mesure que s'atténue le
rôle prédominant des Grecs, il a besoin de l'appui d'une fraction au
moins de la population égyptienne (« notables » ralliés, clergé) pour
conserver son emprise sur la masse.
Ainsi, lorsque je parle des rapports gréco-égyptiens en terme de
pouvoir, ce n'est pas seulement parce qu'un «pouvoir grec», après
s'être mis en place, s'efforce de s'installer dans la durée; face au
pouvoir lagide, il existe d'autres formes de pouvoir — peut-être, dans
certains cas, faudrait-il parler de contre-pouvoirs — qui s'efforcent, avec
plus ou moins de succès, de faire pression sur lui, sinon de s'opposer
directement à lui.

II — Les réactions indigènes

Dans ce domaine, une constatation s'impose: pendant toute la


période qui va des dernières années du IVe siècle à la fin du IIIe, on ne
rencontre pas de signes de résistance ouverte, émanant d'une fraction
quelconque de la population égyptienne, à l'égard du pouvoir grec.
Sur les réactions qu'ont pu avoir les masses égyptiennes, nous
avons peu d'informations, à l'exception de celles qui nous signalent des
litiges ou des querelles entre Grecs et Égyptiens, lorsqu'ils sont amenés
à cohabiter dans les villages de la chora : conflits mineurs, à l'échelle du
village, et dont l'enjeu ne concerne guère que la réparation d'un «tort»,
réel ou imaginaire, ou bien l'occupation d'une misérable maison
paysanne, quand les parties en présence sont un villageois égyptien et un
«stathmouque» grec. De tels litiges sont souvent révélateurs de la situa-
54 FRANÇOISE DUNAND

tion de domination qui est celle des Grecs dans la chora, au IIIe siècle,
ainsi que de l'opposition, pas seulement passive, des milieux indigènes.
Mais ce sont des cas individuels; même s'ils sont relativement
nombreux, on ne peut pas retracer à travers eux le tableau d'une hostilité
générale et déclarée de la population égyptienne à l'égard des
occupants, et encore moins du pouvoir grec.
Sur le comportement des membres de l'ancienne «classe
dirigeante» égyptienne, nous sommes un peu mieux renseignés; il est clair en
effet que, sous le règne de Ptolémée Ier, un certain nombre de
personnages appartenant à l'aristocratie égyptienne, voire à l'ancienne famille
régnante, celle de Nectanébo II, se sont ralliés au nouveau régime et,
pour prix de leur ralliement, ont obtenu de hautes charges civiles et
même militaires; ces Égyptiens de haut rang conserveront une position
privilégiée; on en connaît d'assez nombreux exemples dans
l'administration et dans l'armée, et jusque dans l'entourage royal, au IIe et au Ier
siècle. Les plus connus, parmi eux, sont peut-être ceux qui exercent des
charges religieuses: Pétosiris d'Hermoupolis, dont le tombeau est
décoré de représentations si fortement hellénisées, Manéthon de Sébenny-
tos, suffisamment hellénisé, lui aussi, pour écrire en grec ses Aegyptiaca
et pour jouer un rôle de conseiller auprès de Philadelphe. Les
représentants du clergé égyptien, réunis en synode à Canope, en 238, doivent,
eux aussi, faire partie de ces «notables» qui ont choisi de «collaborer»
avec le pouvoir lagide.
Mais s'agit-il, à proprement parler, d'un choix? Depuis l'époque de
Ptolémée Ier jusqu'à celle de Ptolémée IV, les Grecs sont partout en
situation dominante; ce sont eux qui détiennent les leviers de
commande, dans tous les secteurs d'activité. De plus, l'armée est présente, et
c'est une armée forte, entraînée, manifestement prête à intervenir.
Dans un tel contexte, les manifestations d'opposition, de la part des
Égyptiens, n'avaient guère de possibilités de s'exprimer. D'autre part,
les rois Lagides, apparemment, ne refusaient pas de «tendre la main
aux Égyptiens», selon l'expression de W. Peremans — du moins à
certains d'entre eux, ceux en particulier qui appartenaient à de puissantes
familles sacerdotales, riches en terres et en prestige, et qui pouvaient
leur servir de caution en exerçant leur influence sur les masses
égyptiennes au bénéfice des nouveaux maîtres. Ainsi, pendant la première
phase de la domination lagide, celle-ci ayant alors atteint son maximum
d'efficacité, une fraction de la société égyptienne joue le jeu des Grecs,
seul moyen pour elle de conserver une part de pouvoir. Quant aux
masses, elles supportent sans doute assez mal la cohabitation avec les
GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE 55

Grecs, mais cela n'entraîne pas, semble-t-il, de mouvements collectifs


dirigés contre ces derniers.
Pourtant, progressivement, à partir des dernières décennies du IIIe
siècle, diverses formes de résistance au pouvoir lagide se dessinent.

a) Au niveau économique.

Les premières formes de résistance des masses paysannes


s'expriment à un niveau non politique; elles ne sont pas dirigées contre le
pouvoir en tant que tel. Ce sont des réactions, tantôt individuelles,
spontanées, tantôt collectives et plus organisées, de découragement et
de refus devant les multiples charges que le système économique fait
peser sur les travailleurs, et en particulier devant l'oppression fiscale.
De ces charges, de cette oppression, le roi n'est jamais tenu pour
responsable: les paysans révoltés s'en prennent aux exécutants, les petits
fonctionnaires locaux, mais demeurent persuadés que le roi leur rendra
justice et fera cesser leur exploitation. La plus fréquente de ces
manifestations de résistance, c'est le refus de travailler: parce qu'ils ne
peuvent pas s'acquitter de leur fermage, ou de leurs impôts, parce qu'ils
sont menacés de la prison pour dettes, les paysans quittent leur terre
et, pour échapper aux poursuites, se réfugient dans un nome voisin, ou
bien dans l'enceinte d'un temple disposant du droit d'asile; il arrive
même que, dans l'espoir de se faire oublier, ils aillent jusqu'à
Alexandrie. Mais les fonctionnaires du fisc peuvent les faire rechercher dans
un autre nome, et même les faire expulser d'un temple avec l'aide de la
police. La fuite hors du lieu de travail, anachôrèsis, n'est pas seulement
une forme de résistance passive; elle peut, dans certains cas, mettre les
travailleurs en position de force, et leur permet d'exercer une pression
efficace sur leur employeur, État ou maître de dorea, afin d'obtenir de
meilleurs contrats. L'anachôrèsis, dans ce cas, peut être analysée
comme une forme de grève.
La pratique du refus de travail, lorsque les conditions de vie sont
par trop insupportables, se répand surtout dans l'Egypte du IIe siècle
et, bien que non violente, elle représente pour le pouvoir un grave
danger, celui d'une diminution de la production, et par conséquent des
recettes de l'État, fondées essentiellement sur le prélèvement des
produits du sol. Le processus est d'autant plus grave et dommageable pour
les finances royales que les terres abandonnées retournent très vite à
l'état désertique et qu'il faut beaucoup d'efforts et de frais pour les
remettre en culture. Face à cette menace, le pouvoir lagide invente tou-
56 FRANÇOISE DUNAND

te une série de mesures, comme la pratique du serment liant le


travailleur à la terre à l'époque des grands travaux, destinées à retenir les
paysans sur leur lieu de travail, mais aucune d'entre elles n'apparaît
très efficace: à certaines époques, des villages sont dépeuplés, la
plupart des hommes s'étant enfuis, faute de pouvoir payer leurs impôts;
de vastes portions du territoire, et en particulier des terres de la
couronne, restent en friche.
Dans l'Egypte désorganisée, affaiblie économiquement et
politiquement, du IIe et du Ier siècle a.C, de telles pratiques ne sont pas
surprenantes. Ce qui est plus étonnant, c'est qu'elles apparaissent dès le
milieu du IIIe siècle, c'est-à-dire dans une période de pleine prospérité,
où le pouvoir lagide est dans sa phase dominante. C'est bien le signe,
me semble-t-il, qu'il ne s'agit pas d'une opposition systématique et
cohérente à la politique royale. Ce qu'expriment ces mouvements, c'est
l'impuissance et le désespoir de gens qui «n'en peuvent plus», selon les
termes d'une lettre adressée par des travailleurs à Zenon; c'est aussi,
parfois, l'espoir de se voir octroyer une remise de dettes, ou de
meilleures conditions de travail. Mais lorsque tout un village, toute une région
sont en proie à ce marasme (ce n'est évidemment pas le cas au IIIe
siècle), même si ce n'est pas d'une opposition de caractère politique qu'il
s'agit, le résultat n'en est pas moins, de toute évidence, un
affaiblissement du pouvoir royal, atteint au point le plus sensible —
l'organisation des finances — et incapable d'enrayer la crise.

b) Au niveau politique.
L'anachôrèsis peut être liée à des formes plus déclarées
d'opposition au pouvoir central. Lorsqu'ils ne trouvaient pas de lieu de refuge,
les paysans déserteurs, n'osant pas retourner dans leur village de peur
de tomber entre les mains des agents du fisc, n'avaient sans doute pas
d'autre ressource que de rejoindre les bandes d'aventuriers, d'insoumis,
de «marginaux» de toutes sortes qui profitaient des périodes de
troubles et d'anarchie administrative pour pratiquer une forme de
brigandage. Cette forme d'action, violente, illégale, ne doit pas être considérée
seulement comme le fait d'asociaux ou de marginaux, poussés par le
besoin; elle revêt parfois un aspect organisé et s'intègre à des
mouvements insurrectionnels qu'on peut qualifier de politiques.
Les historiens ont longuement discuté des motivations et de la
nature des «révolutions égyptiennes», selon l'expression consacrée, qui
se succèdent avec plus ou moins d'intensité tout au long du IIe et du Ier
GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE 57

siècle a.C. Alors que Cl. Préaux leur déniait tout caractère ouvertement
nationaliste et pensait discerner à leur origine une triple composante, à
savoir la politique personnelle menée par certains chefs grecs, la
frustration des masses paysannes supportant mal l'exploitation
économique, et enfin les menées séparatistes du clergé thébain d'Amon,
d'autres historiens de l'Egypte gréco-romaine, comme Fr. Uebel et
P. W. Pestman, ont plus récemment mis l'accent sur le caractère
nationaliste de certaines de ces révoltes; la dernière en date des études
consacrées à ce problème, celle de W. Peremans, s'efforce de prendre en
compte la diversité des comportements et des réactions caractéristiques
de ces révoltes, en les situant dans un cadre qui est celui de l'évolution
des relations entre Grecs et Égyptiens, relations différenciées selon les
niveaux de société et les particularismes locaux.
Quelques données sûres peuvent être mises en évidence: il s'est
produit à diverses reprises en Egypte, entre la fin du IIIe et le milieu du
Ier siècle a.C, des mouvements insurrectionnels qui ont mis en péril le
pouvoir lagide; celui-ci a dû intervenir militairement; dans un cas au
moins, celui de la révolte qui éclate à la fois en Haute et en Basse
Egypte en 205, ce n'est qu'après une période de vingt ans, au cours desquels
la Haute Egypte a complètement échappé à l'emprise lagide, que la
reprise en main a pu s'effectuer. Sans doute les motivations de ceux qui
participaient à ces insurrections étaient-elles diverses, et pas très
claires; on peut penser qu'il y avait parmi eux bon nombre de gens sans
terres et sans travail, qui n'avaient rien à perdre, et pour qui la révolte
représentait peut-être surtout l'occasion de faire un peu de butin. Les
documents relatifs aux insurrections mentionnent presque toujours les
actes de destruction et de pillage dont elles s'accompagnent; selon les
termes très officiels du décret de Philae, qui marque la reconquête de
la Haute Egypte par Épiphane en 186, les temples auraient
particulièrement souffert des rapines et des déprédations commises par les
insurgés. Il est vrai qu'il n'y avait guère, dans la chora, que les temples
pour disposer d'une certaine accumulation de produits alimentaires et
d'objets précieux, tentants pour les «rebelles».
Il est probable que c'est la frustration et la misère, plutôt qu'une
hostilité déclarée au pouvoir grec, qui ont poussé de très nombreux
Égyptiens à entrer dans la dissidence. Mais il n'en demeure pas moins
que ces révoltes ont, dans plusieurs cas, un caractère nettement
politique et nationaliste: leur objectif est de renverser le roi lagide, ou tout
au moins de soustraire à son contrôle une partie du territoire et d'y
établir un pouvoir rival. C'est ainsi que la Thébaïde a pu être constituée
58 FRANÇOISE DUN AND

en royaume indépendant et gouvernée pendant vingt ans par des rois


indigènes, d'origine nubienne, qui avaient certainement trouvé des
appuis auprès du clergé local. Plusieurs de ces révoltes sont dirigées par
des Égyptiens appartenant à de grandes familles aristocratiques —
c'est-à-dire par des gens que le pouvoir lagide devait considérer comme
ses alliés, depuis plusieurs générations, des gens qui avaient, pendant
un certain temps, joué le jeu de l'hellénisation : en 165, une révolte dont
on ne sait pas grand-chose, et qui échouera, est dirigée par un grand
personnage, Égyptien hellénisé, Dionysos-Pétosarapis. Il est très
probable que l'objectif de ces révoltés était de renverser à leur profit la
monarchie lagide. L'«hellénisation», dans ce cas, a pu être utilisée par
eux comme l'instrument de l'accession au pouvoir, ou en tout cas d'une
tentative pour y accéder; elle n'était pas incompatible, c'est bien clair,
avec la persistance de sentiments nationalistes.
Les mouvements insurrectionnels ont donc, manifestement, des
caractères assez divers; ils vont de l'émeute ou de l'agitation sporadique,
motivée le plus souvent par le caractère oppressif du système
économique, et les difficultés qu'il engendre au niveau de la vie quotidienne,
jusqu'à la révolte armée, organisée, avec prise de villes, pillage,
occupation d'un territoire. Cependant, quelles que soient leur nature et leur
intensité, ils contribuent, chacun pour sa part, à aggraver le climat
d'insécurité et à désorganiser le système économique — c'est-à-dire, en
fin de compte, à rendre plus intolérable encore la situation qui, très
souvent, a motivé leur émergence. . . Cercle vicieux de la violence et de
la répression. Car il y a toujours répression, et elle est toujours efficace,
au moins pour un temps; les insurrections nationalistes n'ont contribué
qu'indirectement à renverser la monarchie lagide.

c) Au niveau idéologique et symbolique.

Le clergé égyptien, ou tout au moins le haut clergé, celui que nous


connaissons le mieux, s'est manifestement rallié au nouveau pouvoir
dès les débuts de la conquête macédonienne; divers faits en
témoignent, ainsi l'accueil réservé par les prêtres de Memphis et de Siwah à
Alexandre, les éloges décernés à Ptolémée, alors satrape, par les prêtres
de Bouto, le comportement très «philhellène» de Pétosiris et de Mané-
thon. Les exemples de cette collaboration du haut clergé égyptien avec
le pouvoir sont nombreux et incontestables; j'en retiendrai deux qui me
paraissent particulièrement frappants.
GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE 59

1 - En 196, lorsque le clergé est réuni en synode à Memphis, le


décret qu'il promulgue à cette occasion évoque la révolte qui vient
d'être réprimée par Ptolémée V en Basse Egypte en des termes qui
l'assimilent à l'éternel combat cosmique des forces du mal et du chaos
contre le dieu solaire: le roi lagide est un nouvel Horus, et les rebelles
dont il a triomphé sont désignés comme des « impies » ; ainsi Ptolémée V
est présenté comme le successeur légitime des pharaons et des dieux, et
ses adversaires égyptiens condamnés de la manière la plus claire et la
plus solennelle.

2 - En 186, lorsque le même Ptolémée V réussit à reprendre le


contrôle de la Haute Egypte, grâce à la victoire de ses troupes sur
celles du roi indigène Anchmachis, le clergé de Philae rédige un décret
honorifique dans lequel il stigmatise avec une extrême violence les
comportements des anciens rebelles. Il est vrai qu'on ne connaît pas
l'attitude adoptée par les prêtres de Philae sous le règne des rois
nubiens; mais il est clair que lorsque Ptolémée V redevient maître de la
situation il est considéré par eux, sans hésitation, comme le roi
légitime.
On pourrait citer encore les archives de Hor, pastophore originaire
de Sébennytos, publiées récemment par J. D. Ray, et qui témoignent
également du loyalisme du clergé égyptien à l'égard du pouvoir lagide:
au cours d'une série de songes oraculaires, Hor voit Alexandrie sauvée,
le roi et ses descendants régnant en paix, la reine enfantant un fils (les
documents datent de 159 a.C, mais les événements évoqués se situent
vers 170-168). Pourtant, les réactions sacerdotales ne sont
probablement pas unanimes. Le bas clergé, qui bénéficie à un moindre degré
que le haut clergé des faveurs et des privilèges accordés par les Lagi-
des, n'a peut-être pas les mêmes comportements; les prêtres de rang
inférieur, vivant dans la chora à peu près au même niveau que les
paysans, supportent aussi mal que ceux-ci la présence des occupants
grecs.
D'autre part, dans certains milieux sacerdotaux, apparaît, à une
époque qu'il est difficile de situer, mais sans doute dès le IIIe siècle, une
forme de résistance idéologique à la domination grecque qui s'exprime
par l'intermédiaire de textes apocalyptiques et prophétiques. Le plus
ancien de ces textes est la Chronique Démotique, prophétie rédigée en
langue démotique, probablement au IIIe siècle a.C, par les prêtres du
dieu Herishef — en grec Harsaphès — , à Ehnas (Hérakléopolis
Magna). Ce texte très obscur évoque, en termes de prophétie post eventum,
60 FRANÇOISE DUNAND

le règne des derniers rois indigènes, l'occupation perse, puis l'arrivée


d'Alexandre et des Macédoniens; son caractère nationaliste est très
marqué et la haine à l'égard des occupants étrangers y transparaît
clairement: les Gréco-Macédoniens sont désignés, semble-t-il, comme «les
chiens», Alexandre comme «le grand chien». Il n'est guère possible
d'évaluer l'impact que pouvait avoir un texte de cette nature; bien qu'il
soit obscur et difficile, le fait qu'il est rédigé en démotique paraît
indiquer qu'il était accessible à d'autres milieux que les milieux savants des
temples. On peut le considérer comme un texte de propagande en
faveur du retour d'une monarchie nationale, rédigé par des gens
appartenant au «monde des temples», à l'intention d'une clientèle
«populaire».
L'Oracle du Potier, autre témoignage de la résistance idéologique à
l'égard du pouvoir grec, pose des problèmes assez différents. Nous ne
le connaissons que par des textes grecs, recopiés à une époque très
tardive, ce qui d'emblée soulève la question de sa destination: pourquoi
a-t-on éprouvé le besoin de traduire en grec, et par conséquent de
diffuser en milieu hellénisé, un texte de propagande anti-grec? S'agit-il,
tout justement, d'une tentative de propagande nationaliste à l'intention
d'Égyptiens hellénisés? Il est probable que le texte original de Y Oracle a
été écrit en démotique; il émane en effet d'un milieu sacerdotal
égyptien, celui des prêtres de Khnoum, le dieu bélier, et sa rédaction peut se
situer dans un des centres du culte de Khnoum en Haute Egypte,
Elephantine ou Esna. Sous une forme prophétique qui l'apparente à la
Chronique Démotique, et surtout aux pseudo-prophéties du Moyen
Empire, la Prophétie de Néferty et les Admonitions d'Ipouer en particulier,
il dénonce les maux auxquels est en proie l'Egypte et dont l'origine est
ouvertement attribuée aux Grecs, les «porteurs de ceinture», dont est
dénoncée avant tout Γ« impiété»: ils ont introduit en Egypte des dieux
nouveaux, aussi les anciens dieux se sont-ils détournés de ce qui était
autrefois leur demeure. L'accent mis sur le bouleversement des
traditions religieuses (avec très probablement des allusions à la «création»
de Sarapis) dénote l'origine sacerdotale du texte et manifeste
clairement l'hostilité de certaines catégories du clergé égyptien envers la
politique religieuse des rois lagides, si favorable que semble être cette
politique à l'égard des cultes traditionnels.
Mais Y Oracle du Potier a également une coloration politique: après
avoir présenté de la situation de l'Egypte entre les mains des Grecs un
tableau catastrophique, l'auteur de la prophétie proclame que la «ville
au bord de la mer», Alexandrie, sera désertée, les Grecs chassés du
GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE 61

pays, et qu'un roi viendra du Sud pour restaurer l'ordre ancien en


Egypte. Cette annonce du retour à un passé considéré comme une sorte
d'âge d'or est un thème récurrent dans toutes les prophéties
égyptiennes depuis le Moyen Empire; la Prophétie de Néferty était déjà centrée
sur l'annonce de la venue d'un roi sauveur, Amenemhat Ier, fondateur
de la XIIe dynastie, dont la mission devait être de mettre fin aux
troubles sociaux, économiques et politiques de la Première Période
Intermédiaire.
Cependant, la prédiction relative au «roi venu du Sud», dans Y
Oracle du Potier, si l'on admet avec L. Koenen que ce dernier a pu être
rédigé, ou du moins réécrit d'après un original plus ancien, dans la
seconde moitié du IIe siècle a.C, peut se référer à l'accession au
pouvoir, au début du IIe siècle, de rois «venus du Sud», c'est-à-dire, en
l'occurrence, d'origine nubienne, qui ont effectivement «libéré» la Haute
Egypte de la présence grecque et l'ont gardée sous leur contrôle
pendant vingt ans. Ainsi, l'Oracle du Potier, tout en présentant une sorte de
répertoire des thèmes apocalyptiques les plus rebattus — ils
apparaissent déjà au Moyen Empire et on les retrouve dans l'apocalypse de l'As-
clepius, traité tardif du Corpus Hermeticum — , n'en est pas moins
rempli d'allusions à une situation politique bien précise et s'inscrit dans le
cadre de ces mouvements de résistance religieuse à la domination
politique, économique et culturelle d'un groupe conquérant, dont on peut
constater l'émergence dans tous les contextes de colonisation, qu'il
s'agisse du Pérou occupé par les conquérants espagnols, ou des sociétés
d'Afrique noire aux prises avec les colonisateurs européens.
«Résistance religieuse» — mais à quel niveau s'exprime cette
résistance? Est-elle de l'ordre du symbolique, ou se relie-t-elle à des formes
actives et concrètes d'opposition au pouvoir, comme c'est le cas pour
nombre de mouvements religieux du Tiers Monde, dans lesquels la
prédication apocalyptique et messianique tend à s'accomplir à travers la
lutte armée? Rien n'indique qu'il y ait eu des liens entre les milieux
sacerdotaux de Haute Egypte, susceptibles d'avoir été à l'origine de ces
textes porteurs d'une idéologie anti-grecque, et les mouvements
insurrectionnels qui éclatent en Haute Egypte, mais aussi bien dans le Delta,
à partir de la fin du IIIe siècle. D'autre part, on ignore tout de la
destination de ces textes, encore qu'on puisse admettre qu'ils étaient
largement diffusés, puisqu'on continue à les copier quatre ou cinq siècles
après qu'ils aient été rédigés. Plutôt qu'une incitation à l'action, peut-
être représentent-ils un refuge dans l'imaginaire: si le salut, c'est-à-dire
l'expulsion des Grecs, devait être apporté aux Égyptiens par un roi-
62 FRANÇOISE DUNAND

messie libérateur, il était peut-être inutile d'œuvrer, hic et nunc, pour


cette libération. . . La prédiction selon laquelle les Grecs seraient
bientôt chassés et l'ordre ancien rétabli a pu représenter, pour bien des
Égyptiens, une satisfaction symbolique, un moyen de supporter
l'insupportable. En ce sens, il faut lui reconnaître une efficacité — même s'il
s'agit d'une «libération» illusoire.
La littérature prophétique élaborée en Egypte à l'époque
hellénistique témoigne d'une résistance intérieure, souterraine, à l'occupation
grecque; résistance au niveau des consciences, et peut-être de
l'inconscient. Cette attitude de refus se manifeste parfois par une simple
formule, au détour d'un texte par ailleurs banal. E. Winter cite l'exemple
d'un grand-prêtre de Memphis dont l'inscription funéraire désigne le
roi Ptolémée XII par l'expression «le roi des Hanebou» (c'est-à-dire des
Grecs), dont «la résidence est au bord de la mer, et dont le nom est
Rhakotis (Alexandrie)». Manifestement, pour ce grand-prêtre, le roi
n'est pas un Égyptien, et il n'est pas le roi des Égyptiens — cela après
trois siècles d'occupation de l'Egypte par les Grecs. Il y a là,
incontestablement, une distance par rapport à l'image officielle, celle du
ralliement, qui s'efforce de présenter le roi lagide comme le successeur et
l'héritier légitime des Pharaons.
Diverses formes de résistance, sur divers plans, ont donc été
opposées par les Égyptiens au pouvoir lagide et à ses représentants. On peut
s'interroger sur leur efficacité. Cependant, même si elles semblent
s'être toujours soldées par des échecs, il est incontestable qu'elles ont
contribué à dégrader l'autorité royale en attaquant ses bases
économiques, et peut-être aussi en contestant son système idéologique.

III — Le problème de l'acculturation

Le contact prolongé entre groupes hétérogènes, dans la mesure


surtout où le rapport des forces les établit dans un rapport de
dominant à dominé, entraîne nécessairement des modifications de ces
groupes, et en particulier du groupe dominé, dans des domaines divers. Les
Grecs faisant fonction de catégorie dominante pendant toute la durée
du IIIe siècle et demeurant souvent en position de force pendant les
deux siècles qui suivent, on peut s'attendre à ce que les transformations
les plus profondes soient celles qui affectent la société égyptienne. Mais
jusqu'à quel point y a-t-il transformation? Et les Grecs ne sont-ils pas à
GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE 63

leur tour, quoique en position dominante, affectés par un processus


d'acculturation? J'envisagerai brièvement les différents secteurs où des
modifications se produisent, en m'attachant surtout à celui des
représentations et de l'idéologie.

1) Le secteur politique.
Ce n'est sans doute pas, contrairement à ce qu'on pourrait croire,
celui où les transformations sont les plus profondes. À partir de 305,
les Égyptiens ont un roi d'origine étrangère, et il est clair que certains
d'entre eux ne l'oublient pas, d'autant plus que les efforts d'«égyptiani-
sation» des rois Lagides, l'adoption des rites égyptiens du
couronnement et d'une titulature égyptienne mise à part, ne vont peut-être pas
très loin. Mais, de tout temps, les Égyptiens ont été gouvernés, parfois
pendant de longues périodes, par des rois d'origine étrangère, Lybiens
et Nubiens en particulier, sans que le système politique en soit
profondément modifié. L'essentiel, semble-t-il, est que le roi continue de faire
fonction d'autorité suprême, dont le pouvoir ne connaît pas de limites;
l'essentiel est qu'il reste le garant de l'ordre du monde, et surtout de
l'ordre sur lequel repose la société égyptienne. Or, dans ce domaine,
l'arrivée au pouvoir des Lagides n'introduit pas de changement en
profondeur par rapport à l'époque pharaonique. La monarchie lagide est
aussi absolutiste et centralisatrice que la monarchie pharaonique; le
système de gouvernement des Lagides, qui repose sur une délégation
des pouvoirs du roi à ses «amis et parents», les hauts fonctionnaires
civils et militaires (souvent détenteurs en même temps de hautes
charges sacerdotales), est assez proche de celui des rois du Nouvel Empire,
ou de l'époque saïte; la position et les fonctions du dioecète sont
comparables à celles du vizir.
D'autre part, l'idéologie royale des Lagides ne diffère pas
fondamentalement de l'idéologie pharaonique; comme ses prédécesseurs
égyptiens, le roi lagide a une fonction protectrice: il écarte les ennemis
du sol d'Egypte; il est le dispensateur de la prospérité, qui, par sa
prévoyance et son action miraculeuse sur la crue du Nil, épargne à ses
sujets tout risque de famine; dieu lui-même, il intercède pour son
peuple auprès des dieux; c'est sa piété, manifestée à travers
d'innombrables constructions, dédicaces, célébrations de fêtes, qui fait que les
dieux habitent la terre d'Egypte et accordent leur protection à ses
habitants. Tous ces thèmes qui transparaissent dans les textes officiels aussi
bien que dans la «littérature de cour» apparaissent déjà — en tenant
64 FRANÇOISE DUNAND

compte des différences de phraséologie — dans les éloges officiels des


Pharaons du Nouvel Empire, Thoutmosis III ou Ramsès IL
II y a, certes, des voix discordantes: l'Oracle du Potier attribue aux
Grecs, et donc à leur roi, tous les maux de l'Egypte. Mais il est clair que
les Lagides ont voulu donner à leurs sujets, tant grecs qu'égyptiens, une
image d'eux-mêmes et de leur pouvoir qui légitime la fonction royale.
Ont-ils consciemment et délibérément récupéré à leur profit l'image
ancienne des pouvoirs du roi, véhiculée par des traditions diverses, en
particulier sacerdotales? C'est probable; mais, d'un autre côté, ils se
conformaient — théoriquement bien entendu, et pour les besoins de
leur propagande —, au modèle idéal du roi hellénistique, élaboré dans
des milieux et selon des schémas grecs; mais ce modèle n'était pas
incompatible, bien au contraire, avec le modèle pharaonique.
Aux yeux des sujets égyptiens, la venue au pouvoir de rois gréco-
macédoniens n'est peut-être pas apparue comme un bouleversement de
leur univers, de leurs modes de vie et de pensée; à partir du moment
où ces rois étaient reconnus par le clergé comme légitimes successeurs
des pharaons, l'ordre du monde et de la société pouvait sembler
inchangé. Comme auparavant, le pouvoir était détenu par le roi et par
le petit groupe de ceux qui le représentaient et avec lesquels il était
admis qu'il partage ses attributions. Comme auparavant, la grande
majorité des sujets n'imaginait sans doute pas qu'elle puisse avoir des
droits politiques — et cela vaut, apparemment, pour les sujets grecs,
sauf exceptions, comme pour les sujets égyptiens; les premiers se sont
vite adaptés, à ce qu'il semble, à un régime de monarchie absolue.

2) Le secteur économique.

Dans ce domaine, des modifications beaucoup plus importantes se


produisent, au moins en apparence. Ces modifications se traduisent par
l'introduction, dans le système hérité de l'époque pharaonique —
système qui semble bien ressortir, dans ses traits fondamentaux, de ce qu'on
peut désigner comme le mode de production asiatique — , d'un certain
nombre de pratiques d'origine ou de type grec; mais il n'est pas certain
que ces pratiques aient exercé une influence déterminante sur le mode
de production. Trois d'entre elles me paraissent cependant
particulièrement importantes, bien que leurs conséquences, à court et à long
terme, soient très différentes: il s'agit de l'introduction du monopole, de
celle de la ferme, et de la diffusion de la monnaie.
GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE 65

Le système du monopole n'est pas d'origine égyptienne, et il


semble bien que les Ptolémées ne soient pas les seuls, parmi les souverains
hellénistiques, à l'avoir utilisé; mais ils sont certainement les seuls à
l'appliquer avec une telle cohérence. L'intérêt de ce système est qu'il
leur permet, dans des secteurs judicieusement choisis, d'orienter la
production en fonction de leurs besoins et d'en être totalement maîtres,
donc d'en disposer comme ils l'entendent, au besoin en imposant à
leurs sujets de consommer une quantité fixée à l'avance du produit en
question (c'est ce qui se passe dans le cas du monopole de l'huile). Il y a
donc là une source de revenus facile à évaluer et relativement sûre.
Mais le système a des inconvénients: pour bien fonctionner, il suppose
la mise en place d'un personnel de surveillance particulièrement
développé et vigilant, et d'autre part son caractère contraignant fait qu'il est
souvent mal reçu par les producteurs et par les consommateurs. La
rigueur des contraintes et des interdits, dans ce domaine comme dans
bien d'autres, joue comme une incitation à la transgression et à la
fraude.
Le système de la ferme apparaît, de façon encore plus nette,
comme un système de garantie mis en place par l'État lagide afin d'assurer
la rentrée régulière de ses revenus. Les fermes sont vendues aux
enchères; les adjudicataires sont tenus de fournir des cautions et, garantie
supplémentaire pour l'État, les sommes versées par les contribuables
au compte de la ferme, à la banque de leur nome, sont placées sous
séquestre. S'il y a déficit, les biens des fermiers et ceux de leurs
cautions peuvent être saisis. Le roi a tout avantage à un tel système: il est
assuré de recevoir en temps voulu ce qui lui est dû, sous forme
d'argent liquide, sans avoir à souffrir des difficultés de paiement des
contribuables. Mais ici encore le système est difficile à appliquer: dans un
pays où le niveau de vie général est très bas, il est malaisé de trouver
des gens disposant de réserves assez importantes pour, le cas échéant,
fournir à l'État des sommes qu'ils ne seront pas sûrs de pouvoir
récupérer rapidement. Bien entendu, les fermiers sont surtout des Grecs; il
y a bien des Égyptiens parmi eux, mais il est probable que les habitants
de la chora, dans leur majeure partie, ne disposaient pas du niveau de
fortune nécessaire pour assumer ce type de responsabilité, et que, pour
ceux qui en auraient été capables, c'était un procédé trop étranger à
leurs habitudes pour qu'ils s'y prêtent volontiers. De plus, le système de
la ferme, qui comporte des risques financiers pour les tenants, limite
leurs pouvoirs — ce ne sont pas eux qui perçoivent les taxes, mais des
agents de l'État — et ne leur laisse guère d'occasions d'enrichissement.
66 FRANÇOISE DUNAND

II est donc assez compréhensible que cette pratique «greffée», selon


l'expression de Cl. Préaux, sur le système traditionnel de prélèvements,
n'ait pas entraîné une modification en profondeur de ce système.
L'introduction de la monnaie, ou plutôt la généralisation de son
emploi dans l'Egypte hellénistique, pose d'autres problèmes, et aura, à
long terme, des conséquences d'une tout autre ampleur. Un système
d'évaluation des produits et d'équivalence entre la valeur de ces
produits et celle d'une quantité déterminée de métal, le deben (poids de
cuivre), était connu et utilisé dans l'Egypte d'avant la conquête;
cependant, cette technique était rudimentaire, et on peut admettre, de façon
un peu schématique, que l'Egypte jusqu'à l'arrivée des
Gréco-Macédoniens connaissait surtout un régime d'économie naturelle.
Est-ce à dire qu'avec la conquête on passe sans transition au stade
de l'économie monétaire? La diffusion de la monnaie facilitait les
échanges, à l'intérieur et à l'extérieur, et surtout pouvait permettre le
développement d'un processus d'accumulation capitaliste, susceptible
de transformer profondément le système économique. Or s'il est vrai
qu'une frange assez limitée d'hommes d'affaires, grecs pour la plupart,
profite de ces possibilités nouvelles, il semble bien que le principal
bénéficiaire, en fait, soit l'État lui-même. La circulation de la monnaie
d'or est contrôlée par les Lagides, qui l'utilisent pour leurs achats de
produits d'importation ou l'accumulent dans leur Trésor. La monnaie
d'argent sert à payer les soldes et les traitements des militaires, des
fonctionnaires et des techniciens, mais il semble qu'elle disparaisse de
la circulation dans les dernières années du IIIe siècle pour être
remplacée par une monnaie de cuivre; c'est cette monnaie de cuivre qui sert
normalement aux transactions sur le marché intérieur, et
naturellement elle n'a pas cours à l'extérieur. Ainsi, les facilités qu'offre la
monnaie, et en particulier les possibilités de thésaurisation et de
spéculation, ne sont en fait accessibles qu'à une catégorie limitée: le roi, en
premier lieu, mais aussi les membres de son entourage comme le dioe-
cète Apollonios, qui cumule une haute fonction administrative, la
jouissance de grandes propriétés terriennes, et la possibilité de mener de
fructueuses activités commerciales.
D'autre part, il est manifeste que l'emploi de la monnaie n'a jamais
pour effet de faire disparaître les anciennes pratiques: soldes et
traitements sont versés par l'État pour partie en argent, pour partie en
nature (ce qui d'ailleurs permet au roi de réaliser toutes sortes de profits);
les fermages, les impôts sont normalement payés en blé; le commerce
intérieur s'effectue encore, en grande partie, sous la forme d'un simple
GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE 67

échange de biens. Dans cette mesure, il est probablement inexact de


parler d'« économie monétaire» à propos de l'Egypte hellénistique; en
fait, ce que nous constatons, c'est l'existence d'un système mixte. Et de
toutes façons, la diffusion de la monnaie ne modifie pas, me semble-
t-il, les structures de l'organisation économique, dont l'État et ses
représentants sont les grands bénéficiaires, même s'il existe des
possibilités, relativement limitées, de développement de fortunes privées.
Le système d'organisation et d'exploitation du territoire mis en
place par les Lagides me paraît donc réutiliser, en le systématisant, celui
qui existait avant la conquête, et les modifications introduites dans sa
pratique ne le changent peut-être pas dans son orientation. Comme
auparavant, l'État dirige, dans certains secteurs, et contrôle la
production, pour en prélever la majeure partie à son profit; comme
auparavant les représentants de l'État sont en mesure d'utiliser leurs fonctions
comme source de bénéfices privés. L'élément le plus nouveau, c'est
peut-être la présence d'un groupe d'étrangers, Grecs surtout, qui, soit
au service et pour le compte du roi, soit pour leur propre compte,
réalisent toutes sortes d'opérations profitables, commerciales surtout, et de
ce fait jouent un rôle actif dans la mise en coupe réglée de l'Egypte.

3) Les rapports sociaux.


Les structures sociales de l'Egypte d'avant la conquête ont-elles été
modifiées en profondeur par cette dernière? À première vue, on serait
tenté de répondre affirmativement; l'effet le plus apparent de la
conquête, c'est la mise en place d'une catégorie dominante, formée de
Macédoniens, de Grecs originaires de Grèce propre ou d'Asie, qui,
partout, prennent les leviers de commande ; ils forment pendant tout le IIIe
siècle une véritable classe dirigeante, organisée, cohérente, qui contrôle
la vie publique dans presque tous les domaines (administration, armée,
justice, diplomatie, «grands travaux», activités culturelles. . .).
On serait donc tenté d'analyser la société égyptienne, à l'époque
hellénistique, en termes d'opposition ethnique entre un groupe
dominant et un groupe dominé. Mais les choses sont beaucoup moins
simples.
À l'époque où Alexandre conquiert l'Egypte, puis à celle où Ptolé-
mée en prend le contrôle, la société égyptienne apparaît fortement
stratifiée, avec une tendance à la formation de castes professionnelles
qu'Hérodote avait déjà signalée. Cette tendance est particulièrement
sensible à l'intérieur du clergé; alors que jusqu'au Nouvel Empire il y
68 FRANÇOISE DUNAND

avait toujours eu circulation et échanges entre les fonctions religieuses


et les fonctions civiles, voire les activités de production, à basse époque
le clergé devient de plus en plus spécialisé, se replie sur le monde à
part que constitue le temple et s'efforce de faire de la fonction
sacerdotale un apanage réservé à des groupes restreints; s'accentue dès lors la
tendance à la transmission héréditaire de ces fonctions, ou, faute de
mieux, à la cooptation, qui permet de rester «entre soi». Des tendances
analogues pourraient s'observer dans d'autres groupes professionnels.
L'orientation générale de la société égyptienne se caractérise donc par
une certaine rigidité des structures, avec de faibles possibilités de
«promotion sociale». La grande masse de la population égyptienne demeure
constituée par les paysans producteurs, dont le statut et les conditions
de vie ne sont sans doute pas très différents de ce qu'ils étaient avant la
conquête. On peut les désigner, de manière un peu sommaire, comme
des «dépendants»; ils travaillent généralement pour le compte d'un
propriétaire qui peut être l'État, un temple, ou bien un grand
propriétaire privé. Certaines formes de petite et moyenne propriété «privée»
semblent s'être développées à l'époque saïte; se sont-elles maintenues
pendant les siècles qui suivent? On n'a guère de données à ce sujet. En
revanche, les domaines des temples paraissent avoir pris une extension
considérable depuis l'époque saïte jusqu'à celle de la conquête
macédonienne, et même sous l'occupation perse.
Il est donc probable qu'à l'époque de la conquête la majeure partie
des paysans (et artisans) égyptiens était employée soit sur les domaines
des temples, soit sur les terres de la couronne. Dans cette société très
hiérarchisée, il existe bien, à ce qu'il semble, une classe dominante, ou
fonctionnant comme telle: les grandes familles aristocratiques qui
forment l'entourage du roi, et parmi lesquelles se recrutent les détenteurs
de hautes fonctions civiles et militaires. Ces grands personnages sont
généralement pourvus de charges sacerdotales importantes, plus
honorifiques, peut-être, que réelles; mais c'est un des éléments de leur
prestige et de leur influence. La société égyptienne, fortement inégalitaire,
paraît présenter, à l'époque de la conquête, une concentration des
pouvoirs entre les mains d'une aristocratie dirigeante; la masse des
paysans et des artisans, pratiquement dépourvue de pouvoirs, a
essentiellement une fonction de production. Entre les deux, une catégorie de
«professionnels» (prêtres, médecins, artisans spécialisés. . .) dispose
d'un savoir qui situe ses membres dans une position particulière, sous
certains aspects privilégiée; certains d'entre eux participent
directement à la production, tandis que d'autres ont une activité d'ordre sym-
GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE 69

bolique; mais leur niveau de vie n'est souvent guère supérieur à celui
de la masse des travailleurs.
Cette société inégalitaire, hiérarchisée, les Grecs ne vont pas en
modifier les structures; ils y introduisent une autre forme d'inégalité.
En ce qui concerne la classe productrice, son statut et son mode de vie
ne changent guère: paysans et artisans continuent à travailler pour les
temples ou pour le roi; sans doute souffrent-ils davantage du nouveau
système, dans la mesure où le contrôle est plus systématique, les
exigences fiscales plus lourdes. Cela apparaît clairement dans le cas des
artisans du textile, dont le travail est désormais intégré, au moins
partiellement, dans un cadre monopoliste, et qui sont tenus de fournir à
l'État des quantités déterminées de produits: leur statut est
certainement dégradé par rapport à l'époque antérieure, où ils travaillaient à
leur compte. D'autre part, ce qui semble être une source de conflits et
de difficultés supplémentaires, tant au niveau de la pratique
quotidienne qu'à celui des schémas mentaux, c'est le fait que des Grecs
apparaissent dans divers secteurs de production, agricole et artisanale, comme
intendants ou contremaîtres, c'est-à-dire en situation de pouvoir par
rapport aux Égyptiens. Dans le domaine des activités agricoles en
particulier, les Égyptiens semblent mal supporter la position dominante des
Grecs dont ils contestent la compétence technique. C'est toujours le
travail manuel, sans responsabilités, qui est laissé aux Égyptiens; dans la
dorea d'Apollonios, les postes à responsabilité sont détenus par des
Grecs; ceux qui cultivent la terre sont égyptiens.
L'ancienne classe dominante, quant à elle, a dû composer avec le
nouveau pouvoir; des personnages appartenant à de grandes familles,
dès la fin du IVe siècle, sont intégrés au système lagide. C'est en
particulier le cas du haut clergé, qui mène une politique de ralliement et, de
ce fait, acquiert une position privilégiée — bien que, dans un premier
temps, il ait perdu certains des avantages dont il disposait avant la
conquête, et en particulier son autonomie financière ; mais elle lui sera
restituée progressivement. Il n'en est pas moins évident que l'arrivée au
pouvoir d'hommes nouveaux, bien décidés à s'assurer d'une position de
force, a pour conséquence la disparition de l'ancienne aristocratie
égyptienne en tant que groupe dominant. Certains de ses membres
réussissent à préserver leur position; mais bon nombre d'autres ont dû
sombrer au moment de la mise en place du pouvoir lagide.
Dans un premier temps, l'installation des Grecs en Egypte semble
donc avoir pour effet, sur le plan de l'organisation sociale, un
renforcement des anciennes structures inégalitaires, tendant à imposer la supé-
70 FRANÇOISE DUNAND

riorité d'une ethnie dominante, tout en récupérant et en «assimilant»


certains éléments de l'ethnie dominée. Mais la situation change à partir
de la fin du IIIe siècle. L'immigration étant fortement ralentie, les
Grecs ne sont plus en mesure d'occuper, dans tous les secteurs, des
postes de responsabilité. Les Égyptiens sont de plus en plus nombreux
à entrer dans les cadres de l'administration et de l'armée; ils en
viennent à investir des secteurs d'activité dont l'origine était spécifiquement
grecque, et qui n'avaient pas d'équivalent en Egypte, comme le
notariat.
Progressivement, on en revient à un état de société où ce n'est plus
l'appartenance ethnique qui détermine le statut social — au sens non
juridique du terme, et même si les Grecs d'Alexandrie ont toujours un
statut privilégié. Les conflits sociaux, ou socio-économiques, dans
l'Egypte des IIe-Ier siècles, ne peuvent donc pas être considérés comme
des conflits entre groupes ethniques, dont l'un serait en position
dominante.
La réintégration progressive des Égyptiens dans les principaux
secteurs d'activités, et à tous les niveaux, tend à effacer les
transformations introduites par les Grecs dans la société égyptienne et à réduire la
distance entre Grecs et Égyptiens, au moins en partie. Mais un autre
élément a pu jouer dans le même sens: l'installation de Grecs
(généralement anciens soldats ayant reçu un klèros) dans la chora devait avoir
pour effet, à la longue, un rapprochement des ethnies. Dans une
première phase, la coexistence paraît surtout entraîner des heurts et des
conflits, d'autant plus que les Grecs sont dans une situation privilégiée;
mais à partir du moment où ils sont intégrés dans l'armée, les
Égyptiens, à leur tour, reçoivent des lots de terre; et les Grecs épousent des
Égyptiennes, adoptent la religion, les pratiques funéraires, peut-être
aussi les habitudes de vie des Égyptiens. Dans la chora, à la fin de
l'époque hellénistique, la différence de niveau de vie et de mode de vie,
entre les Grecs et une fraction au moins de la population égyptienne,
est beaucoup moins marquée qu'au premier siècle de la conquête. Les
Romains, par la suite, mettront à nouveau l'accent sur la différence des
statuts, privilégiant les Grecs pour mieux tenir en mains les Égyptiens.

4) Le système symbolique.

Le problème auquel j'essaierai de répondre est double: dans quelle


mesure les systèmes de croyances et de représentations, les modes de
pensée et d'expression propres aux Égyptiens ont-ils été modifiés par la
GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE 71

présence grecque? Inversement, les systèmes et modes de pensée des


conquérants grecs ont-ils été influencés par leur implantation en milieu
égyptien? Si l'on peut constater, en ce qui concerne les modes de vie,
un certain rapprochement des ethnies aux IIe-Ier siècles, ce processus
n'implique-t-il pas une relative assimilation culturelle? Pourtant, au
niveau des systèmes de représentation et des modes d'expression, ce
qui apparaît au premier abord, c'est la coexistence de deux univers
mentaux qui fonctionnent parallèlement et sans interpénétration.

A — La coexistence de deux univers

a) Elle est d'abord sensible sur le plan religieux. Les Lagides


reconnaissent officiellement la religion traditionnelle, et celle-ci ne perd rien
de sa vitalité, d'autant plus qu'elle dispose de tous les moyens matériels
nécessaires pour fonctionner: les temples conservent leurs domaines, et
si l'État, au IIIe siècle, s'en réserve l'administration, une part
importante de leurs revenus est consacrée au culte et au traitement des prêtres,
qui se trouvent ainsi «fonctionnarisés». D'autre part, les Lagides,
depuis Ptolémée Ier, ne cessent de «faire des gestes» à l'égard de la
religion égyptienne, en particulier en patronnant la construction de
temples — dont certains ont nécessité des dizaines d'années de travaux et
visiblement entraîné des frais considérables. Sur le plan religieux, pour
les Égyptiens, il semble que rien n'a changé. Le clergé conserve son
organisation hiérarchique et spécialisée, son mode de vie, ses traditions
religieuses et culturelles, son savoir. Il continue de jouer son rôle
traditionnel : assurer, grâce aux rituels appropriés, la perpétuation de la
présence divine dans les temples; il est toujours l'intermédiaire et
l'intercesseur entre le monde des hommes et le monde des dieux. L'extension
de pratiques comme celle de la consultation oraculaire, dans laquelle
les prêtres jouent un rôle essentiel, montre bien que leur influence
reste très forte dans les milieux «populaires». Leur activité théorique
demeure également très importante: les grands textes théologiques qui
figurent sur les parois des temples ptolémaïques en sont le témoignage.
Quant aux fidèles, il est clair qu'ils continuent à s'adresser aux dieux
traditionnels et à participer de la manière qui leur est propre à la vie
religieuse, que se soit lors des fêtes organisées et conduites par le
clergé des temples et qui ont un caractère public, ou bien à l'intérieur des
associations cultuelles, qui connaissent un grand développement à
l'époque ptolémaïque.
72 FRANÇOISE DUNAND

II y a là un univers religieux tout à fait particulier, avec son espace


sacré, le temple, ses rites et ses textes, ses adeptes, clergé et fidèles,
dont les fonctions au sein de cet univers sont très différentes, mais dont
l'existence se fonde sur un même système de représentation et
d'interprétation du monde.
Parallèlement à cet univers, on peut voir fonctionner l'univers
religieux des Grecs, c'est-à-dire celui des cultes qu'ils ont apportés de leur
pays d'origine, et qui représentent probablement — comme les cultes
égyptiens pour les Égyptiens, mais dans une perspective différente —
un facteur de préservation de leur identité dans le milieu étranger où
ils sont insérés. Car ces cultes sont bien destinés à servir, d'abord, aux
Grecs; le pouvoir lagide n'a visiblement pas cherché à en faire des
instruments de propagande auprès des Égyptiens, ni à les imposer à ces
derniers comme une marque de la supériorité grecque. Nous n'avons
pas beaucoup de renseignements sur la pratique de ces cultes; papyrus
et inscriptions mentionnent cependant, à l'occasion, les temples et les
fêtes des dieux grecs.
Nous possédons davantage de détails, en revanche, sur le culte des
Lagides, organisé par ces derniers sur le modèle des cultes grecs, avec
des prêtres et des prêtresses nommés annuellement, et toujours choisis
dans les grandes familles grecques d'Alexandrie; les lieux de culte, les
rites et les cérémonies sont également conformes aux usages grecs. La
description par Callixène des Ptolemaia de 274, qui constituent la
première célébration solennelle du culte dynastique, indique bien qu'il
s'agit d'une fête destinée aux Grecs, sujets ou invités du roi, plutôt
qu'aux Égyptiens: le langage de la fête est typiquement grec, avec sa
référence constante au mythe dionysiaque, son utilisation d'emblèmes
et d'allégories qui supposent, chez les spectateurs, la possession d'un
savoir, la connaissance d'un ensemble de représentations et de
symboles manifestement très différents de ceux auxquels adhère un Égyptien.
Même si le culte dynastique s'adresse, théoriquement, à tous les sujets
sans distinction d'ethnies, il est clair qu'il correspond beaucoup mieux
à des schémas de pensée, à des usages rituels familiers aux Grecs.
D'ailleurs, le fait qu'à partir du règne de Ptolémée IV, sinon plus tôt, un
culte à l'égyptienne du souverain est institué, avec une liturgie célébrée
quotidiennement dans les temples égyptiens, sur le modèle de celle qui
est consacrée aux dieux locaux, révèle bien la coupure de fait entre
deux univers religieux, deux modes très différents de penser le monde
et les dieux, et cela sur le terrain même — le culte du souverain — où
GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE 73

on pourrait penser qu'un rapprochement a le plus de chances de


s'effectuer.

b) Si on examine ce qu'on pourrait appeler la vie culturelle, la


même constatation s'impose. Il y a, d'un côté, la vie intellectuelle qui se
développe à Alexandrie, sous le patronage des rois, à la cour ou dans
les cercles du Musée et de la Bibliothèque, avec ses littérateurs, ses
grammairiens, ses poètes, ses savants. Le contexte est évidemment très
différent de celui que pouvait offrir une cité comme Athènes au
développement de la création littéraire ou de l'activité spéculative; mais si,
par certains côtés, la tutelle royale est une entrave à l'expression et
peut-être à la créativité, il est probable qu'elle offre un terrain assez
favorable à la recherche en fournissant une base matérielle aux savants
— à la fois moyens de subsistance et moyens de travailler. Il est très
peu probable que les Égyptiens aient participé à cette activité
intellectuelle, sauf rares exceptions: Manéthon est, une fois de plus, un des
seuls qu'on puisse citer; sur un total de plus de 200 noms de
littérateurs connus, presque tous sont des non-Égyptiens. En revanche, dans
le domaine scientifique et artistique, sur une centaine de noms connus,
une dizaine sont peut-être égyptiens, sans doute parce qu'il existe en
Egypte une tradition scientifique, en particulier médicale; ce domaine
offrait peut-être à un Égyptien plus de possibilités de se faire une place
parmi les Grecs que celui de la création littéraire, qui suppose à la fois
une grande habileté à manier la langue et l'assimilation de procédés de
composition peu familiers aux Égyptiens.
À cette activité intellectuelle presque purement grecque est associé
un système éducatif répandu non seulement chez les Alexandrins, mais
dans les communautés grecques de la chora, système fondé sur
l'association de la pratique sportive à l'apprentissage des «classiques» grecs;
les répertoires de textes littéraires sur papyrus provenant d'Egypte
montrent la prédominance de certains auteurs, Homère, au tout
premier rang, puis les Tragiques, qui, en Egypte comme en Grèce,
constituent la base de l'éducation.
En milieu égyptien, l'activité intellectuelle se situe à un niveau tout
différent, de même que sont différents ses objectifs et ses pratiques.
Elle se concentre dans les «Maisons de vie» attachées aux temples; c'est
là, très probablement, que les prêtres et les scribes, les seules catégories
lettrées parmi la population égyptienne, reçoivent leur formation. Et
c'est dans ce cadre que s'accomplit l'énorme travail de copie de textes
74 FRANÇOISE DUNAND

anciens et de création de textes nouveaux qui seront inscrits sur les


parois des temples, déposés dans leurs bibliothèques, utilisés au cours
des liturgies. L'extrême complexité de ces textes, leur effort constant
d'élaboration de synthèses, au niveau de la théologie, du mythe, du
rituel, témoignent de la vitalité de la religion égyptienne, et des
contacts qui s'établissent d'un centre cultuel à l'autre; chaque temple
constitue, dans une certaine mesure, un monde clos, un petit univers
refermé sur lui-même; mais ces mondes communiquent entre eux et
pratiquent l'échange.
Cependant, l'activité créatrice des Maisons de vie ne se limite pas à
la production de textes religieux; des secteurs très variés de recherche
y sont représentés: médicale, géographique, astronomique,
pharmaceutique. L'inventaire de la bibliothèque du temple d'Edfou donne une
assez bonne idée de l'étendue de ce savoir accumulé par ceux qui
vivaient dans l'orbite des temples. Ici encore, une part de leur activité
consistait à recopier des textes anciens; mais il y avait aussi,
incontestablement, un aspect créateur dans leur travail. C'est enfin dans les
Maisons de vie que les scribes élaboraient, ou reproduisaient, des textes à
caractère plus spécifiquement littéraire: contes et fables, récits à
caractère didactique, textes prophétiques. Une abondante littérature en
démotique a été rédigée à l'époque hellénistique; nous en avons conservé
quelques éléments, souvent dans des copies tardives. Cette littérature
était évidemment destinée à un public égyptien; et le fait qu'elle est
rédigée en démotique est peut-être le signe d'une diffusion hors des
milieux savants.

c) J'envisagerai un troisième cas, celui de la création artistique;


dans ce domaine encore semblent coexister deux mondes hétérogènes.
Les modes d'expression propres aux Grecs transparaissent dans l'art
alexandrin; la statuaire, et en particulier les représentations religieuses,
en offre un exemple caractéristique: les motifs sont empruntés au
répertoire des dieux et des mythes grecs (avec une forte prépondérance
de la figure d'Aphrodite); le style est typiquement «hellénistique» et ne
doit rien à l'Egypte. Il en va de même pour des œuvres mineures
comme les figurines de terre cuite: les figurines d'époque hellénistique
trouvées à Alexandrie ressemblent en tous points à celles de Tanagra
ou de Myrina dont elles sont contemporaines, au point qu'on peut se
demander si les fabricants de terres cuites alexandrines n'importaient
pas leurs moules de Grèce. L'art alexandrin est typiquement un art de
cour, expression des goûts et de la culture des milieux grecs qui for-
GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE 75

ment l'entourage des souverains et constituent la nouvelle classe


dominante.
Avec les formes d'art égyptien, on entre dans un autre univers. Art
religieux, essentiellement; mais ce n'est pas là sa différence la plus
profonde avec les formes d'art grec. Ce qui est surtout frappant, c'est que
dans la statuaire, dans la construction et la décoration des temples,
dans les créations des arts dits «mineurs», il se rattache
systématiquement aux traditions pharaoniques, reprenant des motifs et des schémas
mis au point très anciennement. Les temples édifiés, en partie du
moins, à l'époque ptolémaïque comme Philae, Edfou ou Dendéra, se
conforment, pour l'essentiel, aux plans utilisés sous le Nouvel Empire,
sinon plus tôt: le temple est la maison du dieu, il doit reproduire
d'aussi près que possible un schéma invariable. Ce schéma n'a, bien entendu,
rien de commun avec celui d'un temple grec, dont la fonction est toute
différente. Quant à la décoration, elle se réfère également à des motifs
iconographiques obligés; dans la manière dont sont ordonnés et
présentés les reliefs, en fonction de la place qu'ils occupent dans les
différentes parties du sanctuaire, un élément de variété s'introduit
nécessairement; mais les thèmes figuratifs, c'est-à-dire essentiellement les
scènes d'offrande et d'adoration en présence des dieux maîtres du temple,
se reproduisent généralement sans que beaucoup de possibilités soient
laissées à l'invention et à la liberté créatrice.
Parmi les «arts mineurs», je prendrai l'exemple des «petits
bronzes», dont la production est très abondante à l'époque hellénistique, et
si proche de celle de l'époque saïte qu'il est souvent difficile de l'en
distinguer; ce sont des représentations de divinités ou d'animaux sacrés,
avec le costume et les attributs traditionnels, fixés, pour certains,
depuis plus de deux millénaires. Ils nous donnent l'image du monde
des dieux la plus familière aux Égyptiens, plus encore que les scènes
représentées dans les temples, dont les fidèles n'avaient pas le droit de
dépasser le seuil; les statuettes de bronze, quant à elles, devaient être
destinées à ces mêmes fidèles qui pouvaient les conserver à la maison,
ou bien les offrir en ex-voto.
Nous sommes donc en présence de deux univers différents. D'un
côté, une représentation du monde, des hommes et de leurs relations
avec les dieux, intégrée aux schémas traditionnels de la pensée
égyptienne; de l'autre côté, un ensemble de croyances, de pratiques, de
représentations, qui se réfèrent à l'univers des mythes grecs. D'un côté
une activité intellectuelle et artistique dépendant du souverain et de son
entourage, en liaison avec le milieu urbain d'Alexandrie, marquée par
76 FRANÇOISE DUNAND

la formation et la culture de la classe dirigeante grecque; de l'autre,


une activité créatrice liée au temple, destinée avant tout à répondre à
une nécessité primordiale, qui est de maintenir la tradition religieuse,
afin que les dieux ne se détournent pas de la terre d'Egypte.
Et pourtant, entre ces deux mondes, il s'établit progressivement
des communications, des passages.

Β — Les voies de passage

a) La première voie de passage, entre Grecs et Égyptiens, c'est


l'apprentissage de la langue. C'était une nécessité absolue pour les
Égyptiens que d'apprendre le grec, celui-ci étant devenu la langue officielle
de l'administration. Très tôt, un certain nombre d'Égyptiens paraissent
avoir acquis une bonne connaissance de la langue; le processus a
certainement été facilité par le fait que, longtemps avant la conquête, il y
avait des communautés grecques installées en Egypte, et qu'il existait
des interprètes. Dans la pratique de la langue grecque par les
Égyptiens, il y a visiblement tous les degrés possibles; on rencontre même
dans les documents papyrologiques des exemples de scribes —
professionnels — qui ne savent que fort mal le grec. Il est également courant,
dans les documents grecs, de voir des gens qualifiés d'agrammatos,
même à un niveau social relativement élevé: il s'en trouve un bon
nombre dans le milieu sacerdotal égyptien, dont les membres savaient
probablement écrire dans leur langue.
Il est donc difficile de savoir jusqu'à quel point la connaissance du
grec était répandue dans la société égyptienne; mais il est probable
que, le temps aidant, des couches assez larges de la population ont dû
en apprendre au moins quelques rudiments. Et si on voulait faire
carrière, même modestement, dans l'administration ou dans l'armée, il
fallait connaître la langue. On peut considérer comme un signe de cette
diffusion du grec parmi la population égyptienne de la chora l'emploi,
apparemment fréquent, de noms grecs par des Égyptiens, à partir du
IIe siècle surtout, et en particulier l'emploi de noms doubles. Ces noms
traduisent, me semble-t-il, la volonté d'une fraction au moins de la
population égyptienne de s'« helléniser», de «faire le grec», comme il
est dit dans un papyrus du IIIe siècle, parce que l'imitation du modèle
grec représente pour les Égyptiens, dans la société issue de la conquête,
la seule chance de sortir de la situation d'infériorisation qui leur est
faite.
GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE 77

L'apprentissage par les Égyptiens de la langue grecque représente


non seulement une nécessité pratique, mais une possibilité d'accès à
une autre sphère culturelle; l'exemple des quelques Égyptiens
composant en grec n'est peut-être pas si isolé qu'il y paraît. Et il n'est pas
exclu qu'il y ait eu des communications entre certains milieux grecs
cultivés, détenteurs d'un savoir «classique», et les milieux savants des
temples égyptiens. Les inscriptions funéraires grecques et
hiéroglyphiques de la nécropole d'Edfou, commentées par J. Yoyotte, révèlent,
chez les auteurs des épigrammes grecques, une connaissance de la
littérature égyptienne traditionnelle qui ne peut s'expliquer que par des
contacts et des conversations entre lettrés grecs et hiérogrammates
égyptiens. L'interpénétration des cultures est si réelle qu'un hymne a
pu être rédigé en grec en l'honneur d'Horus le faucon, dieu d'Edfou,
hymne qui utilise à l'adresse d'Horus une invocation à Apollon
empruntée aux Phéniciennes d'Euripide. Quel était l'instrument de ces
contacts: le grec, que les prêtres d'Edfou avaient sans doute appris, ou,
comme le pense J. Yoyotte, la langue démotique? Il est impossible de
répondre à une telle question; et il n'est pas certain que l'exemple
d'interpénétration des cultures qu'offrent les textes d'Edfou puisse être
généralisé. Mais il permet d'établir que la coupure apparente entre les
deux mondes n'est pas absolue. Une culture égypto-grecque s'est en
tout cas développée à l'époque impériale: les études récentes sur
l'hermétisme soulignent la persistance, à travers une formulation et une
réinterprétation grecques, des traditions égyptiennes.

b) Mais la voie de passage par excellence entre l'univers égyptien et


l'univers grec, c'est le domaine des croyances et des pratiques
religieuses. Même s'il est vrai que la religion traditionnelle conserve son
existence autonome à l'intérieur d'un monde de représentations et de
pratiques totalement hétérogènes à l'univers religieux des Grecs, il est clair
que des contacts s'établissent, que des emprunts s'effectuent, et qu'à
mesure que progressent ces échanges la représentation du monde et
des dieux, pour les Grecs et pour les Égyptiens, se transforme.
La «création» de Sarapis est souvent considérée" comme le signe
par excellence de la rencontre des deux communautés ; pourtant, ce cas
paraît en fait très ambigu. Figure « syncrétiste », sans aucun doute,
grecque de par l'iconographie, la configuration des lieux de culte, la
nature des pratiques rituelles (au moins en partie); mais le nom du dieu
et ses fonctions le rattachent sans conteste à ses origines égyptiennes.
Rien ne me paraît attester cependant que Sarapis a pu être conçu com-
78 FRANÇOISE DUNAND

me un dieu unificateur, dont le culte aurait été destiné à faciliter une


fusion entre des groupes ethniques que tout séparait par ailleurs, selon
un schéma diviseur soigneusement entretenu par le pouvoir. Si les
Lagides ont jamais envisagé d'utiliser le culte de Sarapis pour favoriser
la coexistence entre Grecs et Égyptiens, cela ne pouvait être qu'un
moyen de gommer la réalité des tensions et des antagonismes au profit
de la représentation fantasmatique d'une communauté unie dans
l'adhésion à un même système de croyances. L'institution du culte
dynastique, censé s'adresser à l'ensemble des sujets, correspondait peut-être en
partie à une tentative du même ordre; mais son caractère typiquement
grec pouvait difficilement le faire apparaître comme un culte
unificateur. Toujours est-il que la diffusion du culte de Sarapis, dans les
premiers siècles qui suivent sa création, est trop limitée, en Egypte même
— il touche surtout l'entourage royal, et la «bourgeoisie» grecque
d'Alexandrie — pour que ce culte puisse jouer un rôle de lien entre les
communautés. Sarapis apparaît essentiellement comme un dieu
dynastique, protecteur, avec Isis, de la fonction royale, fréquemment associé
au couple des souverains dans les dédicaces et les formules de serment.
Et c'est le dieu d'Alexandrie; un dieu «nouveau» contre lequel l'hostilité
de certains milieux égyptiens est déclarée: dans ses anathèmes contre
Alexandrie, l'Oracle du Potier évoque, comme un grief particulier, le
fait qu'elle a «fabriqué une image» divine, remplaçant celle des anciens
dieux.
Dans divers domaines, cependant, la tendance au syncrétisme est
tout à fait évidente, dans ses objectifs comme dans ses manifestations.
Elle apparaît clairement lorsque les prêtres égyptiens réunis à Canope
ou à Memphis assimilent la mort prématurée de la jeune Bérénice à la
disparition d'Hathor-Tefnout, qu'évoquait un mythe particulièrement
populaire en Egypte, à basse époque; ou bien lorsqu'ils font de Ptolé-
mée V, après la répression de la révolte du Delta, un nouvel Horus,
vainqueur des ennemis de son père Osiris. Processus analogue, lorsque
Arsinoé II, Bérénice II, Arsinoé III, Cléopâtre VII sont successivement
assimilées à Isis. C'est là un syncrétisme de propagande, qui sert les
intérêts du pouvoir en sacralisant «à l'égyptienne» la personne royale,
et qui fait également le jeu du clergé rallié aux Lagides.
Moins délibérée, moins politique, une autre forme de syncrétisme
religieux s'exprime dès le premier siècle de la conquête: les Grecs, à
Alexandrie et surtout dans la chora, se tournent vers des dieux
égyptiens plus ou moins «hellénisés» auxquels ils adressent offrandes et
dédicaces, prières et actions de grâces. Car il est clair que ce sont eux,
GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE 79

bien davantage que les Égyptiens, qui sont touchés par le mouvement
et par la propagande syncrétistes. Dès avant la conquête, les Grecs
établis en Egypte avaient commencé à pratiquer les cultes locaux; des
processus d'assimilation ou d'équivalence entre dieux grecs et dieux
égyptiens étaient déjà depuis longtemps à l'œuvre: Hérodote en porte
témoignage. Ce mouvement d'identification continue et s'amplifie à partir du
IIIe siècle, et il semble bien que certains éléments du clergé égyptien
contribuent à son développement, dans la mesure où ils s'efforcent
d'intéresser à leurs cultes les Grecs vivant en Egypte et de leur
présenter des dieux du pays une image qui leur soit acceptable, c'est-à-dire
pas trop étrangère (on verra un exemple typique de ce procédé dans les
hymnes, en grec, de Madinet Madi, qui s'adressent à une Isis bien
égyptienne — Isis-Thermouthis — et en même temps universelle — «tu es, à
toi seule, toutes les déesses». . .). Il ne me paraît pas douteux cependant
que cet effort répondait à une demande des Grecs, et qu'existaient chez
ces derniers, surtout sans doute lorsqu'ils vivaient plus ou moins isolés
dans la chora, coupés de leurs anciennes structures sociales, religieuses
et civiques, un besoin et un désir très forts de s'intégrer à un univers
religieux stable et rassurant. Et cet univers pouvait paraître attirant; la
popularité chez les Grecs d'Egypte d'un culte comme celui d'Isis, déjà
diffusé dans toute l'Egypte à basse époque et particulièrement
dynamique, en est un des signes les plus frappants. Mais ce ne sont pas
seulement des divinités «hellénisées» ou susceptibles de l'être, comme Isis,
qui intéressent et attirent les Grecs; des divinités locales, sans
équivalent grec, parfois à caractère «monstrueux», comme les dieux
crocodiles du Fayoum ou la déesse hippopotame Touéris, se voient offrir des
dédicaces, voire des sanctuaires, par des Grecs dès le IIIe siècle a.C.
Dans le domaine des croyances et des rites funéraires, le
syncrétisme joue également; ici encore, il semble bien que les Grecs soient
fortement attirés par les représentations et les pratiques égyptiennes. Les
épigrammes funéraires font certes une large place aux mythes grecs et,
de façon bien caractéristique, présentent du séjour des morts une
vision pessimiste et ténébreuse. Mais les Grecs d'Egypte, dès l'époque
hellénistique, font momifier leurs morts, construisent pour eux des
chapelles funéraires, leur font un service d'offrandes — ce qui montre
l'importance attachée dès lors à la survie du corps. Un stèle funéraire
récemment publiée par G. Wagner présente, entourant une inscription
bilingue, hiéroglyphique et grecque, deux scènes funéraires
typiquement égyptiennes: la momie sur son lit, entourée de pleureuses et de
génies de l'au-delà, d'une part, et d'autre part une scène d'offrande
80 FRANÇOISE DUNAND

d'encens à un personnage assis qui doit être le défunt. Or ce défunt est


un Magnète, Diphilos, fils de Théaros, et son inscription funéraire doit
remonter au IIIe siècle a.C. Il est donc manifeste que, très tôt, les Grecs
vivant en Egypte ont adopté les usages funéraires égyptiens.
Naturellement, ce processus sera tout à fait généralisé à l'époque romaine. Ces
croyances et ces pratiques sont porteuses d'espérance; elles offrent de
l'au-delà une vision réconfortante et optimiste. On peut comprendre
qu'elles aient exercé un pouvoir d'attraction très fort sur les
non-Égyptiens.
En revanche, il est très difficile de savoir dans quelle mesure les
systèmes de représentation et de croyances grecs ont pu se diffuser en
milieu indigène; s'il arrive qu'au niveau de la représentation
iconographique les schémas grecs modifient l'image des dieux égyptiens, il est
probable que la nature de ces dieux, l'idée que l'on se fait de leurs
fonctions et de leurs pouvoirs ne s'en trouvent pas pour autant modifiées.
Les structures de la religion égyptienne sont peut-être trop solides, le
système de croyances trop profondément intégré dans les mentalités
pour qu'un espace puisse s'ouvrir à d'autres expressions religieuses.

c) Évolution des modes de représentation: c'est le troisième aspect


des communications qui s'établissent entre les sphères culturelles
grecque et égyptienne. Dans ce domaine, les influences jouent davantage,
me semble-t-il, à partir de modèles grecs, transformant
progressivement les schémas égyptiens, que dans une perspective inverse. Bien
sûr, on peut admettre que les représentations officielles des rois et des
reines lagides, dans la statuaire, sont souvent et fortement influencées
par les canons égyptiens. Mais il s'agit, justement, d'un art officiel,
destiné à présenter des souverains l'image que les sujets attendent; il est
important d'imiter les modèles pharaoniques. En revanche, lorsqu'il
s'agit de motifs religieux ou profanes, le style et les techniques grecs
prédominent en toute liberté: ces statues, ces reliefs, ces figurines de
terre cuite ou de bronze sont faits pour une clientèle grecque et se
réfèrent aux modèles classiques auxquels elle est habituée.
Il en va différemment pour l'art égyptien. C'est, essentiellement, un
art des temples, et dans ce domaine la tradition pèse très lourd; les
artisans travaillent d'après des modèles anciens et n'ont probablement
pas le droit de s'écarter des schémas traditionnels. Pourtant, dans la
présentation et le traitement des figures, des changements
s'introduisent, qui font que, bien que les règles anciennes soient respectées, le
style d'un relief ptolémaïque a ses caractères propres. La recherche
GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE 81

nouvelle du modelé va, dans le pire des cas, jusqu'à la boursouflure ; les
corps sont à la fois mous et enflés, les moindres détails des vêtements
et des parures soulignés de manière hyperréaliste. Les bas-reliefs du
tombeau de Pétosiris, qui remontent pourtant à la fin du IV siècle ou
au début du IIIe, sont assez représentatifs de cette évolution stylistique ;
et, ce qui est plus étonnant, ils font coexister avec les éléments
caractéristiques de la décoration tombale égyptienne (scènes d'offrande, défilé
de porteurs, présentation du défunt en prière devant les dieux de l'au-
delà) une scène de déploration du mort qui fait partie du répertoire
traditionnel des stèles funéraires grecques, ainsi qu'une scène de
sacrifice, elle aussi tout à fait grecque d'allure. La liberté du choix des
motifs est probablement plus grande, en ce qui concerne un tombeau,
que lorsqu'il s'agit d'un temple; les thèmes décoratifs des temples pto-
lémaïques (et romains) d'Egypte restent en effet d'inspiration purement
égyptienne.
Mais à un niveau non officiel, non sacerdotal, les changements qui
s'introduisent dans la représentation des dieux vont beaucoup plus loin.
J'en vois un témoignage dans les figurines en terre cuite à
représentations religieuses que produisent les ateliers de la chora. En effet, alors
que les petits bronzes restent en général très proches des modèles
pharaoniques, les terres cuites moulées, selon une technique grecque,
présentent des dieux égyptiens (Isis, Harpocrate, Osiris, Neith . . .) une
image fortement hellénisée; ce sont bien les dieux égyptiens, reconnaissa-
bles à leurs emblèmes ; mais dans leur présentation (costume, attitudes,
et aussi modelé, style) ils sont très différents de l'image traditionnelle,
celle qui, parallèlement, continue d'être reproduite à l'intérieur des
temples.
Ainsi, dans certains milieux qu'on peut bien désigner comme
«populaires», car les terres cuites sont une production de masse, largement
diffusée chez les habitants des villages de la chora, l'image des dieux
égyptiens s'est progressivement modifiée, échappant aux schémas
imposés par l'art officiel des temples; et cette évolution s'opère en
fonction de modèles culturels qui sont ceux de l'art alexandrin. C'est là, me
semble-t-il, un cas typique d'acculturation, encore que celle-ci demeure
limitée: les croyances traditionnelles restent vivantes, mais elles
empruntent, pour s'exprimer, des formes étrangères, celles que les Grecs
ont apportées à l'époque de la conquête, lorsqu'ils ont introduit en
Egypte leurs cultes et leurs modes de représentation des dieux. Mais le
processus d'assimilation culturelle que ces images révèlent semble
avoir été très lent; si les premières représentations «hellénisées» des
82 FRANÇOISE DUNAND

dieux égyptiens remontent à l'époque hellénistique, c'est à l'époque


romaine seulement qu'elles se diffusent sur une vaste échelle. Il faut
peut-être admettre que, à l'époque hellénistique, ces figurations sont
faites par et pour des Grecs, la majeure partie de la population
égyptienne restant fidèle à l'image traditionnelle des dieux; mais par la suite
il est bien clair que de nombreux Égyptiens adoptent, pour ces mêmes
dieux, une image nouvelle; et on peut voir là un des effets à long terme
du «traumatisme de la conquête», qui agit non seulement sur les
structures socio-économiques, mais également au niveau des représentations
mentales.

*
*

II faut maintenant essayer d'apporter une réponse au problème


soulevé au départ, et qui est celui de l'acculturation, du sens (ou des
sens) dans lequel elle s'exerce, de son efficacité et de sa signification.

a) II me semble que, à divers égards, on peut parler d'une


acculturation au moins relative de la société indigène sous l'effet de la
conquête grecque. Les conquérants ont dû pratiquer en effet, au moins dans
une première phase, correspondant plus au moins au IIIe siècle a.C,
une forme de dévalorisation de la culture égyptienne que
manifestement, et à des niveaux divers, les Égyptiens ressentaient fortement: de
là des formules comme «il me méprise, parce que je suis égyptien»; ou
bien, dans une requête d'un travailleur à Zenon, «je te prie de faire en
sorte que je ne meure pas de faim, parce que je ne sais pas faire le
Grec»; ou encore, dans un litige entre une Égyptienne et un Grec,
«comme ceux qui devaient témoigner pour moi étaient égyptiens, ils
furent intimidés et se retirèrent sans avoir témoigné». Des réactions de
ce type sont marquées par ce que j'ai appelé le traumatisme de la
conquête, qui a pour résultat une dégradation de l'image que les Égyptiens
ont d'eux-mêmes, sans aller pourtant, semble-t-il, jusqu'à une «perte
d'identité». Les Grecs ont manifestement le sentiment de leur
différence, c'est-à-dire, bien entendu, de leur supériorité, et le font sentir aux
Égyptiens; un Grec peut ainsi écrire, dans une requête au roi au sujet
d'une querelle qu'il a eue avec une Égyptienne, «je te prie de ne pas me
voir avec indifférence outragé ainsi sans raison par une Égyptienne,
moi qui suis Grec». Cette dévalorisation de ce qui fait l'identité égyp-
GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE 83

tienne se marque bien au niveau du langage: qui n'a pas appris le grec
est rejeté dans une situation d'infériorité radicale et condamné à subir
le maximum d'exploitation. Dans la mesure où, pour échapper à une
situation d'exploitation économique et d'infériorisation culturelle et
psychique, il faut apprendre à «faire le Grec», les Égyptiens sont, me
semble-t-il, condamnés à rechercher l'acculturation.
Cette acculturation s'effectue donc, au sens où il y a adoption par
les Égyptiens de la langue et de l'onomastique grecques, adoption,
quand cela leur est possible, de certains éléments du mode de vie grec,
apprentissage de techniques administratives, financières, et également
de techniques de production introduites par les Grecs (je pense à
l'emploi de certaines formes de contrats, à l'utilisation de la banque et des
techniques bancaires, au développement de techniques artisanales
comme le travail de la laine. . .). Acculturation qui se manifeste également,
de manière plus subtile, par l'évolution que subissent certaines formes
de la culture traditionnelle égyptienne: modifications de la
représentation figurée, qui traduisent l'influence exercée par les modèles
artistiques de la «classe dominante»; introduction dans la littérature
égyptienne de caractère «populaire», voire dans certains textes religieux,
d'éléments empruntés à la culture classique ou de références à la
pensée mythique grecque.

b) Pourtant, cette acculturation, si elle est incontestable, me paraît


demeurer limitée, dans la mesure où elle n'entraîne pas une
destruction de la culture égyptienne, ni une perte d'identité du groupe dominé;
on assiste plutôt, me semble-t-il, à des aménagements, à des
infléchissements de la culture traditionnelle, qui peut-être, en fin de compte,
l'aident à survivre, sinon même la revitalisent. Il est très frappant en tout
cas que la vitalité des croyances religieuses se manifeste jusqu'au IVe
siècle de notre ère, et que des mesures officielles de proscription soient
nécessaires pour en venir à bout. Il est frappant également que la
vitalité de la création artistique s'exprime jusqu'à la fin du IIe siècle de notre
ère, pour le moins, à travers la construction et la décoration de temples
reproduisant, au prix de réinterprétations diverses, des formes héritées
du passé pharaonique. Dans le maintien du système de représentations
et de valeurs caractéristique de la culture égyptienne, le clergé me
paraît jouer un rôle important, du fait même de sa mentalité
conservatrice, et surtout de sa volonté de préserver son rôle de détenteur d'un
savoir unique et irremplaçable à l'intérieur de la société égyptienne —
c'est-à-dire ce qui constitue son pouvoir.
84 FRANÇOISE DUNAND

Par ailleurs, on constate à plusieurs niveaux, mais en particulier au


niveau idéologique et symbolique, des formes de résistance aux Grecs
et de rejet de leur système de domination. L'élaboration dans certains
milieux sacerdotaux de textes à caractère apocalyptique et messianique,
prédisant la venue d'un roi sauveur et l'expulsion des Grecs «impies»,
au profit d'une restauration de l'ordre ancien, peut être interprétée
comme un processus d'acculturation antagoniste, selon la définition de
G. Devereux, c'est-à-dire comme une forme de résistance active à la
diffusion de la culture du groupe étranger. La résistance qui s'exprime,
au plan symbolique, par la valorisation des traditions indigènes,
religieuses en particulier, manifeste le besoin du groupe dominé
d'affirmer sa singularité ethnique et son autonomie culturelle ; or le besoin de
réaliser ou de préserver son unicité et sa différence, besoin vital pour
tout groupe social comme pour tout individu, est particulièrement
sensible dans une situation de conquête ou de colonisation, lorsque existe,
pour la société concernée, un risque de déstructuration sociale et
culturelle. Dans cette perspective, les croyances messianiques
fonctionneraient non seulement comme une utopie compensatrice, un refuge dans
l'imaginaire, mais, de manière positive, comme une tentative de
restructuration de la communauté menacée.

c) Enfin, il importe, je crois, de rappeler que le processus de


l'acculturation ne joue pas seulement dans le sens d'une assimilation par
les Égyptiens de la culture dominante grecque, mais qu'il implique un
mouvement en retour: l'adoption par les Grecs de croyances, de
pratiques, de représentations du monde et de la relation entre hommes et
dieux spécifiquement égyptiennes. La diffusion de ces croyances et de
ces pratiques en milieu grec est favorisée par le clergé égyptien, qui a
pu y voir un moyen d'étendre son influence; elle est pour le moins
tolérée par le pouvoir, qui peut avoir intérêt à encourager certaines formes
de coexistence entre les ethnies et se trouve de toutes façons obligé, à
partir de la fin du IIIe siècle surtout, de «faire des gestes» à l'égard de
ses sujets égyptiens, et particulièrement à l'égard de la classe
sacerdotale. La politique d^ncouragement, voire d'adhésion à la religion
traditionnelle, peut s'expliquer dans ce sens.
Ainsi, l'acculturation a pu en même temps représenter pour les
Égyptiens une nécessité vitale, et pour les Grecs un moyen d'assurer
leur pouvoir et d'en faciliter l'exercice — dans la mesure où, justement,
cette acculturation restait limitée: il fallait imposer aux Égyptiens
l'utilisation de la langue et des techniques grecques, pour pouvoir s'assurer
leurs services, mais on ne tenait sans doute guère à ce qu'ils accèdent à
GRECS ET ÉGYPTIENS EN EGYPTE LAGIDE 85

un niveau culturel et à un mode de vie qui étaient le privilège de


l'ethnie dominante. Pourtant, à partir du moment où les Grecs ne sont plus
en mesure d'exercer seuls un rôle dirigeant dans la société issue de la
conquête, un double mouvement, apparemment contradictoire, s'opère,
me semble-t-il, du côté des Égyptiens: une fraction de la population
égyptienne — il est difficile d'en évaluer l'importance — accède à un
niveau d'assimilation qui lui permet de se substituer aux Grecs dans
bon nombre de secteurs d'activités et d'y jouer un rôle prépondérant;
mais en même temps se renforcent, dans la communauté égyptienne,
l'affirmation de ses traditions, la conscience de son identité et de ses
valeurs. L'évolution de la société égyptienne pendant les trois siècles de
la domination grecque me paraît donc s'exprimer dans des formes
d'acculturation qui n'entraînent pas pour autant une déculturation des
milieux indigènes. La conquête romaine, en revanche, entraînera, me
semble-t-il, une infériorisation beaucoup plus radicale de la population
égyptienne non «hellénisée».

Institut d'histoire des religions Françoise Dunand


Université de Strasbourg II

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