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La théorie de la relativité

et l’expérience (1)

On ne saurait trop répéter que la théorie de la rela­


tivité est une théorie physique. Sa signification et sa
valeur résident en son aptitude à représenter les faits
en conformité avec les expériences les plus précises.
On peut se laisser séduire par la généralité des principes
qu’elle met en jeu, par la précision de l’analyse à laquelle
elle soumet des notions fondamentales, telles que la
simultanéité à distance. On peut voir avec satisfaction
les principes divers de la Mécanique, tels que la conser­
vation de la masse et de l’énergie ou l’attraction univer­
selle, jadis postulés indépendamment les uns des autres,
appaiaître maintenant comme des aspects particuliers
d'une même loi. Tout cela peut faire désirer que la théorie
de la relativité soit aussi vraie qu'elle paraît belle, mais
seul le contrôle sévère de l’expérience peut dire si elle
mérite crédit, si 1'image plus large qu’elle présente du
monde physique est adéquate au modèle qu’elle prétend
représenter et nous aide à le mieux connaître. Nous nous
proposons d’indiquer les points où ce contrôle a pu être
opéré et le résultat des recherches expérimentales qui ont
été menées à bonne fin.
La théorie de la relativité naquit de l’impuissance où
se trouvaient les théories de l’électricité et de l’optique

(1) Conférence faite à Bruxelles aux Sections de Mathéma­


tique et de Physique de la Société scientifique à la session du cin­
quantenaire de la Société, le lundi 12 avril 1926.
LA THÉORIE DE LA RELATIVITé ET L’EXPéRIENCE 347

à rendre compte de certains faits : le résultat qu’elles


prédisaient ne se produisait pas. Ces expériences mettaient
en jeu des miroirs mobiles qui réfléchissaient la lumière
ou bien des conducteurs en mouvement chargés d’élec­
tricité que Rowland avait montré devoir être entourés
d’un champ magnétique aussi bien que les courants
circulant dans les fils. Dans chaque cas le calcul montrait
que les faits observés sur l’appareil en mouvement
devaient dépendre de la vitesse avec laquelle il se mou­
vait ; des franges d’interférence devaient se déplacer
lorsqu’on faisait tourner l’interféromètre de Michelson ;
le condensateur de Trouton et Noble devait tordre le
fil auquel il était suspendu, lorsqu’il était orienté oblique­
ment par rapport à la vitesse. Or, les franges ne bou­
geaient pas ; le fil ne se tordait pas.
Il était difficile de prétendre les appareils immobiles,
puisque la terre qui les porte gravite autour du soleil
avec une vitesse de quelque trente kilomètres par seconde.
Ces expériences stimulèrent l’étude théorique des
phénomènes électromagnétiques dans les corps en mou­
vement. On s’efforça de ramener le problème aux lois
connues pour les corps en repos. On parvint ainsi à
réduire tout problème touchant des corps électrisés de
forme quelconque animés d’une vitesse constante, à un
autre problème portant simplement sur des corps en
repos. La forme des corps immobiles que l’on est ainsi
conduit à imaginer se déduit aisément de celle des corps
réels en mouvement. Les dimensions perpendiculaires à
la vitesse demeurent inchangées ; les dimensions suivant
la direction de la vitesse sont allongées proportionnelle­
ment à celles des corps réels, toutes dans un même rap­
port appelé facteur de Lorentz, d’autant plus grand que
a vitesse est plus grande (1).
(1) Pour une vitesse égale à β fois celle de la lumière, le facteur
1
de Lorentz est égal à
vi —3 e
348 REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES

Si donc un corps prend des vitesses de plus en plus


grandes, le corps immobile fictif se déforme et s’allonge
de plus en plus suivant la direction de la vitesse.
Si l’on suppose, au contraire, que le corps réel en
mouvement se déforme de telle façon que le corps fictif
correspondant reste invariable, la modification intro­
duite dans la théorie amène justement à neutraliser les
prédictions qu’avaient déçues les expériences auxquelles
nous avons fait allusion.
Lorentz fut ainsi conduit à proposer l’hypothèse que
tous les corps se contractent dans le sens de leur mouve­
ment, dans un rapport indépendant de leur nature phy­
sique ou chimique et qui varie seulement avec leur vitesse
suivant le facteur de Lorentz.
Cette hypothèse parut étonnante, presque autant que
les phénomènes qu’elle prétendait expliquer. Elle en­
traîne comme conséquence que la longueur d’un corps
dépend de son état de mouvement par rapport à l’obser­
vateur qui est censé effectuer les mesures. En effet, ima­
ginons celui-ci entraîné avec le corps à mesurer. Le mobile
est contracté dans la direction du mouvement ; mais
lorsque l’observateur dirige son mètre dans cette direc­
tion, le mètre se contracte tout comme l’objet à mesurer.
L’observateur entraîné n’observe donc aucune contrac­
tion, tandis qu’un observateur immobile constate une
déformation croissante du mobile au fur et à mesure que
sa vitesse augmente. Il y aura donc désaccord entre les
constatations des deux observateurs ; c’est ce qu’on
exprime en disant que la mesure des longueurs est relative.
La mesure de la longueur d’un corps dépend de la vitesse
de celui-ci par rapport aux instruments de mesure. Rien
d’étonnant à ce que la mesure d’une même quantité
effectuée dans des conditions différentes soit influencée
par les circonstances ; mais il a paru très étrange qu’une
des circonstances exerçant une telle influence soit la
vitesse de l’objet relativement aux instruments de mesure.
LA THÉORIE DE LA RELATIVITÉ ET L’EXPéRIENCE 349

Nous n'avons pas à examiner ici si l’hypothèse de


Lorentz est étonnante ou naturelle ; elle est la base
historique de la théorie de la relativité et encore actuelle­
ment une de ses importantes conséquences ; il nous im­
porte seulement de savoir si elle est vraie et de nous
rendre compte comment elle a pu être confrontée avec
l’expérience.
Nous avons vu que la résolution de tout problème
concernant des corps électrisés en mouvement se ramène
à celle d’un autre problème où un corps fictif immobile
remplace le corps réel. Si une particule électrisée sphé­
rique au repos se déplace en demeurant sphérique, la
particule immobile fictive correspondante devient un
ellipsoïde allongé. Au contraire, si la particule électrisée
réelle subit la contraction de Lorentz, la particule fictive
demeure sphérique. La solution des problèmes est plus
simple dans ce dernier cas que dans le premier ; mais
cela importe peu, l’important est que la solution est diffé­
rente. La force électrique ou magnétique nécessaire pour
produire une certaine variation de vitesse est différente
suivant l’hypothèse admise et il devient possible de véri­
fier laquelle de ces deux hypothèses est réalisée en fait
dans la nature. Il suffit de mesurer les déviations subies
par des particules électriques en mouvement sous l’in­
fluence de champs électriques et de champs magnétiques.
L’action des premiers est indépendante de la vitesse, celle
des seconds lui est proportionnelle, la grandeur relative
des déviations produites par les deux sortes de champs
permet donc de mesurer la vitesse.
Appelant quantité de mouvement le produit de la
niasse par la vitesse et admettant avec Newton que la
force mesure le taux de variation de la quantité de
mouvement par rapport au temps, le résultat précédent
s’exprime en disant que la masse ainsi définie doit être
variable avec la vitesse.
Suivant l’hypothèse de Lorentz, la masse est augmentée
350 REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES

dans un rapport qui est précisément le même que


celui de la contraction des longueurs. Si, au contraire,
l’électron demeure rigide, la masse varie suivant une
fonction compliquée de la vitesse qui a été calculée par
M. Abraham (1).
La nature nous fournit des particules électrisées
animées de grandes vitesses, sous forme de l’émission
spontanée des rayons β du radium. On peut produire
artificiellement des rayons semblables, appelés rayons
cathodiques.
Les premières expériences pour mesurer la variation
de la masse avec la vitesse ont été commencées par
Kaufmann en 1902 (2). Un faisceau de rayons β était
soumis à l’action des deux champs qui les déviaient
dans deux directions perpendiculaires. Les particules de
vitesses différentes inégalement déviées par les deux
champs aboutissaient sur un écran perpendiculaire au
trajet primitif en une courbe dont la forme permettait de
déduire la loi des déviations en fonction de la vitesse.
Le résultat observé s’accordait bien avec la loi d’Abraham
alors seule connue. Lorentz a montré depuis qu’il n’était
pourtant pas incompatible avec la loi déduite de son
hypothèse.
Des expériences plus précises furent, faites en 1908 par
Bucherer (3). Les rayons β émis par un grain de radium
placé entre deux disques circulaires parallèles et très
rapprochés rayonnent en toute direction ; ils sont soumis
à l’action combinée d’un champ électrique et d’un champ
magnétique. Le premier agit également sur toutes les
particules qui composent les rayons β et tend à les

(1) Suivant Abraham, la masse est proportionnelle à

1
β2
(2) Ann. de Phys., 19, (1906), p. 497.
(3) Ann. de Phys., 28 (1909), p. 513.
LA THÉORIE DE LA RELATIVITé ET L’EXPéRIENCE 351

projeter sur un des disques. Le second agit en sens con­


traire, son action est proportionnelle à la vitesse des
particules et dépend en outre de la direction suivant
laquelle elles se propagent. Pour chaque vitesse il y a une
direction suivant laquelle l’action du champ magnétique
compense celle du champ électrique et suivant cette
direction les corpuscules animés de cette vitesse peuvent
s’échapper sans rencontrer les disques. Ils sont alors
soumis à l’action exclusive du champ magnétique dans
l’intervalle qu’il leur reste à parcourir jusqu’à une pelli­
cule photographique où leur déviation s’enregistre. On
peut ainsi mesurer la déviation produite pour les diffé­
rentes vitesses.
Cette expérience fut nettement favorable à la loi de
Lorentz et donc à la théorie de la relativité. Neumann
la reprit avec le même résultat en 1914 (1). Quand on
emploie la formule d’Abraham au lieu de celle de Lorentz,
l’écart entre les déplacements observés et calculés est
cinq fois plus grand.
On a objecté aux expériences de Bucherer et Neumann
que la séparation des rayons des différentes vitesses
suivant des directions différentes est imparfaite ; chaque
point observé correspond à un mélange de particules de
vitesses légèrement inégales.
M. Tricker entreprit de réaliser l’expérience à l’aide des
rayons de vitesse bien déterminée qu’émet le radium B
pour se transformer en radium C (2). Il parvint à con­
centrer ces rayons par l’action des champs électriques et
magnétiques de manière à les obtenir en intensité suffi­
sante. Des résultats préliminaires publiés l’an dernier
confirment le résultat avec une précision semblable à
celle obtenue par Bucherer pour des vitesses qui attei­
gnent huit dixièmes de celle de la lumière.

(1) Ann. de Phys., 45 (1914), p. 529.


(2) Roy. Soc. Proc., 109 (1925), p. 384.
352 REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES

Des expériences fort précises furent aussi réalisées au


moyen de rayons cathodiques par Guye et ses associés (1).
La vitesse des rayons variait entre deux et cinq dixièmes
de celle de la lumière et les différences entre les écarts
calculés et observés étaient cinquante fois plus grandes
suivant la formule d’Abraham que suivant la formule
de Lorentz.
Ces résultats justifient pleinement l’hypothèse de la
contraction relativiste lorsqu’on considère les électrons
en mouvement qui constituent les rayons β ou les rayons
cathodiques (2).
Elles rendent fort probable l’hypothèse que cette
contraction se produit aussi pour la matière quelconque,
puisqu'il est établi que les électrons constituent un des
éléments de la matière. S’ils se contractent avec le
champ qui les entoure, il paraît bien difficile que l’assem­
blage matériel, où les forces électriques entre électrons
sont un facteur important d’équilibre, ne partage pas la
contraction de ses constituants.
Donc il devient probable que l’interféromètre de
Michelson et le condensateur de Trouton et Noble se
contractent dans le sens de leur mouvement, que pour
cette raison ils ne permettent pas de déceler le mouve­
ment de la terre. Les résultats des expériences entreprises
avec ces appareils constituent une preuve négative sans
doute mais réelle de l’hypothèse relativiste. Il nous faut
examiner maintenant la valeur de cette preuve.
Plusieurs physiciens ont mis en doute la signification

(1) Ch. E. Guye, S. Ratnowsky et Ch. Lavanchy, Mémoires de la


Soc. de Phys. et d’Histoire Naturelle de Genève, vol. 39,
fasc. 6, 1921.
(2) Avant le développement de la théorie de la relativité, on en
déduisait que l’électron n’a pas de masse matérielle et que son inertie
provient uniquement de la réaction du champ magnétique qui
l’entoure. Cette « conclusion » n’est plus légitime maintenant que
la théorie de la relativité montre que la masse matérielle varie avec
la vitesse de la même manière que la masse électromagnétique.
LA THÉORIE DE LA RELATIVITé ET L’EXPÉRIENCE 353

de l’expérience réalisée en 1887 par Michelson et Morley


(1), et reprise en 1904 par Morley et Miller (2), en
supposant que la vitesse de la lumière dépend du mouve­
ment de la source qui l’émet. Cette hypothèse, appelée
parfois hypothèse de l’émission, a été développée parti­
culièrement par Ritz. Elle expliquait immédiatement le
fait d’expérience pour lequel elle avait été invoquée, mais
elle mettait en question toute l’optique traditionnelle.
Nous ne développerons pas ici les difficultés qu’elle soulève
dans la théorie de la réfraction de la lumière, l’interpréta­
tion de l’expérience d’entraînement de Fizeau ou les
applications astronomiques du phénomène de Doppler-
Fizeau. Nous considérerons seulement ce qui est essentiel
à l’expérience de Michelson-Morley elle-même, c’est-à-dire
la réflexion de la lumière par un miroir en mouvement.
Quelle sera la vitesse du rayon réfléchi ? Aura-t-il la
vitesse qui correspond à l’image virtuelle de la source
par rapport au miroir, ou la vitesse d’une source fictive
liée au miroir ? L’expérience a permis de montrer que
ces deux hypothèses étaient inadmissibles. En effet, dans
le premier cas le changement de longueur d’onde dû au
mouvement du miroir serait nul et dans le second cas
il ne serait que la moitié de ce que prédit l’optique clas­
sique. Les expériences réalisées par Michelson (3), Fabry
et Buisson (4), et Majorana (5) prouvent que le change­
ment produit est d’accord avec l’optique classique. Ritz
suggéra que la vitesse du rayon réfléchi pourrait être
la même que celle d’un rayon qu’émettrait la source
parallèlement à la nouvelle direction.
Suivant cette hypothèse, la variation de la longueur
d’onde du rayon réfléchi est conforme à l’optique classique

(1) Phil. Mag., 24 (1887), p. 449.


(2) Phil. Mag., 9 (1905), p. 680.
(3) Aph. J., 37 (1913), p. 190.
(4) C. R. Paris, 158 (1914), p. 1498.
(5) C. R. Paris, 165 (1917), p. 424.
IVe SÉRIE. T. IX. 23
354 REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES

et donc en accord avec les expériences que nous


venons de mentionner.
Un des principaux protagonistes de cette théorie, M. La
Rosa, a suggéré un moyen décisif de soumettre la théorie
de Ritz au contrôle de l’expérience (1) : réaliser l'expé­
rience de Michelson-Morley en se servant comme source
lumineuse d’une source immobile, telle que le soleil.
D’après la théorie de Ritz, l’expérience ainsi réalisée
devrait donner un résultat positif correspondant à la
différence de vitesse (30 kilomètres par seconde) existant
entre la source et les miroirs de l’interféromètre.
Cette expérience a été réalisée récemment par Miller.
Un jeu de prismes lui a permis d’introduire un rayon de
soleil dans l’appareil, en remplacement de la source
terrestre précédemment utilisée. Aucun changement ne
fut constaté. Ceci porte le dernier coup à l’hypothèse
de Ritz.
Miller a observé le fait intéressant que nous venons de
rapporter au cours d’expériences entreprises dans un tout
autre dessein (2). Il s’agissait de vérifier si le résultat
négatif de l’expérience de Michelson-Morley, reprise par
lui avec Morley dans le sous-sol de la Case School of
Applied Science à Cleveland, n’était pas dû à ce que
l’expérience avait été faite à une altitude peu élevée et
dans la cave d’un bâtiment. Il voulut donc recommencer
l’essai au sommet d’une montagne avec sensiblement le
même appareil, et s’installa, en avril et décembre 1921,
dans une légère baraque en bois à une altitude de près de
1800 mètres, au sommet du mont Wilson. Il découvrit
un déplacement périodique des franges lorsqu’il faisait
tourner l’interféromètre. L’effet se décomposait en deux ;
un premier se reproduisait périodiquement à chaque tour,
l’effet de période entière ; le second avait pour période
un demi-tour.
(1) Phys. Zeitschr., 13 (1912), p. 1129.
(2) Proc. Nat. Ac. Et Sc., 11 (1925), p. 306.
LA THÉORIE DE LA RELATIVITé ET L’EXPéRIENCE 355

L’appareil fut ensuite replacé dans le sous-sol de


Cleveland, où il n’accusa de nouveau aucun déplacement
sensible. Des recherches furent faites pour déterminer la
cause des écarts observés au mont Wilson. On avait éli­
miné autant que possible les effets magnétiques en rem­
plaçant toutes les pièces en fer par du béton ou des
métaux non magnétiques. L’effet de variation de tempé­
rature fut particulièrement étudié au moyen de réchauds
électriques projetant la chaleur sur les diverses parties
de l’appareil. Les changements de température dans la
baraque du mont Wilson ne pouvaient avoir d’influence
notable. C’est au cours de ces expériences qu’un dispo­
sitif fut construit pour utiliser une source lumineuse
extérieure à l’appareil et que la lumière solaire fut em­
ployée sans diminuer aucunement la stabilité des franges.
La cause de l’effet de période entière fut identifiée.
Par suite des conditions défavorables de température au
mont Wilson, en avril 1921, on avait dû réduire la largeur
des franges. Expérience et théorie montrèrent que cette
circonstance expliquait l’effet de période entière.
L’autre effet, celui qui pouvait s’interpréter comme dû
au mouvement de l’appareil dans l’espace, ne put s’ex­
pliquer par aucune autre raison, et Miller conclut que
l’appareil se déplaçait par rapport au milieu hypothétique
dans lequel seul la vitesse de la lumière est constante,
l’éther ; et donc qu’un courant d’éther traversait la
baraque du mont Wilson. Il était au contraire arrêté par
les murs et les bâtiments de Cleveland ou simplement
freiné par le sol qui l’entraînait dans son mouvement.
Les expériences furent reprises en septembre 1924 et
en avril 1925, et confirmèrent les résultats précédents.
Le « courant d’éther » en avril 1925, comme en avril
1921, était dirigé sensiblement dans la direction Nord-
Ouest ou Sud-Ouest (l’instrument ne peut déceler le
sens du courant). Au cours d’une journée, il oscillait
régulièrement autour de cette direction, atteignant vers
356 REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES

midi la direction Est-Ouest et dépassant vers sept heures


du soir la direction Nord-Sud. Il y avait une relation dé­
finie entre les oscillations autour de la direction moyenne
et le temps sidéral, c’est-à-dire l’orientation de la terre
par rapport aux étoiles.
La vitesse du courant d’éther est estimée à 9 kilo­
mètres par seconde, soit près d’un tiers de la vitesse de la
terre dans son mouvement autour du soleil. Mais la direc­
tion du courant ne correspond pas à celle de l'orbite
terrestre. Elle semble rester fixe aux diverses époques de
l’année. Miller y voit l’influence du mouvement d’en­
semble du système solaire, et espère que le calcul qu’il a
commencé et les expériences qu’il poursuit donneront des
indications précises sur le mouvement absolu du système
solaire dans l’espace.
En attendant, les quelques données expérimentales
que Miller a fait connaître, ont été discutées par M. J..
Weber (1). Ce dernier fait remarquer que si le courant
d’éther était la composante horizontale de la vitesse du
système solaire dans l’espace, le courant observé devrait
osciller au cours de la journée autour de la direction
Nord-Sud et non autour d’une direction qui s’en écarte
d’au moins trente degrés. Une telle direction moyenne
indique clairement une influence d’origine terrestre et
la rotation de la terre est certainement trop faible pour
en rendre compte.
L’hypothèse d’un entraînement partiel de l’éther par
la terre en mouvement ne peut d’ailleurs pas être accep­
tée sans certaines précautions. A première vue on pour­
rait être tenté d’imaginer que la vitesse du courant
d’éther est partout parallèle à la direction d’entraînement
du système solaire et varie simplement en intensité avec
l’altitude.
Une telle hypothèse mettrait en contradiction les.

(1) Phys. ZeitscHr., 27 (1926), p. 5.


LA THÉORIE DE LA RELATIVITé ET L’EXPéRIENCE 357

observations astronomiques des observatoires de mon­


tagne avec celles des observatoires de la plaine (1).
La condition que le mouvement de l’éther doit réaliser
pour rester d’accord avec l’aberration astronomique a
été donnée depuis longtemps par Stokes, et il n’est pas
facile d’y satisfaire. Jadis Planck (2) a indiqué qu’un
éther fortement comprimé au voisinage de la terre pou­
vait satisfaire aux conditions requises.
S’il y a réellement un vent d’éther à l’altitude du mont
Wilson, il doit être possible de le mettre en évidence par
d’autres expériences et particulièrement au moyen du
condensateur de Trouton et Noble (3). Ce léger appareil,
capable de déceler un vent d’éther de 3 kilomètres par
seconde, se prête beaucoup mieux aux observations de
montagne que l’encombrant interféromètre de Michelson
avec ses bras de deux mètres et sa table flottant sur du
mercure. M. Tomaschek vient de répéter l’expérience de
Trouton et Noble à 3.500 mètres d’altitude à Jungfraujoch
et n’a pu découvrir aucun vent d’éther (4).
Il semble donc qu’il faudra chercher dans une autre
direction l’explication du résultat de Miller.
Ce serait peut-être le lieu de parler ici de la belle expé­
rience projetée par Michelson, en 1904 (5), et réalisée l’an
dernier, par Michelson et Gale (6), et qui prouve la rota­
tion de la terre par des mesures optiques. Nous renvoyons
le lecteur à 1a description qu’en a donnée M. Alliaume
dans cette Revue (7). Cette expérience présente peu
d’importance au point de vue où nous nous plaçons ;
c’est une des questions où conceptions classique et rela­
tiviste sont d’accord sur les faits à observer et ne diffèrent

(1) A. S. Eddington, Nature, 115 (1925), p. 870.


(2) H. A. Lorentz, The Theory of Electrons, 2e édition, p. 173.
(3) London. PHil. Trans., A, 202 (1903), p. 165.
(4) G. Joos, PHys. Zeitschr., 27 (1926), p. 1.
(5) Phil. Mag., 8 (1904), p. 716.
(6) ApH. J., 61 (1925), pp. 137 et 140.
(7) Revue des Questions scientifiques, 8 (1925), p. 199.
358 REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES

que par l’interprétation qu’elles en donnent. Elle présente


pourtant certaines difficultés pour les partisans de l’en­
traînement de l’éther. Ils doivent en effet y voir l’influence
d’un tourbillon d’éther, et il leur faut admettre que le
vent d’éther souffle en tourbillon à Chicago, sans se faire
sentir dans des conditions semblables à Cleveland.
L’explication proposée par eux se réduit pour le moment
à un mot de Silberstein (1) : « Notre globe étant presque
parfaitement sphérique et ayant sur l’éther une prise
purement gravitationnelle (a purely gravitational grip)
ne doit pas l’entraîner sensiblement dans son mouvement
de rotation ».
On donne parfois comme confirmation de la théorie de
la relativité, l’usage que Sommerfeld a fait de la variation
relativiste de la masse des électrons dans les développe­
ments de la théorie des quanta. Cette application très
remarquable a été fort fructueuse, mais quoique Sommer­
feld y emploie les formules de la relativité, il ne paraît
pas évident qu’il aurait obtenu un résultat sensiblement
différent en partant de la formule d’Abraham.

Nous n’avons parlé jusqu’à présent que des expériences


confirmant la contraction de Lorentz et la variation de
la masse avec la vitesse. Il nous faut considérer mainte­
nant les autres notions introduites par la théorie de la
relativité et voir dans quelle mesure elles ont pu entrer
en contact avec l’expérience.
De la contraction des longueurs découle immédiatement
que la géométrie euclidienne ne peut plus être univer­
sellement acceptée. Une des propriétés essentielles de
cette géométrie familière est que le rapport de la circon­
férence d’un cercle à son diamètre est égal au nombre
π = 3,14159...
Imaginons qu’un disque tourne d’un mouvement

(1) Nature, 115 (1925), p. 798.


LA THÉORIE DE LA RELATIVITé ET L’EXPéRIENCE 359

uniforme dans un espace euclidien ; le rapport de la


circonférence au diamètre sera donc égal à π pour qui
le mesure avec des instruments immobiles dans cet
espace. Un observateur se servant d’instruments qui
suivent le disque en mouvement trouvera les mêmes
mesures lorsqu’il place son mètre perpendiculairement
à la direction du mouvement, c’est-à-dire suivant le
diamètre. Mais lorsqu’il le place suivant la circonférence,
le mètre paraît raccourci aux yeux d’un observateur fixe.
Celui-ci pourra constater que l’observateur en mouve­
ment doit le porter un plus grand nombre de fois pour
parfaire le tour de la circonférence. L’observateur entraî­
né trouvera donc que le rapport de la circonférence au
diamètre est plus grand que π et donc que la géométrie
sur le disque tournant n’est pas euclidienne.
Il n’y a d’ailleurs aucune difficulté à se représenter les
expériences géométriques de l’observateur en mouve­
ment. Tenant compte du fait que notre imagination est
euclidienne, il nous suffira de l’imaginer opérer dans un
espace euclidien, mais de supposer que les lignes réelles
y sont représentées à des échelles différentes suivant la
direction de ces lignes et suivant le point considéré.
Nous obtiendrons ainsi une sorte de carte euclidienne de
l’espace non-euclidien. Dans le cas du disque mobile, nous
pourrons supposer que les échelles sont constantes suivant
les rayons et varient suivant les circonférences en fonction
de la distance au centre de façon à tenir compte de la
contraction de Lorentz. L’échelle suivant des directions
obliques s’obtient en considérant une ellipse ayant pour
axes les échelles que nous venons de définir. Le procédé
est analogue à celui des cartes géographiques, la surface
de la terre, dont la géométrie n’est pas euclidienne, est
représentée sur un plan euclidien au moyen d’un système
d’échelles définies en chaque point et dans chaque
direction. On peut établir des règles qui permettent,
lorsqu’on a obtenu une carte, d’en déduire une infinité
360 REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES

d’autres, et celles-ci, tout aussi bien que la première,


représentent l’objet étudié. C’est ce que nous appellerons
transformer la carte. On peut toujours transformer la
carte de telle sorte que l’échelle soit, en chaque point,
indépendante de la direction et ne dépende que du point
considéré.
La notion de carte que nous venons de considérer pour
des surfaces, peut s’étendre sans difficulté à l’espace. On
peut aisément concevoir un espace non-euclidien dont les
propriétés géométriques se décrivent dans un espace
euclidien au moyen d’échelles définies en chaque point et
dans chaque direction. Il faut concevoir en chaque point
un ellipsoïde des échelles au lieu de l’ellipse des échelles.
Une géométrie qui peut être ainsi représentée rentre dans
ce qu’on appelle la géométrie générale de Riemann.
Il est possible, comme dans le cas des surfaces, de
transformer la carte en une infinité d’autres qui repré­
sentent également bien le même espace ; et en particulier
de faire en sorte que l’échelle soit en tout point indépen­
dante de la direction.
Voilà donc une première notion imposée par la théorie
de la relativité ; la géométrie générale de Riemann s’y
substitue à la géométrie euclidienne. Voyons maintenant
ce qu’est devenue la notion de temps.
Le résultat négatif des expériences actuellement
réalisées pour mettre en évidence le mouvement absolu
de la terre, s’explique, ainsi que nous l’avons vu, par
l’hypothèse de la contraction de Lorentz. Si on recherche
quelles conditions doivent être réalisées pour qu’aucune
expérience ne puisse être conçue qui soit capable de
déceler ce mouvement, on trouve que la contraction de
Lorentz n’est pas suffisante à elle seule à assurer ce
résultat négatif ; il faut lui adjoindre une dilatation cor­
respondante du temps.
La dilatation du temps s’introduit dans la théorie
électromagnétique des corps en mouvement de la même
LA THÉORIE DE LA RELATIVITé ET L’EXPéRIENCE 361

manière que la contraction des longueurs ; on est conduit


à considérer un temps fictif, le temps local de Lorentz, de
même qu’on était amené à concevoir des corps fictifs
immobiles et déformés. Cette dilatation du temps est
telle que la vitesse de la lumière dans le vide est non
seulement indépendante de la direction dans laquelle
elle se propage (ceci s’obtient aisément par une définition
convenable de la simultanéité), mais que la grandeur de
cette vitesse est la même pour des mesures effectuées
sur l’un ou sur l’autre de deux corps en mouvement
relatif. La vitesse de la lumière dans le vide intervient
dans quasi toutes les formules de l’électricité et, si elle
était différente dans les deux corps, il serait facile d’ima­
giner des expériences donnant sur chacun d’eux des
résultats différents et donc capables de décider lequel des
deux est réellement en mouvement.
Pour obtenir une parfaite réciprocité entre deux corps
en mouvement relatif, il faut admettre que le temps
local de Lorentz est le vrai temps physique. Imaginons
deux horloges identiques, c’est-à-dire deux systèmes
physiques interchangeables qui produisent périodique­
ment une manifestation perceptible, dans des circon­
stances qui restent parfaitement comparables, et qui doit
donc être effectuée en des temps égaux. Le nombre de
ces phénomènes périodiques élémentaires mesure le
temps physique. La relativité prétend que ce temps
physique est le temps local de Lorentz. Supposons deux
observateurs munis d’horloges identiques et en mouve­
ment relatif suivant une direction perpendiculaire à la
droite qui joint leurs positions actuelles. Chacun d’eux
trouvera que l’horloge de l’autre est ralentie par rapport
à la sienne suivant le facteur de Lorentz. Nous avons
supposé la vitesse perpendiculaire à la ligne joignant les
deux observateurs de façon à éliminer l’effet Doppler-
Fizeau, en vertu duquel l'horloge qui s’éloigne paraît
ralentir et celle qui se rapproche paraît s’accélérer. La
362 REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES

théorie classique et la relativité sont d’accord sur cet


effet ; il s’agit ici d’un effet indépendant de la direction
de la vitesse. Cet effet est juste ce qu’il faut pour que
l’effet Doppler-Fizeau soit identiquement le même lorsque
la source lumineuse est supposée en mouvement et
l’observateur en repos ou lorsqu’on fait la supposition
inverse. La comparaison directe avec l’expérience est
malheureusement impraticable et on ne peut contrôler
la dilatation du temps que par des conséquences assez
lointaines liées à la théorie de la gravitation.
Revenons à notre carte d’un espace riemannien, avec
ses échelles de longueur définies en tout point. Pour
tenir compte de la dilatation du temps, nous pour­
rons faire usage d’un temps fictif absolu analogue au
temps universel de la cinématique classique et du bon
sens ; ce temps n’aura, en lui-même, pas plus de valeur
que les mesures prises sur la carte sans tenir compte des
échelles, il faudra en déduire le temps physique au moyen
d’une échelle de temps donnée en tout point de la carte.
Cette échelle supposée connue pour des points dont l’image
sur la carte reste immobile, l’échelle pour un corps en
mouvement pourra s’en déduire en tenant compte de la
dilatation du temps suivant le facteur de Lorentz.
La théorie de la gravitation que nous sommes mainte­
nant en état d’aborder est le point essentiel de la théorie
de la relativité généralisée, et c’est avec raison que cer­
tains auteurs donnent à cette théorie le nom de théorie
de la gravitation ou gravifique einsteinienne.
Cette théorie doit répondre à deux questions :
1) Étant données les échelles de longueur et de temps
d’une carte représentant un certain espace, quel sera le
mouvement de l’image d’un point matériel qui tombe
librement sous l’action de la pesanteur ?
2) Le soleil et les planètes étant représentés sur la
carte, comment doivent avoir été déterminées les échelles
de longueur et de temps pour que le mouvement des
LA THÉORIE DE LA RELATIVITé ET INEXPéRIENCE 363

planètes déduit de 1) soit conforme aux observations


astronomiques ?
La solution de ces deux questions ne doit donner la
préférence à aucune des manières particulières dont on
peut construire la carte et doit être également valable
quelle que soit la manière dont on transforme la carte.
Il est très remarquable qu’on ait pu trouver une solu­
tion de ce problème, et il paraît bien douteux qu’il soit
possible d’en donner une autre.
La solution d’Einstein répond à la première question
en supposant que la trajectoire décrite par un point libre
sous l’action de la gravitation est celle où le temps
physique est plus long que sur toutes les trajectoires
voisines aboutissant simultanément aux mêmes extré­
mités.
La réponse à la seconde question est donnée par les
équations tensorielles de la gravitation qu’il n’est pas
possible de développer dans ce court exposé. Il y a pour­
tant moyen de donner une idée assez précise de la solution,
en utilisant la représentation au moyen d’une carte où
l’échelle des longueurs est indépendante de la direction.
Les échelles de longueur et de temps peuvent être esti­
mées avec une bonne approximation de la manière sui­
vante. Considérons la vitesse que prendrait un corps
tombant librement de l’infini (c’est-à-dire d’une fort
grande distance), jusqu’au point où nous désirons con­
naître la valeur des échelles. Les longueurs sont contrac­
tées et les temps dilatés comme ils le seraient pour un
corps qui aurait cette vitesse.
La valeur exacte des échelles ne peut s’exprimer
simplement qu’en notations mathématiques ; il en résulte :
1) que la géométrie euclidienne est une bonne approxi­
mation dans l’étude des phénomènes astronomiques ;
2) que la loi de l’attraction universelle de Newton est
valable comme première approximation suffisante dans
le calcul des perturbations des planètes ;
364 REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES

3) que l’action du soleil sur les planètes diffère de ce


qu’indique la loi de Newton d’une quantité qui, quoique
petite, est accessible à l’observation.
Cette correction est suffisante pour rendre conforme
à la théorie des perturbations le mouvement observé du
périhélie de la planète Mercure.
L’importance de cette confirmation expérimentale
réside entièrement dans le fait que la correction est
obtenue comme conséquence nécessaire d’un point de
départ complètement étranger à la question. Il serait
naturellement trop facile d’imaginer une théorie capable
d’expliquer le mouvement du périhélie au moyen d’hypo­
thèses introduites expressément en vue de rendre compte
de ce seul phénomène.
La théorie de la gravitation est donc bien confirmée par
l’expérience. Nous pouvons l’employer pour soumettre
au contrôle de l’expérience les deux faits pour lesquels
nous n’avions encore trouvé que des raisons théoriques :
la constance de la vitesse de la lumière, et l’identification
du temps physique avec le temps local de Lorentz.
Si la lumière a en réalité une vitesse constante, la
représentation de sa vitesse sur la carte variera suivant
la valeur des échelles. Si nous adoptons l’approximation
décrite à l’instant, elle sera ralentie suivant le carré du
facteur de Lorentz. Le front d’onde ira donc plus vite à
distance qu’au voisinage du soleil et le rayon sera courbé
vers le soleil. Les étoiles voisines du soleil nous apparaî­
tront en leur position virtuelle dans le prolongement de
la direction qu’a la lumière au moment où elle pénètre
dans notre œil ; chaque étoile paraîtra donc plus éloignée
de l’endroit occupé par le soleil. Les étoiles peuvent être
photographiées au cours d’une éclipse, et l’écart peut se
mesurer par comparaison avec une photographie prise en
temps normal, lorsque le soleil est dans une autre région
du ciel. Un calcul facile montre que pour chaque étoile
il est en raison inverse de la distance angulaire au centre
LA THÉORIE DE LA RELATIVITé ET L’EXPéRIENCE 365

du soleil ; cet écart atteint au bord du soleil près de deux


secondes d’arc (1"74), quantité accessible aux mesures.
Deux expéditions anglaises parvinrent à prendre des
photographies lors de l’éclipse du 29 mai 1919 (1). Le
soleil traversait alors une région du ciel riche en étoiles
brillantes, de sorte qu’on put utiliser avec succès les
instruments astronomiques existants. Les photographies
prises à Sobral confirment la loi de variation avec la dis­
tance au centre du soleil et donnent une déviation réduite
au bord du soleil de 1"98. (Ce résultat diffère du résultat
prédit, du double de l’erreur probable accidentelle.)
La difficulté principale de ces mesures consiste en ce
qu’une modification du grossissement de la chambre
photographique durant l’éclipse changerait l’échelle de la
plaque et causerait un écart qui pourrait être facilement
confondu avec l’effet d’Einstein. On peut espérer remé­
dier à cet inconvénient en employant de grandes plaques,
les étoiles les plus éloignées, peu déviées, servant à
assurer la valeur de l’échelle, et permettant d’interpréter
plus sûrement les déviations des étoiles voisines du disque
solaire.
L’observatoire Lick a préparé une expédition qui
réussit à photographier à Wallal, en Australie, l’éclipse
du 21 septembre 1922. Des instruments spéciaux avaient
été construits, capables de photographier des étoiles
beaucoup moins brillantes que celles du 29 mai 1919.
Les plaques photographiques carrées mesuraient 34 cm.
de côté. Deux objectifs de long foyer (15 pieds) et deux
de court foyer (5 pieds) étaient utilisés. Ces deux derniers
couvrant un champ de 15 degrés étaient destinés à véri­
fier la loi de variation avec la distance au soleil. Les deux
autres devaient mesurer avec précision la grandeur de la
déviation supposée conforme à cette loi.

(1) F. W. Dyson, A. S. Eddington, C. Davidson, Mem. R. A. S.,.


62. Appendix (1920).
366 REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES

Les résultats définitifs des mesures faites avec la


chambre de 15 pieds ont été publiés (1); ils ont la même
erreur probable accidentelle que ceux de Sobral, mais ils
présentent des garanties plus grandes contre la possibilité
d’erreurs systématiques. L’écart entre la prédiction et
l’observation n’est plus que le cinquième de l’erreur
probable.
On a objecté que les résultats de Sobral et ceux obtenus
à Wallal avec la chambre de 15 pieds pouvaient se repré­
senter par une loi linéaire aussi bien que par la loi hyper­
bolique d’Einstein. Ceci est naturel, puisque, dans la
région peu étendue que couvrent les observations, l’arc
d’hyperbole n’est naturellement pas fort différent de sa
corde ou de sa tangente. Trumpler a fait la remarque
importante que si on interprète ainsi les observations de
Sobral et de Wallal, on trouve bien deux lignes droites,
mais que ces deux droites sont différentes dans les deux
cas. Ceci provient de ce que les étoiles observées à Sobral
sont plus rapprochées du bord du soleil que celles obser­
vées à Wallal ; la corde de l’hyperbole est ainsi plus
inclinée pour les premières que pour les secondes. Les
écarts ramenés au centre du soleil dans l’hypothèse d’une
loi linéaire varient du simple au double.
Enfin les résultats préliminaires des observations
faites avec la chambre de 5 pieds confirment pleinement
la théorie d’Einstein, non seulement pour la valeur numé­
rique mais aussi pour la loi de variation dans le champ de
gravitation du soleil ; ils donnent en même temps une
forte évidence contre la loi linéaire (effet Courvoisier) (2).
Parmi les nouvelles parvenues jusqu’à présent au
sujet des expéditions qui ont tenté d’observer l’éclipse
du 14 janvier 1926, on annonce que les expéditions américaine

(1) W. W. Campbell et R. Trumpler, Lick Obs. Bull., n° 346


(1923).
(2) Pub. of the Astr. Soc. of the Pacific, 36 (1924), p. 221.
LA THÉORIE DE LA RELATIVITé ET L’EXPéRIENCE 367

et hollando-allemande ont été favorisées par le beau


temps et ont réussi leurs photographies (1).
Il nous reste à parler des observations qui permettent
de vérifier si le temps introduit par la théorie de la
relativité est plus qu’une fiction mathématique, s’il est
vraiment une réalité physique.
La meilleure horloge physique, c’est l’atome. Il n’émet
ou n’absorbe la lumière que suivant des fréquences bien
déterminées, mesurables avec précision au spectroscope.
Considérons un atome de l’atmosphère solaire et un atome
du même élément chimique dans un laboratoire terrestre.
S’ils se trouvent dans des circonstances physiques iden­
tiques, ils doivent posséder la même fréquence et mesurer
tous deux le temps physique.
Une circonstance, il est vrai, diffère : ils se trouvent
dans des champs de gravitation différents. Or, nous l’a
l’avons vu, la gravitation s’interprète d’après la relativité
par une modification des échelles d’espace et de temps.
Si donc nous tenons compte pour chacun des atomes des
différentes échelles définies par le champ de gravitation,
nous pouvons considérer ces atomes comme se trouvant
dans des circonstances semblables.
L’atome solaire et l’atome terrestre ont donc même
période de temps réel, il n’y a plus à tenir compte de
différences provenant de la gravitation,puisque les échelles
ont été établies en conséquence de ce facteur.
Revenons maintenant aux phénomènes tels qu’ils
doivent être représentés sur la carte euclidienne inter­
prétée au moyen d’un temps fictif universel. Les rayons
lumineux qui nous parviennent du soleil ont une vitesse
de propagation indépendante du temps, si bien que ce que
l’observation nous permet de comparer, ce sont les
périodes mesurées en temps universel. Si la période des
deux atomes est la même en temps réel local, elle sera

(1) Nature, 117 (1926), p. 306.


368 REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES

différente en temps fictif universel, puisque les échelles


qui permettent de passer du temps réel au temps fictif
sont différentes à la surface du soleil et sur celle de la
terre.
Le spectre solaire nous présentera des raies déplacées
vers le rouge suivant le rapport du facteur de Lorentz
calculé sur le soleil au même facteur calculé sur la terre.
Le déplacement prévu est faible, il est pourtant aisé­
ment mesurable avec les puissants instruments employés
pour l’étude du soleil. La difficulté consiste à distinguer
l’effet d’Einstein des autres causes qui pourraient pro­
duire le même déplacement des raies.
Une première cause est l’influence de la vitesse ascen­
dante ou descendante que les atomes peuvent avoir dans
l’atmosphère solaire ; cette vitesse produirait un déplace­
ment des raies suivant l’effet Doppler-Fizeau. Une autre
cause est l’influence de la pression atmosphérique, qui
tend à déplacer les raies vers le rouge. Cette influence est
inégale pour les diverses raies des éléments. A ces causes
d’erreurs est venue s’en ajouter une nouvelle qui a causé
de graves difficultés dans toutes les recherches de spectro
scopie de précision. Cet effet nouveau, appelé effet de
pôle, fausse les indications de la source terrestre comparée
à la lumière solaire ; la source terrestre est générale­
ment un arc électrique, et l’on remarqua une position
des raies différente pour les diverses parties de l’arc,
particulièrement au voisinage des pôles. Les raies les plus
sensibles à l’influence de la pression, sont aussi celles qui
subissent le plus l’effet de pôle.
Ainsi les mesures de la pression solaire, effectuées par
Evershed (1) à Kodaikanal, et Adams (2) au mont Wilson,
en 1917, en observant les déviations relatives de raies peu
sensibles ou, au contraire, fort sensibles à la pression,

(1) Kodaikanal Bulletin, n° 18 (1909) et n° 36 (1913).


(2) Aph. J., 33 (1917), p. 64.
LA THÉORIE DE LA RELATIVITÉ ET L’EXPÉRIENCE 369

perdirent beaucoup de leur signification, puisqu’elles


pouvaient être complètement viciées par l’effet de pôle.
Il en est de même des mesures effectuées en 1921 par
Perot (1) et Salet (2), qui utilisent des raies ayant un
effet de pôle considérable. Il fallut se borner à employer
des raies de faible effet de pôle et donc de faible coefficient
de pression. Les mesures deviennent alors fort difficiles
et ne peuvent donner un résultat que si elles sont faites
en nombre suffisant. St-John et Babcock (3) ont publié,
en 1924, le résultat de leurs mesures effectuées avec les
puissants spectroscopes du mont Wilson, utilisant 387
raies du fer. Ils en déduisent une pression qui oscille de
trois quarts d’atmosphère à moins une atmosphère,
montrant clairement que la pression ne peut être qu’une
faible partie d’une atmosphère (4). Les progrès en d’autres
domaines de l’astrophysique ont montré, par une série
d’indications convergentes, que dans la région d’où
proviennent les raies d’absorption la pression est de
l’ordre du dix-millième d’atmosphère (5). La pression ne
peut donc avoir aucun effet sensible sur le déplacement
des raies vers le rouge. Les difficultés qui demeurent
sont les deux suivantes :
1) Le déplacement observé n’est pas le même pour
toutes les raies. Il est plus considérable pour les raies qui
proviennent des régions supérieures de l’atmosphère
solaire (6).
2) Le déplacement est plus considérable sur le bord du
disque solaire qu’au centre.
Ces effets sont du même ordre de grandeur que l’effet

(1) C. R. Paris, 172 (1921), p. 578.


(2) C. R. Paris, 174 (1922), p. 151.
(3) ApH. J., 60 (1924), p. 32.
(4) La moyenne calculée, de 0,13 atm. signifie peu de chose,
puisque les erreurs accidentelles atteignent 1 atm. en plus ou en
moins.
(5) H. N. Russell et J. Q. Stewart, Aph. J., 59 (1924), p. 197.
(6) C. E. St-John, Proc. Nat. Ac. of Sc., 12 (1926), p. 65.
IVe SÉRIE. T. IX. 24
370 REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES

d’Einstein. Tant que les hypothèses proposées pour


expliquer ces deux faits ne seront que des probabilités
sans confirmation expérimentale positive, la preuve de
l’effet spectroscopique pour les raies solaires ne pourra
être considérée comme absolument définitive.
On s’est demandé si le déplacement des raies vers le
rouge, nécessaire pour les étoiles comme pour le soleil,
ne pourrait être décelé pour l’une d’elles. A première vue,
pareille détermination semble avoir beaucoup moins de
chance que pour le soleil. En effet, les spectres d’étoiles
ne peuvent être observés avec une précision semblable
à celle que rend seule possible l’intensité de la lumière
solaire. De plus, il faudrait connaître la vitesse de l’étoile
afin de distinguer l’effet d’Einstein de l’effet Doppler-
Fizeau dû à cette vitesse. Enfin, il faudrait pouvoir
mesurer la masse et le rayon de l’étoile afin de calculer
l’intensité, de l’effet théorique.
Ces conditions se sont trouvées réalisées pour une étoile,
le compagnon de Sirius. Le déplacement des raies a été
mesuré et fut conforme à la théorie.
L’étoile double Sirius est une des étoiles dont la dis­
tance est connue avec précision. Le mouvement ellip­
tique que décrivent l’étoile principale et son compagnon
autour de leur centre de gravité commun a pu être
observé. Les deux étoiles tournent l’une autour de l’autre
en près de cinquante ans et leur distance moyenne est de
vingt fois le diamètre de l’orbite terrestre. En admettant
que les lois de l’attraction sont les mêmes pour ces astres
éloignés que pour nos planètes, on peut conclure que la
masse totale des deux étoiles est 3,3 fois celle du soleil.
La façon dont cette masse totale se répartit entre les
deux étoiles se déduit de la position observée du centre
de gravité du système ; on trouve ainsi que les masses
sont entre elles comme les nombres cinq et deux. Celle
du compagnon est donc un peu moindre que celle du
soleil (probablement 0.85 celle du soleil).
LA THÉORIE DE LA RELATIVITé ET L’EXPéRIENCE 371

D’autre part, la distance et l’éclat de cette étoile sont


connus ; on en déduit qu’elle est 376 fois moins brillante
que le soleil. Enfin sa classe spectrale indique qu’elle
est plus chaude que le soleil et serait plus brillante que lui
si elle était aussi grande ; elle doit donc être beaucoup
plus petite. En fait, sa température est estimée à 8000°
contre 5900° pour le soleil ; les éclats par unité de surface
étant proportionnels à la quatrième puissance des tem­
pératures, on en conclut que le rayon du compagnon de
Sirius n’est que les trois centièmes de celui du soleil (plus
exactement 19.600 kilomètres). L’effet spectroscopique
d’Einstein est proportionnel à la masse et inversement
proportionnel au rayon, il est donc quarante fois plus
important pour le compagnon de Sirius que pour le soleil.
Ces circonstances étaient connues depuis longtemps,
mais on hésitait à s’y fier parce que les valeurs de la
masse et du rayon de l’étoile supposent une densité
moyenne de 50.000 grammes par centimètre cube, et que
l’on ne connaissait rien de semblable. On se demandait
s’il n’y avait pas quelque erreur, spécialement, dans l’esti­
mation de la température.
L’attention fut attirée à nouveau sur cette question à
la suite d’un travail d’Eddington (1) où des résultats,
obtenus en calculant l’équilibre intérieur d’une étoile
supposée constituée de matière à l’état de gaz parfait,
continuaient à s’appliquer à des étoiles aussi denses que
le soleil. Eddington montra que ce résultat n’a rien
d’étonnant si on pense aux températures énormes qui
régnent à l’intérieur d’une étoile (quelques millions de
degrés) et à l’ionisation extrême qu’une telle température
doit produire. A cette occasion, il rappela les résultats
connus pour la densité du compagnon de Sirius et signala
que la théorie de la relativité pourrait être employée pour
mettre hors de doute la réalité de ces densités.

(1) Month. Not. R. A. S., 84 (1924), p. 308.


372 REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES

Les recherches ont été entreprises à l’observatoire du


mont Wilson. Il était difficile de photographier le spectre
du compagnon à cause de l’éclat de l’étoile principale,
qui est dix mille fois plus brillante.
Adams a pu obtenir quatre bons spectres en se servant
du télescope de cent pouces (1). Le spectre du compagnon
apparaît nettement, superposé à celui de la lumière
diffuse de l’étoile principale. Comme cette étoile est plus
chaude (10.000°) que le compagnon, sa lumière est plus
intense dans le violet ; il en résulte que les deux spectres,
bien séparés dans le bleu, se confondent presque dans la
partie violette.
Le déplacement relatif des raies dans les deux spectres
atteint la valeur prédite dans le bleu et diminue progres­
sivement au fur et à mesure que les deux spectres se
confondent.
La netteté des spectres enlève tout doute au sujet de
l’évaluation de la température et donc de la valeur qu’on
en déduit pour le rayon du compagnon.
Il faudrait une pression de 75 atmosphères pour pro­
duire un déplacement semblable. Une telle pression est
incompatible avec le fait qu’on observe les raies de l’hy­
drogène ; celles-ci, en effet, sont fortement élargies par la
pression et on estime que leur existence dans un spectre
d’étoile prouve que la pression n’y dépasse pas une
demi-atmosphère (2).
Cette belle confirmation de la théorie de la relativité
est totalement indépendante des théories d’Eddington
relatives à l’équilibre interne des étoiles. Bien au con­
traire, elle doit être considérée comme une confirmation
des résultats d’Eddington, en ce sens que l’énormité
des densités trouvées dans une étoile rend très vraisem­
blable que le soleil est un gaz parfait malgré sa densité.

(1) Proc. Nat. Ac. of Sc., 11 (1925), p. 382.


(2) J. Evershed, Month. Not. R.A.S., 82 (1922), p. 394.
LA THÉORIE DE LA RELATIVITE ET L’EXPéRIENCE 373

supérieure à celle de l’eau ; la matière est loin d’approcher


de sa limite de compressibilité dans le soleil, puisqu’elle
y est des milliers de fois moins condensée que dans le
compagnon de Sirius.

Comment conclure cette revue de l’état actuel des


preuves expérimentales de la relativité ?
Si nous faisons abstraction de l’inquiétude que peuvent
provoquer les résultats de Miller, nous devons constater
un éclatant progrès sur toute la ligne. La loi de la variation
de la masse des électrons est vérifiée avec une précision
croissante ; l’expérience de Michelson a été réalisée en
utilisant la lumière solaire ; les observations des éclipsés
confirment non seulement la grandeur, mais la loi de
déviation de la lumière et écartent la possibilité d’une loi
linéaire ; la pression solaire est définitivement prouvée
n’être qu’une petite fraction d’une atmosphère, on ne
peut donc plus l’invoquer contre la réalité de l’effet
spectroscopique ; enfin cet effet a été constaté pour le
compagnon de Sirius dans des circonstances qui ne
paraissent laisser place à aucune discussion.
Que devons-nous penser des observations de Miller ?
Il ne sera possible d’en connaître exactement la portée
que lorsque les résultats détaillés auront été publiés
et discutés, ainsi que les résultats opposés obtenus par
M. Tomaschek. Si donc nous sommes quelque peu
inquiet de la menace que laisse planer l’entraînement
de l’éther que croit avoir décelé Miller, ce n’est pas que
cette menace apparaisse comme fort sérieuse, mais c’est
qu’elle porte sur un point vital de la théorie.
Les preuves de la théorie de la relativité ne sont pas
simplement des résultats expérimentaux dont elle a
provoqué la découverte et qui manifestent sa fécondité
comme hypothèse physique : Chacune de ces vérifications
374 REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES

est une conséquence nécessaire de ses principes et


l’échec définitif d’une seule d’entre elles l’atteindrait
jusque dans ses fondements et suffirait sans doute à la
détruire.
L’évidence provoquée par les réponses favorables de
l’expérience dans les domaines si variés où la théorie de la
relativité s’est soumise à son verdict en est d’autant plus
remarquable et porte le cachet de la vérité.

Georges Lemaître,
Chargé de cours à l'Université de Louvain.

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