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Nicolas Poussin, Le massacre des Innocents, huile sur toile, 1625-29, 147x171, musée Condé,
Chantilly.

© RMN / © Harry Bréjat

L’œuvre :
Description formelle :
Cette œuvre de grand format (147x171) présente au premier plan trois personnages : un soldat vêtu
de rouge qui lève son épée au dessus d’un bébé immobilisé au sol et une femme à genou, accrochée
au flanc gauche du soldat et tentant d’empêcher l’acte meurtrier. Son visage exprime la terreur et sa
bouche ouverte laisse échapper un hurlement de douleur.
Au second plan, une deuxième mère s’enfuit emportant sous son bras le cadavre d’un enfant.
La scène est campée dans un décor épuré : une large colonne, située à gauche stabilise la verticalité
de la composition. Le sol au premier plan nous fait directement entrer dans la scène. A l’arrière plan,
on aperçoit une façade de temple greco-romain.

Sujet de l’œuvre :
Cette toile illustre un épisode précis de la Bible : le « Massacre des Innocents ». Le roi Hérode,
furieux que les mages ne reviennent pas l’informer du lieu où se trouve le jeune Jésus, ordonne à ses
soldats de tuer tous les enfants de moins de deux ans présents dans le royaume. L’artiste représente ici
l’instant tragique de la mise à mort d’un bébé, sa mère implorante tentant de le soustraire au soldat.

Domaine De Chantilly © CRDP de l’académie d’Amiens, 2008.


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Le sens de la composition :
Nicolas Poussin présente ici une synthèse de l’épisode biblique du massacre des Innocents en une
seule scène, concentrée dans les trois personnages du premier plan.

Toute la composition est construite de manière à concentrer le regard sur le visage de la mère vêtue
de jaune et à déclencher un grand émoi chez le spectateur.
Pour créer cette émotion, Nicolas Poussin répartit les trois personnages principaux autour de deux
grandes diagonales ascendantes. L’une dirigée vers la gauche, démarre du corps de la mère située au
sol, se poursuit sur le buste du soldat et se termine dans la main meurtrière et l’épée (ligne rouge).
L’autre dirigée vers la droite, débute par l’enfant à terre, remonte le long de la jambe du soldat, passe
sur le visage de la mère et aboutit sur la femme éplorée vêtue de bleu (ligne jaune).

Ces deux lignes se croisent au centre de la toile, sur la bouche hurlante de la mère. Nicolas Poussin a
donc construit sa composition afin que le cri, la terreur et l’émotion que dégage cette œuvre, prennent
toute leur puissance et deviennent LE sujet du tableau.

Ces deux éléments fondamentaux qui consistent à :

• concentrer un épisode historique en une seule scène et


• accentuer les émotions des personnages par les attitudes des corps, les visages et expressions,

seront deux lignes directrices de la technique propre à Poussin, qu’il nommera ainsi : « l’expression
des passions» et « le choix des modes ».

Domaine De Chantilly © CRDP de l’académie d’Amiens, 2008.


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L’artiste au moment de la création :
En 1624, Nicolas Poussin arrive à Rome après peut-être un voyage à Venise. Après peut-être un moment
de réelle pauvreté, il obtient plusieurs commandes importantes dont Le Massacre des Innocents. Cette
toile a été réalisée pour Vincenzo Giustiniani qui construisait au début du XVIIe siècle, son palais à
Rome et en constituait le décor. L’œuvre de Poussin était placée en dessus de porte et donc bien moins
visible qu’aujourd’hui. Cette hauteur justifie sans doute le choix de Poussin d’accentuer si fortement
les « passions » ou émotions.
Cette première commande destinée à un collectionneur privé, sera beaucoup admirée par les amateurs
d’art éclairés de l’époque. Ce succès influencera peut-être Nicolas Poussin dans le choix de sa future
clientèle. En effet, il décida rapidement d’abandonner les grandes commandes publiques pour se
concentrer davantage sur des tableaux de petits formats, illustrant des sujets intellectuels complexes
et destinés une clientèle de collectionneurs privés et avertis.

Les contextes de création du début du XVIIe siècle :


En France, la situation politique est mouvementée. En 1610, le roi Henri IV est assassiné et Marie de
Médicis assure la Régence de son fils Louis XIII qui n’a que 9 ans. Cette régence sera très difficile.
La reine considère son fils comme « trop faible de corps et d’esprit » pour gouverner. Il prendra le
pouvoir seulement en 1617, après avoir écarté sa mère des affaires du royaume, en l’exilant à Blois.
Les commandes artistiques royales seront néanmoins nombreuses et importantes à cette époque. On
peut citer par exemple, le célèbre cycle de toiles commandé par la Reine mère à Rubens pour son palais
du Luxembourg à Paris (exposé au Louvre). Elle demandera également à Philippe de Champaigne de
participer au décor. On apprécie donc le colorisme et les formes baroques hollandaises et l’art plus
sobre et classique français.

L’Italie à cette époque n’est pas unifiée, chaque province ayant sa propre situation politique. A
Rome, qui se distingue par sa place de capitale des arts, le pape Urbain VIII Barberini (1623) mène
une politique active de mécénat artistique. Les chefs-d’œuvre de l’antiquité font l’admiration de
toute l’Europe et il est naturel pour les artistes, toutes disciplines confondues, de venir faire leur
apprentissage dans la « cité éternelle ». Les grandes commandes émanent donc des cercles politiques
publics mais également des collectionneurs privés issus de grandes familles telles que Dal Pozzo, ou
Barberini.

Domaine De Chantilly © CRDP de l’académie d’Amiens, 2008.


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La situation des arts en Europe au début du XVIIe siècle :
En peinture, deux courants se côtoient. Le caravagisme (dont nous avons un exemple au musée Condé
avec l’œuvre de Trophime Bigot, Le repas d’Emmaüs) qui s’inspire de l’œuvre du Caravage et la
grande peinture lyrique, qui a comme sujets de prédilection, les épisodes bibliques et mythologiques.
Nicolas Poussin fait partie de ce second courant.

Trophime Bigot, Le repas d’Emmaüs, huile sur toile, 1ère moitié du XVIIe siècle, 121x173, musée
Condé, Chantilly.

Le style baroque avec la peinture de Pierre de Cortone ou encore le sculpteur Bernin trouve son
expression la plus parfaite dans ce début du XVIIe siècle (par exemple : 1624, le Bernin réalise le
baldaquin de Saint-Pierre de Rome).

Un jalon pour l’histoire des arts :


Nicolas Poussin nous donne ici une représentation universelle du massacre. Cette simplification du
propos donne une force toute nouvelle à cette composition qui avait pour habitude d’être traitée
par les artistes de manière très sophistiquée, mettant en scène des corps entremêlés au sein d’une
action violente. Il propose ainsi une nouvelle manière pour représenter les épisodes historiques où
s’illustrent de nombreux personnages.

Très admirée en son temps, cette toile continua à influencer les artistes au cours des siècles. Pablo
Picasso étudia en détail cette composition pendant sa période méditerranéenne (1920-1922). On
retrouve par exemple la femme debout au second plan du Massacre des Innocents dans Guernica,
célèbre toile de Picasso qui elle aussi représente une synthèse d’un massacre moderne et un cri.

Domaine De Chantilly © CRDP de l’académie d’Amiens, 2008.


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Très admirée en son temps, cette toile continua à influencer les artistes au cours des siècles. Pablo
Picasso étudia en détail cette composition pendant sa période méditerranéenne (1920-1922). On
retrouve par exemple la femme debout au second plan du Massacre des Innocents dans Guernica,
célèbre toile de Picasso qui elle aussi représente une synthèse d’un massacre moderne et un cri.

Pablo Picasso, Guernica, huile sur toile, 1937, 351 x 782, Musée Reina Sofia, Madrid.

Détails :

Femme agenouillée, proche de la femme


vêtue de jaune de l’œuvre de Poussin.

Femme hurlante, tenant un


enfant dans ses bras, proche
de la femme vêtue en bleu de
l’oeuvre de Poussin.

Domaine De Chantilly © CRDP de l’académie d’Amiens, 2008.

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