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Tels qu'ils sont, les médecins du professeur Huguenard ne paraissent guère préoccupés par leur

avenir.

Ils n'en parlent pas.

Ils ont encore beaucoup de jeunesse devant eux. Ils vivent au jour le jour, au rythme des appels, des
sorties et des gardes.

Et ils ne soucient pas de se distinguer des autres membres de l'équipe : chauffeurs, aides-soignants,
infirmières.

Ils portent la même tenue : le pyjama vert. Pourquoi cette uniformité ?

"C'est tout à fait voulu, cet esprit démocratique, socialisant et fraternel" répond le professeur
Huguenard. "Et cela tient au fait que Henri-Mondor a été ouvert à la fin de 1968, tout de suite après
les évènements de Mai. A ce moment-là, j'étais chef de service à l'hôpital Beaujon. Mes
collaborateurs et moi avions beaucoup participé aux évènements de 68. Nous tenions les postes de
secours de l'ancienne Faculté de médecine. A Beaujon, nous avions créé une organisation collégiale
du service d'anesthésie-réanimation.

Dans l'enthousiasme de l'époque, la collaboration démocratique, de l'aide-soignant avec le chef de


service en passant par les infirmières, les surveillants et les médecins, a donné de bons résultats.

Alors quand nous sommes arrivés à Henri-Mondor, avec un certain nombre de membres de l'équipe
de Beaujon, nous avons adopté la même organisation collégiale. Mais les temps n'étaient plus les
mêmes. Au bout de deux ans, le collège s'est transformé en champ clos où se faisaient les règlements
de comptes. Il ne fut bientôt plus question de véritable fraternité.

On ne peut pas parlé d'un échec puisqu'il en est resté quelque chose d'important à mes yeux : le
tutoiement.

Le "tu" est peut-être un peu puéril, un peu primaire, mais c'est quand même le signe d'un état
d'esprit. A mes yeux, le "tu" constitue un point de doctrine. Les infirmières, les aides-soignants, les
chauffeurs tutoient les médecins. C'est plus important que le contraire. Et plus significatif. Toute
autorité imposée par des règles, par des structures, est une autorité inefficace. L'autorité efficace ne
peut venir que de la compétence.

Le "vous", c'est l'acceptation de l'autorité imposée par des règles. Le "tu" rend possible l'affirmation
de l'autorité de compétence.

C'est ainsi qu'il est normal que l'infirmière expérimentée ou l'aide-soignant chevronné disent "tu" au
jeune médecin qui a moins d'expérience qu'eux, et que celui-ci accepte de recevoir des leçons d'eux.

Il est tout à fait normal qu'un chauffeur-ambulancier qui conduit très bien son ambulance, qui a
d'excellentes notions de secourisme, qui est un élément indispensable de l'équipe, prenne le pas sur
un médecin en formation.

Ce qui en découle est évident.

Tout le monde s'aide. Tout le monde porte le même pyjama vert. Tout le monde mange à la même
table. Tout le monde partage les inconvénients et les avantages du service.

Aux yeux de tous, il serait inadmissible que la salle de détente et son bistrot soient réservés aux seuls
médecins.

Cela se fait ailleurs, pour s'en étonner.


Cela nous a paru tout à fait ahurissant.

Et nous, nous nous sommes étonnés de leur étonnement"

Professeur Pierre Huguenard,

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