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QFP

Indicateurs dynamiques dans le monitorage


hémodynamique
Adrien Bouglé & Jacques Duranteau

Département d’Anesthésie-Réanimation Chirurgicale


Hôpital de Bicêtre, Assistance Publique – Hôpitaux de Paris
Le Kremlin-Bicêtre

Question 1
Pourquoi évaluer la volémie ?
Au bloc opératoire comme en réanimation, le clinicien est régulièrement confronté à
une situation d’instabilité hémodynamique. En cas d’hypovolémie, le remplissage
vasculaire permettra d’augmenter le volume intravasculaire, augmentant ainsi la pression
systémique moyenne (PSM) et donc le gradient entre PSM et pression de l’oreillette droite
(POD). Ce gradient POD-PSM est le principal déterminant du retour veineux [1], et donc
du volume télé diastolique du ventricule gauche (VTDVG). Le VTDVG est assimilable à la
précharge du ventricule gauche (VG), déterminant de la fonction ventriculaire gauche avec
la post-charge du VG, l’inotropisme et la fréquence cardiaque. Le remplissage vasculaire
améliorera donc la précharge du VG, et ainsi le débit cardiaque et la pression artérielle
moyenne (PAM). Cependant la relation entre augmentation de la précharge ventriculaire et
augmentation du volume d’éjection systolique (appelée courbe de fonction systolique)
n’est pas linéaire, comme décrit par la loi de Franck-Starling. Dans la partie ascendante de
la courbe de fonction systolique, dite précharge dépendance, une augmentation de
précharge entraîne une augmentation du VES et donc du débit cardiaque. Dans la partie
en plateau de la courbe de fonction systolique, dite précharge indépendance, une
augmentation de précharge n’entraîne plus d’augmentation du VES. Ainsi, seulement 40 à
72 % des patients répondent à un remplissage vasculaire par une augmentation
significative du débit cardiaque [2]. Il est donc essentiel de pouvoir prédire l’efficacité d’un
remplissage vasculaire, afin de limiter les conséquences délétères d’un remplissage
inutile, comme l’hémodilution ou l’altération des échanges gazeux.

Question 2
Indices statiques ou dynamiques ?
En cas de contexte clinique évocateur, les signes cliniques d’hypovolémie
(hypotension artérielle, tachycardie, signes d'hypoperfusion tissulaire comme les
marbrures cutanées, ou l’oligurie) sont le plus souvent associés à une hypovolémie
absolue ou relative et justifient un remplissage vasculaire. Cependant, ces critères
peuvent être absents ou mis en défaut. Le clinicien doit disposer de critères prédictifs de
l’efficacité du remplissage vasculaire, pour estimer que le remplissage vasculaire dispose
d’une probabilité importante d’augmenter le VES et le débit cardiaque [3]. La courbe de
Franck-Starling dépend de la contractilité myocardique. Il est donc aisé de comprendre
que cette courbe sera différente d’un patient à un autre. Dès lors, les indices dits statiques
(pression veineuse centrale PVC, pression artérielle pulmonaire d’occlusion PAPO)
donnant une valeur donnée de précharge seront peu informatifs en dehors de valeurs très
basses (PVC < 5mmHg). Cette faible valeur informative des indices statiques a été
démontrée chez le volontaire sain [4] comme chez les patients de réanimation [5]. De
nouveaux indices de précharge dépendance ont ainsi été développés, en utilisant des
tests dynamiques basés sur les variations respiratoires de différentes valeurs
hémodynamiques, plutôt qu’une valeur fixe de précharge. Ces indices dynamiques
peuvent être utilisés en utilisant un monitorage invasif ou non invasif.

Question 3
Indices dynamiques et monitorage invasif.
Les indices dynamiques sont basés sur les interactions cœur-poumon. Lors de la
ventilation en pression positive, les modifications de précharge et de post charge du
ventricule droit (VD) sont à l’origine d’une variabilité respiratoire du VES, du DC et ainsi de
la PA. L’augmentation de la pression pleurale secondaire à l’augmentation de la pression
intra thoracique lors de l’insufflation mécanique diminue le gradient de retour veineux et
ainsi la précharge VD. L’augmentation de la pression transpulmonaire induit une
augmentation de la post charge VD. Il en résulte une diminution du VES du VD, et donc
une diminution de la précharge du VG 2 à 3 battements cardiaques plus tard. Ces
variations respiratoires seront majorées lorsque les deux ventricules travaillent en situation
de précharge dépendance, sur la portion ascendante de la courbe de Franck-Starling.
Plusieurs indices ont ainsi été développés.
Dans des travaux relativement anciens, les variations respiratoires de la pression
systolique (différence entre PAS minimale et maximale au cours de la VM) et sa
composante Δdown (= PASapnée – PASminimale) ont été rapportés comme associés à
l’hypovolémie, chez l’animal soumis à une hémorragie [6] comme chez l’homme au cours
du sepsis grave [7]. Dans ce dernier travail, un Δdown > 5 mmHg était prédicteur d’une
réponse positive au remplissage. Dans une étude réalisée chez 40 patients en choc
septique, Michard et al ont montré que les variations respiratoires de la pression pulsée
(ΔPP) prédisaient une réponse positive au remplissage vasculaire plus efficacement que
les variations respiratoires de la PAS. Dans cette étude, une valeur de ΔPP > 13 % était
prédictive d’une augmentation de l’index cardiaque supérieure à 15 % après un
remplissage par 500 ml d’une solution de colloïdes avec une sensibilité de 94 % et une
spécificité de 96 % [8]. Enfin, la variation respiratoire du VES VG obtenue battement par
battement par la méthode du contour de l’onde de pouls prédit également une réponse
prédictive au remplissage vasculaire lorsqu’elle est supérieure à 9 – 10 % [3]. Ce
paramètre nécessite un cathéter de pression artérielle et un système de monitorage
contenant un algorithme de calcul spécifique, comme le système PiCCO™ (Munich,
Allemagne) ou LidCO™ (Londres, Royaume-Uni).
Question 4
Indices dynamiques et monitorage non invasif.
La tendance vers une réanimation moins invasive et les différentes avancées
technologiques ont permis ces dernières années le développement de monitorages
hémodynamiques dits non invasifs. Le doppler œsophagien et l’échocardiographie par
voie transthoracique ou transœsophagienne ont ainsi permis la validation de nouveaux
critères dynamiques de précharge dépendance.
La mesure de la variabilité respiratoire du pic de vélocité aortique (ΔVpeak (%)=
(Vmax - Vmin)/[(Vmax + Vmin) / 2] x 100)) mesurée en échocardiographie transthoracique
ou par doppler œsophagien a été validée dans des études animale [9] ou humaine [10,11].
Dans une étude réalisée récemment chez l’enfant, un ΔVpeak supérieur à 12 % prédit
avec une sensibilité de 81,2 % et une spécificité de 85,7 % une réponse positive au
remplissage, quand le ΔPS ou le ΔPP sont peu informatifs [12].
Plusieurs études évaluent la variation respiratoire du diamètre de la veine cave
inférieure ou supérieure. La veine cave inférieure (VCI) comporte un trajet intrathoracique
virtuel. Son diamètre est donc dépendant du gradient de pression entre la pression extra
murale, soit la pression abdominale, et la pression intramurale, soit la pression de
l’oreillette droite (POD). En ventilation mécanique, l’augmentation de la pression pleurale
secondaire à l’insufflation entraîne une augmentation de la POD et ainsi du diamètre de la
VCI. Cette augmentation sera d’autant plus importante en cas d’hypovolémie. Barbier et
al. ont montré qu’un index de collapsibilité de la VCI mesuré en échocardiographie
transthoracique par la voie sous xiphoïdienne était prédicteur d’une réponse positive au
remplissage vasculaire chez des patients en ventilation contrôlée, lorsqu’il est supérieur à
18 % [13].
À la différence de la VCI, la veine cave supérieure est entièrement soumise au
régime de pression intrathoracique. En revanche, elle n’est accessible qu’en
échocardiographie transœsophagienne. Un index de collapsibilité de la VCS supérieur à
36 % permet de discriminer répondeurs et non répondeurs au remplissage vasculaire avec
une sensibilité de 90 % et une spécificité de 100 % [14].
Cependant, ces différents indices nécessitent que le patient soit en en ventilation
contrôlée, sédaté, et sans troubles du rythme cardiaque. De plus, les techniques dérivées
de l’échocardiographie nécessitent un apprentissage et un matériel qui peuvent faire
défaut.

Question 5
Limites des indices dynamiques.
Les différents indices dynamiques ne sont validés que chez des patients en
ventilation contrôlée, parfaitement adaptés au ventilateur, sans ventilation spontanée, et
sans arythmie cardiaque. Dans une étude observationnelle chez 60 patients de
réanimation, De Backer et al ne retrouvait plus de valeur prédictive au ΔPP lorsque les
patients étaient ventilés avec un volume courant inférieur à 8 ml/kg [15]. Cependant,
Huang et al ont montré qu’une valeur de ΔPP > 12 % conservait une bonne valeur
prédictive chez les patients en syndrome de défaillance respiratoire aigue (SDRA) ventilés
avec un VT < 8ml/kg [16]. Plus que le volume courant, il semble que ce soit le régime de
pression auquel est soumis le volume sanguin intra thoracique qui soit important.
Il a été suggéré que l’existence d’une insuffisance ventriculaire droite ou gauche
soit un facteur susceptible d’induire des faux positifs de critères basés sur les variations
respiratoire de la précharge ventriculaire. Reuter et al ont montré que les variations
respiratoires du VES conservaient une bonne valeur prédictive, même en cas de
dysfonction myocardique [17]. En revanche, Mahjoub et al. ont montré qu’un faux positif
d’un ΔPP > 12 % était significativement associé avec une dysfonction ventriculaire droite
échocardiographique [18].

Question 6
Le lever de jambes passif.
Comme nous l’avons vu, un certain nombre de situations ne permet pas
l’interprétation d’une variabilité respiratoire de critères dynamiques, comme l’absence de
ventilation contrôlée ou l’arythmie cardiaque. Dan ces situations, une augmentation du
débit cardiaque au cours d’une manœuvre de lever de jambes passif est une alternative
séduisante permettant de prédire une réponse prédictive au remplissage vasculaire. Le
lever de jambes passif est une manœuvre réversible mobilisant le volume sanguin des
membres inférieurs vers le compartiment intra thoracique, augmentant la précharge du VG
et du VD [19]. Une augmentation du débit cardiaque mesurée par doppler œsophagien
après lever de jambes passif permet de prédire une réponse positive au remplissage,
même chez des patients en ventilation spontanée ou en arythmie cardiaque [20].

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