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02/11/2020 Quand la vie nous fragilise

Dossier : L'estime de soi

Quand la vie nous fragilise


Anne-Claire Thérizols, journaliste indépendante
Mensuel N° 330 - Novembre 2020

Article mis à jour le 14/10/2020

Essentielle pour vivre en paix avec soi-même et les autres, l’estime de soi est pourtant sans cesse remise en question par les épreuves de la
vie. Pourquoi ? Comment garder le cap ?

L’estime de soi est-elle définitivement acquise à l’âge adulte ? Rien n’est moins sûr. S’accepter tel que l’on est, accueillir et savoir gérer ses
émotions, être capable d’aller vers les autres sans peur de négocier avec eux, être apte à dire non, faire face aux conflits sans y laisser sa
santé morale, accepter la réalité…, autant de défis à relever pour entretenir une bonne estime de soi.

Pour Christophe André et François Lelord, psychiatres et psychothérapeutes auteurs de L’Estime de soi. S’aimer pour mieux vivre avec les
autres (1999), une bonne estime de soi veut avant tout dire s’aimer malgré ses défauts et ses limites, malgré les échecs et les revers,
« simplement parce qu’une petite voix intérieure nous dit que l’on est digne d’amour et de respect ». Et cet amour de soi inconditionnel, en
grande partie dû à celui que nos parents nous ont offert dans l’enfance – et à ne surtout pas confondre avec un quelconque sentiment de
supériorité aux autres – explique que l’on puisse résister à l’adversité et se reconstruire après un échec. « Cet amour n’empêche ni la
souffrance ni le doute en cas de difficultés mais il protège du désespoir », précisent encore les auteurs.

On comprend dès lors que plus l’estime de soi d’un individu est haute, plus il passera les épreuves facilement et que plus elle est basse, plus
il sera fragile face aux événements difficiles. Et comme cette estime de soi qui se construit dans l’enfance est notre socle pour la vie, on est
plutôt bien armé quand l’amour a accompagné notre naissance et notre développement. C’est notre garantie fluctuat nec mergitur !

Il n’empêche, certains événements, dans tous les domaines, peuvent faire vaciller notre estime de soi. Rosette Poletti et Barbara Dobbs,
expertes de la santé holistique et auteures de Je m’estime (2017), le confirment : « L’estime de soi est une valeur fragile et changeante qui
augmente lorsque nous vivons en respectant nos propres valeurs et qui diminue chaque fois que notre comportement n’est pas cohérent avec
elles. » On imagine aisément que bien des circonstances mettent au défi notre estime de nous-mêmes quand il faut, pour des raisons de
survie professionnelle ou de sérénité familiale par exemple, dire oui quand on pense non !

L’enfer, c’est les autres ?


Devenu adulte, chacun est confronté à une multitude de situations qui peuvent l’ébranler. Chacun se trouve exposé au jugement d’autrui
dans les différents domaines au sein desquels s’inscrivent ses interactions sociales. Edward Deci et Richard Ryan (1), professeurs de
psychologie sociale, ont établi la théorie de l’autodétermination, selon laquelle il existe deux types de motivation : la motivation intrinsèque,
qui nous fait agir sans influence extérieure et sans attendre de récompense autre qu’une satisfaction personnelle, et la motivation
extrinsèque qui nous pousse à nous engager dans une activité sans que l’on y porte d’autre intérêt que d’en retirer quelque chose de
plaisant ou d’éviter quelque chose de déplaisant. Les exemples ne manquent pas qui illustrent cette théorie : accepter un travail qui nous
motive peu parce qu’il promet une belle rémunération, rendre un service qui nous pèse pour ne pas perdre une amitié ou encore nous plier
aux injonctions sociales du moment pour ne pas nous marginaliser.

Quid alors de nos propres valeurs, qui renforcent notre estime de nous-mêmes quand nous les respectons ? De la même manière, E. Deci et
R. Ryan distinguent deux niveaux dans la valeur que chacun s’attribue : l’estime de soi authentique, qui ne dépend pas d’événements
conjoncturels et ne demande pas à être boostée par un quelconque jugement extérieur, et l’estime de soi contingente ou réactionnelle qui
résulte essentiellement des normes sociales (2). Et réconcilier ces deux formes est évidemment délicat. Les relations amoureuses que nous
nouons devenus adultes sont-elles un rempart à la menace sociale qui pèse sur notre estime de nous-mêmes ? Freud disait : « Dans la vie
amoureuse, ne pas être aimé rabaisse le sentiment d’estime de soi, être aimé l’élève. » C. André et F. Lelord insistent sur ce point : « Du flirt à la
liaison durable, du conflit conjugal à la rupture, tous les aspects de notre vie sentimentale entretiennent des liens très forts avec l’estime de soi…
La carte du tendre ressemble plus souvent à un triste champ de bataille qu’à un jardin bucolique. Vouloir séduire, c’est prendre des risques, car
nous donnons la possibilité à autrui de nous rejeter. Et aucun être humain n’est capable de rester indifférent au rejet. »

Et puis il y a la vie de couple. Le couple, le mariage, ce n’est pas l’assurance de se sentir mieux dans sa peau, plus sûr de soi, de s’estimer
davantage. Une étude (3) montre que les personnes qui se jugent favorablement ont en général des conjoints qui les jugent de la même
façon. Au contraire, les personnes qui ont un regard négatif sur elles-mêmes ont en général des conjoints qui les dévalorisent. Et dans le cas
d’unions malheureuses, par exemple avec un pervers narcissique, qui passera son temps à dévaloriser l’autre parce qu’il a lui-même une
faible estime de soi, l’équilibre vacillera à coup sûr.

La confiance à marée basse


Bien d’autres domaines peuvent fragiliser notre assurance, notre confiance en nous : la vie professionnelle, les relations amicales qui
tournent mal, les ratages en tous genres, en regard des objectifs que l’on s’était fixés. « Trop d’échecs à répétition peuvent ébranler l’estime de
soi. On se replie, on perd confiance, on ne va plus vers les autres et c’est un cercle vicieux. On a peur d’un nouvel échec qui provoquerait un

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jugement négatif. Et puis on finit par s’identifier à l’échec et par se considérer comme nul. Et le danger est une certaine paralysie. On ne veut
plus agir qu’à coup sûr et l’on finit par renoncer à agir », explique C. André, également auteur de Imparfaits, libres et heureux, (2006), ouvrage
qui fait encore largement autorité sur le sujet.

Quand l’estime de soi baisse, c’est tout l’équilibre qui tangue, jusqu’à parfois mener à la dépression. Et il est préférable de ne pas en arriver
là car les études tendent à confirmer qu’après un premier épisode dépressif, la persistance d’un bas niveau d’estime de soi malgré une
amélioration apparente augmente nettement le risque de récidives ultérieures (4). Les addictions, les phobies et la dépendance affective font
aussi partie de la cohorte de troubles qu’une faible estime de soi peut à terme entraîner.

Comment s’aperçoit-on que l’on souffre d’un manque d’estime de soi ? Le psychiatre Nicolas Neveu, auteur de Pratiquer la TIP. Thérapie
interpersonnelle (2017), cite comme symptômes les plus courants une timidité excessive, voire une phobie sociale, l’évitement des situations
de conflit, la difficulté à affirmer une opinion personnelle différente de celle du plus grand nombre, la culpabilité, l’incapacité à faire
respecter ses droits, la tendance à se sentir nul, la difficulté à accepter un compliment comme une critique, la crainte d’être moins bon que
les autres et la tendance à se comparer en permanence. S’y ajoute bien souvent l’anxiété de performance, autrement dit la peur d’échouer
face à un objectif, qui peut être très paralysante, entraînant des difficultés à se concentrer, à réfléchir, à profiter du moment présent.

Changer son rapport à soi et aux autres


Comment soigner son estime de soi au quotidien pour ne pas se laisser déborder ? C. André et F. Lelord, tout en reconnaissant qu’une
estime de soi basse ne se remonte qu’au prix d’efforts et à la faveur du temps qui fait son œuvre, donnent quelques clés pour y arriver dans
trois champs précis : le rapport à soi, le rapport à l’action et le rapport aux autres. Premières exigences à avoir en termes de rapport à soi-
même : se connaître, s’accepter et être honnête avec soi-même, ce qui constitue déjà un vaste programme. Les personnes à basse estime
d’eux-mêmes ou qui traversent une période qui met à mal leur estime d’eux-mêmes agissent moins que les autres et, du coup, ont
mathématiquement moins de chances de voir leurs actions, moins nombreuses, les valoriser. Remède : agir, faire taire le critique intérieur et
accepter l’échec. Hautement impliqué aussi dans l’estime de soi, le rapport aux autres. Dans ce domaine, trois mots d’ordre pour progresser :
s’affirmer, être empathique et s’appuyer sur le soutien social. Au travail !

Prévenir et guérir
Bien des thérapies permettent de soigner son estime de soi. Mais chacun peut aussi faire un travail individuel sur ses émotions et ses
réactions. C. André et F. Lelord proposent des questions simples à se poser et à poser par écrit pour plus d’efficacité encore : définir ce que
l’on aime et ce que l’on n’aime pas, comment on en parle aux autres et comment on accepte que ces autres aient des points de vue
différents ; se demander quels sont les domaines où l’on a plus de connaissances et de compétences que la moyenne des gens, comment on
s’y prendrait pour apprendre des choses aux autres et se demander si l’on oserait poser des questions aux autres dans les domaines que l’on
ne connaît pas ; s’interroger sur sa capacité à évoquer ses échecs sans se dévaloriser et à parler de ses succès sans avoir le sentiment de se
vanter. Ensuite, se poser pour réfléchir à ses défauts et ses qualités : quels sont-ils selon nous et sommes-nous capables d’en parler sans
nous gonfler d’ego ou au contraire sans nous lamenter ?

Bien évidemment, ces questionnements ne sont pas toujours sans douleur et demandent à être honnête vis-à-vis de soi. Mais
l’autodiagnostic permet de mieux se connaître et de comprendre quels sont les points à améliorer pour mieux s’estimer. Une fois ce « bilan »
fait, on pourra mettre ses ressentis négatifs à distance et s’autoriser à agir… En conscience ! Et les plus petits actes de la vie quotidienne,
quand on les accomplit, permettent de booster l’estime de soi : cette pile de repassage dont on vient enfin à bout après l’avoir laissée traîner
des semaines, cette ampoule que l’on finit par changer, cette paperasse qui s’accumulait et à laquelle on ose s’attaquer… Autant d’actes a
priori banals mais qui sont « la gymnastique d’entretien de l’estime de soi », formulent joliment C. André et F. Lelord.

Une faible estime de soi, un avantage ?


Avoir une estime de soi un peu faible pourrait présenter des avantages, notamment dans la vie en collectivité. C’est ce qu’indiquent les
psychiatres et psychothérapeutes Christophe André et François Lelord (L’Estime de soi. S’aimer pour mieux vivre avec les autres, 2011).

Selon eux, les personnes qui ont une faible estime d’elles-mêmes seraient mieux acceptées par les autres. Elles feraient davantage de
concessions. Leur présentation souvent modeste faciliterait la relation avec autrui.

Les personnes à faible estime d’elles-mêmes seraient aussi plus à l’écoute et plus soucieuses des critiques qu’on leur adresse. Leur
humilité permettrait ainsi d’éviter des conflits interpersonnels.

Attention toutefois, une estime de soi trop faible amène à craindre le jugement des autres et peut empêcher d’agir. Bref, ces avantages
se limitent aux cas des ego un peu modestes, mais pas trop !

Maud Navarre

Également dans le dossier


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02/11/2020 Quand la vie nous fragilise

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NOTES

(1) Edward Deci et Richard Ryan, Intrisic Motivation and self-Determination in Human Behaviour, Plenum, 1985.
(2) Voir Daniel Alaphilippe, « Évolution de l’estime de soi chez l’adulte âgé », Psychologie et Neuropsychiatrie du vieillissement, vol. VI,
n° 3, septembre 2008.
(3) William Swann Jr, Gregory Hixon et Chris De La Rond, « Embracing the bitter “truth”. Negative self-concept and marital
commitment », Psychological Science, vol. III, n° 2, 1992.
(4) D. Pardoen, « Self-esteem in recovered bipolar and unipolar outpatients », Bristish Journal of Psychiatry, vol. CLXIII, n° 6,
décembre 1993.

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