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Revue française de science

politique

Lipset (Seymour Martin), Bendix (Reinhard) - Social mobility in


industrial society
Monsieur Alain Touraine

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Touraine Alain. Lipset (Seymour Martin), Bendix (Reinhard) - Social mobility in industrial society. In: Revue française de
science politique, 11ᵉ année, n°1, 1961. pp. 195-197;

https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1961_num_11_1_392615_t1_0195_0000_001

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Notes Bibliographiques

tout bien considéré, par des contrastes démographiques du passé? A vrai dire,
consciemment ou non, quiconque, à la suite d'André Siegfried, a étudié les
problèmes que pose la géographie des élections françaises, a fait par là même
plus ou moins de démographie. Le livre de Pierre George contribuera
utilement à rendre systématiques les relations entre les deux disciplines.
Mais la démographie pose également à la science politique des questions
que celle-ci, livrée à elle-même, risquerait de négliger : je pense à la recherche
des facteurs d'ordre politique par lesquels peuvent s'expliquer certains faits
d'ordre démographique, comme, pour n'en citer qu'un exemple, les variations
géographiques dans les taux de mortalité infantile. Il saute aux yeux que ces
variations sont en rapport avec les disparités des niveaux de vie et de
l'équipement sanitaire, et la science politique se devrait de rechercher les causes
politiques de ces disparités.
La typologie démographique des Etats contemporains fait enfin ressortir
de façon éclatante le contraste entre les puissances à population équilibrée, qui
sont le plus souvent celles qui disposent de la part la plus grande des ressources
matérielles actuellement existantes, et ces puissances à population en expansion
parfois très rapide, dont la plupart sont au contraire économiquement
déshéritées. Il peut y avoir dans ce contraste matière à interprétation des problèmes
de relations internationales en même temps qu'à prévision des difficultés à
venir.
La science politique se doit donc, à tous égards, d'entretenir d'étroites
relations avec la démographie. Elle doit être reconnaissante à Pierre George
de lui faciliter la prise de conscience de cette nécessité en même temps qu'il
lui rend plus aisé d'en tenir compte.
François Goguel

LIPSET (Seymour Martin). BENDIX (Reinhard) — Social


mobility in industrial society. — Berkeley, Los Angeles,
University of California press, 1959. 24 cm, xxn-309 p.. fig. $ 5.00.
Egalement : London, Heinemann, 1959. 22 cm, xxn-309 p., fig.
30 s.
La mobilité sociale a généralement été traitée par la sociologie comme un
mécanisme dérivé de la stratification sociale, et même comme l'expression du
contrôle exercé par les classes dominantes sur les possibilités d'ascension sociale.
La transmission héréditaire de la propriété, le monopole de fait de
l'enseignement, d'abord secondaire, puis maintenant seulement supérieur, la formation de
normes de conduite caractéristiques du « gentleman », de l'honnête homme ou du
bourgeois, c'est-à-dire des catégories socialement dominantes, apparaissent comme
autant de facteurs d'immobilité sociale, qui élèvent ce que D. Glass a nommé
l'indice d'association (pourcentage des fils entrant dans la même catégorie
socioprofessionnelle que leur père) . Cette thèse, qui n'est assurément pas entièrement
fausse, semble rendre compte en particulier des différences considérables de
mobilité sociale que l'on observe entre l'U.R.S.S. et les pays occidentaux (avec

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la réserve que les seuls chiffres disponibles pour l'U.R.S.S. sont ceux qui ont
été calculés par l'Université Harvard à partir de son étude sur les réfugiés).
Mais ce point lui-même était susceptible de recevoir une interprétation
différente. On peut dire que la forte mobilité sociale soviétique est le fait d'un pays
en rapide industrialisation et que le régime social n'a donc d'effets qu'indirects,
en ce qu'il permet cette industrialisation. Cette idée semble corroborée par la
comparaison, qui s'appuie sur des chiffres plus nombreux et plus sûrs, des
Etats-Unis et des pays d'Europe occidentale.
Alors que l'on oppose l'Amérique ouverte à l'Europe fermée, la facilité du
passage « from Rags to Riches >x à l'exclusivisme oxonien ou cantabre, les
chiffres montrent que les taux de mobilité sociale ne sont pas plus élevés aux
Etats-Unis qu'en Grande-Bretagne, en France ou en Allemagne. Si l'on néglige
provisoirement la question de l'origine de l'idéologie égalitaire des Etats-Unis.
le fait essentiel apparaît : dans tous les pays industriels, la « structure of
opportunities » subit une évolution comparable et qui ne peut pas être
considérablement faussée par les différences qui apparaissent d'un pays à l'autre dans le
comportement démographique différentiel des diverses catégories sociales.
Une conséquence importante de ce changement de perspective est qu'il ouvre
la voie à une psycho-sociologie de la mobilité. On admettait implicitement que
les individus cherchaient tous à s'élever, mais étaient freinés ou arrêtés par
les barrières qu'ils rencontraient. Les observations de Lipset et de Bendix, qui
confirment les résultats déjà présentés par D. Glass et ses collaborateurs,
conduisent au contraire à reconnaître une certaine liberté de mouvement, certaines
chances de mobilité définies par la situation économique, et à rechercher les
raisons pour lesquelles un individu les utilise ou non.
Le problème plus général et plus grave encore des conséquences de la
mobilité se trouve ainsi posé d'une manière nouvelle. Dans la perspective
ancienne, il était simple : plus la mobilité est importante, et plus la société est
« intégrée », « harmonisée », « démocratique ».
L'établissement de liens moins chargés de valeur entre la mobilité et la
structure économique permet de considérer la mobilité comme une forme du
changement social, créatrice de tensions autant que solution de problèmes. Plus
la mobilité est grande et plus est ressenti durement l'échec, plus se développent
des comportements de retrait — religieux, familiaux, professionnels — qui
transmutent l'échec en rêve. C'est aussi dans les sociétés en forte mobilité, donc en
industrialisation rapide, que les tensions entre les classes sociales sont les plus
vives et qu'est le plus affaibli l'ordre social traditionnel. Reprenant des
remarques de Galenson, les auteurs rappellent que l'industrialisation de la Norvège
fut plus brutale que celle de la Suède et celle-ci que celle du Danemark, et
que l'importance de l'extrême-gauche fut pour cette raison plus forte en
Norvège qu'en Suède, et en Suède qu'au Danemark.
Ce livre est un de ceux que les sociologues français peuvent lire avec
le plus de profit : il marque un progrès de l'information et un renouvellement
des concepts. Ses insuffisances mêmes augmentent son intérêt ; une voie est
ouverte, mais encore mal décrite.

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Notes Bibliographiques

Et d'abord, la documentation est insuffisante. Si Lipset et Bendix ont raison


de souligner tout le parti qui peut être tiré d'une relecture d'enquêtes d'opinion
lancées sur d'autres thèmes et qui, chemin faisant, sans même que leurs auteurs
l'aient exactement voulu, apportent quantité d'informations essentielles sur la
stratification et la mobilité sociale, il reste qu'une analyse organisée des
documents de recensement ou qu'une enquête ad hoc sont indispensables pour définir
avec précision les phénomènes étudiés.
L'étude plus attentive de documents plus complets ne permet certainement
pas d'accepter dans sa simplicité la solution de Lipset et Bendix, la séparation
radicale qu'ils introduisent entre le taux réel de la mobilité, commandé par
l'industrialisation, et les idées sur la mobilité, déterminées au contraire par les
caractères de la stratification sociale et des institutions de la société considérée.
Les documents présentés par S.M. Miller à la quatrième conférence du
sous-comité spécialisé de l'Association internationale de sociologie (à Pérouse,
en septembre 1959) sont caractéristiques à cet égard. Les très grandes
différences que l'on observe dans le recrutement des dirigeants sociaux comme dans
la mobilité de masse (des manuels aux non-manuels) d'un pays occidental à
l'autre montrent clairement que la vitesse ou le retard de l'industrialisation ne
sont pas seuls en cause et qu'il faut considérer le degré de rigidité d'une société,
la nature et la solidité des garants institutionnels et culturels de la hiérarchie
sociale, etc.
Ces remarques ne sont probablement pas en contradiction avec la pensée
des auteurs. Mais leur entreprise était surtout critique ; ils se souciaient
davantage de rompre avec de vieux mythes ; ils y ont indiscutablement réussi. Il reste
à organiser maintenant des analyses qui soient fidèles à l'inspiration de ce
livre, même si elles conduisent souvent à corriger ses conclusions.

Alain Touraine

Relations Internationales

BRUNSCHWIG (Henri) — Mythes et réalités de


l'impérialisme colonial français. 1871-1914. — Paris, A. Colin (1960).
19 cm, 206 p., fig., tabl., carte. Bibliogr.
Remarquablement dense et clair, d'une construction rigoureuse, d'une
érudition dominée avec maîtrise, le dernier livre d'Henri Brunschwig intéresse
autant l'histoire des idées politiques que l'histoire de la colonisation. Ce livre
a pour objet de démontrer que les causes économiques de l'expansion coloniale
française sont généralement surestimées : « C'est dans la poussée de fièvre
nationaliste consécutive aux événements de 1870-1871 qu'il faut rechercher la vraie
cause de l'expansion» (p. 185).
H. Brunschwig dénonce un certain nombre d'idées reçues. Ce n'est pas,
affirme-t-il, la recherche des débouchés qui a été à l'origine de l'impérialisme

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