Vous êtes sur la page 1sur 3

e 25 décembre 1991, le monde abasourdi apprenait la disparition de

l’Union des républiques socialistes soviétiques, que l’on considérait


comme l’autre super-puissance mondiale. En effet, des quinze républiques
qui la constituaient (à l’origine, en 1922, elles étaient douze), celle qui était
de loin la plus importante, la Russie – ou plus exactement ses dirigeants –
faisait sécession, ce qui mettait fin à cette union. Alors que, de toute
évidence, les Russes y étaient largement dominants, ne serait-ce qu’avec
plus de la moitié de la population et les trois quarts du territoire, c’est soi-
disant pour assurer l’« indépendance de la Russie » que le président russe
Boris Eltsine et deux compères – eux aussi présidents, l’un d’Ukraine,
l’autre de Biélorussie – avaient proclamé le 8 décembre la dissolution de
l’Union soviétique.
2Le plus étonnant pour l’opinion internationale fut que cette décision
d’allure surréaliste, voire ubuesque, ne suscita pratiquement pas
d’opposition, même parmi les vingt millions de membres du Parti
communiste. L’un des rares à protester fut Mikhaïl Gorbatchev, qui était
devenu en 1990 président de l’URSS. Il était mondialement célèbre et
apprécié pour être parvenu, en tant que secrétaire général du Parti
communiste de l’Union soviétique, à mettre fin à la guerre froide en 1989,
mais en URSS il était devenu très impopulaire. En effet, la perestroïka, la
restructuration qu’il avait entreprise en 1985 pour sortir le régime
soviétique de sa profonde ankylose, avait complètement désorganisé le
système économique et entraîné de graves conséquences pour la majorité
des gens. Les mesures que Gorbatchev avait voulu prendre pour tenter de
réduire le fléau qu’est devenu l’alcoolisme en Russie ont contribué aussi à
son impopularité.
3Dix ans ont passé et l’on a vu nombre des membres de l’appareil
communiste mettre en vente, pour leur plus grand profit personnel, les
moyens de production et notamment les mines et les usines dont ils avaient
la gestion au nom du socialisme. On a peu à peu découvert dans quel état
de délabrement était tombé ce grand pays, hormis l’appareil militaro-
industriel. Mais on s’est aussi rendu compte du degré inouï de corruption
de ses nouveaux (et anciens) dirigeants et de la puissance des mafias qu’ils
patronnent. On a vu ce qui avait été la plus grande armée du monde être
incapable, malgré des années de combats, de mettre un terme dans le
Caucase, en Tchétchénie, à la sédition d’un peuple de moins de 500 000
personnes qui se réclament de plus en plus des mouvements islamistes. En
1998, les spéculations bancaires sur les biens privatisés ont presque conduit
à la banqueroute, et la Russie dut plus encore quémander le soutien
financier de l’Occident. En 1999, c’est seulement de façon verbale qu’elle
put exprimer son opposition à l’intervention de l’OTAN au Kosovo et
contre la Serbie. La Russie était presque devenue la risée de l’opinion
internationale, ne serait-ce qu’en raison de l’intempérance quasi publique
de son président.
4Gravement malade, Boris Eltsine a démissionné subitement le 31
décembre 1999, alors que l’on se souciait surtout de la guerre en
Tchétchénie, et il eut cependant la bonne idée d’introniser pour assurer
l’intérim son nouveau Premier ministre Vladimir Poutine, un homme
efficace, jeune et discret. Celui-ci sera élu en mars 2000, avec une
appréciable majorité, alors que les combats continuent en Tchétchénie. Une
de ses premières décisions fut d’écarter du Kremlin la fille d’Eltsine : en
tant que conseillère spéciale de la présidence, elle représentait le poids
d’un clan familial qui s’était attribué de considérables avantages financiers
tant en Russie qu’à l’étranger.
5Dix ans ont passé et avec ce nouveau président, dont l’allure et l’autorité
sont très différentes du précédent (Poutine a été formé dans les services
extérieurs du KGB en Allemagne), des changements commencent à se
produire. Certes, la guerre continue en Tchétchénie, et la presse occidentale
ne manque pas d’en accuser Poutine et la Russie. Mais les « oligarques »
ne peuvent plus autant placer à l’étranger les profits fournis par
l’exportation du pétrole et du gaz, et les grands barons qui s’étaient fait
élire dans les régions ne peuvent plus se comporter en potentats ni faire fi
de l’unité nationale. Pour tirer parti de la position continentale que lui vaut
son immense territoire, la Russie mène une grande politique de
coopération, en matière de transport de pétrole et de gaz, avec les pays de
la CEI, la Communauté des États indépendants, c’est-à-dire la plupart des
ex-républiques soviétiques (voir ci-après l’article de Jean Radvanyi). Les
firmes pétrolières américaines associées aux Saoudiens avaient jusqu’alors
manœuvré pour que le tracé des canalisations par lesquelles vont se faire
les exportations de pétrole et de gaz d’Asie centrale évite le territoire de la
Russie, afin de la mettre hors jeu. Mais les transformations géopolitiques
qu’ont provoquées les attentats terroristes du 11 septembre 2001 à New
York, semblent devoir modifier profondément les relations stratégiques
entre la Russie et les États-Unis. Encore faut-il que Poutine puisse imposer
à ses généraux les risques de cette politique de collaboration avec les
Américains en Asie centrale.
6Pour faire le bilan des changements qu’a connus la Russie dans les dix
années qui ont suivi la disparition de l’Union soviétique, il faut d’abord
comprendre les véritables causes de la dislocation de cet immense État.
Puis il faudra essayer de comprendre cette guerre de Tchétchénie dont les
Russes comme l’opinion internationale se soucient fort, en dépit de la
petitesse de ce territoire au regard de l’immensité de la Russie.

Vous aimerez peut-être aussi