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Aphtes et aphtoses
L. Vaillant, A. Bernez
Les aphtes sont des ulcérations muqueuses, douloureuses, généralement observées dans la bouche, plus
rarement dans la région génitale. Elles apparaissent soit isolées et ponctuelles, soit multiples et
récidivantes définissant, dans ce dernier cas, l’aphtose. Le diagnostic est basé sur l’anamnèse et l’examen
clinique, complété, en cas de nécessité, par l’exclusion des diagnostics différentiels. Ceux-ci sont
nombreux, groupant les affections de toute origine (infectieuse, médicamenteuse, néoplasique, auto-
immunitaire, traumatique...) s’exprimant par une bulle (ou des vésicules) ou une ulcération (ou des
érosions). L’aphte montre une prédisposition familiale ; divers facteurs alimentaires, infectieux,
médicamenteux... peuvent déclencher les poussées. L’aphtose est associée à des affections gastro-
intestinales (maladie cœliaque, rectocolite ulcérohémorragique et maladie de Crohn), des déficiences
nutritionnelles (fer, folates, vitamines, zinc...), des désordres immunitaires (infection par le virus de
l’immunodéficience acquise, neutropénies). La maladie de Behçet est une affection inflammatoire,
chronique et récidivante, dont l’expression principale est une aphtose bipolaire récidivante. Le traitement
des aphtes est symptomatique. Les traitements locaux (anesthésiques, corticoïdes locaux et sucralfate)
sont utilisés en première intention. En cas d’aphtose, un traitement systémique (colchicine) est associé
aux traitements locaux. Le thalidomide, de grande efficacité, est réservé aux aphtoses sévères, en raison
de ses effets secondaires.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Aphte ; Aphtose ; Maladie de Behçet ; Ulcération orale ; Traitement des aphtes
Clinique
■ Introduction L’aphte est une ulcération douloureuse survenant par pous-
L’ulcération buccale est une perte de substance muqueuse, sées. L’aphte peut siéger n’importe où dans la bouche, préféren-
dépassant la membrane basale (touchant épithélium et cho- tiellement sur la joue ou la langue (Fig. 1). Il débute par une
rion). L’aphte n’est qu’une forme particulière d’ulcération de la sensation de cuisson, puis apparaît une tache érythémateuse.
Diagnostic (Fig. 4)
L’aphte est une ulcération nécrotique et inflammatoire dont
. le diagnostic n’est que clinique ; aucun examen biologique
n’aide au diagnostic. La biopsie n’a pas d’intérêt diagnostique,
car elle montre rarement une vascularite, et plus souvent une
ulcération non spécifique. Contrairement à une idée reçue, le
diagnostic d’aphte est difficile, souvent porté par excès. Un
aphte peut être facilement confondu avec une ulcération
buccale, une érosion douloureuse (en particulier un érythème
. polymorphe, un lichen plan, un pemphigus) et toutes les
infections orales (Tableau 1). Aussi, un examen clinique complet
Figure 1. Aphte de la langue (collection professeur L. Vaillant). est nécessaire devant toute poussée d’aphtes pour rechercher des
lésions cutanées ou muqueuses orientant vers un autre diagnos-
tic. En pratique, il faut éliminer les infections virales (en
particulier l’herpès récidivant) (Fig. 5, 6). La récidive des lésions
toujours au même endroit de la muqueuse buccale doit faire
. suspecter l’infection herpétique, qui peut être confirmée par la
mise en culture du prélèvement virologique d’une lésion
récente.
“ Point fort
• L’aphte est une forme particulière d’ulcération buccale.
Figure 2. Aphte de la joue (collection professeur L. Vaillant).
Seule la présence d’un fond jaunâtre et d’un halo
inflammatoire permet d’affirmer le diagnostic d’aphte. En
leur absence, il faut éliminer les causes d’érosions et
d’ulcérations buccales.
Ulcérations buccales
Aphtes
Bactéries
Tableau 1.
Aphtes : diagnostic différentiel.
Ulcération unique
Traumatisme
Carcinome épidermoïde
Infections (syphilis, tuberculose, mycoses profondes telle l’histoplas-
mose)
Sialométaplasie nécrosante
Ulcérations multiples
Érythème polymorphe
Herpès (primo-infection et récurrences)
Herpangine, varicelle, zona Figure 5. Herpès buccal récidivant (collection professeur L. Vaillant).
Syndrome pieds-mains-bouche
Cytomégalovirus
Syndrome de Stevens-Johnson
Lichen érosif
Pemphigus, pemphigoïde cicatricielle
Vascularites, lupus
Thalidomide
Aphtose buccale récurrente (3 fois/an) observée par clinicien
+ deux des quatre critères suivants : Le thalidomide a une efficacité souvent spectaculaire (amé-
- aphtes génitaux récurrents lioration importante dans 100 % des cas, et rémission complète
- lésions oculaires : uvéite antérieure, postérieure, vascularite réti-
dans 48 % versus 8 %, à la posologie de 100 mg/j pendant
nienne 2 mois) [27].
- lésions cutanées : érythème noueux, pseudofolliculite, nodules ac-
La limitation de l’utilisation du thalidomide est liée à la
néiformes fréquence et à l’importance de ses effets secondaires observés
dans 97 % des cas [27]. Ces effets secondaires sont une somno-
- pathergy test (hypersensibilité au point de piqûre) : lu par clinicien
entre 24 et 48 heures
lence (nécessitant sa prise en une fois le soir au coucher),
parfois constipation, céphalées, diminution de la libido,
Sensibilité : 91 % Spécificité : 96 %
vertiges, troubles visuels et augmentation de l’appétit. Le
.
Tableau 6.
Traitement préventif des aphtoses récurrentes (études de la littérature comprenant plus de 20 malades).
Traitement Amélioration Effets Étude contrôlée Auteurs Nombre de patients
importante secondaires O = oui, N = non
Thalidomide 100 % 98 % O Revuz 1990 73
Colchicine 63 % 18 % N Fontes 2002 54
Étanercept p < 0,05 O Melikoglu 2005 40
Azathioprine 75 % 23 % - Yazici 1990 34
Ciclosporine 70 % 94 % O Masuda 1989 34
Sucralfate 85 % 0% O Alpsoy 1999 26
Pentoxifylline 54 % 8% N Chandrasekkar 1999 24
Interféron 65 % 100 % O Alpsoy 2002 23
Tableau 7.
Différents médicaments utilisés dans le traitement préventif des aphtoses.
Molécules Action Nom commercial Contre-indications
Posologie
Colchicine Inhibition du chimiotactisme des polynucléaires Colchicine Houdé® Insuffisance hépatique sévère
1 mg = 1cp/j Insuffisance rénale sévère
Colchimax® Grossesse
1 mg = 1 cp/j
Dapsone Action sur les polynucléaires Disulone® Déficit en G-6-PD
100 mg/j Insuffisance hépatique sévère
Corticoïdes Anti-inflammatoire Cortancyl® Celles de la corticothérapie
0,5 à 1 mg/kg/j
Thalidomide Anti-inflammatoire (anti-TNF) Thalidomide Grossesse
50 à 100 mg/j Neuropathie
G-6-PD : glucose-6-phosphate déshydrogénase ; TNF : tumor necrosis factor.
qui se voit surtout pour les doses supérieures à 2 mg/j. Au long même médicament au palier posologique précédemment
cours, le risque de leucopénie, voire d’agranulocytose, de employé. Une nouvelle tentative d’arrêt est effectuée 3 à 6 mois
thrombopénie ou d’anémie est exceptionnel ; il justifie la plus tard.
pratique d’une NFS, initialement, après 1 à 3 mois, puis tous les
3 à 6 mois. Des cas exceptionnels de neuropathie périphérique,
de myopathie, d’aménorrhée et d’alopécie ont été rapportés. Les
contre-indications sont les insuffisances hépatiques et rénales
sévères, et la grossesse est déconseillée.
“ Point fort
Dapsone Une aphtose buccale récidivante a souvent un fort
retentissement sur la qualité de vie, ce qui impose un
La dapsone (Disulone®) a un mécanisme d’action similaire à traitement préventif des poussées. Le traitement de
celui de la colchicine. Les effets secondaires sont une hémolyse première intention est la colchicine.
(constante), mais avec un retentissement variable sur le taux
d’hémoglobine, et parfois une méthémoglobinémie. En début .
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Toute référence à cet article doit porter la mention : Vaillant L., Bernez A. Aphtes et aphtoses. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos,
1-0270, 2009.