Vous êtes sur la page 1sur 7

¶ 1-0270

Aphtes et aphtoses
L. Vaillant, A. Bernez

Les aphtes sont des ulcérations muqueuses, douloureuses, généralement observées dans la bouche, plus
rarement dans la région génitale. Elles apparaissent soit isolées et ponctuelles, soit multiples et
récidivantes définissant, dans ce dernier cas, l’aphtose. Le diagnostic est basé sur l’anamnèse et l’examen
clinique, complété, en cas de nécessité, par l’exclusion des diagnostics différentiels. Ceux-ci sont
nombreux, groupant les affections de toute origine (infectieuse, médicamenteuse, néoplasique, auto-
immunitaire, traumatique...) s’exprimant par une bulle (ou des vésicules) ou une ulcération (ou des
érosions). L’aphte montre une prédisposition familiale ; divers facteurs alimentaires, infectieux,
médicamenteux... peuvent déclencher les poussées. L’aphtose est associée à des affections gastro-
intestinales (maladie cœliaque, rectocolite ulcérohémorragique et maladie de Crohn), des déficiences
nutritionnelles (fer, folates, vitamines, zinc...), des désordres immunitaires (infection par le virus de
l’immunodéficience acquise, neutropénies). La maladie de Behçet est une affection inflammatoire,
chronique et récidivante, dont l’expression principale est une aphtose bipolaire récidivante. Le traitement
des aphtes est symptomatique. Les traitements locaux (anesthésiques, corticoïdes locaux et sucralfate)
sont utilisés en première intention. En cas d’aphtose, un traitement systémique (colchicine) est associé
aux traitements locaux. Le thalidomide, de grande efficacité, est réservé aux aphtoses sévères, en raison
de ses effets secondaires.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Aphte ; Aphtose ; Maladie de Behçet ; Ulcération orale ; Traitement des aphtes

Plan muqueuse buccale [1]. Aphtes et ulcérations buccales constituent


un motif fréquent de consultation en pathologie quotidienne.
¶ Introduction 1 Toute perte de substance de la muqueuse buccale est souvent
qualifiée, à tort, d’aphte. De plus, en bouche, il est souvent
¶ Diagnostic des aphtes 1
difficile de distinguer une ulcération d’une érosion (perte de
Clinique 1
substance superficielle n’intéressant que l’épithélium), en
Diagnostic 2
particulier secondaire à une maladie virale.
¶ Traitement curatif des aphtes 2
Le médecin généraliste doit faire le diagnostic d’aphte et en
Traitements de première intention 2
assurer le traitement symptomatique. Le recours au spécialiste se
Traitements non spécifiques 3
justifie devant une ulcération buccale atypique, surtout si un
Traitements des aphtes graves 4
Stratégies thérapeutiques 4
traitement préventif ou étiologique est envisagé, ou devant une
aphtose récidivante.
¶ Diagnostic d’une aphtose 4
Introduction 4
Diagnostic positif d’une aphtose 4
Diagnostic d’une aphtose secondaire 4 ■ Diagnostic des aphtes
Diagnostic d’une maladie de Behçet 5
¶ Traitement préventif d’une aphtose 5 L’aphte est un symptôme banal, puisque 50 % de la popula-
Traitement étiologique 5 tion générale a au moins une fois dans sa vie une poussée
Traitement préventif 5 d’aphte. La prévalence des aphtes est de 10 à 65 % suivant la
Stratégie thérapeutique 6 population [2].

Clinique
■ Introduction L’aphte est une ulcération douloureuse survenant par pous-
L’ulcération buccale est une perte de substance muqueuse, sées. L’aphte peut siéger n’importe où dans la bouche, préféren-
dépassant la membrane basale (touchant épithélium et cho- tiellement sur la joue ou la langue (Fig. 1). Il débute par une
rion). L’aphte n’est qu’une forme particulière d’ulcération de la sensation de cuisson, puis apparaît une tache érythémateuse.

Traité de Médecine Akos 1


1-0270 ¶ Aphtes et aphtoses

période menstruelle chez la femme, les traumatismes locaux et


certains aliments (noix, noisettes, gruyère, tomates, agrumes...)
peuvent provoquer une poussée d’aphtes. Le tabagisme diminue
.
la fréquence des aphtes [5].

Diagnostic (Fig. 4)
L’aphte est une ulcération nécrotique et inflammatoire dont
. le diagnostic n’est que clinique ; aucun examen biologique
n’aide au diagnostic. La biopsie n’a pas d’intérêt diagnostique,
car elle montre rarement une vascularite, et plus souvent une
ulcération non spécifique. Contrairement à une idée reçue, le
diagnostic d’aphte est difficile, souvent porté par excès. Un
aphte peut être facilement confondu avec une ulcération
buccale, une érosion douloureuse (en particulier un érythème
. polymorphe, un lichen plan, un pemphigus) et toutes les
infections orales (Tableau 1). Aussi, un examen clinique complet
Figure 1. Aphte de la langue (collection professeur L. Vaillant). est nécessaire devant toute poussée d’aphtes pour rechercher des
lésions cutanées ou muqueuses orientant vers un autre diagnos-
tic. En pratique, il faut éliminer les infections virales (en
particulier l’herpès récidivant) (Fig. 5, 6). La récidive des lésions
toujours au même endroit de la muqueuse buccale doit faire
. suspecter l’infection herpétique, qui peut être confirmée par la
mise en culture du prélèvement virologique d’une lésion
récente.

“ Point fort
• L’aphte est une forme particulière d’ulcération buccale.
Figure 2. Aphte de la joue (collection professeur L. Vaillant).
Seule la présence d’un fond jaunâtre et d’un halo
inflammatoire permet d’affirmer le diagnostic d’aphte. En
leur absence, il faut éliminer les causes d’érosions et
d’ulcérations buccales.

■ Traitement curatif des aphtes


Le but des traitements est de diminuer la douleur, de réduire
l’inflammation et d’accélérer la cicatrisation. Il s’agit dans tous
les cas de traitement symptomatique et suspensif.

Traitements de première intention


Figure 3. Ulcération du bord de la langue après application d’azote • Les antalgiques locaux soulagent rapidement la douleur. Leur
liquide (collection professeur L. Vaillant). durée d’action étant brève, on les utilise surtout avant le
repas pour permettre l’alimentation et améliorer le confort.
Le plus efficace est la lidocaïne (Xylocaïne® visqueuse 2 % en
gel oral, Dynexan® 2 %) appliquée directement avec le doigt
Le diagnostic est fait cliniquement sur une ulcération dou- sur l’aphte.
loureuse dont le fond déprimé nécrotique est de couleur • Le sucralfate a démontré contre placebo son efficacité en
jaunâtre ou grisâtre, la base infiltrée, les bords nets, entouré bains de bouche 4 fois par jour [6] en diminuant les douleurs
d’un halo érythémateux inflammatoire rouge vif (Fig. 2). Il n’y
et en raccourcissant la durée de cicatrisation.
a pas d’adénopathie satellite. Si tous ces signes cliniques ne sont
• Les corticoïdes topiques sont les traitements les plus utilisés
.
pas présents, il faut rechercher une autre cause d’ulcération
(consensus d’expert). Les corticoïdes agissent en réduisant
buccale (Fig. 3) [3].
Les aphtes sont dus à une vascularite leucocytoclasique. Selon l’inflammation. Ils sont d’autant plus efficaces qu’ils sont
la taille du vaisseau atteint, ils sont plus ou moins grands et commencés tôt. En pratique, il faut utiliser des dermocorti-
profonds. Les aphtes ont habituellement 0,5 à 1 cm de diamètre coïdes d’activité très forte (Dermoval®, Diprolène®) dans une
et guérissent sans cicatrice ; ils peuvent être herpétiformes pâte adhésive (Orabase®) en quantité égale et les appliquer 2
.
(quelques millimètres), ou géants (plus de 2 cm, maladie de à 4 fois par jour jusqu’à cicatrisation de l’aphte [7, 8]. En cas
Sutton), inflammatoires et très douloureux pouvant guérir avec de lésions postérieures, les sprays de corticoïdes sont utiles ;
une bride cicatricielle. le spray de fluticasone (Pulmicort® deux fois par jour) a
Leur cause est inconnue, mais il existe parfois des facteurs montré une efficacité supérieure au bain de bouche à la
favorisants. bétaméthasone [9].
Une prédisposition génétique est évoquée (plus grande • Antiseptiques : les bains de bouche antiseptiques sont
fréquence des aphtes si les parents ont une aphtose [2], rôle de couramment utilisés. La chlorhexidine et le triclosan ont
certains groupes human leukocyte antigen [HLA] [4]). Le stress, la montré leur efficacité en diminuant les douleurs et en

2 Traité de Médecine Akos


Aphtes et aphtoses ¶ 1-0270

Ulcérations buccales

Ulcération unique Ulcérations multiples

Aphtes

Traumatisme Carcinome Récurrentes Aiguës


Virus
Herpès -
Varicelle - Zona
Aphtose Érythème Entérocolopathies Sans atteinte cutanée
polymorphe Hémopathies
postherpétique

Bactéries

Maladie Aphtose buccale Aphtose buccale


Médicaments
de Behçet récidivante récidivante
secondaire idiopathique

Avec atteinte cutanée

Syndrome de Lyell Virus Dermatose bulleuse


Érythème
Syndrome de Varicelle auto-immune
polymorphe
Stevens-Johnson Mains - pieds - bouche Pemphigus
Pemphigoïde cicatricielle

Figure 4. Arbre décisionnel. Diagnostic étiologique des aphtes et aphtoses.

Tableau 1.
Aphtes : diagnostic différentiel.
Ulcération unique
Traumatisme
Carcinome épidermoïde
Infections (syphilis, tuberculose, mycoses profondes telle l’histoplas-
mose)
Sialométaplasie nécrosante
Ulcérations multiples
Érythème polymorphe
Herpès (primo-infection et récurrences)
Herpangine, varicelle, zona Figure 5. Herpès buccal récidivant (collection professeur L. Vaillant).
Syndrome pieds-mains-bouche
Cytomégalovirus
Syndrome de Stevens-Johnson
Lichen érosif
Pemphigus, pemphigoïde cicatricielle
Vascularites, lupus

raccourcissant la durée des aphtes [10, 11]. En pratique, on


utilise les bains de bouche de chlorhexidine (Eludril®) ou la
Listérine® deux fois par jour.
• Les cyclines : elles sont utilisées en bain de bouche ou par
tamponnement 4 fois par jour [1]. On peut utiliser un com-
primé de 100 mg de doxycycline dissout dans 10 ml d’eau. Figure 6. Herpès gingival récidivant (collection professeur D. Parent).
• Traitements physiques : de nombreux traitements physiques
ont pour but de cautériser l’aphte, c’est-à-dire de transformer
une ulcération inflammatoire en une ulcération cicatricielle,
moins douloureuse. Ils sont contre-indiqués sur une Traitements non spécifiques
muqueuse adhérente (gencive, palais et même langue) où la
cicatrisation est difficile. L’application de nitrate d’argent [12] Les antalgiques par voie générale (paracétamol...) peuvent être
a montré, contre placebo, une amélioration des douleurs sans employés. On propose aussi l’acide acétylsalicylique en bains de
amélioration du délai de cicatrisation. bouche (3 à 4 g dilués). En cas d’aphtes géants, on peut injecter,

Traité de Médecine Akos 3


1-0270 ¶ Aphtes et aphtoses

après anesthésie locale à la Xylocaïne® visqueuse, quelques Tableau 2.


gouttes de Kenacort® retard à 40 mg/ml en intralésionnel ; Étiologie des aphtoses.
l’efficacité est parfois spectaculaire. Entérocolopathies inflammatoires
- maladie de Crohn, RCH
Traitements des aphtes graves - maladie cœliaque
Lorsque la poussée d’aphtes est étendue, sévère (ou avec Déficits vitaminiques
aphtes géants) et très douloureuse, des traitements systémiques - carence en fer, folates, vitamine B12 et maladie de Biermer
sont proposés. - carence en zinc
Un traitement de 1 semaine par prednisone (1 mg/kg/j) est
souvent utilisé en pratique, bien qu’aucune étude n’ait démon- Causes hématologiques
tré son efficacité. - neutropénie cyclique idiopathique
Le thalidomide a démontré son efficacité dans le traitement - agranulocytose (iatrogène, leucémie...)
des formes sévères d’aphtes du patient VIH-positif, à la posolo- Causes médicamenteuses
gie de 200 mg/j pendant 4 semaines [13].
-b-bloqueurs
- anti-inflammatoires non stéroïdiens
Stratégies thérapeutiques - nicorandil
Dans les poussées mineures, un traitement par antalgique Maladies systémiques
local est parfois suffisant, en privilégiant la lidocaïne gel. - maladie de Behçet
Dans les poussées d’aphtes habituelles, il faut associer aux - vasculites, lupus, GVH, syndrome de Sweet
antalgiques locaux les corticoïdes locaux d’activité très forte,
éventuellement dans une pâte adhésive (par exemple Dipro- Infection par le VIH
lène® pommade et Orabase® en quantité égale). RCH : rectocolite hémorragique ; GVH : maladie du greffon contre l’hôte ; VIH :
Dans les poussées plus étendues avec atteinte postérieure, il virus de l’immunodéficience humaine.
faut associer aux corticoïdes locaux (parfois sous forme de spray
pour les aphtes postérieurs) des bains de bouche au sucralfate 3
à 4 fois par jour. Tableau 3.
Ce n’est que dans les formes les plus sévères avec aphtes Causes médicamenteuses des aphtes.
géants très invalidants empêchant l’alimentation qu’est discuté Captopril
un traitement systémique par thalidomide associé aux corticoï- Sels d’or
des locaux et au sucralfate. Nicorandil
Acide niflumique

■ Diagnostic d’une aphtose Phénindione


Phénobarbital
Piroxicam
Introduction Hypochlorite de sodium
L’aphtose est définie par le caractère récidivant d’aphtes Méthotrexate
multiples évoluant par poussées de 3 à 10 jours, récidivant au Antibiotiques (sulfamides, bêtalactamines, éthambutol, streptomycine,
moins deux fois par an. On doit évoquer une aphtose devant tétracyclines, rifampicine, quinolones)
des ulcérations buccales récidivantes. L’aphtose pose deux Antiépileptiques (carbamazépine, hydantoïne, barbituriques)
problèmes : Anti-inflammatoires (oxicams, phénylbutazone, salicylés)
• diagnostique, car l’aphtose peut être idiopathique, secondaire
Divers (chlormézanone, allopurinol, griséofulvine, pentamidine, chlor-
à une maladie générale, ou révélatrice d’une maladie de
propamide, tolbutamide)
Behçet ;
• thérapeutique, car la fréquence et l’importance des poussées
peuvent nécessiter un traitement préventif en raison du
retentissement de l’aphtose sur la vie quotidienne du patient En cas d’aphtose secondaire, des atypies cliniques sont
(difficultés d’alimentation, douleur, retentissement souvent observées : absence de signes inflammatoires (agranu-
.
psychologique). locytose, médicament), ulcérations étendues en « carte de
géographie » (médicament), ou superficielles (entérocolopathies,
Diagnostic positif d’une aphtose (Fig. 4) déficit vitaminique), présence d’autres lésions buccales (langue
Il est fait cliniquement sur la récidive de plusieurs poussées rouge vernissée des déficits vitaminiques), ulcérations linéaires
d’aphtes authentifiés par l’examen clinique. (maladie de Crohn) avec aspect pavimenteux des joues et
Il faut éliminer les paresthésies buccales psychogènes où le ulcérations buccales hémorragiques (rectocolite).
sujet se plaint de douleurs dues à des « aphtes » qui ne sont Il a été dénombré 28 médicaments pouvant induire de vrais
constatés que par le patient. aphtes et huit d’entre eux (nicorandil...) peuvent être à l’origine
L’érythème polymorphe postherpétique est un diagnostic d’une aphtose buccale récidivante [22] (Tableau 3). Dans une
différentiel plus difficile. Un herpès récurrent, le plus souvent étude cas-témoins, il a été montré que les anti-inflammatoires
labial, est suivi 7 à 14 jours plus tard d’une poussée d’ulcéra- . non stéroïdiens et les b-bloqueurs sont un facteur de risque des
tions buccales reconnues à tort comme des aphtes. Le diagnostic aphtes [23]. Ces poussées disparaissent généralement à l’arrêt du
est facile en cas d’atteinte cutanée associée, mais l’atteinte traitement.
.

muqueuse isolée est possible. Ce n’est qu’en cas d’érythème


Les ulcérations buccales sont très fréquentes au cours de
polymorphe postherpétique que l’aciclovir est efficace.
l’infection à VIH (3 %) [24].
En cas d’aphtose avec signes extramuqueux ou atypiques, un
Diagnostic d’une aphtose secondaire bilan biologique est demandé au cours d’une poussée
Des aphtes ou des ulcérations aphtoïdes sont observés dans (Tableau 4) : numération-formule sanguine (NFS), ferritine,
plusieurs maladies générales qu’ils peuvent révéler (Tableau 2). vitamine B 12 , folates, zinc. L’existence d’une neutropénie
Aussi, l’interrogatoire doit préciser les prises médicamenteuses, explique l’aphtose et permet le diagnostic de neutropénie
l’existence de signes digestifs et rechercher une malnu- cyclique si elle se normalise en même temps que l’aphtose
trition [14-21]. disparaît.

4 Traité de Médecine Akos


Aphtes et aphtoses ¶ 1-0270

Tableau 4. récidives. C’est en particulier le cas des aphtes de cause médi-


Bilan biologique conseillé devant une aphtose buccale récidivante camenteuse (qui disparaissent en 2 à 4 semaines et ne récidivent
idiopathique. qu’en cas de reprise du médicament) et des aphtes par déficit
Numération-formule sanguine vitaminique (dont la disparition est obtenue dans les 15 jours
suivant la normalisation complète du déficit).
Dosage fer, ferritine, folates, vitamine B12
En revanche, en cas d’aphtose buccale idiopathique ou
Vitesse de sédimentation, CRP
d’aphtose de la maladie de Behçet, le traitement curatif est
Sérologie VIH souvent insuffisant si les poussées sont rapprochées ou fréquen-
Si plaintes digestives associées : dosage IgA antiréticuline/anti- tes. Un traitement préventif des poussées est donc nécessaire.
endomysium/antigliadine
VIH : virus de l’immunodéficience humaine ; Ig : immunoglobulines ; CRP :
protéine C-réactive. Traitement préventif
Les moyens thérapeutiques sont identiques dans l’aphtose
Tableau 5. idiopathique et dans la maladie de Behçet (Tableau 6).
Critères diagnostiques de la maladie de Behçet [26].

Thalidomide
Aphtose buccale récurrente (3 fois/an) observée par clinicien
+ deux des quatre critères suivants : Le thalidomide a une efficacité souvent spectaculaire (amé-
- aphtes génitaux récurrents lioration importante dans 100 % des cas, et rémission complète
- lésions oculaires : uvéite antérieure, postérieure, vascularite réti-
dans 48 % versus 8 %, à la posologie de 100 mg/j pendant
nienne 2 mois) [27].
- lésions cutanées : érythème noueux, pseudofolliculite, nodules ac-
La limitation de l’utilisation du thalidomide est liée à la
néiformes fréquence et à l’importance de ses effets secondaires observés
dans 97 % des cas [27]. Ces effets secondaires sont une somno-
- pathergy test (hypersensibilité au point de piqûre) : lu par clinicien
entre 24 et 48 heures
lence (nécessitant sa prise en une fois le soir au coucher),
parfois constipation, céphalées, diminution de la libido,
Sensibilité : 91 % Spécificité : 96 %
vertiges, troubles visuels et augmentation de l’appétit. Le
.

thalidomide est rigoureusement contre-indiqué chez toute


femme susceptible d’être enceinte en raison d’une importante
.
Diagnostic d’une maladie de Behçet [25] tératogénicité, malheureusement bien établie. Au long cours, il
est responsable d’une neuropathie périphérique axonale à
Devant une aphtose caractérisée par des poussées d’aphtes prédominance sensitive due à une toxicité cumulative. Ceci
récidivants au moins trois fois par an, le diagnostic de maladie impose la réalisation d’un électromyogramme avant le début du
de Behçet doit être envisagé en l’absence d’une cause de traitement (dépistage d’une neuropathie préexistante), qui doit
.
maladie secondaire. Le diagnostic de maladie de Behçet est être renouvelé tous les 6 mois à 1 an. Dans les 2 mois après la
porté devant l’association d’une aphtose buccale et deux autres disparition des aphtes, la posologie est progressivement dimi-
symptômes [26] (Tableau 5). Devant toute aphtose, il est donc nuée jusqu’à une posologie seuil, variable selon les patients,
.
nécessaire de rechercher une atteinte génitale, de faire un souvent de l’ordre de 100 mg/semaine en deux prises. Ce
examen clinique cutané et oculaire, et de rechercher une médicament est de prescription hospitalière.
hypersensibilité au point de piqûre.
Celle-ci peut être mise en évidence par l’introduction d’une
aiguille intradermique (avec ou sans injection de sérum physio- Sucralfate
logique) à la face antérieure de l’avant-bras. Le test est positif s’il Le sucralfate a montré son efficacité dans la prévention des
existe au point d’injection, dans les 48 heures, une papule aphtes [6]. Il permet une diminution de la fréquence des aphtes
érythémateuse qui peut être biopsiée afin de mettre en évi- (87,5 % versus 37,5 % pour le placebo, p < 0,003) [6]. On utilise
dence, histologiquement, la vascularite leucocytoclasique. des bains de bouche 4 fois par jour (un sachet dilué dans un
L’aphtose est le signe inaugural dans 80 % des cas. Le diagnostic demi-verre d’eau).
de maladie de Behçet est fait en moyenne 7 ans après le début
de l’aphtose.
Colchicine
Des études ouvertes ont montré l’intérêt de la colchicine pour
■ Traitement préventif la réduction de la fréquence et des douleurs dans les aphtoses
(diminution de la fréquence des récidives et caractère indolore
d’une aphtose des aphtes) dans 63 % des cas (dont 22 % de rémission com-
plète) à 3 mois [28].
Traitement étiologique Les effets secondaires sont fréquents mais sont rarement la
En cas d’aphtose secondaire, le traitement de la cause, s’il est cause de l’arrêt du traitement. Il s’agit essentiellement d’une
possible, permet la disparition des aphtes et prévient les intolérance digestive (diarrhée, nausées, douleurs abdominales)

Tableau 6.
Traitement préventif des aphtoses récurrentes (études de la littérature comprenant plus de 20 malades).
Traitement Amélioration Effets Étude contrôlée Auteurs Nombre de patients
importante secondaires O = oui, N = non
Thalidomide 100 % 98 % O Revuz 1990 73
Colchicine 63 % 18 % N Fontes 2002 54
Étanercept p < 0,05 O Melikoglu 2005 40
Azathioprine 75 % 23 % - Yazici 1990 34
Ciclosporine 70 % 94 % O Masuda 1989 34
Sucralfate 85 % 0% O Alpsoy 1999 26
Pentoxifylline 54 % 8% N Chandrasekkar 1999 24
Interféron 65 % 100 % O Alpsoy 2002 23

Traité de Médecine Akos 5


1-0270 ¶ Aphtes et aphtoses

Tableau 7.
Différents médicaments utilisés dans le traitement préventif des aphtoses.
Molécules Action Nom commercial Contre-indications
Posologie
Colchicine Inhibition du chimiotactisme des polynucléaires Colchicine Houdé® Insuffisance hépatique sévère
1 mg = 1cp/j Insuffisance rénale sévère
Colchimax® Grossesse
1 mg = 1 cp/j
Dapsone Action sur les polynucléaires Disulone® Déficit en G-6-PD
100 mg/j Insuffisance hépatique sévère
Corticoïdes Anti-inflammatoire Cortancyl® Celles de la corticothérapie
0,5 à 1 mg/kg/j
Thalidomide Anti-inflammatoire (anti-TNF) Thalidomide Grossesse
50 à 100 mg/j Neuropathie
G-6-PD : glucose-6-phosphate déshydrogénase ; TNF : tumor necrosis factor.

qui se voit surtout pour les doses supérieures à 2 mg/j. Au long même médicament au palier posologique précédemment
cours, le risque de leucopénie, voire d’agranulocytose, de employé. Une nouvelle tentative d’arrêt est effectuée 3 à 6 mois
thrombopénie ou d’anémie est exceptionnel ; il justifie la plus tard.
pratique d’une NFS, initialement, après 1 à 3 mois, puis tous les
3 à 6 mois. Des cas exceptionnels de neuropathie périphérique,
de myopathie, d’aménorrhée et d’alopécie ont été rapportés. Les
contre-indications sont les insuffisances hépatiques et rénales
sévères, et la grossesse est déconseillée.
“ Point fort
Dapsone Une aphtose buccale récidivante a souvent un fort
retentissement sur la qualité de vie, ce qui impose un
La dapsone (Disulone®) a un mécanisme d’action similaire à traitement préventif des poussées. Le traitement de
celui de la colchicine. Les effets secondaires sont une hémolyse première intention est la colchicine.
(constante), mais avec un retentissement variable sur le taux
d’hémoglobine, et parfois une méthémoglobinémie. En début .

de traitement, de rares cas d’agranulocytose et le syndrome


d’hypersensibilité (éruptions cutanées, fièvre, cytolyse hépati- ■ Références
que) ont été rapportés, imposant l’arrêt définitif du médica-
ment. Le dépistage de ces complications se fait par la réalisation [1] Scully C. Aphthous ulceration. N Engl J Med 2006;355:165-72.
[2] Miller MF, Garfunkel AA, Ram C, Ship II. The inheritance of recurrent
d’une NFS et par le dosage des transaminases 8 jours, 1 mois et
aphthous stomatitis. Observations on susceptibility. Oral Surg Oral
2 mois après le début du traitement. La poursuite d’un traite- Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 1980;49:409-12.
ment au long cours nécessite de dépister une anémie hémolyti- [3] Vaillant L, Jan V, Hüttenberger B. Ulcérations de la muqueuse buccale.
que et une méthémoglobinémie qui peuvent survenir pendant Ann Dermatol Venereol 1999;126:853-9.
toute la durée de la prise de Disulone®. [4] Natah SS, Konttinen YT, Enattah NS, Ashammakhi N, Sharkey R,
Häyrinen-Immonen R. Recurrent aphthous ulcers today: a review of
the growing knowledge. Int J Oral Maxillofac Surg 2004;33:
Stratégie thérapeutique 221-34.
[5] Tuzun B, Wolf R, Tuzun Y, Serdaroglu S. Recurrent aphthous stomatitis
Les indications thérapeutiques dépendent du rapport
and smoking. Int J Dermatol 2000;39:358-60.
bénéfice-risque (Tableau 7). La stratégie est fonction de l’impor- [6] Alpsoy E, Er H, Durusoy C, Yilmaz E. The use of sucralfate suspension
tance de l’aphtose. L’indication d’un traitement préventif se fait in the treatment of oral and genital ulceration of Behçet disease. Arch
sur le retentissement global de l’aphtose. Il doit être proposé dès Dermatol 1999;135:529-32.
que la gêne est importante. Il faut également insister sur [7] Lo Muzio L, della Valle A, Mignogna MD, Pannone G, Bucci P,
l’intérêt des bains de bouche et des détartrages préventifs pour Bucci E, et al. The treatment of oral aphthous ulceration or erosive
éviter les rechutes. lichen planus with topical clobetasol propionate in the three
En première intention, on utilise la colchicine, à la dose de 1 preparations: a clinical and pilot study on 54 patients. J Oral Pathol
à 2 mg/j en une à deux prises. Lors d’une poussée, on introduit Med 2001;30:611-7.
des doses plus importantes (2 à 4 mg/j) pendant 1 à 2 semaines. [8] Gonzales-Moles MA, Morlaes P, Rodrigues-Archilla A. The treatment
of oral aphthous ulceration or erosive lichen planus with topical
Après 2 à 6 mois d’efficacité, la posologie est diminuée à 0,5 ou
clobetasol propionate in the three preparations. J Oral Pathol Med
1 mg/j tous les 2 jours. C’est un traitement efficace, bien toléré 2002;31:284-5.
à court et à long terme et peu contraignant. En cas d’échec de [9] Hegarty AM, Hodgson TA, Lewsey JD, Porter SR. Fluticasone
la colchicine, la Disulone® peut être essayée à la posologie de propionate spray and betamethasone sodium phosphate mouthrinse: a
100 mg/j. Elle peut être associée ou remplacée par les bains de randomized crossover study for the treatment of symptomatic oral
bouche au sucralfate qui sont toujours bien tolérés, efficaces, lichen planus. J Am Acad Dermatol 2002;47:271-9.
mais contraignants dans la vie quotidienne. [10] Meiller TF, Kutcher MJ, Overholser CD, Niehaus C, DePaola LG,
Dans les aphtoses buccales sévères récidivantes et résistant à Siegel MA. Effect of an antimicrobial mouthrinse on recurrent
ces deux traitements, il est licite de proposer le thalidomide à aphthous ulcerations. Oral Surg Oral Med Oral Pathol 1991;72:
425-9.
la posologie de 50 mg/j, pouvant être augmenté à 100 ou
[11] Skaare AB, Herlofson BB, Barkvoll P. Mouthrinses containing
200 mg en traitement d’attaque (Tableau 7).
triclosan reduce the incidence of recurrent aphthous ulcers (RAU).
Quel que soit le traitement, en cas d’efficacité, il faut essayer J Clin Periodontol 1996;23:778-81.
de l’arrêter (après 3 mois à 1 an sans poussées d’aphtes). Cette [12] Alidaee MR, Taheri A, Mansoori P, Ghodsi SZ. Silver nitrate cautery in
tentative d’arrêt est faite en diminuant le médicament utilisé. aphthous stomatitis: a randomized controlled trial. Br J Dermatol 2005;
Souvent, les rechutes surviennent, nécessitant la reprise du 153:521-5.

6 Traité de Médecine Akos


Aphtes et aphtoses ¶ 1-0270

[13] Jacobson JM, Greenspan JS, Spritzler J, Ketter N, Fahey JL, [24] Ranganathan K, Reddy BV, Kumarasamy N, Solomon S,
Jackson JB, et al. Thalidomide for the treatment of oral aphthous ulcers Viswanathan R, Johnson NW. Oral lesions and conditions associated
in patients with human immunodeficiency virus infection. N Engl J Med with human immunodeficiency virus infection in 300 south Indian
1997;336:1487-93. patients. Oral Dis 2000;6:152-7.
[14] Field EA, Allan RB. Oral ulceration – aetiopathogenesis, clinical [25] Sakane T, Takeno M, Suzuki N, Inaba G. Behçet’s disease. N Engl
diagnosis and management in the gastrointestinal clinic. Aliment J Med 1999;341:1284-91.
Pharmacol Ther 2003;18:949-62. [26] International Study Group for Behçet’s disease. Criteria for diagnosis
[15] Porter SR, Scully C, Pedersen A. Recurrent aphthous stomatitis. Crit of Behçet’s disease. Lancet 1990;335:1078-80.
Rev Oral Biol Med 1998;9:306-21.
[27] Revuz J, Guillaume JC, Janier M, Hans P, Marchand C, Souteyrand P,
[16] Rogers RS 3rd. Recurrent aphthous stomatitis: clinical characteristics
and associated systemic disorders. Semin Cutan Med Surg 1997;16: et al. Crossover study of thalidomide vs. placebo in severe recurrent
278-83. aphthous stomatitis. Arch Dermatol 1990;126:923-7.
[17] Sedghizadeh PP, Shuler CF, Allen CM. Celiac disease and recurrent [28] Fontes V, Machet L, Hüttenberger B, Lorette G, Vaillant L. Aphtose
aphthous stomatitis. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol buccale récidivante : traitement par colchicine. Étude ouverte de 54 cas.
Endod 2002;94:474-8. Ann Dermatol Venereol 2002;129:1365-9.
[18] Veloso FT, Carvalho J, Magro F. Immune-related systemic manifesta-
tions of inflammatory bowel disease. A prospective study of 792
patients. J Clin Gastroenterol 1996;23:29-34. Pour en savoir plus
[19] Veloso FT, Saleiro JV. Small-bowel changes in recurrent ulceration of
the mouth. Hepatogastroenterology 1987;34:36-7. Parent D, Vaillant L. Aphtes, aphtoses, maladie de Behçet. EMC (Elsevier
[20] Barnadas MA, Remacha A, Condomines J, de Moragas JM. Masson SAS, Paris), Dermatologie, 98-838-A-10, 2007.
Hematologic deficiencies in patients with recurrent oral aphthae. Med Francès C. Manifestations cutanéo-muqueuses de la maladie de Behçet. Ann
Clin (Barc) 1997;109:85-7. Med Interne (Paris) 1999;150:535-41.
[21] Olson JA, Feinberg I, Silverman S, Abrams D, Greenspan JS. Serum Orientation diagnostique devant une ulcération ou érosion des muqueuses
vitamin B12, folate and iron levels in recurrent aphthous ulceration. orales et/ou génitales. In: Dermatologie, Abrégés Connaissances et
Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod 1982;54:517-20. pratique, CEDEF. Paris: Masson; 2005. p. 320-8.
[22] Boulinguez S, Cornée-Leplat I, Bouyssou-Gauthier ML, Bedane C,
Vaillant L, Jan V, Hüttenberger B. Ulcérations de la muqueuse buccale. Ann
Bonnetblanc JM. Aphtes induits par les médicaments : analyse de la
Dermatol Venereol 1999;126:853-9.
littérature. Ann Dermatol Venereol 2000;127:155-8.
[23] Boulinguez S, Reix S, Bédane C, Debrock C, Bouyssou-Gauthier ML, Laskaris G. Atlas de poche des maladies buccales. Paris: Médecine-Sciences
Sparsa A, et al. Role of drug exposure in aphthous ulcers: a case-control Flammarion; 2006 (370p).
study. Br J Dermatol 2000;143:1261-5. Vaillant L, Goga D. Dermatologie buccale. Paris: Doin; 1997 (295p).

L. Vaillant, Professeur des Universités, praticien hospitalier (vaillant@med.univ-tours.fr).


A. Bernez, Chef de clinique-assistante.
Université François Rabelais, Service de dermatologie, Hôpital Trousseau, 37044 Tours cedex 09, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Vaillant L., Bernez A. Aphtes et aphtoses. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos,
1-0270, 2009.

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Traité de Médecine Akos 7

Vous aimerez peut-être aussi