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LA GORILLE

JODOROWSKY, DUPEYRON, LANUZA

GORILA : Honorables universitaires ! Amis,


honorable conseil d'administration, médecins,
enseignants, étudiants, public en général,
bonjour à tous, vous me faites l'honneur de
m'inviter à me présenter à cette Académie Royale
des Sciences et des Arts, à faire partie de ce
groupe d'intellectuels, de savants, d'artistes,
d'enseignants, Bonjour, on m'a demandé,
maintenant que je vais faire partie de ce groupe,
comme d'habitude, on m'a demandé de faire un
rapport, on m'a aussi demandé de parler de mon
ancienne vie de singe.

Malheureusement, en ce qui concerne mon


ancienne vie de singe, je ne peux pas vous faire
plaisir, car cinq ans se sont déjà écoulés depuis
que j'ai quitté cette vie d'hominidé, un temps
peut-être court si vous le mesurez à l'aune du
calendrier, mais pour moi il a été
interminablement long, accompagné de faits ou de
personnes importantes, de conseils,
d'applaudissements, de musique orchestrée, mais
en réalité seulement, car tout cet accompagnement
qui m'a été donné, ne m'a fait qu'oublier mon
ancienne vie de singe.J'ai été accompagné par des
faits ou des personnes importantes, par des
conseils, par des applaudissements, par de la
musique orchestrée, mais en réalité seul, car
tout cet accompagnement qui m'avait été donné,
n'a fait que me faire oublier mon passé et les
souvenirs de ma jeunesse.

Pour faire partie de cette académie, la première


chose que je devais apprendre était d'oublier de
grimper aux arbres, de toiletter les autres
singes, ah, et les danses d'accouplement. Petit à
petit, je me suis retiré. Je me suis sentie mieux
dans le monde des hommes, de ma vie de singe, je
me suis éloignée si loin, d'avoir assez de force
et de volonté pour y retourner, d'y retourner...
je n'ai pas pu. J'ai l'impression que je mourrais
en essayant, mais je serai en mesure de présenter
le rapport qui m'a été demandé. Ce que je fais
par ailleurs avec grand plaisir. Huh ?....

Le rapport de recherche suivant traite de


l'exil de la nature sauvage vers l'humanisation
des animaux en captivité. Le but de cette étude
est de montrer que la nature animale a été
éradiquée jusqu'à la dernière fissure, un exemple
de ceci est que je ne me souviens plus de cette
vie.... huh ?.... banane, danse d'accouplement,
toilettage d'autres hominidés, laissez-moi, non,
non, non, non, non, je ne suis plus un animal,
des souvenirs, rien d'autre, les résultats le
prouvent : la nature sauvage a été éradiquée à
95% avec un taux d'erreur de 5% selon les normes
internationales, ah, les souvenirs, avant j'avais
toujours été libre et pour la première fois
j'étais pris au piège, si j'avais été attaché, ou
ligoté, ou enchaîné, ou autre, je n'aurais pas
été diminué dans mon désir de liberté.Je n'avais
pas d'issue, mais je devais en trouver une, sans
laquelle je n'aurais pas survécu, j'ai toujours
vécu derrière des barreaux, toujours coincé...
J'aurais inévitablement éclaté.

Mais comme dans le monde des hommes, les


singes ont des cages, j'ai cessé d'être un singe,
je me suis efforcé de marcher debout, de marcher
les quatre pattes au sol, plus jamais, maintenant
je devais marcher comme les hommes, j'ai grimpé
comme les hommes, je me suis cassé le dos comme
les sapiens, je ne grimpais plus aux arbres,
maintenant je ne marchais plus que sur mes pattes
arrière, bien sûr, j'ai exercé mes mains en
détachant mes orteils comme les sapiens, et je
marchais droit.Je ne grimpais plus aux arbres, je
ne marchais plus que sur mes pattes de derrière,
les pattes, bien sûr, j'exerçais mes mains en
déclipsant mes doigts comme les hommes, et je
marchais droit, droit, droit, droit, comme
sapiens, qu'est-ce que c'était ? Qu'est-ce qui
m'est arrivé, l'intelligence, était-ce
l'intelligence ? Je ne sais pas ce que c'était,
peut-être que c'était une association d'idées
claires et belles qui ont dû me venir à l'esprit
dans mon ventre, n'est-ce pas ? Si vous... Où
est-ce que j'ai trouvé ça ? Le renseignement.
Dans le ventre ? Certainement. Parce que, comme
le disent certains journalistes apocryphes : "les
singes pensent avec leur ventre", comme le dit le
journaliste qui vient toujours, me suit et publie
ce que... Je me fais chier dessus par les
journalistes. Pourquoi la presse a-t-elle été
invitée ? N'avons-nous pas dit qu'il ne
s'agissait que des universitaires et de quelques
invités ? Il y a un journaliste qui prend des
photos et un autre qui prend.... S'il vous
plaît ! J'ai dit que je viendrais tant que je
sais, je sais.... J'ai dit que je viendrais aussi
longtemps que je le saurais, je le sais... Eh
bien, oui, mais cela m'a donné, je suis...
Excusez-moi, excusez-moi, je m'excuse, je
m'excuse auprès de vous aussi, pardonnez-moi, je
deviens animaliste de temps en temps, hein...
bien sûr, oui merci, je compte sur vous : un,
deux, trois, maintenant, ça va, quatre
maintenant, maintenant, maintenant, maintenant,
cinq, maintenant ! Nous les singes, on en a cinq,
dix ! (Inspirez et expirez) Maintenant !

Je crains de ne pas m'être expliqué


correctement, ce que j'entends par sortie,
sortie, sortie, j'utilise le mot dans son sens le
plus complet et le plus commun, je n'ai pas dit
intentionnellement liberté, je ne parle pas de
cette grande sensation de liberté dans tous les
domaines, alors que singe, peut-être, je l'ai
vécue et j'ai vu des hommes qui y aspirent, qui
passent leur vie à essayer d'être libres, et,
rien de plus pour la liberté.Je n'ai pas dit
intentionnellement liberté, je ne parle pas de
cette grande sensation de liberté dans tous les
domaines, alors que je l'ai peut-être vécue et
que j'ai vu des hommes qui y aspirent, qui
passent leur vie à essayer d'être libres, et rien
de plus pour la liberté. Je le dis en passant :
il y a trop de tromperies parmi les hommes, car
si la liberté est l'un des sentiments les plus
sublimes, les tromperies correspondantes le sont
tout autant.

J'ai voyagé parmi les Sapiens, vous savez, de


pays en pays, dans les cirques, dans les
expériences scientifiques, en vacances. J'ai vu
des multitudes d'hommes affamés et malades,
contraints de travailler de l'aube au crépuscule.
Toute la journée, à travailler sous le soleil, à
tailler des pierres ou derrière un bureau, je les
ai vus se faire pourchasser à la moindre
protestation.... Debout, arrêtez-vous ou je tire,
je les ai vus courir, fuir, courir voici les
narcos, courir voici les soldats, courir voici
les percepteurs, prendre des pierres et courir,
voici les ignorants, l'idiotie colle, je les ai
vus battus, criblés de balles, décapités,
décérébrés, déshumanisés : Je t'ai dit d'arrêter
fils de ta... tais-toi, ca... tais-toi fils de ta
pincée... tais-toi, tu te tais ou je te donne..
Je les ai vus se vider de leur sang humain.

Et tout ce tas de chiffons forme la


base d'une pyramide de pouvoir, où couche par
couche les hommes s'écrasent les uns les autres,
en bas les pauvres, les ignorants, au-dessus de
ceux-ci, les employés, au-dessus des
bureaucrates, les riches les écrasent, et au-
dessus des riches les puissants, et au-dessus de
ceux-ci, les autres. Et ainsi ils s'écrasent les
uns les autres ; et ainsi de suite jusqu'à ce
qu'ils atteignent le sommet de la pyramide, où un
homme seul domine l'humanité, oui dites-moi,
vous, vous, dites-moi, s'il vous plaît, croyez-
vous que l'homme au sommet de la pyramide,
croyez-vous qu'il est libre ? Vous, dites-moi,
pensez-vous que celui qui est au sommet, celui
qui est en charge, pensez-vous qu'il est libre ?
Ne le faites pas comme ça, c'est la coutume des
singes.

Dites-moi, vous, s'il vous plaît, dites-moi,


s'il vous plaît, dites-moi si vous croyez que
l'homme qui domine, ce qu'il gagne, ce qu'il
économise, vous croyez qu'il est libre ? Que
dit-elle ? S'il vous plaît ! Je ne voulais pas la
liberté, je ne voulais pas l'argent ou le
pouvoir, je voulais juste une issue, sortir de la
boîte dans laquelle les hommes m'avaient mis et
j'ai appris, j'ai appris la vie, la douleur, j'ai
avancé et je me suis retrouvé dans une autre
cage, une jungle humaine.J'ai appris la vie, la
douleur, j'ai avancé et je me suis retrouvé dans
une autre cage, une jungle humaine, mais bientôt
j'ai appris à ouvrir la porte, le verrou et j'ai
avancé, je me suis retrouvé dans une autre cage,
et une autre, mais maintenant elles étaient en
groupes, des noyaux, des noyaux, et j'ai appris à
ouvrir la porte, le verrou, et j'ai avancé. Je me
suis retrouvé dans une autre cage, puis une
autre, puis une autre, mais maintenant elles
étaient en groupes, en noyaux, en sphères, en
couleurs, en argent, en pouvoir, mais ce sont
encore des cages, encore des cages sans barreaux
et plus on avance, plus la cage devient difficile
à franchir, et j'ai appris à franchir les cages,
l'une et l'autre, l'autre et l'autre, et j'ai
avancé et ce sont encore des cages que l'on
avance dans la vie de l'homme.
J'étais un homme important, puissant, je
pouvais crier, donner des ordres, cracher sur qui
je voulais, j'étais traité comme une personne
spéciale, mes leperadas sont devenues drôles,
mais je suis toujours entouré de gens,
maintenant, maintenant, maintenant, maintenant,
maintenant, en ce moment j'ai mon bureau, j'ai
toujours des gens qui attendent que je m'occupe
d'eux et je les reçois tous : entrez, entrez, je
viens de terminer l'examen de ces documents et
nous allons prendre le petit déjeuner, j'achète,
ne partez pas, je viens de terminer, je dois
terminer, je dois terminer l'examen, allez vite
chercher ceci, et vous savez, si vous ne
poursuivez pas. Attendez-moi, attendez-moi, allez
vite chercher ça, vous savez, ensuite je vous
dirai pour qui vous votez. Attendez-moi, je veux
vous présenter ma nouvelle secrétaire, elle est
sexy. Je m'adresse à vous, permettez-moi, Mlle
Patrisha. Pouvez-vous venir, s'il vous plaît ? Je
vais dicter, la voici, dites-moi comment vous la
voyez, entrez Miss Patrisha, entrez s'il vous
plaît, asseyez-vous, non pas là, asseyez-vous
ici, apportez-moi les cacahuètes. Ne vous mettez
pas en colère, ne vous mettez pas en colère, vous
vous êtes mis en colère. Nous parlons à quelqu'un
d'autre, il y en a beaucoup.

C'est ainsi que je vis, universitaires et


artistes, dans le néolibéralisme consumériste le
plus atroce, crachant, fumant, buvant, humiliant,
embauchant, licenciant qui je veux, maintenant
qu'en tant qu'homme important je peux, je peux...

Dernièrement, je me suis demandé si cela valait


vraiment la peine de se faufiler entre les hommes
pour arriver à ce point de pouvoir, si cela
valait vraiment la peine de quitter ma jungle, si
cela valait vraiment la peine, je ne sais pas, je
ne sais pas, je ne sais pas, je ne sais pas, je
ne sais pas, je ne sais pas, je ne sais pas, je
ne sais pas, je ne sais pas. Combien d'années se
sont écoulées depuis que j'ai voyagé d'un arbre à
l'autre, combien d'années se sont écoulées depuis
que je me suis battu pour me venger de ces deux-
là. .... À chaque être humain qui se présente à
moi, qu'ai-je accompli ? S'échapper ? Mais si je
suis plus que jamais dans un labyrinthe sans
issue, pourquoi n'ai-je pas eu de problèmes
avant, le fait est qu'aujourd'hui je les ai à
chaque instant dans mon cerveau, des problèmes,
et encore des problèmes, des problèmes, des
problèmes, des problèmes.... et tous sans
solution, j'ai décidé comme la plupart des hommes
après avoir lutté, après avoir lutté pendant la
moitié de leur vie, j'ai décidé la même chose,
tout comme vous les hommes, je prends ma
retraite, je prends ma retraite, je vais dans ma
maison d'intérêt social, un petit œuf, c'est
tout, c'est tout, c'est tout, c'est tout ?

L'histoire vécue par tout être humain est la


même que la mienne, mais je ne me lamente pas, je
ne suis pas satisfait non plus, les mains dans
les poches de mon pantalon, la bouteille de
cognac sur la table, maintenant je bois, je fume,
je mange, et je pars, je rentre chez moi tard
dans la nuit en empestant l'alcool, en empestant
le tabac, en empestant l'homme.

J'ai un singe semi-dressé, je l'ai sauvé d'un


cirque quand elle était malade, j'arrive la nuit
et je me prépare à entrer dans la cage de ce
singe, je me prépare, je dois me déshabiller et
entrer, elle prend peur et crie et je dois
partir, elle ne me laisse pas l'approcher, elle
sent mon odeur d'homme, et je dois repartir, de
jour en jour je ne peux pas la voir, parce
qu'elle a dans ses yeux cette folie de l'animal
perturbé par le dressage, il n'y a que moi qui le
remarque, je ne peux pas le supporter, je ne peux
pas le supporter, je vois ses yeux et... je ne
peux pas le supporter, je ne peux pas le
supporter.Je ne peux pas la voir, parce que ses
yeux ont cette folie d'un animal perturbé par le
dressage, il n'y a que moi qui le remarque, je ne
peux pas le supporter, je ne peux pas le
supporter, je vois ses yeux et... je ne peux pas
le supporter, je ne peux pas le supporter, je ne
peux pas le supporter. Je ne peux pas le
supporter, je ne peux pas le supporter, je ne
peux pas...

En conclusion, messieurs de l'Académie des


sciences et des arts, je suis arrivé là où peu
d'hommes parviennent, mais moi qui suis déjà un
homme, je demande : pourquoi m'avez-vous sorti de
ma jungle ? Qui leur a dit qu'appartenir à leur
groupe était synonyme de réussite ? Qui vous a
dit que l'argent rendait libre, qui vous a dit
que pour un prix, pour un bout de papier, pour un
titre, j'avais le droit de crier et de
bousculer ? Qui vous a dit, Mesdames et
Messieurs, qu'un prix, un prix... c'est le succès
? Puis-je voir l'œuvre qui sera dévoilée ? Puis-
je le voir, pourquoi pas ? Je veux voir le
morceau qu'ils vont me donner, je veux voir si je
me ressemble, je veux voir si, si... voyez-moi,
je suis déjà un vrai homme, je suis déjà un
homme, tous les hommes naissent libres et
finissent par être des copies d'esclaves, des
copies d'autres, des copies d'autres, des copies,
des copies, des copies.

Au lieu de vous sentir fiers, vous devriez


plutôt les mépriser, parce que j'ai appris une
seule chose, messieurs, la vie comme ça, ça n'a
pas de sens, ça n'a pas de sens, manger n'était
rien d'autre que manger, boire de l'eau n'était
rien d'autre que boire de l'eau, rien d'autre que
boire de l'eau, et dormir n'était que ramasser
quelques feuilles et dormir, je n'étais personne,
je ne croyais pas que j'étaisJe n'étais rien,
sans titre ni prix, je n'étais rien, juste un
autre morceau de ciel, un autre morceau de terre,
alors qu'aujourd'hui je suis devenu une île, me
battant contre les autres îles, angoissé tout le
temps, je vis angoissé dans cette atroce
solitude, seuls deux mots forent seconde après
seconde ma tête, mon cœur et ce qu'ils appellent
l'âme.

Je voudrais retourner, je voudrais retourner,


je voudrais retourner, je voudrais retourner, je
voudrais retourner dans ma jungle, oublier leurs
visages aussi simiesques que les miens, oublier
leurs journées remplies de mots vides, oublier
leurs corps gras d'oisiveté et oublier, oublier,
oublier, oublier ce monstre sauvage qu'ils
appellent la civilisation, qu'ont-ils de civilisé
? En m'éclipsant parmi vous, je ne suis pas sorti
de la cage, mais au contraire, je me suis de plus
en plus enfermé sur moi-même, même si
malheureusement je me suis perdu à jamais parmi
les hommes.

Banane, j'aimerais revenir ! Acicalar autres


J'aimerais ! les danses nuptiales reviennent !

RIDEAU

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