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Grumel Venance. L'Illyricum de la mort de Valentinien Ier (375) à la mort de Stilicon (408). In: Revue des études byzantines,
tome 9, 1951. pp. 5-46.
doi : 10.3406/rebyz.1951.1036
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1951_num_9_1_1036
L'ILLYRICUM DE LÀ MORT
DE V1LENT1NIEN Ier (375) À IA MORT
DE STILICON (408)
(1) Stein, Geschichte... 178-180; Palanque, Essai..., p. 1-16; Piganiol, L'empire chrétien,
323-24.
(2) Palanque, Essai... 17-19; Piganiol, 324-325.
(3) Palanque, Essai..., 35-36, montre que cette préfecture d'Illyricum a dû être créée
pour satisfaire des ambitions rivales.
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(1) L'information de Zozime, IV, 19, sur un partage qui serait survenu alors entre
Gratien et Valentinien II, attribuant au premier la Gaule, l'Espagne et la Bretagne, et au
second, l'Afrique, l'Italie et l'Illyricum, ne peut être retenue. Cf. Ammien Marcellin, XXX,
10, 4 et Philostorge, IX, 16. Zosime anticipe ici sur ce qui eut lieu réellement plus tard,
en septembre 380.
(2) Nous suivons ici Piganiol, p. 203, note 12.
(3) La loi Cod. Theod. X, 19, 8 du 13 août 376, où est employée la formule : per Macedo-
niam et Illyrici tractum, ne suffit pas à prouver l'existence de cette préfecture, car elle n'exclut
pas de soi l'appartenance de ces territoires à la préfecture d'Italie. Quant à la préfecture
seulement illyrienne de Probus qu'on a placée vers cette époque (378 ou 376), elle ne paraît
établie ni par les textes juridiques, ni par les textes épigraphiques sur lesquels on s'appuie .
Voir à ce sujet les remarques de S. Mazzarino, Stilicone, p. 8-21.
(4) Ausone, Epicedion in patrem (vers 51-52) : ipse nec adfectans nec detrectator honorum
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praefectus magni nuncupor Illyrici. Ed. K. Schenkl. M. G. H., Auct. Ant. t. V, 2e partie,
1883, p. 34; P. L., 19, 879 B.
(1) CIL, VI, 1714 : ...Q. Clodi Hermogeniani Olybrii... praef. praet. Illyrici, praef. praet.
Orientis...
(2) Ausone, Epicedion (vers 45-46) : Hujus (le poète Ausone) ego et natum et generum
pro consule vidi; consul ut ipse foret, spes mihi certa fuit. Ausone père a connu la désignation
de son fils comme consul en août ou septembre 378 ; il est mort avant son entrée en fonctions :
il avait 90 ans : nonaginta annos... exegi. Ibid., ν. 61-62; éd. Schenki, p. 34; P. L., 19, 879 C.
(3) 0. Seeck, Regesten, 72, 18; 248.
(4) S. Mazzarino, 28-31.
(5) II n'y a pas lieu en conséquence de recourir comme le fait S. Mazzarino, p. 32, à un
simple caprice du souverain — car c'en serait un — dans le but de donner satisfaction à des
ambitions privées, qu'il y avait, du reste, moyen de contenter autrement. Ce qu'on peut
dire, c'est qu'une fois la préfecture créée, l'ancien précepteur d'Ausone a usé de son influence
sur Gratien pour la faire attribuer à son père et pour faire donner d'honorables emplois
à ses deux gendres l'un après l'autre.
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(1) Sozomène, VII, 4 : 'Ιλλυριούς xai τα προς ήλιον άνίσ/οντα τής άρ/ής θεοδοαίω έπιτρέ-
ψας : P. G., 67, 1421 D.
(2) Voir ci-dessous, p. 20-21.
(3) Tillemont, Histoire des empereurs, t. V, 717-718, note 14; éd. de Bruxelles, t. V
(1732), Notes et éclaire, p. 26-27.
(4) Toute une série d'historiens anglais, à commencer par Bury (J. of R. Stud. X, 1920,
130-132), jusqu'à une époque récente, ont continué à suivre Tillemont. Voir la liste dans
S.-L. Greenslade, J. of Th. St., 46, 1945, p. 20-21; le dernier nommé est Jalland, Church
and papacy, 1944.
(5) Rauschrn, Jahrbücher..., 469-475.
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pour ce qui concerne la répartition de 379, n'a pas observé les nuances
de la situation politique, et quant à l'intervalle jusqu'en 395, n'a
tenu compte des fluctuations provoquées par les usurpations et les
morts tragiques d'empereurs, ni des problèmes que posent certains
textes, sur lesquels, du reste, l'accord des historiens n'est pas encore
obtenu.
Reprenons notre exposé :
Nous avons vu que Gratien et Théodose, en 379, s'étaient distribué
l'administration de rillyricum, territoire qui restait nominativement
la pars de Valentinien II. Une telle situation, qui, dans le désarroi
provoqué par le désastre d'Andrinople, était explicable et tolerable,
ne pouvait manquer, en se prolongeant après le danger passé (1),
de prendre l'aspect d'un partage définitif, évinçant Vaîentinien II,
et, par suite, de provoquer l'irritation de Justine et de tous ceux qui
avaient contribué à la proclamation du jeune prince : membres influents
de l'aristocratie, hauts fonctionnaires, armée, l'armée surtout, si facile
à remuer et si prompte en ses changements. On doit même penser,
tant la chose est naturelle, que Justine et son entourage ont escompté,
à la mort de Valens, que Gratien partagerait l'empire avec son frère,
dont le domaine deviendrait ainsi beaucoup plus considérable, et
qu'ils furent désappointés quand ils virent la pars Orientis confiée
aux mains de Théodose. Ils devaient donc assurément désirer d'un
grand désir, non seulement le rétablissement en un tout de l'illyricum,
mais aussi l'attribution d'un territoire proportionné en étendue à
ceux des empereurs collègues, et, d'une manière plus précise, l'adjonc
tion à l'illyricum, sous l'autorité de Valentinien II, des autres contrées
de l'ancienne préfecture centrale.
Prévenir vaut mieux que guérir, et guérir n'est pas toujours pos
sible. Gratien comprit qu'il ne pouvait sans danger maintenir le régime
établi au début de 379. Il convoqua Théodose à Sirmium, et là, vers
le 8 sept. 380 (2), furent prises de concert les mesures qui devaient
assurer la concorde entre les empereurs.
Le point essentiel était de supprimer le spectacle de rillyricum,
apanage de Valentinien, partagé entre ses deux collègues. L'unité
administrative de cette contrée fut donc rétablie. Gela comportait
(1) Ausone, Ad Gratianum imperatorem gratiarum actio, prononcé vers septembre 379,
loue l'empereur d'avoir, après la mort de Valens, pacifié, en une seule année, les frontières
du Danube et du Rhin, éd. E.-F. Corpet (Panckoucke), 1843, t. II, 260; éd. Schenkl,
p. 20; P. L. 19, 937 D.
(2) E. Stein, le premier, a relevé l'importance de cette entrevue en y rattachant la sup
pression du dédoublement administratif de rillyricum. E. Stein, Untersuchungen... I. Die
Teilungen von Illyricum in den Jahren 379 und 395. Rein. Museum, 1925, p. 347 sq.
12 ÉTUDES BYZANTINES
(1) Voir Rauschen, loc. cit.; F. Lot, Date du partage,.., R. des Et. anciennes, 38, 1936,
article dont la tendance est de minimiser la portée des témoignages, au moyen parfois de
suppositions sans portée ; S.-L. Greenslade, J. of th. St., 1945, 18 et suiv.
(2) Voir note précédente.
(3) Cod. Theod. XVI, 1, 3. — Rauschen, 1. c, signale bien cette loi, mais sans en montrer
la valeur probante. F. Lot et S.-L. Greenslade omettent d'en parler.
(4) Cod. Theod. XVI, 1, 2.
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territoire, qu'il ne fallait pas laisser tomber entre les mains de Maxime.
Aussi s'empressa-t-il, s'il ne l'avait déjà fait, d'installer son autorité
dans tout l'Illyricum. Ainsi faut-il expliquer les émissions de monn
aies à son nom que Pon constate à cette époque, tant à Siscia (Illy-
ricum occidental) qu'à Thessalonique (Illyricum oriental) (1). En
même temps qu'il accroissait son potentiel devant les forces de l'usur
pateur, Théodose préparait contre lui une expédition militaire (2).
L'armée se concentra probablement à Héraclée (3). Elle s'y trouvait
sans doute encore, ou du moins n'était pas loin de Constantinople,
quand une ambassade de Maxime se présenta à Théodose (4). Celui-ci,
toujours réaliste, jugea qu'un accord valait tout de même mieux
qu'une guerre, dont l'issue, après tout, n'était pas tellement assurée.
L'essentiel était, pour Maxime, d'être reconnu empereur, et, pour
Théodose, que fussent sauvegardés les droits et les territoires de Valen-
tinien II. L'accord stipula, sans nul doute, que ni l'un ni l'autre des
deux contractants n'interviendrait dans le domaine de leur collègue,
sinon pour la défense des frontières et sur son appel (5). Qu'il en
fut bien ainsi, on le voit, du côté de Théodose, par une loi du 29 juillet
386 (6), qui nous montre l'Illyricum passé, même dans sa partie
orientale, sous l'administration de Valentinien, et, du côté de Maxime,
par le fait qu'il cessa dès lors d'exiger la venue à Trêves du jeune
empereur (7). Ainsi prit fin la tutelle impériale sur Valentinien,
alors âgé de quatorze ans. Elle fut remplacée par celle, morale seule
ment, de sa mère Justine, qui, avec lui, réside à Milan. Justine, arienne
zélée, inspire les mesures prises alors en faveur de sa secte : c'est
l'époque des luttes religieuses où s'illustre l'évêque Ambroise (8).
L'accord de Maxime et de Théodose n'avait fait que remettre
en vigueur la répartition des territoires antérieure à l'usurpation,
Maxime succédant à Gratien dans sa part d'empire, mais non dans
l'administration du domaine de Valentinien. La date de cet accord
doit être certainement placée au plus tard durant l'été 384. Aussi
(1) J.-W.-E. Pearce, Notes on some aes of Valentinian II and Theodosius. Numism
Chron. 1934, 114.
(2) Themistius, or. XVIII, éd. Harduinus, 220; éd. Dindorff, 268-269.
(3) Plusieurs lois sont datées d'Héraclée du 10 juin au 25 juillet 384. Seeok, Regesten,
p. 265.
(4) Zosime, IV, 37 : Bonn, 217.
(5) On a généralement admis à la suite de Seeck, Geschichte... V, 197, 513, que Théodose
est venu dans la Haute-Italie pour conclure ce traité avec Théodose. Nous ne pouvons croire
à la réalité de ce voyage pour plusieurs raisons que nous exposerons à part.
(6) Cod. Theod., I, 32, 5.
(7) Palanqhe, Saint Ambroise..., 168.
(8) Palanque, id. 139-164.
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n'est-il pas possible de reporter en 385 la loi God. Theod. VIII, 4, 17,
intéressant YOfficium inlustris per Illyricum praefecturae, adressée
à Cynégius, préfet du prétoire d'Orient, et datée faussement du 27 juin
389, ce personnage étant sûrement mort en mars 388 (1).
La politique arienne de la cour de Milan donna à Maxime sujet
ou prétexte d'intervenir en Italie. Se posant en défenseur de l'ortho
doxie nicéenne, il envoya vers la fin de 386, à Valentinien II, une
lettre menaçante (2). Justine et son fils prirent peur (3). Une ambass
ade,confiée au syrien Domnin, se présenta à Trêves. Maxime, usant
de ruse, combla l'envoyé d'honneurs et de présents. Et comme just
ement la Pannonie était alors fortement attaquée par les barbares, il
offrit et fit accepter des renforts destinés à les repousser, et Domnin
les emmena avec lui. En réalité, ils étaient l'avant-garde de l'inva
sion. Maxime les suivit de près avec le gros de son armée et se
précipita vers Milan, puis vers Aquilée, où se trouvait Valentinien.
L'infortuné souverain eut le temps de s'embarquer avec sa famille
et se réfugia à Thessalonique (4). Il ne sortait pas de son domaine (5).
(1) La date de 385 pour cette loi est proposée par O. Seeck, Regesten, 91, 269, à cause de
sa similitude avec une autre loi, Cod. Theod. XI, 1, 21 datée du 23 décembre 385; une tro
isième loi, Cod. XI, 2, 5, de même objet, est datée, comme Cod. VIII, 4, 17, de 389, mais du
18 décembre. Seeck considère ces trois textes comme faisant partie d'une même loi, qu'il
date, au moyen de corrections, du 18 décembre 385. Cette solution, qu'embrasse aussi E. Stein ,
Byzantion, IX, 343-345, est attirante, mais elle se heurte à l'accord intervenu entre Théodose
et Maxime, qu'il n'est pas possible de reculer jusqu'en 385. Et c'est pourquoi nous proposons
pour Cod. Theod. VIII, 4, 17 une autre date : entre août 387 et mars 388 (déjà suggérée
par S. Mazzarino, p. 45, note 3) pour les raisons suivantes. Du fait que cette loi est adressée
à un préfet du prétoire d'Orient et non à un préfet d'Illyricum ou ayant l'Illyricum dans
son ressort ordinaire, on doit conclure qu'elle l'a été dans un moment où ce territoire était
dans une période de transition, ou de situation anormale. Dans le temps que Cynégius est
préfet de prétoire d'Orient, cela ne se vérifie que de l'été 387 à mars 388. Maxime
vient d'envahir l'Italie, Valentinien a dû s'enfuir. Dès lors, le gouvernement de l'Illyricum
est en déshérence, ou en péril proche de passer à l'usurpateur. Théodose a hâte d'intervenir
et d'y installer son administration, qu'il confie, en attendant la conclusion des événements,
au préfet d'Orient. Ajoutons que l'objet même de la loi cadre avec cette situation. Elle
concerne des dispositions fiscales destinées à l'armée, et convient donc parfaitement à ce
temps où Théodose prévoit ou prépare la guerre contre Maxime. La similitude avec la
loi XI, 1, 21 s'explique bien par le fait que Théodose étend et précise pour un nouveau terri
toire des mesures déjà appliquées dans la préfecture d'Orient. Quant à la loi IX, 2, 5, mise
de même faussement en 389, il y a tout lieu de la relier avec celle VI, 4, 17 et de les placer
toutes deux, au moyen d'une légère correction, à la même date, en décembre 387 (soit le
18, soit le 28), qui convient bien, puisque à ce moment, Théodose est déjà résolu à la guerre.
(2) Lettre Nisi clementiae (coll. Avellana : éd. Guenther, I, 88-90). Cf. Rufin, XI, 16 et
Théodoret, V, 14.
(3) Palanque met ici la seconde mission de raint Ambroise auprès de Maxime. Nous
donnons ailleurs nos raisons de la placer en automne 384.
(4) Zosime, IV, 42-43 : Bonn, 224-227.
(5) A cela s'oppose saint Augustin montrant Théodose accueillant l'empereur fugitif
dans son domaine, Valentinianum... in sui partes imperii... excepit. De civ. Dei, V, 26. Mais
ce texte ne saurait prévaloir contre le document législatif, Cod. Theod. XI, 13, 1 daté de 386,
qui nous fait voir l'Illyricum oriental dépendant de Valentinien. On pourra l'expliquer soit,
18 ÉTUDES BYZANTINES
comme Mazzarino, p. 48-49, d'une situation de fait, Théodose ayant mis la main sur l'Illy-
ricum dès la nouvelle de l'invasion de Maxime, soit en supposant que saint Augustin, dont le
but ne dépasse pas l'apologétique, aura projeté sur les événements qu'il relate la répartition
territoriale en vigueur quand il écrit, vingt ans plus tard, la Cité de Dieu, sans qu'il ait
soupçonné qu'elle fut autre auparavant. Cette deuxième explication est à appliquer aussi
au texte similaire de la Vie grecque de saint Ambroise, 16 : P. L., 14, 53 C.
(1) Vie grecque de saint Ambroise, 15 : P. L. 14, 53 BC; Théodoret, V, 15 : Parmentier,
304-305.
(2) Cet arianisme n'était pas un arianisme de conviction : il consistait dans la faveur
accordée à la secte contre les intérêts catholiques sous l'influence de Justine. Cf. Palanque,
Saint Ambroise..., 165-168.
(3) Socrate, V, 12 : P. G., 67, 597C.
(4) D'après Zosime, IV, 44, il ne s'y est décidé que pour obtenir la main de Galla. Les
auteurs diffèrent sur le crédit à accorder à cette anecdote, qui a contre elle le comte Marcel-
lin pour qui le mariage eut lieu l'année précédente (386). Jean d'Antioche, 187 : FGH,
609 a, s'accorde avec la chronologie de Zosime. Peut-être dépend-il de cet auteur. Cf.
Ensslin, RE Wissowa, R. II, XIV, 2224, 1-5, qui admet le fait rapporté par Zosime.
(5) Théodoret, V, 15 : Parmentier, 305; Vie grecque de saint Ambroise, 16 : P. L.,
14, 53 C.
(6) PlGANIOL, 254.
(7) Zosime, IV, 47 : Bonn, 231.
(8) Voir la critique de S. Mazzarino, p. 49, note 5.
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(1) Cf. Claudien, De sexto consulatu Honorii Augusti panegyris, vers. 72-91; Th. Birt :
MGH, AA, t. X, Berlin, 1892, p. 238.
(2) Hans von Campenhausen, Ambrosius von Mailand, Berlin-Leipzig, 1929, 244; suivi
par Palanque, 252-253.
(3) Jean d'Antioche, 186 : FHG, 608 b, Socrate, V, 12, et Sozomène, VII, 14, disent
que Théodose, quittant Constantinople pour combattre Maxime, y laissa Arcadius régnant,
βασιλεύοντα.
(4) Seeck, Regesten, 274,
(5) Piganiol, 259.
20 ÉTUDES BYZANTINES
Mais déjà Arbogast, n'augurant rien de bon pour lui du long silence
de Constantinople, avait pris une décision. A Valentinien II, il avait
donné un successeur. C'était Eugène, ancien professeur, et ci-devant
fonctionnaire à la cour de Vienne. Il fut proclamé le 22 août 392 (1).
Eugène désirait avant tout sa reconnaissance comme empereur
par la cour de Constantinople. Une ambassade partit vers le Bosphore
dans ce but (2). En attendant, Eugène frappe des monnaies aux noms
de Théodose et d'Arcadius, mais refuse, semble-t-il, cet honneur à
Honorius, quand il apprend son élévation à l'augustat (3), où il
peut voir une riposte à son usurpation (4). Théodose fait attendre
l'ambassade, d'abord, peut-être, comme dit Zosime, parce qu'il
hésite (5). Il la renvoie enfin, avec des présents et de bonnes paroles (6).
Elle dut revenir près d'Eugène, vers février. Eugène, qui s'atten
dait à recevoir le consulat, selon l'usage, comme signe de sa reconnais
sance, fut déçu. Alors, de lui-même s'il ne l'avait déjà fait entre
temps, il prit le consulat pour l'Occident. Mais pour ne point couper
les ponts, il reconnut le consulat de Théodose en première place (7).
En été 393, il descendit en Italie et se fixa à Milan (8) ; il maintint
Nicomaque Flavien préfet du prétoire (9). En 394, il passa à l'hostilité
ouverte en refusant les deux consuls nommés par Théodose, qui
n'étaient autres que les deux Augustes Arcadius et Honorius, et
nomma un consul pour l'Occident (10). A la saison favorable (mai 394),
Théodose se mit en campagne, fit une longue halte à Sirmium, où il
procéda à une émission de pièces d'or destinées aux troupes (11) et
enfin rencontra l'armée d'Eugène et d'Arbogast dans la vallée du Frigi-
dus, affluent de l'Isonzo. C'est là que, le deuxième jour de la bataille,
Théodose remporta une victoire décisive (6 septembre). Eugène, pris,
fut tué par les soldats. Arbogast se donna la mort (8 sept.) (12).
que mil. per Afric. (1). Ce n'est qu'en 394 que l'Afrique passa à
Eugène, comme nous l'apprenons par le Carmen in Flavianum (2).
La victoire de la Rivière-Froide eut naturellement pour effet de
laisser libre champ à l'exécution du plan bipartite et à la répartition
des territoires qu'il comportait. Théodose fit donc aussitôt venir en
Italie celui de ses deux fils à qui il destinait la pars occidentalis de
l'empire. Honorius arriva vers la fin de 394 ou tout au début de 395.
Avec lui, Théodose célébra à Rome son second triomphe (3). Peu
après, il tombait malade à Milan et mourait le 17 janvier 395. Mais
toutes ses dispositions étaient prises. Déjà, avant de quitter Constant
inople pour aller combattre Eugène, il avait laissé à son autre fils
Arcadius le règne effectif de la pars orientalis (4). Peut-être que s'il
eût encore vécu, Théodose serait resté en Italie pour gouverner dire
ctement à la place d'Honorius encore trop jeune (5). Il confia ce soin
au général Stilicon, mari de sa nièce et fille adoptive Serena.
Divers auteurs nous représentent Théodose, à la veille de sa mort,
soucieux de ne laisser aucun germe de dissensions après lui. C'est
Rufîn qui dit : « Comme l'empereur, après cela (c'est-à-dire après
la victoire sur Eugène), en prévision de l'avenir, était soucieux des
dispositions à prendre pour le bien de la République, il envoie des
ordres en Orient, où, avant de partir à la guerre, il avait laissé ses
fils en garde sûre. Il confirme l'Auguste Arcadius dans le royaume qu'il
lui a déjà livré, et ordonne à Honorius, revêtu de la même dignité,
de venir au plus tôt à l'empire d'Occident » (6). Socrate, à son tour,
déclare que Théodose, sentant venir la fin de sa vie, « paraissait
plus soucieux des affaires de l'État que de sa mort prochaine, consi-
On voit ici que la mission confiée à Stilicon faisait partie des mesures
prises à l'avance pour la sécurité de l'empire. En donnant à ses fils
regnum, potestatem, nomen augusti, il leur assurait en même temps,
en la personne de Stilicon, un gardien de cet héritage.
Dans un autre passage, Claudien trace avec plus de précision et de
relief le rôle de Stilicon.
(1) S. Mazzarino, dans son livre Stilicone, a bien montré la fidélité de son héros à la
politique du grand empereur.
(2) In Rufinum, II, vers. 6, cité ci-dessus p. 26, note 2.
28 ÉTUDES BYZANTINES
(1) Les recherches de F. Lot, La « Notitia dignitatum utriusque imperii », R. des Et.
Ane, t. 38, juillet-sept. 1936, l'ont conduit à conclure que « tel que nous le possédons, il
(l'ouvrage) a été exécuté entre 379 et 406-408 ».
(2) Zosime, IV, 59 ad finem : Bonn, -246.
(3) Claudien, In Bufinum, II, vers. 152-162 : éd. Birt, p. 31-32.
30 ÉTUDES BYZANTINES
Ce qui nous intéresse ici, ce n'est pas de savoir si les propos rapportés,
si vraisemblables qu'ils soient, sont bien ceux de Rufin, mais de
relever ce que Claudien connaît de la répartition des territoires de
l'empire au moment qu'il considère.
Et d'abord, Illyricos fines, en soi, ne saurait désigner une partie
seulement de l'Illyrie, qui serait l'Illyrie orientale, mais bien toute
l'Illyrie. Pour quitter les régions illyriennes, Stilicon devra donc
retourner jusqu'à la frontière de l'Italie. On n'en doutera pas si l'on
se rapporte aux vers où Glaudien met dans la bouche de Rufin le
détail des pays où commande déjà Stilicon : l'Illyricum n'y figure
pas. Si l'Illyricum, au moins occidental, lui eût été soumis, Rufin
n'eût pas manqué de le signaler : il eût parlé de la Pannonie, diocèse
presque aussi grand que celui d'Italie. Son intention, en effet, est de
(1) Théodose, avant sa campagne contre Eugène.
(2) C'est ainsi que nous comprenons ce passage : Scilicet Me quidem tranquilla pace
fruatur, Nos premat obsidio. Dans l'édition de Panckoucke, il est traduit : « Qu'il jouisse donc
des bienfaits de la paix et nous laisse soutenir notre siège sans convoiter aussi ton héritage »..
La leçon fruatur nous semble préférable à fruetur, choisi par Birt.
(3) Quid partent invadere temptat? Deserat Illyricos fines... « Fines » a ici le sens de·
« régions », non de « frontières » : l'armée de Stilicon ne se trouve pas aux frontières, mais;
en plein cœur de l'Illyricum; Rufin réclame l'évacuation de ces régions. — Partent est la
leçon des manuscrits et celle des anciennes éditions. Ce mot a été justement compris, du
moins dans l'édition, que j'ai sous les yeux, de Caspar Barthius, Francfort, 1650, Animad-
versiones, p. 1215, comme désignant la partie orientale de l'empire. J. Koch (ed. Teubner)
l'a remplacé par Thracam. Il a voulu sans doute éviter une contradiction chez Claudien.
qui nous montre Stilicon en Illyrie, donc déjà dans la pars Orientis. Mais il n'y a pas contra
diction si l'on prend invadere, non dans un sens tout matériel, mais dans celui, qu'il a fr
équemment, de s'emparer indûment, d'usurper. Stilicon n'était pas entré dans le domaine
d'Arcadius dans le but de lui arracher des provinces, mais uniquement, comme régent de
l'empire et chef des armées, pour combattre un ennemi commun. C'est Rufin qui, maligne
ment,lui prête ce dessein hostile. Th. Birt, MGH, Auct. Ant., t. X, 1892, a fort bien fait
de rétablir la leçon des manuscrits. La correction : Pontum, de H.-L. Levy, In Rufinum?
New-York, 1935, ne mérite aucune considération. E. Demougeot, p. 152, note 177, suit
J. Koch. — Quant aux traducteurs de l'édition de Panckoucke, ils ont rendu Quid partent
invadere tentât? par une généralité : « qu'il nous laisse soutenir notre siège sans convoiter
aussi ton héritage ».
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Nous voyons donc ici l'Illyricum, du moins une partie — car l'expres
sion du poète : Illyrico se tertia porrigit orbi, n'implique pas le gou
vernement de l'Illyricum entier — , inclus dans la préfecture du pré
toire de notre Théodore, contrairement au passage cité plus haut
de l'invective contre Ru fin. Pour résoudre cette difficulté, il nous
faut nous replacer au moment où Mallius Théodore reçut la préfecture.
C'est un moment de parfaite concorde entre les deux cours de Milan
et de Constantinople, et même entre Stilicon et Eutrope. Celui-ci,
en effet, vient de nommer Gennade, un ami de Claudien et par suite
de Stilicon, proconsul d'Achaïe (1), et, par un décret du 31 décembre
396, Arcadius envoie un préteur, comme délégué officiel, aux fêtes
natalices d'Honorius (2). Cette paix est célébrée, sous la plume de
Claudien, dans le discours où la Justice invite Théodore à accepter la
fonction suprême.
Ne vois-tu pas que la Clémence, notre sœur,
Ëmousse le tranchant des glaives abhorrés,
Que la Piété se lève, enlaçant dans ses bras
Les frères souverains, et que la Perfidie
Pleure et porte le deuil de ses armes brisées.
La Bonne Foi triomphe avec la Paix. Nous toutes,
Avons quitté les cieux et portons librement
Nos pas dans les cités d'où la discorde a fui (3).
Il est évident que cette parfaite paix a dû être précédée d'un accord
pour lui donner naissance. On en connaît par déduction quelques
points. Ainsi, l'établissement à Constantinople de la collégialité pré
fectorale, qui, en partageant la fonction entre deux titulaires, empêc
hait la toute-puissance d'un seul (4). Ainsi encore la désignation
des consuls, un pour chaque pars, répartie entre les deux empereurs,
alors qu'auparavant le droit de nommer les deux consuls appar
tenait exclusivement à l'Auguste le plus ancien (5). C'étaient là
des avantages seulement moraux. On a pensé qu'ils étaient accordés
en compensation de l'abandon par Stilicon de l'Illyricum oriental (6).
Nous avons peine à croire à un tel désistement (7). Quoique Théo-
(1) Claudien, Carmina minora, XIX (XLIII : Koch), éd. Birt, p. 296. Cf. S. Mazzarino,
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(2) Cod. Theod., VI, 4, 30.
(3) Claudien, De consul. Mallii Theodori, vers. 166-172; éd. Birt, p. 182.
(4) Palanque, Essai..:, 92.
(δ) Palanque, Collégialité et partages..., R. des et. anc. 1944, 287.
(6) E. Demougeot, 361.
(7) Pour E. Stein, le régent « espérait en tout cas obtenir une influence déterminante
l'illyricum de 375 a 408 33
sur le gouvernement oriental, s'il était dirigé par Eutrope, et cela lui parut un gain pas trop
cher acheté par le renoncement oriental ». Geschichte..., 352. Vraiment, nous ne comprenons
pas. Ainsi donc, en récompense de son concours, ce n'était donc pas assez pour Eutrope,
l'eunuque, de parvenir au sommet du pouvoir; il fallait encore laisser entre ses mains deux
diocèses entiers. Comme si celui qui avait subi des dommages et qui avait droit à des compens
ations n'était pas Stilicon lui-même, doublement frustré, et de sa régence directe à la cour
d'Orient et de son commandement suprême de toutes les armées.
3
34 ÉTUDES BYZANTINES
pour sa rapidité, mais sans doute aussi pour grever le moins possible les populations de l'ill
yricum ; et cela aura dû être annoncé à Arcadius. Il y a tout lieu de croire aussi, à cause de la
suite des événements, que Stilicon partit sans attendre la réponse.
(1) E. Demouoeot, 170-172; S. Mazzarino, 261-262.
(2) Zosime, V, 7 : Bonn, 254.
(3) Claudien, De consulatu Stilickonis, II, 107 et surtout 131-143, éd. Birt, 207-208.
(4) Orose, VII, 37 : « Taceo de Alaricho rege cum Gothis saepe victo, saepe concluso
semperque dimisso ». P. L., 31, 1158 B; Zangemeister, p. 537.
(5) Voir ci-dessous, p. 30.
36 ÉTUDES BYZANTINES
(1) S. Mazzarino, 262. Cet auteur, qui nous précède ici, donne la meilleure, disons la
seule valable, explication de ce dénouement de la campagne, en se fondant sur le texte de
Claudien où un vieux guerrier goth, à Pollentia, conseillant à Alaric d'éviter le combat,
lui rappelle les revers sanglants infligés par Stilicon dans la guerre d'Arcadie.
...scis ipse, per oras
Arcadiae quam densa rogis cumulaverit ossa,
Sanguine quam largo Graios calefecerit amnes :
Extinctusque fores, nisi te sub nomine legum
Proditio regnique favor texisset Eoi.
{De bello Getico (alias Pollentino, alias Gothico), 514-517 : éd. Birt, p. 278.)
(2) Cette qualité avec les pouvoirs qu'elle comporte est attestée par Claudien, In Eutro-
pium, II, 214-218; De bello Getico, 535-543, quoique le titre ne se trouve pas expressément
sous sa plume.
(3) Claudien, de Bello Getico, V, 496-497 : éd. Birt, p. 277.
Saepe quidem frustra monui, servator ut icti
Foederis Emathia tutus tellure maneres.
(Paroles du vieux guerrier goth à Alaric.)
Le traité ici signalé ne peut trouver place qu'en cette circonstance. S. Mazzarino, p. 69,
le met deux ans après la bataille de Pholoe, sans indiquer d'occasion qui l'aurait motivé,
sinon que les Goths auraient quitté le Péloponèse pour la Grèce du Nord en 399, et menacé
ainsi la frontière du diocèse de Pannonie. Mais ce déplacement à une date si tardive ne peut
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croit à une ambassade d'Eutrope en Italie, en pensant que les legati dont parle Claudien
sont ceux d'Orient, mais ce sont ceux de Rome. Même confusion chez le traducteur de l'édi
tion Panckoucke.
(1) S. Mazzarino, 267-268; E. Demougeot, 183-185.
(2) Claudien, In Eutropium, I, v. 409 : Birt, 89; De consul. Stilichonis, III, 91-96 :
Birt, 224.
(3) E. Demougeot, 232-233.
(4) E. Demougeot, 244, 246.
(5) A. Demougeot, 256-262.
(6) Claudien, De hello Getico, 535-539 : éd. Birt, 279.
l'illyricum de 375 a 408 39
bassement des uns et des autres, qui le laisserait, pour ainsi dire,
maître du jeu. Cependant, Alaric, qui continuait à ravager l'Italie
du Nord, était loin d'être abattu. Il ne pouvait l'être qu'au prix
d'énormes sacrifices. Stilicon préféra traiter. Il lui rendait sa famille
et obtenait de lui l'abandon pur et simple du territoire envahi. Alaric
prit donc le chemin du retour, tandis que le régent veillait à ce qu'il
n'en déviât point. Avant de repasser les Alpes, Alaric tenta encore
une fois sa chance, et, rompant l'accord, engagea à Vérone une grande
bataille où il fut complètement battu (été 401). Il trouva fermés les
chemins vers le Norique et dut retourner au delà des Alpes (1).
Il séjourna quelque temps en Savie (2), mais ne tarda pas à envahir
l'Illyricum d'Arcadius, qu'il rançonna et pilla sans que la cour d'Orient
osât ou pût faire quoi que ce soit pour l'en empêcher (3).
De tout cet épisode, Stilicon ne put manquer d'éprouver, vis-à-vis
de la cour d'Orient, responsable à ses yeux du danger couru et des
ravages subis, un profond ressentiment qui a dû influer sur la direc
tion ultérieure de sa politique orientale.
Il n'en fit d'abord rien paraître, et les rapports entre les deux cours,
sans être cordiaux, restèrent corrects. Les consuls pour 403 furent
proclamés de part et d'autre. Il n'en est plus de même en 404, et la
rupture est d'autant plus sensible qu'en Occident, c'est Honorius
lui-même qui a pris les faisceaux (4). Le poème récité par Claudien
pour cette circonstance reflète indirectement cette inimitié (5). Pas
la moindre allusion n'y est faite à l'autre empereur, alors qu'en
célébrant les consulats précédents d'Honorius (6), le poète ne manq
uait jamais de chanter la concorde des deux fils de Théodose. C'est
la même situation pour les consulats de 405. Entre temps, les rapports
(1) Toutes deux ne sont connues que par la mention qu'en fait la lettre indiquée dans
la note 3 de cette page.
(2) Dernier exposé détaillé dans E. Demougeot, 296-337.
(3) Lettre « Quamvis super imagine » : Coll. Avell. 38 : éd. Guenther, 85-88.
(4) « Τρίτον γράφω » : Palladii dialogue, IV : P. G., 47, col. 14-15.
(5) Palladii dialogus, ibid., col. 15-16.
42 ÉTUDES BYZANTINES
(1) II n'estpas probable que Stilicon ait dû attendre la lettre de l'empereur pour connaître
l'insurrection de Constantin et l'approche de son armée. Mais il avait hâte, tenu par son
accord avec Alaric, d'achever auparavant son programme illyricien. Cf. Demougeot, 374,
note 121.
(2) Sozomène, IX, 4 : Ώνωρίο-j γρίμαατιν έπίσχεθη : P. G., 67, 1605 A.
(3) Zosime, V, 29 : Bonn, 287-288.
(4) Zosime, V, 31; Sozomène, IX, 4.
(5) Sur le déroulement de ce complot, voir E. Demougeot, 417-425.
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V. Grumel.