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Veselin Beševliev

Deux corrections au « Breviarium » du patriarche Nicéphore


In: Revue des études byzantines, tome 28, 1970. pp. 153-159.

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Beševliev Veselin. Deux corrections au « Breviarium » du patriarche Nicéphore. In: Revue des études byzantines, tome 28,
1970. pp. 153-159.

doi : 10.3406/rebyz.1970.1433

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1970_num_28_1_1433
DEUX CORRECTIONS AU « BREVIARIUM »
DU PATRIARCHE NICÉPHORE

V. BESEVLIEV

L'appartenance d'une tribu à un peuple déterminé était, on le sait,


souvent exprimé dans le grec classique en plaçant en apposition au nom du
peuple celui de la tribu, accompagné de l'article et au même cas1, v.g.
HÉRODOTE, I, 28 Θρήικας οι Θυνοί τε και Βιθυνοί, XÉNOPHON, Hell. Ι, 3, 2
εις τους Βιθυνούς Θράκας. Le nom de la tribu accompagné de l'article
peut précéder ou suivre celui du peuple, comme le montrent clairement les
deux exemples précédents. Cette façon de s'exprimer apparaît très nettement
chez les auteurs de l'antiquité quand ils mentionnent les diverses tribus des
Locriens.

1) Le nom du peuple en tête, celui de la tribu ensuite :


Pindare, O. X, 13 πάλιν Λοκρών Ζεφυρίων (langage épique, sans article) ;
Hérodote VI, 23 εν Λοκροΐσι τοΐσι Έπιγεφυρίοισι ; THUCYDIDE, VII, I
ες Λοκρούς τους Έπιγεφυρίους ; Procope, Hist. II, 82, 9 Λοκροί ... οι
Έπιγεφύριοι ; Thucydide, Ι, 5, 3 περί τε Λοκρούς τους Όζόλας ; Strabon,
588, 19 Λοκροί τε οί Όζόλαι ; 590, 25 Λοκρών ... των Όζολών ; Thucyd
ide,Ι, 108, 3 Λοκρών τών Όπουντίων ; Strabon, 586, 4 τών Λοκρών ...
των Έπικνημ,ιδίων. Rarement Eschine, III, 123 οι Λοκροί οί Άμφισσεΐς ;
Strabon, 589, 30 οί Λοκροί ... οί Όζόλαι.

2) Le nom de la tribu en tête, celui du peuple ensuite :


Pindare, O. XI, 15 Ζεφυρίων Λοκρών γενεάν ; Strabon, 600, 23-24
τών Έπικνημ,ιδίων ... Λοκρών ; 607, 19 τοις Έπικνημιδίοις Λοκροΐς.
L'article manque très rarement devant le nom de la tribu, v.g. Thucydide,
IV, 75, 2 δια Βιθυνών Θρακών ; XÉNOPHON, Anabase VI, 4, 2 Θράκες

1. R. Kühner, Ausführliche Grammatik der griechischen Sprache, 2. Teil : Satz


lehre, 3. Auflage besorgt von B. Gerth, I. Bd, Hannover 1898, p. 601. K.W. Krüger.
Griechische Sprachlehre, L. Teil, 2. Heft : Syntax, 6. Auflage besorgt von W. Pökel,
Leipzig 1891, p. 113.
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Βιθυνοί. Le dernier passage se présente ainsi dans l'édition de K.W. Krüger,


Ξενοφώντος Κύρου Άνάβασις, 5e éd. Berlin 1863, 205 : Θράκες οι Βιθυνοί.
On met l'article quand on veut désigner toute la tribu2. Les exemples
précédents ne se rapportent qu'à une partie de la tribu.
Cette façon de s'exprimer des Grecs de l'antiquité se rencontre aussi chez
les écrivains byzantins. Toutefois dans le grec ancien le nom de la tribu
est assez souvent accompagné d'un participe comme καλούμενος ou son
équivalent.
1) Le nom du peuple en tête, celui de la tribu ensuite :
a) sans participe :
Procope, Hist. I, 10, 10 προς το Ούννων τών Έφθαλιτών έθνος ; 28, 11
ες Οΰννους τους Έφθαλίτας ; 11, 502, 21 Ουννων τών Ούτιγούρων ; 578, 2
Ουννων τών Σαβείρων.
b) avec participe :
Procope, Hist. I, 74, 8-9 Ούννοι ... οί Σάβειροι καλούμενοι ; II, 502,
1 Γότθοι οι Τετραξϊται καλούμενοι ; 506, 8-9 Γότθοις ... τοις Τετρα-
ξίταις καλουμένοις ; 636, 23 Ουννων τών Κουτριγούρων καλουμένων
ολίγοι τινές ; Agathias, 243, 17-18 Ουννων ... τών δη Όνογούρων επιλ
εγομένων ; 267, 17 εκ τών Ουννων ... τών δή Σαβείρων ονομαζόμενων ; Jean
MALALAS, 489, 13 έθνος Ουννων παράξενον τών λεγομένων Άβάρων.
2) Le nom de la tribu en tête, celui du peuple ensuite :
a) sans participe :
Procope, Hist. II, 506, 14 ο'ι Τετραξϊται Γότθοι ; Priscus, EL, 586, 12
τοις Άκατίροις Οΰννοις ; AGATHIAS, 366, 5 ό τών Κοτριγούρων Ουννων
ήγεμών ; Jean Malalas, 430, 20-21 εκ τών Σαβείρων Ουννων ; 457, 3-4,
6, 7 ; 458, 14-15 τών Άμεριτών 'Ινδών ; Théophane, 122, 1 τών Νεφθα-
λιτών Ουννων.
b) avec participe :
Procope, Hist. II, 503,24-504, 1 οι Τετραξΐται καλούμενοι Γότθοι ;
Ménandre, EL 458, 27 τών Κουτριγούρων λεγομένων Ουννων.
Le nom de la tribu figure parfois sans article chez les auteurs byzantins,
v.g. Procope, Hist. II, 507, 10-11 Κουτρίγουροι Ούννοι, De aedif. 103, 9-10
ε'ίτε Σαυρομάτας Άμαξοβίους εϊτε Μετανάστας ; Agathias, 313, 1 Ούννοι
Σάβειροι ; Jean Malalas, 472, 15 Ούννοι Σαβήρες. Les exemples Ούννοι
Σάβειροι ou Ούννοι Σαβήρες au lieu de Ούννοι οι Σάβεροι — Οδννοι οί

2. Krüger, loc. cit.


ν. beSevliev : deux corrections au « breviarium » 155

Σοφήρες pourraient s'expliquer par l'haplologie. Dans le premier exemple,


extrait de Procope, l'article manque conformément à la langue néotesta
mentaire3, étant donné qu'il ne s'agit pas de la totalité existante, mais de
la particularité distinctive, en quelque sorte « Des gens comme... ». Dans
le second exemple l'absence de l'article est normale, puisque les noms de
peuple sont des prédicats à l'accusatif près du verbe καλεΐν. L'usage de
l'article chez Malalas est flottant, si bien que parfois dans une expression
ou un contexte identiques l'article figurera ou manquera, sans qu'on sache
exactement pourquoi4, v.g. 458, 18-19 τους ύπ'αύτον 'Ινδούς Σαρακηνούς ;
463, 22 εκ δε 'Ρωμαίων Σαρακηνών ; ou 446, 18 'Ιουλιανός ό Σαμαρείτης,
21 Σαμαρείτην Ίουλιανόν. A cet égard la langue de Malalas est à comp
arer avec celle des papyri ptolémaïques, où l'on remarque le même
phénomène5. Dans des cas comme 406, 9-10 οί Ούννοι Σάβειροι, ou 458,
18-19 τους ... 'Ινδούς Σαρακηνούς, la présence de l'article est absolument
contraire à l'usage courant. C'est en l'occurrence une sorte de raccourci
remplaçant οί Ούννοι οί Σάβειροι ; comparer l'exemple précité d'Eschine III
123. Hormis quelques exceptions, qui sont dans la plupart des cas aisément
explicables, les écrivains byzantins utilisent l'expression susmentionnée en
suivant exactement les règles du grec ancien.
Théophane commence son récit bien connu du début de l'Etat bulgare
dans la péninsule balkanique par la phrase : άναγκαΐον δε ειπείν και
περί της αρχαιότητος των Ούννογουνδούρων Βουλγάρων και Κοτράγων6.
Les mots των Ούννογουνδούρων Βουλγάρων sont un nouvel exemple de
la manière de s'exprimer du grec ancien et signifient que les Unnogoundours
étaient une tribu des Bulgares. Toutefois la même phrase se retrouve chez le
patriarche Nicéphore : Λεκτέον δε ήδη περί της των λεγομένων Οΰννων
και Βουλγάρων αρχής και καταστάσεως αυτών7. Il est acquis depuis très
longtemps que les récits des deux chroniqueurs byzantins, Théophane et
Nicéphore, concernant la fondation de l'Etat bulgare remontent à une source
commune, actuellement perdue8 : le patriarche Nicéphore l'abrège et la
restitue dans un style un peu plus relevé. L'expression de Théophane
των Ούννογουνδούρων Βουλγάρων correspond donc à celle de Nicéphore

3. Fr. Blass, Grammatik des neutestamentlichen Griechisch, bearbeitet von Α.


Debrunner, Göttingen 1931, p. 150, § 262.
4. Κ. Wolf, Studien zur Sprache des Malalas, II. Teil : Syntax, Müchen 1912, p. 14.
5. Ed. Mayser, Grammatik der griechischen Papyri aus der Ptolemäerzeit, Bd II,
2 Satzlehre, Analytischer Teil, zweite Hälfte, Berlin 1934, p. 12, § 56, I.
6. Theophanes, Chronographia : de Boor I, p. 35619.
7. NicEPHORUS, Opuscula historica : de Boor, p. 3313~14.
8. Gy. Moravcsik, Byzantinoturcica2, I, Berlin 1958, p. 535.
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των λεγομένων Ούννων και Βουλγάρων. Reste maintenant à savoir laquelle


des deux était l'originale ou du moins la plus proche de l'originale. L'ex
pression du texte de Théophane est non seulement en parfait accord avec
les exemples cités sous 2 a, elle est encore grammaticalement tout à fait
irréprochable. La locution των λεγομένων Οΰννων και Βουλγάρων réappar
aît une autre fois chez Nicéphore avec cette différence que le participe et la
conjonction manquent entre les deux ethniques τους Οΰννους Βουλγάρους9.
Cette dernière expression, conforme aux exemples précités, peut tout
simplement signifier que les Huns étaient une tribu de l'ensemble du peuple
bulgare, ce qui est toutefois contraire à la réalité. Si d'autre part l'on ajoute
la conjonction kai entre les deux ethniques, comme Petau10 l'avait proposé,
il faudrait admettre que les Bulgares danubiens se composaient de Huns
et de Bulgares, parmi lesquels les premiers étaient si fortement représentés
qu'on devait absolument les mentionner et même en premier lieu. Mais
cela est à peine vraisemblable, quoique des Huns fussent certainement
présents parmi les Bulgares, comme on peut s'en rendre compte par ce
qu'on appelle la liste des princes bulgares. Nous devons donc admettre
qu'il y avait dans le texte original un autre ethnique que Οΰννους. La présence
du participe dans τών λεγομένων Οΰννων και Βουλγάρων a aussi de quoi
surprendre. En effet, le nom des Huns était si connu des Byzantins que le
participe explicatif était à peine nécessaire, car il convient plutôt à un ethni
quepeu connu. Si l'on songe d'autre part que Théophane et Nicéphore
ont emprunté leur récit concernant les Bulgares à une source commune, un
si grand désaccord entre les deux chroniques est invraisemblable. A s'en
tenir au principe de la « lectio difficilior », le texte de Théophane τών
Ούννογουνδούρων Βουλγάρων mérite incontestablement la préférence. Par
conséquent le texte original des deux passages de Nicéphore était sans
aucun doute τών λεγομένων Ούνογουνδούρων Βουλγάρων - τους Ούνογουν-
δούρους Βουλγάρους. L'origine de la fausse leçon Οΰννων - Οΰννους est
facile à deviner. On a soit faussement résolu les mots abrégés Ούνογουνδού
ρων - Ούνογουνδούρους sous l'influence de l'ethnique bien connu Ούννοι,
soit remplacé le terme peu connu, voire inconnu Ούνογουνδούρων par
l'habituel Οΰννων. Il faut d'ailleurs noter que dans le codex Londinensis de
Nicéphore 24, 10 « Unnogoundourôn » est écrit avec deux « nun ». Il
est en revanche plus difficile de dire qui a altéré le texte primitif ; ce fut
peut-être, hypothèse plus vraisemblable, un copiste négligent du texte de
Nicéphore, ou bien le patriarche Nicéphore lui-même.

9. Nicephorus, Opuscula historica : de Boor, p. 693.


10. Ibidem, p. 693 (apparat critique).
V. BESEVLIEV : DEUX CORRECTIONS AU « BREVIARIUM )) 157

Que les Unnogoundours étaient une tribu des Bulgares ou leur étaient
identiques, c'est ce que confirme aussi Constantin Prophyrogénète {De them.
85, 29-32) : Έγένετο δε ή των βαρβάρων περαίωσις επί τον "Ιστρον
ποταμόν εις τα τέλη της βασιλείας Κωνσταντίνου του Πωγωνάτου, δτε και
το όνομα αυτών (= των Βουλγάρων) φανερον έγένετο · πρότερον γαρ Όνο-
γουνδούρους αυτούς έκάλουν.
Une autre source appelle la tribu non pas « Unnogoundouroi » mais
« Unnogouroi », cf. Agathon, Mansi XII, 193 b : των Ούννογούρων Βουλ
γάρων. L'identité des deux dénominations ne fait pas de doute ; toutefois
l'on ne voit pas bien quel est le rapport entre les deux noms. Gy. Morav-
csik11 est d'avis que « Onogoundour » représente soit une forme bulgaro-
turque, soit une déformation de « Onougour », consécutive à une contami
nationlinguistique. Mais si l'on considère que les Onogoundours appar
aissent dans trois textes distincts on pourrait aussi supposer que « Ounno-
gourôn » est une fausse lecture de « Ounnogoundourôn ».
Les corrections proposées du texte du patriarche Nicéphore peuvent
aussi se justifier par des sources littéraires. Aucune des sources grecques ou
latines qui mentionnent les Bulgares avant la fondation de leur Etat dans la
péninsule balkanique ne les présente comme des Huns ou comme une de
leurs tribus. Seules les deux informations suivantes sur les Bulgares ont
incité plusieurs savants à soutenir que les Bulgares étaient identiques
aux Huns. Jean d'Antioche12 rapporte : a) Και ή των Θεοδωρίχων
συζυγία αύθις τα 'Ρωμαίων έτάραττε και τας περί την Θράκην πόλεις
έξεπόρθει, ως άναγκασθήναι τον Ζήνωνα τότε πρώτον τους καλουμένους
Βουλγάρους εις συμμαχίαν προτρέψασθαι. b) 'Επειδή δέ Θεοδώριχος
ό Τριαρίου επιτυχών προς τους Οΰννους έπραξε πολέμω και έπ'αύτήν
τήν Κωνσταντίνου πόλιν ώρμησεν. On a identifié les Bulgares du premier
texte avec les Huns du second sans preuve particulière, puisqu'on partait de
l'hypothèse que le terme « Bulgares » doit être synonyme de « Huns ».
Selon une information de Théophane13, les Huns firent une irruption
dévastatrice en Thrace au temps de l'empereur Zenon. Les Huns étaient
donc à cette époque des ennemis des Byzantins et entreprirent des razzias
sur le territoire de leur empire. C'est pourquoi l'on présume que Théodoric,
le fils de Triarius, a lutté contre ces Huns qui avaient pénétré en Thrace.
Les Bulgares étaient au contraire des alliés des Byzantins. De plus, on ne
trouve dans les sources aucun indice direct ou indirect qui permettrait

11. Pour l'histoire des Onogoures voir Ungarische Jahrbücher 10, 1930, p. 73 =
Studia Byzantina, Budapest 1967, p. 102.
12. Excerpta de insidiis : de Boor, Berlin 1905, p. 13513"18.
13. Theophanes, Chronographia : de Boor I, p. 1209~12.
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de conclure que le susdit Théodoric ait jamais lutté contre les Bulgares.
Cependant Ennodius, parlant de Théodoric, le fils de Théodemir, raconte
dans le panégyrique de ce roi qu'il a blessé le chef des Bulgares dans un
combat : « Stat ante oculos meos Vulgarum ductor libertatem dextera
tua adserente prostratus, nee extinctus, etc14 ». En 479-480, ce Théodoric
livrait en Macédoine et en Albanie des combats sans merci (cf. libertatem
dextera tua adserente) contre l'armée byzantine que commandait le général
Sabinianus Magnus15. Sabinianus était, comme le sera plus tard son fils
homonyme, magister militum per Illyricum. Les Bulgares, enrôlés comme
alliés au dire de Jean d'Antioche, étaient probablement aussi placés sous
son commandement ; de même plus tard ces mêmes Bulgares furent enrôlés
comme fédérés dans l'armée de son fils et prirent part à ce titre au combat
contre les Ostrogoths en 505. La bataille mentionnée par Ennodius se
déroula par conséquent en Macédoine. Les divers personnages qui ont
livré combat et les divers théâtres d'opérations ne permettent donc pas
d'identifier les Bulgares avec les Huns. Quoi qu'il en soit, l'identification
des deux noms de peuples dans les passages suscités de Jean d'Antioche
ne peut en aucune manière être tenue pour sûre.
La seconde information se trouve chez le sénateur Cassiodore. Il écrit en
effet que le général ostrogoth Toluin fut élevé au patriciat, car entre autres
« egit de Hunnis inter alios triumphum et emeritam laudem primis congres-
sibus suspicatus neci dédit Bulgares toto orbe terribiles »16. La mention
conjointe des Huns et des Bulgares est considérée comme une preuve de
l'identité des deux noms17. De l'avis de M. Kiessling18 les Huns et les Bul
gares sont ici au contraire nettement distingués. A. Burmov19 admet, à la
suite de M. Mommsen20, qu'il s'agit de deux combats différents et par
conséquent de deux peuples différents. Nous ne prétendons pas contester
cette possibilité, mais une autre explication nous semble plus vraisemblable.
Les deux noms pourraient être éventuellement synonymes, mais il ne s'ensuit
pas pour autant que Bulgares et Huns fussent identiques. L'appellation
« Huns » a ici une signification plus politique qu'ethnique. Si les Bulgares
sont appelés Huns, c'est parce qu'ils appartenaient antérieurement au
royaume des Huns. En mentionnant les Huns, qui étaient alors redoutés

14. Magni Felicis Ennodii opera = MGH, Auct., VII, p. 20527-30.


15. Malchus, dans Excerpta de legationibus, p. 15915-16326.
16 Cassiodori Senatoris variae = MGH, Auct., XII, p. 240.
17. B.D. Detschev, Der ostgermanische Ursprung des bulgarischen Volksnamens,
dans Zeitschrift für Ortsnamenforschung II, 1927, p. 206.
18. RE 8, col. 2606, sub verbo Hunni.
19. Izbrani proizvedenija (Oeuvres choisies) I, Sofia 1968, p. 27.
20. Prooemium zum Cassiodori variae = MGH, Auct., XII, p. xxvii.
V. BESEVLIEV : DEUX CORRECTIONS AU (( BREVIARIUM )) 159

de tous les peuples, un rhéteur mettait dans un relief tout particulier la


victoire de Toluin.
La désignation des Bulgares comme « Huns » ou leur identification avec
eux apparaît seulement dans les sources grecques postérieures aux ouvrages
de Théophane et du patriarche Nicéphore. De nombreux exemples en ont
été donnés par Gy. Moravcsik dans son livre Byzantinoturcica, si bien
qu'il est superflu d'en ajouter ici. P.G. Stritter21 a déjà fait remarquer,
voici presque deux siècles : « Ita late patet apud scriptores Byzantinos et
fluctuât Hunnorum nomen, ut quam proprie gentem eo designare voluerint,
ipsi ignorasse videantur. » Enfin Gy. Moravcsik a montré que les Byzantins
identifiaient souvent les peuples turcs contemporains avec les Huns ou les
Turcs22. Il en donnait la raison suivante : « Les Byzantins avaient conscience
que le caractère ethnique et les coutumes des peuples hunno-turcs en fai
saient une ethnie particulière23 ». Pour eux l'idée courante du « Hun »
perdait peu à peu son contenu originel, ethnique, politique, culturel, qui
ne caractérisait qu'un seul peuple barbare ; ils l'appliquèrent tout simple
mentà des peuples qui s'apparentaient aux Huns par leurs coutumes et
leurs particularités24. Il est évident que ce n'était pas la seule raison. D'aut
resfacteurs avaient aussi leur importance : même séjour, même situation
géographique, même provenance, la consonance « Ounnoi/Ounno (goun-
douroi) », la connotation dédaigneuse, voire injurieuse du nom de Hun,
la vague conception ethnologique de l'époque : en fait on ne distinguait en
Europe que trois grands groupes ethniques principaux, les Goths (Pro-
cope, Hist. I, 311, 5 Γοτθικά έθνη), les Huns (Procope, Hist. I, 10, 21
Ούννικα έθνη) et les Slaves (Procope, Hist. 357, 9-10 τα ... έθνη ταΰτα,
Σκλαβηνοί τε και "Αντοα)· Chaque peuple devait être rangé dans l'un de ces
grands groupes ethniques. Ajoutons encore l'ignorance, la connaissance
rudimentaire, voire nulle des langues, etc. Aussi tous les termes « Huns »
ne peuvent pas, chez les Byzantins, désigner des Huns véritables. Ces mêmes
raisons expliquent probablement aussi le fait remarquable que le nom de
Bulgares n'est jamais mentionné par Procope et son continuateur Agathias,
bien que les Bulgares fussent certainement connus des deux écrivains
byzantins.
Par conséquent, dans les deux passages du patriarche Nicéphore, le nom
des Huns n'est pas substitué à celui des Bulgares ; il ne s'agit que d'une
confusion courante.

21. Memoria populorum, I, Saint-Pétersbourg 1771, p. 451.


22. Byzantinoturcica, II, p. 15.
23. Ibidem, p. 16.
24. Ibidem, p. 17.

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