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Irène Sorlin

Un acte du patriarche Antoine IV en version slave


In: Revue des études byzantines, tome 43, 1985. pp. 253-258.

Résumé
REB 43 1985 France p. 253-258
Irène Sorlin, "Un acte du patriarche Antoine IV en version slave". — Présentation et traduction du texte slave, qui est le seul
connu, de l'acte daté de septembre 1389 et renouvelant la condamnation du métropolite Poimèn prononcée par le patriarche Nil.

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Sorlin Irène. Un acte du patriarche Antoine IV en version slave. In: Revue des études byzantines, tome 43, 1985. pp. 253-258.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1985_num_43_1_2178
Un acte du patriarche Antoine IV en version slave

Irène SORLIN

La plus grande partie des renseignements concernant les affaires ecclé


siastiques de Russie sous le patriarcat de Nil proviennent de l'acte de son
successeur, Antoine IV, daté de février 1389. L'affaire d'actualité au début
de ce patriarcat était la condamnation de Poimèn par Nil, car on insiste
beaucoup dans l'exposé du procès sur la régularité de la condamnation par
défaut, bien que les trois sommations aient été communiquées normale
ment au prévenu. Le retour de Poimèn et la présence au synode de
personnes ordonnées par lui malgré sa déposition, surtout Théodore de
Rostov, puis Michel de Smolensk, relançaient l'affaire. Le patriarche
Antoine dut procéder par conséquent à une nouvelle condamnation, dont
l'acte a été heureusement conservé dans une version russe de l'époque, qui
était restée inconnue de la rédaction des regestes patriarcaux. Comme la
procédure suit de près celle qui fut suivie pour la première condamnation
(sommations et condamnation par défaut), dont le texte est perdu, l'acte
d'Antoine IV mérite d'être mieux connu.
Ce texte se trouve dans un manuscrit de N. M. Karamzin, qui est
maintenant déposé à la Bibliothèque Publique d'État (G.P.B.) sous la cote
F.iv. 603, aux folios 393-396 ; il est édité dans l'ouvrage de N. M. Procho-
rov, Povest' ο Mitjae, Leningrad 1978, p. 225-228. Le traducteur ancien a
eu sous les yeux le texte intégral : intitulation du patriarche, exposé,
sentence, conclusion, date et signatures. Il fut diffusé naturellement par les
légats du patriarche, Matthieu d'Andrinople et Nicandre de Ganos, qui
accompagnèrent Cyprien de Russie en vue d'aider à son installation. Le
titre indique que cette traduction circula en plusieurs exemplaires, par
copies libres ; du moins la conclusion ne comporte pas de certificat officiel
de traduction.

Revue des Études byzantines 43, 1985, p. 253-258.


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Copie de l'acte patriarcal synodal

Antoine, par la grâce de Dieu archevêque de Constantinople, la Nouv


elle Rome, et patriarche œcuménique.
L'ex-métropolite de Russie, Poimèn, après le jugement et la destitution
synodale émanant du patriarche qui l'avait ordonné, le très saint Nil
d'éternelle mémoire, et après le départ de délégués qui lui avaient été
envoyés en terre d'Orient lorsqu'il se fut enfui d'ici, se rendit en terre russe
et y occupa le siège métropolitain de façon illégale et tyrannique, transgres
sant les lois et les règles et, disons pire, ayant osé exercer de façon impie
le sacerdoce sans être consacré : (à savoir) procéder à l'ordination d'évê-
ques, de prêtres et de diacres, et faire, l'audacieux, tout ce qu'il convient
que fassent les véritables évêques dans leur métropole, espérant tenir
secrètes ces grandes (fautes) qui ne peuvent être cachées au yeux de Dieu,
car aucune ne peut être cachée, ni parole, ni action, ni intention. Et ayant
amassé de grandes richesses et sachant qu'il ne serait pas bon pour lui de
demeurer en Russie, il retourna à nouveau. Mais il ne vint pas directement
dans la ville impériale, mais se rendit tout d'abord en terre orientale et
arriva ainsi à Constantinople avec une intention perverse et trompeuse, ne
se présenta pas devant le synode ni ne vit jamais notre humilité, n'ayant
passé ici que peu de jours1.
Et comme il avait appris que le très saint et très vénérable métropolite de
Kiev et de toute la Russie, Cyprien, frère très aimé en l'Esprit Saint et
co-offîciant de notre humilité, de même que le pieux archevêque de Rostov,
Théodore2, voulaient porter une accusation contre lui devant le saint et
divin synode, car ils étaient en litige avec lui, chacun portant plainte contre
lui pour sa part, il s'éloigna à nouveau en terre d'Orient et se réfugia chez
les Turcs. Il lia amitié avec eux et leur offrit des présents et en reçut de leur
part. De là il écrivit à notre humilité, disant qu'on lui avait fait une grande
injustice et exigeant un procès selon les règles du droit et demandant que
le métropolite Cyprien et l'archevêque Théodore attendent sur place
jusqu'à sa confrontation avec eux devant le synode : d'une part avec le
métropolite, qui lui avait causé de grands et nombreux maux, d'autre part
avec Théodore, qui l'avait calomnié (en prétendant que), lorsqu'il l'avait

1. Ignace de Smolensk ne dit rien de ce séjour de Poimèn dans la capitale : B. de


Khitrowo, Itinéraires russes en Orient, Genève 1889, p. 134-135. Sur l'affaire, voir
N. M. Prochorov, op. cit., p. 181-187 ; J. Meyendorff, Byzantium and the rise of Russia,
Cambridge 1981, p. 234-241.
2. Théodore, archevêque de Rostov, avait été ordonné par Poimèn, qui exerça ses
prérogatives malgré la condamnation de Nil, qui le réduisait à l'état laïque (ανίερος, non
consacré). L'exposé, qui traite Poimèn d'ex-métropolite, suppose Théodore non seul
ement confirmé dans son titre episcopal, mais doté en plus du titre d'archevêque ; on
ignore par quelle procédure furent régularisés ces actes de Poimèn.
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ordonné évêque, il lui avait enlevé ses biens de même qu'à d'autres, et les
nommant (tous deux) ses détracteurs.
Il fit connaître ces choses par un écrit, mais il était faux et trompeur et
se donnait pour une plainte portée à l'avance, comme cela devint manifeste
plus tard. Il disait encore à son propre propos que c'était lui qui avait
demandé un procès régulier et qu'en aucune façon ce procès ne lui était fait,
et il ne prévoyait pas qu'il serait confondu par ses détracteurs et qu'il
tomberait dans son propre abîme.
Lorsque l'écrit (de Poimèn) fut lu en synode (άνεγνώσθη συνοδικώς) et
parvint à la connaissance de tous, le métropolite de toute la Russie,
Cyprien, et l'archevêque Théodore prièrent instamment notre humilité et le
divin synode de convoquer Poimèn afin qu'il vienne ici soutenir son procès
avec eux comme il le demandait et comme eux-mêmes le souhaitaient
vivement, (ils demandaient) en outre, dans le cas où il refuserait de se
présenter, que leur poursuite soit confirmée.
Cette demande ayant paru juste, notre humilité envoie (en délégation)
par décision synodale de pieux dignitaires ecclésiastiques, le logothète
diacre Michel Anarios3 et le diacre référendaire Dèmètrios Maroulès,
enjoignant à Poimèn de se présenter devant le synode et de soutenir un
procès avec ceux qu'il accuse, et (lui disant) que, s'il ne veut pas se
présenter, ce sont ceux-là qui se tourneront contre lui. Lui, comme si ce
n'était pas lui qui avait écrit et demandé le jugement, répond qu'il est prêt
et qu'il désire comparaître, mais que, s'il ne reçoit pas un acte solennel de
mon saint et très puissant autocrator, le protégeant de tous ceux à qui il doit
de l'argent de façon à n'avoir à répondre à aucun de ceux-ci, il refuse de
venir. Et ayant entendu ceux qui le convoquaient : « Et pourquoi aller
devant le patriarche et le synode, c'est en toi-même et dans le saint
empereur qu'est ta défense. »
Dès que le synode fut réuni et qu'il prit connaissance de la réponse de
Poimèn, il prit la décision conforme à la justice de lui envoyer une seconde
convocation. A nouveau furent envoyés les mêmes délégués pour lui dire
la même chose, que s'il ne venait pas maintenant, pendant que se trouvent
ici ceux contre qui il porte plainte et alors que les émissaires que nous lui
avons envoyés et avec lesquels se trouve un prêtre (svjatitel') l'ont averti de
ce qui le concerne et le savent informé, il ne lui sera plus possible après de
demander satisfaction (ou justice). Lui, donne alors des réponses plus
cruelles (dures) que la première fois et dit que s'il ne reçoit pas une lettre
de notre humilité pour savoir comment elle lui écrit à propos de son
sacerdoce et de sa dignité, il ne viendra pas.

3. Le nom exact est Aoinarès ; il accéda à la charge de grand skévophylax en 1399 :


MM, II p. 382-383 ; si le prévenu avait été considéré comme encore évêque, c'est
probablement un métropolite qui aurait porté la convocation.
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Notre humilité désirant mener son procès selon la justice (ou le droit) lui
envoie, avec le synode, une troisième convocation par l'intermédiaire des
mêmes dignitaires ecclésiastiques. Et pour la troisième fois ils convoquent
Poimèn devant le tribunal. Quant à lui, sachant qu'à la troisième convocat
ion il serait, selon le droit, jugé, il chercha tout d'abord à fuir les émissaires
afin d'embrouiller les choses et de donner l'apparence de ne pas avoir reçu
la troisième convocation. Mais comme ceux-ci (les émissaires), s'étant jetés
à sa poursuite comme des chasseurs, suivirent sa trace et le trouvèrent, il
fit mine alors d'être contraint par la maladie à s'aliter, tremblant et brûlant
de fièvre et ayant à peine la force, à cause du tremblement et de la maladie
qui le tenait, de se mouvoir ou de se tenir debout en quelque lieu que ce
soit sans être porté et soutenu4. Mais les délégués ayant commencé à parler,
il se leva de sa couche, sortit en hâte et se mit à fuir en s'ingéniant par tous
les moyens à leur échapper, imaginant follement que de cette façon il
éviterait d'être jugé.
A la suite de quoi notre humilité prit la décision synodale de (faire)
exposer au métropolite Cyprien et à Théodore leur charge contre Poimèn.
Le métropolite parla le premier, disant que, après qu'il l'ait condamné, c'est
en effet par lui que Poimèn avait été condamné, celui-ci s'était rendu en
terre russe, qu'il s'y était comporté de façon indigne, et qu'ayant accaparé
beaucoup de richesses appartenant à cette Église, soit en procédant à des
ordinations illégales, soit en (prenant) sur les collectes ecclésiastiques de
son (c'est-à-dire de Cyprien) éparchie métropolitaine de même que sur les
dons (ou mot à mot « ajouts », équivalent du grec πρόσθεσις) sacrés et sur
les caisses (ou trésors) des évêques, et ayant aussi emprunté des (sommes)
à certains, il se rendit ici (à Constantinople). Il (Cyprien) demanda, en tant
que métropolite véritable de cette Église, de rentrer lui-même en possession
des biens appartenant à la métropole et que les autres soient rendus à leurs
propriétaires. Il produisit des témoins venus de là-bas (de Russie) avec
Poimèn : le très pieux évêque de Smolensk Michel et l'archimandrite Serge,
qui étaient au courant de cette affaire avec le plus de précision. Ensuite,
l'archevêque Théodore exposa lui aussi ce qui le concernait personnelle
ment, à savoir comment Poimèn l'avait fait enfermer en prison à Caffa, lui
avait fait passer les fers aux pieds, l'avait torturé en le pendant et lacéré en
le flagellant et lui avait ravi tout son bien, et il demanda qu'à tout le moins
celui-ci lui soit rendu par lui.
En conclusion, notre humilité ayant délibéré avec les évêques très saints
et vénérables qui sont auprès de nous : < Matthieu > de Cyzique, Macaire
de Nicomédie, Alexis de Nicée, Gabriel de Chalcédoine, Joseph de

4. Poimèn décéda le 10 ou 11 septembre 1389 ; la maladie ne devait donc pas être un


faux-semblant.
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Monembasie, <Macaire> d'Amasée, Matthieu d'Andrinople, Nicandre


de Ganos et Joasaph de Drama5, de la plainte déposée par Poimèn à propos
de son sacerdoce, a déclaré celle-ci injuste : qu'il est condamné en cela et
entièrement, non seulement parce qu'il a été par deux fois destitué par le
synode, mais aussi parce que à présent, ayant demandé un jugement et
ayant porté plainte en se donnant l'apparence de parler selon le droit, il a,
ayant été convoqué par nous, fui toutes les convocations ; il n'aura en
conséquence plus jamais la faculté de recourir au tribunal (απολογίας
χώραν), ni l'espoir d'être jamais rétabli, mais il sera destitué à vie et privé
de son ordre sacré (mot à mot : non consacré).
Quant à ceux qui ont porté plainte contre lui à propos de l'argent et
d'autres choses de ce genre, c'est-à-dire le métropolite Cyprien et Théod
ore, nous avons délibéré et donné le jugement suivant : si l'on retrouve en
quelque lieu que ce soit les richesses de Poimèn, qui que ce soit qui les
détienne sans raison ni justification, que celles-ci soient confisquées et
rendues à leurs propriétaires auxquels Poimèn les a ravies. Que le métropol
ite Cyprien reprenne ce que Poimèn a ravi à la métropole. Que Théodore
prenne ce qui lui a été extorqué à Caffa.
Nous proclamons l'excommunication synodale la plus sévère et la plus
solennelle contre toute personne qui détiendrait entre ses mains de l'argent
ou tout autre bien, que ce soit en tout ou partie, ou qui désirerait dans
l'avenir les acquérir et les conserver, ou qui en serait informée ou chercher
ait de quelque façon à s'en enquérir. Car ces biens doivent être rendus au
métropolite Cyprien et à l'archevêque Théodore.
C'est à cette fin qu'a été délivré (mot à mot : donné6) le présent jugement
et la décision de notre humilité pour confirmation.
Le mois de septembre7 de l'actuelle 13e indiction, en l'année 6898.

5. Le traducteur a sauté les noms de Matthieu de Cyzique et de Macaire d'Amasée,


troublé peut-être par la répétition des noms ; ils ne sont pas difficiles à rétablir : voir
J. Darrouzès, Regestes, Paris 1979, n° 2867. Le nombre des juges requis pour une cause
épiscopale était de douze ; il n'y en a que neuf (dix avec le patriarche), parce que Poimèn
était bien considéré comme « non consacré » après le précédent jugement.
6. Le terme habituel de ces clauses est άπολέλυται ou un terme équivalent, que Ton
rendait en latin par datum : voir ci-dessus l'article de N. Oikonomidès, p. 186.
7. Le jour du mois n'étant pas indiqué, on ne peut pas affirmer que la sentence soit
antérieure au décès de Poimèn (10/11 septembre) ; il est certain seulement que le décès
était ignoré au synode au moment de la sentence et de la rédaction.

17
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L'acte lui-même (c'est-à-dire l'original) porte la signature de la vénérable


main du patriarche, ainsi : Antoine, par la grâce de Dieu, archevêque de
Constantinople, la nouvelle Rome, et patriarche œcuménique.
L'acte lui-même porte les signatures des mains des métropolites : le
pieux métropolite de Nicomédie susnommé, les métropolites de Nicée, de
Chalcédoine, de Monembasie, d'Andrinople, de Serrés, de Ganos et de
Drama8.

Irène Sorlin
C.N.R.S. - UA 186

8. La liste des signataires ne coïncide pas avec celles des présents à la séance du
jugement ; la séance de signature n'intervenait qu'après un certain intervalle. En tout cas
les signataires de cette condamnation sont les mêmes que ceux d'une lettre d'Antoine IV
destinée à la population de Novgorod : J. Darrouzès, op. cit., n° 2871. Ces signatures
ne sont conservées qu'en traduction russe.

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