Vous êtes sur la page 1sur 19

Le divorce extrajudiciaire français devant le juge tunisien,

une tolérance à contrecœur…


À propos du jugement du tribunal de première instance de Tunis du
14 novembre 2017 (no 86358)
Souhayma Ben Achour
Dans Revue critique de droit international privé 2018/2 (N° 2), pages 211 à 228
Éditions Dalloz
ISSN 0035-0958
ISBN 9782995418022
DOI 10.3917/rcdip.182.0211
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-critique-de-droit-international-prive-2018-2-page-211.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour Dalloz.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
DOCTRINE ET CHRONIQUES
Variétés
Le divorce extrajudiciaire
français devant le juge tunisien,
une tolérance à contrecœur…
À propos du jugement du tribunal de première
instance de Tunis du 14 novembre 2017
(no 86358)

Souhayma Ben Achour


Professeur à la Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, Université El Manar.

211
Le jugement en date du 14 novembre civil prévoit ainsi que « lorsque les époux
2017 1, rendu par le tribunal de pre- s’entendent sur la rupture du mariage et
mière instance de Tunis, retient l’atten- ses effets, ils constatent, assistés cha-
tion par les solutions audacieuses et cun par un avocat, leur accord dans une
pertinentes qu’il propose. Il se prononce, convention prenant la forme d’un acte
pour la première fois, sur la question sous signature privée contresigné par
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)


de la reconnaissance du divorce extra- leurs avocats… ». Le divorce par consen-
judiciaire du droit français dans l’ordre tement mutuel ne peut être demandé
juridique tunisien. que si les époux sont d’accord sur le
principe du divorce et sur ses consé-
Par la loi du 18 novembre 2016 de moder- quences pécuniaires et personnelles.
nisation de la justice du XXIe siècle 2, le
législateur français a introduit une réforme La convention est ensuite déposée au
substantielle du droit de la famille en rang des minutes d’un notaire « qui
adoptant une nouvelle modalité du divorce contrôle le respect des exigences for-
par consentement mutuel sans recours melles » prévues par l’article 229-3 du
au juge 3. Le nouvel article 229-1 du code même code 4. Ce dépôt donne ses effets

(1) Tribunal de première instance de Tunis, réf., 14 nov. 2017, n° 86358, jugement inédit, AJ fam. 2018. 148, étude
C. Roth.
(2) Loi no 2016-1547 du 18 nov. 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, JORF 19 nov. 2016, no 19, texte
no 1.
(3) Sur la réforme, v. notamment, J.-R. Binet, Le divorce par consentement mutuel sans juge, Propos liminaires, Dr.
fam. janv. 2017. Dossier 2, p. 12 ; N. Fricero et F. Dymarski, Le nouveau divorce extrajudiciaire par consentement
mutuel, Dr. fam. janv. 2017. Dossier 3, p. 14 ; H. Fulchiron, Le divorce sans juge, c’est maintenant. Et après ?
Observations sur l’après-divorce sans juge, Dr. fam. janv. 2017. Dossier 4, p. 17.
(4) Selon l’art. 229-3 C. civ., « Le consentement au divorce et à ses effets ne se présume pas. La convention com-
porte expressément, à peine de nullité : 1° les nom, prénoms, profession, résidence, nationalité, date et lieu de
naissance de chacun des époux, la date et le lieu de mariage, ainsi que les mêmes indications, le cas échéant,

Rev. crit. DIP - C - avril-juin 2018


DOCTRINE ET CHRONIQUES Le divorce extrajudiciaire français devant le juge
tunisien, une tolérance à contrecœur…

à la convention en lui conférant date Avec la loi du 18 novembre 2016, le


certaine et force exécutoire. divorce par consentement mutuel ne peut
être judiciaire que dans le cas où l’un
Le nouveau divorce sans juge vise des enfants du couple demande à être
essentiellement à simplifier la procé- entendu par le juge dans le cadre d’une
dure et à désengorger les tribunaux. procédure de divorce, ou si l’un des époux
En effet, plus de la moitié des divorces est placé sous un régime de protection.
prononcés en 2015 l’était par consente-
ment mutuel 5. C’est dire l’importance La réforme avait provoqué une certaine
des conséquences espérées par la réserve en France 6. Mais dès son entrée
réforme au niveau de la pratique judi- en vigueur, les critiques ont semblé
ciaire courante. s’atténuer, et la pratique a suscité une
acceptation de ce nouveau mode de dis-
Avant l’entrée en vigueur de la loi du solution du mariage, si bien qu’on a pu
18 novembre 2016, les époux qui sou- estimer qu’il « pourrait faire des petits »
haitaient divorcer par consentement dans d’autres domaines, et notamment
mutuel devaient élaborer une convention en matière d’adoption simple 7.
réglant l’ensemble des conséquences du
mariage. Cette convention, rédigée avec La portée internationale du divorce
leur avocat commun ou leurs avocats extrajudiciaire avait cependant été
respectifs, devait ensuite être soumise oubliée par la réforme. Contrairement
à l’homologation du juge. Celui-ci était à la réforme instituant le pacte civil de
tenu de vérifier si les intérêts de chacun solidarité 8 ou celle ouvrant le mariage
des époux ainsi que ceux des enfants à tous 9, la loi du 18 novembre 2016 n’a
avaient été préservés. pas du tout envisagé les relations inter-
212 nationales privées 10.

posur chacun de leurs enfants ; 2° le nom, l’adresse professionnelle et la structure d’exercice professionnel des
avocats chargés d’assister les époux ainsi que le barreau auquel ils sont inscrits ; 3° la mention de l’accord des
époux sur la rupture du mariage et sur ses effets dans les termes énoncés par la convention ; 4° les modalités
du règlement complet des effets du divorce conformément au chapitre III du présent titre, notamment s’il y a
lieu au versement d’une prestation compensatoire ; 5° l’état liquidatif du régime matrimonial, le cas échéant en
la forme authentique devant notaire lorsque la liquidation porte sur des biens soumis à publicité foncière, ou la
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)


déclaration qu’il n’y a pas lieu à liquidation ; 6° la mention que le mineur a été informé par ses parents de son
droit à être entendu par le juge dans les conditions prévues à l’article 388-1 et qu’il ne souhaite pas faire usage
de cette faculté ».
(5) C. Renault-Brahinsky, Le nouveau divorce sans juge, Gualino, Lextenso, coll. « Droit en poche », 2017, p. 5.
(6) G. Dupont, Levée de bouclier contre le divorce sans juge, Le Monde, 18 mai 2016.
(7) J.-B. Jacquin, Le divorce sans juge pourrait faire des petits, Le Monde, 15 nov. 2017.
(8) Loi no 99-944 du 15 nov. 1999 relative au pacte civil de solidarité, JORF, no 265, 16 nov. 1999, p. 16959. Et, sur la
loi no 2009-526 du 12 mai 2009, insérant dans le C. civ. un art. 515-7-1, destiné à régir les partenariats enregistrés
sous l’angle du droit international privé, v. not. : P. Hammje, Rev. crit. DIP 2009. 483 ; P. Callé, Defrénois 2009.
1662 ; H. Péroz, JDI 2010. 399.
(9) Loi no 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, JORF. no 0114,
18 mai 2013, p. 8253. Cette loi a cherché à promouvoir le mariage pour tous. Sur cette question, v. not. : A. Boi-
ché, Aspects de droit international privé, AJ fam. 2013. 362 ; D. Bureau, Le mariage international pour tous à
l’aune de la diversité, in Mélanges en l’honneur du professeur B. Audit, LGDJ, 2014 (tiré à part) ; H. Fulchiron,
Le « mariage pour tous » en droit international privé : le législateur français à la peine…, Dr. fam. no 1, janv.
2013. 31 ; Le mariage entre personnes du même sexe en droit international privé au lendemain de la reconnais-
sance du mariage pour tous, JDI 2013. 1055 ; S. Godechot-Patris et J. Guillaumé, La loi no 2013-404 du 17 mai
2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, Perspectives de droit international privé,
D. 2013. 1756 ; P. Hammje, Mariage pour tous et droit international privé. Dits et non-dits de la loi du 17 mai
2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, Rev. crit. DIP 2013. 773. Concernant les rela-
tions franco-maghrébines, v. : S. Ben Achour, La loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage pour tous et les relations
franco-maghrébines, in L. Chedly et S. Ben Achour (dir.), Actualités du droit international privé de la famille en
Tunisie et à l’étranger, RIPCAM, Tunis, Latrach éditions, 2015, p. 139.
(10) Sur ces questions, A. Boiché, Divorce 229-1 : aspect de droit international privé et européen. La France, nouveau
Las Vegas du divorce ?, AJ fam. 2017. 57 ; A. Devers, Le divorce sans juge en droit international privé, Dr. fam.
2017. Dossier 5, p. 21 ; P. Hammje, Le divorce par consentement mutuel extrajudiciaire et le droit international
privé, Rev. crit. DIP 2017. 143 ; M.-L. Niboyet, I. Rein-Lescastereyres et L. Dimitrov, La « désinternationalisation »
du nouveau divorce par consentement mutuel ?, Gaz. Pal. 4 avr. 2017, no 14, p. 7.

avril-juin 2018 - C - Rev. crit. DIP


Le divorce extrajudiciaire français devant le juge DOCTRINE ET CHRONIQUES
tunisien, une tolérance à contrecœur…

Le décret d’application de la loi, paru le proximité avec l’ordre juridique fran-


28 décembre 2016 11, contient quelques çais ? Un couple tuniso-marocain rési-
indications très timides liées à l’aspect dant en Italie peut-il se rendre en France
international. Il prévoit notamment que pour divorcer par voie de consentement
« les agents diplomatiques et consu- mutuel extrajudiciaire ? Que faire si les
laires… ne sont pas compétents pour époux ne peuvent pas ou ne veulent pas
recevoir en dépôt, au rang des minutes, choisir la loi française conformément au
les conventions de divorce par consen- règlement Rome III ?
tement mutuel prévues à l’article 229-1
du code civil ». De plus, comme on l’a souligné, s’il est
à la limite possible d’ignorer l’aspect
La circulaire du 26 janvier 2017 12 tente, international du divorce au stade de sa
tant bien que mal, de combler la lacune « création » en France, on ne saurait
laissée par la loi du 18 novembre 2016 en l’occulter lorsque celui-ci est appelé à
proposant quelques bribes de solutions. circuler en dehors de l’ordre juridique
Mais elle opère une sorte de « désinter- français 16.
nationalisation » du divorce par consen-
tement mutuel 13 en le détachant des La circulation internationale du divorce
règles de compétence internationale extrajudiciaire suscite maintes interro-
directe consacrées par le règlement gations. La circulaire du 26 janvier 2017
Bruxelles II bis du 27 novembre 2003 14 distingue sa reconnaissance dans les
et en le soumettant « de préférence » à pays de l’Union européenne de sa recon-
la loi française conformément au règle- naissance en dehors des pays de l’Union
ment Rome III du 20 décembre 2010 européenne.
relatif à la loi applicable au divorce et à
la séparation de corps 15. La reconnaissance du principe même 213
du divorce sans juge pourra s’insérer
Cette circulaire laisse cependant sub- dans le cadre européen puisque l’article
sister plus de difficultés qu’elle n’en 46 du règlement Bruxelles II bis du
résout. Elle laisse en effet planer le 27 novembre 2003 prévoit que « les actes
doute sur de nombreuses questions : le authentiques reçus et exécutoires dans
recours au divorce extrajudiciaire est-il un État membre ainsi que les accords
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)


possible en l’absence de tout lien de entre les parties exécutoires dans l’État

(11) Décr. d’application no 2016-1907 du 28 déc. 2016, relatif au divorce prévu à l’article 229-1 du code civil et à
diverses dispositions en matière successorale, JURSC1633390D, JORF 29 déc. 2016.
(12) Circ. de présentation du divorce par consentement mutuel sans juge, JUSC1638274C du 26 janv. 2017. La circulaire
est complétée par 12 fiches.
(13) M.-L. Niboyet, I. Rein-Lescastereyres et L. Dimitrov, art. préc.
(14) Règl. CE no 2201 /2003 du Conseil du 27 nov. 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution
des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, abrogeant règl. Bruxelles II
du 29 mai 2000 no 1347/2000, JOUE L 338, 23 déc. 2003. Sur le règlement Bruxelles II, v. notamment B. Ancel
et H. Muir Watt, La désunion européenne, Le règlement dit « Bruxelles II », Rev. crit. DIP 2001. 403 ; H. Gau-
demet-Tallon, Le règlement no 1347/2000 : Compétence, reconnaissance et exécution des décisions en matière
matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des enfants communs, JDI 2001. 381. Sur le règlement
Bruxelles II bis, v. notamment B. Ancel et H. Muir Watt, L’intérêt supérieur de l’enfant dans le concert des juri-
dictions : Le règlement Bruxelles II bis, Rev. crit. DIP 2005. 569.
(15) Règl. UE no 1259/2010 du Conseil du 20 déc. 2010, mettant en œuvre la coopération renforcée dans le domaine
de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, JOUE L 343/10, du 29 déc. 2010 (sur ce texte, v. not. :
S. Corneloup (dir.), Droit européen du divorce, LexisNexis, 2013, spéc. p. 483 s. ; P. Hammje, Rev. crit. DIP 2011.
291). La fiche no 4 annexée à la circulaire du 26 janv. 2016 rappelle que le règlement Rome III permet un choix
de la loi applicable au divorce. Elle prévoit que « si les époux souhaitent divorcer en utilisant le mécanisme de
l’article 229-1, il est préférable qu’ils désignent expressément la loi française comme loi applicable à leur divorce,
dans la mesure où il s’agit de la loi de l’État de la résidence habituelle des époux au moment de la conclusion
de la convention, de la loi de l’État de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que l’un d’eux
y réside encore au moment de la conclusion de la convention, de la loi de l’État de la nationalité de l’un des
époux au moment de la conclusion de la convention ».
(16) M.-L. Niboyet, I. Rein-Lescastereyres et L. Dimitrov, art. préc., no 4.

Rev. crit. DIP - C - avril-juin 2018


DOCTRINE ET CHRONIQUES Le divorce extrajudiciaire français devant le juge
tunisien, une tolérance à contrecœur…

membre d’origine sont reconnus et ren- C’est ainsi que plusieurs personnes
dus exécutoires dans les mêmes condi- ayant eu recours au divorce par consen-
tions que les décisions ». C’est ce que tement mutuel extrajudiciaire se sont
rappelle la circulaire du 26 janvier 2017. présentées aux autorités tunisiennes
Le divorce extrajudiciaire, qui constitue aux fins de transcrire sur les registres
un accord entre les parties, sera reconnu de l’état civil la dissolution du mariage.
et rendu exécutoire dans les autres pays
de l’Union européenne. La transcription des divorces prononcés
en France ou en Tunisie est soumise aux
La reconnaissance des effets du divorce dispositions de la Convention tuniso-
sans juge posera davantage de difficul- française du 28 juin 1972 relative à
tés 17, en raison de son incompatibilité l’entraide judiciaire en matière civile et
avec le règlement Bruxelles II bis du commerciale 19. Or l’article 18 de cette
27 novembre 2003 et le règlement « Ali- Convention prescrit la transcription,
ments » du 18 décembre 2008 18. dans les registres de l’état civil, des
« décisions relatives à l’état et à la capa-
En dehors de l’Union européenne, la cir- cité des personnes, émanant des juridic-
culaire se contente de prévoir que « la tions des Hautes Parties contractantes
reconnaissance et l’exécution des décisions rendues par les autorités judiciaires
françaises rendues en matière de divorce en matière d’état et de capacité » 20.
et d’autorité parentale dans un autre État N’étant pas des décisions « rendues par
sont fonction des conventions particulières les autorités judiciaires », les actes de
reliant la France et l’État requis ou du droit divorce se sont retrouvés en dehors des
national applicable en la matière ». dispositions de la Convention de 1972 et
se sont heurtés au refus des services de
214 Dès son entrée en vigueur dans l’ordre l’état civil en Tunisie.
juridique français, le 1er janvier 2017, le
divorce sans juge n’a pas tardé à s’ex- Devant le refus légitime opposé, dans
porter en dehors des frontières euro- plusieurs cas, par les services de l’état
péennes. Eu égard à l’importance des civil de transcrire ce divorce inconnu
relations familiales tuniso-françaises, il des autorités tunisiennes, le minis-
a très vite atterri devant les autorités tère de la Justice réagit en demandant
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)


tunisiennes, suscitant chez elles ques- l’avis du Centre d’études juridiques et
tionnement et perplexité. judiciaires 21 et de la Commission de
réforme du code tunisien de droit inter-

(17) Ibid.
(18) Règl. CE no 4/2009 du Conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions
et la coopération en matière d’obligations alimentaire du 18 déc. 2008, JOUE L 7, 10 janv. 2009. Sur ce règlement,
v. not. : B. Ancel et H. Muir Watt, Aliments sans frontières. Le règlement CE no 4/2009, relatif à la compétence, la
loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires,
Rev. crit. DIP 2010. 457 ; E. Gallant, Règlement no 4/2009/CE relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnais-
sance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, in L. Cadiet, E. Jeuland
et S. Amrani-Mekki (dir.), Droit processuel civil de l’Union européenne, LexisNexis, 2011, p. 99.
(19) Convention relative à l’entraide judiciaire en matière civile et commerciale entre la République française et la
République tunisienne, signée à Paris, le 28 juin 1972. En Tunisie, la Convention a été ratifiée par la loi no 72-65
du 1er août 1972, JORT no 32, 4-8 août 1972, et publiée par le décr. no 74-109 du 21 févr. 1974, JORT no 15, 26 févr.
1974, en France, elle a été ratifiée par la loi n° 73-464 du 9 mai 1973, JORF 10 mai 1973, p. 5187, et publiée par le
décr. no 74-249 du 11 mars 1974, JORF 17 mars 1974, p. 3076. Sur cette Convention, v. K. Meziou, J.-Cl. Int., vol. 9,
Convention franco-tunisienne du 28 juin 1972, fasc. 594, 2014, et M. Hammouda, La Convention tuniso-française
d’entraide judiciaire, quarante ans après, in La diversité dans le droit, Mélanges offerts à la Doyenne Kalthoum
Meziou-Dourai, CPU 2014, p. 423.
(20) En application de cette convention, une circulaire du ministère de la Justice du 29 nov. 1976 rappelle qu’il est néces-
saire de transcrire les décisions émanant des autorités judiciaires françaises relatives au divorce dans les registres de
l’état civil des intéressés, sans besoin d’obtenir l’exequatur. Circ. citée par M. Ghazouani, La nécessité de reconnaître
immédiatement les décisions étrangères relatives au divorce, Revue tunisienne de droit 2006. 82 (en langue arabe).
(21) Le Centre d’études juridiques et judiciaires relève du ministère tunisien de la Justice. Il a pour principal objet de
mener, dans différents domaines du droit, des études et une recherche scientifique.

avril-juin 2018 - C - Rev. crit. DIP


Le divorce extrajudiciaire français devant le juge DOCTRINE ET CHRONIQUES
tunisien, une tolérance à contrecœur…

national privé tunisien 22. Le premier consentement mutuel et la déposent au


rendit un avis daté du 25 mai 2017 par rang des minutes d’un notaire le 16 juin
lequel il se montrait plutôt hostile à 2017.
l’accueil du divorce sans juge en raison
de son caractère extrajudiciaire, tandis Ils s’adressent ensuite aux services de
que la seconde lui semblait plus favo- l’état civil en Tunisie afin que la mention
rable. Dans un avis exprimé au mois de de la dissolution du mariage soit portée
novembre 2017, la Commission estima sur leurs actes d’état civil.
que le divorce extrajudiciaire devrait être
reconnu par les autorités tunisiennes. Les services de l’état civil refusent de
Elle suggéra, en cas de refus opposé transcrire la convention de divorce pré-
par l’officier d’état civil de transcrire la sentée. L’époux s’adresse alors au tribu-
convention de divorce dans les registres nal de première instance de Tunis afin
de l’état civil des intéressés, de saisir les de demander au juge d’enjoindre aux
tribunaux. services de l’état civil la transcription de
l’acte de divorce.
C’est ce que firent les plaideurs dans
l’affaire ayant donné lieu au jugement du Statuant, pour la première fois, sur la
14 novembre 2017. reconnaissance en Tunisie du divorce
extrajudiciaire français, le tribunal de
En l’espèce, deux époux ayant la double première instance de Tunis saisit l’oc-
nationalité française et tunisienne et casion présentée pour donner le ton. Il
résidant depuis de nombreuses années accepte de reconnaître le divorce sans
en France s’accordent pour divorcer par juge en dépassant l’obstacle formel lié
voie de consentement mutuel. Le 9 juin à la nature privée de l’acte (I) et en se
2017, ils rédigent avec leurs avocats basant sur des arguments de nature 215
respectifs une convention de divorce par substantielle (II).

I – Le dépassement de l’obstacle formel :


la neutralisation de la nature de l’acte de divorce
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)


C’est la nature de l’acte présenté aux constituait la Convention de 1972 (A) et
services tunisiens de l’état civil qui a accepte de tolérer le caractère non judi-
justifié son rejet. En effet, les services de ciaire du divorce (B).
l’état civil, conformément à la Conven-
tion de 1972, ne sont tenus de trans-
crire que « les décisions émanant des A – Le contournement
autorités judiciaires ». La Convention ne de la Convention tuniso-
pouvait donc s’appliquer à l’acte sous
signature privée passé entre les deux
française du 28 juin 1972
époux et déposé au rang des minutes
d’un notaire. Le tribunal de première instance de
Tunis s’est bien rendu compte de l’in-
Avec une certaine audace, le juge du compatibilité entre le divorce extrajudi-
tribunal de première instance de Tunis ciaire et la Convention de 1972, mais il
contourne cependant l’obstacle que a contourné l’obstacle qu’elle constituait

(22) La Commission de réforme du code de droit international privé a été instituée par un arrêté du ministère de la
Justice du 30 déc. 2015.

Rev. crit. DIP - C - avril-juin 2018


DOCTRINE ET CHRONIQUES Le divorce extrajudiciaire français devant le juge
tunisien, une tolérance à contrecœur…

en considérant qu’elle était devenue ina- abouti à refuser la reconnaissance de


daptée (1), et en cherchant une solution l’acte sous signature privée présenté par
dans « l’esprit du code de droit interna- les époux aux autorités tunisiennes.
tional privé » qui permettrait le recours
à la méthode de la reconnaissance des Mais le juge du tribunal de première
situations (2). instance de Tunis se libère des disposi-
tions conventionnelles en estimant que
1. Tout comme l’officier de l’état civil, « la Convention de 1972 ne pouvait, au
le juge était prisonnier des disposi- moment où elle a été conclue entre les
tions très claires de la Convention tuni- deux parties, prévoir que ce qui existait à
so-française du 28 juin 1972, qui prévoit cette époque », c’est-à-dire les décisions
la transcription des seules « décisions rendues par les autorités judiciaires.
émanant des autorités judiciaires » et
rendues en matière d’état et de capacité. Il s’agit certainement d’une approche
très libérale de la question du droit
Outre la Convention de 1972, l’accord applicable à la réception des décisions
relatif au divorce était incompatible avec étrangères. S’il avait montré un strict
une autre convention : celle du 18 mars respect de la Convention de 1972, le
1982 relative à l’entraide judiciaire en juge aurait refusé de reconnaître l’acte
matière de droit de garde des enfants, de divorce. Il choisit une autre solution,
de droit de visite et d’obligation alimen- en mettant à l’écart un texte dépassé,
taire 23. Le juge ne la mentionne pas, car et en se dirigeant vers le droit commun,
la demande ne concernait que la recon- c’est-à-dire vers les dispositions du code
naissance du divorce. La Convention de de droit international privé.
1982 comporte deux volets essentiels :
216 la mise en place d’un système de coo- En faisant de la sorte, le juge accepte
pération entre les autorités centrales de faire prévaloir le droit commun sur le
des deux États contractants et l’adoption droit conventionnel, et semble adhérer,
d’un système de contrôle de régularité sans le dire clairement, à la thèse pré-
qui se veut allégé 24. Tout comme la conisant une mise à l’écart du principe
Convention de 1972, celle de 1982 vise de la hiérarchie des normes aux fins
dans plusieurs articles « les décisions de favoriser la circulation internationale
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)


judiciaires ». La reconnaissance des des décisions.
effets du divorce à l’égard des enfants,
que l’accord entre les époux est appelé Pour une partie de la doctrine tuni-
à organiser, se retrouve donc en dehors sienne, la circulation internationale des
du champ d’application de la Convention décisions constitue un objectif essentiel
de 1982. du droit international privé qui justifie de
préférer les solutions libérales apportées
Une application rigoureuse de la Conven- par le code de droit international privé à
tion de 1972 aurait très certainement celles souvent strictes et désuètes des

(23) La Convention tuniso-française relative à l’entraide judiciaire en matière de droit de garde des enfants, de droit
de visite et d’obligation alimentaire, signée à Paris le 18 mars 1982, publiée en France par le décr. no 83-555 du
30 juin 1983, JORF 1er juill. 1983, p. 1998, et en Tunisie par le décr. no 83-1088 du 21 nov. 1983, JORT p. 3075.
(24) La Convention de 1982 n’a pas réellement fait progresser la circulation des décisions relatives au droit de garde,
au droit de visite, et à l’obligation alimentaire dans les relations entre la Tunisie et la France. Elle se contente
de reprendre la plupart des conditions de régularité posées par celle de 1972, en aménageant certaines d’entre
elles. La conformité de la décision étrangère à l’ordre public est ainsi toujours exigée. La Convention de 1982
consacre des règles de compétence indirecte spécifiques. Son art. 10 prévoit qu’en matière de garde d’enfants,
la reconnaissance ou l’exécution d’une décision rendue dans l’un des deux États ne peut être refusée par l’autre
État lorsque le tribunal qui a rendu la décision est celui de la résidence commune effective des parents, ou de la
résidence du parent avec lequel l’enfant vit habituellement. Par ailleurs, l’art. 4, al. 2, de la Convention de 1982
prévoit que la décision étrangère relative aux droits de garde et de visite doit seulement être exécutoire dans
l’État où elle a été rendue, alors que la Convention 1972 exige que la décision étrangère soit passée en force de
chose jugée.

avril-juin 2018 - C - Rev. crit. DIP


Le divorce extrajudiciaire français devant le juge DOCTRINE ET CHRONIQUES
tunisien, une tolérance à contrecœur…

conventions internationales d’entraide directe admises dans l’État où la déci-


judiciaire 25. La plupart des conventions sion a été rendue, double référence aux
liant la Tunisie à d’autres pays ont, en règles de compétence exclusive directe
effet, été conclues à une époque où les admises dans l’État requis et aux règles
règles régissant la réception des déci- de compétence ordinaire directe de l’État
sions étrangères étaient encore assez requérant, renvoi aux règles de compé-
restrictives. La solution présente une tence directe de l’État requis, mise en
certaine parenté avec la thèse de l’ef- place de règles de compétence indirecte
ficacité maximale préconisée pour la spécifiques, combinaison entre les dif-
résolution des conflits de conventions en férents systèmes 28. Les règles adop-
droit international privé 26. tées par les conventions internationales,
contrairement à celles issues du code de
Promulgué le 27 novembre 1998 27, le droit international privé, ne sont pas de
code de droit international privé a mis en nature à faciliter la reconnaissance ou
place un système de contrôle des déci- l’exequatur.
sions étrangères beaucoup plus libéral
que celui consacré par les conventions 2. C’est donc vers le code de droit
d’entraide judiciaire. À titre d’exemple, international privé que le juge tente de
le code de droit international privé se tourner pour trouver un socle per-
prévoit un système de contrôle de la mettant de reconnaître la convention de
compétence indirecte du juge étranger divorce présentée 29. Mais la convention
extrêmement allégé. Il suffit ainsi, au de divorce extrajudiciaire pouvait-elle
regard des dispositions de l’article 11 relever du régime de la réception ?
du code, que la décision étrangère, dont
la reconnaissance ou l’exequatur est Le code de droit international privé est
demandé devant le juge tunisien, n’ait resté très timide, voire confus, sur la 217
pas empiété sur un cas de compétence question de la nature des actes étrangers
exclusive des tribunaux tunisiens. Les éligibles au système de la réception 30.
conventions bilatérales conclues entre
la Tunisie et d’autres pays instaurent, La détermination des actes relevant de
quant à elles, des systèmes de contrôle la méthode de la réception a donné lieu
de la compétence indirecte assez com- à une vive discussion et à une littérature
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)


plexes : renvoi aux règles de compétence juridique très abondante en France 31.

(25) En ce sens, I. Béjaoui, La concurrence des normes en matière de conditions de régularité internationale des
jugements étrangers, Droit commun et droit conventionnel, th. Faculté des sciences juridiques, politiques et
sociales de Tunis, 2014 ; S. Ben Achour, Les sources du droit tunisien de l’exequatur, tentative de résolution du
conflit entre le droit commun et le droit conventionnel, in Le code tunisien de droit international privé, deux
ans après, CPU 2003, p. 51.
(26) F. Majoros, Les conventions internationales en matière de droit privé, t. II : Le droit des conflits de conventions,
Pédone, 1980 ; B. Dutoit et F. Majoros, Le lacis des conflits de conventions en droit privé et leurs solutions pos-
sibles, Rev. crit. DIP 1984. 565.
(27) Loi no 98-97 du 27 nov. 1998, portant promulgation du code de droit international privé, JORT no 96, p. 2332.
(28) S. Ben Achour, La réception des décisions étrangères dans l’ordre juridique tunisien, CPU, 2017, p. 137 à 143.
(29) Le juge n’aurait pas pu non plus trouver une solution dans la loi du 1er août 1957 relative à l’état civil (JORT
nos 2 et 3, des 30 juill. et 2 août 1957), car celle-ci prévoit la transcription des seuls jugements étrangers. Dans sa
version arabe, l’art. 42 de cette loi dispose que « si le jugement de divorce est prononcé à l’étranger, la trans-
cription est faite à la diligence des intéressés, à peine d’une amende… sur les registres de l’état civil du lieu où
le mariage a été transcrit ». En plus, l’art. 42 est inséré dans un chapitre relatif à « la transcription des jugements
prononçant le divorce ou constatant la nullité du mariage ».
(30) A. Mezghani, Commentaires du code de droit international privé, CPU, 1999, p. 184.
(31) Sur cette question, v. S. Bollée, L’extension du domaine de la méthode de reconnaissance unilatérale, Rev. crit.
DIP 2007. 307 ; P. Callé, L’acte public en droit international privé, Économica, 2004 ; E. Fohrer-Dedeurwaerder,
La prise en considération des normes étrangères, LGDJ, 2008 ; P. Lagarde, La reconnaissance, mode d’emploi, in
Mélanges en l’honneur de H. Gaudemet-Tallon, Dalloz, 2008, p. 479 ; P. Mayer, La méthode de la reconnaissance
en droit international privé, in Le droit international privé, esprit et méthodes, Mélanges Paul Lagarde, Dalloz,
2005, p. 547 ; Ch. Pamboukis, L’acte public étranger en droit international privé, LGDJ, 1993 ; La renaissance-mé-
tamorphose de la méthode de la reconnaissance, Rev. crit. DIP 2008. 513 ; Les actes quasi publics en droit inter-
national privé, Rev. crit. DIP 1993. 565.

Rev. crit. DIP - C - avril-juin 2018


DOCTRINE ET CHRONIQUES Le divorce extrajudiciaire français devant le juge
tunisien, une tolérance à contrecœur…

Le régime de la réception des décisions kafala 33 ou aux actes notariés de répu-


émanant d’une autorité judiciaire, mis en diation 34. La jurisprudence semble éga-
place par le code de droit international lement pencher pour cette approche 35.
privé, peut-il s’étendre à d’autres caté-
gories d’actes émanant d’une autorité Peut-on aller au-delà et considérer
publique ? que les actes privés peuvent relever
du régime de la réception posé par le
Certaines dispositions du code per- code de droit international privé ? La
mettent de considérer que le régime de convention de divorce présentée au juge
la réception en Tunisie des décisions tunisien n’était même pas un acte public
judiciaires s’étend aux actes publics non non décisionnel. Il est difficile de ne
judiciaires ayant un caractère décision- pas voir dans le divorce extrajudiciaire
nel. Fixant l’objet du code, son article sous signature privée un acte privé.
1er énonce qu’il régit notamment « les La convention élaborée par les époux
effets en Tunisie des jugements et constate le divorce. Le notaire n’exerce
décisions étrangères ». Son article 12 qu’un rôle réceptif, car il ne procède, aux
s’appliquant aux « jugements » et aux termes de l’article 229-1 du code civil,
« décisions gracieuses rendues par une qu’à un contrôle formel.
autorité étrangère compétente ». À côté
des décisions contentieuses et gracieuses Même avec une lecture bienveillante et
émanant des autorités judiciaires, les dis- une interprétation extensive, les disposi-
positions contenues dans les articles 11 tions du code de droit international privé
à 18 du code seraient aussi applicables tunisien ne peuvent englober les actes
à des décisions émanant d’une autorité privés. Le juge du tribunal de première
publique non judiciaire. Outre les déci- instance de Tunis, montrant davantage
218 sions judiciaires, le régime de la récep- d’audace, délaisse alors la lettre du texte
tion s’applique donc certainement aux et se tourne vers « l’esprit du code de
actes publics décisionnels. droit international privé », qui autorise,
selon lui, « la reconnaissance des situa-
Cependant, bien que le code se réfère tions valablement créées à l’étranger ».
aux « décisions », la doctrine tunisienne
admet, dans sa majorité, l’extension du À côté de la méthode classique de la
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)


régime de la réception aux actes publics reconnaissance des décisions s’est déve-
non décisionnels 32. Elle rejette ainsi loppée, en droit international privé, la
la thèse restrictive excluant les actes méthode de la reconnaissance des situa-
publics non décisionnels du régime de tions 36. La méthode de la reconnais-
la réception, et rejoint la thèse libérale sance des situations se présente comme
qui les y inclut. Le régime de la réception un mécanisme de résolution des conflits
s’appliquerait donc aux divorces admi- de lois impliquant un alignement de l’ap-
nistratifs, aux actes notariés relatifs à la préciation, portée par le for par rapport

(32) En ce sens, S. Ben Achour, La réception des décisions étrangères…, op. cit., p. 48 ; M. Ben Jemia, L’exequatur
des décisions étrangères en matière de statut personnel, Revue tunisienne de droit, 2000. 139 ; A. Mezghani,
Commentaires…, op. cit., p. 184 et 185 ; S. Triki, La coordination des systèmes juridiques en droit international
privé de la famille, th. Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, 2012, nos 307 à 311 ; La reconnaissance des
situations juridiques en droit international privé de la famille, in Actualités du droit international privé de la
famille en Tunisie et à l’étranger, op. cit., p. 117.
(33) L’art. 117 du code algérien de la famille dispose que « le recueil légal (kafala) est accordé par devant le juge ou
le notaire, avec le consentement de l’enfant quand celui-ci a un père et une mère ».
(34) Dans plusieurs pays, les décisions de répudiation interviennent devant une autorité publique (adouls) qui prendra
acte de la volonté du mari. Tel était notamment le cas au Maroc, avant la promulgation du Nouveau code de la
famille par la loi du 3 févr. 2004.
(35) S. Ben Achour, La réception des décisions étrangères…, op. cit., p. 51 ; L. Chedly et M. Ghazouani, Code de droit
international privé annoté, CEJJ, 2008, p. 277.
(36) V. sur ce point les réf. citées supra, note 31.

avril-juin 2018 - C - Rev. crit. DIP


Le divorce extrajudiciaire français devant le juge DOCTRINE ET CHRONIQUES
tunisien, une tolérance à contrecœur…

à une situation, « sur le point de vue fait du prononcé d’une formule par l’une
normatif précédemment concrétisé dans des parties. Dans chacun de ces choix,
un État étranger dont les titres à régir la l’ordre juridique précise la condition qui
situation sont reconnus » 37. Ainsi, lors- donne au divorce une existence juridique
qu’une situation est constituée à l’étran- et qui en fait une situation opposable et
ger en conformité avec la loi applicable à pouvant être sanctionnée par le système
l’étranger, le for renonce à la soumettre juridique concerné » 40.
à un second examen conformément à
ses propres règles de conflit. En effet, Le tribunal de première instance de
une réévaluation de la situation valable Tunis semble adopter ce point de vue.
à l’étranger, selon le système de conflit Bien qu’elle soit issue de la seule volonté
de lois du for, peut aboutir à l’invalider. privée, et simplement déposée au rang
des minutes du notaire, la convention
La méthode de reconnaissance des de divorce présentée a donc été recon-
situations permet notamment de « repê- nue par le juge tunisien. Mais afin de
cher » les situations que les tenants de parvenir à ce résultat, le juge devait
la thèse restrictive entendent exclure du montrer une grande tolérance à l’égard
domaine de la reconnaissance des déci- du divorce non judiciaire.
sions, car elles ne sont pas issues d’un
acte décisionnel, mais d’un acte non
décisionnel, voire de la volonté privée 38. B – La tolérance à l’égard
du divorce non judiciaire
C’est justement à propos de la recon-
naissance des situations issues de la
volonté privée que la méthode de la En acceptant de reconnaître le divorce
reconnaissance révèle sa spécificité et sans juge, le tribunal de première ins- 219
son utilité 39. La position libérale prô- tance de Tunis fait preuve d’une très
nant la reconnaissance des situations grande tolérance dans le traitement des
issues de la volonté privée a gagné du divorces transfrontières.
terrain dans la doctrine à l’étranger
et en Tunisie. Menant sa réflexion à Le caractère judiciaire du divorce consti-
partir du divorce, Madame Salma Triki tue, en effet, l’un des piliers du droit
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)


estime, en effet, qu’« il semble néces- tunisien de la famille. Il fut imposé en
saire d’intégrer au sein de la catégorie Tunisie dès 1956, avec la promulgation
des situations juridiques celles considé- du code du statut personnel, en même
rées comme valables à l’étranger sans temps que l’interdiction de la polyga-
la moindre intervention publique. Un mie et l’abolition de la tutelle matri-
ordre juridique peut, en effet, décider moniale. La promulgation du code du
qu’un divorce n’est valable que s’il est statut personnel fut, pour le jeune État
judiciaire, administratif, législatif ou du tunisien, une véritable « révolution par

(37) S. Clavel, Droit international privé, Dalloz, coll. « HyperCours », 3e éd., 2015, no 220. Comp., D. Bureau, H. Muir
Watt, Droit international privé, t. I, PUF, 4e éd., 2017, § 569 s., et les réf. citées sur la méthode de la reconnais-
sance.
(38) Selon cette thèse, la méthode de la reconnaissance des décisions s’appliquerait aux seuls actes publics déci-
sionnels, tandis que la méthode de la reconnaissance des situations concernerait les situations émanant d’actes
publics non décisionnels, ainsi que celles qui sont issues de la volonté privée des personnes. Critiquant ces points
de vue, M. A. Bucher (La dimension sociale du droit international privé, RCADI 2009, vol. no 341, p. 313, no 188)
estime que « les auteurs qui soutiennent que seuls les actes décisionnels seraient susceptibles de reconnaissance
sont… obligés de compléter leur thèse par une autre, en sens opposé, dans le but d’assurer un minimum de
respect aux rapports de droit créés valablement et de bonne foi à l’étranger avec le concours d’une autorité
n’ayant pas agi avec sa volonté propre. Au lieu d’être fondée sur l’acte non décisionnel, la reconnaissance serait
commandée par le respect de la prévision légitime des parties ».
(39) S. Triki, th. préc., nos 312 à 315.
(40) S. Triki, La reconnaissance des situations juridiques…, art. préc., p. 127.

Rev. crit. DIP - C - avril-juin 2018


DOCTRINE ET CHRONIQUES Le divorce extrajudiciaire français devant le juge
tunisien, une tolérance à contrecœur…

le droit » 41, s’écartant des solutions veiller à la protection des intérêts de la


traditionnelles du droit musulman et femme.
garantissant à la femme tunisienne un
statut resté inégalé jusqu’à nos jours Malgré l’importance du caractère judi-
dans le monde arabe 42. ciaire du divorce, le juge tunisien a su
s’en défaire dans les relations interna-
Le divorce, qui a nécessairement un tionales privées. C’est ainsi que plu-
caractère judiciaire, est ouvert aux deux sieurs décisions émanant des tribunaux
époux dans les mêmes conditions et tunisiens acceptent de passer outre le
pour les mêmes causes. Il peut être caractère non judiciaire des actes de
prononcé dans trois cas selon l’article répudiation étrangers. Ces derniers sont
31 du code tunisien du statut personnel : toutefois rejetés pour une autre raison :
en cas de consentement mutuel, sur la leur contrariété au principe d’égalité
base de la volonté unilatérale de l’un des entre époux, principe fondamental de
époux, et en cas de faute. Le caractère l’ordre public international tunisien 43.
judiciaire du divorce est renforcé par Tel est notamment le cas d’un jugement
un ensemble de règles procédurales rendu le 27 juin 2000 par le tribunal de
impératives : une tentative de concilia- première instance de Tunis 44. Pour le
tion obligatoire s’il n’y pas d’enfants, tribunal, « l’acte établi en Égypte, par le
trois tentatives obligatoires en cas de Bureau du statut personnel du Caire est
présence d’enfants mineurs, désignation un simple témoignage rédigé par un offi-
d’un juge de la famille, vérification de la cier public qui s’est contenté de consta-
notification de la signification… ter que l’époux a répudié son épouse et
n’a pas un caractère judiciaire ». Mais
Le divorce judiciaire a remplacé en même s’il n’a pas un caractère judiciaire,
220 Tunisie la dissolution extrajudiciaire constate le tribunal, il pourra produire
du mariage par voie de répudiation. Le effet s’il remplit les conditions de régu-
caractère judiciaire et le caractère éga- larité exigées par le code de droit inter-
litaire du divorce sont deux caractéris- national privé.
tiques intimement liées en droit tunisien
de la famille. En ôtant au mari la pos- Le tribunal de première instance de
sibilité de dissoudre le mariage sur la Tunis réitère la même position dans
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)


base de sa volonté unilatérale, c’est-à- un jugement du 1er décembre 2003 45 à
dire par voie de répudiation, le législa- propos d’un acte de répudiation établi
teur tunisien a confié au juge la mission par deux notaires au Maroc, et enregis-
de prononcer un divorce égalitaire et de tré par la suite auprès d’une autorité

(41) En ce sens, Y. Ben Achour, Politique, religion et droit dans le monde arabe, CERP, 1992, p. 203 ; F. Fregosi,
Bourguiba et la régulation institutionnelle de l’Islam : les contours audacieux d’un gallicanisme politique à
la tunisienne », in M. Camau et V. Geiser (dir.), Habib Bourguiba, La trace et l’héritage, Paris/Institut d’études
politiques, Aix-en-Provence, éd. Karthala, 2004, p. 78.
(42) En ce sens, S. Ben Achour, Le code du statut personnel et les législations des pays arabes, in R. Jelassi et S. Ben
Achour (dir.), Le code du statut personnel (1956-2016), Une révolution par le Droit, CPU, 2017, sous presse (en
langue arabe) ; K. Meziou, Du bon usage du droit comparé. À propos du code de la famille marocain et de la
réforme algérienne de 2005, in Droits et culture, Mélanges en l’honneur du Doyen Yadh Ben Achour, CPU, 2008,
p. 367.
(43) Notons toutefois que quelques rares décisions dénient aux actes non judiciaires toute efficacité dans l’ordre
juridique tunisien. C’est notamment le cas du jugement rendu le 19 juin 2000 (no 34116, rapporté par L. Chedly
et M. Ghazouani, Code annoté, préc., p. 277), qui affirme que « le document dont le mari demande l’exequa-
tur est une simple preuve de la dissolution du mariage établi au Maroc entre un mari marocain et son épouse
tunisienne. Cet acte n’a pas un caractère judiciaire et ne peut recevoir l’exequatur ». C’est également le cas du
jugement rendu le 9 juill. 2001 par le tribunal de première instance de Tunis (no 35878). Le juge refuse l’exe-
quatur d’une décision américaine relative à la garde parce qu’elle n’émane pas d’une autorité juridictionnelle,
inédit rapporté par S. Triki, th. préc., p. 264, note 967.
(44) Tribunal de première instance Tunis, 27 juin 2000, no 34179, Revue tunisienne de droit 2000. 425, note M. Ben Jemia.
(45) Tribunal de première instance Tunis, 1er déc. 2003, no 47564, rapporté par L. Chedly et M. Ghazouani, Code
annoté, préc., p. 248.

avril-juin 2018 - C - Rev. crit. DIP


Le divorce extrajudiciaire français devant le juge DOCTRINE ET CHRONIQUES
tunisien, une tolérance à contrecœur…

judiciaire. Le tribunal considère que cet un caractère judiciaire ». Il est certain


acte, qui constitue une simple preuve que le divorce extrajudiciaire français
établie par deux notaires et n’a pas un présentait aux yeux du juge tunisien une
caractère judiciaire, pourra néanmoins certaine parenté avec les répudiations
produire effet en Tunisie s’il remplit les admises dans les pays arabo-musul-
conditions de régularité exigées par le mans et contre lesquelles les tribunaux
code de droit international privé 46. tunisiens tentent de lutter depuis des
décennies… Mais le juge fait la part
Le juge reprend cette même approche des choses et accepte de reconnaître
tolérante dans la décision examinée. le divorce extrajudiciaire français par
Il accepte, un peu à contrecœur, de consentement mutuel. Pour ce faire, il
considérer que « rien n’empêche de délaisse la forme de la convention de
reconnaître ce divorce, même s’il n’a pas divorce pour s’intéresser à sa substance.

II – Le recours aux arguments d’ordre substantiel :


l’acceptation du divorce sans juge

Deux arguments essentiels permettent juridictions tunisiennes, s’il ne porte pas


au juge d’admettre la reconnaissance atteinte à l’ordre public international, si
du divorce extrajudiciaire : sa régularité les droits de la défense ont été respec-
internationale (A) et l’impératif de conti- tés, et s’il ne contredit pas une décision
nuité de l’état des personnes (B). rendue par les autorités tunisiennes 47.
221
Le tribunal de première instance de
A – La régularité internationale Tunis prend une certaine liberté par
de l’acte de divorce rapport à un texte inadapté. Opérant une
sorte d’adaptation du texte à la nature
de l’acte présenté, le tribunal vérifie sa
N’étant pas un jugement, mais un simple régularité par rapport à trois conditions :
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)


acte sous signature privée, la régularité sa conformité à l’ordre public interna-
de la convention de divorce présentée tional tunisien (1), l’absence de toute
aux juges du tribunal de première ins- fraude (2), et l’absence d’une décision
tance de Tunis ne pouvait se faire à contraire (3).
l’aune de l’article 11 du code tunisien de
droit international privé. Ce texte, conçu 1. La conformité de tout acte étranger,
pour les actes rendus par les autorités quelle que soit sa nature, à l’ordre public
judiciaires, comporte des conditions de international du for constitue indéniable-
régularité propres à ces dernières. Selon ment la principale condition de régula-
ce texte, quatre conditions de régularité rité internationale.
essentielles doivent être remplies. Ainsi,
le jugement étranger sera reconnu ou Le juge s’attarde sur la question de la
déclaré exécutoire s’il n’empiète pas conformité de l’acte étranger à l’ordre
sur un cas de compétence exclusive des public international tunisien 48. Il estime

(46) En l’espèce, l’acte prononçant la répudiation n’a pas été reconnu, car il ne remplissait pas les conditions de
régularité exigées par l’article 11 du code de droit international privé. Le tribunal avait considéré qu’il était
contraire au principe d’égalité entre les sexes.
(47) Sur les conditions de régularité, S. Ben Achour, La réception des décisions étrangères…, préc., p. 83 à 162.
(48) Sur l’ordre public international tunisien, notamment, M. Ben Jemia, Le jeu de l’ordre public dans les relations
internationales privées de la famille, th. Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, 1997 ;
Ordre public, Constitution, et exequatur, in Mélanges en l’honneur de Habib Ayadi, CPU, 2000, p. 272 ; Y a-t-il du

Rev. crit. DIP - C - avril-juin 2018


DOCTRINE ET CHRONIQUES Le divorce extrajudiciaire français devant le juge
tunisien, une tolérance à contrecœur…

que la convention de divorce conclue à trois textes, l’article 6 de la Constitu-


entre les deux époux et déposée auprès tion tunisienne, qui proclame le principe
d’un notaire avait préservé deux prin- de l’égalité des citoyens devant la loi, la
cipes fondamentaux de l’ordre public Convention de Copenhague de 1979 sur
international tunisien : celui de l’égalité l’élimination de toutes les formes de
entre l’homme et la femme et celui de discrimination à l’égard des femmes, et
l’intérêt de l’enfant. la Déclaration universelle des droits de
l’homme du 10 décembre 1948.
Le juge estime tout d’abord que la
convention de divorce est conforme au Cet appel aux « grands textes » se
principe d’égalité entre les sexes, auquel retrouve dans la décision commentée.
il montre, encore une fois, son attache- Le principe d’égalité est puisé dans les
ment. La décision du 14 novembre 2017 articles 21 de la nouvelle Constitution
prolonge la liste des nombreuses déci- tunisienne du 27 janvier 2014 52 et 16
sions rendues par les tribunaux tuni- de la Convention de Copenhague du
siens qui se sont fondées sur le principe 18 décembre 1979 sur l’élimination de
d’égalité entre les sexes pour déclarer toute forme de discrimination à l’égard
contraires à l’ordre public la loi étrangère des femmes 53.
autorisant le mariage polygamique 49 ou
les actes de répudiation intervenus à L’article 21 de la Constitution tunisienne
l’étranger 50. On évoquera ainsi une déci- énonce dans son premier paragraphe
sion très remarquée du 27 juin 2000 que « les citoyens et les citoyennes sont
rendue également par le tribunal de égaux en droits et en devoirs. Ils sont
première instance de Tunis, qui avait égaux devant la loi sans discrimina-
déclaré contraire à l’ordre public un acte tion ». Il constitue indéniablement l’un
222 de répudiation intervenu en Égypte 51. En des principaux acquis de la nouvelle
l’espèce, un époux égyptien avait répudié Constitution de 2014 54.
son épouse tunisienne en Égypte. L’acte
de répudiation avait été dressé par une Le juge se réfère également à l’article
autorité publique, le Bureau du statut 16 de la Convention de Copenhague du
personnel au Caire. Le tribunal refusa 18 décembre 1979 sur l’élimination de
la reconnaissance de l’acte en affirmant toute forme de discrimination à l’égard
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)


que « la répudiation, qui est un mode des femmes, selon lequel « les États
classique et religieux de dissolution du parties prennent toutes les mesures
lien conjugal et qui repose sur la volonté appropriées pour éliminer la discrimi-
unilatérale de l’époux, heurte l’ordre nation à l’égard des femmes, dans toutes
public international tunisien ». Afin de les questions découlant du mariage et
justifier sa position, le tribunal se référa dans les rapports familiaux, et assurent,

nouveau en matière d’ordre public familial international, in Actualités du droit international privé de la famille
en Tunisie et à l’étranger, op. cit., p. 43.
(49) K. Meziou, Formation du mariage et principe de monogamie, in Polygamie et répudiation dans les relations
internationales, Unité de recherches RIPCAM, éditions AB Consulting, 2006, p. 43.
(50) Sur cette question, v. S. Ben Achour, L’ordre juridique tunisien face à la répudiation islamique, in Polygamie et
répudiation dans les relations internationales, Unité de recherches RIPCAM, éditions AB Consulting, 2006, p. 43 ;
M. Ben Jemia, Répudiation islamique et effet atténué de l’ordre public, in Le code tunisien de droit international
privé, deux ans après, op. cit., p. 129.
(51) Tribunal de première instance de Tunis, 27 juin 2000, no 34179, Revue tunisienne de droit 2000. 425, note M. Ben Jemia.
(52) Décision du président de l’Assemblée constituante du 31 janv. 2014 relative à l’autorisation de publier la Consti-
tution de la République tunisienne, JORT no 10, p. 316. La version française de la Constitution a été publiée au
JORT 2015, n° spécial du 20 avr. 2015, p. 3.
(53) Loi no 85-68 du 12 juill. 1985 portant ratification de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discri-
mination à l’égard des femmes, JORT no 54, 12-16 juill. 1985, p. 919. Sur cette convention, La non-discrimination
à l’égard des femmes entre la convention de Copenhague et le discours identitaire, Colloque, Tunis 13-16 janv.
1988, UNESCO-CERP, 1989.
(54) Sur cette question, notamment, v. C. Saïd, La nouvelle Constitution et les droits, in Mouvances du droit, études
en l’honneur du Professeur Rafâa Ben Achour, Konrad Adenauer Stiftung, 2015, p. 521.

avril-juin 2018 - C - Rev. crit. DIP


Le divorce extrajudiciaire français devant le juge DOCTRINE ET CHRONIQUES
tunisien, une tolérance à contrecœur…

sur la base de l’égalité entre l’homme tant revirement que la jurisprudence


et la femme… les mêmes droits et les tunisienne a connu en ce qui concerne
mêmes responsabilités au cours du la question de la reconnaissance et de
mariage et lors de sa dissolution » 55. l’exequatur des jugements étrangers
relatifs à la garde 57. Le cas de figure
Le juge estime ensuite que la conven- classique concerne un litige entre un
tion de divorce a bien préservé l’intérêt père tunisien et une mère étrangère,
de l’enfant. Il s’appuie sur l’article 47 généralement européenne, résidente en
de la Constitution et sur l’article 3 de Europe. Un jugement étranger, ayant
la Convention des droits de l’enfant du accordé la garde à la mère, est invo-
20 novembre 1989. qué devant le juge tunisien. Après avoir,
pendant longtemps, imposé un ordre
Selon l’article 47 de la Constitution, « la public international à coloration confes-
dignité, la santé, les soins, l’éducation sionnelle pour refuser la reconnaissance
et l’instruction constituent des droits ou l’exequatur de jugements étrangers,
garantis à l’enfant par son père et sa les tribunaux ont fini par abandonner
mère et par l’État. L’État doit assurer aux ce point de vue. La Cour de cassation a
enfants toutes les formes de protection ainsi estimé, dans un important arrêt du
sans discrimination et conformément à 2 mars 2001, que la décision étrangère
l’intérêt supérieur de l’enfant ». était conforme à l’ordre public interna-
tional tunisien 58, car « le droit tunisien
Quant à l’article 3 de la Convention des prend en considération l’intérêt de l’en-
droits de l’enfant, il énonce que « dans fant pour l’attribution de la garde ». Pour
toutes les décisions qui concernent les la Cour de cassation, la décision ayant
enfants, qu’elles soient le fait des insti- attribué la garde à la mère danoise rési-
tutions publiques ou privées de protec- dente en Belgique et non au père tuni- 223
tion sociale, des tribunaux, des autorités sien résident en Tunisie était conforme à
administratives ou des organes législa- l’ordre public, dans la mesure où « seul
tifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit l’intérêt de l’enfant doit être pris en
être une considération primordiale » 56. compte, sans autre considération ».

Tout comme le principe d’égalité, le On pourrait cependant se poser la


© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)


principe de l’intérêt de l’enfant semble question de savoir si la convention de
également s’imposer comme principe divorce est réellement conforme au prin-
fondamental de l’ordre public internatio- cipe de l’intérêt de l’enfant. La loi du
nal tunisien. Il fut à l’origine d’un impor- 18 novembre 2016 a fait dépendre le pas-

(55) La Tunisie avait fait usage d’une réserve à l’art. 16 de la convention de Copenhague au moment où elle l’a
ratifiée. Selon cette réserve, « le gouvernement tunisien ne se considère pas lié par les alinéas c, d, f et h de
l’article 16 ». Cette réserve était surtout destinée à préserver au mari sa qualité de chef de famille. Elle signifiait
aussi que « l’épouse n’assumera pas l’autorité au sein de la famille étant donné que le mari monopolise l’autorité
paternelle » (en ce sens, v. H. Chekir, Les réserves présentées par la Tunisie, in La non-discrimination à l’égard des
femmes…, colloque préc., p. 51). Mais cette réserve ne remettait nullement en cause la réglementation égalitaire
de la dissolution du mariage en droit tunisien. La réserve a ensuite été retirée par le décret-loi du 24 oct. 2011
(JORT no 82, p. 246). La notification des réserves au secrétaire général des Nations unies a d’abord été gelée
par les gouvernements de Hammadi Jebali et de Ali Larayedh. Elle n’a eu lieu qu’au mois d’avr. 2014, avec le
gouvernement de Mehdi Jomaa.
(56) Selon le paragraphe 2 de cet article, « les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins
nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres
personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administra-
tives appropriées ». Selon le paragraphe 3 de l’article 3, « les États parties veillent à ce que le fonctionnement des
institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux
normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en
ce qui concerne le nombre et la compétence de leurs personnels ainsi que l’existence d’un contrôle approprié ».
(57) Sur cette question, S. Ben Achour, Enfance disputée, les problèmes juridiques relatifs aux droits de garde et de
visite après divorce dans les relations franco-maghrébines, CPU, 2004.
(58) Civ. 2 mars 2001, no 7286-2000, RJL, janv. 2002, p. 183, Revue tunisienne de droit 2001. 201, note M. Ghazouani.

Rev. crit. DIP - C - avril-juin 2018


DOCTRINE ET CHRONIQUES Le divorce extrajudiciaire français devant le juge
tunisien, une tolérance à contrecœur…

sage de la procédure de divorce extra- Le code ne fait pas de place à la seconde


judiciaire vers la procédure de divorce forme de fraude, portant sur les règles
judiciaire de la demande de l’enfant de conflit de juridictions. Pourtant, il est
capable de discernement. Il n’est pas beaucoup plus facile d’éluder l’applica-
du tout certain qu’une telle solution soit tion des règles de conflit de juridictions
conforme à l’intérêt de l’enfant. Outre que d’échapper à l’application de la loi
qu’elle prive le jeune enfant du droit désignée par la règle de conflit de lois.
d’être entendu par le juge, elle fait peser
sur l’enfant capable de discernement En matière de conflit de juridictions, la
un lourd fardeau. On peut donc expri- fraude peut prendre deux aspects diffé-
mer un doute quant à la conformité de rents. Le premier aspect consiste pour
la convention de divorce présentée par un justiciable à créer artificiellement un
les parties au juge tunisien à l’ordre rattachement fictif à un ordre juridique
public international tunisien. L’enfant, étranger dans le but de rendre ses juri-
âgé de six ans lors de l’élaboration de dictions compétentes. Ainsi, deux époux
la convention de divorce, n’avait pas été tunisiens peuvent créer artificiellement
entendu par le juge. une compétence en faveur des tribu-
naux français par la constitution d’une
2. Bien qu’elle n’ait pas spécialement résidence conjugale fictive dans le but
visée par l’article 11 du code de droit de divorcer plus rapidement par voie
international privé, l’absence de fraude de consentement mutuel extrajudiciaire.
pourrait constituer une condition de Cette manœuvre serait frauduleuse au
régularité de tout acte étranger 59. regard de l’ordre juridique tunisien.

Rappelons qu’en droit international Le second aspect de la fraude portant


224 privé, la fraude peut prendre essentiel- sur les conflits de juridictions consiste-
lement deux formes. Elle peut porter rait en une utilisation de la diversité des
soit sur les règles de conflit de lois, soit systèmes nationaux, par le biais d’un
sur les règles de conflit de juridictions 60. forum shopping malus 63, dans le but
d’obtenir une décision dont on pourrait se
Le code de droit international privé ne prévaloir dans l’ordre international 64. Le
consacre que cette première forme de forum shopping, ou la recherche du for
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)


fraude, portant sur les règles de conflit qui convient aux parties, se fait donc dans
de lois 61 et constituée par un change- le but de contrecarrer un jugement inter-
ment artificiel de l’élément de rattache- venu ou devant intervenir dans l’ordre
ment visant à éluder la loi normalement juridique du for. Le forum shopping appa-
applicable 62. raît alors souvent comme le moyen de
réaliser une fraude au jugement.

(59) En ce sens, v. S. Ben Achour, La réception des décisions étrangères…, préc., p. 133 ; A. Mezghani, Commen-
taires…, p. 199.
(60) Pour une étude d’ensemble sur la fraude, B. Audit, La fraude à la loi, Dalloz, 1974 ; E. Cornut, Théorie critique
de la fraude à la loi. Étude de droit international privé de la famille, préface H. Fulchiron, Defrénois, 2006.
(61) L’article 30 du code de droit international privé dispose que « la fraude à la loi est constituée par le changement
artificiel de l’un des éléments de rattachement relatifs à la situation juridique réelle dans l’intention d’éluder
l’application du droit tunisien ou étranger désigné par la règle de conflit applicable ».
(62) B. Audit et L. D’Avout, Droit international privé, 7e éd., Économica, 2013, nos 297 à 301 ; Y. Loussouarn, P. Bourel
et P. de Vareilles-Sommières, Droit international privé, 10e éd., Précis Dalloz, 2013, no 411 ; P. Mayer et V. Heuzé,
Droit international privé, 11e éd., Domat-Montchrestien, 2014, nos 275 à 283 ; D. Bureau et H. Muir Watt, op.
cit., spéc. nos 428 s.
(63) Selon P. de Vareilles-Sommières, Le forum shopping devant les juridictions françaises, TCFDIP 1998-1999, p. 49, il
convient de distinguer entre le forum shopping bonus et le forum shopping malus.
(64) Sur cette question, v. B. Audit et d’Avout, op. cit., no 298 ; E. Cornut, Forum shopping et abus de choix de for
en droit international privé, JDI 2007. 27 ; P. Mayer et V. Heuzé, op. cit., no 276 ; D. Bureau et H. Muir Watt, op.
cit., no 267 ; P. de Vareilles-Sommières, art. préc., p. 49.

avril-juin 2018 - C - Rev. crit. DIP


Le divorce extrajudiciaire français devant le juge DOCTRINE ET CHRONIQUES
tunisien, une tolérance à contrecœur…

Les juges tunisiens ne semblent pas que les deux époux divorcent par voie
enclins à recourir au mécanisme de la de consentement mutuel extrajudiciaire
fraude. Il semble qu’une seule décision, en France, et que l’un d’eux saisisse le
rendue par la cour d’appel de Tunis le juge tunisien pour obtenir un divorce
22 février 2005 65 dans un litige relatif à dans des conditions qui lui seraient plus
un contrat refuse l’exequatur en raison favorables.
d’une saisine frauduleuse des juridic-
tions étrangères. Si la décision tunisienne précède la
convention de divorce français, l’article
Le jugement du 14 novembre 2017 exa- 11 du code pourrait inspirer une solu-
miné semble fournir un second exemple. tion pour résoudre le conflit. Ce texte
Pour le juge du tribunal de première prévoit que la décision étrangère ne sera
instance de Tunis, la convention de pas accueillie lorsque « les tribunaux
divorce n’était pas entachée de fraude. tunisiens ont déjà rendu une décision
Il prend soin de vérifier que les deux non susceptible de recours par les voies
époux tunisiens résidaient régulière- ordinaires, sur le même objet, entre les
ment en France, que le mari y travaillait mêmes parties et pour la même cause ».
et que leur fille y était née. C’est dire Il accorde donc la primauté à la décision
que les deux époux n’ont usé d’aucune tunisienne sur la décision étrangère. A
manœuvre frauduleuse, et que c’est tout fortiori, la décision tunisienne antérieure
naturellement en France qu’ils devaient l’emportera sur la simple convention
divorcer. extrajudiciaire.

La vérification de l’absence de fraude est Mais eu égard à la rapidité du divorce


particulièrement opportune s’agissant extrajudiciaire, il n’est pas impossible
du divorce sans juge. En effet, l’accès que la convention de divorce s’intercale 225
au divorce extrajudiciaire n’est soumis entre la saisine du juge tunisien et le
à aucune condition de proximité avec prononcé de la décision de divorce. La
l’ordre juridique français. Aucun lien procédure imposée par le droit tuni-
n’est exigé entre les avocats, le notaire sien est assez longue. Plusieurs mois
ou les époux et l’ordre juridique fran- s’écoulent généralement entre la sai-
çais. Il s’agit, comme on l’a noté, d’une sine du juge et le prononcé du divorce.
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)


véritable incitation au « tourisme légis- C’est dire qu’il est très probable que le
latif » 66, risquant de faire de la France divorce extrajudiciaire français précède
« le paradis des mariages boîteux » 67. le divorce judiciaire tunisien.

3. Le juge examine une dernière condi- L’existence d’une simple procédure


tion de régularité : l’absence d’une déci- engagée devant les tribunaux tunisiens
sion contraire rendue par les juridictions pourrait-elle justifier le rejet de la recon-
tunisiennes. naissance ? Comment serait résolu le
conflit entre la convention française de
L’examen de cette condition était-il divorce et la procédure entamée devant
utile ? Il est difficile d’imaginer une les juridictions tunisiennes ?
double démarche des deux époux pour
divorcer par voie de consentement La Convention tuniso-française du 28 juin
mutuel en France d’une part et en sai- 1972, dont l’article 15-f donne préférence
sissant le juge tunisien d’autre part… à la procédure nationale, à condition que
Mais il n’est pas impossible d’imaginer la saisine des juridictions nationales

(65) CA Tunis, 22 févr. 2006, rapporté par L. Chedly et M. Ghazouani, Code annoté, op. cit, p. 263.
(66) P. Hammje, Le divorce par consentement mutuel extrajudiciaire…, art. préc., no 6.
(67) Ibid., no 1.

Rev. crit. DIP - C - avril-juin 2018


DOCTRINE ET CHRONIQUES Le divorce extrajudiciaire français devant le juge
tunisien, une tolérance à contrecœur…

soit antérieure à celle des juridictions relatives à l’état et à la capacité des


étrangères, est inapplicable car elle ne personnes mit du temps à s’imposer.
concerne que les décisions judiciaires. Bien que consacrée par les textes du
droit conventionnel et ceux du droit com-
Le droit commun tunisien ne permet mun, la reconnaissance n’a eu que tar-
pas de trouver une meilleure issue. Les divement les faveurs de la jurisprudence
tribunaux admettent que la décision tunisienne.
étrangère pourrait bloquer la procédure
nationale sur la base d’une exception de Amorcée quelque temps avant la pro-
chose jugée à l’étranger 68. Or l’excep- mulgation du code de droit international
tion de chose jugée est inapplicable au privé 69, la solution s’est confirmée par
divorce extrajudiciaire. Aucune « chose » la suite. Une décision rendue le 13 avril
n’a été jugée. 2005 70 par la cour d’appel de Tunis s’est
ainsi fondée, notamment, sur le prin-
cipe de l’unicité de l’état des personnes
B – L’impératif de continuité pour justifier la reconnaissance de plein
de l’état des personnes droit. Pour la cour d’appel de Tunis,
« la situation d’une personne, comme
étant célibataire, mariée ou divorcée fait
Dernier argument du juge, l’impératif de partie de son état civil. L’état civil de la
continuité de l’état des personnes a justifié personne doit être le même quel que soit
l’admission du divorce extrajudiciaire. le lieu où elle se trouve. La soumission
de la décision étrangère prononçant le
Il s’agit, en effet, d’un principe de base divorce à l’exequatur signifierait que les
qui fut à l’origine du système de la personnes concernées seraient considé-
226 reconnaissance immédiate ou de plein rées comme divorcées dans un pays et
droit des décisions relatives à l’état et à mariées dans un autre. Cette situation
la capacité des personnes en droit inter- n’est pas acceptable dans les faits et
national privé. en droit. L’instabilité de l’état des per-
sonnes conduit à des situations incon-
Dès la moitié du XIXe siècle, la Cour fortables et dangereuses pour la famille
de cassation française affirme dans le et contraires à l’ordre social ».
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)


célèbre arrêt Bulkley du 28 février 1860
que « l’étranger dont le premier mariage Le jugement rendu par le tribunal de
a été légalement dissous dans son pays première instance de Tunis pourrait
par le divorce a acquis définitivement atténuer les inquiétudes exprimées par
sa liberté et porte avec lui cette liberté la doctrine française quant à la circula-
partout où il lui plaira de résider ». tion internationale du divorce extrajudi-
L’arrêt se fondait sur une justification ciaire 71. Dépassant les nombreux obs-
simple : en tant qu’élément de l’état des tacles dressés devant la reconnaissance
personnes, le statut matrimonial ne peut du divorce extrajudiciaire, le tribunal de
être remis en cause dès que la personne première instance de Tunis a cherché à
concernée franchit la frontière. faire prévaloir l’intérêt des particuliers.
Espérons que les solutions qu’il a pré-
En droit international privé tunisien, la conisées soient suivies par la pratique
reconnaissance immédiate des décisions administrative et judiciaire en Tunisie.

(68) S. Ben Achour, Les conflits de procédures et de décisions en droit international privé tunisien, RID comp. no 2,
2013. 287.
(69) Civ. mai 1997, no 49-602, RJL janv. 2002. 223 ; Civ. 4 janv. 1999, no 69522-98, RJL janv. 2002. 167.
(70) CA Tunis, 13 avr. 2005, no 15886, cité par L. Chedly et M. Ghazouani, Code annoté, op. cit., p. 302.
(71) A. Boiché, Divorce 229-1 …, art. préc. ; A. Devers, Le divorce sans juge…, art. préc. ; P. Hammje, Le divorce par
consentement mutuel extrajudiciaire…, art. préc. ; M.-L. Niboyet, I. Rein-Lescastereyres et L. Dimitrov, art. préc.

avril-juin 2018 - C - Rev. crit. DIP


Le divorce extrajudiciaire français devant le juge DOCTRINE ET CHRONIQUES
tunisien, une tolérance à contrecœur…

Annexes
Tribunal de première instance de Tunis, 14 novembre 2017, no 86358 72

Le tribunal de première instance de Tunis, rend, en matière de référé, en date du


14 novembre 2017, le jugement suivant entre :
Le demandeur, M. Rafik B.,
La défenderesse, Mme Amina B.,
Objet de la demande,
Il ressort de la demande introduite en date du 10 novembre 2017 que le demandeur,
M. Rafik B. et la défenderesse Mme Amina B. se sont mariés le 24 juin 2009, qu’ils
résident en France et qu’une fille est née de leur union le 25 juin 2010.
Les deux parties ont conclu une convention de divorce en date du 9 juin 2017, la
convention a été déposée au rang des minutes d’un notaire le 16 juin 2017.
Les services de l’état civil ont refusé la transcription de la convention dans les
registres de l’état civil des intéressés.
La demande présentée vise à ordonner aux services de l’état civil de procéder à la
transcription de la convention susvisée dans les registres de l’état civil.
Le tribunal
Attendu que le divorce est intervenu en France conformément aux dispositions de l’ar-
ticle 229-1 du code civil français, tel qu’il a été ajouté par la réforme du 18 novembre
2016.
Attendu que le divorce est intervenu entre deux Tunisiens résidant en France. La
convention de divorce a été rédigée en date du 9 juin 2017 en présence des avocats
des parties, qui ont exprimé clairement leur consentement, et ont organisé les
227
conséquences du divorce en accordant à l’épouse une compensation sur laquelle
elles se sont entendues. La convention de divorce a également porté sur les droits et
les devoirs des deux parties à l’égard de leur fille, qui habitera chez sa mère durant
les périodes scolaires, et passera les périodes de vacances courtes chez son père.
Quant aux grandes vacances, il a été entendu qu’elles seront partagées entre les deux
parents. La convention a également organisé la contribution de chacun des parents
à l’entretien de l’enfant.
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)


Le 16 juin 2017, la convention a été déposée au rang des minutes de Maître P., notaire
à Caen. La convention est donc devenue à cette date exécutoire et a produit un effet
de dissolution du mariage à l’égard des parties, et ce conformément au troisième
paragraphe de l’article 229-1 du code civil français.
Attendu que l’ordonnance requise, de transcrire la convention dans les registres de
l’état civil, dépend de sa reconnaissance par les autorités tunisiennes.
Le fait que le divorce soit intervenu en dehors du cadre judiciaire n’empêche pas
sa reconnaissance… La Convention du 28 juin 1972 relative à l’entraide judiciaire en
matière civile et commerciale ne pouvant au moment où elle a été conclue prévoir que
la reconnaissance de ce qui existait à l’époque, l’esprit du code de droit international
privé autorise la reconnaissance des situations valablement créées à l’étranger… à
condition que cela respecte les règles nécessaires à la protection de l’ordre juridique
tunisien.
Attendu que l’ordre public international tunisien impose, en ce qui concerne les
divorces intervenus à l’étranger, le respect du principe de non-discrimination entre

(72) Traduction à partir de l’arabe des principaux extraits du jugement.

Rev. crit. DIP - C - avril-juin 2018


DOCTRINE ET CHRONIQUES Le divorce extrajudiciaire français devant le juge
tunisien, une tolérance à contrecœur…

l’homme et la femme et la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, et ce confor-


mément aux articles 21 et 47 de la Constitution, à l’article 16 de la Convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979, et
à l’article 3 de la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant.
Attendu que rien n’empêche la reconnaissance du divorce dans la mesure où il est
compatible avec les principes énoncés, puisqu’il est intervenu d’un commun accord
entre les parties, sur la base d’une égalité totale, qu’il a été entouré des garanties
nécessaires pour que les parties puissent exprimer leur libre consentement, avec
l’assistance de l’avocat de chacun d’eux, et l’intervention d’un notaire pour contrôler
les conditions requises.
Attendu qu’il n’y a aucun soupçon de fraude dans le fait que le divorce ait eu lieu en
France puisque les deux époux y résidaient, que le mari y travaillait, que leur fille y
est née, et qu’aucune décision de divorce entre les deux parties ne soit intervenue
en Tunisie.
Attendu qu’il résulte de ce qui précède que rien n’empêche la reconnaissance du
divorce en Tunisie. […]
Attendu que refuser la reconnaissance du divorce pourrait engendrer un préjudice
pour les parties en créant une incohérence et une perturbation de leur état civil, ainsi
qu’une confusion au niveau de leur vie personnelle, en les empêchant d’exercer les
droits découlant du changement de leur situation matrimoniale.

228
© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

© Dalloz | Téléchargé le 29/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.226.165.62)

avril-juin 2018 - C - Rev. crit. DIP

Vous aimerez peut-être aussi