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La Formation Des Prix Sur Un Marché Peu Sophistiqué: Le Marché Immobilier


Genevois

Article · October 2001

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Philippe Thalmann
École Polytechnique Fédérale de Lausanne
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Publié sous:
Thalmann, Philippe, "La formation des prix sur un marché peu sophistiqué: le marché immobilier
genevois", Cahiers du G.R.A.T.I.C.E 21, 2002, 91-109

La formation des prix sur un marché peu sophistiqué: le marché immobilier


genevois
Prof. Philippe Thalmann

École Polytechnique Fédérale de Lausanne1


31.10.2001

RESUME
Les professionnels de l'immobilier expriment le niveau courant des prix en taux de capitalisation.
En effet, ils estiment la "valeur" des immeubles de location en divisant le revenu d'exploitation
courant par un taux de capitalisation calculé à partir d'un taux d'intérêt financier de référence. Une
méthode aussi grossière peut produire des oscillations larges dans les prix, telles qu'elles ont été
observées dans le monde entier entre 1985 et 1995. Est-il possible d'expliquer et même de prévoir
le mouvement des prix sur un tel marché? Nous estimons un modèle explicatif pour les prix payés
à Genève entre 1977 et 2000, en utilisant une base de données unique. Un excellent ajustement
jusqu'en 1994 et un peu moins bon depuis lors suggère que de nombreux acteurs du marché aient
renoncé à la méthode simple de capitalisation au milieu des années '90.
Mots clés: formation des prix, prix immobiliers, rationalité des acteurs

JEL: D46, R32, L85

ABSTRACT

Real estate professionals express the current price level in terms of a capitalisation rate. They
estimate the 'value' of rental buildings by applying to current operating income a capitalisation rate
computed from a reference financial interest rate. Such a crude method may generate wide swings
in prices such as experienced worldwide between 1985 and 1995. Is it possible to explain and
even predict price movement on such a market? We estimate an explanatory model for the prices
paid in Geneva between 1977 and 2000, using a unique database. An excellent fit until 1994 and
somewhat less so afterwards suggests that many traders gave up the simple capitalisation method
in the mid 1990s.

Keywords: price formation, real estate prices, traders' rationality

1 EPFL-ENAC-REME, Bât.Poly, 1015 Lausanne, Suisse, Tél.: ++41 21 693 7321, Fax: ++41 21 693 38
40, philippe.thalmann@epfl.ch. Papier présenté au congrès annuel de la Société européenne
d'économie à Lausanne, le 31.08.2001. Je remercie les participants au séminaire ainsi que trois
rapporteurs anonymes de la revue pour leurs précieux commentaires. La Banque UBS de Genève a
contribué financièrement à cette recherche, sans en porter aucune responsabilité.
1. Introduction

De Tokyo à Los Angeles, en passant par Genève et Londres, l'évolution des prix immobiliers a été
très semblable de mi-'80 à mi-'90. L’euphorie a régné sur les marchés au cours de la deuxième
moitié des années '80, particulièrement après le krach boursier d’octobre 1987, lorsque bon
nombre d’investisseurs se sont détournés du marché financier pour se reporter sur
l’investissement dans la pierre, qu'ils considéraient moins risqué. En même temps, la libéralisation
des marchés financiers ouvrait la porte à une concurrence effrénée entre les instituts pour financer
la construction et l’immobilier. Puis, au détour de la décennie, le marché s’est renversé et la
débâcle s’est rapidement propagée.

En Suisse, on attribue généralement l’effondrement du marché à la hausse considérable des taux


hypothécaires en 1989 et 1990, lorsque la Banque nationale tenta de freiner l'expansion rapide du
crédit qu'elle avait initiée elle-même après le krach de 1987. Dans d’autres pays, ce sont le
rapatriement brusque des capitaux japonais [RENAUD, 1995] et le refroidissement conjoncturel qui
ont ramené les prix à des niveaux raisonnables. En quelques années, les prix ont augmenté et
baissé de 30% et plus.

Après avoir vécu cette évolution, on est en droit de s’interroger sur la formation des prix
immobiliers, en particulier le professionnalisme des acteurs. Des fortunes ont été faites et défaites
en quelques opérations. Des exemples anecdotiques d'acteurs très jeunes et inexpérimentés qui
ont pu lancer des projets de construction sans aucune analyse antérieure du marché, avec l'appui
illimité de banques, renforcent cette impression d'un marché devenu fou.

Nous souhaitons faire de notre mieux sur le plan économétrique pour tenter d'expliquer les prix sur
la base des valeurs fondamentales. Si nous réussissons, ceci devrait rétablir une certaine
confiance dans le fonctionnement du marché d'immobilier. Si nous échouons, ce ne sera pas une
preuve contre la rationalité des acteurs puisqu'il se pourrait que notre modèle et nos données ne
correspondent pas à ceux qui sont utilisés par des acteurs rationnels.

Le marché que nous analysons est celui d'immeubles résidentiels locatifs dans le canton de
Genève, en Suisse (pour une présentation du marché du logement helvétique, voir LAWRENCE
[1996], ou WERCZBERGER [1997]). On a longtemps cru que c'était un marché particulièrement
stable, mais il a traversé les mêmes turbulences décrites ci-dessus, à la surprise de la plupart des
investisseurs. La section 2 établit un modèle de formation des prix sur le marché d'immobilier, qui
combine des éléments de théorie financière avec des méthodes d'évaluation peu sophistiquées.
La section 3 estime un modèle essayant d'expliquer les prix payés dans des transactions
immobilières entre 1977 et 1998. La section 4 donne la conclusion.
2. Un modèle théorique simple de formation des prix immobiliers

Dans l'idéal, la valeur fondamentale d'un bien immobilier de placement est égale à la valeur
actuelle des revenus d'exploitation nets:

R R+ 1 R+ 2
V = + + + ... (1)
1+ r (1 + r)(1 + r+ 1) (1 + r)(1 + r+ 1)(1 + r+ 2)

avec R le revenu locatif net et r le taux de rendement exigé. L'équation (1) n'est pas facile à
utiliser. Elle exige des prévisions de tous les futurs revenus et des taux d'intérêt qui peuvent être
obtenus pour des placements comparables sur un horizon très long. Elle peut être simplifiée
d'abord en employant pour les taux d'escompte un taux constant, qui serait un taux d'intérêt
moyen sur le long terme. L'équation (1) devient alors:


Rt
V = ∑ (1 + r)
t =1
t
(2)

Le modèle peut encore être simplifié avec une règle simple pour l'évolution du revenu locatif, par
exemple un taux de croissance moyen constant g. Ce sera un taux proche du taux d'inflation prévu
sur le long terme. Le revenu locatif approprié pour le calcul de valeur est le revenu d'exploitation
net. Les coûts et charges à porter en déduction du revenu locatif brut B enregistré dans nos
données peuvent être exprimés comme une proportion c. Le modèle ne tient pas explicitement
compte des dépenses de rénovation, parce qu'on admet que les dépenses d'entretien, qui sont
comptées dans les coûts portés en déduction du revenu brut, suffisent à maintenir la valeur. Ce
pourrait ne pas être le cas pour les bâtiments construits (trop) rapidement pendant les années '60.
Le modèle aura donc un paramètre d de décote pour ces immeubles.

Si les investisseurs font ces hypothèses, le prix qu'ils acceptent de payer pour un immeuble peut
être exprimé ainsi:

∞ t −1
(1 + g) (1 − c )B (1 − d)(1 − c )B
P = (1 − d) ∑
t =1 (1 + r )
t
=
r − g
(3)

Les hypothèses ont permis de simplifier considérablement l'expression du prix, puisque la somme
de termes variables est devenue la somme d'une progression géométrique convergente
(hypothèse g < r). Pour la suite, il est commode de définir le taux de capitalisation du revenu locatif
brut ou taux de rendement brut (TRB), noté k:

B r − g
P = avec k = (4)
k ( 1 − c )( 1 − d )

On reconnaît la formule habituelle de la capitalisation. Le taux d'actualisation r, qui est le taux de


rendement requis, peut être exprimé comme la somme d'un taux d'intérêt de référence, qui
pourrait être le taux d'intérêt des crédits hypothécaires rH, et de primes demandées par les
acheteurs pour des motifs de risques ou fiscaux, selon la date de la transaction (t) ou selon le type
d'acheteur (i):

rit = rHt + pt + pi (5)

En remplaçant ceci dans l'équation (4) et en ajoutant les indices pour le type d'acheteur i et
l'année de la transaction t, le TRB est représenté par:

rHt + p t + p i − git
k it = (6)
(1 − c)(1 − dit )

Les indices permettent de distinguer les paramètres communs à toutes les transactions (sans
indice) et les données communes à toutes les transactions du même semestre (indice t) et celles
qui sont spécifiques à un groupe de transactions caractérisées par exemple par le type d'acheteur
(indice i). Tous les paramètres et variables prêtent à l'interprétation. En effet, on ne sait pas a priori
quel taux d'intérêt de référence les acheteurs utilisent ou comment ils prévoient la croissance des
loyers. Pour pouvoir employer le modèle (6) pour calculer le taux de rendement brut et ainsi le prix
d'un immeuble, on va chercher pour chaque terme de l'équation les données observables et les
paramètres estimés qui permettent à ce modèle de reproduire au mieux les prix de l'échantillon de
transactions.
Divers auteurs ont aussi estimé des modèles dans lesquels le taux de capitalisation est la variable
dépendante, par exemple AMBROSE et NOURSE [1993], JUD et WINKLER [1995], et
SIVITANIDOU et SIVITANIDES [1999]. Leur taux de capitalisation est typiquement la moyenne sur
de nombreuses transactions pour une certaine période, en distinguant parfois par type de propriété
ou région (données de panel). Parfois le taux de capitalisation est même obtenu à partir
d'expertises immobilières au lieu de transactions réelles. Les taux de capitalisation sont régressés
linéairement sur différents taux d'intérêt: le taux d'intérêt sans risque, le taux d'intérêt sur des
emprunts de qualité semblable, les taux de rendement boursiers ou des rapports prix-rendements.
De tels modèles vérifient si les marchés immobiliers sont intégrés avec les autres marchés des
capitaux. Lorsqu'ils utilisent des données de panel avec des effets fixes, ils vérifient si les marchés
immobiliers sont segmentés par régions ou types de propriétés. Pour notre part, nous vérifions si
les prix de transactions individuels sont cohérents. Les modèles usuels interprèteraient par
exemple l'influence de valeurs retardées des taux d'intérêt de référence comme indice de retards
dans l'ajustement des rendements immobiliers; nous les interprétons comme preuve
d'anticipations adaptatives sur les taux futurs.
3. Analyse empirique

3.1 Les données utilisées

L’Office cantonal genevois de la statistique a publié en 1993 sa première enquête sur les
transactions immobilières couvrant la période 1990-91 [OCSTAT, 1993]. Cette statistique ne peut
pas être utilisée pour estimer notre modèle puisqu’elle ne recense pas les revenus locatifs, une
donnée pourtant fondamentale pour un immeuble «de rapport». De plus, la statistique est trop
récente pour estimer un modèle capable d’expliquer le mouvement des prix autour de 1990. Nous
avons donc constitué notre propre base de données.
La base de données a été élaborée grâce aux informations gracieusement fournies par quatre des
plus importantes agences immobilières de Genève et quatre caisses de pension des services
publics. Elle a été complétée avec des données macro-économiques semestrielles. Les
transactions ont eu lieu entre juillet 1977 et décembre 2000, donc sur un cycle conjoncturel entier,
de la reprise de la fin des années '70, via l’euphorie des années '80, jusqu’à la crise au début et la
reprise à la fin des années '90. Le travail de récolte des informations a été considérable, puisqu’il a
fallu en grande partie les extraire des dossiers d’archives des agences immobilières et des caisses
de pension, dossiers qui sont très hétérogènes et souvent volumineux.
L’échantillon compte 383 transactions allant de 400 000 francs suisses (il s'agit d'un petit
immeuble comptant 30 pièces, construit en 1912 et vendu en 1978) à CHF 40 millions, pour un
total de CHF 2 milliards, soit CHF 5.2 millions en moyenne par transaction. Lorsque l’information
concernant une transaction est incomplète parce qu’il manque une donnée par rapport à l’une ou
l’autre des variables du modèle, on est obligé d’abandonner cette transaction. Afin de limiter les
pertes, tous les efforts ont été entrepris pour compléter les données. Finalement, seulement trois
observations ont été perdues.
Notre échantillon n’est probablement pas représentatif de l’ensemble des transactions, quoique les
statistiques manquent pour vérifier. Il comprend une part élevée d’institutionnels et peu de
professionnels de l’immobilier ou de la construction, beaucoup d’immeubles subventionnés et peu
d’immeubles construits avant 1960. Ces biais reflètent l'origine de nos données. Quant à la taille
de l’échantillon, on ne peut la comparer au volume total des transactions qu’à partir de 1990,
puisque les statistiques officielles n’existaient pas auparavant. Entre 1990 et 1998, l’Office
cantonal de la statistique a recensé 863 ventes d'immeubles résidentiels ou mixtes, pour un
montant total de 2.9 milliards de francs. Notre échantillon en compte 108 pour la même période,
pour un montant de 486 millions de francs, donc environ 13% du nombre et 17% du volume.
Les transactions, représentées par leur TRB et regroupées par année, sont représentées dans le
Graphique 1. On constate la croissance de la dispersion des TRB depuis 1993, avec certains TRB
fantastiquement élevés (au-dessus de 15%). Nous avons vérifié qu'il ne s'agit pas d'erreur de
saisie. Plusieurs de ces transactions au taux de rendement soit très faibles, soit très élevés,
portent sur des immeubles très anciens. Notre modèle ne permet pas de tenir compte de situations
individuelles telles qu'un important besoin de rénovation ou au contraire un fort potentiel de
développement.

Graphique 1: TRB des transactions individuelles, 1977-2000

20

18

16

14

12
TRB (%)

10

0
1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000

Le Graphique 2 représente les TRB moyens calculés pour les transactions de chaque semestre,
en pondérant chaque TRB par le prix correspondant. Il permet de voir l'évolution agitée des TRB
dans le temps et de la comparer avec l'évolution du taux d'intérêt hypothécaire de premier rang de
la Banque cantonale de Genève (BCG), le principal institut de crédit hypothécaire de la place. On
constate jusqu'en 1994 une évolution parallèle mais décalée des deux séries, puis dès 1995 une
paire de ciseaux qui s’ouvre.
Graphique 2: TRB et taux d'intérêt hypothécaire, par semestre, 1978-2000

14
Taux de rendement brut moyen, pondéré par les prix

Taux d'intérêt sur les emprunts hypothécaires à taux variable,


12
Banque Cantonal de Genève

10

8
(%)

0
1977 1979 1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001

Après une longue période de stabilité relative entre 5% et 7%, le TRB se met à osciller fortement
en 1992. De 1990 à 1998, il passe de 6% à 10% environ. Pour un revenu locatif constant, cela
signifie une baisse de prix de plus d'un tiers, soit ce que l'on trouve aussi dans les statistiques des
prix immobiliers. Or les loyers ont augmenté en moyenne de 15% sur cette période. Donc un
immeuble dont le revenu locatif aurait suivi l'indice général n'aurait perdu "que" 25% environ de sa
valeur entre 1990 et 1998. La paire de ciseaux qui s'ouvre entre le taux de capitalisation et le taux
d'intérêt hypothécaire en 1995 suggère que le marché immobilier soit devenu un marché des
capitaux autonome en 1995!
Les TRB moyens permettent de calculer un indice de prix ajusté pour la qualité pour les
immeubles résidentiels locatifs genevois. Nous divisons l'indice des loyers officiels par le TRB
moyen de toutes les transactions d'une année. L'indice qui en résulte est représenté dans le
Graphique 3. Il montre la forte croissance des prix tout au long des années '80 – de 88% entre
1980 et 1990 – suivie d'une forte baisse des prix – de 22% entre 1990 et 1992.
Graphique 3: Indice de prix implicite (indice des loyers/TRB moyen, 1993=100), 1978-2000

130

120

110

100

90

80

70

60

50

40

30

20

10

0
1977 1979 1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001

En plus de l'évolution temporelle des TRB, le modèle devrait reproduire la dispersion des TRB
individuels. On l'a déjà constatée dans le Graphique 1. On la voit également dans le Graphique 4,
qui représente les TRB en fonction de la taille de l'immeuble, mesurée par le revenu locatif.
Graphique 4: Revenus locatifs et TRB, 1977-2000

20%

18%

16%

14%

12%
TRB

10%

8%

6%

4%

2%

0%
0.0 0.5 1.0 1.5 2.0 2.5
Revenu locatif (millions francs)

3.2 Estimation du modèle

Le modèle théorique n'est pas très précis quant aux choix des variables explicatives, notamment
en ce qui concerne le taux d'intérêt de référence, le taux de croissance anticipé des loyers et les
primes de risques. Il faut donc chercher la spécification qui permette le mieux de reproduire les
prix observés. On trouve ainsi que la décote d des immeubles qui ont besoin de rénovation ne
s'applique qu'aux immeubles construits dans les années '60, bien qu'il y ait de nombreux
immeubles bien plus anciens dans l'échantillon. Le taux de rendement requis dépend du type
d'acheteur: caisse de pension (retraite) ou autre. Les transactions permettent également
d'identifier les données employées par la majorité des acteurs. On trouve ainsi qu'ils emploient la
moyenne de plusieurs taux d'intérêt hypothécaires récemment observés comme taux d'intérêt de
référence (rH). Ils utilisent de même une moyenne de plusieurs taux de croissance de l'indice des
loyers pour prévoir le taux de croissance futur des loyers (g). L'ajustement est meilleur avec ces
statistiques du passé qu'avec les valeurs futures observées ex post. Les anticipations semblent
donc relativement naïves.
Le modèle statistique retenu et estimé est résumé dans le Tableau 1. Il a été estimé au moyen des
moindres carrés non linéaires, l'équation estimée étant celle de V̂ V ou de façon équivalente
k k̂ , puisqu'il s'agit de minimiser les erreurs relatives.
Tableau 1

MODÈLE DU PRIX DES IMMEUBLES RÉSIDENTIELS GENEVOIS


(1977:2 - 2000:2)

k it * ( 1 − α 1 ) ⋅ ( 1 − α 2 ⋅ d 60 i )
Équation estimée: = 1
r Ht + α 3 + α 4 * d 95 i / T i − α 5 CPi − α 6 g t

Variables explicatives Coefficient Écart type Valeur p

α1 correspond à c dans l'éq. 3, la différence entre 0.29 0.11 0.006


le revenu locatif brut et le revenu locatif net

α2 correspond à d dans l'éq. 3, la décote pour 0.15 0.03 0.000


travaux, qui ne s'applique qu'aux bâtiments
achevés entre 1962 et 1966, pour lesquels d60=1

α3 est une prime de risque uniforme qui s'ajoute 0.49 0.70 0.488
au taux d'actualisation de base rH, qui est le taux
d’intérêt moyen sur les anciennes hypothèques
de la BCG pour le semestre courant et les deux
précédant la transaction

α4 est une seconde prime de risque qui 1.66 0.29 0.000


s'applique depuis 1995, quand d95=1, et qui est
inversement proportionnelle à la taille T de
l'immeuble, qui est mesurée par la racine carrée
du rapport du revenu locatif au revenu locatif
moyen (tout en francs de 1993)

α5 mesure la différence entre le taux de 0.27 0.10 0.007


rendement dont se contentent les caisses de
pension, pour lesquelles CP=1, et le taux
demandé par les autres investisseurs

α6 est un coefficient modérant l'influence du taux 0.24 0.02 0.000


de croissance anticipé des loyers g, qui est le
taux de croissance moyen de l’indice genevois
des loyers pour le semestre de la transaction et
les trois précédents

Nombre d'observations 373

Écart-type des résidus 0.17


On peut aussi exprimer les résultats sous la forme de l'équation 6 du TRB. Les deux premiers
termes entre rHt et g dans l'équation 7 correspondent à des primes de risques et le troisième à un
différentiel de rendement requis. Le paramètre de croissance du revenu locatif g reçoit un
coefficient. Les parenthèses au dénominateur correspondent exactement à celles de l'équation 6.
Ainsi, c=0.29 et d=0.15 pour les immeubles pour lesquels la variable muette d60 prend la valeur 1.

rHt + 0.5 + 1.7 * d95 i / Ti − 0.27CPi − 0.24g t


k̂ it = (7)
(1 − 0.29)(1 − 0.15d60 i )

avec
k le taux de rendement brut,
rH le taux d’intérêt moyen sur les anciennes hypothèques à taux variables de la Banque
cantonale de Genève pour le semestre de la transaction et les deux semestres précédents,
d95 prend la valeur 1 si la transaction a lieu en 1995 ou après, 0 sinon,
T est un indice de la taille de l'immeuble, construit en prenant la racine carrée du rapport du
revenu locatif de l'immeuble au revenu locatif moyen de tous les immeubles de l'échantillon
(qui est de 533'000 francs; toutes les recettes locatives sont déflatées par l'indice des loyers
qui vaut 1 en 1993)
CP prend la valeur 1 si l'immeuble est acheté par une caisse de pension, 0 sinon,
g le taux de croissance moyen de l’indice genevois des loyers pour le semestre de la
transaction et les trois précédents,
d60 prend la valeur 1 si le bâtiment a été achevé entre 1962 et 1966, 0 sinon.
L'équation 7 peut être interprétée de la façon suivante:
• Le taux d'intérêt de référence est le taux de rendement moyen sur les crédits hypothécaires
à taux variable. Ce taux donne de meilleurs résultats que d'autres taux de référence,
notamment le taux de rendement effectif sur les emprunts de la Confédération. Il semble
donc que les investisseurs raisonnent plutôt en termes de coûts des fonds que de
comparaison avec d'autres placements. Le taux d'intérêt hypothécaire s'impose d'ailleurs
comme référence du fait que le régime suisse de surveillance du marché locatif prévoit que
les loyers sont adaptés aux changements de ce taux d'intérêt précisément. Cette référence
au taux d'intérêt hypothécaire seulement pourrait avoir changé en 1995, ce qui contribuerait
à expliquer la prime de risque supplémentaire qui apparaît dès cette date.
• Les acheteurs ajoutent une prime de risque de 0.5% en moyenne au taux d'intérêt de
référence. Cette prime varie beaucoup, si bien que le coefficient n'est pas assuré
statistiquement.
• Depuis 1995, les acheteurs demandent une prime de risque sur le rendement qui est
d'autant plus élevée que l'immeuble est petit. Pour un immeuble de taille moyenne, elle est
de 1.7%. Cette prime apparaît statistiquement dès le premier semestre de 1995, sans
transition.
• Les caisses de pension calculent avec un taux de rendement requis plus faible de 0.27
points. Lorsque le TRB est de 6.5%, cela signifie qu'une caisse de pension paie 4.3% plus
cher qu'un autre investisseur.
• Le taux d’escompte est réduit de 0.24 points par point de croissance prévu des loyers. La
théorie prédit un coefficient de 1 (éq. 6). Le fait que le coefficient soit si faible suggère que
les opérateurs du marché attachent peu de poids à la croissance future du revenu locatif. Il
pourrait aussi indiquer que la variable retenue pour le taux de croissance anticipé est mal
définie.
• Nous estimons la différence entre le revenu brut et le revenu déterminant pour le prix à 29%
du premier.
• Les immeubles achevés entre 1962 et 1966 subissent une réserve pour travaux ou décote
de 15%. Les immeubles plus anciens ne sont pas concernés. Cet effet de génération
concerne 32 transactions, soit une sur douze environ.
Le résultat le plus frappant de cette analyse est sans conteste la prime de risque qui apparaît en
1995. Il semble que jusqu'en 1994 les acquéreurs se contentaient de calculer un rendement requis
égal au taux d'intérêt hypothécaire augmenté d'un demi pour-cent. Ceci correspond d'ailleurs
exactement au taux de rendement autorisé sur les fonds propres par le régime suisse de
surveillance des loyers. En 1995, le taux d'intérêt hypothécaire tombait au-dessous du niveau le
plus bas des années '80 (Graphique 2) ce qui aurait dû amener les prix vers de nouveaux
sommets. Les taux de rendement brut étaient presque redescendus au niveau de la fin des
années '80, avant l'effondrement des prix. Il semble que les acteurs aient pris peur et commencé à
demander une nouvelle prime de risque. La prime serait ainsi le signe d'un apprentissage: après
des années de baisse des prix, les investisseurs accueillent les premiers signes de reprise avec
grand scepticisme. Plus les prix élevés sont dus à des taux d'intérêt bas, plus grands sont le risque
de perte et la prime de risque. BENARTZI et THALER (1995) ont montré comment une aversion
au risque asymétrique et la réévaluation fréquente des actifs peuvent causer des primes de risque
très élevées.
Les coefficients reportés dans le Tableau 1 sont clairement différents de zéro (sauf la prime de
risque uniforme) et plausibles. L'écart type des résidus donne une indication sur la qualité de
l'ajustement, en sachant que la variable dépendante est simplement un vecteur unitaire. Lorsqu’on
utilise les coefficients estimés pour prédire les prix de transaction, on trouve une erreur
proportionnelle moyenne de 11.8%. Ces résultats sont robustes par rapport à la méthode
d’estimation. Ils ne changent pratiquement pas si on estime directement l'équation non linéaire du
prix ou l'équation du TRB. Nous avons également tenté d'inclure d’autres facteurs explicatifs
suggérés par le modèle et plus de détail sur la nature du bien immobilier (société immobilière,
subventionné, loyers comparés à ceux du marché, âge). Ces facteurs n’ont pas d’influence
statistiquement avérée; ils n’ont pas d’incidence sur les coefficients des facteurs retenus et ils
n’améliorent pas la précision du modèle. Même le fait qu'un immeuble soit subventionné, donc ses
loyers contrôlés, ne joue pas un rôle statistiquement significatif parce que ses loyers suivent assez
bien le marché, qui lui-même est soumis à un régime de surveillance n'autorisant que les hausses
de loyers justifiées par les coûts.
Le Graphique 5 et le Graphique 6 représentent l’ajustement des prix pour les transactions
effectuées entre 1990 et 2000 (la période est limitée uniquement pour la lisibilité du graphique). Ils
montrent que l'ajustement est très bon malgré la grande diversité des prix qu'il s'agissait
d'expliquer. La comparaison des deux graphiques montre également qu'il y a beaucoup plus de
cas de mauvais ajustement (par rapport au prix) depuis 1995.

Graphique 5: Prix observés et estimés, 1990-1994

100

10
Million de francs

Prix observé
Prix ajusté
0
1990

1990

1991

1991

1991

1992

1992

1992

1993

1994

1994
Date de la transaction
Graphique 6: Prix observés et estimés, 1995-2000

100

10
Million de francs

Prix observé
Prix ajusté
0
1995

1995

1996

1997

1997

1998

1998

1998

1999

1999

2000
Date de la transaction

À quoi sont dues les erreurs d'ajustement pour certaines transactions dans le Graphique 5 et
surtout dans le Graphique 6? Plusieurs possibilités entre lesquelles nous ne pouvons pas
distinguer:
1. Le modèle n'est pas assez bon; pourtant il fonctionne bien pour la grande majorité des objets.
2. Après les mauvaises expériences qu'ils ont faites dans la première moitié des années '90, les
agents et investisseurs sont à la recherche d'un nouveau modèle pour la détermination des
prix.
3. Les transactions en question ont été effectuées par des opérateurs "irrationnels".
4. Il s'agit de situations particulières; la réalité n'est pas aussi simple que notre modèle; le prix
d'un immeuble ne se laisse pas réduire à 6 facteurs.
Le Graphique 7 résume la qualité de l'ajustement par un histogramme des erreurs
proportionnelles, en distinguant les transactions effectuées jusqu'en 1994 et celles effectuées
depuis 1995. Pour 60% des transactions jusqu'en 1994, le modèle se trompe de moins de 10% et
pour 37% l’erreur est même inférieure à 5%. D'un autre côté, l'erreur dépasse 40% pour 15% des
transactions effectuées depuis 1995. La capacité prédictive du modèle est excellente jusqu'en
1994, un peu moins depuis.
Graphique 7: Erreur proportionnelle dans la prévision du prix

37%

1977-1994
1995-2000

23%
20%
18% 19%
16% 16%

11%
8% 8%
7%
4% 4%3%
3%
2% 1%
0%

0-5 5-10 10-15 15-20 20-25 25-30 30-40 40-50 50+


Erreur proportionnelle (%)

Les erreurs d'ajustement ne sont pas seulement plus grandes depuis 1995. Le Graphique 8
montre qu'elles sont aussi plus grandes parmi les petits immeubles (en terme de revenu locatif),
même avant 1995. Ceci pourrait suggérer que le modèle soit peu performant pour expliquer la
formation des prix dans ce segment du marché. En fait, il prévoit correctement la vaste majorité
des prix. Il semblerait donc plutôt qu'il y a dans ce segment des acheteurs et des vendeurs peu
professionnels, notamment des particuliers achetant pour leur propre compte, peu informés ou
sensibles à d'autres qualités encore que le rendement des immeubles. Il n'est pas possible de
distinguer davantage les transactions pour vérifier cette hypothèse.
Graphique 8: Erreurs de prévision selon le revenu locatif

100
1977-1994
80
1995-2000
60
Erreur proportionnelle (%)

40

20

-20

-40

-60

-80
0.0 0.5 1.0 1.5 2.0
Revenu locatif (million CHF)

4. Conclusions

Pour 57% de 372 transactions immobilières qui ont eu lieu à Genève entre 1977 et 2000, nous
avons pu expliquer les prix payés avec une erreur de moins que 10%. Ceci avec un modèle qui
peut être dérivé d'un modèle théorique en ajoutant un grand nombre d'hypothèses de
simplification. Cela suggère que dans une majorité de cas le prix ait été proche de la valeur
fondamentale, si on accepte que la valeur fondamentale soit calculée avec un modèle simple. Le
marché est peu sophistiqué mais il n'est pas fou, même s'il conduit à de fortes oscillations des prix.
Pour 8% de ces transactions, la différence entre la prévision du modèle et le prix payé excède
30%. Nous devons considérer ces prix comme n'étant pas expliqués. Ils concernent la plupart du
temps de plus petits objets, pour lesquels il est possible que les acheteurs ou vendeurs soient
moins compétents ou qu'ils se fixent d'autres priorités que le rendement. Ils concernent aussi
plutôt des transactions effectuées depuis 1995, date à partir de laquelle la dispersion et la volatilité
des taux de capitalisation sont devenues beaucoup fortes.
Le modèle simple a plus de peine à expliquer les prix payés sur ce marché depuis 1995, bien que
nous ayons apporté un ajustement sous la forme d'une nouvelle prime de risque dans le taux de
capitalisation. La taille et pertinence statistique de cette prime suggèrent que le marché immobilier
analysé se soit affranchi des autres marchés des capitaux. Néanmoins, les taux de capitalisation
individuels sont si divers pendant cette période et notre échantillon est si petit que la moyenne
pourrait être affectée excessivement par des transactions singulières.
5. Références

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Estate Research 8(2), 1993, pp. 221-237.

BENARTZI, S., and R.H. THALER, «Myopic loss aversion and the equity premium puzzle», Quarterly
Journal of Economics 110(1), Feb. 1995, pp. 73-92.

JUD, G.D., and D.T. WINKLER, «The Capitalization Rate of Commercial Properties and Market
Returns», Journal of Real Estate Research 10(5), 1995, pp 509-18.
LAWRENCE, R.J., "Switzerland", in: P. Balchin (ed.), Housing Policy in Europe, Routledge, London,
1996, 36-50

OFFICE CANTONAL DE LA STATISTIQUE, Enquête sur les Transactions Immobilières, Genève, 1993

RENAUD, BERTRAND, «Le cycle global de l’immobilier», L’Observateur de l’Immobilier 31, mai 1995,
pp. 4-18.
SIVITANIDOU, R., and P. SIVITANIDES, "Office Capitalization Rates: Real Estate and Capital Market
Influences", Journal of Real Estate Finance and Economics 18(3), 1999, pp. 297-322.
WERCZBERGER, E., "Home Ownership and Rent Control in Switzerland", Housing Studies Volume
12, Number 3, July 1997, 337-353

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