Pourquoi personne ne croit

aux idées des entrepreneurs

qui se lancent ?

Deux étudiants ont rendez-vous avec le

président d’une entreprise pour négocier la
vente de leur invention. Ils désirent céder leur
découverte afin de se concentrer sur l’achè-
vement de leur thèse de doctorat. Toutes
les démonstrations de leur invention ont été
convaincantes, et les négociations avec l’en-
treprise ont bien avancé. Grâce à l’aide d’un
consultant extérieur, l’entreprise vient de faire
baisser le prix de 25 %. Nos deux étudiants
s’apprêtent à accepter l’offre, car la somme
reste rondelette : 750 000 dollars.
Les problèmes sont

’
les deguisements
Malheureusement, le président refuse
finalement d’acheter l’invention de nos deux
étudiants. Malheureusement pour lui. Nous
favoris de l’opportunité. sommes en 1998 et les deux étudiants s’ap-
pellent Sergey Brin et Larry Page. Le président
d’Excite vient de rentrer dans l’Histoire comme
celui qui aurait pu racheter Google pour une
bouchée de pain.

Anonyme 149
 Comment voir la vie d’un œil neuf
Le même été, les fondateurs de Google
ont également rencontré Yahoo, qui a aussi
décliné leur proposition. Oui, ce mois de sep-
tembre 1998, Yahoo aurait pu racheter Google.
D’ailleurs il ne fut pas plus inspiré la seconde
fois, en 2002, quand il proposa de le racheter
pour trois milliards de dollars. Les fondateurs
de Google trouvaient l’offre insuffisante et le
président de Yahoo refusa d’en proposer cinq.
En 2015, MM. Page et Brin ont vu leur fortune
grimper de sept milliards de dollars chacun et
Google vaut 468,3 milliards.
Les fondateurs de Google ne sont pas une
exception : Dyson est allé proposer, sans suc-
cès, son aspirateur sans sac à tous les prin-
cipaux fabricants. Alors même qu’Apple se
lançait, le président de DEC (Digital Equip-
ment Corporation, aux États-Unis) affirmait :
« Il n’y a aucune raison pour laquelle quelqu’un
pourrait vouloir un ordinateur chez lui. » Le
devoir universitaire dans lequel le fondateur de
FedEx expliquait son invention fut noté sous
la moyenne, avec cet immortel commentaire :
« Le concept est intéressant et bien développé,
mais pour vous valoir plus qu’un C, l’idée doit
être faisable. » Le succès fait oublier qu’à l’ori-
gine personne ne croyait aux idées des entre-
preneurs.
Mais revenons à Google et posons-nous la
vraie question : comment les présidents d’Ex-
150
sans passer 6 mois dans un monastère en Mongolie
cite et de Yahoo ont-ils pu passer à côté d’une
opportunité aussi fantastique ? Ils étaient
pourtant dans une position privilégiée, ils
disposaient de l’expertise d’ingénieurs quali-
fiés pour juger avec certitude que l’écart de
performance entre Google et leurs propres
moteurs de recherche était spectaculaire.
Imaginez : vous êtes constructeur de voitu-
rettes de golf qui n’arrivent pas à dépasser les
20 km/h. Ferrari vous invite à faire des tours
de circuit à 300 km/h, et vous offre d’acheter
son moteur pour une somme modique. Vous
pourriez prendre une avance décisive sur tous
vos concurrents et détenir à terme le mono-
pole du marché. Et vous dites non.
Pourquoi ont-ils refusé d’acheter Google ?
La réponse est simple : parce qu’ils voyaient
sa rapidité comme un problème. À l’époque, le
revenu des moteurs de recherche provenait de
la publicité, et le moteur de recherche devait
faire passer l’utilisateur le plus de temps pos-
sible sur le site. Si Excite intégrait un moteur
de recherche qui donnait instantanément aux
gens l’information qu’ils recherchaient, ils quit-
teraient le site aussi vite. Détruisant ainsi du
potentiel de revenu publicitaire.
Reid Hoffman, co-fondateur de PayPal
et LinkedIn, et un des premiers investisseurs
dans Facebook, Airbnb ou Flickr, propose une
151
 Comment voir la vie d’un œil neuf
analyse éclairante de ce phénomène. Il fait
remarquer que les entrepreneurs qui trans-
forment leur marché basent leur succès sur
une « théorie contraire exacte ». En d’autres
termes, ils parient le succès de leur entreprise
sur une idée qui va à l’opposé de l’opinion
commune, mais qui se révèle juste.
Google allait contre le statu quo en pen-
sant que les gens voudraient un moteur de
recherche plus rapide qui leur permettrait
de passer le moins de temps possible sur le
site, mais il avait raison. C’est ce qui rendait
l’interface de Google si magique à son lance-
ment : là où tous ses concurrents proposaient
des sites surchargés d’informations, il offrait
une page presque totalement vierge, avec
juste un espace pour taper sa recherche et
quelques boutons pour la lancer. Et là où ses
concurrents prenaient du temps pour donner
des résultats approximatifs, il fournissait qua-
siment instantanément des réponses éton-
namment justes.
Mais ceci a imposé à Google d’aller à
l’encontre de l’opinion commune pendant
longtemps. En effet, le business model des
AdWords, qui allait faire sa fortune, n’appa-
raîtrait qu’en l’an 2000, après que Google soit
devenu le moteur de recherche préféré des
internautes. Il lui fallait donc une grosse dose
de conviction pour croire qu’il réussirait.
152
sans passer 6 mois dans un monastère en Mongolie
La stratégie de Google était risquée. Mais
le gain est proportionnel au risque : plus vous
pariez à l’inverse du marché, plus vous gagnez
si vous avez raison. En effet, dans ce cas, vous
partez premier dans la course (à condition
d’avoir vu juste, évidemment, sinon l’entreprise
va dans le mur). De plus, vous évitez d’être
imité car les concurrents qui pensent que vous
avez tort, et vous évitez d’être écrasé par une
entreprise plus puissante.
C’est pourquoi les entrepreneurs se posent
des questions que les acteurs établis du
marché ne se posent pas. Ils se demandent,
par exemple, si on pourrait créer une ver-
sion « adulte » d’un produit pour les enfants
(comme le Cirque du Soleil, les Simpson et les
Rollerblades), ou suppriment quelque chose
pour pratiquer des prix 30 % inférieurs aux
concurrents (comme EasyJet, Ikea ou Aldi).
Il y a trois sortes de gens dans le monde,
résumait récemment l’entrepreneur Éric
Legent : les réactifs, les pro-actifs et les entre-
preneurs. Le réactif, quand il doit traverser
la forêt, fait demi-tour quand il tombe sur un
arbre qui bloque la route. Le pro-actif, foca-
lisé sur l’objectif de traverser la forêt, finit par
trouver un moyen de contourner l’arbre et de
poursuivre son chemin. L’entrepreneur réalise
qu’il n’est sans doute pas le seul à avoir le pro-
blème et transforme l’arbre en péage.
153
 Comment voir la vie d’un œil neuf

Oscar Wilde nous offre le plus beau résumé

du secret des entrepreneurs pour réussir :
« Soyez vous-même, les autres sont déjà pris. »
Tout le monde admire les entrepreneurs parce
qu’ils sont dynamiques et qu’ils réussissent.
Admirons-les aussi pour leur capacité à perce-
voir de la valeur là où les autres ne voient rien,
et à transformer les obstacles en opportunités.
 Questions

Comment, et pourquoi, regarder la vie

d’un œil neuf ? p. 13

Pourquoi ne remarque-t-on pas

les extincteurs, alors qu’ils sont
rouges et très visibles ? p. 23

Pourquoi se retrouve-t-on dans

la cuisine en se demandant ce
qu’on était venu y faire ? p. 31

Pourquoi votre père répond-il au

téléphone debout et votre mère
préfère-t-elle s’asseoir ? p. 39

Pourquoi n’entendons-nous
le ventilateur que quand il s’arrête ? p. 45
Pourquoi certaines personnes ont-elles
plus de chance que les autres ? p. 53
Pourquoi ne voit-on pas que le jus
d’orange en bouteille est plus jaune
qu’orange ? p. 63
Pourquoi les élèves ont-ils de meilleures
notes quand ils aiment leur professeur ? p. 71
Pourquoi les grands voyageurs
sont-ils si rarement sur leurs photos
de vacances ? p. 79
Pourquoi les Françaises se maquillent-elles
debout, alors que les Américaines
s’assoient ? p. 85
Pourquoi repère-t-on les sourires
hypocrites au premier regard ? p. 91
Pourquoi est-on généralement plus
généreux avec l’ouvreuse qu’avec
la fille du vestiaire ? p. 97
Pourquoi si le futur est devant nous,
ne pouvons-nous pas le voir ? p. 105
Pourquoi n’aime-t-on pas acheter des
produits de beauté trop bon marché ? p. 113
Pourquoi se méfie-t-on des individus
qui préfèrent boire leur café seul ? p. 121
Pourquoi ne rions-nous pas des
mêmes choses que nos parents ? p. 129
Pouquoi se brûle-t-on la première fois
qu’on utilise la douche d’une vieille
maison ? p. 135
Pourquoi les cyclistes sont-ils
si désobéissants et indisciplinés ? p. 141
Pourquoi personne ne croit aux idées
des entrepreneurs qui se lancent ? p. 149
Pourquoi le temps semble-t-il passer
de plus en plus vite quand on vieillit ? p. 157
Pourquoi les maris oublient-ils
si souvent de sortir les poubelles ? p. 165
Pourquoi offre-t-on une bague
avec un diamant quand on se fiance ? p. 173
Pourquoi les chapitres de ce livre
commencent-ils par une question ? p. 181
Pourquoi ai-je écrit ce livre étrange ? p. 189