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• RÉFORME DES RETRAITES

Réforme des retraites : Elisabeth Borne


s’accroche à son poste, Emmanuel
Macron cherche une issue
Le chef de l’Etat s’exprimera mercredi à 13 heures sur TF1 et France 2. S’il refuse
pour l’instant de procéder à un remaniement, le gouvernement apparaît fragilisé
et en sursis, à la suite du rejet de justesse des motions de censure à l’Assemblée
nationale, lundi.

Par Claire Gatinois et Ivanne Trippenbach

Publié hier à 05h36, mis à jour hier à 11h00


Temps de lecture 5 min

https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/03/21/reforme-des-retraites-apres-le-rejet-
des-motions-de-censure-un-gouvernement-en-sursis_6166324_823448.html

Emmanuel Macron est à l’Elysée lorsque le sol tremble sous ses pieds. De l’autre côté du
pont de la Concorde, ce lundi 20 mars, à l’Assemblée nationale, Elisabeth Borne vient de
frôler la censure, votée à 278 voix, soit neuf de moins que la majorité requise pour
renverser le gouvernement. Une claque. « Démission ! Démission ! », hurlent les
« insoumis », à l’extrême gauche. La chute, évitée de justesse, permet à la très décriée
réforme des retraites d’être adoptée, aux proches de la première ministre de crier victoire,
mais n’offre aucun remède à la crise qui secoue le pouvoir.

« Le gouvernement est d’ores et déjà mort », condamne la cheffe du groupe de La France


insoumise (LFI), Mathilde Panot. « Elisabeth Borne doit partir ou le président doit la
démissionner », cingle Marine Le Pen, leader de l’extrême droite. « Borne est
transparente. Derrière elle, qui voit-on ? Macron. Il n’y a de majorité nulle part pour
soutenir cette réforme », attaque le chef du groupe socialiste, Boris Vallaud. L’une après
l’autre, les oppositions ciblent le chef de l’Etat, absent, dépeint par Mathilde Panot en
empereur Caligula, tyran cruel et dépravé de la Rome antique. « Le 49.3 n’est pas
l’invention d’un dictateur », défend à la tribune Elisabeth Borne, dans une formule
validée plus tôt par le président de la République.

Quelques minutes après le rejet des motions de censure, une berline file en direction de
l’Elysée. A son bord, la première ministre, « déterminée à continuer à porter les
transformations nécessaires avec [ses] ministres », selon ses mots transmis à l’Agence
France-Presse. L’ancienne préfète ne joue pas les « fusibles », comme elle s’y était
préparée jeudi, avant d’annoncer le déclenchement du 49.3 pour faire passer, sans vote,
la douloureuse réforme qui recule de 62 à 64 ans l’âge de départ à la retraite. « Elisabeth
Borne est démocratiquement toujours cheffe du gouvernement », conforte-t-on rue du
Faubourg-Saint-Honoré, où l’on assure que le président n’est « ni sourd ni aveugle » aux
événements. La crainte d’une colère sociale embrasant le pays à l’image de la crise des
« gilets jaunes » hante le sommet du pouvoir.

Ressouder une majorité éparpillée

Emmanuel Macron, qui entend que la réforme aille « au bout de son cheminement
démocratique dans le respect de tous », observe avec anxiété l’évolution du mouvement
social, dont de nouvelles grèves et mobilisations annoncées pour jeudi 23 mars. Une
fébrilité appelée à durer au moins jusqu’à la promulgation définitive du texte, dans la
foulée de son contrôle par le Conseil constitutionnel, que Mme Borne va saisir
« directement » pour un examen « dans les meilleurs délais » du projet de loi.

Après les échauffourées de la place de la Concorde, à Paris, et dans différentes villes de


province jeudi, l’adoption de la réforme, lundi soir, s’est traduite par de nouvelles
manifestations spontanées. « Paris, soulève-toi ! », criait-on place de l’Opéra, dans la
capitale. Des feux de poubelles et des affrontements avec les forces de l’ordre ont eu lieu
dans le centre, un cortège de jeunes s’est formé rue Montmartre, suivi par des policiers
de la brigade de répression de l’action violente motorisée. Mêmes scènes à Strasbourg,
Lyon ou Rennes.

Mais face à la rue, rien ne change. Du moins, pour l’instant. Durant le week-end,
Emmanuel Macron a évoqué avec Elisabeth Borne le scénario d’un remaniement, aussitôt
écarté par un président refusant d’agir contraint par les circonstances. Pour nommer qui ?
Incarner quoi ? Le chef de l’Etat explore ses options. Le gouvernement, sauvé de peu,
apparaît, quant à lui, fragilisé, privé de l’appui d’une majorité qui avait largement déserté
les bancs de l’Assemblée lundi. Pendant plus de quatre heures, Elisabeth Borne aura
encaissé les accusations de « mensonges », de « brutalité » et de « mépris », dans un
Palais-Bourbon encerclé de barrières antiémeute.

Contraint de répondre, Emmanuel Macron s’est laissé attirer dans l’arène. Avant une prise
de parole prévue mercredi 22 mars, à 13 heures, sur TF1 et France 2, l’urgence est de
ressouder une majorité éparpillée. Et d’éteindre le feu qui couve. Le chef de l’Etat doit
recevoir dès mardi matin Elisabeth Borne et ses principaux ministres, accompagnés des
chefs de la majorité. Après un déjeuner avec les présidents de l’Assemblée et du Sénat, il
doit, enfin, accueillir l’ensemble des députés de sa coalition mardi soir. Comme en pleine
affaire Benalla, fin juillet 2018, lorsqu’il était sorti du silence devant les parlementaires,
mêlant la menace au réconfort. « Penser qu’on réussit parce qu’on se décale au moment
où un texte est difficile (…) est toujours une erreur. Les tireurs couchés d’un jour finissent
abattus avec les autres », avait-il averti en ciblant les frondeurs, à l’époque, sur la loi
immigration.

« Il faut du positif et un récit »

Après ses échanges, Emmanuel Macron décidera de la marche à mener. S’il se refuse,
dans l’immédiat, à modifier son équipe gouvernementale, il se ménage cette hypothèse
en cas d’aggravation de la crise. Parmi les armes constitutionnelles entre ses mains,
énumérées lundi par Olivier Marleix, chef de file des Républicains – « dissoudre »
l’Assemblée, « recourir au référendum » ou « changer de gouvernement » –, celle du
remaniement reste la moins périlleuse aux yeux du chef de l’Etat. La crise politique
ouverte par le 49.3 lui offrirait même un prétexte pour donner un nouveau souffle à un
quinquennat en manque d’oxygène.

Depuis plusieurs mois, le président nourrit une insatisfaction à peine dissimulée à l’égard
d’un gouvernement pléthorique de 42 ministres et secrétaires d’Etat. Bruno Le Maire
regrette une équipe « engluée », où peu de ministres osent porter haut leur politique.
Depuis 2017, le puissant ministre de Bercy a plusieurs fois avisé Emmanuel Macron
qu’« un grand chef d’Etat doit avoir de grands ministres ». Sans être entendu. « Je suis à
la tête d’un gouvernement à moitié composé de débiles », pestait Elisabeth Borne en
privé, du temps de son premier gouvernement, nommé en mai 2022, dans un accès
d’exaspération.

Peu de ministres ont rendu le cap d’Emmanuel Macron lisible pour les Français. « Il faut
que l’on arrive à montrer que l’action publique change la vie des gens », songe Olivier
Véran, embarrassé en évoquant l’action de ses collègues méconnus aux portefeuilles
stratégiques : Pap Ndiaye (éducation), Christophe Béchu (transition écologique) ou
François Braun (santé).

« Personne n’aurait changé radicalement les choses en huit mois », soupire Stanislas
Guerini, ministre chargé de la fonction publique, en admettant qu’« il faut retrouver le
sens de l’action globale, pointer tous les canons dans la même direction et redonner du
peps ». « Je pensais qu’un gouvernement jouait collectif avec un récit commun, se désole
encore Jean-Christophe Combe, le ministre des solidarités. Mais il y a de la prédation,
chacun joue sa partition. Et nous sommes passés à côté d’un débat plus sociétal sur les
retraites. »

Changer de gouvernement suffira-t-il à apaiser les tensions du pays ? « Assumons de


bousculer l’agenda. De laisser plus de place au Parlement. Maintenant, c’est aux
Français qu’il faut parler », plaide Aurore Bergé, cheffe du groupe des députés
Renaissance à l’Assemblée. « Si nous sortons vivants politiquement de cette séquence,
après cette réforme d’efforts, il faut maintenant du positif et un récit, insiste son collègue
du Calvados, Fabrice Le Vigoureux. On bavarde trop, on légifère trop, sur tout et
n’importe quoi. Et on perd les gens. » Elue dans le même département, Elisabeth Borne
contestait lundi, à tous les députés qui lui faisaient face, le « monopole pour parler au
nom du peuple ».

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