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Dérapage budgétaire : cette motion de

censure qui pourrait faire tomber le


gouvernement Attal (Le Monde, 5 avril
2024)
Dénonçant l’incompétence de l’exécutif à la suite de la dégradation des comptes publics, une
grande partie de la droite se dit prête à déposer une motion de censure lors de l’examen du
prochain texte budgétaire.

Par Mariama Darame, Claire Gatinois et Alexandre Pedro

Le baril de poudre est en place, il ne reste plus qu’à allumer la mèche. Les membres du parti
Les Républicains (LR) se questionnent : le temps est-il venu d’embraser le Parlement en
tentant de renverser le gouvernement ? Près d’un an après la motion de censure qui manqua, à
neuf voix près, de faire tomber le gouvernement lors de l’examen de la réforme des retraites,
le 20 mars 2023, une large partie de la droite se dit prête à passer à l’acte. « On est très
remontés », assure le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau. Le sujet est assez
abouti pour avoir été évoqué lors de la réunion de groupe des députés du parti de droite, mardi
2 avril. « Préparez-vous ! », leur ont enjoint Eric Ciotti, président du mouvement, et Olivier
Marleix, le chef de file du groupe.

L’ire des Républicains, bouillonnante depuis la réélection d’Emmanuel Macron en 2022, a


franchi un cap après l’annonce, fin mars, du dérapage du déficit public, à 5,5 % du PIB.
« Avec les finances publiques, on touche aux intérêts vitaux de la France », fait valoir
l’entourage du président LR du Sénat, Gérard Larcher, qui indique que la question de la
motion de censure « se pose ».

Une mise en garde formelle a été adressée, par un courrier signé d’Eric Ciotti au premier
ministre. « Nos marges de manœuvre collectives pour choisir librement notre destin seront
bientôt réduites à néant », écrit le député des Alpes-Maritimes dans la missive, datée du
29 mars. Le patron des Républicains, qui assurait en 2022 préférer Eric Zemmour à
Emmanuel Macron, parle de l’« irresponsabilité » et de l’« insincérité » du gouvernement.
« Vous aurez à en rendre compte devant la représentation nationale lors de la présentation
de la prochaine loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’Etat pour
2023 », prévient-il. La motion de censure pourrait être déposée à l’occasion d’un projet de loi
de finances rectificative (PLFR) censé combler, avant la pause estivale, le trou des finances
publiques, ou à l’automne, lors de l’examen du budget 2025. Faute de majorité, ces textes sont
voués à être adoptés par 49.3.

« Un jour, il y aura un moment de vérité »


Les 58 signatures requises pour la motion de censure seraient à portée de main, dit-on chez
LR, malgré plusieurs réfractaires parmi les 61 députés du groupe. Et peu importe le chaos
politique induit par ce coup de tonnerre à même de gâcher le rare moment de concorde
nationale espéré avec les Jeux olympiques. « La motion passera un jour et ce jour n’est peut-
être pas aussi lointain qu’on ne le pense. Sur les problèmes budgétaires, les LR sont unis »,
anticipe Charles de Courson, député Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) de
la Marne, à l’origine de la motion de censure du 20 mars 2023. Au Rassemblement national
(RN), le député Jean-Philippe Tanguy prévient que le parti d’extrême droite apportera « bien
sûr » ses voix à une telle initiative.

A la tête d’une majorité relative, Gabriel Attal se sait, depuis son arrivée à Matignon le
9 janvier, à la merci d’un tel accident. « Un jour, il y aura un moment de vérité. Mais si on
commence à compter les jours… », tempère l’entourage du premier ministre, qui assure ne
pas « occuper son espace mental » avec une menace omniprésente depuis juin 2022. Le chef
du gouvernement tâche de soigner ses relations avec les élus LR et rencontre de façon
régulière Eric Ciotti, prenant soin de ne jamais prononcer avec lui un mot plus haut que
l’autre. Des précautions oratoires malmenées par les invectives que s’échangent à distance le
ministre de l’économie, Bruno Le Maire, et le chef des députés LR, Olivier Marleix. « Depuis
2022, les parlementaires vivent avec la menace d’une motion de censure [et d’une possible
dissolution]. C’est comme la foudre au ralenti », soupire Jean-Louis Bourlanges, député
(MoDem) des Hauts-de-Seine.

Pour éloigner le couperet, le camp présidentiel en appelle à la rationalité de la droite. Une


motion de censure, signale le camp présidentiel, peut être suivie en retour d’une dissolution de
l’Assemblée nationale, déclenchée par le chef de l’Etat. Un sondage secret, commandé par
Les Républicains en décembre 2023, dévoilé par L’Obs, révèle que le seul vainqueur en cas
d’élections législatives anticipées serait le RN. L’extrême droite s’approcherait, à une dizaine
de voix, de la majorité absolue. Mais à en croire Les Républicains, Emmanuel Macron n’osera
pas dissoudre. « Macron ne va pas nommer Bardella à Matignon avant les Jeux », a avancé
Olivier Marleix lors de la réunion de groupe du 2 avril. « Difficile de ne pas prendre les LR
au sérieux, ils ont fait jusqu’ici preuve d’une telle inconstance et d’une telle inconséquence »,
ironise Loïc Signor, porte-parole du parti macroniste Renaissance.

« Canard sans tête »


Dissolution ou pas, l’objectif des Républicains reste brumeux. S’agit-il pour eux, comme le
suggèrent les macronistes, de faire passer en arrière-plan un éventuel échec aux élections
européennes du 9 juin ? Souhaitent-ils forcer un accord de gouvernement pour mettre fin à
l’instabilité ou comptent-ils rester dans une posture de franche opposition ? « Les LR peuvent
renverser la table, mais une fois que tout est par terre, comment on remet le couvert ? Avec
quel menu ? », questionne Clément Beaune, député de Paris et porte-parole de la campagne
des européennes pour le parti présidentiel.

Espérant déminer le sujet, Gabriel Attal a promis, mardi, devant les députés de son camp, de
lever le voile sur les incertitudes financières en dessinant, d’ici à la semaine du 8 avril, « la
trajectoire qui nous permettra d’atteindre les 3 % [de déficit] en 2027 [en accord avec les
règles européennes] ». L’Elysée assure aussi qu’un PLFR n’est, à ce stade, pas prévu d’ici à
l’été, laissant penser que la situation financière serait sous contrôle. Pas de PLFR, pas de
motion de censure, C.Q.F.D. « Il ne faut pas donner cette opportunité politique à nos
oppositions pour nous mettre en difficulté », souligne la vice-présidente du groupe
Renaissance au Palais-Bourbon, Nadia Hai.
Une telle pirouette oublie l’article 49.2 de la Constitution, qui prévoit qu’une motion de
censure peut être déclenchée à tout moment. Le président (La France insoumise) de la
commission des finances à l’Assemblée, Eric Coquerel, a déjà indiqué, le 2 avril, que son
groupe censurerait le gouvernement s’il ne présentait pas de projet de loi de finances
rectificative d’ici à l’été. « Les chiffres actuels du déficit sont tellement différents de ce qui a
été annoncé qu’on ne peut pas attendre la fin de l’année pour avoir un débat avec un vote sur
la politique budgétaire », juge-t-il. Les autres partis de gauche et le groupe centriste LIOT
entonnent le même refrain.

Cette précipitation interroge chez Les Républicains. Une partie d’entre eux préférerait
patienter jusqu’à l’automne et la présentation du budget 2025 pour dégainer la motion de
censure. Même le très antimacroniste Olivier Marleix entretient le suspense. « On agit avec le
plus grand sens des responsabilités. Il y a des moments où il faut dire stop et d’autres où il
s’agit de ne pas aggraver la situation », affirme l’élu d’Eure-et-Loir. LR est devenu un
« canard sans tête », conclut le maire (LR) de Meaux, Jean-François Copé, qui plaide depuis
deux ans, en vain, pour que le parti de droite négocie un accord de gouvernement avec
Emmanuel Macron.

Mariama Darame, Claire Gatinois et Alexandre Pedro

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