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Histoire de la langue

française, des origines à 1900


; 9, 1-2. La Révolution et
l'Empire. Le français, langue
nationale [...]

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Brunot, Ferdinand (1860-1938). Auteur du texte. Histoire de la
langue française, des origines à 1900 ; 9, 1-2. La Révolution et
l'Empire. Le français, langue nationale / Ferdinand Brunot,....
1927-1937.

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FERDINAND BRUNOT
Membre de l'Institut, Doyen de la Faculté des Lettres
Professeur d'Histoire de la Langue française à l'Université de Paris

HISTOIRE
DE LA

LANGUE FRANÇAISE

TOME IX
La Révolution et l'Empire

PREMIERE PARTIE
Le français langue nationale
(Avec vingt cartes)

PARIS
LIBRAIRIE ARMAND COLIN
103, BOULEVARD SAINT-MICHEL, 103
HISTOIRE
DE LA

LANGUE FRANÇAISE
DES ORIGINES A 1900

TOME IX
LIBRAIRIE ARMAND COLIN

FERDINAND BRUNOT

HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE


DES ORIGINES A 1900

Ouvrage couronné par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres


(Premier Grand Prix Gobert, 1912).

TOME I :l'époque latine à la Renaissance. Un volume in-8° de 548 pages,


De
broché ou relié.
TOME II : Le Seizième siècle. Un volume in-8° de 510 pages, 8 planches hors
texte, broché ou relié.
TOME III : La Formation de la Langue classique (1600-1660) :
Première partie. Un volume in-8° de 456 pages, broché ou relié.
Deuxième partie. Un volume in-8° de 320 pages, broché ou relié.
TOME IV La Langue classique (1660-1715) :
:
Première partie. Un volume in-8° de 670 pages, broché ou relié.
Deuxième partie. Un volume in-8° de 560 pages, broché ou relié.
TOME V : Le français en France et hors de France au XVIIe siècle. Un volume
in-8° de 528 pages, broché ou relié.
TOME VI Le XVIIIe siècle.
:
Première partie. La philosophie et la langue (en préparation).
Deuxième partie. L'époque post-classique. Tradition et nouveautés (en prépa-
ration).
TOME VIILa propagation du français en France jusqu'à la fin de l'ancien
:
régime. Un volume in-8° de 360 pages, broché ou relié.
TOME VIII La propagation du français en Europe. Le français langue
:
universelle. Un volume in-8° (en préparation).
TOME IX : La Révolution et l'Empire.
Première partie. Le français langue nationale. Un volume in-8° de 632 pages,

broché ou relié.
Deuxième partie. Mouvement interne de la langue.
— Perte de l'hégémonie
en Europe. — Un volume in-8° (en préparation).
FERDINAND BRUNOT
Membre de l'Institut,
Doyen de la Faculté des Lettres,
Professeur d'Histoire de la Langue française à l'Université de Paris.

HISTOIRE
DE LA

LANGUE FRANÇAISE
DES ORIGINES A 1900

PREMIÈRE PARTIE

Le français langue nationale


(Avec vingt cartes)

PARIS
LIBRAIRIE ARMAND COLIN
103, BOULEVARD SAINT-MICHEL, 103

1927
Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays.
Copyright 1927
proprietors of Librairie Armand Colin.
by Max Leclerc and C°,
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INTRODUCTION

J'espère que cette étude, si incomplète et imparfaite qu'elle soit,


intéressera les linguistes; ils y verront ce qu'ont produit des forces
qu'on trouve rarement unies : l'action d'un Etat qui a une politique
linguistique, l'élan d'un pays qui désire l'unification de son langage.
Même dans la Gaule romaine, pareil concert ne s'était pas rencontré ;
en tous cas nous n'avons pas le moyen d'en observer en détail les
effets.
En 1789, la langue française entre dans une nouvelle phase de sa
longue vie. Assurément, comme sous l'ancien régime, l'extension
du français continue à dépendre de faits qui ne paraissent pas, au
premier abord, être en relation avec la vie linguistique. Ainsi la
guerre, une fois qu'elle sera menée, non plus avec des mercenaires,
mais avec des volontaires, des conscrits, des levées en masse, quand
on amalgamera ces éléments dans des formations où ils s'accoutu-
meront à un langage commun, deviendra une force puissante de
cohésion.
Mais ces événements, si importants soient-ils, et si féconds en
résultats qu'on les reconnaisse, tout en méritant l'attention, ne doi-
vent plus l'attacher exclusivement. Si la langue devient nationale,
c'est qu'une nation se forme, sciemment, par des actes de volonté et
d'amour, et que la langue apparaît aux hommes politiques et aux
citoyens comme un élément essentiel de la « nationalité »1. On
croit nécessaire, non plus seulement de la répandre, mais de l'im-
poser. Toute une série de mesures sont prises à cet effet, et consti-
tuent une politique.
Cette politique ne pouvait pas réussir et en effet elle a partiel-
lement échoué. Mais d'abord les résultats obtenus par elle en dix
ans dépassent peut-être ceux auxquels l'évolution spontanée avait
jadis conduit en un siècle. De plus ils changent du tout au tout

1. Le mot n'existe pas encore.


Histoire de la langue française. IX. 1
2 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

les conditions de cette évolution. Les langages locaux sont désor-


mais des dissidents, qu'il faut combattre et réduire. La puissance
formidable de l'État est mise au service de leur adversaire. Peu
importe que ces idées soient un instant perdues de vue après Bru-
maire, et que le nouveau gouvernement semble peu se soucier de
cet intérêt. L'impulsion a été donnée. L'usage linguistique n'est plus
considéré comme chose indifférente et négligeable. Quand on cesse
de s'appliquer à le changer, on est encore désireux de le connaître.
Le langage est devenu une affaire d'Etat. Qui ne voit que, dans ces
conditions, la situation de la langue dans le pays est toute différente
de sa situation antérieure? De libre qu'elle était, elle devient matière
d'inspection et objet de règlements.
J'ai donc cru nécessaire de porter là-dessus mes investigations
principales. J'espère avoir démêlé et mis en lumière quelques faits
significatifs. Il y en aura des milliers à ajouter. Je serais heureux
si le cadre que je fournis pouvait aider ceux qui voudront les
rechercher.
Pour les historiens aussi, et même pour les hommes politiques,
il me semble qu'il peut être intéressant d'observer une des formes
sous lesquelles s'affirme la nationalité française, car si l'unité de la
langue n'est pas le but vers lequel se dirige une nation, personne
ne conteste qu'elle soit un des moyens par lesquels cette nation
dégage sa personne morale. Turgot, Raynal avaient déjà réservé le
nom de nation à une société d'hommes parlant la même langue.
L'un et l'autre se fussent refusés, non sans raison du reste, à accepter
l'axiome posé par Vaublanc en 1806 : « Il est certain que c'est la
langue qui fait la Patrie ». C'est la Révolution qui avait imposé
1

sinon à l'Angleterre, soustraite à son influence, du moins à la plus


grande partie de l'Europe cette manière de penser, dont l'action a
été énorme, non seulement sur l'avenir des langues, mais sur le
destin des nations.
C'est un devoir agréable pour moi que de remercier en terminant
MM. Marichal, Schmidt et Caron, des Archives Nationales, auxquels
je dois de précieuses indications, et M. A. Mathiez, professeur à
l'Université de Dijon, qui a bien voulu prendre connaissance de
ce
livre et m'en dire son sentiment; enfin M. Gérock, l'éminent érudit
de Strasbourg, qui m'a secondé dans
mes recherches en Alsace et a
bien voulu contrôler tout ce qui
se rapporte à cette province.

1. Voir p. 522.
PREMIÈRE PÉRIODE

DE LA RÉUNION DES ÉTATS GÉNÉRAUX


A LA RÉUNION DE LA CONVENTION

LIVRE PREMIER
NATION ET LANGUE NATIONALE

CHAPITRE PREMIER

L'INFLUENCE DE LA RÉVOLUTION

LES DIVERSES PHASES.


— Si brève qu'ait été la période révolution-
naire, il m'a paru nécessaire de la diviser en plusieurs phases.
La première, qui va de la réunion des États Généraux à la réunion
de la Convention, est décisive. Pourtant elle n'a été marquée par
aucune loi spéciale relative à la langue. Une politique s'annonce,
s'affirme même, elle n'a pas commencé d'être appliquée. C'est l'enthou-
siasme des « citoyens » qui amène des changements essentiels.
La seconde est celle de la Terreur. Des décrets rigoureux se
succèdent, qui ordonnent l'usage du français. Les résultats acquis
par la contrainte sont médiocres, mais toutes sortes d'événements
précipitent la fusion des langages.
La troisième, qui commence au IX thermidor et va jusqu'au
XVIII brumaire, marque sinon un recul de l'idée, du moins un chan-
gement de méthode. Des institutions, destinées à des succès divers,
sont créées, et, malgré une opposition forcenée, avancent l'oeuvre
de francisation.
Après cela vient le Consulat, puis l'Empire. D'autres soucis,
d'autres doctrines même inspirent la politique. Mais, si l'ère des
grands progrès est close, toutes les positions prises ne sont pas
perdues ou abandonnées.
4 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

L'ÉLAN SPONTANÉ. Il est un point sur lequel il faut insister tout



d'abord, c'est que l'amélioration survenue dès 1789 dans la situa-
tion de la langue française en France est due, moins aux actes du
pouvoir qu'à la transformation spontanée de l'âme française, révé-
lée à elle-même. C'est alors que se forma la Nation, dont le seul nom
faisait battre les coeurs, un des types les plus purs de ces nations,
telles que Renan les a définies, qui se fondent moins sur les traités
des diplomates que sur les inclinations des peuples, moins sur
des intérêts matériels que sur des actes de conscience, créations
morales où entrent des souvenirs et aussi des sentiments et des
résolutions.
Le peuple alsacien s'est uni au peuple français parce qu'il l'a bien
voulu, disait Merlin de Douai, le 31 octobre 1790, c'est sa volonté
seule et non le traité de Münster qui a consommé et légitimé
l'union 1. Le mot s'appliquait désormais à toutes les provinces. On
se rappelle les Lorrains — c'étaient les derniers venus dans le
royaume — se déclarant, dans la nuit du 4 août, « heureux d'entrer
avec le surplus des citoyens dans cette maison maternelle de la
France, prête à refleurir sous l'influence de la justice, de la paix et
de l'affection cordiale de cette immense et glorieuse famille ».
LA PATRIE ET
— Ce peuple, disait Casanova en 1797,
SON CULTE.
est devenu adorateur de sa patrie, sans avoir jamais su, avant la
Révolution, ni ce que c'était que patrie, ni même ce mot 2.
On se sentit « patriote ». Le « patriotisme », presque tout de
suite, devint, au sens propre du mot, un fait d'ordre religieux, en
même temps que politique 3. Sans doute la religion nouvelle n'avait
point pour objet un Dieu, ni pour but d'obtenir de lui des faveurs
dans cette vie ou dans une vie future; mais bien des religions n'ont
pas eu ce caractère. Pour humaine et civile que fût celle qui venait
de naître en France et qui gagna bien des coeurs à l'étranger, elle
n'en avait pas moins tous les traits distinctifs du fait religieux, tel
qu'il a été défini par Durkheim.
Ses prêtres étaient des législateurs dont le nom, prononcé des
millions de fois avec une emphase respectueuse, évoquait l'idée de
dispensateurs suprêmes, chargés de la mission céleste d'assurer le
bonheur de l'humanité.
1. Voir Rapport à l'Ass. Constte du 28 oct. 1790.
2. A. Léon. Snetlage, Paris, Vve A. Thomas et Ch. Thom., 1903, p. 10 Cf. notre
tome VI.
3. Voir Aulard, Le Patriotisme français, et surtout Mathiez, Les Orig. des
révol. On trouve l'expression " la religion du patriotisme ", Cultes
lettre adressée au Com. de Sal. P. par Fouché, Collot d'Herbois par exemple,
Séb. dans une
Laporte,
20 brum. II-10 (Aul., Act. du Com, etp. 331).de
an nov. 1793 de S. P., t. VIII,
L'INFLUENCE DE LA RÉVOLUTION 5

Son culte se composa de toutes les cérémonies où le peuple


s'assemblait, fédérations, serments, baptêmes civiques, fêtes avec
spectacles symboliques, baisers fraternels, prières et pompes autour
des autels de la patrie ou des autels chrétiens.
Ses symboles étaient les cocardes, le drapeau tricolore, les piques
coiffées du bonnet, les arbres de la liberté. Son dogme était dans
la vertu suprême et irrésistible des institutions sociales qui allaient
régénérer le monde et apporter une vie de bonheur. Un credo
l'avait formulé : la Déclaration des Droits. Les lois, les votes en
assureraient le triomphe. Des catéchismes, que les croyants portaient
sur eux, qu'ils débitaient et commentaient, devaient l'enseigner et
le répandre. Un espoir immense élevait les coeurs vers l'avènement
du nouveau Contrat social annoncé par le prophète, et dont la
réalisation avait commencé quand l'Assemblée avait établi comme
base du monde régénéré l'égalité universelle dans la liberté
définie.
En une nuit on croyait avoir passé de rien à tout. La fraternité
des grandes heures d'amour emplissait les âmes. On se fiançait à
la Constitution par des serments sans cesse renouvelés, comme
dans de fréquentes communions. Et tout un peuple se ruait spon-
tanément à ces engagements, qu'il tenait pour des délivrances.
Rien n'y manqua, ni les superstitions, ni le fanatisme, ni les
martyrs, ni les persécuteurs, les uns souffrant et mourant, les
autres torturant et tuant pour leur foi.

L'UNITÉ DE LANGUE ET L'UNITÉ DES COEURS.


— Déjà le latin semblait
déplacé dans ce culte, et une des raisons, un des prétextes tout au
moins qui feront peu à peu éliminer l'Eglise de ces cérémonies,
sera sa langue étrangère. Encore cette langue participait-elle en
quelque façon de la majesté de la religion; on était habitué à en
entendre chanter les mots chaque fois que l'homme échappait au
souci des choses matérielles ; elle avait un prestige qui peut-être
mêlait à ces fêtes déjà augustes quelque chose de divin. Mais les
idiomes, les jargons ne possédaient aucun de ces avantages. Quel
rôle pouvaient jouer, à ces heures d'extase et d'élan mystique, ces
misérables parlers qui empêchaient les foules de s'entendre,
d'échanger des promesses, de comprendre les décrets, les lectures,
les discours, les chants? Comment eussent-ils pu être considérés
autrement que comme des gênes insupportables, des obstacles dont
on se débarrasse autant qu'on le peut pour prendre part à la
grande initiation? C'étaient encore des vestiges du passé aboli et
maudit, une de ces inventions ténébreuses des tyrans, imaginées
6 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

frères, les empêcher de joindre dans le besoin de


pour isoler les se
s'aimer et d'unir leurs forces.
Les patois, nous l'avons montré, n'étaient pas alors un de ces
objets d'affection auxquels tient comme à une relique de famille.
on
Ils ne survivaient que par la force de l'habitude et de l'ignorance.
A partir de 1789, des gens, qui jusque-là ne s'étaient pas sentis
gênés de leur isolement linguistique, commencèrent à en souffrir.
Le 5 janvier 1792, les administrateurs du district de Sauveterre-
d'Aveyron — on ne les accusera pas de vivre dans la fièvre de
Paris — se plaindront à l'Assemblée de leur « maudit langage », le
mot est d'eux : « Ce qu'il y a de plus pressant dans le moment,
disaient-ils, c'est que la Langue nationale s'introduise dans nos
campagnes ; ce maudit idiome particulier à nos villageois est leur
fléau et le tombeau de l'instruction sous quelque autre forme qu'elle
se montre.
« Que des maîtres placés dans
les six principaux Bourgs de ce
District commencent donc par nous apprendre à parler la Langue
française que nous connaissons à peine; qu'elle prene la place de
ce malheureux Jargon qui étouffe le developement de nos idées en
retrecissant les connaissances dont la nation nous a fait present
aussi bien qu'aux habitans des Contrées fortunées qui n'ont pas
besoin de faire le premier pas vers l'instruction " 1.
De Salins, un correspondant de Grégoire avait écrit dans le même
esprit : « L'effet de la destruction du patois serait d'élever l'âme,
de réunir les coeurs, d'éclairer les esprits; comme l'effet du patois
est de dégrader l'âme par une des distinctions qui placent le pauvre
au-dessous du riche, de conserver dans les campagnes une ignorance
qui met sans cesse les hommes aux prises avec l'erreur et la four-
berie, d'empêcher entre les hommes la communication des senti-
ments et des pensées, de traiter facilement de leurs intérêts, de
diviser les départements, les districts et les communes en autant
de peuples différents. Le détruire serait travailler pour l'établis-
sement de l'égalité, donner de grandes facilités à l'instruction
publique, unir en un seul coeur comme en un seul peuple tous les
Français » 2.

L'UNITÉ DE LANGAGE LIEN POLITIQUE.


— Ce qui était instinct était
raison aussi. Sans doute la personne du Roi unissait les Français
dans un devoir commun et établissait au-dessus d'eux, dominant

1. Arch. N., F17A 1311.


2. Lett, à Grég., p. 215, n° 29.
L'INFLUENCE DE LA RÉVOLUTION 7

tout le pays, l'unité d'une autorité suprême, et quand cette autorité


faiblit, celle de l'Assemblée s'y ajouta. Il n'en est pas moins vrai
que les organes administratifs et judiciaires cessaient, de par la
Constitution de 1791, de représenter la volonté royale. Les fonc-
tions étaient électives dans les nouveaux départements. Pour que
chacun d'eux ne fût pas un État autonome, avec son indépendance,
gérant ses intérêts propres dans un esprit particulier, il fallait des
liens nouveaux et solides. La Révolution, qui devait aboutir à une
centralisation extrême, débutait par une décentralisation singu-
lièrement dangereuse s'il ne se formait pas une âme commune.
Les idiomes et les patois, sans que personne le voulût, ou même y
pensât, étaient fédéralistes. Le français était national. Lui seul
pouvait refaire une nouvelle, unanimité en répandant sur tout le
pays les doctrines, les idées — ou simplement les informations, —
tout ce qui constituait l'esprit nouveau; seul, aussi bien parmi les
adversaires de la Révolution que parmi ses partisans, il était capable
de rapprocher les cerveaux et les coeurs dans des espoirs communs
et des haines partagées.

ACCORD DES INTÉRÊTS ET DES SENTIMENTS.



Là est le grand mystère
de ce temps. Les patois seront poursuivis, c'est vrai, mais ils étaient
abjurés. Le français sera soutenu, recommandé, imposé même,
peut-être ; mais avant que le pouvoir tentât de l'installer dans son
rôle, une aspiration générale l'y avait porté. Il était devenu la
langue nationale, non seulement en ce sens qu'il était la voix de la
nation souveraine, mais aussi parce qu'il participait d'elle. Produit
de l'unité nationale, il aidait pour sa part — et on sait quelle est
la part des mots dans les mouvements de la vie collective — à faire
cette unité. Il en était moins un aspect qu'un facteur. Après avoir
été l'expression du génie du pays, il devenait celle de son âme
même.
Aussi parler le français apparaissait à tous comme une façon, et
non des moindres, d'être patriote. C'était une forme d'adhésion,
un gage qu'on donnait à la France régénérée dans l'égalité et la
fraternité. Laumond, le préfet du Bas-Rhin, se souvient, en 1800,
malgré les changements survenus, de l'enthousiasme avec lequel se
portaient vers l'idiome national des contrées qui l'avaient ignoré
jusque-là. « Au commencement de la Révolution, dit-il, l'usage du
français avait pris, en quelque sorte, un caractère de dévouement
à la patrie et par cela seul était devenu plus commun »1.

1. Statist. du départ, du Bas-Rhin, p. 208.


8 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Sans doute le souci des avantages pratiques qui devaient résulter


l'administration, le les échanges de toute sorte, de
pour commerce,
l'unification linguistique se montre chez les hommes du temps 1.
Mais à leurs arguments d'ordre matériel ceux qu'on consultait en
joignaient invariablement d'autres, tout moraux : « L'unité de lan-
gage n'est pas seulement utile pour les assemblées des citoyens ; la
sûreté des actes publics, l'exécution des lois, l'unité de régime, tout
semble demander cette réforme... La multiplicité des idiomes pou-
vait être utile dans le IXe siècle et sous le trop long règne de la féo-
dalité... aujourd'hui que nous avons tous la même loi pour maître,
aujourd'hui que nous ne sommes plus ni Rouergas, ni Bourgui-
gnons, etc., que nous sommes tous Français, nous ne devons avoir
qu'une même langue, comme nous n'avons tous qu'un même coeur » 5.
Les derniers mots sont ceux qu'il faut retenir, ce sont les vrais.
Les aspirations sentimentales ont plus fait à cette époque que les
besoins pratiques. Elles jaillissent de partout : « La France, ne
composant plus qu'une même famille de frères ou d'égaux (ces deux
termes sont synonymes) sera sans doute bien aise qu'on ne parle plus
qu'une seule et même langue »3 (Gers, Lett. à Grég., p. 94, n° 29).
Des étrangers au royaume demandaient à être réunis, se prévalant
de cette raison, qu'ils parlaient le même langage. Le 26 juin 1790,
les députés d'Avignon se présentent à la barre de la Constituante
pour demander l'annexion : « Le peuple avignonnais, disent-ils, a
voulu être le premier. Placé au milieu de la France, ayant les
mêmes moeurs, le même langage, nous avons voulu avoir les mêmes
lois » 4.

1. Chabot dénombrait un à un les bienfaits qui en résulteraient : « L'Assemblée


nationale s'occupe de l'unité de poids et de mesure pour bannir la fraude de tout
l'empire du commerce : ne serait-il pas à propos qu'elle étendit sa prévoyance sur
l'abus que l'on peut faire d'une langue que l'on connaît en traitant avec un homme
qui ne la connaît pas ? » (Lett. à Grég., p. 74). Certains qui « savent seuls parler fran-
çais parviennent, par leurs intrigues, à capter le suffrage de nos concitoyens (Ib.,
» p.
71). « Les contrats de vente, de donation, de mariage, ne peuvent être passés qu'en
une langue commune aux contractants... or, la fraude ou l'impéritie de la plupart des
tabellions exige que le langage des actes soit entendu de tous les contractants (Ib.,
73). »
p.
2. Ib., p. 73, 71.
3. Le sentiment de l'intérêt linguistique pouvaient présenter les patois n'arrêtait
que
personne. On les sacrifiait délibérément à la patrie : « Je désire encore que l'on s'occupe
de détruire les patois, cette rouille des langues qui les avilit et les détériore. Sous
écorce dégoûtante, l'homme de génie peut cependant trouver quelque chose de précieux, cette
en ce que ces restes informes de l'ancien langage national, bien examinés, bien scrutés,
peuvent servir à en retrouver les origines. Qu'il y ail donc, dans la république fran-
çaise, unité de langage comme unité de principes et de sentimens » (Briquet à Gré-
goire, 9 brumaire an III, Rochefort-sur-mer, Lett. à Grég ms. p. 562)
4. Aul Et. et leç. sur la Révol. franç.. 3e série, p. 115. Plus tard, Guingamp
citait un établissement d' instruction publique. Son droit, la ville le faisait solli-
reposer sur
une situation privilégiée qui en avait fait le carrefour des langues, et lui permettait de
L'INFLUENCE DE LA RÉVOLUTION 9

De tous les correspondants de Grégoire, un seul ne voit pas,


ou ne veut pas voir, et déclare que « l'importance religieuse et
politique de détruire les patois est nulle »1.
Ces dispositions envers la langue nationale ne furent nullement
passagères. Elles survécurent aux illusions des premières années.
A l'époque jacobine, la formule varie : « Au lieu de langue natio-
nale, on dira volontiers langue de la liberté1, mais le sentiment
demeurait identique : « La langue françoise est devenue l'idiome
de la liberté; elle doit être cultivée avec soin par tous les hommes
libres. Les Grecs appeloient barbares les peuples qui ne parloient
pas leur langue ; on donnera un jour ce nom au françois qui ne
parlera pas bien la sienne » (Domerg., Pron. fr., p. 196).
Quand vint, après les excès et les désordres, la réaction antiré-
volutionnaire, ce principe fut un de ceux qu'on ne remit pas en
question. Il était acquis. Un des grammairiens qualifiés de l'époque,
Sicard, opinera en l'an VII comme il l'eût fait en 1792 : « Ne
convient-il pas que la langue soit une dans un pays où la langue est
si belle? Ne faut-il pas qu'une même élocution régulière soit com-
mune à tous les enfans d'une même patrie; qu'elle devienne le signe
caractéristique de l'unité de loi et d'un assujettissement égal à
l'autorité des règles? D'ailleurs cette uniformité de langage sera le
véhicule le plus rapide pour la communication de la pensée, et
dispensera de l'obligation humiliante de traduire la langue nationale
en jargon informe, pour la rendre intelligente à des citoyens d'un
même gouvernement et qui habitent le même sol. Cette uniformité
sera enfin le plus sûr moyen d'éviter les équivoques et les méprises,
toujours funestes dans l'intelligence des lois et dans l'émission du
voeu de chaque citoyen. N'étoit-ce pas un des grands inconvéniens
que la Convention nationale s'étoit proposé de faire disparaître par
l'établissement des écoles normales? » 3

L'UNITÉ DE LANGUE ET LE PRINCIPE DES NATIONALITÉS.


— Il y a plus. Il
faut tenir le dogme qu'une nation ne doit avoir qu'une langue pour

coopérer à l'unité, d'être le « centre de réunion propre à rassembler des hommes qui
ont tant d'intérêt à se connaître et que la différence des langages rend étrangers les uns
aux autres » (Arch. N., F17A 1309, 1011, doss. 6).
1. Lett. à Grég., p. 81, n° 29.
2. « Il faut qu'il apprenne à parler et à écrire avec précision la langue de la liberté »
(Strasbourg aux citoyens composant le Comité de Salut public; Arch. N., F17A 1318).
Une adresse de 1790 disait déjà : " Notre nouvelle Constitution attachera plus
d'importance que jamais au nom François, ce nom ne présentant plus que l'idée d'un
être libre et gouverné par des loix qu'il aura consenties lui-même, chacun se montrera
jaloux d'en apprendre et d'en retenir le langage » (Carré, Culte publ. en langue fr..
p. 31-32).
3. Man. de l'en)., V-VI.
10 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

essentiels de l'évangile des temps modernes. Parti de


un des dogmes
France, il est devenu européen. Il a en un siècle gagné d'autres
jusqu'à constituer des éléments du principe des natio-
pays, un
nalités. Dès le début, des Français éclairés lui ont donné cette
portée : « Il est bien à désirer, écrivait-on de Limoges, que chaque
nation ait la sienne (sa langue), que cette langue soit la même
dans toutes les parties de son territoire, afin que deux hommes
d'une même nation puissent se reconnaître et s'entendre au premier
abord »1. Nous aurons à revenir ailleurs sur les conséquences
qu'eut la généralisation de ces idées.
D'après ce qui vient d'être dit, il n'est aucunement besoin
d'examiner dans quelle mesure la nationalisation linguistique se
rattache à des inspirations venues du passé ou de l'étranger. Sans
doute quelques initiés conservaient le souvenir des efforts de
Colbert, de Richelieu, de François Ier ; à l'occasion ils y firent
allusion. Mais on n'était pas à une époque où il fût d'usage de
« s'en référer aux précédents », et on ne rappelait en général la
tradition que pour rompre avec elle. Si parfois on en tirait un
argument, c'était un argument surérogatoire, une sorte d'incitation
à exécuter de façon digne du peuple ce que les « tyrans » eux-
mêmes avaient tenté et manqué. Les exemples d'un Joseph II
d'Allemagne avaient naturellement moins de crédit encore que les
leçons d'un François Ier de France. Ses essais de germanisation
apparaissaient à ceux qui les connaissaient comme des tentatives
d'oppression, mieux faites pour dégoûter des hommes libres que
pour les guider.
Si le français a été élevé au rôle de langue nationale, il n'en faut
faire honneur à aucune tradition, à aucun parti, à aucun corps, à
aucun homme; la nation révolutionnaire a trouvé cette idée dans
ses entrailles.

— Je ne voudrais point toutefois avoir l'air de


AUTRES MOBILES.
prendre les gens de ce temps pour ce qu'ils n'ont
pas été, et de les
représenter en proie à une exaltation constante qui en aurait fait
des surhommes. Pour s'être sentis citoyens, ils ont gardé leurs
instincts, leurs besoins, leurs habitudes. Dans le désir de savoir le
français qui prit les meilleurs, il est entré bien
autre chose que le
patriotisme, et tout d'abord de la curiosité, curiosité souvent
une
intéressée, d'où le sentiment de l'avantage personnel n'était
exclu; un peu de jalousie aussi à l'égard des privilégiés pas
que leur
1. Lett. à Grég., p. 165.
L'INFLUENCE DE LA RÉVOLUTION 11

éducation mettait en état de tout comprendre de ce qui se passait,


se disait, se lisait autour d'eux. L'amour-propre s'en mêlait éga-
lement. On voulait n'avoir pas l'air « plus bête qu'un autre », et
ce sentiment, si vif chez les Français, n'a pas été sans stimuler les
facultés linguistiques. « Il n'y a rien de plus ridicule, écrit-on du
fond de la Corrèze, que de voir un Français qui n'entend pas et ne
parle pas le français »1. Personne ne se souciait de se faire moquer
à ce propos. L'unification du langage devait sembler à des gens frus-
tes une des formes, et non des moins sensibles, de l'égalité. Entre
hommes du monde il suffisait depuis longtemps de mal parler le
français pour se déclasser; il était naturel qu'on commençât dans le
peuple à se considérer comme déclassé lorsqu'on ne le parlait pas
du tout. C'était là encore une conséquence du mouvement social.

1. Arch. N., AA, 32, 32 706.


CHAPITRE II

UNE POLITIQUE DE LA LANGUE

GRÉGOIRE. Toutefois il y a un homme au moins qui n'a jamais



cessé, presque depuis les origines de la Révolution, de songer à faire
du français la langue nationale. C'est l'abbé Grégoire, le célèbre curé
d'Embermesnil. Est-il téméraire de supposer que l'idée des miracles
qu'on pouvait faire par le français dans les campagnes lui a été
inspirée par la visite qu'il avait faite au Ban-de-la-Roche, quelques
années avant la Révolution, et dont Jérémie-Jacques Oberlin lui parle
dans une lettre du 28 août 1790 ?1
En tous cas, dès cette époque, les méditations de Grégoire
l'avaient conduit à penser qu'il y avait en France une question
linguistique, et que l'avenir dépendrait en grande partie de la
solution qui y serait donnée. Quand on lit attentivement le question-
naire qu'il envoyait, le 11 août 1790, aux quatre coins de la France,
on sent que l'auteur interroge moins pour apprendre que pour
confirmer des idées qu'il a déjà, et qui sont sinon arrêtées, du
moins mûries. Sa première question est : « L'usage de la langue
française est-il universel dans votre région? » La conviction de
Grégoire est dès lors que, s'il ne l'est pas, il doit le devenir.
Porté par profession comme par caractère à considérer le côté
moral des événements, Grégoire est visiblement convaincu qu'il n'y
a de Constitution et d'Église véritables que là où le citoyen et le
fidèle peuvent tout comprendre, tout examiner, tout pratiquer des
lois civiles comme des lois religieuses, en pleine intelligence, en
pleine lumière, et non à travers les ténèbres d'un idiome étranger.
Là est la condition d'une foi raisonnée, absolue, totale, digne d'un
homme libre et d'un chrétien. La communauté civile et religieuse
étant désormais fondée, non plus sur l'obéissance aveugle, mais sur
la soumission raisonnée à des lois, elle
ne peut se créer ni se main-
tenir là où la diversité des langages empêche l'échange des pensées.

1. Lett. à Grég., p. 228-229.


UNE POLITIQUE DE LA LANGUE 13

D'un bout à l'autre de la Révolution, avec cette fermeté résolue,


invincible, qui est un des traits de sa noble nature et qu'il garda
jusqu'à la mort, chaque fois qu'il le put, il parla et agit dans le
même sens. A la tribune de la Convention, dans la chaire du Concile,
au cours de ses missions dans les départements 1, il s'efforçait
partout d'abaisser l'obstacle que mettaient les mots entre le peuple
et la double foi que le patriarche de l'Église constitutionnelle
unissait dans sa tendresse : la foi républicaine et la foi chrétienne.
Une semblable conviction appliquée à la France conduisait tout
naturellement Grégoire à cette conclusion qu'il y avait lieu d'initier
tous les Français à la langue nationale, et par suite de mettre la
force de l'Etat au service de cette propagation. Si Grégoire n'a pas
inventé l'idée, il l'a du moins personnifiée. Il est un de ceux auxquels
on doit ce qui n'a jamais plus été perdu complètement de vue :
une politique de la langue. «

DÉCLARATIONS DE TALLEYRAND.
— Pourquoi l'intervention de Grégoire
tarda-t-elle? De quelle occasion entendait-il profiter? En tous cas,
c'est Talleyrand qui a eu l'honneur de poser publiquement la
question linguistique devant l'Assemblée Constituante et d'en
proposer la solution par un développement de l'instruction popu-
laire 2 : « Une singularité frappante de l'état dont nous sommes
affranchis, dit-il, est sans doute que la langue nationale, qui chaque
jour étendait ses conquêtes au delà des limites de la France, soit
restée au milieu de nous comme inaccessible à un si grand nombre
de ses habitants, et que le premier lien de communication ait pu
paraître, pour plusieurs de nos confrères, une barrière insurmon-
table. Une telle bizarrerie doit, il est vrai, son existence à diverses
causes agissant fortuitement et sans dessein ; mais c'est avec
réflexion, c'est avec suite que les effets ont été tournés contre le
peuple. Les écoles primaires vont mettre fin à cette étrange inéga-
lité : la langue de la Constitution et des lois y sera enseignée à tous ;
et cette foule de dialectes corrompus, dernier reste de la féodalité,

1. « Dans ce département (Alpes-Maritimes) une quarantaine de communes ne con-


naissaient que l'italien : les autres entendent communément le français et parlent
divers patois, mélangés plus ou moins de provençal et de piémontais. Nous avons cru
devoir imprimer nos proclamations sur deux colonnes correspondantes, dans les deux
langues italienne et françoise ; et j'ai publié en italien une brochure concernant la
réforme civile du clergé : Indirizzo ai citadini del dipartimento delle Alpi Maritime, dal
citadino Gregoire » (Rapp. prés, à la Convention au nom des Cres du Mont-Blanc et
des Alp. Maritimes par Grégoire, dans Aul., Act. du Com. S. P., I, 276-277).
2. Étant « l'abbé de Périgord » agent général du clergé, il avait déjà étudié le
système d'éducation devant l'épiscopat français, en 1780 (Proc.-v. de l'Ass. du clergé,
1780, p. 1451-1452).
14 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

sera contrainte de disparaître; la force des choses le commande »1 .


On peut dire que de cette déclaration date une ère nouvelle
dans le développement et la vie des parlers en France. Il se forme
une opinion pour l'adoption d'une politique linguistique, et la
direction de cette politique est marquée : on ira vers l'unité par
l'école.
Ce que je viens de dire suffit à expliquer l'ordre que j'ai adopté.
J'examinerai d'une part les actes de l'autorité, de l'autre la vie
publique; quelque intimes que soient alors les rapports entre les
actes des citoyens groupés ou non, leurs voeux, leurs volontés et
les décrets de leurs représentants, il me faut, pour la clarté, étudier
séparément ces deux ordres de faits.
1. Assemblée nationale, 10 sept. 1791. Rapport au nom du Comité de constitution,
par Talleyrand-Périgord, anc. évêque d'Autun (Arch. parl., Ire série, XXX, p. 472).
LIVRE II
LES ÉVÉNEMENTS ET LA LANGUE

CHAPITRE PREMIER
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

IMPOSSIBILITÉ DE GÉNÉRALISER,
— A distance et avec nos idées
d'aujourd'hui, nous sommes enclins à nous représenter les choses
d'une façon simpliste et fausse : d'un côté la langue nationale,
porteuse des idées nouvelles, facteur de progrès politique, social
et moral, de l'autre les vieux idiomes indigènes liés aux usages,
aux préjugés, aux doctrines d'ancien régime, s'offrant comme
un moyen de prendre le paysan, toujours essentiellement conser-
vateur, par ses habitudes. Mais la réalité a été beaucoup plus
complexe, et ce n'est pas avant longtemps qu'on pourra juger sur
dossiers complets du rôle qu'ont eu les idiomes dans la bataille qui
s'est alors livrée. Il faudrait à ce sujet une large enquête dans les
Bibliothèques et les Archives départementales. Elle n'a pas jusqu'ici
été entreprise, que je sache. Les historiens les plus minutieux ne
semblent pas en avoir aperçu l'intérêt 1.
Je doute du reste que des recherches puissent jamais conduire à
des conclusions simples. Ce qui est vrai de la propagande écrite
n'est pas vrai de la propagande parlée. D'autre part, si on consi-
dère quelques-uns des départements pour les comparer entre eux,

1. Ainsi dans une excellente thèse où fourmillent les renseignements précis sur la
lutte politique et religieuse (Lefebvre, Les paysans du Nord pendant la Révolution.
Paris, 1924, 8°), je trouve la note suivante, p. 782: Lettre du Département sur les
libelles : 14 janvier 1791 (L. 262 f° 741, à Steenwoorde), 19 janv. (ib. f° 95, curés de
Cambrai). Libelle en flamand déposé au district d'Hazebrouck, le 4 décembre 1790 :
Dialogue entre un jurisconsulte, un citoyen et cultivateur des districts de Bergues
et Hazebrouck (L. 7635, f° 39). Enquête de la Municipalité de Cuincy sur une chanson
contre les curés constitutionnels de Douai, 18 janvier 1792 (Arch. com. Dél., f° 51).
Sermons saisis le 13 octobre 1793 à Zeggers-Cappel(Arch. Bergues, Com. de surveill.).
Plainte du District d'Avesnes contre les libelles que fait circuler l'ancien vicariat de
Cambrai, 10 mai 1791 (L. 5184, f° 85). Prédications dos curés de Caestre et de Steen-
woorde, en février et mars (L. 263, f° 61, 159). En quelle langue sont toutes ces pièces ?
Nous l'ignorons, sauf pour une d'entre elles.
16 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

les efforts qui y furent tentés et les résultats qu'on y obtint, on


s'aperçoit du danger que présentent les généralisations.
L'usage qu'on fit des dialectes et des parlers divers dans les
publications dépend avant tout de l'état même de ces langages.
Dans ceux que depuis longtemps on n'écrivait plus, rien ou à peu
près ne pouvait paraître. Au contraire, dans les dialectes moins
dégénérés, on note quelques productions; dans les idiomes 1, une
flore en général abondante, quelquefois très riche, a poussé là où
ces idiomes s'étaient maintenus au degré de langue véritable, où
ils restaient utiles dans les sciences et les lettres, et possédaient
la valeur expressive nécessaire.
En outre, l'abondance des écrits en langue autre que le français
est en relation étroite avec l'instruction des divers pays. Dans une
région où quelques personnes seulement par localité savaient lire,
à quoi bon imprimer dans le parler local? Impossible d'atteindre la
masse des illettrés, ainsi en Bretagne ou en pays basque. Dans
d'autres régions au contraire, le journal, l'affiche, la brochure
portaient, et on comprend qu'on les ait employés avec prodigalité.
Au contraire, en ce qui concerne l'usage parlé, il ne peut être
question de certains idiomes privilégiés seulement. C'est un peu
partout où il restait un parler local qu'il joua son rôle.
1. J'appelle ici dialectes, du nom que je leur donnerai dans toute la suite, les parlers
de langue d'oui ou de langue d'oc. J'appelle idiomes les parlers hétérogènes, basque,
breton, flamand, allemand.
Dans les pays à idiomes je mettrai aussi la Corse et les Alpes-Maritimes (dont une
partie parlait italien).
Quant aux Pyrénées-Orientales, la parenté du catalan avec les parlers de langue d'oc
devrait faire ranger ce département dans les pays à dialectes. Il m'arrivera cependant
de le traiter comme un pays à idiome, en raison de ce fait que le catalan se parle au
delà des Pyrénées et qu'il y avait des Catalans dans l'armée hispano-portugaise qui fut
vaincue au Boulou. Je fais ici oeuvre non de dialectologue, mais d'historien.
CHAPITRE II

LA FRANCE ENTIÈRE EST REMUÉE

Pour suivre le mouvement de francisation auquel la Révolution


donna le branle, il faudrait passer en revue un à un les innom-
brables événements généraux et locaux qui se succédaient et boule-
versaient l'âme comme le corps de la vieille Fr ance.
Ce fut d'abord la convocation des États généraux, l'obligation
où l'on fut dans chaque paroisse de formuler et de coucher sur le
papier les divers griefs qu'on avait jusque-là vaguement mur-
murés, et des désirs d'autant plus mal analysés qu'on n'avait jamais
entrevu la possibilité qu'ils fussent un jour satisfaits. On devine
l'attention que mirent les plus humbles à écouter la lecture de ces
Cahiers que rédigeait en leur nom un curé, un homme de loi,
quelque bourgeois qui avait le privilège d'écrire la langue de Paris;
l'avidité qu'on éprouvait de comprendre et de juger s'il avait dit
ce qu'il fallait, s'il méritait d'être choisi pour aller défendre les
réclamations résumées là.
Puis, les députés partis, il arriva presque aussitôt des nouvelles
étranges, incompréhensibles, le bruit qu'il s'était formé une
Assemblée dont le nom même de nationale, qu'aucune institution ne
portait alors, était comme une espèce de mystère. Qu'il s'agît du vote
par ordre, de la Constitution, du veto, ceux qui parlaient français
n'y entendaient guère plus que les autres. Quand l'édifice qui
symbolisait à Paris la force matérielle de la royauté fut mis bas, c'était
encore là un cataclysme lointain, dont les conséquences ne pouvaient
guère être aperçues dans les villages. Mais bientôt la tempête se
rapprocha. Les grandes villes, armées, rejetant les anciennes
tutelles et les autorités séculaires, donnèrent à celles qui les entou-
raient un exemple redoutable; la révolution fut à peu près partout,
et les paysans, entraînés, s'y précipitèrent à leur tour. La secousse
fut telle qu'une terreur de l'an mille s'empara du pays. Des rumeurs
sinistres emplissaient les campagnes, le tocsin affolait les chaumières,
et on pense avec quelle angoisse on s'informait par tous les moyens
Histoire de la langue française. IX. 2
18 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

qui pouvaient apporter des certitudes, de la


et auprès de tous ceux de s'isoler,
marche des pillards. Il ne s'agissait plus de se terrer,
s'unir résister, de former des milices
mais au contraire de pour
les biens et les personnes. Au fur et à mesure que l'on
pour sauver les aristocrates
cherche, on croit découvrir que les brigands, ce sont
l'étranger. Une solidarité à la fois démocratique et nationale
et
naît de la frayeur et de la colère. Elle ne fond pas encore en Français
les provinciaux, mais elle les unit. On se rue sur les châteaux et
les chartriers, et la guerre de classes ne s'apaise que lorsqu'on
apprend qu'en une nuit toute l'ancienne société a été abolie, que la
féodalité est morte. On imagine quels commentaires sans fin cette
nouvelle fait naître, quelles résolutions sont prises de s'organiser
en force pour que jamais les puissances abattues ne puissent
reprendre leur oeuvre d'oppression et de misère. Les applau-
dissements prolongés qui avaient salué l'oeuvre de « l'union de
tous les ordres, de toutes les provinces, de tous les citoyens » se
répercutèrent en une acclamation universelle, où chaque idiome,
chaque patois mêla ses cris, mais que dominait néanmoins la voix
de la nation promulguant la Déclaration des Droits. Quand arriva
cet évangile des temps nouveaux, majestueux monument de la
justice terrestre, éternelle et universelle, si obscurs qu'en fussent
certains dogmes, il était impossible qu'il n'éveillât pas un désir de
le comprendre et de s'en pénétrer. La nécessité de remplacer ce qui
s'écroulait, d'organiser la patrie nouvelle, fournit bien d'autres
occasions de s'enquérir. Les droits anciens n'étaient plus, mais de
nouveaux étaient établis; les maîtres d'autrefois s'en allaient un à
un, mais il fallait avoir des chefs. L'impôt, la justice, la fonce armée,
tout prenait une forme nouvelle et des noms nouveaux; il fallait
choisir et voter pour des magistrats de tous ordres. Impossible de
se refuser à la vie publique; l'égoïste souci des conditions de vie
nouvelle obligeait à se mêler aux choses et aux hommes.
Les historiens de la Révolution, je le sais, ont plusieurs fois
constaté combien peu d'événements ont été vraiment connus de
tous 1.

1. Aul., Hist. pol. Rév., 118, n. 1. Young, qui voyageait en France en 1789,
nous a dit plusieurs fois sa surprise de trouver le peuple si mal informé : « Je lus [à
Dijon] dans un triste café, sur la place, un seul journal, après avoir attendu heure
l'avoir. une
J'ai par-tout remarqué que les habitants desiroient voir les papiers-nouvelles,
pour
mais il est rare qu'ils puissent gratifier leur desir » (Voy., 1, 446; cf l, 434)
La plupart des paysans, dit Reuss, ne lisaient pas, je crois, les feuilles allemandes,
qui ont paru en assez grand nombre, de 1789 à 1799. Leur almanach du Messager
boîteux et les brochures imprimées outre-Rhin et distribuées les colporteurs ou le
par
cierge réfractaire, suffisaient à leurs besoins intellectuels (Grande Fuite 201, n. 1)
Interrogés par Grégoire sur ce. que lisaient les campagnards et s'ils lisaient
ses
LA FRANCE ENTIÈRE EST REMUÉE 19

Il me paraît impossible, malgré tout, que certains des faits dont


je viens de parler ne soient pas allés jusqu'aux paysans. Ces braves
gens ne « faisaient pas de politique », ils ne lisaient pas les gazettes
et pour cause, mais ils allaient à la ville pour leurs affaires, et ils
écoutaient. Les villes parlaient, elles, et les informaient 1.
Au reste, les intérêts matériels des ruraux étaient en jeu et à quel
point. Le château était souvent vide. Un espoir naissait de se saisir
d'une partie du domaine abandonné, devenu bien d'État. Et qui eût
résisté au désir de prendre connaissance des affiches qui bientôt
en annonceront le morcellement et la vente? Jamais l'avarice du
moindre cultivateur n'avait subi de tentation analogue. La vente
des biens nationaux lui offrait l'occasion de se récupérer au cen-
tuple, et la tentation était grande. Il fallait choisir entre des avan-
tages immenses et des scrupules dont des agents intéressés lui
faisaient sentir la gravité. Incertitude de conscience dont on ne
pouvait manquer de discuter.
Bientôt il fut avéré que l'Église elle-même changeait d'organi-
sation, que l'évêque allait être à son tour nommé par les fidèles,
que le curé du village se retirait pour éviter de devenir schismatique.
On reçut l'invitation à en élire un autre. Les couvents étaient vidés,
les maîtres d'école partis à leur tour avec les soeurs et l'abbé. Les
paroisses étaient sens dessus dessous, bouleversées et par les mots
de Constitution civile, d'assermentés, de réfractaires, et par les
incertitudes que de pareilles mesures jetaient au fond des âmes.
Le trouble dans sa vie religieuse fut certainement l'événement
qui ébranla le plus fortement le paysan, si foncièrement catholique.
Même avant qu'on lui prit ses cloches, qu'on brûlât ses saints,
qu'on fondit les vases sacrés, qu'on supprimât le dimanche, on n'eut
pas de peine à lui montrer l'enfer déchaîné, et il n'est que de se

correspondants montrent une réserve significative. « Les gens de la campagne, dit


l'un, lisent aujourd'hui quelques papiers publics ; ils liraient bien davantage s'ils
avaient des livres à leur portée » (Carcassonne, Lett. à Grég., p. 20, n° 36). —
[Les paysans] lisent rarement, excepté les fermiers un peu éduqués. Je remarque
que, depuis la Révolution, ils prennent un certain goût aux écrits qui y sont relatifs »
(Ib,, p. 259, n° 36). Trait charmant, où on reconnaît nos habitudes nationales
d'économie, il se trouvait des villageois pour acheter les « bouillons », et pour lire ces
vieux numéros, tous à la fois, avec moins de dépense : « Depuis la Révolution, les
paysans ont substitué à ces lectures celles des papiers du temps, qu'ils achètent lorsque
leur ancienneté les fait donner à bon compte » (Bordeaux, Rép. de Bernadau, Ib.,
p. 143, nos 37-43). Les acheteurs se trouvaient ainsi en avance sur l'histoire, mais
nécessairement un peu en retard sur la politique.
1. Là, les communications étaient attendues souvent avec une vraie fièvre. C'est ainsi
qu'on se pressait au théâtre de Clermont pour entendre lecture des lettres de Biauzat.
Il fallait faire des fournées. On eut l'idée de les imprimer. C'est des constatations de
ce genre que naquit le Journal des Débats et Décrets. Dès 1791, l'usage de lire des
Gazettes s'était malgré tout généralisé.
20 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

rappeler certaines manifestations contemporaines du « fanatisme »,


s'imaginer le désordre jeté dans les esprits par les violations
pour
des consciences, pour deviner à combien d'accusations, de plai-
doyers elles donnèrent lieu.
En 1792, la guerre une fois commencée, la fièvre augmenta encore.
Il n'était plus question seulement de gardes nationaux, paisiblement
réunis sur place, mais de volontaires envoyés aux frontières; les
réquisitions d'hommes suivirent des réquisitions de toute sorte,
armes, chevaux, cuirs, vêtements, souliers, provisions de bouche,
animaux de boucherie, grains, etc. Sans parler même des départe-
ments qui avaient la guerre étrangère ou civile sur leur sol,
l'immense branle-bas n'épargnait aucun village, si retiré qu'il fût.
Dans les Vosges, qui n'avaient aucune ville importante, sur
227 000 habitants, 14 500 s'enrôlèrent. On mesure à ces chiffres
combien l'appel de la patrie avait été entendu jusqu'au fond des
montagnes.
Or, tant que les citoyens armés pour le service des gardes
nationales étaient restés dans leur ville ou leur bourgade, ils avaient
pu être commandés dans leur langage'. Les bataillons de volontaires
furent aussi régionaux, en attendant l'amalgame. Mais ils se
déplacèrent et, en changeant de pays, ils rencontrèrent des popula-
tions avec lesquelles ils ne pouvaient frayer que dans la langue
commune. C'était pour les uns et les autres une occasion de la pra-
tiquer'-.

1. La garde nationale de Strasbourg formait un corps solide, presque sur pied de


guerre, et qui prit part à des opérations importantes. Presque tous les documents
sont dans les deux langues, ainsi la Lettre de La Fayette du 9 juin 1790. De même
les règlements de service du 8 décembre 1789, imprimés chez J. Franc. Le Roux
(2 cahiers, 1790, 8°). Les procès- verbaux des élections d'officiers sont surtout en alle-
mand. Seules quelques-unes des sections ont fait le leur en français.
Au reste, comme en Allemagne, le langage militaire est fortement imprégné de
français. On en jugera par un passage relatif aux rondes :
§ 28. Wenn die Consigne gegeben ist, so kommandirt der aufführende Korporal
:
Schultert's Gewehr.
§ 4. Wenn eine Rand sich cinem Posten nähert, so soll die Schildwache rufen
Wer da, und wenn diese geantwortet so ruft sie halt; drauf ruft sie den Korporal, und:
bei der Rund des Kommandanten rufi sie : Korporal raus, Rund-Kommandant...
§ 7. Wenn nach der ersten Rund andere... gemacht werden,
so ruft die Schildwache...
dann geht der Korporal mit einer Laterne unter Begleitung von zween Fusiliers heraus...
und ruft : Avancez qui a l'ordre.
2. Je donnerai un seul exemple. Je le prends à Sélestat
:
Le dernier trimestre de 1791 voit apparaître aussi les premières levées de volontaires
organisées par le décret du 21 juillet 1791, qui en a porté le chiffre à 170 Les
pre-
miers arrivés sont naturellement ceux du département. A Sélestat même ils
s'inscrivent à force; si on pouvoit bien leur donner des ils viendroient sans
armes,
exception. Au mois de septembre, arrivent deux bataillons de volontaires nationaux du
département des Vosges ; le 26, un de la Haute-Saône, le 7 novembre,
Rhin, le 23, celui du Jura. Avec le printemps suivant le mouvement s'accentueun du Haut-
davan-
tage encore ; le 26 mai, c' est le prermer bataillon de Saône-et-Loire le 13 juillet le
LA FRANCE ENTIÈRE EST REMUÉE 21

Dans les époques de grands troubles, les gens de ma génération


l'ont éprouvé deux fois, on sent comme un besoin impérieux de
se réunir pour se communiquer les informations, les confronter, les
commenter, se réjouir ou se désoler ensemble. Les lieux de ren-
contres s'emplissent, mairies, églises, cafés, boutiques; on parle à
l'abri et on parle sous la pluie, entre voisins, entre inconnus. Jamais
série d'événements pareils à ceux que nous venons de rappeler
brièvement n'avait offert à cet instinct de solidarité humaine et
civique plus de raisons de se révéler. Des années durant on frater-
nisa, soit dans la peur, soit dans l'espoir.
A Paris, dit Hatin, les cafés étaient la presse parlée de la Révo-
lution. On peut sans se hasarder affirmer que les auberges de
province jouèrent le, même rôle dans la plupart des petites villes et
des bourgs, particulièrement le long des routes, où circulaient les
voitures publiques, apportant chacune leurs paquets de journaux et
leur chargement de gens « renseignés ». Les bruits se répandaient
ainsi, dans mille parlotes improvisées. La matière arrivait ou de
Paris ou du chef-lieu, s'y triturait, s'y mélangeait, s'y amplifiait.
Il va sans dire qu'il est de toute impossibilité de savoir de quelle
langue on usa dans les innombrables discussions et conversations
qui avaient lieu ainsi tous les jours d'un bout à l'autre du territoire.
Même en « parlant politique », il serait très invraisemblable que
les patoisants se fussent contraints pour l'amour du français. Ils
gardaient leurs habitudes. J'accorde même que là où on avait com-
mencé en français, on a souvent continué en patois, pour peu qu'il
entrât de nouveaux assistants, ou que le colloque s'animât et tournât
à l'altercation.
Il faut cependant tenir compte d'un fait essentiel, c'est que le
dialogue roulait la plupart du temps sur des décrets, des arrêtés,
des nouvelles que les affiches, les annonces, les journaux commu-
niquaient presque partout en français. C'était donc à un texte français,
à des mots français que s'accrochaient les commentaires, et il est
possible que dans bien des cas ceux qui « causaient la langue de
Paris » aient été entraînés à présenter leurs réflexions, leurs obser-
vations, leurs objections dans la langue du texte, au grand bénéfice
du français, auquel les auditeurs qui se trouvaient en tiers s'initiaient
ainsi peu à peu.

1er du Bas-Rhin ; le 29, un nouveau bataillon du Haut-Rhin ; le 6 août, mille hommes


de la Haute-Savoie ; le 15, le 2e bataillon des Basses-Alpes ; le 18, le 1er des Pyrénées-
Orientales ; le 1er décembre, le 9e du Jura ; le 13, le 5e de Rhône-et-Loire ; le 14,
le 1er de la Haute-Saône ; le 19, le 12e du Jura ; le 20, le 1er de la Corrèze ; le 21,
le 3e de Rhône-et-Loire ; le 27, le 1er de Paris. (V. Dorlan, Hist. archit. et anecd. de
Schlestadt, t. II, p. 357).
22 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Dans les pays de langue d'oui et même de langue d'oc,


arriver à
comprendre tant bien que mal la langue commune n'était pas une
tâche au-dessus des esprits même médiocrement doués. Des illettrés
forment langues, méthode, par le contact. Mille occasions
se aux sans
s'offraient; les oreilles s'ouvrirent, et peu à peu, sans écoles, sans
autres maîtres que les voisins et les camarades un peu plus savants,
d'ignorance où
une partie du peuple n'en fut bientôt plus au point
elle se trouvait en 1789.
Les pays où régnait un idiome étaient particulièrement difficiles à
conquérir. Néanmoins volonté et sympathie aidant, on s'y mit peu
à peu. Des textes que je donnerai par la suite montreront qu'il y a
là autre chose que des hypothèses.
Ce fut un des résultats de cette formidable mêlée de paroles où
se traduisaient les pires angoisses et les espérances les plus joyeuses,
où la foi et l'amour se heurtaient à l'effroi et à la haine, où toutes les
forces qui s'entrechoquent dans une lutte éternelle, accoutumance
à la tradition et recherche du progrès, instinct d'autorité et sentiment
de la dignité personnelle, égoïsme des riches et appétit des déshé-
rités, se disputèrent un triomphe dont dépendait non seulement la
domination de la France, mais l'empire du monde. Tout ce qui peut
être proféré par des bouches humaines, depuis le discours aux grands
gestes qui entraîne et électrise les foules rassemblées jusqu'au mot
glissé, chuchoté dans le secret ténébreux du confessionnal, y servit à
gagner les cerveaux et les coeurs.
Il est bien certain que partout à peu près la langue française —
et ce sera son éternel honneur — a pris une part, une belle part à
ce combat géant. Elle y a perdu, nous le verrons, une hégémonie
éphémère en Europe, elle y a gagné de devenir l'organe des idées
qui ont renouvelé le monde, et s'est acquis une considération, une
dignité analogue à celle dont jouit la langue latine pour avoir aidé
à la diffusion du christianisme. Aucun excès, aucune erreur, n'en-
lèvera jamais leur gloire ni à l'une ni à l'autre de ces voix conso-
latrices du genre humain.
LIVRE III
LA TRADUCTION DES DÉCRETS

CHAPITRE PREMIER
NÉCESSITÉ DE SE TENIR EN RAPPORT AVEC LE PEUPLE

La monarchie avait pu gouverner pendant des siècles en deman-


dant à ses sujets d'obéir et de payer. Ses ordres, les actes de ses
agents, appuyés sur une autorité traditionnelle et indiscutée,
proclamée à l'occasion d'origine divine, n'avaient besoin d'aucune
adhésion volontaire. Tout au contraire la loi nouvelle, quoique votée
au nom du peuple et par ses représentants, n'avait chance de
s'imposer qu'avec l'assentiment de l'opinion. Il eût été contraire à
l'esprit même de la démocratie qu'on prétendait instituer et aux
principes de gouvernement qu'on posait, de faire des réformes,
fussent-elles des plus bienfaisantes, sans les faire connaître, sans
en exposer l'économie et les motifs aux citoyens « actifs » et même
« passifs ». C'était aussi le seul moyen d'éviter les plus graves
malentendus. Le 9 février 1790, à la séance du soir, Grégoire avait
pu, s'appuyant sur le témoignage des municipalités, affirmer que,
dans certains pays, des troubles graves s'expliquaient par d'énormes
erreurs sur le sens des mots, des paysans prenant des décrets de
l'Assemblée nationale pour des décrets de prise de corps ! 1

On chercha donc les moyens appropriés. Aucun style ne paraissait


assez clair pour le peuple. Mirabeau demandait qu'on renonçât à
tous les archaïsmes juridiques : « L'Assemblée nationale veut répan-
dre les connaissances des lois; elle ordonne qu'on en fasse la
lecture au peuple dans les prônes; il faut donc les rendre parfaite-
ment intelligibles; il faut les écrire en style pur et vulgaire. Les
rédacteurs de ces lois sont des jurisconsultes, à qui l'ancien style,
les anciennes tournures sont familières; ils les portent, sans s'en
apercevoir, dans les lois nouvelles; au lieu de dire, par exemple,

1. Monit., Réimp., III, 336 ; cf. son rapport de prair. an II, Lett. à Grég., p. 295-296.
24 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

article Ier ci-dessus, et ne seront réputées corvées réelles que celles


qui seront prouvées, etc., pourquoi ne pas dire, et l'on ne réputera
pour corvées réelles, que celles, etc. Il est temps de parler françois
dans les lois françoises, et d'ensevelir ce style gothique sous les
débris de la féodalité » (Courrier de Provence, pour servir de suite
aux lettres du comte de Mirabeau, 1790, n° CXII).
Eût-on épuré le jargon judiciaire et administratif de toute sa lie,
qu'un obstacle fût resté, la diversité des idiomes en usage dans la
plupart des villages et dans nombre de petites villes. Or, cette
Révolution, qu'on a qualifiée de bourgeoise et qui l'était par certains
côtés, ne se fût jamais satisfaite de n'emporter que les suffrages
de la portion de la bourgeoisie urbaine qui était déjà francisée.
Pour tenir le paysan au courant des faits réels, il fallait déjà un
effort immense; la tâche était bien autre quand il s'agissait de les
lui faire comprendre et juger. Là où une nouvelle n'était rien sans
un commentaire et une explication, un texte était moins encore,
fût-il dépouillé de mots obscurs et techniques. Il était nécessaire
d'en faire voir les applications pratiques, de marquer le rapport
que pouvaient avoir avec les aspirations et les intérêts toutes ces
mesures, dont la rapidité et l'importance devaient déconcerter des
âmes frustes, chez lesquelles la faculté de saisir les nouveautés avait
été oblitérée par des siècles de routine.
CHAPITRE II

ON DÉCIDE LA TRADUCTION DES DÉCRETS

DÉCRET DU 14 1790. — Il n'y avait aucun moyen, aucune


JANVIER
possibilité d'entrer en relations avec ceux qui ignoraient le français,
sauf en leur parlant leur langue. Tôt ou tard on devait donc songer
à des traductions. C'est à Bouchette, député de Bailleul, qu'en
revint l'initiative. Il avait déjà fait passer en flamand diverses lois ' ;
il demanda l'agrément de l'Assemblée pour sa version de l'Instruc-
tion sur les nouvelles municipalités. C'était le 14 janvier 1790.
« J'ai proposé à l'Assemblée nationale d'en approuver l'impres-
sion, écrit-il le 162. Alors plusieurs voix se sont élevées 3 pour deman-
der la même chose pour les Français, Allemands, Bretons, etc..
la proposition a été remise au Comité des rapports... et enfin il en
est résulté un décret qui dit que le pouvoir exécutif sera suplié de
faire publier les décrets de l'Assemblée dans tous les idiomes
qu'on parle dans les différentes parties de la France. Ainsi tout le
monde va être le maître de lire et écrire dans la langue qu'il aimera
mieux et les loix françaises seront familières pour tout le monde ».
Rien n'était plus compréhensible ni plus opportun qu'une pareille
proposition. Dans une organisation qui allait être appliquée à chaque
commune, il ne devait rester ni ambiguïté, ni obscurité, et l'on
comprend que l'Assemblée ait décidé de généraliser la mesure.

— Il est hors de doute que la plupart des


AVIS DES INTÉRESSÉS.
départements à langage particulier souhaitaient avoir, dans la langue
qui leur était familière, des instructions et des renseignements. Si la
loi est commune pour tous, disaient les Administrateurs de Stras-
bourg dans une phrase d'une justesse inattaquable, elle doit être à
la portée de tous. 4 En 1792, Dithurbide rappelait à Garat, dans une

1. Voir Looten, Lett. de Fr. Jos. Bouchette, dans Ann. du Com. fl., 1908-1909,
t. XXIX, p, 175, let. 15.
2. Ib., let. 45, p. 323. Cf. Archiv. parlem., XI, 182 et 183 et Duvergier, Coll.
des lois, I, 110, qui renvoie au texte de la Coll. Baudouin, II, p. 14 et 15.
3. C'était la voix de Duport, de Landau.
4. Arch. N., AA32, n° 17877, I, v°. On lit dans les procès-verbaux de la Société de
26 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

lettre que nous citerons plus loin, le voeu émis par les Basques et
inséré au procès-verbal de leur assemblée électorale. 1

Cependant, telle était la haine de ce qui divisait les Français


qu'on n'approuvait pas partout cette idée de traduction en patois.
On écrit de Corrèze : « Ce serait rendre un mauvais service aux
citoyens, que de les entretenir dans l'usage d'un baragouin barbare,
et de ne pas les encourager par tous les moyens possibles, à se servir
du langage national » 2.
En Alsace, des magistrats qui étaient sur lieu — à Colmar —
jugeaient que la mesure était inutile et alléguaient leur propre
pratique. « L'usage du Conseil Souverain d'Alsace, disait-on, a
toujours été de faire enregistrer, publier et imprimer les Edits,
Declarations, lettres-Patentes et arrêts de réglement en langue
françoise ; toutes les procédures et tous les actes s'y rédigent dans
cette langue, dont on a cherché, par une juste et bonne politique,
d'établir la prédominance en Alsace : cependant il est arrivé quel-
quefois, que cette Cour a ordonné la traduction et impression des
loix en langue allemande, dans les cas où il était nécessaire et indis-
pensable de les rendre intelligibles pour le dernier paysan. C'est
ainsi que tout-à-l'heure ma Compagnie a fait traduire en Allemand
par les secrétaires interprètes qui sont à la suite de la Cour, le
décret sanctionné qui est relatif à la Conservation des forêts du
Royaume ; nous n'avons point ordonné de même l'impression en
allemand des autres décrets de l'Assemblée nationale, donnés jusqu'à
présent, non seulement parce que cela ne nous a pas paru néces-
saire, mais principalement parce que ces mêmes décrets, ayant été
traduits et imprimés en allemand, par ordre de l'Intendant et de
la Commission intermédiaire provinciale d'Alsace pour être envoyés
et distribués dans toutes les Communautés de la province, nous
n'avons pas cru devoir multiplier inutilement ces traductions et
impressions d'autant que, dans la vérité du fait, il y a aujourd'hui
très peu d'Alsaciens qui n'entendent le françois ». 3 Quoi qu'il faille
penser du dernier motif allégué, il est visible que les magistrats
ne comprenaient pas qu'à une situation toute nouvelle devaient
correspondre des usages nouveaux.
Mais voici un document, inédit, je crois, où
se révèle à pur et à
Strasbourg à la date du 20 mai 1792 Un membre lit
traduction exacte des lois : un long discours sur l'importance
en langue allemande. La discussion des plans qu'il
d'une

soumet est remise aux prochaines séances. Je n'ai


pas trouvé trace de cette discus-
1. Arch. N., AA. 32.
2. Ib.,
3. Ib.,
ON DÉCIDE LA TRADUCTION DES DÉCRETS 27

plein, le désir qu'on éprouvait de voir les idées révolutionnaires se


répandre avec l'aide du patois. Il a été envoyé de Montauban le
18 déc. 1791 : « Certes la tendre sollicitude de ces frères de la
patrie doit réveiller dans tous les coeurs les plus vifs sentimens de la
reconnaissance. Mais il se présente ici une difficulté de détail, qui,
par son importance, mérite d'être examinée et discutée avec
quelque attention.
« J'observe que le français est, à peu de nuances près, la langue
vulgaire des campagnes de la majeure partie du Royaume; tandis
que nos paysans méridionaux ont leur idiôme naturel et particulier,
hors duquel ils n'entendent plus rien. Cette différence est si vraie
et si essentielle, que l'excellente Feuille villageoise de M. Cerutti,
qui fait un si grand bien dans les campagnes où elle est entendue,
et qui en ferait bien davantage si l'esprit y abondait moins, si les
matières en étaient, généralement parlant, moins relevées, est
entièrement perdue pour les campagnes du midi. — Les habitans
de ces contrées sont encore bien loin d'avoir une idée nette, non
seulement de notre sublime Constitution, mais même de l'immense
révolution qui s'est opérée dans le Royaume et, pour ainsi dire,
autour d'eux. Ce n'est pas qu'ils n'aient sans cesse à la bouche ces
mots magiques de Révolution et de Constitution; je ne doute même
pas qu'enflammés comme ils sont, ils ne se fissent tous tuer pour le
maintien de cette dernière, à l'instar des patriotes éclairés des
villes de leur voisinage ; mais qu'on leur demande qu'elle [sic] est la
cause qu'ils ont embrassée, ils répondront sans hésiter que c'est la
cause du Roi : et voilà qui prouve jusqu'à l'évidence, qu'ils n'ont
pas encore fait un pas dans la nouvelle carrière de lumières dans
laquelle les citadins ont déjà fait de si grands progrès.
« Or, dans l'indispensable et même urgente nécessité de
faire
participer cette intéressante partie de citoyens à l'instruction géné-
rale, quel parti prendre pour y procéder avec succès? Ira-t-on leur
enseigner la langue française et, pour cet effet, mettre dans leurs
mains la Grammaire raisonnée? Mais, occupés, dès l'âge de raison,
aux travaux continuels des champs, d'où dépend leur existence,
auront-ils le tems de l'étudier et le degré d'intelligence nécessaire
pour l'entendre? Et, en supposant, contre toute vraisemblance,
qu'ils parvinssent à vaincre cette première difficulté, en serait-ce
assez pour saisir, je ne dirai pas toutes les finesses de nôtre langue,
mais celles dont la feuille villageoise spécialement destinée pour
eux est remplie? Je tiens, pour moi, qu'un cours de belles-lettres
ne serait pas de trop : et, dès lors, qui n'apperçoit la nullité ou
plutôt l'absurdité d'une telle entreprise?
28 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Quel emploiera-t-on donc pour remplir cet important


« moyen
objet? Il n'en est qu'un à mon avis.
Après avoir démontré l'absolue impossibilité de parvenir dans
«
à familiariser avec la langue française nos paysans
aucun sens
languedociens, provençaux, etc., je crois que le seul
gascons,
qui reste, est de les instruire exclusivement dans leur
moyen nous
langue maternelle. Ah ! qu'on ne croie pas que ces divers idiômes
méridionaux ne sont que de purs jargons : ce sont de vraies langues,
tout aussi anciennes que la plupart de nos langues modernes; tout
aussi riches, tout aussi abondantes en expressions nobles et hardies,
en tropes, en métaphores qu'aucune des langues d'Europe : les
poésies immortelles de Goudelin en sont une preuve sans réplique.
« Pour cet effet, il s'agirait
d'abord d'imprimer des Alphabets
purement gascons, languedociens, provençaux, etc., dans lesquels
on assignerait avec soin à chaque lettre sa force et sa valeur. On
pourrait même en retrancher quelques-unes, telles que nôtre V,
qui, se confondant absolument, au moins dans le gascon, avec le B,
devient parfaitement inutile. De plus, je ne voudrais point qu'on fit
prononcer dans bien des cas l'U comme OU; mais plutôt qu'on
exprimât cette diphtongue partout où elle se fait entendre distinc-
tement, excepté toutefois dans le latin dont on ne peut raisonna-
blement changer l'orthographe pour la commodité de nos paysans.
— Par exemple, pour exprimer en gascon le mot Dieu, que Gou-
delin écrit Dius, j'écrirais Dïous, les deux points sur l'ï servant à
indiquer qu'il faut traîner et doubler en quelque sorte cette voyelle.
« On ajouterait à ces divers alphabets quelques leçons prélimi-
naires à la portée des enfans et capables de piquer leur curiosité;
et, du moment que la lecture de ces premières leçons leur serait
devenue familière, on mettrait entre leurs mains un historique
succinct, clair et précis de la révolution et des abus révoltans qui
l'ont si long-tems et si impunément provoquée. A cela succéderait
une traduction fidèle de la Constitution et des lois rurales. Enfin,
moyennant certains honoraires, un particulier instruit serait chargé
(dans chaque District ou dans chaque Département, selon l'étendue
du territoire où le même idiôme serait entendu) de préparer, chaque
semaine, et de traduire avec le plus grand soin, pour les campagnes
des environs, un extrait des nouvelles publiques et nommément
des décrets qui les intéresseraient d'une manière directe. Du
reste l'impression de ces traductions diverses et ces traductions —
elles-mêmes me semblent devoir être
aux frais de la Nation entière,
dont la tranquillité universelle tient immédiatement parti-
culier de chacune de ses parties... au repos
ON DÉCIDE LA TRADUCTION DES DÉCRETS 29

« Enfin on établirait pour chacun de ces idiômes méridionaux


une orthographe uniforme et invariable.
« Quel inconvénient y aurait-il ensuite à ce que les Collecteurs
pris dans la classe des paysans tinssent leurs registres et fissent
leurs quittances dans leur langue naturelle? Il n'y a personne dans
les villes voisines qui ne l'entende aussi bien qu'eux. Les Receveurs
Généraux, eux-mêmes, n'auraient pas la moindre peine à faire leurs
relevés d'après de tels registres, à moins qu'ils ne fussent étrangers
dans cette partie du Royaume, comme il n'est que trop souvent
arrivé sous l'ancien régime.
« Mrs Les Curés des Villages, chargés d'afficher à la porte de
leurs Eglises soit un décret, soit une proclamation, voudraient bien
se donner la peine d'en prendre l'esprit, de les traduire et de les
publier par extrait et d'une main lisible. Cela leur coûterait d'autant
moins qu'ils sont obligés par état de connaître à fonds la langue
du Canton : sans quoi ils auraient beau s'époûmmoner dans leurs
prônes, ils ne sauraient se faire entendre, et manqueraient tota-
lement le but de leur instruction chrétienne.
« Mrs les Notaires voudraient également bien se prêter à ce
nouvel ordre de choses, en n'expédiant jamais à ces bonnes gens le
double d'un acte quelconque qui ne fût traduit dans leur idiôme
naturel » 1.
C'est là, on le voit, ni plus ni moins qu'un projet hardi de fédéra-
lisme linguistique. L'auteur propose sans vergogne de retourner au-
delà de 1539.
Il ne pouvait être donné aucune suite à des propositions qui,
même dans le Midi, malgré le souvenir des contraintes imposées
par François Ier, heurtaient l'esprit qui venait de se répandre, et
devaient paraître non seulement archaïques, mais absurdes et presque
impies, car elles attentaient à la Révolution elle-même, sous couleur
de la servir.

1. Arch. N., F17 1309, doss. 2.


CHAPITRE III

RÉSISTANCES ET DIFFICULTÉS

LE VETO. — Dentzel s'est plaint plus tard à la Convention que le


décret du 14 janvier ait été « frappé de l'exécrable veto ». Et
plusieurs autres patriotes, Chabot, Grégoire ont exprimé le même
regret 1. « Le tyran, dit Grégoire, dans son rapport du 16 prairial
an II, n'eut garde de faire une chose qu'il croyait utile à la
liberté ». Faut-il tenir cette accusation pour fondée? Quelle aurait
été la pensée de la Cour? Empêcher l'Assemblée de faire connaître
son oeuvre et de faire approuver sa politique? Pareil espoir se
rapporterait assez bien au machiavélisme puéril de certains des
inspirateurs de Louis XVI. En tous cas il est constant que le décret
a été recueilli dans la Collection Baudouin et qu'il ne porte pas la
mention « sanctionné » 2.
Cependant les dossiers conservés aux Archives nationales
prouvent, à n'en pas douter, que le décret fut, sinon intégralement
appliqué — il ne pouvait guère l'être, du moins suivi de mesures
destinées à lui donner quelque effet 3.

BESOGNE ÉPINEUSE.
— Je ne sache pas que l'Assemblée ait jamais
essayé de faire traduire les décrets ou la Constitution soit en lorrain
soit en picard, mais ce que nous avons dit de la situation linguistique
dans les pays où se parlaient ces idiomes explique suffisamment qu'il
n'ait été fait aucun effort en ce sens. On estimait sans doute que
les populations comprenaient assez le français, même si elles n'en
usaient pas, pour qu'on n'eût pas à se préoccuper d'elles. Au con-
traire, pour d'autres provinces, on chercha à réaliser le voeu de la loi.
1. Voir une lettre de Chabot
: «
L'Assemblée Nationale avait décrété que tous ses
décrets seraient traduits en langue vulgaire... Nous ignorons la de l'inexécution de
cause
cet ancien décret « (Lett. à Grég., p. 73, 8 sept, de l'an II de la liberté). Cf. Rapp. de
Grégoire, Ib., p. 305, et une lettre de Strasbourg du 9 juin 1792: Nous ignorons
s. ce décret a été sanctionné, mais, n'ayant jamais été promulgué, il« n'a jamais
d' exécution » (Arch. N., AA. 32). reçu
Paris,
2. Voir Collect. génle des décrets de l'Ass.Nat.,
Baudouin, II, 15.
3. Voir Arch. N., AA. 32 à 34
une série de dossiers.
RÉSISTANCES ET DIFFICULTÉS 31

Une lettre écrite à d'Ormesson le 22 janvier, montre quelles


illusions les bureaux se faisaient : La traduction en allemand sera
facile à obtenir, la traduction en italien sera faite en Corse; restent
le bas breton, le basque, le béarnais 1.
La tâche était au contraire fort lourde; des difficultés de toutes
sortes se présentaient. D'abord les idiomes allaient-ils être en état
d'exprimer les idées qu'on voulait leur faire traduire?
La langue politique française elle-même était encore en pleine
formation. Comment le gascon ou le provençal eussent-ils, en
quelques semaines, rattrapé leur retard, et offert les ressources
techniques nécessaires pour exposer ou commenter les votes de la
Constituante? Il est facile de comprendre que, si l'abolition des
anciens droits s'exprimait sans peine, le droit nouveau avec ses
demi-réformes, ses procédures compliquées, ses nouveaux officiers
chargés de l'appliquer aux personnes et aux choses, n'était pas
facile à traduire ni à justifier — en langue paysanne.

En second lieu, comme le remarquaient fort bien le Directoire et
le procureur syndic de la Corrèze, les patois étaient des langues
parlées qui n'avaient point d'écriture ni d'orthographe adaptées.
« Les langues écrites ou imprimées, sont encore plus difficiles à lire
que le français, à cause de la prononciation de plusieurs consonnes
qui approchent de la prononciation italienne », et « ne peuvent
point être écrites sans qu'on fasse connaître auparavant une conven-
tion particulière qui détermine le sens et la prononciation qu'on
doit leur donner » 2. Par quel moyen y remédier? Une Académie
des dialectes n'y eût pas suffi.
Et puis où s'arrêter en présence du morcellement des patois?
Larrouy, qui demanda à être chargé de la traduction des décrets en
béarnais, faisait observer au garde des sceaux que l'idiome n'est pas
uniforme en Béarn ; qu'une partie de cette province emploie des mots
qui, dans les villes voisines, « sont aussi méconnus que le grec 3 ».
Pour éviter de se perdre dans la poussière des parlers, certains
traducteurs, officiels ou officieux, se firent chacun une sorte de
langue moyenne; tel Bernadau, qui avait traduit la Déclaration en
« gascon mitoyen entre tous les jargons » 4. De même Ch. Franç.
Bouche, député de la ci-devant Sénéchaussée d'Aix, qui avait été
Constituant et qui fut membre du Tribunal de Cassation 6. Comme

1. Arch. N. AA. 32.


2. Arch. N., AA. 32, f° 32706 r° et v°. 1er Déc. 1792.
3. Arch. N., AA. 32.
4. Lett. à Grég., p. 128; cf. p. 136.
8. Voir la Counstitucién francézo... traduite conformément aux Décrets de l'Assem-
blée Nationale constituante en langue provençale et présentée à l'Assemblée Nationale
32 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

il s'adressait « eis habitans deis desparteméns des Bouquos-daou-


Rhoné, daou Var, et deis Bassos-Alpos », pour leur faire connaître
l'oeuvre de l'Assemblée, qu'il appelle la « bienfaitrice et l'évangéliste
du monde », il s'est servi « daou lengagi lou pu generalemén
respéndu, aquo és-à-diré, d'aqueou qué l'on comprén partou ».
Mais si l'on exigeait des traductions bien localisées, comment
faire? Les circonscriptions départementales, ainsi que le remar-
quaient les autorités, ne coïncidaient pas avec les anciennes. Qui
serait en mesure de décider où était l'unité dialectale et combien il
y en avait? Des philologues modernes eussent répondu par avance :
Impossible. Les intéressés, fondés sur leur pratique, signalèrent
aussi la difficulté 1.

Législative. Paris, I. N., 1792. Bib. Sorb., II. F. r. in-12°, 43. L'auteur avait espéré
qu'il se trouverait un traducteur. Comme il ne s'en est pas présenté, il s'est mis lui-
même à la besogne. Il conseille à ses compatriotes de lire le petit livre, et de le faire
apprendre à leurs enfants « comme un catéchisme » (p. 4).
1. Arch. N., AA. 32. Observations sur plusieurs difficultés...
CHAPITRE IV

LES TRADUCTEURS

BONNES VOLONTÉS.
— Un personnel de bonne volonté s'offrit. Je ne
le connais pas tout entier. Pour le basque, ce fut l'avocat Larrouy
qui se présenta. Il fut accepté 1.
Le 29 février 1791, une traduction de la Constitution en italien,
par Gaëtano Boldoni, professeur au Lycée de Paris, fut présentée
au Comité d'Instruction publique 2.
DUGAS.
— L'entreprise la plus intéressante paraît avoir été celle
de Dugas. Le 20 janvier 1791, il fut chargé par le Roi 3 de faire les
traductions pour trente départements : « Lot-et-Garonne, Bouches-
du-Rhône, Charente, Gers, Gironde, Lot, Aude, Tarn, Puy-de-
Dôme, Basses-Alpes, Arriège, Creuse, Haute-Vienne, Lozère, Landes,
Hérault, Allier, Basses-Pyrennées, Gard, Dordogne, Pyrennées-
Orientales, Ardèche, Haute-Loire, Aveyron, Charente-Inférieure,
Cantal, Hautes-Pyrennées, Var, Haute-Garonne, Corrèze » 4.
Il chercha des collaborateurs, et, avec leur aide, mena rondement
son travail 5. Le 6 octobre 1791, il offrait déjà de présenter 24 vo-

1. Le 8 juin, on cherche le moyen de le rémunérer. Donc il avait déjà travaillé


Cependant il existe aux Archives une lettre des Amis de la Constitution de Bayonne,
proposant pour cette fonction un ecclésiastique en possession des divers dialectes de la
langue basque (AA. 32, doss. 3, 16 déc. 1791).
2. Elle avaitété imprimée au Cercle Social (Guill., Proc. verb. Com. I. P., Lég., p. 134).
Barère signale le travail de Boldoni, Bolletino nazionale. Il y en a, dit-il, deux gros
volumes in-8° (Mém., II, 128).
3. Du moins il le dit. Si cela est exact, comment accorder cette nomination avec le
veto ?
4. Arch. N., AA. 32. Dugas s'était d'abord offert à M. Guignard, ministre, puis à l'ar-
chevêque de Bordeaux, qui le renvoya à M. d'Ormesson. L'affaire en resta là quelque
temps, puis elle fut reprise. Dugas est l'auteur du Code politique (Tourneux, Bibl.,
I, n° 615), où sont réunis les décrets et dont il a fait hommage à l'Assemblée (Proc.
verb. de la Constituante, 26 juillet 1790, B. N. Le 27/10 in-8°). Il existe aux Archives
Nationales (AA. 32) une minute de lettre au Ministre où il est dit : " Né en Lan-
guedoc, ayant passé la plus grande partie de ma vie dans cette contrée et dans celles
qui l'avoisinent, je possède leur idiome (sic) avec toutes les nuances qui les distin-
guent ; Redacteur du Point du jour, auteur d'une Collection de decrets dont j'ai fait
hommage a l'Assemblée sous le nom de Code politique de la France et que l'on estime
pour sa grande exactitude, voilà, Monsieur, mes seuls titres auprès de vous ».
5. Cf. Arch. N., AA. 32 : Pièces relatives à la traduction des décrets dans les diffé-
Histoire de la langue française. IX. 3
34 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

lumes finis: 9 pour les Hautes-Pyrénées, 7 pour les Basses-Pyré-


nées, 2 pour la Dordogne, 2 pour l'Aveyron, 1 pour la Corrèze,
1 pour les Landes, 1 pour l'Aude, 1 pour la Haute-Garonne 1.
En 1792 un inventaire put être dressé 2, et il montre que l'oeuvre
était parvenue à un haut degré d'avancement. Elle finit par former
une collection de 96 volumes de décrets, plus 18 d'actes constitu-
tionnels 3.

rents idiomes, ordonnée par décret du 14 janv. 1790 et confiée aux soins de M. Dugas
par décision du 19 janv. 1791.
1. Arch. N., AA. 32 doss. 3.
2. C'est Rondonneau qui en est l'auteur (Arch. N., Ib.). Le malheureux Dugas
eut une peine extrême à se faire payer et même à obtenir le remboursement de ses
avances. Ses collaborateurs le poursuivaient sans succès de leurs réclamations. En flo-
réal an III, il était encore en instance.
3. Où sont-ils ? Quelques cahiers se trouvent seuls aux Archives Nationales (AA. 32,
doss. 4). Ce sont des traductions en patois de la Corrèze et du Lot. J'ai cherché les
autres dans la collection Rondonneau, sans avoir eu la chance de les découvrir. En
revanche, on trouvera dans F 17 1069, toutes les pièces relatives au paiement des
redevances à Dugas.
CHAPITRE V

EXAMEN DES TRADUCTIONS COMMANDÉES

LES OBSERVATIONS.
— Le travail de Dugas fut soumis à l'examen
des divers départements. Le 4 mars 1792, une circulaire très pressée
était envoyée aux départements des Basses-Alpes, Aude, Aveyron,
Bouches-du-Rhône, Corrèze, Garonne (Haute), Gironde, Lot-et-
Garonne, Pyrénnées (sic) (Hautes et Basses), Tarn et Var, afin que
l'on fit vérifier le plus tôt possible si la traduction de la Constitu-
tion rendait « exactement le sens de l'original ». Parfois la traduc-
tion était incomplète, d'autres fois il semble que des mots d'un
patois étaient introduits dans un autre, ou encore que des mots
purement français étaient employés en assez grand nombre. Nous
n'avons pas toutes les réponses ; celles qui nous sont parvenues
témoignent en général d'une satisfaction assez marquée. Le 5 avril
1792, le département de l'Aveyron trouvait que la traduction « ren-
doit parfaitement le langage presque general du département » ; on
priait de bien vouloir la faire imprimer sur-le-champ. Les Admi-
nistrateurs du département de Lot-et-Garonne approuvèrent aussi,
mais s'ils jugèrent que « cette traduction avait en général les qua-
lités requises pour les ouvrages de ce genre, et qu'elle pourroit
contribuer à répandre sur tout dans les campagnes la connoissance
des principes dont tous les Français doivent être pénétrés », ils
ajoutaient : « quelques changemens, la pluspart dans l'orthographe
deffectueuse en certains points, nous ont semblé seulement néces-
saires, afin de la rapprocher de la prononciation la plus généra-
lement usitée, et de faciliter l'accès de cet important ouvrage aux
Lecteurs peu versés dans un idiome qui compte un très petit nombre
de productions littéraires imprimées et qui varie souvent d'un lieu
à un autre dans le Département » 1. A Tulle, on fit des réserves plus
sérieuses : « Chaque canton, chaque bourg, faisait-on observer à
Garat (1er sept. 1792), a, dans cet idiome, des inflexions et un accent

1. Arch. N., AA. 32, n° 15117. Agen, 15 may 1792.


36 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

différent, de sorte que le traducteur qui s'est trouvé du canton de


Juillac, n'a point pris l'accent des autres cantons qui présente des
différences plus ou moins sensibles, mais qui deviennent considé-
rables à la distance de sept ou huit lieues » 1.
Des critiques plus aigres arrivèrent d'ailleurs, ainsi des Hautes-
Pyrénées : La traduction n'était point conforme à l'idiome propre
du département. Les administrateurs en avaient fait faire une autre
et renvoyaient la première au Ministre de la Justice, en y joignant
un exemplaire de celle qu'ils jugeaient plus exacte 2.
Un rapport demanda, pour éviter de semblables reproches, que
chaque traduction, au lieu d'être seulement examinée par un député,
le fût par deux, au choix du ministre 3.

1. Arch. N., AA. 32, n° 32706, r° et v°.


2. Tarbes, 6 décembre 1792, Arch. N AA. 32, n° 33307.
3. Arch. N., AA. 32. ,
CHAPITRE VI

TRADUCTIONS SUR PLACE

BUREAUX DÉPARTEMENTAUX.
— En Alsace, on estimait que les tra-
ductions qui arrivaient de Paris avaient de graves défauts ; d'une
part elles sentaient le français, de l'autre elles étaient en allemand
trop pur, et cela était un défaut différent, mais presque aussi
grave.
Le Conseil général de la Moselle demanda l'autorisation de faire
faire une traduction des décrets « appropriée à l'idiome incorrect
usité dans les parties allemandes de ce département » ; la Meurthe
eut aussi son traducteur 1.
Les résultats ne paraissent pas avoir été bien satisfaisants. La
question était en effet fort délicate. L'allemand dialectal ne s'écri-
vait pas. Fallait-il donc s'en tenir à l'allemand littéraire? Mais il
était inconnu de la plupart des habitants.
Nous connaissons, m'écrit M. P. Lévy, une partie des traducteurs
qui travaillèrent en Alsace et en Lorraine, ainsi Goebel, qui, dans sa
Grammaire analytique de la langue allemande (Strasbourg, 1796),
s'intitule : interprète des langues étrangères au dépôt général de la
guerre. Ulrich avait été nommé secrétaire-interprète de la munici-
palité de Strasbourg après concours. En 1790 il publiait chez
Levrault une traduction des décrets 2.
Le 2 mai, le Directoire du Finistère adressait une circulaire aux dis-
tricts en les priant de désigner des traducteurs. Le district de Brest
proposa, le 10, un commis des bureaux de la marine, nommé Salaun ;
le 7, Morlaix répondait qu'on avait trouvé pour traduire les décrets
sur la contribution foncière Pervès, de Morlaix. Il traduisit d'autres

1. Voir Procès-verb des délibérations du Conseil général de la Moselle (Arch. N., F1c
III, Moselle 26 nov. 1790, dans May, La lutt, pour le fr., p. 48). Il faudrait rechercher
dans cette série si des dispositions analogues furent prises dans d'autres départements à
idiomes. Quelques-uns des rapports et des procès-verbaux des conseils généraux sont
dans les Archives départementales.
2. Cf. Wöchentliche Kachrichten. de Strasb. (6 août 1790). On relève dans ces traduc-
tions un certain nombre d'alsatismes, mais elles sont en haut-allemand.
38 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

lois encore. Comment? nous l'ignorons, n'ayant pas sa traduction.


De leur côté les Sociétés des Amis de la Constitution s'étaient
mises à l'oeuvre çà et là pour arriver au même but 1. Les Jacobins
de Colmar s'y employèrent avec ardeur 2.

POINT D'ORGANISATION DÉFINITIVE. Il est assez facile de com-



prendre comment on a pu affirmer plus tard que les décrets étaient
inconnus, faute d'avoir été traduits. Sans doute, dans certains dépar-
tements, le plus grand nombre paraissent l'avoir été au fur et à
mesure. En Alsace, on les trouve imprimés en deux langues par
les autorités locales, soit qu'on ait tout réimprimé en français et
allemand 3, soit qu'on ait joint à la brochure française reçue de Paris
une traduction qu'on a fait exécuter sur place*. Mais ailleurs rien
de systématique, ainsi en Moselle 6.
Les choses allèrent de la sorte, sans organisation régulière, jus-
qu'à la fin de la Législative. Le 2 juin 1792, les Administrateurs de
Strasbourg se plaignent encore que le décret relatif à la traduction
des lois, n'ayant pas été promulgué, n'a point eu d'exécution.
Cependant « deux différentes traductions circulent dans les dépar-
tements du Haut et du Bas-Rhin ; une grande partie du Département
de la Mozelle, autrefois Lorraine allemande, et dont les habitans ne
savent pas un mot françois, ne peut jouïr de la connoissance des
Lois auxquelles elle est soumise, puisque ces Lois n'y sont pas tra-
duites. Le même inconvénient existe dans quelques communes du
Département de la Meurthe et du Doubs » 6. Le remède leur paraît
être d'instituer un Bureau central des Traductions. Ce même 2 juin,
Roland, ministre de l'Intérieur, transmet à son collègue de la justice
une proposition de Simon, secrétaire interprète du Bas-Rhin por-
tant établissement de ce bureau central 7.

1.Ainsi la Société de Lectoure qui fit traduire en dialecte la Déclaration des Droits
(Arch. du Gers, L. 699. Reg. de la Soc. pop. de Lectoure).
2. Frère Gloxin a demandé à ce que M. Decker soit invité à faire un grand nombre
d'exemplaires de la Constitution, pour les vendre à bon marché aux frères. Nommé
des commissaires pour faire les traductions (2 oct. 1791, Leuillot, Les Jacobins de
Colmar, p. 38).
3. Voir la loi du 19 nov. 1790 sur les Sociétés libres, réimprimée traduction
avec
en allemand chez F. G. Levrault (Impr. du B.-R.).
4. Voir la loi sur les Sociétés populaires du 9 oct. 1791, traduite dans brochure
une
à part chez F. G. Levrault (Impr. du B.-R.). V. Catal. du Alsatica de la Bibl. d'Oscar
Berger-Levrault, Nancy, 1885, 1re et 5e partie.
5. « Une chose inconcevable, c'est que les trois quarts de
ce département qui ne sont
familiarisés qu'avec la langue allemande, n'ont peut-être jamais
d' une loi ou instruction quelconque traduite reçu un seul exemplaire
en cet idiome. »
(Journ. du cn Clémence, envoyé à Metz le 26 août
an Ier de l'égalité (1792 Arch.
des Aff. étr., France, I, 408, 668).
6.
Arch. N., AA. 32, n° 17877, I, v°. Simon était parmi les signataires.
7. Arch. N., AA. 32, doss. 3.
TRADUCTIONS SUR PLACE 39

Mais le ministre hésitait. Il craignait non sans raison que, pour


l'allemand, on n'employât un langage trop correct au lieu de celui qui
était en usage dans les départements du Haut et du Bas-Rhin, de
la Moselle, etc. 1. Finalement, il ne semble pas qu'on se soit jamais
arrêté à aucun plan uniforme. C'est là du reste chose qui intéresse
surtout l'histoire de l'Administration ; il importait seulement de
marquer ici les intentions. Les premières Assemblées n'ont pas
fait la guerre aux idiomes, elles ont au contraire tenté de s'allier
avec eux pour faire connaître et comprendre la Révolution.

1. Arch. N., AA. 33.


LIVRE IV
LA BATAILLE DES ÉCRITS

CHAPITRE PREMIER
PUBLICATIONS EN DIALECTES

— Il n'entre pas dans mon des-


PETIT NOMBRE DE CES PUBLICATIONS.
sein de faire ici la revue des publications en dialectes. Le regretté
Gazier a retrouvé celles que s'était procurées Grégoire, et il les a
jointes aux lettres sur les patois. Le Dr Noulet en a signalé d'autres.
On pourra encore glaner bien longtemps derrière eux 1. Notre docu-
mentation sur ce point est à l'heure qu'il est, ridiculement insuffi-
sante. Même à Paris, les journaux imaginaient des pièces comiques
en patois 2.
Ce sont en grande partie des curés patriotes et constitutionnels
qui se sont servis de ce moyen. On comprend pourquoi. C'est parmi
eux que se trouvaient les demi-érudits et les bilingues capables de
faire passer les idées révolutionnaires d'une langue dans l'autre 3.
Les Sociétés des Amis de la Constitution, vrais foyers de propa-

1. Voir Chanson sur la Constitution faite par un paysan du canton de Salignac, électeur
au départt de la Dordogne. C'est le patois sarladais. L'auteur y chante la victoire de
l'égalité. M. Gust. Hermann, qui la publie, suppose qu'elle a dû être chantée dans les
fédérations de village à village. La Révol. fr., 1900, t. XXXIX, p. 508).
Cf. Ei Marseilles, adresse emé la tradussien (1792) Discours de Dubois Sarrayer, aux
A. d. l. C. d'Aix, 1790 ; (Mary-Lafon, Hist. pol., relig. et litt. du midi de la France,
Paris, 1842, 4 vol. in-8°).— siege soustengu per la ville de Carpentra
— Relatioun dei(en vers),
contre l'armade dei brigan avignounes, 1791 Poemes carpentrassiens, 1857.
2. Voir dans les Actes des Apôtres une lettre des habitants de Mauville (village du
District d'Arras) à Robespierre pour remercier du don de 30 000 liv. en faveur des pauvres
des 83 dépts. 13 pauvres hommes dans le village ont eu 14 sous (n° 224, p. 4). Le n° 238
contient une complainte sur l'élection de l'évêque intrus dans l'Aisne Au couplet 18
intervient le maire d'Haramon. Il parle patois. Et en bas de la page se trouve une note :
« Nous avons cru qu'il était très naturel de faire parler nos électeurs picards dans le
patois de leur pays » (p. 10).
3. Ils ont naturellement été victimes des brocards et des facéties.
Lou pauré pèro Cayla
N'a toundut sa barbo
Lou pauré pèro Cayla
N'a boulgut se desfrouca
L'argaut y pès abo
L'a foutut en la
Lou paouré pèro, etc.
42 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

gande et écoles de patriotisme, ont été très favorables aux publica-


tions en patois.
Les clubs sont même des centres où chacun apporte ses produc-
tions : dialogue en patois sur l'impôt ou poème patois de l'abbé
Bernady, etc. 1.
A Montauban, le 10 mai 1791, il fut donné lecture d'un dialogue
patois, au sujet de la nomination de M. Sermet comme évêque de
en
Toulouse. Ce dialogue mérita les applaudissements de l'Assemblée.
Il fut imprimé par les soins du club 2.
II y a de tout naturellement dans cette littérature politico-reli-
gieuse, des dissertations, des lettres, des discours, des satires, des
chansons. Mais, si elle est assez variée, elle est malgré tout extrê-
mement pauvre. En y ajoutant les pièces qu'on pourra retrouver,
on ne composera jamais qu'un maigre recueil, qui ne pourra se
comparer aux millions de publications françaises.
Ces réserves ne vont pas à dénier toute influence aux écrits en
patois, loin de là : le nombre ne fait pas tout. Une situation politique
se trouve parfois retournée par un mot heureux qui porte. Qu'on se
rappelle certains événements de notre temps, par exemple la disgrâce
de M. Buffet en 1875-1876. S'il ne fut pas élu au Sénat, malgré sa
grande influence dans le département des Vosges, quelques pages
contribuèrent probablement plus à son échec que de graves rai-
sons politiques 3. Elles étaient si pleines de malice railleuse que des
Coummo un bouc èro pudent,
Aquel pauré pèro ;
Coummo un bouc éro pudent,
Et fumat coummo un aren
Lous péous lou roudabou ;

Hélas ! qu'un tourment.


Coummo un bouc, etc.
(Annales révolutionnaires, t. XIV, 1922, p. 430).
1. V. Galabert, Le club jacobin de Montauban. Voici quelques titres que je traduis :
Discours prononcé à l'occasion de la Fédération par Sermet, futur évêque métropo-
litain du Sud (Rec. Grég., n° 22); Dialogue entre le P. Sermet et maître Guillaume
(Ib., 21) ; L'Aristocratie chassée de Montpellier (Ib., 4); Dialogue entre électeur
qui a procédé à l'élection de 70 curés pour le district de Toulouse et un
un dévot de la
même ville (Ib., 20) ; Lettre du maire d'Egletons aux paysans de voisinage
son
(Ib., 18) ; Chanson nouvelle sur un air français (Perpignan) (Ib., in-4°, n° 1) Profes-
;
sion de foi (même recueil, ms.. p. 623); La France régénérée de Bernady; L'avis
salutaire de M. Salivas au brave monde de la campagne; La Verité, déployée
poète villageois... par Remuzat de Marseille (Bouch.-d.-Rhône, III, 707). par un
— L'Almanach
du Père Gérard passa en langue du Comtat-Venaissin 1792.
2. Un exemplaire se trouve dans un recueil factice enintitulé Révolution, à la Faculté
de théologie de Montauban. Voir La Révol. fr.. t. XXXVI, 1899,
3. Le titre, que je cite de mémoire, était quelque chose p. 404.
comme ceci : Lo grand
discours qu'é fa lo Toinon di p'tit Batiste Conseil municipal de Barbey-Seroux,
y
séance, di tot qu' le conseillés s' chofinzor coté di foné (Le grand discours
devant lé
Toinon du petit Baptiste au Conseil municipal e qu'a fait le
do Barbey-Seroux, avant la séance, du
temps que les conseillers se chauffaient à côté du fourneau).
PUBLICATIONS EN DIALECTES 43

électeurs sénatoriaux, partisans du candidat, eurent peur de se faire


moquer en votant pour lui.
Mais je dois dire qu'on se ferait une idée fausse, presque ridi-
cule, du rôle que jouèrent patois et dialectes en ne tenant compte
que des pièces imprimées ou manuscrites. La difficulté à les employer
ainsi était trop grande. C'était un travail de lire du patois, et dont
on n'avait aucune habitude. C'en était un aussi et bien plus grand
de l'écrire ; au contraire, dans la conversation, il retrouvait tous ses
avantages de langue usuelle.
CHAPITRE II

PUBLICATIONS EN IDIOMES

EN BRETAGNE. Il n'y a, à ma connaissance, qu'une province à



idiome pour laquelle une enquête d'ensemble un peu approfondie
ail été entreprise, c'est la Bretagne 1.
Dès le commencement de la Révolution, on y voit traduire des
pièces importantes, la Déclaration de la Noblesse du 10 janvier 1789,
dont on tira 7 000 exemplaires en français, 3 000 en breton et une
Circulaire aux Bas Bretons des environs de Quimper sur les demandes
à soumettre dans l'intérêt du peuple.
Le 13 décembre 1790, le Directoire avait chargé Jannou et Guillier
de traduire la proclamation sur les menées des prêtres réfractaires
dans le Léon, rédigée par Daniel et Morvan. On la tira à 3 000.
Cette pièce devait être répandue dans les campagnes. Elle paraît
malheureusement perdue.
Dans ce pays où la foi était si vive, et où il était si nécessaire
d'apaiser les inquiétudes causées par les prétendues atteintes por-
tées à l'Église catholique, les « schismatiques » ont beaucoup écrit
en breton pour se défendre. Gazier mentionne sous le n° 5 (p. 642
du ms.) une pièce datée du 12 février 1791. C'est une adresse aux
paysans et aux prêtres sur la question religieuse. Suit un discours
à ce sujet au nom de douze assermentés et une lettre de la munici-
palité de Carhaix adressée à celle de Brest, relative, elle aussi, à
la même matière.
Le 12 août 1792, Le Gall, curé constitutionnel de Plounéour-Trez
écrivait au citoyen Du Couédic, procureur-syndic du district de
Lesneven, une lettre intéressante. Il est possible que l'on découvre
encore d'autres productions de ce genre. Il faut noter aussi des
pièces d'un caractère moins spécial, comme le Manifeste des Amis
de la Constitution de Quimper (1791).

1. Voir article très solide de Daniel Bernard dans Ann.


un
1911-1912, p. 605 suiv.
de Bretaqne, XXVII,
et et XXVIII, 1912-1913, p. 287 et suiv. Il a été formé aux
Archives du Finistère une collection des documents en breton de cette période.
PUBLICATIONS EN IDIOMES 45

Dans le Morbihan, même souci de « propager l'esprit public ». On


traduit l' Almanach du Père Gérard, et, le 3 avril 1792, 40 exem-
plaires de la traduction étaient distribués entre les municipalités et
les juges de paix « revêtues des formes picquantes et de l'expression
énergique et naïve de l'idiome celtique » 1.
Pourtant, même en Bretagne, les assemblées départementales ne
prenaient pas toujours le soin de traduire les écrits de propagande,
tant s'en faut. Ainsi le Conseil général des Côtes-du-Nord décidait,
le 14 novembre 1790, d'imprimer trois mille exemplaires des obser-
vations de Le Coz et de les distribuer aux municipalités et au clergé.
Il ne songe pas à les faire passer en breton 2.

EN FLANDRE MARITIME. — Depuis la destruction de Thérouanne,


le pays étant rattaché à l'évêché d'Ypres, le clergé se trouvait sous
une autorité étrangère. Le 24 septembre 1789, l'évêque, Charles d'Ar-
berg, rédige un mandement aux fidèles de la partie française de son
diocèse. Il est en français, mais avec le flamand en regard 3. L'évêque
d'Ypres continua ses interventions. En 1791, il adressait une lettre
au principal et à des professeurs du Collège de Bergues qui avaient
prêté le serment et où il les excommuniait. Cette lettre est traduite
en flamand, ainsi qu'une autre adresse du même aux administrateurs
du district d'Hazebrouck. Malgré cela, il ne semble pas que la
Flandre flamingante ait été fortement travaillée ni par les émigrés
ni par la contre-révolution.
Quand on eut un évêque constitutionnel dans le Nord (Primat),
on le vit, lui aussi, s'adresser aux fidèles en flamand pour leur
expliquer la Constitution civile du clergé (11 avril 1791)4.
Il fut en cela très secondé par un de ses prêtres, Deschodt, de
Steenbecque, infatigable traducteur. M. Lemaire croit que c'est
Deschodt qui traduisit le mandement; en tous cas on a de celui-ci :
Een Woordje over den eed des geystely kkeyd aen het ge-

meente van Duynkerque (Un mot sur le Serment Constitutionnel, au
peuple de Dunkerque s. l. n. d.); Almanach van de Vader Geeraerd
vor het Jaer 1792 etc.. Tot Duynkerke by vrieden der Constitutee
(Almanach du Père Gérard, de l'année 1792... A Dunkerque chez les
amis de la constitution) 5. En 1793, il traduisait toujours. Il publia

1. Cf. La Société populaire régénérée et épurée d'Hennebont à tous les citoyens du


département du Morbihan (Rec. Grég., n° 4 des in-4°).
2. Arch. N., F'1c III, Côtes-du-Nord, 1. Séances du Cons. G 1, p. 37.
3. Placard in-f°. Signalé par le Dr Lemaire de Dunkerque.
4. Rec. Grég., n° 6 des in-4°.
5. O. c, 767, n. 1.
46 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

la Constitution et les Droits de l'Homme, et le Directoire en décida


l'impression et l'envoi à toutes les communes 1.
Malgré tout, ceux qui ont étudié le pays à cette époque, MM. Le-
febvre, Lennel, Lemaire, s'accordent à penser que les pièces en
flamand sont de rarissimes exceptions, dues probablement en partie
au zèle d'un homme. L'usage n'était pas d'imprimer en flamand
avant la Révolution. Il n'y avait ni raison ni possibilité de le créer,
et, dans les années qui suivirent, tout ou à peu près tout se
publia en français.

EN LORRAINE ALLEMANDE. — On dut sentir vivement le besoin de


s'adresser en leur langue aux habitants de l'ancien bailliage alle-
mand. Hentz, quand il était encore juge de paix du canton de Sierck
(district de Thionville), avait composé un opuscule pour prémunir
les habitants des campagnes contre le fanatisme; il écrivit à la Légis-
lative pour demander qu'il fût traduit en allemand, en même temps
qu'on l'imprimerait en français (20 décembre 1791) 2. J'ignore ce
qu'il advint de cette proposition et s'il en fut fait d'autres.

LE CAS PARTICULIER DE L'ALSACE. OBSERVATIONS GÉNÉRALES. — Je


serais porté, si dans cet exposé général je pouvais multiplier les
divisions, à mettre, parmi les pays à idiome, l'Alsace tout à fait à
part. En effet elle parlait un dialecte allemand, mais tous ceux qui
avaient quelque culture avaient appris à lire et à écrire l'allemand
littéraire, langue de culture approfondie et ancienne, apte à toutes
les controverses, et qui venait justement de prendre complètement
conscience de son génie. Un magnifique et soudain développement
dont nous avons parlé dans un précédent volume, l'avait portée à
une place éminente. Il est bien clair que les oeuvres allemandes
étaient, par suite des affinités de race et de langue, destinées à plaire
au monde cultivé d'Alsace. En second lieu, d'étroites relations d'un
autre ordre, religieuses celles-là, existaient entre une partie de la
population et les protestants d'Allemagne. Enfin, des liens positifs
et légaux, des serments liaient encore quantité de sujets du roi de
France à des princes allemands.
Soit dans le Haut-Rhin, soit dans le Bas-Rhin, au rebours de ce
qui se passa ailleurs, c'est l'écrit publié exclusivement en français
qui fait exception.
Les autorités civiles s'adressaient au public
en deux langues. Les
1. 24 juin 1793, 33 p., Arch. dép. du Nord, L. Distr. d'Hazebrouck, 7, f° 104,
dans Lennel, o. c., 77.
2. Guill., Proc. verb., Com. I. P. Lég p. 60.
,
PUBLICATIONS EN IDIOMES 47

autorités ecclésiastiques les imitaient : Constitutionnels aussi bien


que Réfractaires, Brendel 1 comme le Prince de Rohan 2, restèrent
fidèles à un usage nécessaire.

LES SOCIÉTÉS POPULAIRES. — Les Sociétés populaires alsaciennes


se fussent bien gardées, elles aussi, de se cantonner dans le fran-
çais; c'eût été réduire leur action que de mettre entre eux et les
gens qui savaient lire l'obstacle d'une langue étrangère 3. Les pre-
mières publications en allemand parues sur leur ordre ou sous leur
impulsion remontent à 1789. A mesure que les événements mar-
chèrent, elles se succédèrent presque sans interruption.
Les questions religieuses en ont provoqué une foule 4. Il s'agissait
en effet « de détruire les fâcheuses impressions des prières, des
neuvaines perfides » 3, et aussi l'effet des mandements dont « l'évêque
du Collier » et l'évêque de Bâle foudroyaient les schismatiques.
En effet, les contre-révolutionnaires n'étaient pas plus chiches de
leur prose que les patriotes.
Mais c'était à tout propos et sur tous sujets qu'il fallait instruire
et combattre, en Alsace comme ailleurs. Les Jacobins n'épargnèrent
ni efforts ni dépenses. Le 1er juin 1791, la Société de Strasbourg
arrête qu'il sera fait une instruction allemande pour les campagnes
(cf. 4 juin, où on lit l'adresse). Euloge Schneider travaille sans
relâche. Le 7 février, il donne un Discours sur les dangers de la
désunion; le 27 avril, Une parole sérieuse aux citoyens de Strasbourg
(Reuss, Const. civ., II, 76). Le 23 août, paraît une Adresse des Fran-
çais aux peuples et soldats de l'Empire; le même jour, Adresse aux
électeurs. Le 15 septembre, il s'offre à traduire le Discours sur le
républicanisme, et ainsi de suite.
Les propagandistes strasbourgeois avaient, il faut l'ajouter, de
vastes ambitions; ils entendaient non seulement agir sur leur dépar-
tement, mais entraîner l'opinion des pays d'Outre-Rhin, et c'était
une raison de plus de s'exprimer en allemand. Ils ne perdaient pas
1. Voir Lettre des catholiques de Strasbourg à N. S. Père le Pape Pie VI, 19 janv. 1790,
dans Reuss, Const. civ., I, 42.
2. L'évêque réfractaire de Rohan fait imprimer (2 mai 1791) un bref du St Père
en latin et en allemand (Voir Reuss, o. c, I, 201 ; cf. Id., Ib.. II, 39). De même
l'évêque de Bâle fait en deux langues sa protestation contre la nomination de Martin,
évêque du Haut-Rhin (5 av. 1791, Id.. ib., I, 242).
3. La Feuille villageoise nous a dit le retentissement qu'ont eu les papiers allemands
lancés par les Jacobins d'Alsace : « La Société des Amis de la Constitution a publié en
allemand des écrits qui ont réuni tous les coeurs » (jeudi 16 juin 1791).
4. Citons : Catéchisme de raison, de morale et de philosophie (26 oct. 1790, dans
Heitz, Soc. pol., 63) ;
— Lieber Herr Mayer und Mitbrüder
(20 déc. 1790, dans Reuss,
Const. civ., I, 15) ; Grégoire sur la légitimité du serment (janv. 1791) ;
— Discours de1791; —
Discours de l'abbé Voegel (6 mars cf. Le Glaneur alsacien, 21 août 1870).
5. 1er mai 1790, dans Heitz, Soc. pol., 39.
48 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

leur peine. Une poésie composée par Rouget de l'Isle pour


toujours
septembre 1791, l'Hymne à la liberté, fut traduite par
la fête du 25
de Dietrich allemands et distribuée au peuple, qui
les soins en vers
la place d'Armes (place Kléber). Elle vint aux oreilles
la chanta sur
la reprirent
des habitants du Brisgau qui, de l'autre côté du Rhin,
et l'apprirent à leur tour.
Souvent l'original venait de France. L'Almanach du P. Gérard
servit longtemps sous ce titre : Haus und Dorf-Kalender des alten
Vaters Gerhard... für das vierte Jahr der Freiheit 1.
Le même esprit, avec moins d'ambition, régnait à Colmar, dans
les réunions de patriotes. Lucé, pasteur protestant, prononça le
10 avril 1791, en allemand et en français, l'éloge de Mirabeau; cet
éloge fut imprimé par ordre de la Société des Amis de la Cons-
titution 2.
Des villes plus petites, telles que Sélestat, avaient leur club et
souvent leurs écrits à elles 3.
Il est inutile de pousser plus loin ces investigations. Les deux
partis rivalisent. Du côté des contre-révolutionnaires il n'y a pour
ainsi dire qu'à puiser. Dans son livre La Contre-Révolution en
Alsace de 1789 à 1793, F. C. Heitz a entassé une foule de documents;
pour mieux dire, le volume en est tout entier composé. L'ouvrage
de Reuss sur la Constitution civile du Clergé apporte d'autres pièces,
en nombre immense 4.
Heitz avait réuni, à lui seul, environ 8 000 brochures, pamphlets,
feuilles volantes contre-révolutionnaires, qui forment aujourd'hui
une des sections de la Bibliothèque de Strasbourg. On y trouve la
preuve que nous sommes ici dans une province à part, où le rôle
du langage concurrent ne peut se comparer au rôle du basque ou
du breton.

1. (Strasburg. Akademische Buchhandlung. Bib. U. Str., M. 109 400). On le distri-


buait, on le faisait lire dans les carrefours. Il est suivi de deux pièces de vers, dont la
première, à propos de la déclaration de l'Assemblée Nationale aux peuples de l'Europe
du 29 décembre 1791 a été composée « par un paysan allemand des bords du Rhin ».
2. Leuillot, o. c, 22. On trouvera dans ce livre l'indication des publications en
allemand faites sur l'ordre des Jacobins de la ville : Discours de Benjamin Gloxin,
14 juillet 1791 (p. 33) ; autre discours du même, 18 juillet (p. 34), etc.
3. « Je vous fais passer 4 Exempl. et 8 en allemand de la reponse faite par un Brave
defenseur de la patrie au pamphlet seditieux intitule Dialogue de trois Grenadiers de
l'armée du Rhin. Je vous invite de faire la lecture par toute la Ville en allemand et
en français. Signé Zaëpfel, Cre du Direct, exécutif près la com. de Schlestadt, Cor-
respce de la Munic, de la Cne de Schlestat, Registre General, 17. 17 Germ. an IV
de la Rep. fr., N° 291, Arch. de Schl., D. Vb 2. p.
4. Quelques exemples: En 1791 paraissent allemand les Instructions à tous les
en
Strasbourgeois qui ont le droit de chasse en cette ville, écrit contre-révolutionnaire de la
dernière violence (Reuss, Const. civ. I, 76; cf. Les Alsaciens trahispar eux-mêmes, (Id.,
Ib., I, 114, n. 1). Le 1er mars 1791, la Société ordonne l'impression deux langues
d' une adresse aux électeurs protestants (Id., Ib., I, 137). en
PUBLICATIONS EN IDIOMES 49
Encore faut-il bien remarquer que la langue des imprimés n'est
pas le dialecte que l'on parle, mais la langue littéraire que lisent
sans aucune peine tous ceux qui ont un commencement d'instruc-
tion, une langue en somme étrangère. D'où les colères qui écla-
teront bientôt et qui amèneront les persécutions.

LES JOURNAUX. — Les journaux, comme les brochures, étaient en


général en allemand. Assurément il y eut à Strasbourg des journaux
français, d'abord les Affiches, qui devinrent bilingues 1; puis le
Courrier politique et littéraire des deux nations, qui n'était qu'une
entreprise de publicité (1790); la Feuille de Strasbourg ou Journal
politique et littéraire des rives du Rhin, de Chayrou ; la Feuille hebdo-
madaire et politique de Simon (1789-1790); la Chronique de Stras-
bourg, d'Ehrmann 2. Plusieurs de ces journaux français, tels que
le Courrier de Strasbourg et le Courrier de Paris de Laveaux,
n'étaient pas faits pour l'Alsace, mais plutôt pour Paris 3.
La Feuille hebdomadaire patriotique (Patriotisches Wochenblatt,
dont le n° 1 avait paru le 6 décembre 1789) tenta de paraître en
deux langues. Mais, le 20 janvier suivant, on supprimait la partie
française, qui n'était pas lue 4.
Donnons seulement quelques titres de journaux en allemand :
Argos oder der Mann mit hundert Augen. Strasb. chez J. Stuber,
1792 (le 1er n° est du 3 juin); — Der Freund des Volks (édité par
quelques gardes nationaux, 1790); — Journal der neuen Staatsver-
fassung von Frankreich (Le n° 2 est du 7 octobre 1791);
— Der
Kriegsbote (1792);— Die neuesten Religions-Begebenheiten in Frank-

1. Les Affiches étaient passées en 1787 à Saltzmann, pour en faire un journal poli-
tique destiné à contrebalancer l'influence des journaux allemands. En 1794, elles seront
réunies au Weltbote. Le journal changea encore plusieurs fois de titre.
2. Elle fut remplacée par un journal allemand : Das Nationalblatt für das Nieder-
rheinische Departement. Après cela, Ehrmann publia encore un journal allemand : Die
politische Strassburgische Zeitung.
On trouvera la liste des journaux de Strasbourg dans Heitz, Les Sociétés politiques de
Strasbourg, VII-VIII. Les Archives municipales de Strasbourg conservent deux volumes
de journaux. Le premier est formé de numéros dépareillés de diverses feuilles (0.5342f).
La Bibliothèque Nationale est beaucoup plus riche.
3. Voir Reuss, Const. civ., II, p. 60.
4. Voir Beylage zum 7 tien stück (20 jenner 1790, p. 58):
Avis. La plupart de MM. les Abonnés français, entendant également la langue alle-
mande, & leur nombre étant très petit, on a jugé à propos de supprimer le français &
de ne donner à l'avenir qu'une feuille allemande. Cependant les articles d'une impor-
tance majeure seront donnés dans les deux langues par la même feuille.
Nachricht. Da die meisten französischen Herren Abonnenten, die beyde Sprachen
verstehen, das deutsche Blatt gewählt haben ; so ist nicht mehr der Mühe werth auch
eine französische Auflage zu machen. Doch sollen künftig auch die Artickel von gar
grosser Wichtigkeit in beyden Sprachen auf demselben Blatte vorgewagen werden,
welches selten der Fall seyn wird.
Le rédacteur de cette feuille est Simon (Strassburg, Lorenz und Schuler (M. 109.399).
Histoire de la langue française. IX. 4
50 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

reich (1792, de Kaemmerer ; journal des assermentés) ; — Ge-


schichte der gegenwaertigen Zeit (1790-1792, de J.-F. Simon;
Schneider y collabora); — Nationalblatt (le n° 50 est du 17 mai 1791);
Politisch-Litterarischer-Kurier(le 1er n° est du 2 décembre 1789);

Privilegirte Strassburgische Zeitung (1789, — Strassburger Kurier

(1er janvier 1793), par J. Frantz (1793-1795); — Strassburgisches
Politisches Journal (1790-1793, de Cotta de Stuttgart, l'ami de
Schneider, qui épousa sa femme d'un jour); — Weltbote (le n° 12
est du 13 germinal an II); — Wöchentliche Nachrichten für die
Deutsch-sprechenden Einwohner Franzosen, besonders aber für die
Handwerker und Bauern. Freyheit und Gehorsam (publié par
André Ulrich; le 1er n° est du 7 janvier 1791).
Strasbourg était naturellement le centre de cette presse, mais on
trouve des journaux bien ailleurs, ainsi à Haguenau : Der wahre
elsässische Patriot (1791). On notera que le District interdit ce
journal, convaincu que le but de son rédacteur était de transmettre
par la traduction à la connaissance des citoyens de la campagne,
les principes empoisonnés qui infectent la capitale! (Reuss, Const.
civ., I, p. 187).
Autrement dans toute l'Alsace, idées, formules, mots d'ordre fran-
çais, habillés à l'allemande, étaient lancés : Nur Sieg und Freyheit oder
Tod ! — In dem ganzen Koenigreich Sind wir Franken alle gleich !
(La victoire et la liberté, ou la mort. Dans le royaume entier tous
les Français sont égaux), etc.
CHAPITRE III

RÔLE DU FRANÇAIS

DÉLUGE DE PAPIERS.
— Les faits que nous venons de constater
en Alsace sont exceptionnels. Ils ne doivent point nous faire
perdre de vue le reste du pays. En général, les écrits en patois ou
en idiome ne pouvaient entrer en balance avec les écrits en langue
française. Jamais les presses de Paris ou des provinces n'avaient
été aussi actives, et elles suffisaient à peine aux besoins. Ce n'est
pas une averse de papiers qui se répand alors sur le pays, c'est un
déluge. De mai 1789 à mai 1792, on vit naître un millier de jour-
naux ou d'écrits affectant la forme de journaux. Un citoyen, en y
employant toute sa journée, ne fût pas arrivé à les lire. La pro-
duction se ralentit un peu en 1791, pour reprendre ensuite tant
que dura le régime de la liberté. Cette histoire a été faite par
Hatin1. On peut trouver également tous les détails sur les livres,
brochures, pamphlets, etc., dans l'admirable Bibliographie de
Tourneux 2. La seule masse de ces énormes volumes où la place
principale est occupée par des titres, dira assez, même au lecteur
qui ne sera pas curieux de se reporter aux documents, ce que fut
alors la production des écrits de toute sorte en français. Que pèsent
auprès de cela quelques pages, quelques feuilles en idiome et en
patois ?
On trouve en tète d'un curieux dialogue, publié en Haute-Saône
et destiné à l'Apologie de l'Assemblée et de la Constitution, dont
l'auteur est visiblement un ecclésiastique, l'exposé des motifs qui
lui ont fait préférer le français. Voici la « Note du Rédacteur » :
« Le langage populaire étant
différent de village à village, et à plus
forte raison de province à province, la lecture des réflexions de

1. Hist. de la Presse... t. IV, V, et VI.


2. Bibliogr. de l'Hist. de Paris, Cf. Léonard Gallois, Hist. des journ. et des journal,
de la Rév. fr. Paris, 1845-6, 2 vol. in-8°,
52 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Claudine et des réponses de Pierrot, en occasionnant au Lecteur une


étude du patois, lui auroit inspiré du dégoût et distrait son atten-
tion. Cette considération m'a décidé à accepter l'honorable emploi
de Rédacteur de ce Dialogue, qui peut être utile au public 1. »
Au lieu de nous attarder à marquer une disproportion qui saute
aux yeux, mieux vaudrait montrer comment il se
pouvait faire que
les écrits français pénétrassent jusqu'à la masse ignorante. Assu-
rément nous n'avons pas le moyen de suivre tous ces imprimés
dans chacune des communes rurales. Certains d'entre eux, cela
n'est pas contestable, tels l'Almanach du Père Gérard2, Ouvrez
les yeux, l'Ami des citoyens, la Lettre de Creuzé-Latouche aux
habitants des campagnes, ont eu une immense diffusion du Nord
au Sud. Les journaux non seulement se débitaient, s'expédiaient,
se colportaient, mais se placardaient. Bon gré mal gré ces papiers
tiraient l'oeil, excitaient la curiosité.
Quoiqu'ils écrivissent en français, les rédacteurs avaient raison
d'espérer arriver jusqu'au coeur des villages. On le voit bien à la
confiance que témoignent ceux qui dirigent la Feuille villageoise,
qui, dès la première année, avait 15 000 souscripteurs, chiffre
énorme pour l'époque. Tout en souhaitant l'unification linguistique
comme un bienfait 3, ils ne se sentaient pas vraiment entravés dans

1. « Comme nous présentons nos idées en termes plus communicatifs, plus saillants et
plus énergiques dans le langage qui nous est propre et familier, elles perdent beaucoup
de leur mérite en les confiant à un organe étranger. Si donc le Lecteur citoyen prend
moins d'intérêt en lisant ce Dialogue sous ma plume, ce n'est pas la faute de Claudine
et Pierrot dont les réflexions patoises, naïves et pleines de sel dans leur langage, au-
roient pu intéresser davantage, c'est la faute du Rédacteur qui a tâché néanmoins de
se plier, malgré l'importance du sujet, à quelques expressions triviales et capables de
laisser reconnoître par-tout les idées et les images de Claudine et Pierrot » (Dialogue
entre un mari et sa femme sur la nouvelle Constitution rédigé et mis en François par
M. R. Electeur du Département de la Haute-Saône... Vesoul, J. B. Poirson Imprimeur
du Dépt, 1890, 1077, 8°. Bibl. Besançon, 277, 891. Communiqaé par M. A. Mathiez).
2. Voir une réimpression de L'Almanach du Père Gérard dans La Révol. fr., t. XVII,
p. 431. Sur les journaux des Jacobins, voir Hatin, Hist. de la Presse. VI, 447. La
Cour, elle, subventionnait diverses feuilles, le Chant du Coq, le Postillon de la guerre,
le Logographe.
3. « Le vaste empire François étoit autrefois partagé en un grand nombre d'états
divers et indépendans. Chacun de ces peuples avoit ses lois, ses habitudes et sa langue
particulière ; et chacun d'eux, en se réunissant, les avoiltconservées. Quand on voyageait
en France, on croyoit parcourir cent petits royaumes différens : de province en pro-
vince, et, presque de contrée en contrée, on se trouvoit en pays étranger. Le despo-
tisme tiroit parti de ce désaccord universel. L'union est amie de la liberté. La gloire de
l'assemblée nationale est d'avoir renversé les barrières et les privilèges qui divisoient la
France, d'avoir fait de ces domaines inégaux, de ces régimes variés, un juste ensemble,
un corps bien proportionné dans toutes ses parties.
De jour en jour, nous verrons disparoitre la bigarrure des coutumes
les changeront par-tout en lois générales. Cette uniformité, celle ; de nos législateurs
l'instruction
publique, celle des administrations produira bientôt l'uniformité dos langages
Picards et Gascons renonceront à leur patois, pour être aussi bons François et
langue que par le coeur » (n° 28, 7 avr. 1791). par la
RÔLE DU FRANÇAIS 53

leur entreprise par cet obstacle de la diversité des parlers 1.


Quiconque sait lire, sait le français, pensaient-ils. Et ils raison-
naient à peu près juste.

1. Coupé, curé de Sermaise, près Noyon, propose aux Jacobins (St-Honoré) des Vues
pour éclairer le peuple de la campagne (21 sept. 1791). Paris, Impr. du Patle fr. Arch.
N., A. D., VIII, 21.
Il préconise la rédaction d'une feuille de nouvelles, des almanachs, des chansons,
des airs à boire, des spectacles, des danses. Parmi les membres du Comité qui ordonne
l'impression: Roederer, Royer, évêque de l'Ain, Collot d'Herbois, Lanthenas. Aucune
allusion aux patois.
LIVRE V
LA BATAILLE DES PAROLES

CHAPITRE PREMIER
LES FÊTES

LES FÉDÉRATIONS.
— S'il faut se résigner à une ignorance à peu
près complète en ce qui concerne les innombrables paroles, envo-
lées à jamais, qu'échangèrent alors des millions d'hommes
— et de
femmes —, il y a des moyens d'apercevoir comment le français
s'infiltra dans les réunions organisées.
Aussi bien ont-elles joué un rôle directeur. Tout le monde sait
ce que furent les Fédérations, commencées en Bretagne dès 1788,
continuées dans l'Ariège et le Rouergue en août 1789. A partir
de ce moment, l'élan donné ne s'arrêta plus : fédérations de milices
voisines, puis fédérations de provinces, pour aboutir à la Fédé-
ration nationale.
Sans décrire ces journées, il nous sera permis d'insister sur leur
caractère fondamental. Elles consacraient non un rapprochement,
mais une fusion; c'étaient mieux que des visites de voisins à voisins,
c'étaient des rendez-vous où des frères longtemps séparés venaient
de loin se reconnaître : à Pontivy, les Bretons et les Angevins; à
Dôle, les gardes nationaux francs-comtois, alsaciens, champenois.
A Strasbourg, 2 281 délégués accourus non seulement d'Alsace, mais
de Lorraine, de Franche-Comté. A Lyon, 50000 hommes furent
réunis, appelés de partout, depuis Sarrelouis jusqu'à Marseille.
Finalement, les éléments actifs de 44 000 municipalités se rejoi-
gnaient à Paris 1. Le mouvement avait atteint les pays les plus
reculés, les plus habitués à vivre « séparés » : le Nébouzan, le Cou-
serans, le Comminges.

— Il y eut dans les fêtes locales ou régio-


RÔLE DU LANGAGE LOCAL.

1. Voir Sagnac, dans Lavisse, Hist. cont., I, p. 233.


56 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

nales des harangues en patois. Sermet, l'orateur célèbre qui avait


prêché carême
le devant Louis XV, prononça, lors de la fédération
du 14 juillet 1790, organisée par le bataillon de St-Geniès, auquel il
appartenait, un discours en patois 1, où il flétrit avec une extrême
vigueur tous les abus de l'ancien régime 2.
Cependant on peut considérer que c'est là un fait assez rare, dû
peut-être à la bonhomie de l'orateur, qui affectait de se tenir le
plus près possible de ses ouailles. Les documents relatifs aux Fédé-
rations sont uniformément en français 3. Assurément ce n'est pas
une preuve. Depuis longtemps on avait l'habitude de mettre par
écrit, en français, des procès-verbaux de réunions en patois. Mais
nous avons plusieurs relations circonstanciées qui montrent la part
faite à chacune des langues, ainsi pour la grande fête de Strasbourg.
Le lundi 21 juin 1790, le Maire et les officiers municipaux se
réunissent. Ils décident que les adresses et les pièces relatives à la
confédération générale seront traduites en allemand, imprimées et
envoyées sous cette forme au commandant de la garde nationale de
chaque ville, bourg et village du district de Strasbourg, avec une
lettre allemande qui contiendra les deux articles du décret du 8,
traduits également en allemand. Ceci était nécessaire pour « amener
du monde ». Le grand jour venu, les serments se prêtèrent dans les
deux langues. Il le fallait aussi « pour la sincérité » 4.
Il n'empêche que la fête fut toute française. Nous avons conservé
les pièces. Elles sont en français. C'est en cette langue que parlè-
rent les enfants, les jardinières. Or, beaucoup probablement ne
savaient que peu ou mal notre langue. Seul Blessig, au nom de
l'Université protestante, prit la parole en allemand. Il possédait le
français, mais sans doute il importait que quelqu'un rappelât la
tradition 3. L'exception ne fait que mieux ressortir le caractère
général qu'on avait voulu donner à la journée.
1. Extraits dans La Révol. fr., t. VIII, 1885, p. 917 et suiv.
2. Fr. Galabert a signalé combien l'évêque C. Sermet usait volontiers du patois. A
Montauban, le 6 mai 1791, « comme dans les réponses qu'on faisait à ses honnêtetés, on
se servait souvent de « M. l'Evêque », il leur dit en patois : « Continuez de m'appeler
père Sermet, comme vous faisiez il y a cinq ou six ans, quand je prêchais le carême »
(Le Père Sermet à Montauban, dans La Révol. fr.. t. XXXVI, 1899, p. 404).
3. Ainsi dans les Hautes-Alpes où il y eut Confédération des gardes nationales le
20 avril 1790 (La Révol. fr.. 1891, t. XXI, p. 82 et s.).
4. On avait fait ainsi à Colmar, le 12 avril.
3. Il commença ainsi : « Citoyens, Soldats, Habitants de la Meuse, de la Moselle,
de la Meurthe, de la Loire et du Rhin ; vous tous, Français, qui différez les des
autres par le langage et par le culte, mais que le même esprit réunit uns
Deux petits enfants furent baptisés, un protestant, catholique. Les actes sont en
un
latin, comme d'usage. Le petit catholique reçut les prénoms suivants Carolus, patritius,
:
foederatus primus Renatus augiensis (de la plaine) fortunatus, decimo tertio junij Die
foede ris inferioris Rheni natus. (V. Reg. bapt. Par. St-Laurent
(Cathédr.) Arch. Mun.
Str., N. 73).
LES FÊTES 57

Qu'on considère, en opposition avec la grande Fédération, la fête


célébrée quelques jours plus tard, le 25 août 1790, en l'honneur du
Roi. Tout change; on est entre Alsaciens, on revient à l'allemand.
Le 3 juillet, il est fait appel à un professeur de l'Université qui pren-
dra la parole — en allemand. Rien n'est plus instructif que ce
1

contraste.
Quand on se « fédérait », non seulement pour célébrer la nation
nouvelle, mais pour l'affirmer, le français s'imposait. Seul il donnait
son sens à la cérémonie. Se servir d'une autre langue eût été, non
seulement un manque de convenance à l'égard des délégués venus
des autres départements, mais une manière d'infidélité à la Patrie,
un reniement devant l'autel. Souvent on le savait mal. Qu'impor-
tait? Nous écoutons en de pareils moments ceux qui usent de paro-
les françaises non seulement avec indulgence, mais avec une sym-
pathie accrue. Nous leur savons gré de leur effort, au lieu de rire de
leur maladresse. L'impropriété des termes, l'étrangeté de l'accent
prennent de la grâce comme dans la bouche d'un enfant aimé qui
s'essaie à la parole. Je ne prétends pas que les dialectes ou idiomes
n'aient eu aucune place dans ces journées, loin de là. Autour de la
cérémonie, c'étaient des réjouissances, des beuveries, l'envers de la
parade officielle. La tension d'esprit, l'exaltation du coeur ne se
soutiennent pas indéfiniment, l'effort linguistique non plus. Les
patois reparaissaient furtivement dans les coulisses et les couloirs,
partout où on retrouvait les « pays » et où on choquait son verre
avec eux. Néanmoins il n'est pas excessif de soutenir que d'abord
le français gagnait à ces fêtes sa consécration officielle de langue
nationale, et qu'ensuite elles faisaient apparaître l'évidente néces-
sité de compléter par l'unité du parler la communion des sentiments.

PROJETS D'ORGANISATION. — Les années 1790, 1791, 1792 virent se


succéder ces solennités patriotiques, les unes commémoratives, les
autres politiques, les autres morales. On célèbre le souvenir du Jeu
de Paume, de la prise de la Bastille; on divinise Mirabeau; on trans-
fère Voltaire au Panthéon; on honore les Suisses de Châteauvieux,
etc. etc.
Peu à peu les idées de Rousseau sur les réjouissances publiques
ont pris figure de réalités. Les Révolutionnaires, après ces impro-
visations, du patriotisme, se sont rendu compte qu'il y a là une
institution nécessaire, un élément essentiel de l'éducation publique 2.

1. Reuss a cité de curieux discours prononcés aux fêtes par Goepp à Heiligenstein et
d'autres encore (Hist. de Strasb., p. 328 ; cf. Vieilles paperasses, p. 25 et suiv.).
2. Mathiez, Orig. des cultes, p. 77.
58 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Si l'instruction de la jeunesse doit assurer l'avenir, l'éducation des


adultes presse plus encore. Il s'agit en effet de précipiter et de
multiplier les conversions aux nouvelles doctrines, d'entretenir,
d'exalter la foi des citoyens, d'instituer la religion de la patrie,
qui prendra place d'abord auprès de l'autre, plus tard sera élevée
au-dessus d'elle, finalement sera appelée à la remplacer.
On trouvera dans les ouvrages spéciaux l'histoire des projets et
des décrets relatifs à cette matière. Mirabeau et Talleyrand y
avaient déjà donné toute leur attention 1. Sous la Législative, simples
citoyens et députés luttèrent d'imagination et de zèle. Barruel em-
plit un livre de réflexions à ce sujet 2. Condorcet fait des fêtes une
partie essentielle de son système d'instruction publique (20 et
21 avr. 1792) 3.
Il est évident que la langue nationale devait régner en maîtresse
dans ces réunions d'édification. Sur ce théâtre nouveau « on réci-
teroit des odes, des discours ; on y joueroit des pièces patriotiques,
composées pour les jeux... Presque tout le peuple pouvant se ras-
sembler dans la salle, huit ou dix représentations équivaudroient à
trente ou quarante sur les petits théâtres » 4.
Toutefois rien de systématique ne put être établi. On en resta à
la promesse contenue dans l'article additionnel de la Constitution :
« Il sera établi des fêtes nationales pour conserver le souvenir de la
Révolution française, entretenir la fraternité entre les citoyens, les
attacher à la patrie et aux lois ».
Mais bien avant qu'il y eût une législation, l'effet politique était
produit, les contacts avaient eu lieu dans des conditions excep-
tionnelles d'efficacité chaleureuse. On peut certifier que les résultats
linguistiques étaient, eux aussi, considérables.

1. Mathiez, Orig. des cultes, p. 8 1.


2. Plan d'éducation, p. 82. Il cite un Extrait des Vues patriotiques sur l'éducation du
peuple.
3. Mathiez, Orig. des cultes, p. 131-132.
4. Mme de Brulart, Disc. s. l'éduc. publ., p. 35.
CHAPITRE II
RÔLE DU CLERGÉ

LE CLERGÉ ET LA POLITIQUE.
— Entre ces journées qui marquaient,
se plaçait la longue suite des jours ordinaires ; mais, à cette époque,
beaucoup étaient signalés par un événement. Et, dans la plupart
des endroits, c'étaient à propos de tout des discussions sans fin.
Les réunions religieuses, sans tourner à la réunion politique pro-
prement dite, n'avaient pas tardé à perdre quelque chose de leur
caractère traditionnel. Les graves questions posées par la Constitu-
tion civile du clergé, la saisie des biens ecclésiastiques, etc., se débat-
taient à l'église et autour de l'église, avec un tel acharnement que
bientôt ce fut là le terrain où se heurtèrent le plus fréquemment la
Révolution et la contre-révolution. Les villages eux-mêmes furent
réveillés de leur torpeur. Les citoyens passifs comme les autres,
les femmes même se jetèrent dans la lutte.

USAGE DES PATOIS ET IDIOMES. On comprend que l'Église consti-



tutionnelle ait cherché partout des curés parlant patois et idiome
aussi bien que les réfractaires, vieux habitués des paroisses. C'était
pour elle une question de vie ou de mort que d'établir sa légitimité
auprès des fidèles les moins instruits, de la masse confessante et
communiante. En Alsace on faisait ou on laissait venir en renfort
des gens d'ontre-Rhin 1, mais que faire en Bretagne? 5 Grave souci

1. Voir Reuss, Égl. const., I, p. 197 ; II, p. 58.


2. On nous parle d'un discours en breton de l'abbé Morgan, procureur de Grand-
Champ (Morbihan). « La difficulté, ajoute-t-il, était de trouver un nombre suffisant de
prêtres sachant comprendre et parler la langue du pays. Les administrateurs d'Auray
le font observer au département en ces termes : « Nous ne voyons aucun jour aux rem-
et placements, si ce n'est pour les cures d'Auray et de Palais, qui peuvent avoir des
« pasteurs français, au lieu que, pour toutes les autres, il faut absolument qu'ils
« entendent et parlent le langage de leurs ouailles. Voilà une grande considération,
« qui n'a point échappé aux prêtres de ce district et dont ils ont tiré parti » (Arch.
dép. Clerg. cath. Personnel. Voir Jeanvrot, Le Masle, évêque const. du Morbihan dans
La Révol. fr., t. XXI, 1891, p. 499).
On organisa cependant le clergé dans 110 communes et on trouva 250 prêtres cons-
titutionnels.
60 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

les assermentés. Il n'y point de doute, en tous cas, que là où


pour a
avait l'habitude de s'adresser aux fidèles dans une autre langue
on
le français, la garda 1. Les réfractaires ne furent pas les
que on
moins attachés à des usages qui avaient l'avantage d'empêcher la
propagation d'idées malsaines. Pour l'Alsace les preuves abondent.
A Strasbourg, en janvier 1790, Ditterich (qu'il ne faut pas con-
fondre avec Dietrich), professeur à l'Université épiscopale, fit un
discours en allemand sur les dangers qui menaçaient la foi. Autres
discours de Schoell (26 octobre 1790), d'Euloge Schneider (12 fé-
vrier), de Yung (1er juillet 1792), de Schneider (11 Août); de
Gintzrot (7 octobre) ; de Kiechel (14 et 17 octobre) ; de Zimmermann
(7 avril 1793); de Butenschoen (23 juillet), etc., etc. Un jour, un
membre raconta en allemand ce qu'il avait vu à Paris (Jacob.,
10 septembre 1792, dans Heitz, Soc. pol., 239).
Pour le Haut-Rhin, le chroniqueur colmarien Billing a noté le
début des sermons en français: il ne se place que le 20 mai 1792
(Cf. Leuillot, o. c, 228, 230).

PRÔNES ET LECTURES.
— Il n'en est pas moins vrai que les « curés
rouges » et leurs affidés contribuèrent grandement à propager le
français. On connaît par les Lettres à Grégoire les dispositions d'un
certain nombre d'entre eux. D'autres les partageaient. La Feuille vil-
lageoise est un essai, tel que seuls pouvaient le tenter des gens rom-
pus à l'enseignement des simples, pour rendre les nouvelles et les
doctrines accessibles, pour expurger les textes de mots savants, et
les mâcher en quelque sorte, ainsi que des aliments qu'une mère
réduit en purée avant de les donner à des enfants encore petits.
Parmi ceux qui prenaient la peine d'ingurgiter cette nourriture
au peuple se trouvaient beaucoup d'ecclésiastiques.
« Comme les trois quarts ne savent ni lire ni écrire, dit Chabot,
je leur fais tous les dimanches après dîner, une instruction morale
en patois, et je leur explique ainsi les sages décrets de l'Assemblée
nationale » 2.
Dans les villages, les lecteurs bénévoles, c'étaient eux le plus
souvent. La Feuille villageoise le signale et s'en réjouit: « Une foule
de pasteurs bien inspirés du ciel... ont facilité l'intelligence de

1. On trouvera chez les historiens de l'Alsace de très nombreuses dans


les sermons, l'allemand était beaucoup plus employé preuves que,
que le français. A la Cathédrale
même, avant qu'elle fût devenue le temple de la Raison, les Euloge Schneider, les
Dereser prêchaient en allemand.
Brendel, né Allemand, nommé évêque, avant de prêter le serment, adressa le
21 février 1791 à la foule un sermon dans les deux langues (Reuss, Const. civ., I, 129).
2. Lett. à Grég., p. 52, 4 sept, an II. p.
RÔLE DU CLERGÉ 61

notre Feuille, en rassemblant autour d'eux les villageois qui dési-


roient l'entendre. Ils nous traduisoient dans leur langage ; ils répon-
doient aux doutes et aux questions, ou bien ils nous les adressoient
pour y répondre ; quelquefois même ils y joignoient des remarques
et des articles dont notre Feuille s'est enrichie. Ils expliquoient nos
leçons en particulier et nous distribuions les leurs en public »1.
Faisons la part de ce qu'il y a dans ce passage d'enthousiasme
apostolique, accordons qu'il exprime peut-être des voeux plutôt qu'il
ne retrace des faits réels. Il semble bien pourtant que, dans la réa-
lité, la Révolution trouvait les propagandistes dont elle avait besoin
surtout parmi les membres du clergé.
Nous avons plusieurs tableaux de ces réunions villageoises, mani-
festement pris sur le vif. Ainsi on écrit de Liancourt (près Clermont
en Beauvoisis) : « Nous en faisons (du journal) tous les samedis notre
délassement et nos délices : la maison commune s'est transformée
en un club patriotique où les journaliers, les artisans, les cultiva-
teurs, les gens de commerce, les bourgeois, le clergé de la paroisse,
et même quelques étrangers se rendent presque chaque semaine
avec empressement pour entendre nos leçons: un de nos prêtres
et moi nous sommes les lecteurs d'office, et nos disciples nous
écoutent dans le plus grand silence » 2.

COMMENTATEURS BÉNÉVOLES.
— Si les faits qu'on nous rapporte sont
exacts, il se rencontrait aussi « parmi les fermiers et les campagnards
bien intentionnés pour la terre » des citoyens dévoués qui, par
une grâce de l'esprit révolutionnaire et un peu, il faut le dire,
parce que des explications nombreuses accompagnaient les textes 3,
s'étaient mis à la langue politique au point de pouvoir l'inter-
préter aux autres campagnards : « De proche en proche, dit la
Feuille villageoise avec quelque lyrisme, les idées les plus rares
vont circuler et devenir familières. L'intérêt les propage, l'enthou-
siasme les accueille, l'attention les rend plus faciles à saisir. Voyez
les groupes de la place publique, entendez les orateurs en lambeaux,
et les dissertateurs en guenilles : ils parlent couramment la langue
de la tribune et celle des livres. Les expressions neuves, les termes
savants se sont mêlés au langage commun avec la même rapidité
que l'eau d'une pluie orageuse se mêle aux eaux des fleuves. Nous
comptions sur cette expansion miraculeuse des esprits; nous
comptions sur l'effet de tant de papiers qui précédoient ou accom-

1. N° 46, 11 août 1791, p. 360.


2. Feuill. vill., n° 13, p. 241.
3. Feuil. vill, 19 août 1791, p. 360.
62 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

pagnoient notre Feuille; nous comptions sur le zèle des munici-


palités, et la ferveur des clubs; enfin nous comptions sur les clartés
intermédiaires des habitans les plus instruits de la. campagne. Ils
n'ont pas trompé notre espérance ».

LECTEURS OFFICIELS. Un moment on eût voulu que cette organi-



sation devînt générale et régulière et qu'elle fît pour ainsi dire par-
tie du culte. Une étude de Mathiez a mis en lumière cette curieuse
1

tentative. C'est Grégoire qui, quelques jours après le décret relatif


aux traductions, proposa, le 9 février 1790, d'inviter les curés à faire
connaître au prône les décrets de l'Assemblée. Le 23, ordre fut
donné que le discours du Roi du 4 et l'adresse de l'Assemblée
Nationale du 11 fussent lus dans toutes les chaires.
On faisait fausse route, la suite le montra bien. C'était prier le
clergé de prêter son concours au gouvernement, mais c'était lui
donner en même temps la tentation et le droit de juger les décrets,
puisqu'il fallait bien, sous peine d'hypocrisie, les commenter en
conscience. On s'exposait par conséquent à les déférer en quelque
sorte à des gens qui parfois les réprouvaient. Si bien que, le 2 no-
vembre, un nouveau décret fut voté, où il était dit simplement que
les décrets seraient lus à l'issue de la messe paroissiale.
Les curés patriotes ou les municipalités instituèrent des lecteurs.
En Bretagne particulièrement, ils paraissent avoir été nombreux.
Dès le début de décembre 1790, dans le district de Rostrenen (alors
dans le Finistère), il était établi qu'il y aurait un lecteur patriote par
municipalité 2. Ces lecteurs devaient peu à peu devenir des prédi-
cateurs. Les Girondins, Roland en particulier, s'employèrent à
répandre une si utile institution de propagande 3.
Il est toutefois probable que les lecteurs ne se bornaient pas à

1. La Révol. et l'Égl., ch. II.


2. Arch. N., D.XIX, 102, f° 610.
3. Roland, dans une de ses circulaires, insiste sur la nécessité d'instruire
précieux à qui le défaut de moyens et la continuité de leursa travaux enlèvent ces hommes,
tant
d'occasions de savoir ce qui se passe et de juger avec discernement les intérêts de la
chose publique » (Mathiez, o. c, 50). Voir une adresse aux Sociétés. (Monit. du 22
mai 1792, Suppt Réimpr., XII, p. 449). On a publié un procès-verbal de nomination:
« L'an 4e de la Liberté, le 1er de l'Egalité, par la voye de Monsieur Albith, com-
missaire de l'Assemblée nationale, mil sept cent quatre vingt douze, le vingt et un du
mois de septembre, à l'issue de la messe paroissiale, été nommé
les papiers publics, en présence du maire et du procureura un lecteur pour lire
et des électeurs de la commune
de Cuverville Surgère, district de Dieppe, canton de Criel, et plusieurs citoyens,
été nomme M. Dupont, curé de ladite paroisse, qui accepté et a
a avec nous, ce que nous
avons signé le et
jour an que dessus à Cuverville. Detrimont, greffier, Dupont, curé
de Cuverville, Metelle, procureur de la Commune, Carouge, maire»
Roland, ministre de l'intérieur, envoya ses félicitations
sur cette mesure qui tend
à propager les lumières » (Annales révolutionnaires, t. XIV,« 1922,
p. 505)
RÔLE DU CLERGÉ 63

donner connaissance des textes français. C'eût été manquer à leur


fonction puisqu'il s'agissait essentiellement d'informer les illettrés.
Je me garderais néanmoins d'affirmer qu'ils traduisaient. Ils le fai-
saient peut-être où c'était nécessaire ; ailleurs, sans traduire, ils
expliquaient dans le langage du pays les mots et les phrases diffi-
ciles 1. Évidemment ce n'était pas là une école de purisme, c'était
encore une école de français.

1. On trouve expliqués dans la Feuille villageoise, pour les lecteurs de la campagne,


le sens des mots les plus répandus : révolution, constitution, assemblée nationale, décrets
sanctionner, etc. (jeudi 30 sept. 1790).
CHAPITRE III

LES SOCIÉTÉS POPULAIRES

parlé de ces Sociétés,


LES CLUBS ET LA LANGUE. — Nous avons déjà
centres de débats et d'action politiques. Toutes ne sont pas connues,
mais celles qu'on connaît se comptent par milliers. Des villages
infimes ont eu la leur 1. Il était sûrement dans l'esprit général de
ces Sociétés de favoriser par leurs discussions même la langue na-
tionale, instrument d'unité et d'égalité. A Marseille, en 1790, au
Club de la rue Tubaneau, le président, en ouvrant la séance, invitait
les citoyens à parler français, et cette recommandation était affichée
dans la salle 2. Nous verrons plus tard la Convention demander leur
appui aux Sociétés populaires pour combattre les « jargons ».
Mais autre chose est la doctrine, autre chose la pratique. A Callas
(Var), « deux membres, considérant « qu'il ne devait plus y avoir
«
d'autre idiome dans la République que le français, ce qui... rappro-
«
chait toujours plus de l'égalité », proposèrent « de ne plus parler
que français, et de ne plus faire de motions qu'en cette langue ».
La proposition souleva des réclamations, et amena l'intervention de
l'agent national 3. Comment, dans des pays où il avait fallu, en 1789,
expliquer aux paysans ce qu'on leur voulait avec les États Généraux,
n'eût-on pas composé avec les habitudes? 4

LE PEUPLE ENTRE DANS — Le développement des


LES SOCIÉTÉS.
Sociétés, loin de diminuer le rôle du patois, l'accrut. Au début
beaucoup d'entre elles se composaient de bourgeois qui savaient le
français. Mais elles auraient manqué leur but et ne seraient pas par-
venues au développement qu'elles ont reçu, si elles n'avaient groupé
qu'une classe de citoyens choisis. Dans les petites communes on vit

1. Voir Monit. du 7 mars 1791, n° 66.


2. Voir Fabre, Rues, V, 131, d'après la Tribune, org. de la Soc. Pop., et Hist. de
Marseille, 1829, II, 320, note, dans Brun, Mém. ms.
3. Poupé, La soc. pop. de Callas, dans La Révol. fr., t. XLIII, 496.
p.
4. Ainsi à Auriol, Arch. mun. d'Auriol, BB. 21, fol. 77, dans Brun, Mém.
ms.
LES SOCIÉTÉS POPULAIRES 65

propriétaires, artisans, laboureurs, domestiques s'y coudoyer frater-


nellement. Elles formèrent à proprement parler, les églises, au sens
antique du mot, c'est-à-dire les assemblées des fidèles de la Révo-
lution.

LE PATOIS EST ADMIS. — Aussi est-on autorisé à penser, pour ainsi


dire à priori, que les choses s'y passaient comme dans les assem-
blées de village de l'ancien régime et comme dans les réunions de
bien des Conseils municipaux d'aujourd'hui. L'ordre du jour, le
procès-verbal étaient en français, la discussion en patois, sinon tou-
jours, du moins souvent. Le Rapport de Grégoire, par les souhaits
qu'il exprime, autorise déjà cette supposition. Il contient même
une affirmation formelle : « Quelques Sociétés populaires du Midi
discutent en provençal »1. Grégoire était bien informé.
A Carpentras, entre 1789 et 1791, quand on réunit une assem-
blée de citoyens, le président fait toujours un court exposé en
langue vulgaire ; à Venosque, dans le voisinage, on en use de
même. A la Société des Amis de la Constitution d'Aix, chaque fois
qu'on lit une pièce importante, on y ajoute une explication en pro-
vençal.
A Marseille, le 8 novembre 1790, un garde national, âgé de
70 ans, prononce un long discours en patois au Club des Amis de la
Constitution, et le répète aux Amis de St-Loup, dans la banlieue
de Marseille 2.
A Digne, le 19 août 1792, le procureur général syndic tient un
discours en provençal sur les devoirs du citoyen 3.
On trouvera dans le Mémoire de Brun, quand il sera publié, des
détails sur les difficultés que causèrent ces questions de langue dans
la région. Un modus vivendi s'était établi spontanément depuis
1789, dit l'auteur, et il fut maintenu jusqu'à la dissolution des
Sociétés : on traduisait souvent ce qui avait été d'abord lu en fran-
çais, et quelquefois même on pérorait en provençal. A Apt, le Club
patriotique, à la séance du 17 avril 1791, constatant la difficulté qu'ont
les adhérents à prononcer la formule du serment, décide que le
secrétaire la prononcera, et que le candidat répondra seulement par :
« je le jure ». On s'abonne à la
Correspondance nationale, au Labou-
reur, ou à la Sentinelle. Mais le 11 juin 1792, un membre réclame
que la lecture du journal soit faite en provençal. Et après discus-
sion le Président prie l'orateur de faire la lecture en provençal de ce

1. Lett. à Grég., p. 308.


2. Arch. Dép., L. 2071, dans Brun, Mém. ms.
3. Aubert, o. c., Bull. B. A., III, 191. Arch. des Bsses-A., L. 848, dans Brun, Ib.
Histoire de la langue française. IX. 5
66 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

journal, mais de celui-là seulement, puis de continuer par la lecture


des autres en français 1.
A Nice, on chante aux Séances de la Société
populaire des chan-
français et en nissard. La citoyenne Aglaë charmait l'assis-
sons en
tance par ses chants en patois 2.
La Petite Revue des bibliophiles Dauphinois a publié les discours
patois prononcés par les citoyennes de Pommiers à la Société
en
des Amis de la Constitution, en 17923.
A plus forte raison, quand il s'agissait d'aller porter la bonne parole
au dehors, les Sociétés
sacrifiaient-elles la forme au fond.
C'est ainsi qu'à Montauban, l'abbé Calmels et Rivals proposèrent
d'enseigner gratuitement « les avantages de la Constitution » « aux
habitants non lettrés », et aux enfants dans le patois du pays
(9 janv. 1791).

DANS LES PAYS À IDIOME.


— C'est trop peu de dire que le langage
local domina, il était perpétuellement dans toutes les bouches. Les
Alsaciens tenaient à avoir des maires, des curés, des généraux
même parlant allemand ; c'est la raison pour laquelle ils réclamèrent
le vieux Lückner. Les bruits répandus sur l'interdiction de l'alle-
mand dans la gestion des affaires les inquiétèrent au point d'ame-
ner des protestations et des pamphlets, nous le verrons.
LA SOCIÉTÉ POPULAIRE DE STRASBOURG. — Constituée au commence-
ment de 1790, elle paraît avoir pris rapidement une grande
extension 4. Elle était au début peuplée de « Welches », mais beau-
coup d'Alsaciens ne tardèrent pas à s'y faire inscrire aussi. Il est à
croire qu'une partie seulement d'entre eux savaient le français, il
fallait donc faire sa place à l'allemand. Il fut décidé le 26 juin 1790
que les procès-verbaux seraient tenus en français et en allemand 3.

1. Cahiers mss., Bibl. de Marseille, n° 49012, 1791-1793. Il y aurait dans ces


Cahiers une Oraison funèbre de Mirabeau en provençal. eu
2. Combet, La Soc. pop. de Nice, dans Ann. de la Soc. des let.,
sc. et arts, XXI,
p. 400.
3. Année 1873-1874.
4. Dans son numéro du 27 Janvier, La Feuille politique de Strasbourg, qui avait
remplacé l'ancienne Gazette privilégiée, organe officiel du Magistrat
quelques lignes le programme des fondateurs : « Il s'est constitué à Strasbourg exposa en
le nom de Société de la Constitution, une société qui a sous
but de maintenir
lution, de surveiller d'un regard vigilant ses ennemis etpour la Révo-
d'écarter autant qu'il sera en
son pouvoir, les obstacles qu'elle rencontrera. Elle veut la paix, la tranquillité et
l'union ; elle considère comme le plus saint des devoirs l'exécution des décrets
l' Assemblée sanctionnés
de
par le roi, elle a choisi le nom qu'elle porte, afin de pouvoir
s'affilier à la Société de la Constitution de la capitale " (Seinguerlet, Strasb, pendant la

Révol. p. 34).

5. Voir Heitz, Soc. pol., 44. Malheureusement 1er


nous n'avons plus le volume de
LES SOCIÉTÉS POPULAIRES 67

Pour les discussions, une règle du 26 juin 1790 admit les deux
langues 1. Cela veut-il dire qu'on traduisait au fur et à mesure rap-
ports, discours, etc. ?2 C'eût été le seul moyen d'assurer satisfaction
à tous, mais les séances eussent été interminables. Il est plus pro-
bable qu'on ne procédait ainsi que dans les circonstances les plus
importantes. Il venait des délégués, des visiteurs, force était bien
de se mettre à leur portée; souvent le dialecte était seul de mise 3;
au contraire, avec des gens « de l'intérieur », et ceux-là étaient ceux
qu'on tenait surtout à entendre, le français était seul employé.
Dans la plupart des cas, la discussion se poursuivait, tantôt en une
langue, tantôt dans l'autre. On imagine l'ennui des auditeurs quand
l'orateur qu'on ne comprenait pas tenait un peu de temps la tribune.
On lisait les nouvelles. Comment traduire toujours les journaux,
si modeste que fût alors leur format?
Finalement le mieux parut être, pour éviter de graves inconvé-
nients et des récriminations, d'alterner, et de tenir tour à tour des
séances distinctes, les unes allemandes, les autres françaises. Un
membre en fit la motion le 23 juin 1791. L'idée plut. La Société
décida qu'il serait fait « un rapport du mode d'exécution de l'arrêté
qu'elle prend en même tems d'avoir une séance allemande ». Le 18,
on discuta ce rapport et il fut accepté 4.
Les séances de propagande au dehors avaient lieu aussi tantôt en

ces procès-verbaux. Le IIe et le IIIe sont conservés aux Arch. Munles de Strasbourg
(vol. 135 et 136). Les feuillets sont divisés en deux, verticalement. La colonne de droite
était destinée au texte allemand. Mais on ne l'y a pas consigné. Ces procès-verbaux
continuent jusqu'au 1er février 1793, c'est-à-dire après la scission de la Société (8 fé-
vrier 1792).
Les principaux orateurs étaient au début : Noissette le jeune, doué d'un remarquable
talent oratoire; Levrault, à peine âgé de trente ans, et qui, malgré son âge, remplissait
les fonctions d'avocat général; Frédéric Saltzmann, licencié en théologie protestante et
publiciste ; Champy et Arbogast, professeur de mathématiques, qui devint membre de
la Convention. Les orateurs de l'opinion la plus avancée ne furent pas des Alsaciens, ce
furent des Français de l'intérieur, des Welches (Seinguerlet, o. c., p. 36). Un grand nombre
de soldats, officiers, sous-officiers du 13e Infre, du 46e, etc, étaient entrés dans la Société.
1. Heitz, Soc. pol., 44.
2. A certaines séances on lit le procès-verbal en deux langues (par exemple 28 mai
1791 — et cependant il n'y a pas de texte allemand au registre —, 6 juin, 8 juin,
15 juin, 20 juin, etc.) ; d'autres fois en français seulement (25 mai 1791, 13 juin,
18 juin, 12 juill., etc.).
3. C'étaient parfois des hommes distingués, ainsi le poète Aug. Lamey, qui vint le
30 avr. 1791, jour de poésies allemandes.
Mais c'étaient aussi des paysans. Le 20 mai 1792, se présentent des cultivateurs. On
leur explique les mots aristocrates et démocrates. On leur donne l'Almanach du Père
Gérard, en allemand.
4. L'ordre du jour appelle le rapport sur le mode d'exécution de la séance allemande
proposée dans les précédentes séances. Le Rapporteur présente un projet d'arrêté en
plusieurs articles, dont la société arrête les suivants amendés et sous amendés :
Article 1. La Société aura quatre séances par semaine dont une allemande.
Art. 2. Le local sera nécessairement le même pour les séances françaises et
allemandes.
68 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

allemand, tantôt en français 1. Saltzmann, le créateur de la Société


littéraire allemande, fut parmi les plus ardents propagandistes. Il
haranguait le dimanche, à la maison commune, des auditoires qui
comprenaient jusqu'à trois mille personnes, soldats, ouvriers,
domestiques.
En principe, l'organisation était raisonnable et paraissait de nature
à satisfaire tout le monde 2. Ce qui prouve qu'il n'en fut rien,
c'est qu'il y eut encore des plaintes. Le 29 janvier 1792, quoiqu'on
vînt d'élire un secrétaire allemand (le 20), des membres protestèrent
contre la négligence du Comité de correspondance à envoyer aux
séances allemandes les lettres reçues. C'était là en effet une grosse
difficulté. Toute société était en correspondance continuelle avec les
autres ; or les lettres et adresses venues d'Alsace étaient en alle-
mand, mais tout ce qui arrivait de France était en français, et c'était
le plus important dans les relations. Autour des lettres et des
réponses à y faire s'engageaient des discussions, auxquelles se mê-
laient membres français et allemands. Pouvait-on, pour respecter
les droits incontestés des membres allemands, s'astreindre à de
continuelles interprétations et à des explications sans fin ? Le fran-
çais finissait bon gré mal gré par empiéter par un effet naturel de
la vie de relations 3.

LA SOCIÉTÉ DE COLMAR. — Elle nous présente le même tableau


que la société soeur. Seulement nous avons ses procès-verbaux et

Art. 3. — Le Président de la société présidera les unes et les autres, et ne pourra


être remplacé par le vice-Président qu'en cas d'absence.
Art. 4. — Les séances allemandes commenceront comme les françaises par la
lecture du Procès-verbal de la dernière séance allemande, on y donnera l'extrait alle-
mand des précédens procès-verbaux français.
Gaspar Gérard Noissette, Président (Arch. Mun., Strasbg, n° 135).
1. Le 20 juillet 1790, les lectures françaises furent inaugurées par un discours
(Heitz, Soc. pol., 52, cf. 142, 147, etc.). La société écrit, le 25 sept. 1790, aux Comités
de la Constitution et de la guerre de l'Assemblée nationale : « Nous avons ouvert à
Strasbourg des conférences publiques en français et en allemand, afin d'éclairer le
peuple sur les décrets de l'Assemblée. Nous avons augmenté le nombre des conférences
françaises à cause de la garnison. Notre entreprise a réussi ; sur les deux mille auditeurs
habituels, nous comptons six à sept cents militaires » (Seinguerlet, Strasb. pend, la
Rév., p. 35).
2. Séance extraordinaire du 2 avril, an 4e de la Liberté (1792) :
« Le Président ouvre la séance par un discours en français afin d'expliquer l'objet de
cette séance.
Le Vice-Président prononce un discours allemand pour la même raison.
Charles Laveaux, orateurfrançais, prononce le discours adopté pour l'éloge de Mirabeau.
L'orchestre exécute l'ouverture d'Iphigénie et le choeur d'Orphée...
Schneider, orateur allemand, retrace au nom de la So : le Tableau des efforts et des
succès de Mirabeau pour la liberté française... L'orchestre exécute divers
morceaux
analogues à la fête; l'air Ça ira est répété à plusieurs reprises et toujours applaudi
3. En une seule séance (19 avr. 1791), la Société de Strasbourg dépouille des lettres »
de Delle, Dax, Ajaccio, Bergerac, Colmar, Moissac, la Rochelle, Nanci Aix Sèvres;
LES SOCIÉTÉS POPULAIRES 69

ils nous fournissent des détails dont il sera bon de rapporter


quelques-uns. Le 16 janvier 1791, la société se forme et élit un
bureau provisoire. Le règlement était en allemand : Ordnung und
Reglement (Leuillot, o. c, p. 2). Cependant, à partir du 27 février,
tous les procès-verbaux, à l'exception de celui du 2 juin 1793,
furent en français (Ib., p. 13 et 49) 1. Ce n'était pas un signe que
l'allemand dût être prohibé. Au contraire, presque tout de suite
après, le 6 mars, on arrêtait que « les motions à faire seront écrites,
inscrites au bureau, et que celles qui seront faites en français seront
expliquées en allemand » (Ib., p. 16). Et ceci montre clairement la
réalité. Les procès-verbaux écrits en français relataient des discus-
sions verbales où le français et l'allemand s'étaient succédé et par-
fois mêlés.
Quand on suit patiemment les comptes rendus des séances,
l'impression qui s'en dégage est très nette. On avait commencé en
allemand; puis de très bonne heure, sans que qui que ce soit le
proposât ou l'imposât, on adopta le français, langue de la nation,
sans bien entendu exclure l'allemand. Aussi beaucoup de petites
gens suivaient-ils avec peine. Ils faisaient de leur mieux, et à chaque
instant protestaient. Plus leur zèle était ardent, plus ils souffraient
d'être comme à l'écart, et ils en gardaient, nous le verrons, quelque
rancune.

AUTRES VILLES.
— Il faudrait pouvoir suivre la vie des Sociétés de
petites villes. Il semble bien que partout on fit à l'allemand la part
nécessaire. Nulle part peut-être on n'a pratiqué le bilinguisme avec
le même souci qu'à Thann, où la réunion était visiblement désireuse
qu'aucun de ses membres ne demeurât étranger aux débats 2. On
avait décidé, le 3 avril 1791, que les procès-verbaux seraient traduits
en allemand, et un membre avait été chargé spécialement de la
besogne 3. Le même jour, on écrivait à MM. du département, pour les
prier de vouloir bien envoyer à la municipalité de cette ville les
décrets de l'Assemblée nationale et arrêtés du Directoire dans les
deux langues.

d'autres vinrent de Ribeauviller (26 avr. 1791), Wasselonne (9 mai), Bercht (30 mai),
Barr (15 juin), etc.
1. Les rédacteurs écrivent icelle, échéait, etc. Ces mots décèlent leur origine. C'étaient
des termes de praticiens.
2. Elle comptait un grand nombre de membres d'origine française : Fourcade (né à
Tonnerre), Chapuis (maître d'école, né à Giromagny.), Letellier de Conniègne (Comigne
ou Conliège ?), Lambert (de Remiremont), Bruant (de Bourg), Clebsattel (du Vau-
cluse). Tous ces gens parlaient probablement les deux langues, comme la bourgeoisie
de la ville.
3. Poulet, L'espr. publ. à Thann, p. 40.
70 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Il arrivait que le même membre parlât de suite en français et


en alsacien 1; en cas contraire, on traduisait son discours. De même
pour tout le reste des séances.
La déclaration de guerre, annoncée le 3 mai 1792, fut, dès le len-
demain, solennellement proclamée en français et en allemand, en
présence de la municipalité 2.
A Riquewihr, le 31 mars 1792, on souscrivait à 22 exemplaires
du " Père Gérard », dont un seul en français. A Saverne, la Société
populaire avait un secrétaire allemand et un secrétaire français 3.
De ce que nous venons d'exposer, un fait ressort, incontestable.
Pendant la première période de la Révolution, les Sociétés populaires
alsaciennes n'ont pas travaillé consciemment à la diffusion du français.
Néanmoins, j'estime qu'elles l'ont servie. Des gens de langue alle-
mande y coudoyaient des Français et c'était beaucoup. Pour peu
qu'ils eussent une première teinture de français, ils apprenaient à
comprendre, sinon à parler. Si jamais la méthode directe a donné
des résultats, ce fut là, dans ces milieux échauffés, où le patriotisme
avivait singulièrement la curiosité, et où l'on souffrait impatiemment
de paraître des Français incomplets.

1. D'Aigrefeuille fit, en allemand et en français, aux applaudissements de l'Assem-


blée, « un discours plein d'énergie, de patriotisme et de vérité sur les bienfaits de la
Constitution » (1er mai 1791, Poulet, o. c, p. 12).
2. Poulet, o. c, p. 58.
3. Fischer, La Soc. popul. de Saverne. Cette étude, très sommaire, ne fournit pas de
renseignements détaillés.
CHAPITRE IV

COUPLETS ET CHANSONS

LA MARSEILLAISE. — Qui ne sent qu'il faudrait, pour traiter notre


sujet dans toute son ampleur, étudier toutes les formes de la vie
intellectuelle? Les productions de génie manquaient, de médiocres y
ont suppléé. L'esprit, dit-on, s'en était allé; l'enthousiasme le rem-
plaçait. Pour introduire la langue dans les milieux qui l'ignoraient,
un almanach convenait peut-être mieux que les Provinciales. Des
pièces de théâtre d'ordre tout à fait inférieur étaient saluées
d'applaudissements et attiraient les foules, plus avides de mots
pompeux et exagérés que de finesses 1.
La chanson a peut-être été, de tous les genres, celui qui a eu
le plus d'action 2. Un air que répètent des millions de bouches porte
la langue plus loin qu'un traité ou un discours. Déjà la Fédération
n'était plus qu'un heureux souvenir, et le Ça ira, né sous l'averse,
pendant les préparatifs de la fête, retentissait toujours dans les
armées et les assemblées, à la fois comme un refrain et comme un
mot d'ordre.
Il y eut mieux, la Marseillaise, qui naquit à l'endroit et à l'heure
où elle devait naître : à Strasbourg, le soir de la proclamation de
la guerre. Ce fut toujours le bonheur de la France dans sa vie tour-
mentée que de trouver à point nommé, l'homme, la femme, l'oeuvre
qu'il lui fallait pour son salut. Michelet, dans une de ces phrases
que son génie grave sur une époque comme une inscription sur un
fronton, a dit : « Il fut donné à la grande âme de la France, en son
moment le plus désintéressé et sacré, de trouver un chant, — un
chant qui, répété de proche en proche, a gagné toute la terre. Cela
est divin et rare d'ajouter un chant éternel à la voix des nations ».
La guerre avait été déclarée à l'Autriche, le 20 avril 1792. La
nouvelle en parvint le 25 à Strasbourg. Ce fut une fête dans la ville.

1. Le 23 août 1791, L. G. Gérard proposait un Théâtre d'Éducation nationale. Arch.


N., F17A, 1310, doss. 7.
2. On trouve les titres des Recueils de Chansons dans Nisard, Des chans. popul., I,
453.
72 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Un défilé militaire, où le maire, revêtu de son écharpe et accom-


pagné des officiers municipaux, représentait les habitants, parcourut
les quartiers surexcités. A tous les carrefours, en français et en
allemand, on donnait lecture de la proclamation; les musiques ne
cessaient de jouer. Mais le Ça ira, léger et sautillant carillon, était
indigne d'accompagner les cris de guerre et les appels aux armes.
Des phrases sorties des Clubs circulaient : « Il faut vaincre ou mourir
libres. Que les despotes tremblent ! Marchons pour le genre
humain ». Les « enfants de la patrie », dont un bataillon était com-
mandé par le fils du maire, les criaient aux quatre vents de l'espace.
L'exaltation de la colère, de l'espoir, de la résolution, soule-
vait tous les patriotes ; elle cherchait son expression. Dietrich
sollicita le talent de son jeune ami Rouget de l'Isle, poète et musi-
cien, et celui-ci, dans une de ces nuits de fièvre où l'homme, face au
silence, élève sa pensée jusqu'aux mots éternels, surexcité par le Cham-
pagne, dit-on, inspiré plutôt par les circonstances et les sentiments
unanimes, rentré dans son petit logis de la rue de la Mésange, créa
en quelques heures l'hymne qui, le lendemain soir, après quelques
retouches de Masclet, fut chanté chez Dietrich :
Allons, enfants de la patrie1...
En quelques jours des copies en furent répandues, et dès le mois
de mai 1792, le chant de Rouget de l'Isle était arrivé dans une
foule de villes de France.
Tout le monde a appris pourquoi et comment ce Chant de guerre
de l'armée du Rhin perdit son nom. Il était parvenu dans le Midi,
par quelle voie, on ne le sait pas exactement. C'était à l'époque où
l'Assemblée venait de décider la formation d'un camp de vingt mille
fédérés sous Paris. Au lendemain du 20 juin, le ministère girondin
tombé, Barbaroux écrit aux Jacobins de Marseille pour leur demander
«
six cents hommes qui sachent mourir ». Les Montpelliérains
veulent se joindre aux Marseillais. Après un banquet fraternel,
Mireur, médecin qui s'était enrôlé comme volontaire, se lève et
entonne les strophes de flamme. Des acclamations s'élèvent, les
journaux publient le texte, le bataillon est constitué en une semaine.
En juillet, il se met en route, roulant ses charrois et ses canons.
Au passage des villes et des villages, il reprend la terrible marche.
Par toute la vallée du Rhône, puis de la Saône, et jusqu'à Paris,
c'est partout une ruée de peuple qui écoute, apprend, répète, hurle
le cri de guerre et d'amour. Des gens de Provence, la plupart de
langue d'oc, ont fait leur le chant français de la nouvelle croisade.

1. Voir Jul. Tiersot, Hist. de la Marseillaise. Paris, 1915, 8°.


COUPLETS ET CHANSONS 73

Il a pris leur nom. On n'a pas assez remarqué ce fait surprenant,


invraisemblable. La musique sans doute concourait à l'effet. Elle
n'eût point suffi sans quelque intelligence du texte 1.
« Ma
maison, raconte Barbaroux, en parlant de son retour, était
entourée et remplie de citoyens. On amena un corps de musique.
On chanta des chansons provençales qu'on avait faites en mon
honneur et l'hymne des Marseillais... Je me souviens toujours avec
attendrissement qu'au dernier couplet de l'hymne, lorsqu'on chante
Amour sacré de la patrie...
tous les citoyens se mirent à genoux dans la maison et dans la
rue ».
Bientôt la Marseillaise fut de toutes les fêtes et aussi de toutes
les campagnes; les volontaires de toutes les régions la surent. Elle
chanta à Jemmapes et à Wattignies. Hoche, Carnot, après Du-
mouriez, la menaient à l'assaut, comme un engin de bataille. Elle
alla à la conquête pacifique de la Savoie, et on nous rapporte que
les montagnards qui accompagnaient la délégation de Chambéry, en
l'entendant, se prosternaient comme pour une prière : « Liberté,
liberté chérie » !
Les théologiens diraient qu'elle conférait aux paysans le don
passif des langues. Tenons-nous-en au réel, elle leur donnait la
volonté de comprendre et de redire le Pater de la nouvelle foi. Le
chant national n'enseignait pas aux masses, même en les faisant
tomber dans l'extase, la langue nationale, elle les convertissait à
l'idée de l'apprendre.

1. Schneider mit la Marseillaise en allemand (Argos, XLIII, 27 nov. 1792) et aussi


Lucé (Leuillot, o. c, p. 44).
LIVRE VI
LES MESURES DE TOUT ORDRE
ET LA LANGUE

CHAPITRE PREMIER

LA NOUVELLE DIVISION DU TERRITOIRE

DÉPARTEMENTS ET LANGAGES.
— Parmi les mesures qui indirectement
devaient avoir pour effet d'assurer l'extension du français, je placerais
au premier rang la nouvelle division du territoire. Dès l'abord on
renonça à organiser des provinces, ou à compléter l'organisation de
celles qui existaient. Loin de songer à en faire des circonscriptions
homogènes, avec leurs centres, leurs divisions, leur constitution
administrative, judiciaire, économique, etc., comme il en avait été
question à la fin de l'Ancien Régime1, la Révolution, rompant avec
le passé, décréta une répartition territoriale toute nouvelle, sur la
base du département.
La pensée de l'Assemblée n'était pas, comme on l'a dit, de briser
tous les liens et de diviser les intérêts. Elle s'inspirait avant tout de
la nécessité de mettre de l'ordre dans un chaos, que l'abolition des
anciens droits obligeait à détruire. Dans son rapport à la séance du
8 janvier, Bureaux de Pusy s'en était expliqué. Il s'agissait d'offrir à
l'esprit l'idée d'un partage égal, fraternel, utile sous tous les rapports,
et jamais celle d'un déchirement ou d'une dislocation du corps poli-
tique, et par conséquent les anciennes limites des circonscriptions
devaient être respectées toutes les fois qu'il n'y aurait pas une
utilité réelle ou une nécessité évidente de les détruire.

1. La province, au sens propre, n'existait pas. Le mot est employé pour la première
fois, avec sa valeur administrative rigoureuse, dans le règlement du 6 juin 1787, qui
créa les Assemblées de provinces.
76 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Quand on parcourt les dossiers du Comité de division 1, on est

frappé de voir l'accord établi entre les députés des pays intéressés
sujet des limitations. Des procès-verbaux authentiques et signés
au
le constatent presque partout.
La question de langue ne semble avoir joué qu'un bien faible rôle
dans la formation des circonscriptions nouvelles, en Flandre par
exemple, ou en Alsace. Ste-Marie-aux-Mines alléguera la distance
être rattachée au département de Colmar », non la simili-
pour «
tude de langage (il est vrai qu'on y parlait aussi français).
Cependant il ne faudrait pas généraliser trop. Certains députés
firent observer qu'on ne tenait aucun compte, dans le regroupement
des populations, des affinités du langage. Ils parlèrent de récla-
mations, et cela était exact, il y en avait.
Une controverse très âpre s'était ouverte entre Basques et Béar-
nais 2. Si la question de langage n'en faisait pas le fond, elle était
au moins alléguée comme prétexte. Finement les Béarnais distin-
guaient. Évidemment, pour ce qui concernait les relations fréquentes,
comme on en a dans un même district, il importait de ne mettre
ensemble que des populations d'un idiome commun. L'affaire se pré-
sentait autrement quand il s'agissait d'un département3.

1. Arch. N., DIV bis et NNX.


2. On trouvera aux Archives Nationales, dans DIV bis 1, doss. 15, les pièces relatives à
ce débat entre le Béarn et le pays basque. Les députés avaient eu entre eux de longues
conférences, mais n'étaient pas parvenus à s'arranger, la Soule voulant s'agrandir. Les
Béarnais jugeaient que « rien n'eut été plus naturel et plus raisonable [que de
former un tout du pays basque] si l'on considere que ces trois petits pays basques
sont unis ainsi qu'ils lont declaré par un meme langage quils ont dit etre [in]intelli-
gible pour tout autre qu'eux, qu'ils ont les memes moeurs et les mesme usages et quils
se son dit une nation en quelque maniere separée des autres, ils ne doivent donc
eprouver aucun embarras pour resserer plus etroitement cette union si naturelle ».
Mais les trois pays basques ne veulent point confondre leurs limites, ni unifier leurs
lois, et les Souletains ne veulent pas s'unir à la Navarre ; ils prétendent arrondir leur
département. Ils ne sont « alors arretté par aucun obstacle ni par la difference du lan-
gage ni par la difference et opposition des loix ».
Les « deputés du Bearn n'ont point dit que les Basques n'eussent un idiome différent
de celuy des Bearnois... ils ont dit seulement que les coutumes de la Soule et de la
Navarre quoique pays Basques etoient ecrites en idiome Bearnois, comme celle du
Bearn, que celle du Labourt etoit ecrite en francois comme celle des autres provinces
du royaume, que ces differences n'empechoient point que ces peubles unis en partie
au bearn pour l'administration de la justice rendue au parlement de Pau pour toutes ces
provinces, n'eussent avec les Bearnais toutes les communications relatives a leurs inte-
rets et toutes celles que l'unité du departement rendroit necessaires ».
3. « L'on sent parfaitement que la plus legere difference dans le langage et dans les
moeurs des peubles doit agir fortement lorsqu'il s'agit des interets journaliers et habi-
tuels qui regardent le peuble dans un detail plus minucieux et plus multiplié et qui
l'affectent dans la partie la plus indigente et la plus nombreuse que lorsqu'il s'agit de
grands interets plus rares et moins habituels qui regardent la partie du peuble la plus
riche et la moins nombreuse ».
Aussi « le recours le plus considerable et le plus necessaire pour les premiers sera le
recours au tribunal et a l'administration du district et le recours au tribunal et a
l'administration du departement ne regardera la plus part du tems que les seconds » ( Ib.)
LA NOUVELLE DIVISION DU TERRITOIRE 77

Le débat vint devant l'Assemblée. Garat l'aîné et Garat le jeune,


députés du Tiers pour le bailliage d'Ustarits, soutinrent la demande
des Basques. Darnaudat, conseiller au parlement de Navarre et député
du Tiers, élu par les États de Béarn, riposta que c'était là, au point
de vue politique, une raison de plus de réunir les deux peuples.
Ainsi pensaient, sans aucun doute, la majorité des Constituants.
Target parait avoir été un des seuls à estimer qu'il était nécessaire
de respecter, parmi d'autres traditions, les habitudes de langage :
« Prenez garde, disait-il, que si, dans certaines parties, les Divisions
anticipent d'une province à l'autre, ce sera pour attacher ensemble
des hommes rapprochés par le voisinage, unis par les rapports
d'affaires, par une conformité du langage et des moeurs »1.
La masse de l'Assemblée entendait justement effacer « toutes les
divisions qui empêchaient de fondre l'esprit et l'intérêt particulier
des provinces dans l'esprit et l'intérêt de toute la nation ». On
passa outre aux réserves, ou on repoussa résolument les proposi-
tions contraires :
« La
Lorraine allemande et françoise, les Trois Evêchés et le
Barrois devoient, selon l'avis du Comité, former deux départemens.
Quelques députés de la Lorraine allemande pensoient que la diver-
sité des idiomes devoit déterminer à faire de cette partie de la pro-
vince un département séparé. Leur prétention n'a pas été admise » 2.
« St Malo
vouloit être érigé en sixième département de la Bretagne,
et donnoit pour motif la différence des langages, l'étendue des
côtes... Ces exceptions ont été refusées » 3.
La fédération linguistique était donc écartée, sans même, à bien
dire, avoir été proposée. La division adoptée commençait à consa-
crer la France une et indivisible : Une nation, une loi, un roi.
Encore ne faudrait-il pas attribuer à la création des départe-
ments des conséquences linguistiques qu'elle ne pouvait pas avoir.
Elle ne détruisait pas un état de choses qui n'a jamais existé que
dans l'imagination des philologues d'autrefois. La science moderne
a montré ce qu'il y avait de factice dans cette conception de dia-
lectes régionaux, divisés en sous-dialectes, eux-mêmes sous-divisés 4.
Au XVIIIe siècle en tous cas, il n'y avait que des patois locaux,

Les députés de Béarn, parmi lesquels Darnaudat, proposaient donc un département à


6 districts, 3 béarnais (Pau, Orthez, Oloron), 3 basques (Soule, Navarre et Labourt)
avec Mauléon, St Palais et Ustarits comme chefs-lieux.
1. Opinion de M. Target sur la division du royaume à la séance du 10 nov. 1789, p. 24-
25 (Suppt au proc.-verb. de l'Assembl. Nat., t. 2, Arch. N., AD, XVIIIe 3).
2. Courrier de Provence, t. V, n° XCIII, 12-15 janv. 1790, p. 10.
3. Ib., p. 14.
4. Voir H. de la l., t. I, p. 296.
78 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

différents de paroisse à paroisse, au milieu desquels des phéno-


mènes phonétiques, morphologiques, lexicologiques, s'étaient fait
de larges aires qui ne coïncidaient pas entre elles, et enjam-
baient par-dessus toutes les circonscriptions administratives, reli-
gieuses, etc., leurs limites ne s'ajustant que tout à fait accidentelle-
ment aux frontières de ces circonscriptions.
Ces patois vivaient d'une vie relativement isolée, que la nouvelle
division pouvait troubler, qu'elle ne menaçait pas directement. Des
idiomes divers, français et allemand, allaient pouvoir vivre dans la
Moselle ou la Meurthe comme ils avaient vécu dans la ci-devant
Lorraine. De même les parlers romans. Tout au plus peut-on dire
que le département, tracé sans souci aucun de leurs rapports, leur
enlevait les chances qu'ils pouvaient garder de se réunir par une
force de cohésion naturelle. Il ne leur restait plus en ce sens que
la possibilité de groupements artificiels, entrepris volontairement,
comme on en a vu au XIXe siècle. Et cette entrave, s'ils avaient eu
un avenir à attendre, n'était tout de même pas sans importance,
quand on le compare à ce qui eût pu se produire dans des provinces
unifiées, suivant les idées de 1787.
CHAPITRE II

LE FRANÇAIS ET LES ACTES

ON EN PREND A SON AISE AVEC LES ORDONNANCES.— C'est à propos d'un


incident causé par l'emploi officiel du français et l'ignorance où les
paysans étaient restés, de cette langue que Vergniaud établit sa répu-
tation. A Allassac (Corrèze), le 23 janvier 1790, le jour de la promul-
gation de la loi municipale, des jeunes gens, après la messe, avaient
brûlé le banc des seigneurs et des officiers de justice. La loi mar-
tiale est aussitôt proclamée en français. La foule ne comprend pas.
La cavalerie de la maréchaussée charge les paysans qui se dispersent
en laissant des morts. Intervention de la garde nationale de Brive.
D'où un procès criminel que la Constituante, sollicitée, renvoya
devant le tribunal du district de Bordeaux. Vergniaud le plaida.
Semblables gènes n'avaient jamais cessé de produire semblables
incidents. Aussi se trouva-t-il un peu partout des hommes qui,
s'inspirant des besoins et des intérêts réels, en prirent à leur aise
avec les vieilles ordonnances.
Pour ramener le calme après la Grande Peur, de Coincy, lieute-
nant général à Toulon, fait une affiche en provençal ; une autre,
signée de Caraman, est aux Archives de Seillans 1.
Un jour, le provençal pénétra jusque dans l'Assemblée nationale. Le
28 octobre 1789, une députation de prud'hommes pêcheurs marseillais
se présenta à la barre et le chef prononça une courte harangue que
le Courrier d'Avignon reproduit ainsi: « Ve, Messieurs, nous aou-
tri saven pas parla coumou fasé ; mai saven senti, mai saven appre-
cia vostei décrets... Noste gardou deis archives que san parla en
frances, vai vous pinta nostre sentimen... » Bouche traduisit en
quelques mots et le garde des Archives lui succéda 2.

INQUIÉTUDES ET PROTESTATIONS EN ALSACE.— S'était-il répandu des


bruits au sujet des intentions de l'Assemblée, ou bien, sans que

1. Bull. Et. Draguignan, XXXIII, 1900-1901, p. XVIII.


2. Courrier d'Avignon, 8 nov. 1790. Cf. Moniteur du 30 oct., dans Brun, Mém. ms.
80 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

rien justifiât leurs craintes, se trouva-t-il des gens pour penser que,
puisqu'on instituait un régime de liberté, le jour était venu de pro-
clamer le libre usage des diverses langues, et de renoncer aux prin-
cipes suivis par la monarchie, avec quelques tempéraments qu'ils
fussent appliqués ? Il est certain, en tous cas, qu'il arriva d'Alsace des
avertissements et des propositions. Voici un projet franc de bilin-
guisme administratif que Gazier s'est fait scrupule de publier dans '
le Recueil des Lettres à Grégoire, mais que je dois rapporter ici:
« La partie la plus considérable des habitans
de la province
d'Alsace, est composée d'Allemands. Tout le petit peuple des villes,
et le plus grand nombre des habitans de la campagne, ignorent par-
faitement l'usage de la langue Française.
« La situation topographique de l'Alsace est telle, ses rapports
de commerce avec l'Allemagne sont si habituels et si urgens, que la
langue Allemande y est constamment entretenue, que la province,
et sur-tout les grandes villes sont continuellement recrutées d'Alle-
mands qui viennent s'y fixer de toutes les contrées de l'Empire.
« Ces
circonstances retarderont toujours le progrès de la langue
Française, telles mesures que prenne le Gouvernement pour en
favoriser l'usage. Il devient dès-lors indispensable que les actes
publics du plus grand nombre des citoyens soient rédigés dans la
langue du pays, qui est l'Allemande, et que les Officiers publics,
chargés de leur rédaction, connoissent parfaitement cette langue.
« Tout citoyen attaqué dans son honneur, dans sa vie, dans sa
propriété, a le droit incontestable de se défendre dans la langue qui
lui est familière que ce soit la Française ou l'Allemande, il faut
:

qu'il ait la faculté de s'expliquer dans l'une ou dans l'autre, et qu'il


ne soit pas réduit à s'adresser à ses Juges par interprète.
« Ainsi les Juges de toute espèce, qui seront établis en Alsace en
vertu du nouvel ordre judiciaire, devront, de toute nécessité, savoir
les deux langues, afin qu'ils puissent comprendre, soit les citoyens
qu'ils seront dans le cas de juger, soit les Jurés qui constateront le
fait, soit les témoins qu'il s'agira d'ouïr, soit enfin les titres et
pièces qui leur seront présentés dans ces langues.
« Cette qualité requise dans les Juges, servira à remédier à un
très-grand abus. Le citoyen ne sera plus obligé, comme
par le passé,
de faire traduire, à grands frais, de nombreuses pièces de procédure,
et la religion du Juge ne sera plus surprise par l'inexactitude et
l'infidélité de ces traductions qui ont occasionné
souvent de criantes
injustices.
« On auroit tort d'alléguer l'usage contraire qui a
eu lieu jusqu'à
présent au Conseil Supérieur de la province. Ce qui pouvoit très-
LE FRANÇAIS ET LES ACTES 81

bien se concilier avec les maximes d'un Gouvernement purement


monarchique, répugneroit ouvertement à l'esprit d'un systême libre,
puisé dans la loi de la nature, tel que celui qui s'introduit actuel-
lement.
" Qui craindroit d'avancer que les Rois sont faits pour les peuples,
et non les peuples pour les Rois, et l'on oseroit encore soutenir que
le Peuple doit savoir la langue de ses Juges, tandis qu'il seroit per-
mis à un Juge d'ignorer la langue du Peuple qu'il est appellé à juger?
« M'objectera-t-on peut-être que ce seroit blesser les droits d'un
Citoyen actif que de lui donner l'exclusion des emplois judiciaires
sur le motif seul qu'il n'est pas au fait de l'une ou de l'autre langue '!
« Eh bien! Messieurs, seroit-ce donc faire tort à un Citoyen, qui
se voue à un état quelconque, que d'exiger qu'il soit doué des qua-
lités indispensables pour en remplir les fonctions au plus grand
avantage de la société ?
«
Mais le peuple seroit-il fondé à se plaindre d'un choix sur
lequel il auroit influé lui-même, et lui interdira-t-on la faculté de
donner sa confiance à un Concitoyen qui ignoreroit l'une ou l'autre
langue ?
« Oui, Messieurs,
il est d'une sage Législation d'éclairer le choix
du Peuple; elle doit l'empêcher de se nuire à lui-même, en préve-
nant les funestes effets de l'intrigue et de la cabale qui n'infectent
que trop souvent les élections populaires.
« Et en admettant même
qu'un Citoyen eût concouru à l'élection
de son Juge, ne conservera-t-il pas toujours le droit imprescriptible
de le récuser au cas qu'il ignorât sa langue?
« Il est impossible,
Messieurs, je le répète, sur la position topo-
graphique de l'Alsace, que la langue Allemande puisse en être pros-
crite, et le moyen le plus sûr et le plus légitime d'y répandre l'usage
de la langue Française, est d'exiger la connoissance des deux
langues, dans tous ceux qui aspireront aux places de Judicature. Il
importe même à la Nation, que la langue allemande, qui est langue
mere, une des plus riches, et j'ose le dire, une des plus répandues
et des plus ennoblies de l'Europe, soit conservée dans son sein, et
que les Nationaux puissent continuer à venir puiser en Alsace, la
Littérature Germanique et étrangere, plutôt que de l'aller chercher
à Gottingue et ailleurs dans l'intérieur de l'Allemagne.
« Et comment donc, Messieurs,
tandis que la nouvelle Constitu-
tion, que vous préparez si glorieusement, invitera les étrangers de
toutes les Nations à venir se fixer en France, vous fermeriez aux

6
Allemands la porte de l'Alsace? Et certes, vous la leur fermeriez,
si vous pouviez jamais concevoir l'idée de leur ôter la faculté de dé-
Histoire de la langue française. IX.
82 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

fendre leurs intérêts les plus chers dans la langue qui leur est fami-
lière.
Et le peuple Alsacien pourra-t-il se faire à un nouvel ordre des
«
choses qui tendroit à le priver d'un droit aussi sacré, aussi incon-
testable, et dont il a joui constamment jusqu'à présent dans tous les
tribunaux inférieurs de la province: une constitution qui relève la
dignité de l'homme, et qui servira de modèle à toutes les Nations
de la terre seroit donc pour lui une source de calamités, et ne lui
offriroit plus que l'affligeante perspective d'un vil et rude esclavage.
« Car enfin l'on ne sauroit se dissimuler, que juger le citoyen
dans une langue qui lui est étrangere, n'ait été envisagé de tout
tems, comme le despotisme le plus outrageant; il frappe directement
le peuple et la classe la plus nombreuse, la moins fortunée et la plus
foible des citoyens, et entraîne des injustices et des oppressions
qui révoltent l'humanité : c'est ce même genre de despotisme qui fit
égorger Quintilius Varus avec ses trois légions, et qui mit fin à la
domination des Romains en Allemagne. Il auroit fait perdre de nos
jours la Hongrie à l'Empereur Joseph II, si ce Prince n'y avoit
promptement remédié en révoquant la loi qui introduisoit l'usage
de la langue Allemande dans les tribunaux de ce royaume.
« Je conclus donc,
Messieurs, à ce que la connoissance des deux
langues, Française et Allemande, soit une qualité requise et essen-
tielle dans les Officiers de justice et les Greffiers qui seront établis
dans la Province d'Alsace en vertu du nouvel ordre judiciaire, ou que
pour le moins il soit permis à tout citoyen de récuser valablement le
Juge qui ignoreroit la langue de celui qu'il sera dans le cas de juger» 1.
De son côté André Ulrich, secrétaire-interprète de la municipa-
lité, prononça le 6 juillet 1790, à sa réception, un discours en faveur
de la langue allemande et il le termina par des conclusions dans
lesquelles il demande : 1° Que les Corps administratifs des deux
départements du Rhin se servent de la langue allemande dans
toutes les pièces adressées aux habitants qui ne parlent que cette
langue. 2° Que les procès-verbaux des Corps administratifs touchant
les affaires majeures soient traduits en langue allemande, et que
les citoyens soient invités par ces Corps respectifs à les faire impri-
mer à leurs frais dans les deux langues. 3° Que dans le cas où les
séances administratives se tiendraient publiquement, on oblige
un des secrétaires d'expliquer la partie essentielle de l'objet des
motions et des délibérations en allemand. 4° Que les juges de dis-

1. Reflexions sur le nouvel ordre judiciaire, adressées à l'Assemblée nationale. Recueil de


pièces sur les Patois, Bibl. de la Société des Amis de Port-Royal, ms., pièce 16, p. 1-7.
LE FRANÇAIS ET LES ACTES 83

trict, les juges de paix et tous les autres juges, énoncent et consi-
gnent, par écrit, en allemand, tout ce qui est relatif aux habitants
parlant la langue allemande. 5° Que les parties puissent récuser le
juge qui ignore leur langue. Il ajoute : « Il y a 300 habitants de
l'Alsace qui ignorent la langue française, sur un seul qui la connaît, et
comme un seul apprendra plus aisément une langue que 300, qu'en-
fin le voeu de 300 doit l'emporter sur celui d'un seul, je ne vois
aucune difficulté de soutenir cette juste réclamation de la majeure
partie de nos citoyens » 1.

UN PAMPHLET.
— Les Alsaciens se plaignaient, on le voit, avant
d'être battus. L'affaire fit même l'objet d'un curieux pamphlet, qui
a été réimprimé de nos jours".
Si on en croyait le titre, ce dialogue aurait eu lieu le 23 août 17903.
L'auteur anonyme a mis en scène Stark, forgeron, Schwach, tailleur,
Canniverstan, perruquier français, Marroquin, cordonnier demi-
français, et le fils d'un maître tonnelier, jeune gradué en droit.
Stark est le plus monté. Il met Schwach, venu pour prendre une
chopine, au courant des propositions nouvelles. On lui a conté
qu'aussitôt la nouvelle constitution en vigueur, tout sera traité en
français dans la nouvelle municipalité. Le procès-verbal devrait être
comme jadis, non en français seulement, mais en allemand aussi,
et comme Schwach objecte : Nous sommes maintenant devenus
Français, nous avons juré fidélité à la nation, il nous faut aban-
donner ça aussi. « Abandonner quoi? s'écrie Stark, indigné. Nous
n'avons plus le droit de parler allemand, nous devrons parler fran-
çais ! Ce serait bien le diable. Chacun parle suivant que le bec lui
est crû, l'allemand allemand, le welche welche. Pourquoi est-ce que
nous avons choisi notre nouveau conseil ? Pour nous ou pour les
autres? » Une paire de Français veulent faire la loi à la majorité de

1. Heitz, Soc. pol.. p. 46-47.


2. Bürger-Gespräch über die Abschaffung der Deutschen Sprache bey der Verhandlung
der öffentlichen Geschäfte in Strassburg, Gehalten den 23 Augst 1790. Herausgegeben
von E. Löper. Strassburg, R. Schultz et Cie, 1886. 24 p. in-12. L'oeuvre a échappé
à ceux qui ont recueilli les textes en patois alsacien (voir p. 3).
3. Il était important de s'assurer du caractère alsacien du dialecte pour savoir si la
pièce n'a pas été fabriquée dans quelque officine contre-révolutionnaire d'outre-Rhin.
Or, d'après M. Gérock, le dialecte employé n'est pas du Strasbourgeois authentique.
« Le dialecte, a bien voulu m'écrire M. Gérock, offre des caractères qui permettent
de douter que l'auteur ait été un vrai Strasbourgeois. Il se rapproche par certaines
formes de l'alémanique de la Haute-Alsace ou de la Suisse, et, par la construction,
du haut-allemand. De même le jargon de Canniverstan est tout à fait artificiel, trop
correctement allemand pour un Français, et déformé uniquement par une pronon-
ciation figurée fantaisiste.
« De plus le titre de Schulrath (conseiller scolaire) n'a jamais été en usage en Alsace ;
il décèle l'origine étrangère de l'auteur anonyme ».
84 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Qu'est-ce c'est manières-là? Qu'est-ce


la population. que que ces
qu'elle apporte, la nouvelle constitution? On n'aurait même plus
autant de liberté qu'avant. « Ce serait une belle affaire ».
Stark n'est pas un ennemi du français, il voudrait bien le savoir
mieux, il envoyé ses petits par échange en pays français.
un peu a
Mais il ne peut pas admettre que des gens qui ont leur mot à dire
soient obligés d'assister au conseil, muets comme des carpes, parce
qu'ils ne savent pas parler français.
Les deux personnages s'entretenaient en patois. Entre Cannivers-
tan, qui parle français, puis se met à écorcher l'allemand. Il est
depuis vingt ans à Strasbourg, il ne parvient pas à parler la langue,
c'est « trop rude pour un gosier français ».
Intervient Marroquin. Celui-là a reçu un coup de savate sur la
tète, comme dit Stark. Il a lu tout son « Parlement » et les appen-
dices du Des Pepliers. Il affecte de parler le français et le hache :
« Je peux
bien dire, que l'Allemand né m'est pas cuit au coeur, j'y
ai tout-à-fait mangé un dégout : tenez, voyez-vous, quand j'entends
parler nos gens leur Strasbourgeois-Allemand,je pense que jé né lé
peux pas soutenir et qu'il mé faut d'abord courir, qui sait combien
loin ». Naturellement il a désiré depuis longtemps la substitution
du français à l'allemand.
La discussion se précise. A Schwach, qui observe qu'il reste
permis de plaider sa cause en allemand, Stark répond : « Et quand
une décision est rendue par la Chambre des XV sur des questions
professionnelles, l'obtient-on en français ou en allemand? » Schwach
est bien obligé de convenir que le texte est en français; on n'a que
la ressource de le faire traduire.
Il n'en faut pas plus. Les enfants du pays auront des frais que
les Français n'auront pas. Ils seront devenus « les beaux-enfants ».
« Ça démange Stark au foie ».
Canniverstan, qui n'a pas tout compris, juge à propos de poser la
question politique. « Messieurs, ça me paraît singulier (en fr.).
Comment ! vous avez adopté la nouvelle Constitution française, vous
avez juré fidélité à la Nation, à la Loi et au Roi, vous avez une
Municipalité exactement comme dans toute la France. On ne parle
dans toutes les Municipalités de France que le français, on ne fait
le procès-verbal qu'en français, on plaide en français, on rend les
arrêts et les jugements en français, et vous ne voulez pas que tout
se passe ainsi dans votre municipalité ».
Stark se révolte, sa thèse est celle que les patriotes alsaciens plai-
deront plus tard et toujours, et il la soutient avec véhémence Ne
: «
pouvons-nous dans notre coeur être de bons citoyens français et de
LE FRANÇAIS ET LES ACTES 85

braves patriotes, parce que nous ne pouvons parler français cou-


ramment? Cela ferait rire une vache... Il y a une grande différence
entre parler français et avoir des sentiments français. Nous devons
être fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, nous l'avons juré et nous
voulons tenir notre serment en gens d'honneur, si la nation elle
aussi se comporte bien avec nous, cela se comprend, comme nous
l'espérons et l'attendons. Devons-nous pour cela renier notre
langue maternelle, supporter que les jugements soient rendus en une
langue étrangère? C'est une chose qui, sur mon âme, n'a rien de
commun avec la première ».
Canniverstan : « Il faut bien reconnaître pourtant, Monsieur Stark,
que tous les Allemands réunis, de toute leur vie n'auraient pu mettre
sur pied une Constitution, comme la française ».
Stark se dérobe. C'est une autre affaire. Il n'y comprend rien.
Ce n'est pas à des petites gens comme lui à critiquer. Mais la Cons-
titution peut exister, sans obliger à renoncer à l'allemand.
Oui. Mais les décrets de l'Assemblée ? interrompt Marroquin.
Qu'on les traduise, s'écrie Stark 1.
Marroquin : « Oh! il est un ciel-grand différend parmi un décrét,
qué j'entends prélire en langue françois, et parmi un en langue
allemand ».
Et les procès? questionne Stark. Est-ce que les choses vont con-
tinuer à se passer comme à Colmar? Est-ce qu'on va être obligé de
payer des traductions, et de passer par ces canailles d'huissiers et
ces procureurs, qui par dessus le marché traduisent de travers?
C'est un avantage de la nouvelle Constitution. Nous nommons notre
municipalité et nos juges. Prenons des hommes en qui nous ayons
confiance et avec qui nous puissions nous entretenir dans notre
idiome.
« Vous n'allez tout de même pas
exclure les Français, demande
Canniverstan. Je frise bien des tètes savantes, et il en entre quelque
chose dans la mienne ».
« Eh bien, accommodez vos perruques,
Monsieur Lavelette, et
quand vous aurez autant perdu de cheveux qu'il y en a sur une tête,
alors on pensera à vous. A votre santé « M. Je ne comprends pas ».
C'est alors qu'intervient le jeune gradué en droit qui a écouté dans
un coin de la salle. Il parle, lui, haut-allemand :
« Me sera-t-il permis, Messieurs,
de mêler aussi quelques paroles
à votre entretien? Il semble que ces M.M. se soient un peu emportés
au sujet de la langue allemande qui dans notre Municipalité au

1. Voir p. 88 la délibération du Directoire du Bas-Rhin, du 13 juillet 1790.


86 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

début a été un peu sacrifiée. Mais depuis lors on est devenu plus
juste et on le deviendra encore plus, car on verra que pour nous
Strasbourgeois, les deux langues, l'allemande comme la française
également indispensables, et que ce serait une folle entre-
sont
prise de vouloir que la langue allemande, qui est la langue propre
du pays et sûrement le demeurera longtemps encore, soit tout à fait
opprimée et exclue des débats officiels des affaires, surtout que nous
constamment en rapport aussi bien avec des Allemands
sommes
qu'avec des Français dans notre commerce et nos échanges. Par
suite il y aura tout avantage de choisir, pour occuper les places de
juges, des hommes qui, même si les deux langues ne sont pas au
même degré en leur complète possession (ceci est un cas très
rare), tout au moins ne soient pas complètement ignorants de l'une
des deux. Car comme les décrets de l'Assemblée nationale sont tous
rédigés en langue française, que de plus le nouveau code qui doit
être élaboré et d'après lequel les juges auront à prononcer dans
l'avenir, sera de même rédigé en français, il faut qu'un juge et un
administrateur public sache assez de français pour que les décrets
et les lois d'après lesquels il doit administrer et juger lui soient
intelligibles. D'autre part, il importe non seulement à l'intérêt de
notre ville, mais de tout le pays, qu'on ne choisisse absolument pas
comme juges et administrateurs des gens sans aucune connaissance
de l'allemand, parce que sans cela ils seraient complètement inca-
pables de se faire comprendre à la majeure partie des habitants de
notre province, qui ne sont pas du tout au courant du français,
chose qui d'après l'ancienne organisation se produisait au Conseil
de Colmar et dans notre intendance et qui avait toutes sortes de
conséquences fâcheuses. Cependant il serait déraisonnable et peu
adroit de notre part, de vouloir exclure des emplois publics des
hommes au fait du droit et habiles, que nous pourrions connaître,
uniquement pour cette raison qu'ils n'auraient pas surtout une
grande expérience de la langue allemande. Pour l'avenir il y aurait
lieu d'exiger sans doute de tout administrateur ou juge d'Alsace
qu'il comprenne bien les deux langues; dans les circonstances
présentes, il serait peu raisonnable de n'élire aucun de ceux qui ne
savent écrire et parler que le français, et nous pourrions être
satisfaits si en majorité nos sièges de magistrats étaient occupés par
des juristes allemands, possédant couramment les deux langues, avec
lesquels le bourgeois et le paysan pourraient s'entretenir aussi en
leur langue. Avec le temps bien sûr tous ceux qui se destinent à ces
sortes d'emplois devront dès leur première jeunesse s'exercer aux
deux idiomes ».
LE FRANÇAIS ET LES ACTES 87

Canniverstan se déclare enchanté que les Français ne soient pas


exclus; Stark lui promet plaisamment sa voix, puisque sa profession
dépérit, les gens se faisant couper les cheveux, et que son art de
monteur de perruques se trouvera sans emploi. Il sera conseiller
municipal ou même conseiller d'école. Schwach votera aussi pour
lui à condition d'avoir une perruque pour Noël. Marroquin ne peut
faire autrement : « Je lui donne mon voix pour rien, seulement par
ce que le François est mon langue de corps ».
Il fallait bien finir par une facétie une pièce satirique. Mais, sous
des dehors plaisants, on trouve là une opinion sérieuse, et qui
méritait d'être rapportée en opposition avec l'avis des Magistrats
de Colmar cité plus haut. Elle était certainement celle de l'im-
mense majorité de la population alsacienne.

TOLÉRANCE.
— On se demande vraiment ce qui avait pu motiver tant
d'émotion. Assurément l'Assemblée était aussi peu disposée que
possible à examiner un plan de démembrement linguistique de la
France. Je ne sache même pas que ce plan soit entré dans les vues
des « fédéralistes ».
Mais on laissa les administrations départementales et municipales
libres de continuer leurs pratiques anciennes, et on montra à cet
égard autant de tolérance que l'Ancien Régime. Comment une
politique d'oppression se fût-elle accordée avec les résolutions
prises de faire exécuter des traductions des décrets ? Le pouvoir
central se servant des idiomes et les interdisant dans les départe-
ments, c'eût été la plus absurde et la plus inconséquente des poli-
tiques. Il fallut, pour qu'on y vînt, des heures de grande crise. En
attendant on persista dans le laissez-faire.
Comment les administrations en usèrent, les pièces le prouvent.
Prenons un exemple à Strasbourg. On imprime la loi relative à
l'envoi de Commissaires du Roi (24 janvier 1790). L'affiche est en
français et en allemand. La proclamation de ce Commissaire du Roi
a été également traduite (mars) 1. Plus tard, c'est sous la même
forme encore qu'on portera à la connaissance des citoyens la Lettre
de Roland (24 avril 1792)2. Chaque fois qu'on s'adresse à eux, on
se sert des deux langues 3.
C'était plus qu'un usage, c'était une règle. L'Assemblée adminis-

1. Voir Reuss, Const. civ., I, 165.


2. Id., Ib., I, 70, II, 71.
3. Voir, parmi d'innombrables exemples, la proclamation du Corps municipal de
Strasbourg, 11 janv. 1791 (Id., Ib., I, 23). Extrait du registre de police de la Munici-
palité, 31 mars 1791 (Id., Ib., I, 185, etc.).
88 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

trative du Département du Bas-Rhin s'est constituée, le 8 juillet


1790, pour s'ajourner au 1er Octobre (séance reportée ensuite au
3 novembre). Dans l'intervalle, le Directoire, Comité permanent et
organe exécutif, est entré en activité. Il tint sa première séance le
13 juillet. Son premier acte a été une délibération qui a abouti à un
Arrêté dans lequel il est dit : « les dites Lettres patentes seront
transcrites sur le Registre particulier à ce destiné, imprimées
dans les deux langues, lues, publiées, affichées, partout où besoin
sera », etc.
Conformément à cette règle, la masse formidable de documents
imprimés — dont nous ne sommes pas même sûrs de connaître la
totalité — a été, sauf un très petit nombre, imprimée dans les deux
langues, que la traduction fût faite en Alsace ou à Paris. Et ce que les
départements ont fait, les districts, les municipalités, les tribunaux,
l'ont fait de leur côté, de sorte que partout et toujours le bilin-
guisme était pratiqué en Alsace dans les actes et publications de
l'autorité publique (Voir Catalogue des Alsatica de la bibliothèque
d'Oscar Berger-Levrault, t. III).
Si on ne veut pas s'en tenir aux imprimés, il suffit d'un regard
jeté sur les cartons des Archives Nationales pour se convaincre que
les deux langues étaient sur un pied d'égalité 1. L'article 8 du règle-
ment intérieur du Conseil général du Haut-Rhin (4 novembre 1790)
était ainsi conçu : « Il sera libre à chaque membre de faire en alle-
mand ou en français telle motion qu'il jugera convenable. Il l'expli-
quera ensuite ou la fera expliquer dans l'autre langue ». Le 2 dé-
cembre 1791, le Conseil général du département demanda en outre
au pouvoir exécutif de ne nommer aux fonctions publiques dans les
communes où l'on parlait allemand que des sujets sachant les deux
langues 2.
Les Archives locales confirment pleinement ces constatations,
que les documents soient relatifs à l'administration ou à la justice.
Ainsi une nouvelle juridiction populaire est installée : les justices
de paix. Sauf de rares exceptions, les procès-verbaux, les sentences
sont en allemand 3.
Il n'y a guère d'exception que quand il s'agit de gens de Schir-

du baron de Spon, pour les élections de 1790 dans le Bas-Rhin, sont


1. Les affiches
en deux langues. Dans le Haut-Rhin, le procès-verbal ms. est en français. Un extrait
en est imprimé en allemand. 1er oct. 1790. Arch. N., F'° III.
2. Arch. de la Hte-Alsace, Sér. L., dans Hoffmann, L'Alsace XVIIIe s., t. II,
au
p. 16, note 2.
3. Voir aux Arch. Dép. Bas-Rhin. Friedens-Gericht in Strassburg, cant. IV, 1791.
n° 332-374. Cf. canton I. Reg. Protocollum, commençant le 4 janv. 1792. Presque tous
les jugements sont en allemand.
LE FRANÇAIS ET LES ACTES 89

meck qui parlent français, ou bien de soldats français, ou bien


encore de Français domiciliés en Alsace.
Il ne peut être question bien entendu de présenter ici un dépouil-
lement complet des Archives municipales. Je ne l'ai point fait, et ce
serait l'objet d'une étude spéciale. Peut-être trouverait-on des indices
d'un progrès du français 1; mais cela est douteux. A Strasbourg, les
délibérations de la municipalité sont en français, c'est vrai. Le
procès-verbal ne prouve rien quant aux discussions. A Sélestat, on
trouve aux Archives la correspondance de la Municipalité avec les
autres villes. Le tome I va du 15 avril 1791 au 19 ventôse an III
(9 mars 1795). Il ne renferme que quelques lettres en allemand, qui
viennent de Benfeld ou sont adressées à cette commune. C'est le
14 janvier 1793 qu'on apporte de Benfeld la première lettre en
français (Arch. Mun., D Va, I, p. 117). Mais ceci n'est pas nouveau;
les délibérations de 1754 à 1781 étaient déjà en français ; on ne
faisait donc que suivre une tradition.
Partout les notaires en usent comme d'habitude. A Dambach,
dans les Archives notariales, le premier acte français que j'aie trouvé
du notaire de Pinet est du 13 décembre 1791. Encore est-ce un
acte de vente de biens nationaux des Prémontrés d'Etival (Vosges).
Les adjudicataires signent en lettres allemandes.
En somme les premières Assemblées n'ont rien innové au sujet
de la langue des Actes, rien interdit, rien imposé.

1. A Andlau au Val, avant la Révolution, on ne trouve qu'isolément des actes en


français, par exemple en 1782 une transaction entre l'abbaye d'Andlau et la noblesse
immédiate de la Basse-Alsace ; en 1789 les délibérations du conseil municipal sont rare-
ment en français ; depuis 1791, elles sont toujours en français. (D'après des notes gra-
cieusement fournies par M. Bastier, sous-préfet de Sélestat).
LIVRE VII
ACHEMINEMENT
A UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE

CHAPITRE PREMIER

L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET L'ÉCOLE 1

— On est étonné, quand on parcourt


SILENCE RELATIF DES CAHIERS.
les Cahiers, de voir la place très restreinte qu'y tiennent les ques-
tions relatives à l'instruction 2. La question de la langue n'y est pas
posée, quoique l'établissement d'une instruction publique établie
sur de nouvelles bases, orientée dans d'autres directions, ouverte
à de « nouvelles couches sociales », fût universellement souhaité,
depuis 1762 surtout, nous l'avons vu.
Cette indifférence des rédacteurs des Cahiers s'explique très natu-
rellement. La France souffrait de maux trop pressants pour qu'on en
remît le soin à une autre génération et qu'on s'occupât de la former 3.

1. L'histoire générale de l'Instruction publique sous la Révolution a été très étudiée


Il faut d'abord consulter les anciens ouvrages, tels que J. B. G. Fabry, Le Génie de la
Révolution considéré dans l'éducation. Paris, 1817, 3 vol., in-8°; Guizot, Essais sur

l'histoire et l'état actuel de l'instruction publique en France, Paris, 1816, in-8° ;
— V. Pierre,
L'Ecole sous la Révolution... Paris, 1881, in-12°; Cf. G. Dumesnil, La Pédagogie

révolutionnaire. Paris, Didier, 1883, in-8°; — Hippeau, L'instruction publique en France
pendant la Révolution... Paris, 1883, in-12° ; Du même : Discours et rapports de Mira-
beau, Talleyrand... Paris, 1881, in-12°

Sur les lois et décrets, voir Recueil des lois et règlements concernant l'instruction publique
depuis l'édit de Nantes de 1598 jusqu'à Décembre 1827, sous la direction de M. Rendu,
Paris, 8 vol. in-8°. Mais les Procès-verbaux du Comité d'Instr. publ. de l'Ass. Législ. par
Guillaume, Paris, 1889, in-8° et les Procès-verbaux du Comité d'Instr. publ. de la Conven-
tion par le même dispensent de recourir aux autres sources.
Sur les journaux, voir Tourneux. Bibliographie de l'histoire de Paris, t. III, p. 337 el
suiv.
2. Voir le livre de l'abbé Allain, La quest, d'enseign. d'après les Cahiers. Comme
tous les autres ouvrages du même, ce travail est fait avec soin et renferme des dépouil-
lements précieux. Il est regrettable que l'auteur n'ait pas su garder partout une sereine
impartialité.
3. Voir en particulier l'Introduction de Guillaume aux Procès-verb. du Com. d'I. P.
de la Législ., p. IV et suiv. On y a réimprimé intégralement un travail rédigé par
l'Archiviste Camus en 1792, qui énumère avec une précision admirable les décrets
rendus, les plans et les projets qui furent présentés à l'Assemblée. Compléter à l'aide de
Tourneux, o. c.
92 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

L'esprit public se tendait tout entier vers les problèmes immédiats,


politiques et économiques. Quand quelque paroisse réclamait contre
l'absence de gens instruits, c'était plus souvent pour se plaindre de
l'ignorance ou de l'insuffisance des sages-femmes que de l'état des
humanités ou de l'inexpérience des maîtres d'école en orthographe.
Après les journées et les nuits qui bouleversèrent l'ancien ordre de
choses, emportée par les événements, l'Assemblée se trouva moins
encore qu'auparavant en état de discuter une organisation d'avenir.

L'INSTRUCTION PUBLIQUE ET L'OPINION.


— En
principe on en procla-
mait la nécessité : « C'est... une loi formelle sur la manière d'elever
la jeunesse de tout le royaume, qu'il est le plus pressant d'établir
avant toute autre; qu'il importe le plus à la nation d'entendre pro-
mulguer, et après laquelle soupirent en vain depuis si long-tems
tous les peres de famille »1. C'était là un dogme, qui se traduira
plus tard dans la fameuse formule de Danton : « Après le pain,
l'éducation est le premier besoin du peuple ». La phrase varie à
l'infini, l'idée règne.
Non bien entendu que ce credo manquât d'infidèles, tel Faure, de
la Seine-Inférieure, qui disait, presque avec les mots d'un intendant
du XVIIIe siècle : « Lorsqu'un enfant aura appris à bien lire, bien
écrire, les éléments de la grammaire, qui d'eux voudra prendre le
tablier et remplir les fonctions les plus pénibles comme les moins
lucratives de la société ? »2 Mais ces voix fort rares se perdaient dans
un concert universel.
Les raisons pour lesquelles les Constituants tenaient tant au pro-
grès des lumières étaient d'ordre politique autant que d'ordre moral,
et elles avaient par conséquent une grande force. Qu'est-ce qui a fait
la Révolution? demande un catéchiste de la Feuille Villageoise?
R. — La liberté de la pensée et la liberté de la presse : ces deux
libertés peuvent seules maintenir la constitution.
D. — Pourquoi les droits de l'homme ont-ils été si tard connus
et si tard redemandés ?
R. — Parce que le peuple ne savoit pas lire. Il ne pouvoit pas
s'instruire par lui-même, et il se laissoit séduire par les autres.
D. — Quel est donc le plus grand service que les villageois
puissent rendre à leurs enfans ?
R. — De leur apprendre à lire et de leur apprendre à examiner
tout ce qu'on leur dit avant de le croire 3.
1. Mém. sur l'éduc. de la jeunesse, IV.
2. Hippeau, Inst. publ. pend, la Révol., 10 août 1793, 72
3. N° 6, 4 nov. 1790, p. 123.
CHAPITRE II

LES PLANS D'INSTRUCTION ET LA LANGUE

Dans les plans relatifs à la future instruction, on n'en trouve guère


où on ait négligé de faire sa place à la langue nationale. Personne
n'admettait plus qu'un citoyen pût se dispenser de la posséder.
La conséquence était qu'il fallait lui donner les moyens de
l'apprendre. Un pédagogue anonyme débute ainsi. Première partie:
« L'instruction qui concerne l'esprit, commence nécessairement
par la connaissance du langage national, qui seroit exact et pur
dans toutes les parties du royaume, si ceux ou celles de qui les
enfants l'apprennent par imitation le parloient correctement ».
Suit une note des plus explicites : « Il semble qu'une nation bien
policée ne devroit avoir dans son sein aucuns jargons; et il est
sûr qu'ils disparoîtront tous au bout de quelques générations,
lorsque l'éducation devenue uniforme, aura été sevèrement circons-
crite par la loi » 1.
L'auteur ajoute (en renvoyant à un Essai sur l'éducation publié
par lui en 1787): « Il a été observé, et peut-être même prouvé que
le vice radical de l'enseignement actuel parmi nous, c'est l'ignorance
de la Langue Françoise par principes » 5.
Ce qu'on trouve le plus dans les livres et les articles du temps,
ce sont des affirmations de ce genre, brèves, un peu sèches même,
mais qui témoignent justement de convictions arrêtées. Les auteurs
s'épargnent les discussions sur des questions où l'accord est fait:
« Lire et écrire, voilà les études préliminaires auxquelles les enfans

1. Mém. sur l'éduc. de la jeunesse, p. 7.


2. En note : « Elle (la démonstration) a été présentée manuscrite, il y a deux ans,
aux ministres et à l'assemblée du clergé, mais infructueusement. Nous n'avions pas
alors de patrie ; et l'éducation de la jeunesse qui n'intéressoit que les particuliers, ne
parut point alors matiere à mériter l'attention du gouvernement » (p. 16).
Même page on lit: « Il nous faut donc pour le premier âge une Grammaire Nationale
toute nouvelle, vraiment élémentaire, dégagée de tout le scientifique et métaphysique...
qui puisse être conçue et apprise aisément et même avec plaisir dans l'espace de 4 ou
5 semaines, ou de deux mois tout au plus ...telle en un mol qu'ils l'entendent tous éga-
lement, sans qu'il y en ait un seul parmi eux, quelque mauvais qu'on le suppose, qui
ne devienne bientôt en état de la savoir toute entière ».
94 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

peuvent se livrer... dit l'abbé Hazard ; mais pour apprendre à lire


aux enfans, l'on a suivi, jusqu'ici, une
méthode... très propre à
les en dégoûter; pourquoi commencer par leur donner des livres
latins? ne seroit-il pas plus naturel de leur en donner de françois?
Ils prononceraient plus facilement les mots d'une langue qu'ils en-
tendent parler, et leur mémoire les retiendrait mieux. Je ne citerai
point ici, une foule de mauvaises habitudes qu'on leur laisse con-
tracter en lisant, comme précipitation... prononciation vicieuse,
inconvéniens qu'on ne peut leur faire éviter qu'en leur donnant des
maîtres habiles et intelligens »1.
C'est la doctrine de l'abbé Audrein : « Les principes de la religion
et de la constitution, les élémens de l'agriculture et les opérations
de l'arithmétique, quelques connaissances de la grammaire fran-
çaise et l'habitude de lire tout haut, voici ce qui doit d'abord les
occuper » 2.
1. Avis aux bons parens (p. 9-10). Avant d'enseigner aux élèves le latin, ajoute
l'auteur, commençons « par leur faire apprendre parfaitement les principes de la langue
française » (Ib., p.26).
2. Mém. sur l'éduc. nat., p. 8. Cf. Organisn, titre IV, art. XXXIV, p. 73 et titre I,
art. IV : « L'idiôme de l'enseignement sera la langue française dans toute l'étendue
du royaume » (p. 62).
Citons encore ce que Mme de Brulart juge utile, indispensable même d'apprendre aux
élèves: a la religion, à lire, à écrire, l'orthographe, les loix de leur pays » (o. c, p. 18).
CHAPITRE III

OUBLIS SINGULIERS

DOM FERLUS.
— Pourtant une question se pose qu'il ne s'agit pas
d'esquiver. Pourquoi certains réformateurs ne parlent-ils point de
l'enseignement de la langue française dans les premières écoles?
Prenons pour exemple dom Ferlus. Rien n'est plus clair et mieux
ordonné que son système. A la base il place l'éducation nécessaire,
celle que tout le monde doit avoir reçue : « Nul François ne jouira
des droits de Citoyen actif, et ne pourra recevoir de patente pour
aucune profession, si... il ne justifie qu'il sait lire, écrire, compter
et faire l'exercice militaire » 1.
L'auteur admettrait-il donc que cette éducation obligatoire peut
être donnée en patois ou en idiome ? Son livre n'en dit mot. Toute-
fois on ne peut juger sur ce seul paragraphe. Il faut se reporter
à d'autres propositions telles que celle-ci : « Les livres, les exercices,
la méthode seront les mêmes dans tout l'Empire » (p. 21). N'est-il
pas dès lors implicitement convenu que l'éducation sera en français?
Comment des livres en patois pourraient-ils être communs à tout le
royaume? « On doit envoyer des journaux instructifs, des livres
élémentaires à portée des gens de campagne » (p. 29). Ce ne peut
être que des livres français. Il importe seulement de retenir que
Dom Ferlus ne pose pas en règle qu'on enseignera le français à
l'école première ; ses projets impliquent seulement qu'on s'y servira
du français dans l'enseignement de la lecture, de l'écriture, etc. 2.

— J'interpréterais de même la pensée des


LES ORATORIENS. Orato-
riens 3. Ils imaginent une hiérarchie des enseignements. 1° « Tous
les Français sauront lire, écrire, calculer.
— 2° Les éléments de
l'agriculture et du commerce, ceux de la grammaire française et de

1. P. 23, art. I du Décret proposé.


2. Il est à noter que Dom Ferlus ne propose pas non plus d'enseignement de la
langue française dans les écoles de district.
3. Plan d'éducation... des Instit. publics de l'Oratoire (Daunou) 1790, dans Bulletin
des Patriotes de l'Oratoire, XIII, XIV, XV, p. 4-5.
96 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

la géographie, l'histoire nationale, les annales grecques et romaines...


tel est le système graduel d'études publiques »1. L'opposition est
très nette. Aucune étude de grammaire française dans les premières
écoles. Cette discipline n'apparaît qu'à un degré plus élevé. Cela ne
signifie pas que la première école n'use pas du français. Elle ne
l'enseigne pas par principes, voilà tout.
Il en est encore de même dans le Plan de Bienvenu 2 (Côtes du
Nord, 1er janvier 1791). La langue française ne se trouve men-
tionnée que dans le programme des écoles de district, les maîtres
de canton devront seuls prouver au concours qu'ils ont une ortho-
graphe correcte.
Il me paraît donc hors de doute que plusieurs réformateurs et
non des moindres écartaient encore la grammaire française du
premier enseignement, mais non la langue.

1. Cf. dans le projet de décret :


TITRE I.
— PREMIÈRES ÉCOLES.
Les élèves de la 1re classe apprennent à lire (art. 3).
— 2e —
— écrire (art. 4).
Ces cours sont gratuits.
Dans les chefs-lieux de canton une 3e classe.
— district — 4e —
destinée à l'étude de la grammaire française, de la géographie et de la physique.
TITRE II. — COLLÈGES.
Dans la 1re, la 2e, la 3e classe, on étudie la langue française, les langues latine et
grecque.
Par l'art. 12, on accepte des élèves qui peuvent ne pas assister aux leçons des langues.
Le Titre V spécifie que le droit publie et le droit civil seront enseignés français
(art. 5). en
2. Arch. N., F17A, 1310, doss. 2.
CHAPITRE IV

LE RAPPORT DE TALLEYRAND

UNE POLITIQUE DE LA LANGUE.


— Le rapport de Talleyrand tranche
singulièrement sur les projets dont nous venons de parler. Il fut fait
à l'Assemblée les 10, 11 et 19 septembre 1791, alors que la Consti-
tuante touchait au terme de ses séances. C'est un document impor-
tant, et nous aurons à le citer à divers propos. L'usage du français
doit s'universaliser en France, c'est une des pensées capitales de
l'auteur, nous l'avons déjà indiqué plus haut 1.
Talleyrand ne se borne pas à déplorer la survie des dialectes et
à annoncer leur prochaine disparition ; il dresse contre eux l'école
primaire. De l'instituteur rural il fait ce que l'ancien régime n'avait
jamais conçu qu'il pût être, un maître de la langue nationale, un
facteur d'unité. La politique scolaire était inventée.
Toutefois, quand il s'agit de répartir les matières entre les ensei-
gnements des divers degrés, il semble au premier abord qu'il y ait
quelque flottement dans son esprit. Voici sa déclaration formelle :
« Cette instruction première... dette véritable de la société envers
ses membres, doit comprendre des documents généraux nécessaires
à tous, et dont l'ensemble puisse être regardé comme l'introduction
de l'enfance dans la société. Ce caractère nous a paru désigner les
objets suivants.
« 1° Les principes de la langue nationale, soit parlée, soit écrite;
car le premier besoin social est la communication des idées et des
sentiments » 2.
98 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

routine, raisonnée, il est vrai, et éclairée par degrés mais nullement


précédée des règles de la grammaire : car ces règles, qui ont des
résultats démontrés pour celui qui sait déjà les langues et qui les a
méditées, ne peuvent, en aucune manière, être des moyens de les
savoir pour celui qui les ignore : elles sont des conséquences; on ne
peut, sans faire violence à la raison, les lui présenter comme des
principes. Mais si l'on peut laisser au cours naturel des idées le soin
de rendre universel parmi nous une langue dont chaque instant
rappellera le besoin... » 1.
C'est la doctrine pédagogique que nous avons trouvée chez
d'autres, mais précisée et expliquée. On écarte du projet un ensei-
gnement méthodique et dogmatique, qui semble prématuré et inac-
cessible. Mais plus tard, à la première étude, toute pratique, se
superposera une étude régulière. Aux principes de la langue natio-
nale succéderont, dans les écoles de district, une théorie plus appro-
fondie de l'art d'écrire et la connaissance de celles des langues
anciennes qui conservent le plus de richesses pour l'esprit humain 2.
Ce rapport de Talleyrand fut très discuté, mais il ne semble pas
qu'on ait contesté la doctrine et les propositions qui nous inté-
ressent. Au contraire, l'idée de mettre la langue française au pro-
gramme des écoles primaires est expressément approuvée par les
auteurs des Observations, maîtres de pension à Paris 3. Et eux-
mêmes introduisent dans le plan d'éducation des enfants « les prin-
cipes de leur langue pour les accoutumer de bonne heure à la parler
avec pureté et à l'écrire correctement » 4.
Quand la Constituante se sépara, rien n'était fait. On en restait
sur le principe posé dans la Constitution (art. I. Dispositions fondamen-
tales) : « Il sera créé et organisé une instruction publique, commune à
tous les citoyens, gratuite à l'égard des parties d'enseignement
indispensables pour tous les hommes ».

1. Hippeau, o. c. p. 148.
2. Id., Ib., p. 69.
3. Observations sur le rapport (de) M. Talleyrand-Périgord. Impr. Hérissant, 1791.
Arch. N., A. D. VIII, 21.
4. « On y joindra... les principes de la langue françoise, qu'ils puissent la
parler et l'écrire correctement, et pour les mettre en état de pour
se passer de secours
étrangers, quelques professions qu'ils embrassent dans la suite » (p. 7 ; cf. p. 31).
Pour l'enseignement des écoles de district, les auteurs rejettent le
grec comme une
spécialité qui sera confiée à des professeurs exprès, le latin et le français devant au
contraire être étudiés simultanément (p. 72-73).
CHAPITRE V

LA LÉGISLATIVE

LE COMITÉ D'INSTRUCTION PUBLIQUE. PLANS ET SYSTÈMES.


— Le 14 octo-
bre 1791, il fut décrété qu'il y aurait un Comité de l'Instruction
publique, composé de 24 membres. Nous savons qu'il ne chôma pas 1.
Les propositions, les plans des gens de métier continuaient
d'affluer. Il y en a d'intéressants. Un professionnel, Jean Verdier,
faisait une critique sévère de l'enseignement tel qu'il était pra-
tiqué et en montrait les graves inconvénients : « Les François,
disait-il, n'ont donc trouvé ni dans leurs écoles, ni dans leurs
livres, les moyens de remplir le besoin journalier d'exprimer
leurs pensées. Presque tous conservent un plus ou moins grand
nombre de vices de prononciation : peu savent lire correctement et
agréablement. On sort même ordinairement des écoles sans savoir
orthographier en copiant, et sans pouvoir remuer les bras en parlant.
Se trouvant dans l'impuissance d'entretenir par eux mêmes leur
commerce social, les citoyens s'adressent aux gens de loi dans leurs
affaires; mais qu'il s'en faut que ceux-ci soient lettrés, comme ils
le doivent être! Les affaires ont été traitées dans les études et dans
les tribunaux par des guerres grammaticales : les transactions et les
jugements, ainsi que les loix et les reglements, ont été des semences
de procès par l'imperfection, l'obscurité et l'équivoque de leurs
expressions : les traités qui ont formé le droit public ont souvent été
empreints des mêmes vices grammaticaux, qui ont été quelquefois
les causes ou les prétextes de guerres sanglantes. Ce grand besoin
de parler et d'écrire, qui va se faire sentir encore bien plus forte-
ment à tous les citoyens, ne peut être rempli que par un ensei-
gnement qui porte également sur le discours, sur la phrase et sur
le mot. Ce sont trois parties que j'ai fait entrer comme essentielles
dans la Grammaire générale ; et la partie du discours est sous
presse sous le titre d'Art de discourir, pour servir de supplément à
toutes les grammaires générales. Je les ai prises pareillement pour
divisions de mes Rudiments François et Latin » 2. L'auteur dit

1. Voir Guillaume, Proc. verb. Com. I. P., cette abréviation sans numéro de volume
renvoie au volume concernant la Législative.
2. Discours s. l'éduc. nationale, 1792. Arch. N., ADVIII 21, 14e pièce, p. 8.
100 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

ailleurs : « La petite grammaire doit enseigner à bien prononcer, à


bien lire, à écrire correctement, à orthographier et même à gesti-
culer d'une manière conforme aux caracteres de ponctuation. Nous
avons quelques ouvrages qui décrivent assez bien quelques uns de
ces objets : mais ils sont absolument inconnus dans les écoles. Il
y a plus : le Parlement de Paris a rendu sur les contestations et les
transactions de l'Université et de la chantrerie de la cathédrale, des
arrêts qui déffendoient aux grandes écoles d'enseigner la petite
grammaire; et aux petites d'enseigner la grande : et cette cour a
maintenu le grand Chantre dans la faculté de donner à des ouvriers
et à des ouvrieres, sans aucun examen, le droit exclusif d'enseigner
ce qu'ils n'avoient point appris. De leur côté les régents des colleges
n'ont pu enseigner les arts de la petite grammaire.
« Ils ont négligé la déclamation poëtique et oratoire qui en est
une suite.
« Apprécions maintenant l'enseignement usité de la grande gram-
maire. Le discours purement grammatical qui en est l'objet, se
divise en membres composés de phrases; les phrases en membres
composés de mots; les mots aussi en membres composés de racines.
Ces six sortes de parties se réunissent en un tout au moyen de six
syntaxes : et cependant toutes les grammaires des modernes n'en
enseignent qu'une.
« II n'est qu'une grammaire appliquable à toutes les langues : les
grammaires particulieres de chacune n'en doivent être que des con-
séquences et des applications. Cependant la grammaire générale
n'a pu obtenir de place dans les écoles ; l'on s'y est obstiné à n'en-
seigner les langues qu'au moyen de grammaires particulieres
tronquées, informes, disparates, contradictoires et plus ou moins
remplies de principes et de regles fausses »1.

1. Ib., p. 7-8.
Parmi les autres livres je citerai : Systême nouveau d'écriture feu M. Berthaud;
par
— L'art de l'écriture simplifié par M. Brazier; — Grammaire des Dames... par le cheva-
lier de Punay ; — Tableau analytique de la langue françoise, suivi d'autres tableaux
destinés à apprendre les principes de cette langue aux enfans,
par le moyen d'un jeu; —
Méthode logicosynoptique a l'usage des personnes de l'un et l'autre
la méthaphysique des langues et la logique, avec sexe, pour leur apprendre
un jeu, pour la communiquer aux enfans,
par M. Collenot d'Angremont; — La veritable méthode d'apprendre une langue vivante
ou morte, par le moyen de la langue françoise, avec la grammaire françoise, italienne et
angloise dans le même système; Démonstration et pratique de la nouvelle méthode d'en-

seignement des langues, comme la seule raisonnable admissible à l'exclusion de
actuelle ou possible; toute autre
— Système de prononciation figurée applicable à toutes les langues, et
exécuté sur les langues françoise et angloise
; — Logique françoise pour préparer les jeunes
gens à la Rhétorique par M. l'abbé de Hauchecorne ; L'art de bien écrire en françois
M. de Bauvais —
par ; — Effet du réglement d'éducation nationale. A. Generalif, 1792
(Voir Catalogue de la Bibliothèque patriotique, 28).
p.
CHAPITRE VI

LE RAPPORT DE CONDORCET

OBSCURITÉS.
— A l'Assemblée, les discussions se poursuivirent
pendant toute cette année si troublée. Mais elles n'aboutirent qu'à
un rapport. Il est vrai qu'il est capital, c'est celui de Condorcet1.
De la question de la langue à employer à l'école primaire, l'auteur
ne dit rien. Ni dans le rapport, ni dans le Projet de Décret, il
n'est fait allusion soit à la nécessité d'enseigner la langue, soit à
l'obligation de l'employer. Condorcet écarte le latin des établis-
sements d'ordre plus élevé, nous le verrons. Il n'a rien dit pour
fermer expressément la porte ni aux patois, ni aux idiomes.

LES IDÉES VÉRITABLES DE CONDORCET.


— Par des raisonnements sur
d'autres parties du plan, on peut cependant connaître sa pensée.
D'abord, quand il est dit dans le rapport qu'apprendre à lire et à
écrire suppose nécessairement quelques connaissances grammati-
cales, c'est donc que l'auteur admet un enseignement tout à fait
élémentaire, qui ne peut être donné que sur le français et par le
français, sauf peut-être en Alsace et en Flandre. Ensuite, quand il
parle des livres à l'usage des campagnes et des livres à l'usage des
villes, il pose en principe qu'il devra y avoir une différence ; or ce
ne sera pas une différence d'idiome, mais de matière, « elle se rap-
portera à celle de l'enseignement »2.
Une note 3 permet en outre de constater avec sûreté que si
Condorcet a éliminé les notions grammaticales proprement dites de
l'enseignement nécessaire à tous, c'est parce qu'ayant senti le besoin
de réduire le programme de l'école primaire aux seuls éléments qui
suffiront pour la vie ou qui permettront à l'adulte d'étendre les
connaissances acquises à l'école, il a considéré que l'enfant, en
apprenant à écrire, aurait reçu les premiers et nécessaires éléments

1. Guill., o. c, p. 88.
2. Titre II, art. 5.
3. Guill., o. c, p. 194.
102 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

grammaticaux, sans lesquels il n'y a pas d'écriture véritable. Il


s'explique nettement sur ce point : « Comme toutes ces instructions
sont le résultat de lectures, qu'elles obligent à écrire, il arrivera
nécessairement que les enfants en contracteront une habitude suffi-
sante pour acquérir cette facilité sans laquelle la lecture ou l'écri-
ture sont un travail pénible. Ils acquerront avec aussi peu de peine
les connaissances grammaticales ou d'orthographe nécessaires pour
que la langue et l'écriture de la généralité des citoyens se perfec-
tionnent peu à peu; et il est important, pour le maintien de l'égalité
réelle, que le langage cesse de séparer les hommes en deux classes ».
Ces derniers mots en disent long. Si Condorcet refuse d'accepter la
division fondée sur l'élégance et la correction du langage, il est
bien certain qu'il repousse avec plus de résolution encore la divi-
sion autrement grave des citoyens en deux catégories, d'une part
ceux qui savent le français et sont capables d'entrer en communi-
cation avec tout le monde, de l'autre les malheureux qui l'ignorent
et sont étrangers à la cité. Il ne souffre pas qu'ils le sachent mal,
à plus forte raison qu'ils ne le sachent pas. Seulement la. note est
de 1793. L'homme qui a rédigé le rapport auquel se reportent
encore aujourd'hui tous ceux qui ont de l'éducation démocratique,
de son rôle, de son organisation nécessaire une idée conforme aux
traditions républicaines, a-t-il vraiment attendu 1793 pour répudier
l'aristocratie du langage ?
Une autre note est plus explicite encore : « Celui qui a besoin de
recourir à un autre pour écrire ou même lire une lettre, pour faire
le calcul de sa dépense ou de son impôt, pour connoître l'étendue
de son champ ou le partager, pour savoir ce que la loi lui permet
ou lui défend ; celui qui ne parle point sa langue de manière à
pouvoir exprimer ses idées, qui n'écrit pas de manière à être lu
sans dégoût ; celui-là est nécessairement dans une dépendance
individuelle, dans une dépendance qui rend nul ou dangereux pour
lui l'exercice des droits de citoyen » 1.
Je ne vois dans ces additions que des gloses et des explications,
non des corrections inspirées à sa doctrine par les circonstances.

RAPPROCHEMENTS NÉCESSAIRES. parait impossible d'autre


— Il me
part, si on veut interpréter la partie du rapport de Condorcet
concernant les premières écoles, de faire abstraction des passages
où il parle du rôle de la langue vulgaire à
propos des collèges. Et
ces passages, qu'on trouvera plus loin, sont décisifs.

1. Rapp., éd. 1793, dans Guill., Proc. verb.. Com. I.


p., p. 203, note.
LE RAPPORT DE CONDORCET 103

Enfin, il convient de tenir compte des analyses profondes qu'il a


faites ailleurs du langage à employer avec les enfants, et dont je
reproduis en note quelques passages 1.

1. « On sent que les livres destinés à donner aux enfants la première habitude de lire,
ne doivent renfermer que des phrases d'une construction simple et facile à saisir.
L'habitude de ces formes de phrases leur en fera découvrir la syntaxe par une sorte de
routine ; il faut aussi qu'ils puissent en entendre tous les mots à l'aide d'une simple
explication ; mais cette dernière condition exige ici quelques développements.
« Il n'y a peut-être pas un seul mot de la langue qu'un enfant comprenne, si on veut
entendre par là qu'il y attachera le même sens qu'un homme dont l'expérience a étendu
les idées et leur a donné de la précision et de la justesse... Les mots expriment evidem-
ment des idées différentes suivant les divers degrés de science que les hommes ont acquise.
Par exemple, le mot or ne réveille pas la même idée pour un homme ignorant et pour
un homme instruit, pour celui-ci et pour un physicien, ou même pour un physicien et
pour un chymiste : il renferme pour ce dernier un beaucoup plus grand nombre d'idées
et peut-être d'autres idées. Le mot belier, le mot avoine ne réveillent pas les mêmes idées
dans la tête d'un homme de la campagne et dans celle d'un naturaliste : non seulement
le nombre de ces idées est plus grand pour ce dernier, mais les caractères par lesquels
chacun d'eux distingue le belier d'un autre animal, l'avoine d'une autre plante, et qu'on
peut appeler la définition du mot ou de l'objet, ne sont pas les mêmes. Il ne peut y
avoir d'exception que pour les mots qui expriment des idées abstraites très simples, et
dans un autre sens pour ceux qui sont susceptibles de véritables définitions, tels que les
mots de sciences mathématiques... Ces principes exposés, on apperçoit d'abord combien
il serait chimérique d'exiger que les enfants ne trouvassent dans leurs livres que des
mots dont ils eussent des idées bien exactement identiques avec celles d'un philosophe
habitué à les analyser. Par exemple, comme la plupart même des hommes faits, ils
n'auront qu'une idée très-vague et très-peu précise des mots grammaticaux, et même
des relations grammaticales que ces mots expriment. Mais il n'y a aucun inconvénient
à ce qu'un enfant lise j'ai fait et je fis, sans savoir que le présent du verbe avoir mis
avant le participe du verbe faire exprime un prétérit de ce verbe, pendant qu'un autre
se forme par un changement particulier dans la terminaison du verbe même. Il en
résultera seulement que pour lui la langue française n'aura aucun avantage sur celle où
il n'existerait aucun moyen de distinguer ni ces deux prétérits, ni la nuance d'idée qui
en caractérise la différence... Ce serait détruire absolument l'intelligence humaine que
de vouloir l'assujettir à ne marcher que d'idées précises en idées précises, à n'apprendre
des mots qu'après avoir rigoureusement analysé les idées qu'ils expriment; elle doit
commencer par des idées vagues et incomplètes, pour acquérir ensuite par l'expérience
et par l'analyse, des idées toujours de plus en plus précises et complètes, sans pouvoir
jamais atteindre les limites de cette précision et de cette connaissance entière des objets.
« Ainsi, par des mots que les enfants puissent comprendre, on doit entendre ceux qui
expriment pour eux une idée à leur portée ; de manière que cette idée, sans être la
même que celle qu'aurait un homme fait, ne renferme rien de contradictoire à celle-ci. Les
enfants seraient à peu près comme ceux qui n'entendent de deux mots synonymes que ce
qu'ils ont de commun et à qui leur différence échappe. Avec cette précaution, les élèves
acquerront une véritable instruction et on ne leur donnera pas d'idées fausses, mais
seulement des idées incomplètes ou indéterminées, parce qu'ils ne peuvent en avoir
d'autres. Autrement il serait impossible de se servir avec eux de la langue des
hommes ; et comme on forme un langage particulier au premier âge, et proportionné
à la faiblesse de l'organe de la parole, il faudrait instituer une langue à part propor-
tionnée à leur intelligence. On peut donc employer dans les livres destinés aux enfants
des mots qui expriment des nuances, des degrés de sentiment qu'ils ne peuvent con-
naître, pourvu qu'ils aient une idée de ce sentiment en lui-même ; et dès que l'idée
principale exprimée par un mot est à leur portée, il est inutile qu'il réveille en eux
toutes les idées accessoires que le langage ordinaire y attache. Les langues ne sont pas
l'ouvrage des philosophes ; on n'a pas eu besoin d'y exprimer par un mot distinct l'idée
commune et simple, dont un grand nombre d'autres mots expriment les modifications
diverses ; jamais même on ne peut espérer qu'elles atteignent à cette perfection, puisque,
les mots ne se formant qu'après les idées et par la nécessité de les exprimer, les progrès
de l'esprit précèdent nécessairement ceux du langage. Il y a plus : si l'on doit donner
aux enfants une analyse exacte, quoiqu'incomplète encore du sens des mots qui dési-
104 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Avec la clairvoyance d'un homme rompu à l'analyse des idées et


des mots et qui sait comment les mots suggèrent ou expriment, il
étudie ce qu'on peut enseigner à l'enfant du vocabulaire et des
formes de la langue, ce qu'il est nécessaire et possible qu'il en
perçoive, de quelles approximations il faut se contenter d'abord.
Qui ne voit que cela suppose que l'enfant est très jeune, donc que
la langue lui est enseignée dès les premières années ? Quand
Condorcet ajoute que les mots scientifiques sont les plus faciles à
entendre, qui supposerait qu'il pense à des mots scientifiques en
basque ou en breton? Les formes même, telles que j'ai fait, je fis,
qu'il cite en exemple, sont françaises.
Dans le 3e Mémoire, sa pensée se précise plus sûrement encore. Il
y étudie comment on pourrait se servir des traductions d'Amyot,
malgré le vieillissement de quelques mots 1. Plus loin il énumère
gnent ou les objets physiques qu'on veut leur faire connaître, ou les idées morales
sur lesquelles on veut fixer leur attention, et de ceux qui doivent servir pour ces déve-
loppements, il est impossible d'analyser avec le même scrupule les mots d'un usage
vulgaire qu'on est obligé d'employer pour s'entendre avec eux.
« Il y aura donc pour eux comme pour nous deux
manières de comprendre les mots :
l'une plus vague pour les mots communs, l'autre plus précise pour ceux qui doivent
être l'expression d'idées plus réfléchies. A mesure que l'esprit humain se perfectionnera,
on emploiera moins de mots de la première manière, mais jamais ils ne disparaîtront
entièrement du langage ; et semblablement il faut dans l'éducation chercher à en dimi-
nuer le nombre, mais n'avoir pas la prétention de pouvoir s'en passer.
« ...J'observerai de plus que l'on doit préférer
d'employer dans les livres des enfants
ceux des mots techniques, qui, soit pour les objets physiques, soit pour les autres, sont
adoptés généralement. Cette langue scientifique est toujours mieux faite que la langue
vulgaire. Les changements s'y font plus sensiblement et par une convention moins
tacite. Ces mots expriment en général des idées plus précises, désignent des objets plus
réellement distincts, et répondent à des idées mieux faites et d'une analyse plus facile,
puisque souvent ces noms sont même postérieurs à cette analyse. Si le goût les bannit
des ouvrages purement littéraires, c'est parce que l'affectation de science blesserait ou
la délicatesse ou l'orgueil des lecteurs, c'est qu'ils y répandraient plus d'obscurité qu'ils
n'y mettraient de précision « (2e Mémoire, dans Bibl. de l'Hom. publ,, fasc. 2, p. 16 et
suiv.).
1. « On pourrait employer une partie de cet ouvrage en se servant de la traduction
d'Amiot, qu'il serait facile de purger des fautes de langage, sans lui rien ôter de sa
naïveté, qui la fait préférer encore à des traductions plus correctes, mais privées de
mouvement et de vie ; car il ne faut pas croire que l'agrément du style d'Amiot, la
grâce ou l'énergie de celui de Montaigne tiennent à leur vieux langage. Sans doute
l'usage qu'ils font de quelques mots expressifs qui ont vieilli, de quelques formes de
phrases énergiques ou piquantes aujourd'hui proscrites de la langue, contribuent au
plaisir que donne la lecture de leurs ouvrages ; mais rien n'exige le sacrifice de ces
mots et de ces phrases. La pureté du style ne consiste pas à n'employer que les mots
ou les tours qui sont du langage habituel, mais à ne blesser ni l'analogie grammaticale,
ni l'esprit de la langue dans les mots non usités, dans les formes de phrases nouvelles
ou
ou rajeunies qu'on peut se permettre : elle exige de ne choquer l'usage que pour plus
de propriété, de précision, d'énergie et de grâce ; et cette règle est fondée la raison
sur
même. En effet, toute violation de l'usage produit une impression qui nécessairement
occupe une partie de l'attention destinée pour entendre ce qu'on lit ou ce qu'on écoute :
il faut donc un dédommagement à cette peine. Ainsi,
en préparant pour l'instruction
commune un de nos vieux auteurs, rien n'empêche de conserver l'ancien mot s'il est
meilleur, mais rien ne doit non plus empêcher de le corriger, s'il n'a d'autre mérite
d'être en désuétude » (76., fasc. 3, p. 36). que
« A ces ouvrages pour l'instruction des hommes, on doit joindre des dictionnaires, de
LE RAPPORT DE CONDORCET 105

les livres qui devront être répandus : dictionnaires, encyclopédies


simplifiées, qui permettront à ceux qui n'auraient reçu que le premier
degré d'instruction d'étendre leurs connaissances. Est-ce qu'il y a
une possibilité quelconque, en présence de ces textes, de supposer
que Condorcet admettait que l'école fût faite en une autre langue
que le français ?
S'il n'avait pas présupposé que le français devait être, à l'exclu-
sion de toute autre, la langue de la première école et des premiers
livres, ces développements n'auraient aucun sens. Mais quand on
les étudie, on se rend compte des raisons qui l'ont porté à écarter
des classes du premier âge un enseignement par principes. Il le
croyait, lui aussi, inutile, quelquefois même dangereux par les
analyses prématurées qu'il suppose et qui ne lui paraissaient pas
accommodées aux facultés de l'enfant. Il estimait qu'il donnerait lieu
à des méprises et rebuterait les jeunes esprits par des casse-tête.

L'ÉCOLE FRANÇAISE ET LE PATS.


— Assurément on ne serait pas
embarrassé de citer des départements — assez indépendants pour-
tant — où les autorités locales dirigent leurs efforts vers une
diffusion plus large de l'enseignement du français, ainsi les Pyrénées-
Orientales 1.
A Villelongue, on offrira bientôt la régence au citoyen Monnier,
sergent-major d'un régiment cantonné dans le pays; pourquoi?
afin de « détruire entièrement l'idiome catalan, que nous parlons,
pour le remplacer par le langage national » (Torr. et Despl., o. c,
p. 359).
« Depuis la Révolution, écrit-on de Tréguier, les écoles des
villes, qui jadis étaient peu suivies, se multiplient. Il en résulte
que la campagne, dans le bas âge, reçoit un commencement d'édu-
almanachs, des journaux. Ainsi, il faudrait une petite encyclopédie très-courte, et pré-
cisément à la portée de ceux qui n'auraient reçu que le premier degré de l'instruction : il
faudrait qu'ils pussent y trouver l'explication des mots qu'ils n'entendraient pas dans les
livres, les connaissances les plus usuelles, celles qui forment en quelque sorte le corps
de chaque science, enfin l'indication des livres dans lesquels ils pourraient s'instruire
davantage » (Ib., p. 40).
1. Le programme d'enseignement de 1790, à Rivesaltes, comporte que le premier
maître « enseignera la grammaire française et latine, le catéchisme, l'histoire et la
littérature jusqu'en rhétorique », et le second, « la lecture, l'écriture, la grammaire
française, le catéchisme et le calcul » (Torreilles et Desplanque, l'Ens. élém. en
Roussillon, p. 319)
Après le départ de l'intendant, M. de St-Sauveur, la plupart des écoles rouvrent leurs
portes ; les communes ne reculent devant aucun sacrifice et offrent aux régents
des « mésades » (mensualités) de 20 sous pour chacun de ceux qui liront le latin
et le français » (Id., Ib., p. 315).
Les concurrents à l'enseignement « se feront mutuellement des questions sur la
grammaire française et latine et répondront à celles qui pourront leur être faites par les
examinateurs » (Id., Ib., p. 318, n. 4).
106 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

cation dans la lecture et l'écriture du français et du latin » (Lett. à


Grég., p. 283).
En mai 1790, l'administration de Colmar sollicite l'envoi de soeurs
de la Providence, dont une enseignerait en français.
Mais ces faits ne passent guère ni en nombre ni en valeur les
faits analogues que nous avons vus se produire à la fin de l'ancien
régime, et il ne faudrait pas croire que l'annonce des futures écoles
françaises ait provoqué une allégresse universelle, même parmi les
patriotes. Dans son n° du 16 septembre 1791, le journal strasbour-
geois Geschichte der gegenwaertigen Zeit fait sur ce projet des réserves
expresses : « J'espère qu'on enseignera les règles élémentaires de
la langue allemande dans les régions de l'empire français où l'on
parle allemand, afin que nous apprenions à connaître d'abord —
comme cela doit être le cas dans un enseignement normal —
l'esprit de notre langue maternelle avant de passer à l'étude d'une
langue étrangère » 1.

RÉSULTATS.
— Arrivait-on à compenser les désastres qui s'accu-
mulaient? Non. Il faut bien le dire. Le voeu qu'on crie un peu par-
tout, ce n'est pas d'avoir un enseignement français, c'est d'avoir un
enseignement. Quelques-uns rêvent, d'écoles nouvelles, sérieuses,
régénératrices, pénétrées des vrais principes, d'un enseignement
donné par de vrais instituteurs ; la masse des autres regrettent les
vieilles pratiques et les maîtres qu'on avait. Ils étaient pour la
plupart mauvais, mais ils étaient. Or les Assemblées avaient vai-
nement pris des dispositions conservatrices, en attendant. Divers
décrets ruinaient l'ancien édifice.
La suppression de la dîme et des droits ecclésiastiques, la confisca-
tion des biens de fondation, dont les revenus assuraient la rému-
nération au moins partielle du personnel ; la destruction des ordres
religieux, l'obligation du serment surtout, avaient amené la dispari-
tion de la plupart des écoles. Beaucoup de maîtres, violentés dans
leur conscience, ou entraînés par leur curé, privés de salaires,
proscrits même, avaient disparu. Ils n'étaient pas remplacés, ou ils
étaient remplacés par des schismatiques, que les populations, ameu-
tées par le clergé réfractaire, refusaient d'accepter. Le français, pour
ne parler que de lui, ne pouvait que perdre à une situation si
fâcheuse.
Il serait piquant de comparer les résultats de l'initiative privée,
et de faire, d'après les Affiches et les Annonces de toute sorte, un

1. Reuss, Notes s. l'instr. prim.


en Alsace, p. 25.
LE RAPPORT DE CONDORCET 107

tableau du marché du français. Rien peut-être ne montrerait mieux


que ces offres et ces, demandes le cas que partout on fait de la con-
naissance de la langue de Paris.
Voici d'après M. Brun (Mém. ms., p. 81) quelques annonces
pour la seule année 1791 à Marseille :
Un bon maître de langues, déjà connu à Marseille, désireroit
trouver deux ou trois écoliers au plus, qui voulussent apprendre en
peu de temps, les langues italienne et angloise, et perfectionner
la langue maternelle (Journal de Provence, 10 mai 1791).
Un sieur Demare, lyonnais, s'offre pour enseigner les langues
française et latine, l'écriture et l'arithmétique, conjointement avec
les droits de l'homme (Ib.; 14 juin 1791).
Une demoiselle désire enseigner « la grammaire françoise... c'est
à dire l'art de parler, de lire et d'écrire correctement » (Ib., 12
juillet 1791).
On propose d'enseigner « la langue françoise par principes, et
de faire à cet égard des cours suivis, s'il se présente un nombre
d'écoliers suffisant » (Ib., 12 novembre 1791).
Et dans les années suivantes les offres ne sont pas moins nom-
breuses. Je relève entre autres, 21 juin 1792, un avis aux mères de
famille, pour un cours rue de l'Arbre (Marseille), où figurent « la
grammaire française, la géographie, la fable ou mythologie, le style,
l'arithmétique, l'instruction du coeur... ». Le 15 décembre 1792,
même rue, l'institution Quétin et fils offre un programme avec du
français (Ib.).
A Toulon, en 1791, un nommé Batavel demande l'autorisation
1

d'ouvrir une école pour enseigner les langues. 2


Un pensionnat établi à Saint-Loup avec la devise « rure morum
corporisque sanitas » enseigne le français et le latin.
Ainsi de suite. Femmes et hommes se font connaître pour occuper
des préceptorats, ou diriger des pensionnats. 5

1. Bourilly, L'I. P. dans la région de Toulon, 1789-1815.


2. Voici quelques autres annonces : avis d'un nommé Manenty, ci-devant maître de
pension, qui propose d'enseigner : « 1° la religion ; 2° la langue française par prin-
cipe, le stile épistolaire, l'art oratoire, la morale... 3° l'histoire sainte ; 4° la langue
latine » (Journal de Provence, devenu Journal de Marseille. 13 août 1793 ; dans Brun,
Mém. ms. 81).
3. Voir aussi 10 mai 1791 : « Une jeune dame nouvellement arrivée de Paris, par-
lant bien le français, désire une place de femme de chambre » (Id., Ib.).
LIVRE VIII
LA RÉVOLUTION ET LE LATIN

CHAPITRE PREMIER
L'ENSEIGNEMENT EN FRANÇAIS

LES CAHIERS ET LA RÉFORME. Cahiers » sont plus expli-


— Les «
cites sur l'organisation et le programme des collèges que sur les
Ecoles. Les voeux exprimés tendent presque tous à une francisation
des études. Le bailliage de Château-Thierry exprime le voeu que
l'éducation publique ne se borne plus à l'étude de la seule langue
latine1.
A Essonnes, on voudrait couper la journée en deux. Le matin
serait employé à l'étude de la langue française et à la composition
dans la même langue, le soir aux études de langues mortes 3.
A Vouvant, en pleine Vendée, on déclare que des connaissances
sûres en langue française, aussi bien qu'en langue latine, devraient
être données aux enfants 3.
Le Tiers-État de Bordeaux désire « qu'il soit formé par les
États Généraux, un nouveau plan d'éducation nationale ; qu'au lieu
de cette ancienne méthode pratiquée dans nos collèges, qui consume
les premières années de l'homme dans l'étude aride d'une langue
morte, il soit établi des maisons d'instruction où la religion, la
morale, les belles-lettres, les langues, les sciences, l'histoire, le
droit des gens, et le droit naturel trouveront les enseignements qui
conviennent au temps présent, à la chose publique, et aux sujets
d'un grand et riche empire » 4, etc.
Pour remettre les choses au point, et rendre à chacun son dû,

1. Arch. Parl, II, p.665. Cf. Allain, o. c. p. 94.


2. Allain, o. c, p. 309.
3. Arch. Parl., V, p. 425, n. 2.
4. Arch. Parl.. II, p. 405. Cf. Allain, o. c. p. 253.
110 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

deux réformes fondamentales étaient nécessaires : 1° Supprimer ce


qui restait encore de l'usage d'enseigner en latin ; 2° Généraliser
l'enseignement du français et le rendre obligatoire.

LA CLASSE EN FRANÇAIS ET LES PLANS — La première


D'INSTRUCTION.
réforme était avancée déjà. Elle ne trouvait plus d'adversaires, au
moins en théorie. Barruel, dans son Plan d'éducation, ne juge pas
qu'elle vaille même d'être discutée : « Tout l'enseignement, dit-il,
doit être en français, bien entendu » (p. 284)1. Paris, de l'Oratoire,
dira de même : « Toute l'éducation des collèges ne pourrait être
qu'en français »2. Jusqu'à la fin de cette période se renouvellent
des réclamations monotones contre l'enseignement en latin. Le
30 mars 1792, d'Archenholtz, ancien capitaine au service de la
Prusse, qui a beaucoup vu, envoie à la Législative un mémoire plein
d'observations sur l'éducation, vante les mérites de Basedow, le
savant qui « répandit sur l'éducation de grandes lumières », et
ajoute : « il mit des choses à la place des mots, méthode d'instruction
plus à la portée des enfants et moins sèche, il montra surtout qu'il
ne fallait pas donner aux enfants des livres écrits dans une langue
inconnue, et dont les objets se trouvaient fort au-dessus de leur
capacité »3.

LA CLASSE EN FRANÇAIS ET LES ASSEMBLÉES.


— Tous les projets d'orga-
nisation de l'instruction publique s'accordèrent sur ce point. Le plan
de Mirabeau — qui est peut-être de Cabanis, peut-être de Reybaz 4,
— explique avec une extrême précision comment il ne s'agit pas
seulement de rompre avec une tradition démodée, mais d'éviter un
grand inconvénient, celui de gêner, peut-être jusqu'à la compro-
mettre, l'éducation tout entière : « Dans les Universités on enseigne
beaucoup de choses en latin, dit-il 5. Je suis loin de vouloir proscrire
l'étude des langues mortes, il est au contraire à désirer qu'on l'en-
courage ; je voudrais surtout qu'on pût faire renaître de ses cendres
cette belle langue grecque dont le mécanisme est si parfaitement
analytique, et dont l'harmonie appelle toutes les beautés du
discours. Pour bien apprécier sa propre langue, il faut pouvoir la

1. « Il seroit superflu de dire ici qu'ils (les livres de philosophie) doivent être écrits
en français ». C'est le seul moyen de déraciner la Scolastique. « Combien de gens ont
clé découragés par ce latin barbare, avec lequel on outrage impunément le bon
(Ib., p. 289). sens !
»
2. Proj. d'éduc. nat., p. 11.
3. Guill., o. c., p. 427.
4. Dreyfus-Brisac, Prob. de bibliog. pédag., t. I, 274. Cf. Guill. o. c, Conv.,
VI, n. 3. p.
5. Cassanyès a encore étudié la grammaire en latin (La Révol. fr., t. XIV,
p. 977).
L'ENSEIGNEMENT EN FRANÇAIS 111
comparer avec une autre, et c'est les meilleures qu'il faut prendre
pour objet de comparaison.
« Que
le grec et le latin soient donc regardés comme propres à
fournir des vues précieuses sur les procédés de l'esprit dans l'énon-
ciation des idées ; qu'on les estime, qu'on les recommande à raison
des excellents livres qu'ils nous mettent à portée de connaître beau-
coup mieux : rien de plus raisonnable, sans doute. Mais je crois
nécessaire d'ordonner que tout enseignement public se fasse désor-
mais en français ». 1

Talleyrand introduisit à cet effet des dispositions expresses dans


son projet.2 Personne ne contesta, je crois, la sagesse de la réforme
dont nous parlons.
Point de doute non plus sur les intentions de Condorcet : Les
Cours, dans tous les instituts, se donneront en français (Titre IV) 3.
— Les sciences et les arts, seront enseignés en français dans tous
les lycées (Tit. VI) 4.
Ainsi, au cas où les plans d'organisation auraient été discutés,
cette réforme radicale n'eût sans doute rencontré aucune opposi-
tion. L'unanimité était faite.

1. Hippeau, o. c, p. 11,
2. Ecoles de médecine, art. 17. — Ecoles pour l'enseignement du droit, art. 4.
« Les leçons se feront en français ».
3. Rapp. dans Guill., o. c, p. 231.
4. Id., ib., p. 237.
CHAPITRE II

L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS

IMPRÉCATIONS CONTRE LE LATINISME.


— Sur le second point, à savoir
quelle place il convenait de faire au français, l'accord était moins
général. Mais on s'entendait sur la nécessité de « secouer le joug du
latinisme ». « Un enfant passe toute sa jeunesse, dit l'abbé Hazard,
à l'étude d'une langue morte que l'on peut posséder en deux ans
d'application... cinq années... sont employées à faire des thèmes,
c'est-à-dire, à traduire sa langue, que l'on sait très peu, en une
autre langue que l'on ignore entierement ; que l'on s'étonne après
cela de l'incapacité d'un jeune homme au sortir du collège... Avant
d'enseigner le latin à mes élèves, je commence par leur faire
apprendre parfaitement les principes de la langue française »1.

Le Projet d'éducation nationale de Paris, de l'Oratoire, débute,


lui, par cette affirmation au moins hardie : « Jusqu'à présent, il n'y
a point eu, à proprement parler, d'éducation parmi nous ». Et l'au-
teur propose que dans la première éducation les enfants apprennent
à lire, à écrire... un abrégé d'orthographe (p. 5); dans les collèges,
la langue dont il y a le plus à faire dans leur région ; au reste ils
pourraient toujours étudier la latine (p. 12).
La haine de l'éducation telle qu'elle se pratique pousse Rivière à
demander la suppression de toutes les Universités et écoles
publiques 2: « Tant que le François et les autres Langues vivantes
ne fournirent point un assez grand nombre de bons Ouvrages dans
tous les genres, il fut encore raisonnable peut-être, de favori-
ser l'Étude des Anciens. Mais depuis que toutes les productions de
leur génie sont, pour ainsi dire, fondues dans nos livres et dans
ceux des nations voisines ; depuis que nous avons en tout genre des
modèles qui valent ou surpassent ceux de l'Antiquité, n'est-il pas

1. Plan d'Educ. patriot., p. 25-26.


2. Palladium de la Const. pol. ou Régénération morale de la France, p. 9-11.
L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS 113

inutile, absurde et cruel d'user la Jeunesse dans une étude stérile de


mots ? »

« Les Grecs n'apprenaient que le Grec. Si les François n'ont pas


plus tôt brisé le joug d'une infâme routine, qui, tenant l'esprit public
à la chaîne, en a toujours retardé la marche et les progrès, c'est
en partie l'ouvrage de la politique ministérielle ». L'auteur expose
ensuite que l'Université de Paris, sentant « le dégoût du public
s'accroître de jour en jour, et sa frêle existence ne plus tenir qu'au
fil usé des Grades et du Latin », imposa le Latin partout. Et Rivière
conclut à « la dissolution de tous les corps didactiques ».
L'avocat Raymond de Varennes ramassera toutes les accusations
depuis longtemps proférées contre le latin : « Après dix années de
principes latins, de thêmes latins, de vers latins, de discours latins,
d'argumens latins, de lectures et de traductions d'auteurs latins,
ils reviennent chez eux gonflés et bouffis de latin inintelligible, et
très-ignorans sur tout le reste.... Nos colleges, nos universités,
nos instituteurs particuliers, imbus de leurs petits principes locaux
et d'usage, sont... insuffisans pour former la jeunesse. Sous le joug
de leur férule, l'esprit se noie dans des questions oiseuses qu'il ne
comprend pas, s'émousse sur des langues mortes qu'il oublie
promptement, se monte sur des theses échafaudées sur le pédan-
tisme, qui l'égarent ; et si sa mémoire s'exerce, c'est pour y classer
des poëmes latins, que le plus studieux écolier ne sauroit traduire » 1.

PROPOSITION EN FAVEUR DU FRANÇAIS.


— Dom Blondin, Feuillant,
pose en principe que, si on a employé jusqu'alors « un temps aussi
considérable à apprendre le latin et les langues étrangères, c'est
parce que, ne connaissant nullement les principes de sa langue
maternelle, on en a étudié d'autres dans lesquelles il étoit physique
ment impossible d'opérer sans être instruit du méchanisme de la
sienne propre » 2.
« Il est absurde, dit Barruel, de
faire des langues anciennes le
principal objet de l'éducation ; elles n'en doivent être qu'un acces-
soire, et il ne faut les considérer que comme des instrumens propres
à acquérir de véritables connoissances, et à rendre, pour ainsi dire,
indigènes les productions d'un sol étranger » 3.
L'indignation entraîne Fontaine de St-Fréville, « chef d'une maison
d'éducation... notable adjoint et caporal volontaire de l'armée pari-
sienne », aux plus sévères condamnations : « Les Professeurs des

1. Idées patriot., p. 61 et 7.
2. Précis de la l. fr., Avertissement.
3. Plan d'éduc, p. 210.
Histoire de la langue française. IX. 8
114 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Collèges, qui ont le plus de goût et de réputation, dit-il, font traduire


Latins à leurs Élèves des passages de nos meilleurs Poétes
en vers
Français, et ne leur parlent pas seulement des premières règles de la
Versification Française. Quelques-uns même punissent les Elèves qui
ont l'audace de faire des vers Français. Ce qu'ils appellent sujet du Prix
d'honneur, est une composition Latine ; avant d'avoir enseigné l'art
de traduire le Latin, ils enseignent les règles de la Syntaxe Latine ;
ils font traduire le Français en cette Langue; ils mettent la nôtre à
la torture pour faire passer en revue tous les tours de celle des
Latins. En toute occasion, dans le régime des Universités, la Langue
Française n'a que le second pas. Une lettre changée, omise ou
ajoutée dans un mot Latin, est la faute la plus grave, c'est un bar-
barisme ; et les fautes les plus essentielles contre l'Orthographe et
la Syntaxe même du Français, n'étaient pas, il y a quelques années,
seulement comptées pour une faute dans la composition des Élèves.
On n'y faisait guéres plus d'attention qu'à la forme des lettres. Les
Universités ont encore le même régime que leur donna Charle-
magne ; il semble, dans les Colléges, que l'on soit encore sous le
règne de ses successeurs, ou au commencementde celui de François
premier. On dirait que la Cour, que les Grands ne parlent que
Latin, que les oracles de la Justice se rendent en Latin, que les
Actes publics s'écrivent en Latin, et que la Langue de l'Europe, la
Langue universelle, le Français, en un mot, soit encore un jargon,
une Langue à naître ou du moins naissante ».
Tout le plan est à l'avenant. Dans la classe d'éloquence (16 à
17 ans) on fera des compositions, seulement en français. « Nous
n'avons pas plus besoin de Harangues Latines que de vers Latins.
Les meilleures ne sont que des recueils de plagiats, des pieces de
marquéterie " 1.
Les conceptions de Major sont les suivantes : « Jusqu'à un certain
âge, 14 ans par exemple... les jeunes apprendront la langue fran-
çoise, ils s'exerceront à faire des recits, à écrire des lettres, à faire
des idyles, en un mot quelques ouvrages de littérature » 2. La géo-
graphie et les mathématiques sont plus utiles que la syntaxe et la
versification latines (p. 6). « Le latin deviendra, comme les langues
étrangères, un accessoire des études... Le moyen d'imiter les chefs-
d'oeuvres des anciens n'est pas de se traîner pésamment
sur deux
ou trois livres de l'Odissée ou de l'Enéide » (Ib.).
1. Essai ou proj. d'éduc, p. 29 ; cf. p. 35.
2. Tabl. d'un Coll. en activ., p. 5. En se reportant au Tableau, voit la place
on
considérable faite à l' enseignement du français, dès la première classe dans les
autres. Les principes s' y trouvent mis en application. Latin et françaisetmarchent
ensemble (Cf. p. ou et suiv.).
L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS 115

«
Jusqu'ici l'objet principal des études a été le latin ; parce que
c'étoit un moyen nécessaire pour avoir une place dans l'église ou
dans la magistrature ; aujourd'hui ce moyen est presque nul »
(p. 9). « L'instruction doit changer absolument » (p. 11).
« Les trois ou quatre années qui suivent le commencement des
études, reprend Legendre, au lieu d'être employées à l'étude d'une
langue qui n'est presque d'aucun usage dans le cours de la vie,
doivent l'être à apprendre par principes la langue Française, qui,
par sa beauté, son énergie et sa douceur, est presque devenue la
langue universelle »1.
Pour remplacer le latin, suivant Verdier, on introduira des matières
diverses, mais le français est la première. « Il seroit maintenant bien
ridicule de demander si la premiere application des Belles-lettres
doit se faire à la langue maternelle. C'est pourtant une question que
les anciennes écoles, qui se disoient latines, n'ont pu résoudre. La
langue françoise y a toujours été traitée comme une étrangere » 2.
Dans son Nouveau plan d'éducation, l'abbé Villier, de l'Oratoire,
mettrait, vers la douzième année des élèves, l'analyse et les discours
de Condillac entre leurs mains. « Les éleves habitués à parler pure-
ment françois... trouveront peu de difficultés dans l'étude de la
grammaire, dont les regles seront à leur portée » (p. 76-77).
En troisième (c'est-à-dire après six années d'étude), il ferait ensei-
gner à ses élèves l'art de raisonner, de penser et d'écrire, toujours
d'après Condillac. Il leur ferait lire Racine, Molière, Corneille et
Voltaire ; on aura soin, dit-il « de leur faire observer les beautés
du langage, et sur-tout de les accoutumer à faire l'application des
regles qu'on leur aura apprises, aux différens exemples qui se pré-
senteront » (p. 94-95).
On n'enseignera les langues étrangères, et même le latin aux élèves,
qu'après s'être assuré qu'ils « savent leur langue passablement... et
sont en état de faire avec facilité l'application des regles de la gram-
maire » (p. 9 ; cf. p. 98 et suiv.).
Dans les collèges actuels, le but principal étant d'apprendre le
latin, on n'enseigne aux enfants que des lambeaux de chaque matière
et « les jeunes gens sortant de rhétorique... ne savent réellement
ni françois, ni latin, ni grec » (p. 104-105).

1. Coup d'oeil sur l'éduc. publ., p. 3.


2. L'auteur ajoute : « la langue des Romains si utile, si belle, si reguliere et si
facile, y étoit enseignée par des principes si courts, si faux et par une méthode si
imparfaite et si vicieuse que cent années de cet enseignement ne l'y auroient pas apprise
aux esprits les plus disposés à la bien étudier. Plaise à Dieu que les difficultés que cet
enseignement absurde y a fait naître, ne deviennent pas un motif de la proscrire
des nouvelles écoles ! » (Disc. s. l'éduc. nat., Arch. N.,. A. DVIII 21, 14e pièce, p. 10)
116 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

L'abbé Audrein voudrait voir instituer trois sortes d'écoles : « les


petites écoles ou pédagogies, des petits collèges ou collèges de
langues, et des grands collèges » (O. c, p. 7).
Dans les premières, à côté des principes de la religion et de la
constitution, des éléments d'agriculture et des opérations de l'arith-
métique, il faudrait donner aux élèves « quelques connoissances de
la grammaire française, et l'habitude de lire tout haut » (Ib., p. 8).
Dans les petits collèges, « après la langue française, sur laquelle
le plus rigoureux examen sera nécessaire avant de passer dans les
grands collèges, les langues angloise, allemande, espagnole, ita-
lienne doivent avoir le pas. Le grec et le latin pour quiconque vou-
dra se former dans notre ancienne littérature, ne paroîtront pas
moins importans » (Ib., p. 10).
« Pour être
admis à étudier dans les grands collèges, il faudra
avoir 15 ans commencés, et... en outre subir un rigoureux examen
sur la Grammaire française... Celle de Wailli semble mériter la
préférence » (Ib., p. 73 et n. 1).
Un projet d'humanités en deux ans 1, adressé à l'Assemblée Natio-
nale propose: « Première année. Faire apprendre, de mémoire, à ses
Elèves, la Grammaire françoise la plus correcte; (je suppose ici —
remarque l'auteur — que les enfants sauront lire), aplanir les diffi-
cultés de chaque page par des observations raisonnées ; enseigner
l'accord, la liaison, les dépendances des substantifs, adjectifs, verbes,
régimes directs et indirects, donner une connoissance exacte de l'or-
thographe, des accents et ponctuations ; et réunir, avec ordre et
harmonie, plusieurs phrases pour en former la Période.
« La Lecture contribuant à ouvrir l'Esprit..., les Etudians de
chaque classe liroient tour à tour, en présence de leurs maîtres, etc.
« Seconde année. Choisir une rhétorique françoise succincte et
expressive... faire lire assidument le matin les discours de nos meil-
leurs Orateurs... Enseigner le soir les règles de la poésie...
« La langue latine étant une source inépuisable de richesses pour
la langue françoise, je désirerois que ceux qui veulent tendre à la
perfection continuassent de l'étudier ».
Dans la première classe, d'après Fontaine de St-Fréville déjà
cité, « les enfants de six à huit ans apprennent à lire et à écrire.
De huit à neuf ans, dans la seconde classe, on leur enseigne les
Principes généraux des Langues et ceux de la Langue Française
en particulier » (O. c, 21-22) 5. « Dans la troisième classe, le Pro-
1. Arch. N., F17, 1310, doss. 8.
2. L'auteur a soin d'indiquer comment se feront les dictées les enfants qui auront
;
fait des fautes chercheront les mots dans le Dictionnaire.
L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS 117

fesseur continuera de leur enseigner les principes de l'Orthographe


française, et tâchera de ne leur laisser ignorer là-dessus que ce
qu'ils ne peuvent encore savoir, l'Orthographe d'usage qu'ils appren-
dront par la suite » (Ib., 23). « Dans la quatrième classe, en même
temps que la langue latine, on joindra une instruction sur la syn-
taxe française, on leur fera analyser des phrases Françaises, en leur
apprenant à clâsser tous les mots, à distinguer les espéces (ce que
je n'ai vu, dit l'auteur, encore pratiquer nulle part). Cet exercice,
appliqué aux deux langues, leur sera infiniment utile. Il les per-
fectionnera dans l'orthographe, leur enseignera les règles de la
ponctuation. Il appliquera aussi ces principes à leurs essais de
traduction » (Ib., 24-25), « La Composition française commencera
dans la sixième classe » (de 12 à 13 ans).
L'élève de l'Abbé Auger, à neuf ans, sait lire et écrire, « sa mé-
moire est ornée de quelques traits de l'histoire fabuleuse, sacrée et
profane; je l'introduis au college, et je le mets aussitôt sous des
maîtres qui, pendant deux années entieres, ne sont occupés qu'à
lui apprendre la grammaire de sa langue, l'abrégé de l'histoire de
France, de la géographie, de la chronologie, de l'histoire naturelle ».
« Une troisième année, un autre maître lui donnera
les premiers
principes des langues grecque et latine, qu'il lui fera comparer aux
principes de la langue françoise : car je veux que, dans tout le cours
des études, on fasse marcher les trois langues de front, en compa-
rant les langues et les auteurs, de sorte que, par cette comparaison,
un enfant les apprenne mieux que s'il les étudioit isolées »1.
Après avoir passé une année en rhétorique... notre jeune Emile
étudiera, une autre année, « les meilleurs élémens possibles de
logique, de métaphysique, de morale, de droit public : il les étudiera
« en bon françois, et non dans ce latin barbare, qui effraya et décou-
ragea le sévère Patru » 2.
« C'est dans cette troisième année que nous
le perfectionnerons
autant qu'il sera en nous, que nous lui apprendrons à composer des
1. Projet d'éduc, p. 39-40. On trouvera le système développé dans un autre livre du
même, l'Organisation des Écoles nationales. Après avoir répété qu'on doit faire « marcher
de front l'enseignementdes langues grecque, latine et françoise » (p. 5-6), l'auteur ajoute :
C'est dans les écoles préparatoires aux grandes Ecoles, ou secondes écoles que, pen-
dant deux ans, on enseignera la grammaire française, en se servant surtout du manuel
de Dangrémont (p. 13-14 et n. 1).
Dans les troisièmes écoles, on commencera à enseigner le grec et le latin, mais on
les fera comparer « aux principes de la langue françoise car il faut que, dans tout le
:
cours des études, fasse marcher les trois langues de front »
— Auger y revient — on
(p. 15).
Dans les collèges, ou Écoles académiques, " la langue françoise ne sera point
négligée » ; mais, s'il semble très utile de faire des vers grecs ou latins, « il paroît
inutile d'appliquer les élèves à la composition des vers françois » (p. 17).
2. Auger, o. c, p 13.
118 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

discours raisonnés et suivis, seulement dans sa langue, à les débi-


ter d'un ton ferme et assuré, en articulant bien chaque mot, en
pesant sur les syllabes muettes, en donnant à chaque idée, à chaque
sentiment, les articulations convenables. Nous l'accoutumerons,
durant tout le cours de ses études, à bien lire. Je dis à bien lire:
je n'ai connu presque personne qui sache lire en public »1.
Notre orateur... apprendra les mathématiques et tout ce qu'on
«
y apprend actuellement, mais en françois et dans de bons imprimés ;

et par là nous gagnerons une année entière » 2.


Enfin voici le principal : « On pourra... ne faire que des études
toutes françaises, et passer des secondes écoles à l'année de
rhétorique, et aux deux années de philosophie dont les lectures
sont toutes en français... Ainsi le même établissement fournira
trois cours divers d'études... un cours complet de grandes études
grecques, latines et françaises ; des études toutes françaises; des
études en grande partie françaises avec quelques années de gram-
maire grecque et latine » (p. 20-21).

Mon lecteur trouvera sans doute que j'ai accumulé dans ce cha-
pitre bien des noms et des textes. Je ne l'ai pas fait sans dessein ;
il importait qu'on ne se représentât pas la réforme comme imaginée
par quelques esprits téméraires. Les pédagogues « aventurés »
étaient légion. S'ils divergeaient d'opinion sur des détails de
méthode et ne tombaient pas tous d'accord pour prescrire ce qu'il
fallait faire, ils étaient unanimes à condamner ce qu'on avait fait
jusque-là, et demandaient tout d'une voix une solide connaissance
de la langue française comme base de toute pédagogie.
D'Ecully, petite localité de la banlieue de Lyon, des citoyens
écrivent à l'Assemblée Nationale : « Si quelques Grecs et quelques
Romains instruits avoient pu, de nos jours, revenir parmi nous,
combien n'auroient-ils pas ri de pitié de voir nos Etats modernes,
pour toute instruction, se faire marchands de mauvais latin » 3.
1. Auger, o. c, p. 44.
2. Id., Ib., p. 45.
3. 30 mars 1792. Arch. N°, F17 1309, doss. 6.
CHAPITRE III

RÉSISTANCES

On est étonné pourtant des résistances que semblent opposer


quelques hommes qu'à priori on aurait cru convaincus. Ainsi Dom
Ferlus dont nous exposons dans un autre volume les hardies initia-
tives est loin de partager l'engouement d'Auger. Dans sa bro-
1

chure pédagogique, si sobre, mais si lumineuse, où il examine suc-


cessivement toutes les questions, pas un mot, nous l'avons dit
(p. 95), pour prescrire d'enseigner en français, pas un non plus
pour indiquer qu'il faut enseigner le français. On voit l'auteur
défendre avec vigueur le latin (p. 52), montrer la nécessité non
seulement du grec mais de l'anglais pour les médecins. Il ne fait
aucune proposition sur l'introduction du français dans les pro-
grammes, et semble croire que les versions y pourvoiront (p. 53-54).
Le savant Lacépède va plus loin. Il écarte le français, délibéré-
ment, et dit ses raisons. « Les jeunes gens, après avoir étudié les
principes de la Grammaire générale, n'auront besoin relativement
à la langue françoise, que de connoître les différentes expressions
qu'elle renferme. L'usage seul les leur indiquera, et d'ailleurs toutes
les portions d'ouvrage qu'ils seront obligés de traduire en françois,
en s'occupant des diverses langues... ne les mettront-elles pas à
même d'être exercés sur l'application de ces principes généraux à
la langue françoise ? »2
Nous retrouverons des illusions semblables chez les philosophes
qui créeront les Écoles Centrales et qu'abusera leur foi dans les
méthodes de Condillac.

1. V. tome VII, p. 89.


2. Vues sur l'Enseigt publ., p. 27. Il ne donne du reste au latin que sept à huit mois;
il veut d'autre part qu'on apprenne l'anglais, l'allemand, l'italien et l'espagnol.
CHAPITRE IV

LES DÉPUTÉS ET LE LATIN

L'EMPREINTE. Il était à peu près impossible que la masse des



Constituants fût sévère pour le latin. La plupart, même s'ils avaient
fait leurs études après 1762, et s'ils avaient par suite échappé à la
tyrannie de l'humanisme jésuite, devaient ou croyaient devoir une
bonne partie de leur formation à la culture classique. Il est bien
vrai que plusieurs avaient voyagé et connaissaient les langues et les
livres étrangers. Mais le fonds principal de leur instruction première
n'était pas moins latin. A Rousseau et à Condillac ils associaient les
philosophes et les historiens de Rome, et leur coeur n'était pas
moins obsédé de ces souvenirs que leur esprit. Combien comme
Gensonné avaient harangué en latin Vergniaud et Robespierre
!

s'accordaient sur ce point, Pichegru était un lauréat du grand Con-


cours. Les discours des orateurs reflètent aussi fidèlement le Con-
ciones que l'art du temps les modèles antiques. Les médiocres
citaient et recitaient1. Les plus grands eux-mêmes ne résistaient
pas à la tentation d'appuyer souvent — trop souvent — d'une for-
mule ancienne leurs opinions 2. Quand, plus tard, il fallut vaincre et
aussi mourir, tout ce que la légende ou l'histoire fournissait d'atti-
tudes et de mots, fut copié jusqu'à satiété. Comment l'idée eût-elle

1. Pour un exemple parmi des milliers, voir l'adresse des Jacobins à propos du
31 mai dans Buchez et Roux, Hist. parl, de la Révolution, t. XXVIII, p. 131. Sur l'édu-
cation scolaire des hommes de la Révolution, voir Aulard, Et. et leç. s. la Rév. fr.,
t. IV, p 1 et suiv.
2. Nul plus que Cam. Desmoulins n'a retenu les leçons des Jésuites et le cours d'his-
toire romaine. Ses souvenirs classiques encombrent chaque numéro du Vieux Cor-
delier. « La liberté serait consolidée, et l'Europe vaincue, si vous aviez un COMITÉ DE
CLÉMENCE. C'est ce Comité qui finirait la Révolution... Que les imbéciles et les fripons
m'appellent modéré, s'ils le veulent. Je ne rougis point de n'être pas plus enragé que
M. Brutus ; or voici ce que Brutus écrivait... On sait que Thrasybule, après s'être
emparé d'Athènes... Dira-t-on que Thrasybule et Brutus étaient des feuillants, des
brissotins ?. C'est cette politique, autant que sa bonté, son humanité, qui inspira à
Antonin ces .belles paroles aux magistrats qui le pressaient de poursuivre et de punir
Je ne puis m'empêcher de transcrire ici le passage que l'anti-fédéraliste a cité de Mon-
tesquieu, et qui est si bien à l'ordre du jour. On verra que le génie de César ne tra-
vaillait pas mieux que la sottise de nos ultra-révolutionnaires à faire détester la
république » (n° IV, 30 frim. an II).
LES DÉPUTÉS ET LE LATIN 121

pu venir à de pareils hommes de briser, de relâcher même le lien


entre la jeunesse française et l'antiquité? Il s'est trouvé des gens
pour risquer le mot et soutenir que c'était aux langues mortes que
la France devait les bienfaits de la Révolution 1.
Toutefois il y avait loin de ces idées, de ces préjugés même au
vieux dédain des pédants et à la défiance envers la langue nationale.
On peut dire, et cela n'est pas exagéré, que les révolutionnaires la
chérissaient, qu'elle leur apparaissait très clairement comme une des
gloires de la France au dehors et comme une des forces de la Révo-
lution au dedans. Ils ne pouvaient par suite accepter qu'on la tînt
en dehors de l'éducation ni qu'on lui ménageât la place. Mirabeau,
en bon disciple de Condillac, entrant jusqu'au fond dans l'étude des
raisons qui font l'intérêt des langues et leur donnent de l'action sur
le développement des esprits, avait dit déjà toute l'application qu'il
fallait donner à l'étude de la nôtre 2.

CONDORCET.
— Condorcet, une fois qu'il n'est plus retenu par les
scrupules dont nous avons parlé, et qu'il se trouve devant des enfants
plus grands ou des jeunes gens, tranche net: On enseignera dans
les écoles secondaires « les notions grammaticales nécessaires pour
parler et écrire correctement »3. C'est le premier article du pro-
gramme.
Avec lui la rupture s'annonce, complète et définitive : « L'ensei-
gnement, dit-il, n'était pas moins vicieux par sa forme que par le
choix et la distribution des objets. Pendant six années, une étude
progressive du latin faisait le fonds de l'instruction ; et c'était sur
ce fonds qu'on répandait les principes généraux de la grammaire,
quelques connaissances de géographie et d'histoire, quelques
notions de l'art de parler et d'écrire...
« On pourra trouver la langue latine trop
négligée. Mais sous
quel point de vue une langue doit-elle être considérée dans une édu-
cation générale? Ne suffit-il pas de mettre les élèves en état de lire
les livres vraiment utiles écrits dans cette langue, et de pouvoir,
sans maîtres, faire de nouveaux progrès?... Par quel privilège sin-
gulier, lorsque le temps destiné pour l'instruction, lorsque l'objet
même de l'enseignement force de se borner dans tous les genres à
des connoissances élémentaires, et de laisser ensuite le goût des

1. Ainsi Pommereu, qui devint professeur de Grammaire générale à Avranches en


l'an VII, quand il était encore professeur à Clamecy (Mad. Déries, Ec. Centr. de la
Manche, p. 69). Il est vrai que celui-là était du métier, mais on retrouverait ailleurs
cette opinion extravagante.
2. Voir p. 110.
3. Rapport, dans Guill., o. c, p. 229.
122 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

jeunes gens se porter librement vers celles qu'ils veulent cultiver,


le latin seul serait-il l'objet d'une instruction plus étendue ?
Le considère-t-on comme la langue générale des savants, quoi qu'il
perde tous les jours cet avantage? Mais une connaissance élémen-
taire du latin suffit pour lire leurs livres ; mais il ne se trouve aucun
ouvrage de sciences, de philosophie, de politique vraiment impor-
tant, qui n'ait été traduit ; mais toutes les vérités que renferment ces
livres existent et mieux développées, et réunies à des vérités nou-
velles, dans des livres écrits en langue vulgaire. La lecture des ori-
ginaux n'est proprement utile qu'à ceux dont l'objet n'est pas l'étude
de la science même, mais celle de son histoire.
« Enfin, puisqu'il faut tout dire, ajoute-t-il, puisque tous les pré-
jugés doivent aujourd'hui disparaître, l'étude longue, approfondie
des langues des anciens, étude qui nécessiterait la lecture des livres
qu'ils nous ont laissés, serait peut-être plus nuisible qu'utile.
« Nous cherchons dans l'éducation à faire connaître des vérités,
et ces livres sont remplis d'erreurs. Nous cherchons à former la rai-
son, et ces livres peuvent l'égarer. Nous sommes si éloignés des
anciens, nous les avons tellement devancés dans la route de la vérité,
qu'il faut avoir sa raison déjà tout armée pour que ces précieuses
dépouilles puissent l'enrichir sans la corrompre » 1.

1. Guill., o. c, p. 199-200.
CHAPITRE V

PROGRÈS DANS LA PRATIQUE

LENTEUR A S'ÉMOUVOIR.
— L'histoire des pratiques pédagogiques de
ce temps n'est pas faite dans son ensemble. Mais d'après la foule des
monographies qui ont été publiées, on s'en fait une idée approxima-
tive, la même du reste qui s'impose à la lecture des pièces d'Ar-
chives.
Visiblement, en pratique, le latin tenait toujours bon 1. C'étaient
les maisons d'avant-garde seules qui avaient osé lui reprendre sa
vieille prépondérance. A l'Université de Paris, on en était toujours
au même point. En 1790, les élèves de philosophie pétitionnaient
encore pour obtenir des cours en français; on délibéra, pour finir
par leur accorder leur demande 2.
Pourtant, le mouvement général des idées finissait par entraîner
les esprits, même dans les milieux les plus rebelles.

MANIFESTATIONS SCOLAIRES.
— Passons rapidement sur les amusettes
auxquelles de tout temps s'est complue la naïveté universitaire, et
sur les manifestations anodines des jours de séance publique 3.
Le 7 février 1790, un Essai a lieu par les Élèves de M.M. Serane
et Denizot, instituteurs nationaux, à Passy-lès-Paris. Il porte sur
« les fondemens de la Religion Chrétienne, sur le génie des Langues
Française et Latine » 4.

1. En 1790, le 12 juillet, à la distribution des prix, à la Sorbonne, grand discours en


latin sur la liberté recouvrée : De recepta Gallorum libertate, par Franc. Jos.-Mich. Noel,
professeur de littérature au Collège Louis-le-Grand. Paris, Seguy-Thiboust 1790, in-4°,
dans Tourneux, Bib., III, 17288.
2. Duo petiere... ne professores iidem lectiones suas latine, sed vernacule essent
babituri.
Lange composa ses Eléments de physique en français. Jourdain cite un rapport du
6 oct. 1790, qui constate que l'auteur parait « avoir parfaitement rempli le but que
s'est proposé l'Université, en ordonnant que l'enseignement de la physique se feroit
désormais en français dans ses écoles » (Hist. de l'Univ., p. 483).
3. Monit., t. VI, p. 196.
4. Prospectus, Arch. N., AD. VIII, 21.
124 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Ceux de la première force raisonneront sur les principes de la


«
Grammaire française; ils rendront compte des idées attachées à
chaque mot, des différentes manières de faire usage des Langues.
Ils s'étendront sur le discours considéré grammaticalement, et
«
sur la phrase en général.
«
Ils disserteront sur l'usage essentiel de l'Article »1.

ON OUVRE DES COURS DE FRANÇAIS. — Paris, enA 1790, on vit


Duhamel, dont le nom reviendra dans la suite de cet exposé,
ouvrir au Collège d'Harcourt un cours de français. La même année,
Dubufe présente ses élèves à l'Assemblée Nationale. Il leur ensei-
gne à lire et à écrire correctement les langues française, anglaise,
allemande, espagnole et italienne 2.
Les maisons où on n'avait pas attendu pour aller de l'avant pro-
nonçaient avec décision leur mouvement. En 1790, les Bénédictins
de Pau déclarent qu'ils « gémissaient depuis longtemps de se voir
asservis sous le joug des préjugés, et d'être obligés de retarder la
marche du génie de leurs élèves parce qu'ils ne pouvaient s'élancer
au delà des bornes posées par l'usage » 3. Le sens de ces mots est
très clair, puisque, se considérant comme plus libres, ce que font
les dirigeants, c'est d'augmenter la part du français dans les pro-
grammes.
A Provins, dit un rapport, « depuis la Révolution et la nouvelle
organisation du collége, la langue latine a toujours été enseigné
(sic), mais l'art de bien parler et d'écrire la langue française a été
présenté aux élèves comme devant faire l'objet d'une étude
sérieuse » 4.
La municipalité de Saint-Lô, réorganisant son collège, a une
phrase qui en dit long. Elle garde le latin, « ne voulant pas négliger
tout à fait une langue « qui est celle de nos maîtres en légis-
lation ». Que voilà des mérites restreints, et combien on en a
rabattu !
A STRASBOURG.
— Le « protocollum Universitatis » du 22 sep-
tembre 1789 indique que les élèves du Gymnase s'efforcent d'ac-

1. Au collège d'Angers, lors de la distribution solennelle des prix du 12 août 1791,


les écoliers firent devant le public un exercice
en forme d'entretien, où fut prouvée
l'influence « que la Révolution allait opérer
sur la perfection de la langue » et
démontré qu'elle allait porter la littérature française à splendeur qui balancera
peut-être celle du siècle de Molière (Mureau, Anc. coll.une de la prov. d'Anjou, dans
l'Anjou histor., juill. 1900, p. 31).
2. Arch. N., AD. VIII, 29.
3. Lespy, Hist. du Coll. de Pau, p. 238
4. Arch. N., F17 13178, doss. 43.
PROGRÈS DANS LA PRATIQUE 125

quérir une prononciation française correcte, et en général de


parler mieux le français. A Pâques 1790, le gymnasiarque Oberlin
harangue en français le maire Dietrich. C'était une grande nouveauté,
mais sur l'importance de laquelle il ne se faudrait pas méprendre. Le
Gymnase se modernise, il se modernise autant et plus en faveur de
l'allemand que du français 1.
Dans un texte de la fondation St-Thomas, qui est de 1790 (Uni-
vers., I. 7. L. 13), il est dit que les leçons publiques de l'Université
seront données en langue latine « pour que les étudiants des diffé-
rentes nations puissent y assister », mais que « les professeurs ensei-
gnent dans les cours privés au gré de leurs auditeurs en langue latine,
française ou allemande, ce qui leur attire de jeunes Seigneurs de
différens pays »2. Ce n'était point là chose nouvelle. Peut-être
insiste-t-on un peu plus qu'on n'eût fait auparavant sur ces leçons
françaises à côté. Il ne peut être pour si peu question de trans-
formation.
Le Collège, créé en 1791, n'avait point les vieilles traditions du
Gymnase. La place du français y fut tout de suite prédominante.
Les Affiches de Strasbourg (Supp. n° 19, 14 mai 1791) contiennent en
français et eu allemand un Avis signé Arbogast, concernant ce
Collège; on y lit :
« Outre les chaires de...
il y a une chaire d'histoire et deux de
langue françoise.
« Les Mathématiques et
l'histoire s'enseignent en françois.
«
Si on le désire, la physique sera expliquée en allemand et en
françois; afin que ceux-mêmes qui ne savent point le latin, puissent
fréquenter ce cours ».
Dans l'une des classes de langue française, « on se propose d'ap-
prendre cette langue aux Allemands, l'autre est destinée à enseigner
le françois par principes à ceux qui en ont déjà l'usage, mais qui
voudront se mettre en état de le parler, et de l'écrire avec pureté
et élégance ».
Il ne faut pas s'étonner des demi-conversions. Comment eussent
fait la plupart des maîtres strasbourgeois pour donner un enseigne-
ment tout français? Un des professeurs de l'Université ne termi-
nait-il pas une préface par ces mots : « Quoi que citoyen-né de

1. Après le discours de Dietrich, il y eut récitation de vers allemands, de dialogues


allemands-latins. A la Saint Michel 1791, Oberlin joint à son programme une traduc-
tion en latin de... la Déclaration des droits.
2. Varrentrapp, Die Strasb. Univers, in der Zeit der fr. Revol., 448 et suiv.;
cf. p. 452. J. Hermann par exemple (1738-1800) avait fait en 1764-69 un cours en
français, en 1773 un en allemand (V. J. E. Gérock, Die Naturwissensch. auf d. Strassb.
Universitaet, Mitth. d. Philomath. Gesellschaft i. Els.-Lothr., I, 1896).
126 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

l'empire des Français, je suis néanmoins, comme la plupart des


des deux départements du Rhin, un étranger dans la lan-
habitants
de la nation. Je supplie donc le lecteur de vouloir bien me
gue
pardonner les fautes de style qui pourraient m'être échappées »1.

UN PROJET ORIGINAL. Il mé paraît autrement intéressant de



signaler un projet lancé la même année par le Conseil de la Com-
de Strasbourg, et envoyé sous forme de pétition à l'Assem-
mune
blée, le 22 août 1791. Il vise à faire instituer à Strasbourg une vaste
maison internationale d'enseignement et de science, où les jeunes
du Nord trouveraient l'enseignement des deux langues, et sur-
gens
tout des traductions en français de toutes les découvertes utiles des
nations étrangères ; elles seraient exécutées à Strasbourg même et
feraient vraiment de cette langue une langue universelle2. Voilà qui
réflétait vraiment les idées répandues en Alsace.

LE COLLÈGE DE FRANCE. La conversion la plus éclatante et qui



elle est de
ne manqua pas son effet, fut celle du Collège de France ;
1791. Nul doute qu'il n'y ait là une des raisons pour lesquelles une
indulgence particulière fut témoignée par les Révolutionnaires à
cet établissement 3.
A MI-ROUTE. — Je ne poursuivrai pas cette revue. Aussi bien elle

1. Seinguerlet, o. c, p. 208. A Thann, un maître était « préposé dans la ville pour


l'instruction de la jeunesse dans la langue française ». Il écrit, le 1er juin 1791 :
J'ai cru devoir m'empresser « do répondre aux vues patriotiques de notre cher
confrère M. Dollfus, en faisant écrire et apprendre par coeur les Droits de l'homme
par mes écoliers » (Poulet, L'espr. publ. à Thann, p. 226).
2. Voici ce texte même : « Petition des Kommunenrathes der Stadt Strassburg an
die Nationalversammlung, vom 22ten Aug. 1791 um zu begehren, dass aussor den
gewöhnlichen Departements — oder Distrikts — Lehranstalten auch eine Anstalt zum
Unterrichte in der höhern Wissenschaften in Strassburg errichtet werde... Die franzö-
zische Sprache ist die allgemeine Sprache aller aufgeklärten Männer in Europa gewor-
den. Nur zwey andere Sprachen, wie ein berühmter Schriftsteller bemerkt, könnten es
mit derselben, wegen der Zahl der Menschen, die sic sprechen, wegen der Grösse der
Länder, wo sic üblich sind, wegen der guten und zahlreichen Bücher welche darinn
geschricben sind, wegen der wichtigen Rolle, welche diese Nation in dem europäischen
Gleichgewichte spielen ihr (sic) aufnehmen. Das ist die englische und teutsche Sprache.
« In Strassburg spricht man teutsch und französich. Die jungen Fremden aus Teuts-
chland und aus dem ganzen Norden sind daselbst weniger als anderwärts in Verlegen-
heit, weil sic ungefähr dieselben Sitten antreffen, und Leute, die ihre Sprache spre-
chen, biss sie nach und nach die französische erlernt haben. Franzosen würden mit
den Wissenschaften zugleich das Teutcho erlernen, welches ihnen wichtigen Nuzzen
schaffen kann. Es wäre leicht solch Einrichtungen zu treffen, damit daselbst beyde
Sprachen samt der Litteratur in ihrer Reinheit vorgetragen würden. Ueber das könnte
man alle nützlichen Entdeckungen fremder Nationen alsbald in Strasburg ins Franzö-
sische übertragen, und auf solche lert diese Sprache wirklich
zu einer Universalsprache
machen » (Affiches de Strasbourg, Strassburgisches Wochenblatt, N° 38, 17 septem-
bre 1791, p. 434).
3. Guill., o. c, Conv., 23 août 1793, II, p. 613
PROGRÈS DANS LA PRATIQUE 127

ne mènerait pas très loin. D'abord une tradition dont le passé était
si long ne pouvait guère se détruire en quelques mois, si vive que
fût la poussée des évènements. La majorité des enseignants appar-
tenait au clergé régulier ou séculier, et avait le préjugé inné de la
langue catholique. En outre les collèges étaient menacés jusque dans
leur existence; ils avaient été ruinés par toute une série de décrets
qui leur enlevaient leurs biens de fondation. Malgré les sursis accor-
dés, ils se soutenaient péniblement et n'avaient guère d'inclination
aux expériences pédagogiques. Il me suffisait de marquer dans quel
sens on cherchait, et comment le développement du français se
faisait aux dépens du latin, comment d'autre part il était présenté
comme un progrès en harmonie avec la Révolution et une sorte
d'adhésion et de manifestation loyaliste du monde enseignant.
Rien de décisif ne pouvait se produire sans une loi, qu'on atten-
dait toujours 1. Le 13 août 1792, la Législative décréta bien qu'elle
s'occuperait de l'instruction publique immédiatement après avoir
terminé le décret sur l'état civil des citoyens. C'étaient là de pré-
cieuses promesses, mais rien de plus. Elles ne furent suivies d'aucun
effet, puisque, comme on sait, la Convention fut convoquée avant
qu'on eût rien voté encore du régime nouveau de l'Instruction
publique. En somme, beaucoup de ruines, et des projets de recon-
struction, rien de plus, tel est le triste bilan des trois premières
années 2.

1. Sur le besoin pressant d'une Instruction publique, voir l'adresse des Jacobins des
Bouches-du-Rhône et du Gard (Guill., o. c., p. 431 et suiv.).
2. Sur la détresse des Collèges, voir l'enquête de 1791 aux Archives. Cf. Guillaume,
o. c, p. 417, 433, 436.
CHAPITRE VI

LE FRANÇAIS COMME LANGUE RELIGIEUSE

des railleries de
LES CAHIERS.
— Les libertins se souvenaient
Voltaire à l'égard de l'Église romaine, qui ne prie qu'en latin 1.
Cependant il ne faut voir, dans la campagne qui fut entreprise
pour franciser le culte, aucune pensée d'hostilité contre l'Église.
Beaucoup de Constituants avaient espéré associer intimement
l'esprit chrétien et l'esprit de réforme. La guerre religieuse, qui
perdit la Révolution, commença avec la Constitution civile du
clergé, quoique cette réglementation ne fût dans la pensée de presque
aucun de ceux qui la votèrent, une mesure d'hostilité contre la
religion catholique, mais l'établissement d'un régime grâce auquel
l'Église de France serait directement attachée à la monarchie
régénérée.
Personne, parmi eux, je crois, ne songea à introduire dans les
obligations qu'on imposait au clergé, celle de changer l'usage litur-
gique et de substituer le français au latin pour les cérémonies du
culte. Il est hors de doute pourtant que, dans le clergé même, cette
pensée hantait divers esprits.
L'abbé Allain a cité un Cahier, celui de la paroisse de Fosses,
où se trouve exprimé le voeu que les prières se fassent en français :
« La plupart des habitants ne savent point lire, y est-il dit, cela
fait qu'ils n'entendent rien des prières qui se font à l'église, ils s'y
ennuient; ils y causent comme dans la rue » 2. Le pieux curé qui a
rédigé ces considérants naïfs ne pensait sans doute qu'à l'édification
de ses ouailles. Comprenait-il l'importance de la
« nationalisation
de la prière? » 3
D' autres en tous cas avaient des souvenirs
et des connaissances

1. Hist. du Parl, de Paris, LXIV.


2. Arch. parl. t. IV, p. 363. Cf. Babeau, Le Village
et Allain, La question d'enseign., p. 309. sous l'Anc. Rég„ p. 111, n. 2,
3. « On ne saurait évaluer trop haut l'importance
de ce grand fait, la nationalisation
de la prière » (Hauser, Le princ. des nation.,
p. 13).
LE FRANÇAIS COMME LANGUE RELIGIEUSE 129

qui leur permettaient de voir plus loin. Sans y apporter l'esprit


résolu des églises protestantes, ils se rendaient compte de l'immense
force qu'avaient donnée à la foi les « Versions ». Les Jansénistes,
le grand Arnauld en particulier, avaient fait pénétrer le français
dans le culte privé 1. C'était un premier progrès. N'y avait-il pas un
intérêt égal et supérieur à profiter des circonstances pour l'intro-
duire dans le culte public?
Dans les discussions dont nous parlons plus loin, les Annales de
la Religion (XI, 562), citèrent comme exprimant le même voeu le
Cahier de Mantes et Meulan. Il ne contient rien à ce sujet 2. Au
contraire celui de Paris extra muros est on ne peut plus formel :
« Il seroit à
desirer que les Offices et Prières publiques se fissent
en langue françoise » (p. 30).

PÉTITIONS A LA CONSTITUANTE.
— D'après le Mémoire Apologétique
de Brugière dont je parlerai plus loin, des adresses, des félici-
tations sans nombre parvenues à l'Assemblée Constituante manifes-
taient le même désir (p. 94). Il y a peut-être là quelque exagération.
Mais il existe des pétitions de ce genre. Il y en a même eu d'im-
primées. On peut voir d'abord le Culte public en Langue française.
Le curé de Ste Pallaye (Yonne), qui a écrit ces pages, a hésité, on
le sent bien. Puis le voeu des populations a fini par lever ses scru-
pules 3. Il désire sans doute « étendre le bienfait de notre liberté
nationale à notre Langue Françoise » (p. 4), mais il désire surtout
rajeunir et revivifier la foi. « Il faut pour nourrir la piété des peuples,
autre chose que des mots et du bruit » (p. 21). Dans une série
d'articles, il examine les textes des Conciles, des Pères, de l'Écri-
ture. C'est l'article IV qui doit surtout retenir l'attention. Il est
intitulé : Voeu du Peuple sur l'usage de sa Langue ( p. 20). « Le
peuple français, comme les Juifs retour de Babylone, se relève de sa
captivité. Son intelligence, dégagée du chaos dont on l'enveloppait
sans cesse, ne peut plus se fixer à un simulacre de dévotion ».
« Convenons-en de bonne foi, dans les Paroisses
de la campagne,
le curé, presque seul, entend la langue des Offices ». « Si le prin-
cipal Chantre, à qui cette langue est absolument étrangère, préside

1. Voir H. de la Long., t. IV et VII.


2. Il demande seulement, comme celui de St-Quentin-en-Vermandois, une litur-
gie commune (p. 6).
3. « Des autorités que je révère, ont plusieurs fois repoussé ma plume en travaillant
•à cette Adresse. Enhardi cependant par d'autres autorités plus respectables et infiniment
plus sures, je l'ai reprise, pour vous demander, Messieurs, au nom de tous les habitans
de la campagne, au nom même de la plus considérable portion des habitans des
villes, que nos prières publiques, exprimées en une langue que très peu de personnes
savent actuellement, se fassent désormais en Langue Françoise » (Culte publ., p. 5).
Histoire de la langue française. IX. 9
130 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

quelquefois lui-même au chant des Pseaumes, qui est-ce alors qui


prie ? » L'Église est la Société de tous les Fidèles. « Or cette société
France... est composée d'environ 24 millions d'individus. Si
en
d'abord, de cette immense population nous retranchons les Fidèles
qui ne savent pas le Latin, si nous ôtons ensuite ceux du Clergé
qui ne vont aux Offices que pour la représentation, et qui s'en
croient dispensés dans toute autre circonstance, si parmi les Laies
nous pouvons compter pour peu ceux qui se bornent à la plus courte
assistance; quel sera le résultat? Certainement nous n'aurons pas
le quatrième de l'unité sur vingt-quatre. Admettons l'usage de notre
langue maternelle, les vingt-quatre millions pourront prier, et
comme Saint-Paul l'exige, ils pourront prier avec intelligence »
(p. 21-22).
Mais l'Assemblée Nationale a-t-elle le droit de statuer sur la
Liturgie? Oui! tout comme l'Empereur de jadis, qui a commandé
d'officier à haute et intelligible voix. « L'Assemblée Nationale ne
fera que rappeler le Clergé à ses propres principes, comme elle
vient de le faire par les articles XII, XIII et XIV qu'elle a décrétés
la nuit du 4 au 5 " 1. La conclusion est brève et ferme : « Tous nos
livres d'église en langue française ».
La Lettre d'un Fidèle à M. ... Curé de... Membre de l'Assemblée
Nationale sur le Culte public fait aussi partie de ces adresses, tout
en gardant sa physionomie particulière : « Autrefois on pouvoit
passer des journées entières à l'Eglise avec un grand plaisir, parce
que tout le monde comprenoit l'idiome dans lequel il adressoit ses
prieres au Seigneur. Aujourd'hui nous n'entendons plus la Langue
Latine ; elle n'est plus pour la plûpart des fidèles qu'un vrai
jargon... Nos Peres, plus sages que nous dans les changemens arri-
vés en France dans la Langue Latine, chantoient les Epîtres et
Evangiles, moitié Latin, moitié François. Ces Epîtres, connues sous
le nom d'Epîtres farcies, Epistolae farcitae, étoient particulierement
destinées à desennuyer le Peuple et à l'occuper de pieuses pensées »
(p. 13).
« Je ne prétends point que l'Eglise soit une salle de spectacle et
de divertissement. Loin de moi l'idée bisarre d'introduire dans
nos
Temples des farces qui attireroient à coup sûr tant de Belles élé-
gantes si avides d'étaler leurs graces aux yeux du Public. Non,

1. L'auteur examine si la foi ne s'altèrera pas par les mots


langue peut s' enrichir (p. 24), si on sera obligé do changer nouveaux dont notre
nos versions tous les cent
ans (p. 25), si notre langue est propre à exprimer les mystères (p. 26). On peut
remettre le soin de cette reforme à un comité d'ecclésiastiques. Les idiomes reculeront
dans le Midi, en Alsace, en Bretagne, en Béarn (p. 31).
LE FRANÇAIS COMME LANGUE RELIGIEUSE 131

mes belles Dames, je ne suis pas assez galant pour plaider votre
cause 1. Je veux rétablir la piété et la ferveur parmi les Fidèles. Pour
cela je demande bonnement que l'on introduise l'usage des prières
et des Offices en Langue vulgaire. Traitez-moi d'Aristocrate, de
Janséniste si vous voulez ; mais regardez le changement que je vous
propose comme infiniment intéressant pour l'Etat et pour l'Eglise »
(p. 14).
« Il seroit bien à souhaiter, opine un pédagogue, que le service
divin se fit en françois. On ne dit pas de bon coeur ce qu'on ne
comprend pas. Cette étude mene à la connoissance de la religion :
Voilà pourquoi je l'ai indiqué » 2.
Morize, associé libre des Sociétés d'Agriculture d'Évreux et
d'Auch, écrit à l'Assemblée (Évreux, 24 août 1791) : « Il est essen-
tiel de ne pas luy faire perdre (à la jeunesse) la fleur de ses plus
belles années dans le long apprentissage d'une Langue qui n'etant
plus usitée, est pour luy une espece d'Esclavage qui ne peut gueres
avoir presentement d'autre but que l'Etat Ecclesiastique — Etat
Ecclesiastique qui pouroit encore à la rigueur s'en passer sans ces
fameux préjugés Ultramontains, puis qu'un pretre pouroit aussi bien
dire la messe en françois qu'en latin, ce au grand contentement
même des trois quarts et demi des Chretiens qui ne peuvent chanter
les Louanges de dieu que comme des perroquets, c'est a dire sans
onction, sans ferveur et sans faire attention quils rendent des actions
de Graces, ou quils demandent de nouvelles faveurs » 3.
« La langue latine, reprend un autre, et cet autre est Dom Ferlus,
est indispensablement nécessaire à ces derniers (nos Ecclésiastiques),
tant que la lithurgie sera en latin, et qu'on n'aura pas rendu à la
piété, à la Religion et aux moeurs le service de faire célébrer les
divins mysteres et la priere publique en françois » '4.

L'IDÉE SE RÉPAND.
— On dirait que Chabot avait lu ces adresses
quand il écrivait à Grégoire que pareille réforme favoriserait l'unité
religieuse, et le retour des protestants à l'orthodoxie : « L'article qui
révolte le plus les non-catholiques de la classe du peuple, dit-il, ce
sont nos prières en un latin barbare qu'il ne comprend pas et que
nos ennemis peuvent d'autant plus facilement calomnier » 5. Il
ajoutait : « L'Assemblée nationale usera donc de ses droits pour

1. La pièce est très libre.


2. Projet d'éducation nationale, p. 7, n. 1.
3. Arch. N., F17A 1310, doss. 7.
4. Proj. d'éduc. nat., prés, le 10 juillet 1791, p. 53.
8. Lett. à Grég., p. 75.
132 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

faire tous prier l'Être suprême dans une langue que nous
nous
entendions » 1.
Du Gers arrive à Grégoire cet avis : « Il faudrait... qu'au lieu de
balbutier en latin, qu'ils n'entendent guère, des prières que le paysan
entend sans doute bien moins, toutes les prières, instructions, caté-
chismes et service d'église... soient dorénavant faits en français » 2.
D'autres correspondants ont exprimé la même opinion, alors qu'on
ne leur demandait pas leur avis là-dessus.
Me sera-t-il permis de rapprocher de ces voeux celui que présenta
la Société de Strasbourg, le 29 juin 1791 ? Un membre ayant demandé
que l'Assemblée Nationale fût invitée à faire chanter dans les églises
un hymne en français « qui exprimeroit les sentimens de liberté et
de patriotisme qui tiennent de si près à la vraie religion », on envoie
son discours au Comité ecclésiastique de l'Assemblée Nationale 3.
Ailleurs, c'est un prêtre qui discute dans une Instruction fami-
lière aux Croyants, divisée en demandes et réponses, comme un
catéchisme 4, et ainsi de suite.
Le 31 mai 1792, dans la Feuille villageoise (n° 36), Thévenet, curé
de Salagnon, près Bourgoin (Isère), proteste contre l'emploi de la
langue latine dans le culte, et son confrère Dupuis, curé de Droyes
(Hte-Marne), imite son exemple.
Nul doute que le jour où l'attention des historiens se portera sur
ce point, ils ne découvrent des voeux et des propositions semblables à
ceux que je viens de rapporter. Il m'est arrivé d'en rencontrer parmi
d'autres papiers. Ainsi le 5 février de la 4e année de la Liberté, un

1. « La surveillance qu'elle a accordée aux administrations sur tout ce qui regarde


le culte rend cette opération indispensable. Il est plus d'un administrateur incapable
d'exercer cette fonction publique tant que la liturgie sera dans une langue morte »
(Lett. à Grég., p. 75).
2. Let. à Grég.. p. 100, n° 40. « L'avantage religieux de la destruction du patois
ne serait [pas] moins grand que son avantage politique. Il importe à une grande partie
de la nation de savoir la langue dans laquelle on l'instruit de la religion, et qui bientôt
sera celle de la liturgie. L'ignorance de cette langue nécessiterait un grand nombre de
traductions des nouveaux livres de liturgie, qu'il est à désirer de ne pas multiplier, et
remettrait le voyageur le plus instruit dans le cas de ne rien comprendre à I'office de
beaucoup de départements et d'y assister comme le peuple dans nos églises. Tous les
Français doivent savoir lire les bons ouvrages que nous avons sur la religion, dans la
langue de ces ouvrages, et non dans les traductions qu'on ne fera pas pour (Ib.,
eux »
p. 213, n° 29).
3. Reg. mss., Arch. mun. de Strasbourg.
4. D. Le pape ne dit-il pas que si on change les prières de l'église, c'est à dire
les traduit de latines françois, que
si on en ce sera une nouveauté qui obscurcira l'état
(l'éclat ?) dont l'église a toujours joui, nouveauté capable de produire la désobéissance,
la temerité, laudace, la sédition, le schisme et plusieurs autres ?
R. hé! qui croira, cher ami, que la traduction des prières,maux si elle avoit lieu,
duisit la désobéissance etc. l'apôtre dit lui même aux corinthiens chap 14 v. 14pro- si
je prie dieu en une langue étrangère, il est vrai que je prie d'esprit, mais je :
nentend (sic)
point ce que je dis, et au verset 15 : comment ferai je donc? je prierai dieu et le louerai
d'esprit et en entendant point ce que je dirai (sic) (Arch. N., F17A 1320, doss. 2).
LE FRANÇAIS COMME LANGUE RELIGIEUSE 133

professeur de rhétorique du Collège de Lisieux, nommé Couture,


écrivait aux Représentants : « Lorsque j'entre dans un de ces temples
consacrés à chanter les louanges de l'Eternel, j'entends le peuple
célébrer ses merveilles dans une langue qu'il ne comprend pas...
Représentants, ne touchez pas encore au dogme, vos ennemis en
profiteraient, ordonnez seulement une traduction littérale. Que les
Latins prient dans la langue qui leur est propre ; mais nous, soyons
en tout Français » (Arch. N., F 17 1309, doss. 3).
Je ne voudrais pas pour cela laisser croire à un mouvement géné-
ral d'opinion. C'était une minorité pensante, mais une minorité,
qui souhaitait ce changement de la liturgie.

LE GOUVERNEMENT PREND PARTI.


— Un jour, le Gouvernement prit
parti, mais avec quelle réserve ! Le 6 novembre 1792, le ministre
Roland, adressant « aux pasteurs des villes et des campagnes une
lettre pour les inviter à supprimer le Salvum fac Regem, s'exprime
ainsi : « Retranchez surtout de votre psalmodie cette antienne
impatriotique... que le bon peuple chante encore, mais qu'il eût
lui-même arraché de ses Heures, si par la plus choquante des con-
tradictions et la plus perfide des combinaisons, on ne l'eût contraint
jusqu'à présent, de chanter machinalement en latin des mots qu'il
n'entend pas, tandis qu'il ne devrait s'entretenir avec l'Etre Suprême,
que par les épanchemens de son coeur, et les exprimer dans sa langue
naturelle et la plus usuelle. Notre révolution amènera probablement
ces changemens salutaires » 1.
Malgré le mot célèbre de Camus : Nous avons le droit de changer
la religion, on se tint sur ses gardes, rien ne fut même proposé aux
Assemblées. On en resta à la circulaire que je viens de rapporter.

1. Brugière, Mém. Apologét., p. 166.


DEUXIEME PÉRIODE

DE LA RÉUNION DE LA CONVENTION
AU IX THERMIDOR

LIVRE PREMIER
L'ÉCOLE ET LA LANGUE 1

CHAPITRE PREMIER

LE RAPPORT LANTHENAS

La Convention était à peine réunie depuis un mois que la ques-


tion de l'élimination des idiomes étrangers avait été posée expres-
sément devant elle. A la 5e séance, le 22 octobre 1792, le Comité
d'Instruction publique chargea son président Arbogast « de présen-
ter des articles additionnels au titre des écoles primaires, pour les
citoyens de la République qui n'entendront point la langue fran-
çaise » 2. Adoptés par le Comité, rapportés à l'Assemblée succes-
sivement par M.-J. Chénier et par Lanthenas, ils furent incorporés
au projet de décret dont ils forment le titre III 3.
Ce rapport de Lanthenas (18 décembre 1792), mérite de retenir
l'attention. Il proclame la nécessité de détruire les patois, mais montre
une large tolérance pour les idiomes communs à la France et aux
pays voisins : « Votre Comité a senti qu'il fallait, par les disposi-
tions du premier enseignement public, avancer l'époque où l'unité
de la République en aura tellement fondu toutes les parties, qu'une
seule et même langue, riche de mille chefs-d'oeuvre familiers à tous
les citoyens, les liera ensemble, pour toujours, de la manière
1. Dans cette partie je mettrai les faits dans l'ordre inverse de celui que j'ai précé-
demment suivi. Ce sont les actes législatifs qui prétendent résoudre la question des
langues. Même s'ils ont été inefficaces à l'époque, ils ont commencé une politique
nouvelle, et à ce titre seul ils mériteraient une attention particulière.
2. Guill., o. c, Conv., t. I, p. 13.
3. Id., ib., Conv., t. I, p. 33, n° 1.
136 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

la plus indissoluble. II faut que les intérêts de la République


soient maintenant connus de tous ses membres : et ils ne peuvent
l'être comme il convient, qu'en rendant la langue nationale parfai-
tement familière à tous. D'ailleurs, le moyen de répandre les prin-
cipes de notre liberté et d'augmenter l'ascendant de notre industrie,
c'est de mettre à même les Français de nos frontières de parler avec
une égale facilité la langue qui les lie à nos voisins et celle qui
doit désormais les unir davantage avec leurs frères. Ainsi l'on a cru
que dans la Corse il fallait que la langue française fût parlée par
tout le monde, et qu'il en fût de même dans les pays où l'on ne con-
naît aujourd'hui que le basque et le bas-breton; le même motif a
porté votre Comité à considérer d'une manière particulière les
écoles où l'allemand sera parlé, parce que cette langue, par l'éten-
due du pays où elle est en usage, ainsi que par celle du territoire
français où elle domine, lui a paru mériter plus d'attention. Mais
partout où les communications sont gênées par des idiomes particu-
liers, qui n'ont aucune espèce d'illustration, et ne sont qu'un reste
de barbarie des siècles passés, on s'empressera de prendre tous les
moyens nécessaires pour les faire disparaître le plus tôt possible » 1.
Le titre III du Projet de décret (novembre 1792), est intitulé :
Dispositions particulières pour les pays où la langue française n'est
pas d'un usage familier au peuple 2. Voici ces dispositions :
Art. 1. L'enseignement public sera partout dirigé de manière
qu'un de ses premiers bienfaits soit que la langue française devienne
en peu de temps la langue familière de toutes les parties de la
République.
Art. 2. A cet effet, dans les départements où la langue alle-
mande s'est conservée jusqu'à présent, on enseignera à lire et à
écrire tant en français qu'en allemand; et le reste de l'enseigne-
ment dans les écoles primaires se fera dans les deux langues.
Art. 3 Dans les contrées où l'on parle un idiome particulier, on
enseignera à lire et à écrire en français ; dans toutes les autres par-
ties de l'instruction, l'enseignement se fera en même temps
en lan-
gue française et dans l'idiome du pays, autant qu'il sera nécessaire
pour propager rapidement les connaissances utiles.
Art. 4. Dans les lieux de quinze cents habitants, et
ceux d'une
population plus forte, où la langue allemande est
en usage, les
instituteurs devront être jugés capables d'enseigner dans les deux
langues.
Art. 5. Dans les villages d'une population moindre,
on se confor-
1. Guill., o. c., Conv., t. I, p. 79.
2. Id., ib., Conv., t. I, p. 70.
LE RAPPORT LANTHENAS 137

mera à cette disposition autant que les circonstances le permet-


tront.
Art. 6. Cependant, et pour la première nomination seulement,
ceux des instituteurs, dans les lieux de quinze cents habitants et
au-dessus, qui ne sauront enseigner qu'en allemand, et qui seront
jugés dignes d'être conservés, pourront se faire aider par un insti-
tuteur adjoint qui enseignera en français.
L'adjoint sera à la charge des instituteurs, et il devra être approuvé
par les personnes chargées de la nomination de ces mêmes institu-
teurs.
Art. 7. Les places d'instituteurs qui viendront à vaquer par la
suite ne pourront être accordées, dans tous les endroits où l'on
parle allemand, qu'à des personnes versées dans les deux langues.
Le Comité d'Instruction publique, — peut-être sous l'influence
d'Arbogast, Alsacien, — tout en indiquant le but à atteindre, l'avait
placé assez loin, comme on voit. Il faisait des concessions qui
marquaient de la largeur d'esprit et du sens pratique, mais qui
n'étaient guère en harmonie avec les circonstances. La République
avait avant tout à ce moment le devoir de se défendre; or on se
montrait impitoyable aux patois qui la gênaient peu, tolérant aux
idiomes qui menaçaient jusqu'à son existence. Il y avait là, quoique
les mesures proposées pussent se justifier sous d'autres rapports,
une erreur politique grave.
Le titre I du projet fut seul voté. Celui qui nous intéresse ne fut
pas mis en discussion.
Dans la 23e séance (mercredi 14 novembre), avait été prise une
décision de principe qui mérite d'être rapportée, et, d'après laquelle,
« l'augmentation à accorder aux instituteurs qui seront tenus d'en-
seigner dans les deux idiomes serait la même dans les pays basque,
breton, et du Haut et Bas-Rhin, et que cette augmentation serait de
deux cents livres ». Cette disposition fut insérée à l'article 10 du
titre IV.

1. Guill., o. c, Conv., t. I, p. 38.


CHAPITRE II

ON RÉCLAME UNE « INSTRUCTION PUBLIQUE »

On peut suivre, dans l'Introduction mise par Guillaume aux


tomes III et IV de ses Procès-verbaux du Comité d'Instruction
publique, l'histoire serrée, mais néanmoins complète, des débats
sans fin qui eurent pour objet l'instruction, tant au Comité qu'à la
Convention. Les diverses phases sont distinguées avec une clarté qui
ne laisse rien à désirer.
Le pays tout entier, peut-on dire, réclamait la discussion immé-
diate et l'adoption d'un système. Hébert était là-dessus d'accord
avec le Marais 1. Il n'est qu'une voix dans toutes les communes,
dans tous les cantons, dans tous les districts et les départements,
pour demander la constitution et l'éducation nationale, dit un rap-
port, écho fidèle de la plainte universelle 2. On pourrait citer
vingt textes : « Nous pensons sincèrement que c'est le plus beau pré-
sent que la Convention puisse faire à la République : pour que le peuple
reçoive un bienfait avec reconnaissance, il faut qu'il puisse en appré-
cier la valeur. C'est l'ignorance qui nous a valu la malheureuse guerre
de la Vendée, et que la Convention craigne qu'éteinte dans ce point,
elle ne se reproduise dans un autre. Instruisons nos frères, et ils
seront bientôt républicains comme nous; d'ailleurs nous ne devons
pas vous taire qu'on demande partout l'instruction publique, et
nous nous joignons à ce voeu général pour que vous engagiez la
Convention à la faire marcher de front avec la Constitution »3 (Gar-

1. C'est une des grandes colères du Père Duchesne de voir que l'instruction publique
ne va que d'une aile, et qu'il existe des accapareurs d'esprit qui ne veulent pas que le
peuple soit instruit, afin que les gueux continuent de porter la besace. Voir ses bons
avis à toutes les sociétés populaires pour qu'elles donnent le grand de collier à
coup
l'instruction des sans-culoltes, afin d'écraser une bonne fois le fanatisme et la tyrannie
(Hatin, Hist. de la Presse. t. VI, p. 522).
2. Amar, Merlins, de Vienne, 9 mai 1793, dans Aulard, Act. du Com. S. P., t. IV,
p. 78. Cf. « On n'entend que ce cri : Et l'instruction publique? Quand s'occupera-t-on
de l'instruction publique?» (Cailhava, Rapp.
sur la région de Toulouse, juin 1793,
dans Caron, Rapports, t. I, p. 133).
3. Cf. Romme, 18 frim. an II, dans Guill.,
o. c. Conv., t. III, p. 93.
ON RÉCLAME UNE « INSTRUCTION PUBLIQUE » 139

nier, Trullard, de Mazade, de La Rochelle, 4 juin 1793, dans Aul.,


Act. du Com. S. P., t. IV, p. 445).
Une autre lettre du jour suivant dira : « Demain j'installerai
provisoirement les instituteurs et institutrices des écoles primaires.
Je suis informé que ces établissements plaisent ici beaucoup à la
classe indigente du peuple ; c'est vainement qu'on aurait con-
sacré le principe de l'égalité des droits, si tous les citoyens ne pou-
vaient acquérir indistinctement les mêmes connaissances. Si les
Assemblées constituante et législative, et même la Convention
nationale, n'eussent pas toujours différé d'organiser l'instruction
publique, le peuple serait plus avancé qu'il ne l'est aujourd'hui et
la révolution des préjugés religieux serait absolument terminée »1.
Les sans-culottes espéraient du « progrès des lumières » un
affermissement du régime et une large diffusion de leurs idées dont
l'avenir ne pouvait être assuré qu'à ce prix; les familles, elles,
s'effrayaient de voir leurs enfants grandir à l'abandon et dans une
complète ignorance. Celles qui jadis payaient des précepteurs n'en
trouvaient plus. Les autres, surtout celles de la petite bourgeoisie
des villes, effrayées de voir les écoles se fermer une à une n'étaient
pas moins ardentes à réclamer l'accomplissement de promesses cent
fois renouvelées.

1. Roux-Fazillac au Com. S. P., 19 frim. an II (9 déc. 1793) de Périgueux ; dans


Aul., Act. du Com. S. P., t. IX, p. 292 ; cf. Id., Ib., p. 479, 614, etc.
CHAPITRE III

LES PLANS D'INSTRUCTION ET LA LANGUE

CONFUSION.
— Jamais peut-être on ne vit pareil tohu-bohu de
propositions et de tendances. Le devoir de l'État, ses droits, la
liberté des pères de choisir pour leurs enfants une formation à leur
gré, l'utilité de cette formation, les services que rendent à un peuple
les sciences et les arts, la haute culture et la plus humble, les dan-
gers auxquels ils l'exposent, la nécessité d'avoir des hommes capables
de donner l'enseignement, la menace que l'existence d'une aristo-
cratie savante fait peser sur un peuple d'égaux, la possibilité de
créer si vaste machine et d'en payer les frais, tout fut examiné,
soutenu, contesté. Les organisations les plus tyranniques et les plus
folles furent imaginées et soutenues pendant que des sceptiques,
non seulement soufflaient sur les bulles de savon et les crevaient une
à une, mais opposaient leurs argumentations à des conceptions fort
défendables et qui ont été appliquées depuis. Pourtant, jusqu'au début
de l'an II, on débattit moins sur les grands principes que sur des
projets présentant quelque possibilité d'être exécutés.
Dans presque tous les systèmes l'enseignement du français avait
sa place marquée. La jeunesse, en apprenant à lire et à écrire, rece-
vra les premières notions grammaticales de notre langue, disait
Romme 1.
Chez Joseph Serre, ce représentant des Hautes-Alpes, qui
connaît la situation linguistique de son département, les recomman-
dations au sujet de la propagation nécessaire de la langue pren-
nent une forme impérative : Art. 5. On leur apprendra (aux enfants)
à lire, à écrire, les règles de l'arithmétique... les principes de la
langue française.
Art. 6. L'enseignement se fera en français dans toute l'étendue
de la République2.

1. Rapp. du 20 déc. 1792, dans Guill., Conv., t. I, p. 209.


o. c,
2. Guill., o. c, Conv., t. I, p. 288 (déc. 1792, impr.
en juin 1793)
LES PLANS D'INSTRUCTION ET LA LANGUE 141

Le projet d'éducation par les fêtes, proposé par Rabaud St-Etienne,


implique de même que les enfants- auront appris le français,
puisque « Tout enfant de dix ans sera tenu de savoir par coeur la
déclaration des droits et celle des devoirs, et les principales hymnes
civiles» 1.
Un projet adopté le 28 mai 1793, portait :

Parler,
1er Degré (Écoles primaires). — Langue française. Lire,
Écrire.
2e Degré (Écoles secondaires). — Éléments de la grammaire
française.
3e Degré (Instituts). — Grammaire générale,

— française.
4e Degré (Lycées). — Grammaire générale et langue française.

LES DÉBATS DE JUILLET 1793. — Dans la grande séance du 2, Lequi-


nio exposa ses idées. Il ne manqua pas d'insister sur les moyens
d'effacer les préjugés des habitants des campagnes contre ceux des
villes, et les préjugés contraires. Il espérait en particulier que
les patois en recevraient une atteinte mortelle (V. p. 198) 2.
Le projet présenté le 3 par Ch. Duval disait (art. 32): « Les insti-
tuteurs et les institutrices seront chargés d'enseigner l'art de lire
la prose et les vers français, les principes de l'écriture à la main...
les règles de la langue nationale » 3.
Le projet de Delacroix dans sa section IV, art. 3, stipulait: « Il
sera composé, dans le plus bref délai possible, des livres élémen-
taires qui auront pour objet... 3° l'art de parler et d'écrire correcte-
ment la langue française » 4.
Le projet de Léonard Bourdon portait (titre II, art. 4) « [Dans
les écoles communales] on enseigne la lecture, l'écriture... la langue
française »5.
Dupont, des Hautes-Pyrénées, reconnaissait expressément, lui
aussi, les droits de la langue nationale (art. 11): « La République

1. Guill., o. c, Conv., t. I, p. 234.


2. Id., ib., t. I, p. 328; cf. p. 547, 318.
3. Id., ib., t. I, p. 641.
4. Id., ib., t. II, p. 99. Cette disposition ne s'appliquait qu'à renseignement des
garçons.
5. Id., 16., t. II, p. 120. Il est remarquable au contraire que Hentz, de la Moselle,
ne souffle pas mot de cet enseignement particulier ; toutefois ses sentiments se sont
marqués à une autre occasion.
142 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

étant une et indivisible, l'éducation se fera dans la langue française,


commune à la grande majorité des citoyens »1.
INTERVENTION DE GRÉGOIRE. — Le 30 juillet, ce fut le tour de Gré-
goire de s'affirmer. Il montra les parents réunis aux enfants, pen-
dant les longues soirées d'hiver, l'instruction devenue chère, même
aux gens d'âge mûr, et le langage général s'en ressentant : « Les
connaissances utiles, comme une douce rosée, se répandront sur
toute la masse des individus qui composent la nation ; ainsi dis-
paraîtront insensiblement les jargons locaux, les patois de six mil-
lions de Français qui ne parlent pas la langue nationale. Car, je
ne puis trop le répéter, il est plus important qu'on ne pense en poli-
tique d'extirper cette diversité d'idiomes grossiers, qui prolongent
l'enfance de la raison et la vieillesse des préjugés » 5.
Grégoire a ajouté aussi une note aux Idées de Deleyre. La voici:
« Lavater a fait un
recueil de chansons patriotiques en allemand,
dans lesquelles il célèbre les fondateurs de la liberté helvétique, et
les événemens célèbres qui ont illustré la révolution des Suisses.
Je les ai oui chanter clans les vallées de leur pays... Il seroit bien
intéressant qu'aux chansons plates et indécentes de nos campagnes,
on substituât des couplets qui feroient chérir les vertus du patrio-
tisme, et fortifieroient l'horreur de la tyrannie avec celle du. vice.
Ce seroit un moyen de plus d'anéantir la plupart de nos patois. J'ai
engagé plusieurs de nos poetes à s'occuper de cet objet important,
entr'autres les citoyens Champfort, Chénier, François Neufchâteau,
etc. » (Idées sur l'éducn nationle, p. 35).
DAUNOU.
— Daunou allait plus loin. Son projet d'une loi sur
l'Instruction publique entrait dans le détail des moyens à prendre
pour favoriser la langue, et proposait une réforme de l'Orthographe 3.
Après avoir préconisé une transformation de l'enseignement de la
lecture par une épellation rationnelle, en homme du métier, l'ex-ora-
torien abordait les questions techniques de l'écriture et de la gram-
maire. Il se rendait compte en effet de l'influence néfaste de l'ortho-
graphe qui paralyse toute la première éducation, et des défauts de
la grammaire telle qu'on l'enseignait d'ordinaire, qui compromettait
les résultats que cette discipline eût pu exercer sur le dévelop-
pement de la pensée 1.
1. Guill, o. c. Conv., t. I, p. 674. Guillaume place cette brochure
juillet 1 793. sans date en
2. Id., ib., t. II, p. 177.
3. Id., ib., t. I, p. 394.
4. « J'invoque donc une réforme d'un plus grand caractère celles qui ont été
introduites jusqu'ici dans l' enseignement de la lecture, disait-il.que
Je réclame, comme
un moyen raison publique, le changement de l'orthographe nationale, et je
de
ne crois pas
LES PLANS D'INSTRUCTION ET LA LANGUE 143

MICHEL EDME PETIT.


— Michel Edme Petit n'opposa pas aux pro-
positions d'enseigner la langue nationale sa causticité ordinaire. Il est
vrai qu'il n'en dit rien dans son « Opinion », mais dans le Catéchisme
républicain, il recommande de n'employer que des mots de la langue
française, les phrases et les tournures les plus généralement usitées
dans la République, et cela veut dire évidemment que cette langue
cette proposition indigne d'être adressée à des législateurs qui compteront pour quelque
chose le progrès, ou plutôt, si je puis m'exprimer ainsi, la santé de l'esprit humain.
Il n'est point question ici de quelques corrections partielles semblables à celles que l'on
a tentées, et qui ne sont bien souvent que de nouvelles manières de contrarier la nature.
Je demande la restauration de tout le système orthographique, et que, d'après l'analyse
exacte des sons divers dont notre idiome se compose, l'on institue entre ces sons et les
caractères de l'écriture une corrélation si précise et si constante, que les uns et les autres
devenant égaux en nombre, jamais un même son ne soit désigné par deux différents
caractères, ni un même caractère applicable à deux sons différents. Celte analyse des
sons de notre idiome, la philosophie l'a déjà faite ou l'a du moins fort avancée : cette
correspondance invariable entre la langue parlée et la langue écrite, il ne faut plus que
la vouloir pour l'établir avec succès. Nous ne pouvons pas désirer, pour cette réforme
importante, une plus favorable époque que celle où les préjugés se taisent, où les habi-
tudes s'ébranlent, où l'on travaille enfin à régénérer l'instruction.
« Je crois n'avoir point à combattre aujourd'hui la plupart des objections que
le projet de cette réforme a dû essuyer en d'autres temps ; je n'en préviendrai
qu'une seule.
« On suppose qu'un tel changement dans l'orthographe doit entraver ou abolir l'usage
des livres écrits selon la méthode ordinaire, ou du moins que la lecture de ces livres
deviendrait presque inaccessible aux enfants accoutumés à un autre système graphique.
K
Il ne s'agit, pour dissiper cette objection, que de bien expliquer ce que je propose.
Assurément, je ne demande point que l'on n'imprime plus aucun livre avec notre
orthographe actuelle, ni même que les lois soient écrites avec l'orthographe philoso-
phique que j'ai indiquée. Les livres classiques que les enfants auront entre les mains
dans les écoles nationales, sont les seuls que j'aie ici en vue. A l'égard de tous les autres,
il faut laisser agir le temps, la liberté et la raison.
« La question se réduit donc à ce seul point : Est-il vrai que des enfants instruits
selon la méthode que je conseille ne pourraient plus faire aucun usage des livres
imprimés avec l'orthographe commune ?
« Je vous fais à mon tour une question. Lorsque, dans la méthode actuelle, un enfant
sait bien lire le français, combien de temps lui faut-il pour se mettre au fait des carac-
tères grecs et pour apprendre à les lire? Deux jours, ou quinze, si vous le voulez.
Eh bien ! il n'en faudra pas davantage pour qu'à la fin de leur éducation commune, à
l'âge d'environ douze ans, vous donniez de même à vos élèves la clef de votre ortho-
graphe vulgaire, et que vous les mettiez en état de lire avec facilité des livres dont
jusqu'alors ils auront fort bien pu se passer. Vous sentez qu'à cet âge votre système usuel
de lecture pourra leur être enseigné sans péril, et que des esprits sains, pénétrants, actifs,
n'y verront qu'une convention bizarre qu'ils apprendront comme un fait, et qu'ils ne
recevront pas comme une doctrine.
« J'observe, en terminant cette discussion, que la réforme de l'orthographe et le
perfectionnement de la grammaire rattacheront bientôt à l'éducation intellectuelle de
l'enfance beaucoup de connaissances précieuses qui en sont retranchées aujourd'hui,
beaucoup d'habitudes excellentes qui en sont proscrites. J'ignore si, au milieu des
sciences humaines, il en est une seule qui l'emporte en utilité et en intérêt sur l'analyse
des sensations, des idées et des signes ; et si parmi toutes les méthodes de penser, il en
est de plus salutaires que celle qui consiste à reporter chaque conception à son origine,
et à combler l'intervalle entre les systèmes et les sensations. Or tels seraient les infail-
libles fruits d'un bon enseignement grammatical, et c'est ainsi qu'en apprenant à parler
et à lire, vos élèves s'élèveraient sans difficultés, et presque d'eux-mêmes à la théorie
la plus claire et à la pratique la plus sûre de la pensée. L'on prend aujourd'hui bien
plus de peine pour égarer l'esprit humain et pour l'empêcher d'être sage, qu'il n'en
faudrait pour cultiver ses facultés et en seconder les progrès » (Guill., o. c, Conv.,
t. I, p. 594-595).
144 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

devra être connue des enfants 1. Il prévoit d'autre part que ce lan-
fois mis en usage par le gouvernement, perfectionnera la
gage, une
langue républicaine 2.

DELEYRE. Deleyre, député de la Gironde, faisait partie du



groupe des gens qui, non seulement étaient attachés au fran-
çais, mais qui avaient souci de le garder dans sa pureté. Re-
prenant et développant à cet effet une idée des Frères, il suggérait
d'entrechanger les instituteurs des diverses régions : « Parmi les
instituteurs, il faudroit en choisir pour la langue française, de
ceux qui la parlent bien, d'un accent pur, élevés quelque temps à
Paris ou dans les départemens limitrophes. Les défauts de pronon-
ciation ou de langue, comme ceux du corps, influent sur l'éduca-
tion des enfans, ou parce qu'ils les imitent, ou parce qu'ils les con-
trefont. Ils s'habituent à répéter par vénération ce qu'ils estiment,
ou par malignité ce qu'ils méprisent. Un des moyens les plus sûrs
de répandre dans toute la République la pureté de la langue fran-
çaise, tant pour la diction que pour la prononciation, ce serait d'en-
voyer les enfants du Midi dans les gymnases du Nord où l'on parle le
mieux, et les enfants du Nord dans les gymnases du Midi, pour y
porter le bon usage de notre langue.
« Mais s'il faut éviter en général d'avoir pour maîtres de langue
française des Gascons ou d'autres méridionaux, peut-être devroit-on
prendre parmi ceux-ci des instituteurs pour la langue latine, dont
il est important de cultiver... le bon goût, ne fût-ce que par
amour de la liberté. Nos naturels de la Provence et du Languedoc
prononcent mieux le latin que les autres Français, parce que leur
idiome maternel en approche davantage » 3.

WANDELAINCOURT.
— Dans sa brochure sur l'instruction publique,
Wandelaincourt, député de la Haute-Marne, étudie minutieusement
les méthodes à employer' dans l'éducation de la première enfance.
Ses idées principales sur le rôle à donner au français sont les sui-
vantes : « L'étude des langues est particulièrement appropriée à l'en-
fance. On la rend facile et agréable en étudiant les principes de la
langue française d'abord, et en se servant d'un livre qui traite des
arts et des sciences, au lieu de phrases décousues et vides ». Le
français s'impose « parce qu'il est plus nécessaire
que nous la par-
1 Opinion du 1er oct. 1793, art. 16 du proj. de Décret, dans Guill., c., Conv.,
o
t. II, p.
557.

2. Ib.. p. 360.
3 Idées sur l'éduc. nat.,
p. 41-45 Cf. Guill., o. c, Conv., t. I, p. 667-668.
4. I. N, p. 357. Cf. Tourn., III, 17004. Voir Art. II, et suiv.
p. 5
LES PLANS D'INSTRUCTION ET LA LANGUE 145

lions [cette langue] plus correctement qu'une autre ; parce qu'elle


suit presque toujours la génération et l'ordre des idées... parce
qu'enfin elle sert mieux à faire entendre les autres langues. Notre
langue aura donc la préférence, mais ce ne sera que pour les prin-
cipes et l'explication des règles du langage ».
Les principes sont nécessaires « parce que les règles sont autant
de cases destinées à recevoir une espèce particulière de mots, et
autant de numéros propres à marquer les rapports que chaque terme
doit indiquer dans une phrase ; parce que cette pratique bien enten-
due seconde merveilleusement la mémoire, rend l'esprit juste, accou-
tume les jeunes gens à faire usage de leur raison, à remarquer, à
combiner ».
Le travail fait sur une langue suffira pour une autre, s'il y a ana-
logie, et si cette analogie n'existe pas, les contraires s'expliquent
par les contraires.
Montrer que le latin a des cas, et que le français, n'en ayant point,
rend les rapports par le moyen de certaines prépositions, c'est s'obli-
ger à remarquer les divers sens des prépositions d'origine latine,
comme à ou de, mais dont les emplois se sont étendus et peuvent
être montrés au moyen de petites questions.
Une fois sur ce chemin, Wandelaincourt pousse jusqu'à l'esquisse
d'une grammaire française, formée d'après les principes et les vues
qu'il vient d'indiquer. Nous ne pouvons le suivre dans les développe-
ments qu'il consacre à ce sujet non plus que dans ses essais sur l'art
d'écrire et de lire, où foisonnent les idées, dont quelques-unes d'une
grande justesse 1.
Il m'a paru utile de signaler cet accord ; il est significatif. Les
législateurs vont donc mettre la langue nationale partout au centre
du premier enseignement. Cela était nouveau et essentiel.

DANS L'OPINION PUBLIQUE.


— Semblables intentions répondaient
plus que jamais au voeu général. Cependant, si l'ensemble du pays
se prononçait en ce sens, il y avait encore des villes et même des
départements où on continuait à désirer que l'école se fit dans l'idiome
du pays, et que le français fût considéré comme un luxe réservé.
C'était le cas dans presque toute l'Alsace, et aussi dans le Nord, par
exemple à Bergues, où des patriotes, ou soi-disant tels, ne voyaient
pas ou ne voulaient pas voir que l'unification nationale était à ce

1. Des Suites forment de véritables manuels. Le premier concerne la lecture, l'écri-


ture et la grammaire; vient après une histoire naturelle en 260 pages, puis une étude
des Arts en 94 pages, une physique sommaire en 30 pages et un Art de penser en
20 pages.
Histoire de la langue française. IX. 10
146 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

prix, et qu'il était nécessaire d'y préparer les nouvelles générations 1.


Esprit particulariste? je ne sais. J'inclinerais plutôt à croire qu'on
espérait surtout épargner de la peine aux enfants et les voir s'assu-
rer plus facilement et plus vite les connaissances indispensables.
Chez Cambry, la protestation en faveur du breton s'inspire d'une
curiosité d'érudit; et elle ne va pas du reste jusqu'à l'opposition à
une diffusion nécessaire de la langue nationale 2.
1. On eût voulu à Bergues que l'étude du français fût retardée et commençât avec
celle des sciences. Et la réclamation en ce sens, datée de décembre 1792, était l'oeuvre
de Lorins, un Berguois, Président de la Société des Amis de la Constitution !
(Peter, L'enseign. sec. dans le dép. du Nord., p. 76).
2. Cambry ne croit pas tout à fait, avec les Bretons, que leur langue soit supérieure
à toutes les langues de l'univers (Voy. dans le Finist., 1, p. 53), mais il l'admire profon-
dément, la présente, l'étudie (Ib., I, p. 24 et 49). Il veut bien accorder qu'elle servait à
" maintenir un état d'asservissement capable de comprimer le caractère des habitants »
(Ib., p. 49), mais s'indigne de la voir écorcher (Ib., p. 18) et s'écrie : « Il est barbare
de négliger, d'anéantir la langue des bretons, des celles, la plus vieille médaille de
l'ancien monde. Déterrez le Brigant, que l'ignorance a dédaigné; tirez-le de l'affreuse
misère où le gouvernement des rois l'abandonna... et quand il serait vrai que ses aperçus
fussent des chimères... leur bizarrerie, leur sublimité devrait les faire conserver»
(Ib., p. 82).
CHAPITRE IV

LA LOI DE VENDÉMIAIRE

Le 30 vendémiaire an II (21 octobre 1793), un décret institua


des écoles primaires d'État. Il disait : « On forme les enfants aux
exercices du corps, à soulager dans leurs travaux domestiques
et champêtres les vieillards, les pères de famille, les veuves, les
orphelins qui auront besoin de secours ainsi qu'à travailler pour
le soldat de la patrie qui quitte ses foyers, ses champs, son atelier
pour la défense commune. Ils apprennent à parler, lire et écrire la
langue française. On leur fait connaître les traits de vertu qui
honorent le plus les hommes libres, et particulièrement les traits
de la Révolution française les plus propres à leur élever l'âme et à
les rendre dignes de la liberté et de l'égalité. Ils acquièrent quel-
ques notions géographiques de la France. La connaissance des
droits et des devoirs de l'homme et du citoyen est mise à leur
portée par des exemples et par leur propre expérience. Ils s'exercent
à l'usage des nombres, du compas, du niveau, des poids et
mesures, du levier, de la poulie, et de la mesure du temps. On les
rend souvent témoins des travaux champêtres et de ceux des
ateliers; ils y prennent part autant que leur âge le permet1 ».
Ce programme était exagérément ambitieux à coup sûr, mais il
ne mérite pas les sarcasmes, car il était plein d'idéalisme et débordait
d'esprit de solidarité ; l'on y sent l'inspiration d'une pédagogie instinc-
tive mais supérieure, qui combine les soins du corps et ceux de
l'esprit, la gymnastique et la morale 2; il mêle l'expérience à l'ensei-
gnement, recommande d'adapter, de simplifier 3.
1. Guill., o. c, Conv., t. II, p. 679.
2. Ce souci de former les âmes, qui parait si absurde aux censeurs dans l'École d'Etat
et si naturel dans l'École d'Église, inspirait depuis longtemps les idéalistes : « Il faut
désormais que ceux qui seront à la tête de ces écoles soient des instituteurs de morale,
disait Barruel, qu'ils en prennent le titre en même tems qu'ils en rempliront les fonctions,
et qu'ils ne soient plus connus sous cette dénomination de maîtres d'école, si avilissante
que nous sommes parvenus à en faire une espèce d'injure » (Plan d'éduc. p. 81). Cf.
« Ils demandent un officier de morale pour les instruire, et l'éducation nationale pour for-
mer leurs enfants à la connaissance de leurs droits et à l'amour de la patrie». (Le représ.
à Brest et Cherb., 24 frim. an II (14 déc. 1793), dans Aul., Act. du Com. S. P., t. IX,
p. 402).
3. Cf. Allain, L'OEuv. scol. de la Révol., p. 46.
148 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Pour nous, nous y remarquerons la place éminente qu'y occupe


l'enseignement de la langue. C'est un des seuls dont il soit fait
mention expresse. On a foi dans la vertu éducatrice de la pensée
française; la langue est le produit de l'esprit national, mais, en
retour, elle contribue à le former dans sa liberté et sa puissance 1.
Le 5 brumaire, le Comité, par l'organe de Romme, proposa des
articles additionnels; le 6e et le 7e sont importants. Ils répètent
l'article Ier du projet Arbogast-Lanthenas : « L'enseignement public
est partout dirigé de manière qu'un de ses premiers bienfaits soit
que la langue française devienne en peu de temps la langue familière
de toutes les parties de la République.
Dans toutes les parties de la République, l'instruction ne se fait
qu'en langue française » (Guill., o. c, Conv., t. II, p. 689).
Le double principe était posé en quelques lignes : on enseignait
en français et on enseignait le français. L'école, devenue institution
d'État, était chargée d'un service essentiel, d'ordre politique.

1. " Les lycées répondent aux universités... En répandant notre langue et nos
principes, ils étendront nos conquêtes, les seules dignes de nous, celles qui affran-
chissent l'homme des erreurs et des préjugés » (Romme, Rapp. de vendém. an II
dans Hippeau, o. c, p. 325).
CHAPITRE V

REVISION DE LA LOI. — UN NOUVEAU SYSTÈME

On signale quelques mesures prises presque tout de suite, pour


appliquer le décret; ainsi à Strasbourg on décida l'organisation
du cours de langue française 1. Mais déjà Coupé, de l'Oise, avait
obtenu de la Convention un vote qui remettait tout en question
(14 brumaire)2. Le Comité fut chargé le 19 d'une revision. Le 24,
il était déjà en mesure de présenter ses propositions. Elles main-
tenaient les articles concernant l'enseignement de la langue fran-
çaise, et en outre la disposition essentielle : L'enseignement se
fait partout en langue française (art. 7) 3.
La discussion commença en frimaire. Bouquier soutint inopiné-
ment un contre-projet qui emporta l'adhésion d'une partie du Comité,
des Jacobins et de la presque unanimité de la Convention. L'en-
seignement était déclaré « libre ». Dans la section III, qui traite
du « premier degré d'instruction », il était bien question de lecture
et d'écriture ; aucune mention expresse de la langue n'était con-
servée. Plus d'obligation pour les parents, un programme abandonné
en fait à la bonne volonté des citoyens et citoyennes. On n'était
plus tenu qu'à employer les livres élémentaires adoptés par la
représentation nationale.
Le Comité partagé décida de présenter à la fois son Plan de
révision et le projet Bouquier. Le 18 frimaire, la Convention en
délibéra. La priorité fut accordée au projet Bouquier, qui finit par
l'emporter, avec des modifications. Le 29, les trois premières sec-
tions étaient votées et devaient être promulguées avant qu'on
discutât le reste. C'est sous ce régime d'abandon que la République
de l'an II allait vivre. Pendant que par un effort héroïque elle
sauvait ses principes, elle renonçait à les vulgariser par l'école.

1. 12 frim. an II (2 déc. 1793). Délib. du corps munic, V, 1373, dans Reuss, Notes
inst. prim., p. 113.
2. Voir Guill., o. c., Conv., t. III, p. XV.
3. Id., ib., t. II, p. 850.
CHAPITRE VI
LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES

ORIGINE DE L'IDÉE. L'idée de livres élémentaires uniformes et



imposés par l'autorité n'est nullement un produit de l'esprit jacobin.
Divers théoriciens l'avaient présentée sous l'Ancien Régime, ainsi
La Chalotais 1, l'abbé Coyer 2, d'Holbach 3. Les physiocrates l'avaient
adoptée*.
Elle se retrouve dans les Cahiers5. Rien d'étonnant donc à ce
qu'elle se soit généralisée dès qu'il fut question d'avoir une instruc-
tion publique uniforme et uniformément répandue dans tout l'em-
pire. Elle fut reprise dans les principaux plans publiés de 1789 à
1792 : « L'Assemblée et tous les citoyens, dit Dom Ferlus, doivent
être sur-tout généreux pour encourager la composition des livres
élémentaires qu'on mettra entre les mains des jeunes citoyens... »
Une phrase de l'éminent bénédictin suffira à indiquer l'importance
qu'il attache à la rédaction de ces manuels : « Ce seront, dit-il,
vraiment les livres de la Nation, le plus beau présent que le génie
puisse faire à l'humanité » 6. C'est aussi sur ces livres que repose
l'espoir principal de Barruel. Ils sont l'essentiel de son Plan 7.
1. « Que ne pourroit-on pas apprendre en dix ans, si l'on étoit bien conduit, et que
l'on eût de bons Livres élémentaires.
« S. M. pourroit faire composer des livres classiques élémentaires, où l'instruction
seroit toute faite relativement à l'âge et à la portée des enfans depuis 6 ou 7 ans jusqu'à
17 ou 18 » (Essai d'éduc. nat., Post-script., p. 131-152 ; Cf. Compte-rendu des Consti-
tutions des Jésuites, 1762, p. 242 et Second compte-rendu, p. 122-123).
2. « Lorsqu'on aura la famille des livres Elementaires, il faudra leur donner la sanction
publique » (Plan d'éduc, p. 274).
3. Ethocratie, th. x.
4. Turgot, OEuv.. t. IV, p. 580.
5. Allain, La quest. d'enseig., Index, n° 6.
6. Proj. d'éduc. nat. p. 13 et 16.
7. Voir Art. X : « Ce que dit d'Alembert des éléments de géométrie, peut convenir
aux livres élémentaires en général... les Descartes, les Newton, les Leibnitz n'eussent
pas été de trop pour les bien exécuter... On no parviendra à un résultat satisfaisant que
si nos législateurs, après avoir décrété les grandes bases de l'éducation
en général,
convoquent ensuite une législature académique, dont le premier soin sera d'arrêter un
plan d'études propre à tous les départemens, d'en fixer tous les détails, soit
petites, soit pour les grandes écoles, de faire un réglement pour chacune d'elles, pour les
de
déterminer enfin tous les livres élémentaires qui doivent être destinés à former
complet de doctrine. On
un
cours commencera par le code des mères et l'a. b. c. »
(p. 163-170). « A défaut de savans distingués qui veuillent
se charger du premier
LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES 151

La nécessité de ces ouvrages est également si bien démontrée aux


yeux de Lacépède, que l'illustre savant ne croit pas nécessaire d'y
insister : « Je n'ai pas besoin d'ajouter que des livres élémentaires
sur tous les objets de l'instruction gratuite, seront à différentes
époques, composés par ordre des Représentans de la Nation, et
distribués dans les différens collèges ou aux différens professeurs
isolés »1.
Condorcet inséra tout naturellement l'idée dans son Projet :
« Dans
les écoles primaires et secondaires, les livres élémentaires
seront le résultat d'un concours ouvert à tous les citoyens, à tous
les hommes qui seront jaloux de contribuer à l'instruction publi-
que; mais on désignera les auteurs des livres élémentaires pour
les instituts » 2.

INSTITUTION D'UN CONCOURS.


— La Convention devait saisir pareil
moyen d'assurer l'unité des esprits. Dès la 4e séance, on en parla au
Comité d'Instruction publique 3. Le projet de Lanthenas y faisait
une première allusion : « De bons livres élémentaires pour les
écoles, et des instructions sages pour les instituteurs, aideront
infiniment les hommes même les plus habiles » 4. A peu près
vers la même époque, Arbogast y insista : « Le défaut, ou la di-
sette des ouvrages élémentaires, a été jusqu'à présent un des plus
grands obstacles qui s'opposaient au perfectionnement de l'instruc-
tion » 5.
Daunou, lui, n'acceptait le principe qu'avec des atténuations.
Un livre unique l'effrayait. Il proposait d'adopter plusieurs livres
classiques sur une même matière, afin que l'instituteur pût
choisir 6.
Jean Bon Saint-André poussait plus loin la répugnance : « Je ne
crois pas qu'il soit possible, déclare-t-il, de faire de bons livres

travail, on ouvrira un concours » (p. 171). « A mesure qu'on devra réimprimer, tous
les collèges seront prévenus. Professeurs, instituteurs, savants soumettront leurs obser-
vations » (p. 172). « Le corps académique ira jusqu'à fixer, par des numéros, ce qui
fera la matière de chaque leçon » (p. 176). « Il établira les prix, qui seront très bas »
(p. 179).
Des réglements aussi minutieux régleront les livres classiques (art. XI et suiv.).
Jamais hiérarchie de manuels plus étroite et plus complète n'avait sans doute été
conçue.
1. Vues sur l'enseig., p. 31.
2. Rapp., dans Guill., o. c., p. 211-212. Cf. Proj. de décret, titre II, art. 5.
3. Guill., o. c, Conv., t. I, p. 9-12.
4. Dans Hippeau, o. c., p. 296. Cf. Guill., o. c, Conv., t. I, p. 84.
5. Derniers jours de 1792. Disc. d'Arbogast, dans Hippeau, o. c., Déb. lég., 47. Cf.
Guill., o. c, Conv. t. I, p. 94. Se reporter aussi à l'opinion de Lequinio (Id., ib.,
p. 554, 575).
6. Ess. s. l'I. P., p. 23.
152 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
pouvaient
élémentaires pour les enfants » 1. Mais, ces voix isolées ne
arrêter l'exécution. Il importe de se rappeler, nous l'avons noté,
si le projet de Bouquier, si différent des autres, réduisait le
que
nombre des Manuels, il ne les supprimait pas 2.
Un premier décret (13 juin 1793) resta sans effet 3. Le 9 plu-
viôse an II (28 janvier 1794) — la date est à noter —, la Convention
adopta les conclusions d'un rapport du Comité d'Instruction
publique 4, rédigé sous l'inspiration de Grégoire.

LA GRAMMAIRE NATIONALE. Parmi les manuels élémentaires à



composer se trouvait naturellement des Notions de Grammaire fran-
çaise; c'était le n° 4. La Chalotais en avait déjà montré la néces-
sité".
On répondait par là aux voeux de plus en plus pressants des
instituteurs ». De toutes parts ils réclamaient des Manuels, et depuis
«
longtemps. Il ne faut pas s'y tromper, bien entendu. Ce qui man-
quait surtout aux maîtres, anciens et nouveaux, c'était les manuels
de civisme, les catéchismes républicains, tout ce qui devait former
le premier enseignement moral des enfants, et dont aucun spéci-
men antérieur à la Révolution ne pouvait exister 6. Cependant il
arrivait aussi qu'on demandât des grammaires 7. Il se trouvait même
des exaltés qui eussent remplacé volontiers le catéchisme par un
livre de conjugaisons 8.
Toute une série d'ouvrages furent envoyés dès cette époque ou à
la Convention, ou à son Comité. L'appel avait été entendu 9.

1. Hippeau, o. c, Déb. lég., p. 45.


2. Guill., o. c., Conv., t. III, p. 38.
3. Le 11 septembre 1793, des inspecteurs étaient envoyés par la Convention dans
les départements pour examiner les livres élémentaires.
4. Guill., o. c., Conv., t. III, p. 292 et 371.
5. « Un Livre classique nécessaire seroit un recueil relatif à l'état actuel de notre
Langue, extrait des Remarques de Vaugelas, de Bouhours, de Corneille, de Patru, de
St-Evremond, et de tous ceux qui ont écrit sur la Langue, avec les raisons de leurs
décisions » (Essai, p. 76).
6. Voir Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 116, 314, 321, 370, 541, 555, 792, etc.
Cf. Arch. N., F17 1009B 2065.
7. Chemelat, « instituteur républicain », écrivait le 27 prairial an II (15 juin 1794) :
A l'Ecole primaire il faut une grammaire française « composée et rédigée dans l'esprit
d'une Administration populaire » (Arch. N., F 17 1310, doss. 5).
8. « Pour réussir dans l'éducation que je propose, il faut brûler généralement tous
les livres qui parlent de dieu par superstition... que ces mêmes livres soient remplacés
1° par un alphabet ou syllabique fait avec précision ; 2° par les meilleurs livres élémen-
taires qui traitent de la langue française ; 3° et enfin par les meilleurs auteurs pour
toutes les sciences généralement... Les enfans ne copieront que ceux (les livres) qu'ils
étudieront, et les maîtres leur en interpréteront la prononciation, ils leur feront encore
suivre la régularité de l'écriture; ils leur feront suivre les phrases, même les accens,
les virgules et les points » (Mignard, Essai sur la Morale, p. 30 ; cf. p. 34).
9. Voici quelques indications. J'ai dû. souvent me borner au litre, les pièces n'étant
pas faciles à retrouver. Livre des principes de la langue française (Guill., o. c, Conv.,
LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES 153

Il convient de noter d'ailleurs que le Comité d'Instruction


publique, préoccupé avant tout de l'avancement des connaissances,
n'excluait nullement des écoles les ouvrages composés en idiome ou
en patois. Le 7 messidor il renvoyait au concours trois ouvrages en
langue allemande soumis par Simon et Jean Schweighaeuser (secré-
taire interprète du Bas-Rhin) 1.
Le 18 messidor de l'an II (6 juillet 1794), le Jury du Concours fut
nommé. Dès le lendemain il accordait à Blondin une gratification 2.
On était à la veille de la Révolution de thermidor. Les travaux
n'aboutirent pas, et le 18 fructidor une prorogation fut accordée.
Les concurrents eurent jusqu'au 1er nivôse de l'an III pour produire
leurs oeuvres 3.
t. III, p. 322) ; Midon, Essai de nouvelle orthographe (5 germ., 15 flor. an II) (Id., ib.,
t. IV, p. 311); Gargas, Projet de décret sur le perfectionnement de la grammaire(renvoyé
au Concours, le 13 prair. an II) (Id., ib.. p. 517) ; Blondin, Précis de la langue française
(renvoyé au Concours, le 15 prair. an II) (Id., ib., p. 532) ; Petits traités de grammaire
(5 prair.) (Id., ib., p. 466); Bruand, de Besançon, Notions sur la grammaire(Id., ib..
p. 546) ; Notions élémentaires de la grammaire (21 prair.) (Id., ib., p. 613) ; Notions
sur la langue française (Id., ib., p. 616) ; Cours de langue française à l'usage des écoles
nationales par une société de gens de lettres (Id., ib., p. 748) ; Sollier, Observations sur
la langue française (Id., ib., p. 650) ; Jussieu, Simplifier les règles et l'enseignement de la
langue (Id., ib., p. 640); Méthode réduite aux règles les plus simples et justifiée par
l'expérience pour apprendre à lire en très peu de temps... et la grammaire française (29
prair. an II) (Id., ib., p. 646) ; Eléments de la langue nationale ou Grammaire des sans-
culottes. Avec cette épigraphe : Ecrire et parler la langue nationale sont des connais-
sances indispensables a tout citoyen (Id., ib.) ; Chemin fils, Principes de la grammaire
française (29 prair. an II) (Id., ib., p. 647); Diog. Coursiaux, Cours élémentaire de la
langue française (1er mess, an II) (Id., ib., p. 663); Boinvilliers, Grammaire Nationale
mise à la portée de tout le monde, enrichie d'un petit dictionnaire de mots nou-
veaux, introduits dans notre langue depuis la Constitution, par M. de Boinvilliers.
auteur du Manuel des enfans, ouvrage propre à l'instruction des jeunes habitans de la
campagne (Versailles, Bould de la Reine, n° 25).
1. Comment faut-il comprendre la phrase contenue dans la lettre d'envoi des auteurs :
Vous avez déclaré qu'on ne doit pas se gêner sur la langue (Guillaume, o. c, Conv.,
t. IV, p. 698). Elle s'explique par une autre où les deux auteurs en appellent à
Arbogast, qui « connaît l'idiome » dans lequel ils ont écrit (Ib.). Le 25 floréal, il avait
reçu des mêmes l'alphabet allemand (Id., ib., p. 427). Le 19 floréal, il avait renvoyé
à Grégoire une Syntaxe de l'idiome provençal (Id., ib., p. 373).
2. « Le Comité d'Instruction publique, après avoir examiné des élèves de Blondin,
considérant l'utilité des travaux du citoyen Blondin pour faciliter l'étude de la langue
de la liberté et d'autres langues modernes auxquelles sa méthode est applicable », lui
accorde une gratification de 1500 livres (Guill., o. c, Conv., t. IV, p. 763-764).
3. Id., ib., t. IV, p. 751, 735-756, 934.
LIVRE II

LA PROPAGANDE ET LES DIVERS LANGAGES

CHAPITRE PREMIER

LA TRADUCTION DES DÉCRETS

La CONVENTION CONTINUE LA TRADITION DES PRÉCÉDENTES ASSEMBLÉES.

— Au début, rien ne fut changé dans la politique pratiquée à


l'égard des idiomes et des dialectes. « Pour donner à l' esprit public
une impulsion accélérée, disait Roland, il faut multiplier les
canaux d'instruction envers le peuple. Le huitième au moins des
François n'en entend pas la langue; il faudroit donc traduire et
nos Ioix et nos bons écrits, dans les différens dialectes de ces
habitans »1.
D'autre part l'exécution du travail de traduction des décrets
prescrits par la Constituante avait été lente et incomplète. C'était
la condamnation des moyens employés; ce n'était pas la condam-
nation du principe. Quoique, au train dont allaient les choses, on
risquât de traduire les lois après qu'elles seraient abrogées, la Con-
vention n'abandonna pas l'espoir de se tenir en contact par ce
moyen de fortune avec les populations et de leur permettre de la
suivre et de la juger 2.
Dès sa réunion, l'assemblée s'occupa de cette affaire. Boldoni, pro-
fesseur de langues étrangères au Lycée, offrait, le 20 septembre 1792,

1. Il propose de même l'unification du costume (Compte-rendu à la Convent.


Nationale, p. 234).
2. Dejeon réclame de l'argent pour avoir traduit en italien la Marseillaise et la
Révolution (une note dit qu'il n'a traduit que la Marseillaise). Lettre reçue le 5
f
juil. 1793, Arch. Aff. Étr., Fr., 323, 276.
156 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

de se charger de la traduction nécessaire des décrets en langue


italienne pour la Corse. On le renvoya à l'Assemblée 1. Le 26, Simon
sollicitait des instructions précises, et Danton lui indiquait de se
borner aux décrets de la Convention, en laissant aux autorités d'Al-
sace le soin de continuer la version des décrets de la
Législative 2.
Il ne s'agissait pas de faire des compilations, mais d'aller au plus
pressé et de suivre les événements.
Le 6 octobre 1792, Reubell présenta un de ses cousins, le citoyen
Maas de Colmar, qui demandait à être employé au bureau de la tra-
duction des lois dépendant du Ministère des Affaires Etrangères.
Après avoir fait à Colmar, comme secrétaire-interprète au départe-
ment du Haut-Rhin, toutes les traductions des lois de la première
et de la seconde Assemblée, il ne servait plus à rien en Alsace,
« puisque les loix
devaient désormais être envoyées toutes traduites,
et que dès lors sa collaboration devenait inutile au département » 3.
Une demande analogue était présentée par Blaux, député de la
Moselle, pour le cas où il s'agirait d'instituer définitivement un
service de traduction régulière et systématique de toutes les lois,
proclamations et adresses en allemand (19 octobre) 4.

INTERVENTION DE RÜHL ET DE DENTZEL. Le 6 novembre, Rühl



porta de nouveau les doléances de ses compatriotes à la tribune. Il
protesta contre l'infidélité « pitoyable de la traduction qui se fait
dans les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin par des tra-
ducteurs qui ne savent ni français ni allemand ». Il ajoutait que « d'un
mal on était tombé dans un pire », car depuis longtemps on négli-
geait ce travail, et « les habitants des campagnes qui n'entendent pas
le français ne savaient pas encore que la royauté était abolie en
France » 5.
Léonard Bourdon approuva vivement cette intention de l'Assem-
blée de traduire en idiome étranger les décrets rendus, et le secré-
taire Lanjuinais répondit que le bureau venait d'être saisi d'une
lettre des rédacteurs-traducteurs en langues étrangères établis près
de la Convention, s'offrant gratuitement pour faire travail. Barère
ce
fit observer qu'il existait déjà une loi à ce sujet et qu'il
ne s'agissait
que de la faire exécuter. Il demanda que le ministre de l'intérieur
1. Arch. N., AA. 32, doss. 2.
2. Ib.,
3. Ib., AA. 33.
4. Ib., Blaux proposait, pour éviter les frais, de faire imprimer
Bitche, etc., ce qu'on aurait traduit à Strasbourg sur place à Metz,
en « allemand familier », ce qui sera
autrement utile que dos traductions en allemand épuré
prend pas. « », que le vulgaire ne com-
5. May, La lutte pour le fr. en Lorr.,
p. 17.
LA TRADUCTION DES DÉCRETS 157

fût chargé de ce soin et d'en rendre compte sous trois jours. Reu-
bell demanda en outre qu'il fût établi une commission qui aurait
pour mission de suivre la traduction des lois dans les différents
idiomes. Ces deux propositions furent adoptées 1.
Ce n'était pas seulement de l'Alsace qu'il s'agissait. « Il seroit à
souhaiter que l'on s'occupât de faire traduire pour les Basques au
moins les lois principales », écrivaient les commissaires en mission
à Bayonne 2.
Le 7, Dentzel fit son rapport 3. Il y demandait le maintien du
principe. Seuls, les habitants des villes connaissent les lois, « par
des interprètes, qui, s'ils sont infidèles, les induisent en erreur au
lieu de les éclairer ; et les campagnards, cette classe utile et pré-
cieuse, en est privée presque tout à fait. C'est de cette source dont
je dérive.une grande partie des malheurs, dont le fanatisme et
l'aristocratie se servoient pour agiter les citoyens... La lettre de
vos commissaires dans les départemens des Pyrénées, ne vous
prouve que trop la vérité dont je vous parle; vérité que je pourrois
appuyer par mon expérience dans les départemens du Rhin: c'est-là
où le fanatisme a encore ses torches allumées, où les lois des élec-
tions, et sociales, ayant été mal comprises et mal interprétées, ont
produit des rixes continuelles et des illégalités sans nombre; c'est-là
où un fort parti royaliste égare les esprits et fait la désolation des
vrais Républicains.
« L'esprit du républicanisme se répand, et avec lui la cupidité de
suivre la marche de vos travaux... c'est à vous à transmettre au peuple
souverain le résultat de vos veilles, d'une manière intelligible... votre
commission tache « de combiner la stabilité d'un pareil établis-
sement avec l'économie nécessaire ». Il s'agit donc de traduire :
en italien, pour la Corse, le Mont-Blanc, et l'Italie elle-même,
car « bientôt le brave Kellermann fera placer les Droits de l'homme
au Capitole de Rome » ;
en castillan 4: « nos concitoyens des départemens des Pyrénées le
parlent, et... quelle satisfaction de... donner un aliment à l'esprit
qui anime déjà le peuple de l'Espagne et du Portugal ! » ;
en basque et en bas-breton. « Le Basque et le Bas-Breton sont les

1. Arch. Parlem., Ire sér., t. LIII, p. 205.


2. Com. de Sal. publ., Séance du 6 novembre, dans Aul., Act. du Com. S. P., t. I,
p. 226. Cf. la lettre du 25 (P) oct. 1792 dans Carnot, Corresp.. t. I, p. 238.
3. I.N., in-8°, 12 p. Cf. Un mot insidieusementtraduit peut changer totalement le sens
d'une loi... « Tôt ou tard nous verrions reparaître cette bizarre multiplicité de coutumes
qui seraient au moins aussi nombreuses que les départements » (Chabot à Grég., Lett.
à Grég., p. 73).
4. On confond, volontairement peut-être, catalan et castillan.
138 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

seuls idiômes, dont l'effet de la traduction se bornera seulement aux


habitans de la République » (sic)... Nos frères du Morbihan, du
Finistère et des Côtes-du-Nord, ne sont-ce pas ceux qui ont contri-
bué à renverser le trône du despote ? » ;
allemand Il y a non seulement 4 départemens de la Répu-
en : «
blique, qui parlent cette langue presque exclusivement du Français-
(sic), mais... il existe une grande portion de peuples Allemands,
dont le territoire est occupé en ce moment par l'armée valeureuse de
la République ». Ce peuple « est lassé de l'esclavage le plus vil de ses
petits soi-disant souverains; ...bientôt vous le verrez paroître à votre
barre, vous solliciter, au nom de l'humanité et de la liberté, la per-
mission de former le 85e département... Cela n'est pas tout : vos
décrets ainsi traduits en Allemand, vont parcourir et éclairer les
États de François II, de Frédéric-Guillaume, une partie de la Suède,
du Danemarck, de la Pologne, de la Hollande, et des électorats
d'Hanovre, de Saxe, de Bavière, de Cologne, la Westphalie, et une
grande quantité de petites principautés et de comtés...
« Il est
indispensable de former cet établissement dans les dépar-
temens mêmes où ces différens idiômes sont usités... La cherté
excessive du papier et la rareté des mains-d'oeuvre à Paris, les frais
énormes de l'envoi, et la pureté de ces différens langages qui se
trouvent aussi rarement à Paris, comme elle est abondante dans les
départemens respectifs ; voilà des raisons plus que suffisantes qui
vous détermineront d'accepter cette proposition » (p. 2-7).
Dentzel ajoutait : « Votre Commission ne pourroit pas s'arrêter
aux différens patois, dont presque chaque département a le sien
propre. Le citoyen Grégoire, membre de la Commission de traduc-
tion, se propose de vous soumettre un ouvrage concernant tous les
patois de la République ».
Un projet de décret suivait. Les dispositions essentielles étaient
les suivantes :
1. Les lois seront traduites en langue allemande, italienne,
cas-
tillane, basque, et bas-bretonne.
2. La traduction et les impressions se feront dans les départemens.
3. Il y aura six chefs de traduction, que le ministre de la justice
placera dans les départemens respectifs...
8. Les traducteurs seront sur la surveillance des directoires des
départemens.
9. Le texte et la traduction imprimés...
seront envoyés... par la
voie des départemens aux districts, et
par les districts aux munici-
palités (p. 9-10).
Le 7 novembre 1792, la Convention décréta qu'il
serait nommé
LA TRADUCTION DES DÉCRETS 159

une commission chargée d'accélérer la traduction. Elle chargea le


ministre de la justice de rendre compte à cette commission des
travaux qui ont dû être faits, et nomma commissaires Dentzel,
Rühl, Reubell, Meillau, Cadoy, Grégoire et Léonard Bourdon. Ce
n'était que la promesse d'une solution, quoique tous ces membres
de l'Assemblée eussent déjà témoigné de l'intérêt qu'ils prenaient
à la question.

LE DÉCRET ET L'OPINION.
— Dès ce moment, il se trouva des gens
pour penser qu'on avait tort de pactiser avec les jargons et qu'il
fallait les extirper du sol national. On lit dans la Chronique de
Paris du 10 novembre 1792, sous le titre Instruction publique :
« Le Bas-Breton, le Basque, etc., sont des idiômes plus étran-
gers à la majorité des Français, que le chinois et le turc. Cette
bigarrure dans le langage pouvait être tolérée sous l'ancienne divi-
sion de la France en provinces, et dans un temps où l'ignorance du
peuple avait un grand objet d'utilité pour le gouvernement, mais
aujourd'hui, où loin de craindre les lumières, le premier intérêt de
l'Etat est de les propager, il faut bannir du territoire de la républi-
que toute autre langue que celle que l'on parle à la Convention
nationale. La multitude des idiômes et des paroles est un obstacle
très puissant à la rapidité des communications. Beaucoup de Français
n'entendent nos lois, que lorsqu'elles sont traduites en un informe
langage. Comment connaîtraient-ils leurs droits s'ils ignorent la
langue dans laquelle la Déclaration en est écrite ?
« On a rappelé à la Convention nationale l'existence d'une loi,
qui ordonne la traduction des décrets en allemand, en patois, etc.
Cette mesure est bonne pour le moment actuel ; mais il en est une
qui doit entrer dans le plan d'instruction publique et en faire
d'abord un article important : c'est la destruction absolue des
idiômes et des patois.
« Les habitants des campagnes où il n'existe point de patois,
parlent en général un français très-corrompu. Les auteurs, en les
transportant sur la scène, leur ont conservé leur langage, ce qui
les rend presque toujours ridicules, et donne sur eux une sorte
d'avantage aux citadins. Ceci pouvait convenir, lorsque la féodalité
maintenait ses paysans dans un état d'abjection nécessaire à ses
intérêts : maintenant que la bure marche à côté de la soie, en atten-
dant qu'elle ait le pas sur elle, un respectable habitant de la cam-
pagne, s'il énonce sur la scène une maxime raisonnable, ne doit pas
le faire dans un langage niais, ridicule ou corrompu. Signé :
Roussel ».
160 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Le bruit fait autour de ces projets attira de nouvelles proposi-


tions 1. Il serait curieux de savoir quels furent les travaux de la com-
mission. Mais j'avoue que les renseignements me font défaut 2. Le
13 novembre 1792, Dithurbide, offrant à Garat ses services pour la
version en basque, déclarait qu'il lui semblait inutile qu'on s'occu-
pât de versions en patois ; c'est la preuve que l'idée de ces versions
n'était pas abandonnée 3. On devait s'en tenir aux idiomes. Peut-
être retrouverait-on la trace des essais tentés, soit dans les Archives
du Ministère des Affaires Étrangères, soit dans les Archives de
la Justice.
De Dunkerque, le 5 mai de l'an IV de la liberté, un imprimeur,
Brassart, offrit de réimprimer en flamand les décrets de la Consti-
tuante et aussi ceux de la Législative, Quelque intéressé qu'on le
suppose à une affaire qui devait coûter 30 000tt, les motifs qu'il
allègue sont à reproduire : « Quand l'Assemblée nationale Consti-
tuante a decretté que les Lois qu'elle avoit faites seraient réimpri-
mées dans tous les idiômes connûs en France, et quand l'Assemblée
Législative actuelle a ordonné l'exécution de cet intéressant décret,
l'une et l'autre savaient sans doutte que la langue flamande était
plus familiere aux peuples de ce vaste departement ; que sa popu-
lation est immense ; que l'éducation etant généralement negligée,
pour ainsi dire nulle, et les congrégations religieuses infiniment
plus multipliées qu'ailleurs, il devait en resulter que le nombre des
fanatiques, des dupes et des malveuillans (sic) y était trés consi-
dérable.
« Ces assemblées se sont dit en outre que le departement du
Nord longeant dans touttes ses parties la flandre autrichienne et
autres provinces Belgiques, il y auroit entre nos prêtres et ceux de
ces Provinces, une correspondance, des raports, une communication
plus intime, l'événement n'a que trop justiffié ces douloureuses verités.
« De grands maux en sont résultés, de plus grands se fussent

1. Un juif, Moïse Ensheim, écrit de Metz à Grégoire (10 nov. an Ier) : « Je lus der-
nierement dans les papiers publics que la Convention nationale n'etait pas contente de
la traduction des décrets en langue allemande. Comme j'ai passé ma jeunesse ale-
en
magne je pense y avoir acquis de celte langue une connaissance suffisante pour la
traduction dont il s'agit, n'y aurait-il pas moyen de m'employer dans cette affaire
jusqu'à ce que je trouvasse un meilleur sort ? » (Grég. Corr. Moselle) Bibl. Soc. des
Am. de P.-R. Moïse Ensheim a traduit les droits de l'homme en hébreu,
difficulté, en raison des termes métaphysiques et moraux « non sans
».
2. Guillaume ne parle que vaguement de cette Commission, qui semble avoir été
bientôt remplacée par une autre. Les traducteurs, dit l'un d'entre Deltufo,
eux,
devaient recevoir six mille livres, et les trois premiers mois devaient être payés le
1er janvier 1793, mais, avant cette époque, plusieurs membres partirent
tout resta sans exécution (o. c, Conv., t. III, p. 211) en mission et
3. Arch. N., AA. 32, doss. 2.
LA TRADUCTION DES DÉCRETS 161

produits, si le zele de quelques bons patriotes eclesiastiques, et


l'activité soutenue des Gardes Nationales des deux villes de Lille et
de Dunkerque n'en eussent prévénus (sic) ou arrêttés les progrés ;
et ce progrés lui même eût eté d'autant plus rapide, qu'il a souvente
fois eté veriffié que beaucoup de nos mauvais prêtres avoient tra-
duits la plus part de nos décrêts, qu'ils en avoient tronquées ou
envenimées les dispositions, et étaient ainsi parvenûs à rendre notre
constitution odieuse non seulement aux gens de nos campagnes,
mais encore a ceux des Belges et flamands nos voisins dont peut
être il importe plus qu'on ne croit, de mériter l'estime et conserver
lamitié »1. Une main impitoyable a écrit en réponse : Rien à faire.
Nous avons des preuves qu'en attendant une organisation centrale,
on travaillait dans les départements aux traductions. Le 10 juillet
1793, les représentants à l'armée du Nord envoyaient une traduction
de la Constitution en flamand que venait d'exécuter le citoyen
Vanheeghe, administrateur du district de St-Omer 2.
Ehrmann, dans la Moselle, expliquait la Constitution dans les
deux langues 3.
Duhalde avait traduit l'Acte Constitutionnel en idiome du pays
[basque]. « Cette mesure était d'autant plus nécessaire, dit celui
qui transmet cette nouvelle, que les aristocrates d'Ustaritz ont profité
du contraire pour aigrir les citoyens... Vous devriez faire une adresse
au peuple basque » 4.
De ce même pays basque, un envoyé, Régnier, écrivait à
Roland, ministre de l'Intérieur (29 octobre 1792) : « Les Basques sont
courageux, intrépides, parlant un langage qui n'a aucun rapport avec
les langues connues ; cette langue n'est point écrite, quoique très
facile à écrire; quelques livres de dévotion sont les seuls qu'il y ait
en cet idiome. Les prêtres ont toute la confiance de ces peuples;
aussi ont-ils abusé de leur ascendant. Les Basques sont tous fana-
tiques faute d'instruction ; il serait très essentiel et de toute néces-
sité, qu'on traduisit en langue basque plusieurs bons ouvrages sur
la Révolution, pour éclairer ces hommes égarés. Je suis parvenu à
rassembler un comité de traducteurs qui se feront un plaisir de
traduire et coopérer avec moi à l'instruction de ces gens égarés;
mais il faut que la République fasse les frais de l'impression. Je me
suis rendu de Bayonne à St-Jean-de-Luz, Hendaye, Urrugne, avec

1. Arch N AA. 32 doss. 2.


2. Cambrai, 10 juill. 1793, dans Aulard, Act. du Com. S. P., t. V, p. 227.
3. Sept. 1793, dans Aul., Ib., t. VII, p. 159.
4. Fourcade à Garat, St-Pée, 24 juillet 1793, dans Caron, Rapp. des agents de l'Int.,
I, p. 387.
Histoire de la langue française. IX. 11
162 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

les commissaires de la Convention, qui sont les citoyens Garvau,


Carnot, Lamarque, et l'adjudant général Lacuée : tous sont convenus
de la nécessité de cette dépense, qui ne peut que fructifier pour
la République » 1.

NOUVELLES MESURES. Le 20 juin 1793, le Comité de Salut public



délibéra encore sur cet éternel sujet des traductions : « Consi-
dérant que le défaut d'instruction est la principale cause des
égarements auxquels une partie du peuple se laisse entraîner dans
quelques départements où la langue française n'est pas la seule
langue vulgaire, qu'il importe que l'opinion de tous les citoyens soit
éclairée au moment où ils vont tous être appelés à donner leurs
suffrages sur le projet de l'acte constitutionnel, où les ennemis de
la liberté redoublent leurs efforts pour diviser les esprits et faire
perdre de vue l'intérêt général; Arrête que le ministre de l'intérieur
est chargé d'établir incessamment un bureau de traduction, qui
traduira en allemand, en italien, en bas-breton et en basque les
lois, Bulletin de la Convention nationale, proclamations et autres
pièces, dont l'envoi direct aux municipalités, dans l'une ou l'autre
de ces langues sera jugé nécessaire, et que lesdites traductions
seront imprimées et envoyées auxdites municipalités dans le moindre
délai possible aprés leur publication;
« Arrête en outre que le ministre fera connaître au Comité le
nombre des exemplaires à distribuer de chacune desdites traduc-
tions, à raison du nombre des communes, et néanmoins que le
nombre des exemplaires de traduction italienne demeure dès à
présent fixé à cinq cents pour le département de la Corse »2.
Le 27 juillet, le Comité modifie son plan primitif, non pour le
réduire, mais pour le rendre plus sûrement efficace. Il arrête :
« 1° Le ministre de l'intérieur, au lieu de faire traduire en italien
et imprimer dans la même langue toutes les lois, adresses, bulletins,
pour les faire passer en Corse, ne fera traduire que les lois qui
concernent directement la Corse et celles qui, étant susceptibles
d'exécution dans ledit département, devront être exécutées ainsi
y
que dans toute la République.
« 2° Il fera rédiger un Bulletin en langue italienne, sous le nom
de Bulletin national, qui sera divisé
en six articles, ainsi qu'il suit :
1° Adresses. Cette adresse contiendra la nomenclature
des endroits
qui auront envoyé des adresses et adhésions à la Convention

1. Arch. N., H 1148. Communiqué M. Caron


2. Aul., Act. du Com. S. P., t. V, par
p. 24. Le 29, on le fixa à 600 (Id., Ib., p. 121).
LA TRADUCTION DES DÉCRETS 163

nationale. 2° Correspondance des représentants du peuple près des


armées. 3° Correspondance des généraux. Ces deux articles con-
tiendront l'abrégé desdites correspondances. 4° Adresses des corps
administratifs, Sociétés populaires, etc. Celui-ci contiendra l'abrégé
desdites adresses. 5° Dons patriotiques et pétitions. Il indiquera la
valeur, le nombre des dons et le genre de pétitions. 6° Décrets. Cet
article enfin contiendra et en entier les décrets de la Convention
qui concerneront la Corse en particulier, ainsi que ceux qui, com-
muns à toute la République, pourront et devront être exécutés dans
ledit département, et la simple nomenclature des autres. Au lieu
de 600 exemplaires, il en enverra 1 200, dont 600 en placard et 600
en cahier, et invitera les maires de villages, etc. de les lire ou
faire lire par les curés au peuple et de les conserver dans leurs
archives. Et cette mesure aura lieu aussi pour la traduction alle-
mande » 1.
Ce décret fut-il suivi d'exécution? C'est ce que des recherches
ultérieures pourront seules établir. En tous cas, il est à noter
que, dans le décret organique du 4 décembre 1793 (14 frimaire an II),
on règle encore une foi la question des traductions 2.

1. Aul., Act. du Com. S. P., t. V, p. 392.


2. « La commission de l'envoi des lois réunira dans ses bureaux les traducteurs
nécessaires pour traduire les décrets en différens idiomes encore usités en France, et en
langues étrangères, pour les lois, discours, rapports et adresses dont la publicité dans
les pays étrangers est utile aux intérêts de la liberté et de la République française : le
texte français sera toujours placé à côté de la version. » Duvergier, VI, 317.
CHAPITRE II

LA PROPAGANDE, LES PATOIS ET LES IDIOMES

LES PAYS A DIALECTE. — Les discussions, les publications et les


discours continuaient d'être ce qu'ils avaient été depuis trois ans,
c'est-à-dire en immense majorité français, dans la plupart des pays
à dialectes. Personne ne s'attend à trouver ici ni une statistique
impossible, ni des listes interminables d'ouvrages, de pamphlets et
d'articles. Malgré les restrictions apportées à la liberté de la presse
pendant la Terreur, les imprimés arrivaient sans cesse de Paris,
des chefs-lieux de départements et de districts. Les imprimeries
n'y suffisaient pas 1.
Parmi ce fatras d'imprimés, le nombre des plaquettes qu'on trouve
en patois ou en idiome est démesurément petit. Cela se comprend.
Les auxiliaires que la propagande aurait pu trouver sur place, soit
pour composer dans une autre langue que le français, soit pour
exécuter des versions d'un texte donné, avaient singulièrement
diminué. Les curés patoisants avaient presque tous disparu ou
s'étaient cachés; la Révolution n'en eût guère pu enrôler à son
service, étant donné les vexations de toute sorte que le clergé cons-
titutionnel avait à subir comme l'autre; les réfractaires qui servaient
la contre-révolution se fussent gardés d'imprimer des pièces patoises
qui eussent permis de les reconnaître sans peine et de les dénoncer.
C'était un jeu où l'on risquait sa tète.
Les Sociétés continuaient leur propagande verbale. De Nice on
envoyait des missionnaires dans les campagnes (1er novembre 1792 et
4 octobre 1793). A Villecrose, on entreprend des instructions sur la
morale, le patriotisme, les droits de l'homme (26 floréal an II-15 mai

1. On voit les Représentants réclamer des presses (Aul., Act. du Com. S. P., t. V,
p. 130 et 252). En effet les armées, les communes, les propagandistes se plaignaient de
ne pas recevoir des papiers en suffisance ou de ne pas les recevoir régulièrement :
Dans les Basses-Alpes « les feuilles publiques arrivent très lentement dans les villes,
et sont presque inconnues dans les campagnes» (Extr. d'un rapport de Buonarotti à
Paré, août (?) 1793, dans Caron, o. c., t. I, p. 114); Nous
« ne recevons aucuns journaux,
aucun ouvrage patriotique » (Lafaye, de Limonest, 29 août 1793, dans Id., ib. t. II,
p. 94).
LA PROPAGANDE, LES PATOIS ET LES IDIOMES 165

1794). Elle se font en patois. Cependant il ne semble pas qu'on con-


sidérât en général comme absolument nécessaire, pour faire entendre
la bonne parole, de s'adresser aux foules dans leur langage. Est-ce
parce que les meneurs en tout pays n'étaient pas villageois, la
masse de ceux-ci vivant toujours à peu près exclusivement occupée
de ses intérêts matériels et le front courbé vers la terre? Peut-être,
malgré l'entrée des paysans dans les Sociétés populaires. Un nommé
Mogue, des Ardennes, « propagateur des Droits de l'homme »,
envoyé par le Comité de Salut public près l'armée et les dépar-
tements de l'Ouest, demande l'impression en très gros caractères
de la Déclaration. Il s'adresse donc aux presque illettrés, qui lisent
difficilement. Or c'est en français qu'il se propose d'éditer son
affiche 1.

LES PAYS A IDIOME.


— Dans les pays à idiome, le rôle des parlers
indigènes restait visiblement plus important. Les Jacobins de Nice
publiaient en italien en même temps qu'en français. Le 11 novembre
1792, il était donné lecture à la Société d'une lettre adressée par
Blanqui au Comité central. Cette lettre était accompagnée d'une
copie d'adresse au peuple de Nice, en français et en italien. Elle fut
tirée à 6 000 exemplaires et répandue partout. Le 24 février 1793,
le Directoire du département faisait imprimer en italien et en français
le discours du citoyen Froment 2. Les plaintes des républicains
prouvaient qu'il eût fallu plus encore. L'esprit public est très
mauvais dans les Alpes Maritimes, écrit Buonarotti, c'est qu'on
« n'a rien fait pour l'instruction de la classe laborieuse ; on n'a
point publié d'écrits civiques dans l'idiome du pays » 3.
Jagot et Grégoire, envoyés dans le département, firent tout im-
primer en deux langues : « procès-verbaux, proclamations, instruc-
tions et arrêtés concernant le renouvellement des municipalités, la
démarcation des districts, les assemblées primaires et électorales,
la convocation des électeurs, l'organisation des bataillons volontaires,
une proclamation de leurs collègues pour le recrutement, et... des
ouvrages destinés à combattre l'aristocratie, à vivifier l'esprit
public » 4. Le rapport sur la fête en l'honneur de Barra et de Viala

1. 6 vent, an II. Arch. N., F 17 1009B, doss. 2018. Cf. la propagande fédéraliste
dans les Bouches-du-Rhône (Ann. Rév., II, 393 etc.). Martin s'adresse aux gens de
Salon en provençal.
2. Combet, L'enseig. à Nice, p. 403 et 406.
3. Extr. d'un rapp. envoyé de Nice, 29 août 1793, dans Caron, o. c, t. I, p. 116.
La Société prie les Représentants du peuple de faire imprimer la Déclaration et la
Constitution en langue vulgaire et italienne (Combet, o. c., p 403).
4. Ils déclarent avoir dépensé de ce chef en assignats 2 676 1. 18 s. Voir Compte
en recette et dépense, I. N., Pluviôse an III.
166 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

David (23 messidor II) fut traduit en italien (B. N., Le 38 849) ;
par an
italien le rapport de Grégoire sur les patois
on mit même en
(B. N., Le 38 811).
En Corse, mêmes pratiques. Les Représentants envoyés dans le
département, constatant qu'une grande partie des citoyens des mon-
parle qu'italien, annoncent qu'ils ont cru devoir faire
tagnes ne
imprimer tous arrêtés, proclamations etc., sur deux colonnes
correspondantes dans les deux langues 1: « Nous te demandons,
écrit Buonarotti à Paré, de nous faire envoyer très régulièrement
en Corse, à Bastia, le Bulletin de la Convention nationale, toutes
les lois, les rapports intéressants... et les journaux que le Conseil
exécutif envoie aux armées. Il faut que ce qui est traduit en italien
nous soit envoyé dans les deux langues » 2.
Dans les Pyrénées-Orientales le 4 juillet 1793, Espert prend un
arrêté très grave. Il le fait traduire en catalan 3.
En pays basque, la campagne en faveur des assignats, organisée
par les Représentants, de concert avec les Sociétés populaires, se
fait en basque en même temps qu'en français 4. A St Jean-Pied-de-
Port, tous les jours de marché, après-midi, il y a lecture des nou-
velles en langue basque 5.
En Bretagne, au mois de novembre 1792, Hurault, vicaire épisco-
pal du Finistère, lance l'idée d'un journal breton-français, pour
l'instruction des habitants des campagnes. D'autres allèguent l'exem-
ple des essais heureux qu'ils ont tentés : « Vous savez que dans nos
campagnes un grand nombre ne déblatère contre la Constitution que
parce qu'il ne l'entend pas. Le meilleur moyen de ramener ces criti-
ques de bonne foi, qui blasphèment ce qu'ils ignorent, c'est de
mettre la Constitution à leur portée. J'ai voulu le faire en la tra-
duisant en Breton. Ma traduction fait fortune ici ; je ne puis pas suf-
fire à en donner des copies à tous ceux qui m'en demandent... Je vou-
drais, citoyen Du Couédic, que vous fassiez examiner cette traduc-
tion et que vous la livriez à l'impression, si elle en était jugée digne.
Car si l'instruction est le besoin de tous, c'est surtout dans nos
campagnes que ce besoin se fait sentir. Prodiguer la lumière et la
prodiguer de manière qu'il suffise d'ouvrir les yeux pour voir clair,
c'est déjouer les projets des aristocrates et des insermentés qui ne

2.
1. 14 mars 1793, dans Aul., Act. du Com. S. P., t. II, 362 cf. 4 avril, Id., Ib., III, 77.
p. ;
Le-Port-de-la-Montagne, 5 pluviôse an II-24 janv. 1794, dans Caron,
o.
c., t. I,
p. 121. Buonarotti demande qu'on lui adjoigne Dufourny, si la langue italienne ne lui
est pas tout a fait étrangère.
3. Aul., Act. du Com. S. P., t. V, p. 179.
4. 22 avril 1793. Aul., Act. du Com. S. P., t. III, 393
3. Rapp. de Régnier, 6 déc. 1792. Arch. N., II. 1448. p.
LA PROPAGANDE, LES PATOIS ET LES IDIOMES 167

peuvent rien sur l'esprit du peuple qu'en le trompant sur ses vrais
intérêts » 1.
Divers documents prouvent que, à défaut de ce journal, les
publications en breton ne manquèrent pas. Ce sont, outre les
décrets de la Convention, les arrêtés, les jugements du tribunal
révolutionnaire, bref, les papiers officiels, des manifestes de
commissaires, des proclamations de généraux, en particulier de
Hoche 2, des discours, des rapports, comme le rapport de Robespierre
sur l'Etre-Suprême (18 floréal an II-7 mai 1794). La pièce n° 4, p.
634 du ms. des Lettres à Grégoire est en deux langues, français et
breton. C'est un Appel, lancé dans le Morbihan pour la construc-
tion d'une frégate de 40 canons, destinée à combattre les Anglais.
A Plounéour-Trez, lors de la plantation d'un arbre de la Liberté,
le citoyen Cahel, commissaire de la Convention, prononce en breton
« le discours le plus analogue à la circonstance » 3.
Cependant, en Bretagne aussi, c'est du français surtout qu'on se
sert, alors même, semble-t-il, qu'on pourrait faire mieux. Le capi-
taine Defay, prisonnier — peut-être par repentir, peut-être avec
l'espoir d'obtenir la vie sauve, — se décide à écrire une proclama-
tion aux Bretons, peuple du Morbihan. On eût dû, semble-t-il,
lui suggérer de la faire en breton. Aucunement. Elle est en français 4.

1. D. Bernard, La Révol. fr. et la lang. bretonne dans deux communes du Finistère,


dans Ann. de Bret., 1912, t. XXVIII, p 291-292.
2. Chassin cite un de ces manifestes, il note que plusieurs ont, comme celui-là, été
traduits en breton (Les pacif. de l'Ouest, t. III, p. 220).
3. A. Dupuy, Plounéour-Trez et Plouguerneau pendant la Terreur, dans Ann. de Dret.,
1887, t. III, p. 48.
4. La Révol. fr., 1901, t. XL, p. 339-340.
CHAPITRE III

EN ALSACE

L'ALLEMAND TOUJOURS RECONNU.


— En Alsace,
l'heure de la mise en
suspicion de l'idiome allait seulement venir. En attendant, les plus
« purs » en font usage sans scrupule
jusqu'en pleine année 1793.
Les autorités, particulièrement les tribunaux de répression, publient
leurs actes en deux langues. Les Sociétés font de même 1. Quand, le
6 décembre 1792, le club de Strasbourg s'abonne aux gazettes, on
partage entre les feuilles en français et les feuilles en allemand.
Au moment où on inaugura le culte de la Raison (27 brumaire
an 11-17 novembre 1793), l'allemand était encore admis au partage.
Un service a lieu à la cathédrale. On y a convoqué une nombreuse
assemblée ; des délégués sont venus de la Meurthe. On y parle fran-
çais, mais aussi allemand. Le peuple est consulté dans les deux lan-
gues pour savoir s'il veut encore des prêtres 2. Les orateurs fran-
çais, dit un procès-verbal, furent souvent interrompus par les accla-
mations du peuple. Un officier municipal « fut ensuite entendu, en
langue allemande, avec le même enthousiasme » 3. Les vingt-cinq
Préceptes de la Raison sont ensuite réunis dans un imprimé ; il
est en allemand et en français 4.
A Colmar, le 13 avril 1791, les Jacobins avaient décidé la publi-
cation d'une feuille hebdomadaire destinée aux campagnes dont
certains exemplaires seraient en français et d'autres en allemand.
La réalisation tarda longtemps. Quand le Wochenblatt parut chez
Decker (le 1er novembre 1792), il parut en allemand 3. Comment eût-on
chargé des frais d'une édition française une feuille dédiée — je tra-

1. Pourtant quelle portée a ceci ? Le 13 déc. 1792, une citoyenne demande qu'il soit
créé une Société nouvelle. La Société s'y oppose. Il avait déjà à Strasbourg tant de
sujets de désunion, en particulier la différence «des ylangues (Reg., Arch. Mun.
Strasb., à la date). »
2. Aul., Culte de la Rais., p. 124-123.
3. Treuttel et Würtz, dans Aul., Cult, de la Rais., 127.
p.
4. Proc-verb. de l'Ass. Gén., Strasb., dans Reuss, Const. civ., t. II,
5. Leuillot, o. c, p. 24. Le numéro contenait p. 227.
une traduction de la Marseillaise due
à Pfeffel.
EN ALSACE 169

duis le titre — à l'instruction des campagnes? A la même époque,


dans les discussions de la Société, l'allemand n'est pas abandonné
ni sur le point de l'être. Ce n'est que le 8 floréal an II (27 avril
1794), qu'on introduit Chambeau au comité des Rapports; on ne lui
avait pas fait place auparavant, parce que, dans l'origine, le Club ne
parlait presque qu'allemand et que ce frère ne savait pas cette langue 1.
Le récit détaillé des séances fait voir pleinement qu'il était fait
constamment usage de l'allemand. Le 9 juin 1793, en réglant l'ordre
des séances, on met en tête, après le procès-verbal, la lecture des
dépêches et adresses et leur interprétation en allemand (Leuillot,
o. c, 51). Et ce jour même, le Président, François Hell, remplit le
rôle de traducteur, soit de la Correspondance, soit des Bulletins
(Id., ib., p. 52, 53). De même, dans la séance du 16, où il inter-
prète la Constitution (Id., ib., p. 55). C'est désormais une règle
(23 juin, Id., ib., p. 57, 58). A cette même séance, Frère Bippert dis-
court en allemand (Id., ib., p. 59). Le 7 juillet, encore un discours
et un serment en allemand de Larcher (Id., ib., p. 63). Le 1er août,
Adresse destinée aux Jacobins de Paris. Elle est lue dans les deux
langues (Id., ib., p. 69).
Foussedoire, représentant de la Convention, arrive. Le 29 pluviôse
an II (15 février 1794), il harangue la Société. « Une multitude de
voix » demande la traduction en allemand et la publication de son
discours(Id., ib., p. 117). Il n'est fait aucune objection. Enfin, dans la
grande séance du 28 ventôse (18 mars 1794), où on discute la nomi-
nation des instituteurs de français, un membre réclame qu'il soit
toujours donné en allemand interprétation du procès-verbal, au
moins par extrait (Id., ib., p. 157).
A Val-aux-Mines (Ste-Marie-aux-Mines), une bonne partie des bour-
geois étant française de langue, le français dominait à la Société;
on s'y servait néanmoins de l'allemand 2. A Thann, aux Jacobins, le
bilinguisme persistait, appliqué peut-être plus rigoureusement que
partout ailleurs, maison jugera, par ce qui se passait dans cette bour-
gade à demi francisée, de l'importance que pouvait garder l'alle-
mand dans des endroits moins « avancés ». On y lisait les nouvelles
dans les deux langues 3. Aucune des deux n'avait la préséance.
On commençait tantôt par le français 4, tantôt par l'allemand 5 : on

1. Leuillot, o. c, p. 198, note 10.


2. Proc.-verb. des séances de la Société populaire de Val-aux-Mines (ci-devant
Ste-Marie-aux-Mines), dans Bull. Soc. philomath, de St-Dié, 1904-1903, p. 229.
3. 13 floréal an II, dans Poulet, o. c., p. 171. Cf. 10 prairial, Id., ib., p. 173 ;
23 niv., Id., ib., p. 133, etc.
4. 2 niv. an II, dans Poulet, o. c, p. 133.
5. 24 brum., 3 niv. an II, Id., ib., p. 114, 132.
170 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

lisait les journaux, on prenait connaissance de la correspondance


officielle 1, à laquelle s'ajoutaient parfois des lettres privées 2. On
commentait les décrets 3 et les arrêtés 4, les lettres de la municipalité3.
On discourait en allemand 6 ou en français 7, ensuite l'interprète, le
président, ou un autre membre traduisait, soit sur-le-champ, soit
dans une séance ultérieure 8. Quelque pièce intéressante est-elle
communiquée, elle est traduite ; le cas échéant, on la publie en alle-
mand 9.
Si on trouve de l'indifférence dans le public, on cherche à la
vaincre en l'assurant qu'il pourra comprendre, qu'on le haranguera
dans sa langue 10.

1. « Le citoyen Dollfus a donné des explications très étendues et favorables pour la


circulation des assignats et on a donné lecture en allemand de la « Feuille villageoise »
21 avril 1793 (Poulet, o. c, p. 72-73). Cf. La lecture de la Feuille villageoise a terminé
la séance, 26 mai 1793 (Id., ib., 83). La séance a été ouverte par la lecture des gazettes
allemandes, 2 juin 1793 (Id., ib., p. 86).
2. Le f. Probst a lu une lettre adressée par son frère employé près les armées et il<
l'a expliquée en allemand, 29 mai 10 prairial an II (Id., ib., p. 174).

3. Deux décrets de la Convention nationale, l'un du 13 sept. 1793, relatif aux agents
infidèles, l'autre du 20 du même mois, relatif aux certificats de civisme. Après cette
lecture faite en langue française par le citoyen Fourcade et réitérée en langue allemande-
par le citoyen Schwilgué... 28 oct. 1793 (Id., ib., p. 104). Cf. 27 pluv. an II, (Id., ib.,
p. 145 ; 20 vent, an II, Id., ib., p. 136).
4. Lecture faite de l'arrêté de la municipalité, le cit. Probst l'a interprété en langue
française et la Société a unanimement répondu qu'elle satisferait à son invitation,.
14 mai 1793 (Id., ib., p. 79).
5. Une lecture d'une lettre écrite au département en date du 1er juin 1793 par
la municipalité de Thann fut traduite en allemand, 9 juin 1793 (Id., ib., p. 87 ;
cf. 7 pluv. an II, Id., ib., p. 138).
6. Le frère Pauly Neumann est monté à la tribune où il a fait lecture d'un discours
très énergique en allemand, 20 brumaire an 11-10 nov. 1793 (Id., ib., p. 109 ; cf. 30
pluv. an II, Id., ib., p. 146 ; 12 therm. an II, Id., ib.. p. 183).
7. Un discours fort applaudi dont l'explication a été donnée en allemand par
Schwilgué, 27 brumaire an II 17 nov. 1793 (Id., ib., p. 114).

8. Le f. Clebsattel a donné lecture d'un discours qui s'est terminé par une
instruction aux membres de la Société, tendante à leur faire connaître leurs devoirs et
la manière fraternelle et respectueuse avec laquelle ils doivent
se comporter dans
l'assemblée. Il a été vivement applaudi.
Le président a dit que ce discours était trop long pour le rendre dans l'instant en
langue allemande, qu'il se chargeait de le traduire pour la première séance, 11 février-
23 pluviôse an II (Id., ib., p. 144).
9. Il a été donné lecture de la traduction en langue allemande de la lettre du Repré-
sentant du peuple au citoyen Fourcade, 28 fév.—10 ventôse an II (ld., ib., p. 151).
Cf. Clebsattel a donné lecture d'une épitre d'un philosophe peuple, tendante à
au
l'éclairer sur la chose des religions. La traduction en langue allemande
en a été
demandée par le f. Pidot 13 mars—23 ventôse II (Id., ib., p. 137).
an
10. Le 1. Fourcade a donné lecture d'une invitation
aux citoyens de cette commune
qu'il a fait traduire en allemand. La Société a applaudi, après la lecture en alle-
mand en a été faite par le f. Risler, 14 avril— 23 que
germinal an II (Id., ib.. p. 163).
Cf. Richou avait appelé les citoyens de la ville dans le temple de l'Etre Suprême
et
après leur avoir expliqué en français et en allemand l'objet de sa convocation...
2b juin — 8 messidor an II (Id., ib..
p. 210). Le f. Clebsattel s'est fortement récrié de
voir dans ce temple si peu do monde ; il a annoncé qu'il y serait prononcé dorénavant
un discours en français et un discours en allemand chaque décade. 18 juillet 30 —

messidor an II (Id., ib., p. 180).


EN ALSACE 171

Et jusqu'au bout, on persista dans cette organisation rationnelle


que rien ne paraît avoir troublée '.,

JOURNAUX ET PUBLICATIONS. — Les journaux allemands continuaient


à paraître, soit à Strasbourg, soit à Colmar 2, et même dans des
villes plus petites.
Je donnerai ici un document venu d'Alsace à une époque que je
ne puis préciser, mais que diverses phrases situent dans l'année 1793
ou dans le voisinage 3 : « L'instruction du peuple est la base de la
liberté. On ne peut pas rendre hommage à une divinité que l'on ne
connoit pas ; on ne peut pas défendre des droits qui nous sont
inconnus ; on ne peut pas prendre à coeur un évangile qui n'est
point preché.
« Voila le cas dans le quel se trouvent les departemens de l'empire
françois, dont les habitans n'entendent et ne parlent que la langue
allemande. L'Alsace entière et la Lorraine allemande sont, comme
detachées de la patrie de la liberté, faute d'une instruction publi-
que, qui leur ensigna (sic) la grande cause de leurs droits, la cause
de l'humanité. Dans tous les autres departemens le peuple est ins-
truit par des feuilles publiques, il reçoit des nouvelles sur tout ce
qui se passe, et son activité et sa chaleur pour la conservation et la
defense de la liberté conquise est toujours alimentée : les citoyens
de l'empire, qui ont le malheur de ne pas parler que la langue fran-
çoise (sic), n'ont aucuns de ces avantages.
« Ces citoyens abandonnés aux influences de l'aristocratie civile
et ecclesiastique sont néanmoins aussi les enfans de l'empire fran-
çois ; ils sont les premiers exposés à toutes les horreurs de la
guerre, sans savoir de quoi il s'agit, sans connoitre le vrai but de
leurs frères, sans pouvoir se former une idée juste du parti à pren-
dre pour faire le bien. Ils sont, en un mot, un troupeau abandonné
qui n'échappe aux loups que par des heureux accidens.
« C'est pour remedier aux causes de ces justes plaintes, et pour
mettre les Allemands, citoyens françois, en état de connoitre les
affaires de la patrie, de les envisager comme les leurs, de les aimer
et de les défendre de toutes leurs forces, et de ne faire qu'une seule
masse avec le reste des François, que j'ai conçu l'idée de les ins-
truire par une feuille purement villageoise, de leur expliquer les

1. On a lu dans des nouvelles allemandes le récit de la dernière conspiration. Le


Président a parlé en allemand sur ces événements. Le frère Dürwell a lu en allemand
le récit de la dernière conjuration de Robespierre. 17 août 30 thermidor an II (Poulet,

o. c, p. 200).
2. Leuillot, o. c, p. 43.
3. Il est aux Archives Nationales non encore classé (F. 18),
172 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

droits de l'homme, de les éclairer sur les grandes causes de la


liberté et de l'égalité. Il en doit paroitre chaque semaine une feuille
et demie, sous le titre de l'Evangile de la liberté, de l'égalité et des
connoissances utiles au peuple pour instruire les Allemands citoyens
François. Une telle feuille bien rédigée ne rempliroit pas seulement
le but indiqué, mais elle pourroit en outre, étant exportée chez nos
voisins, les instruire et les gagner peu à peu à la cause de l'huma-
nité » 1.
Il n'est pas exagéré de dire que les pièces en allemand publiées
en Alsace à cette époque forment toute une littérature. Les chan-
sons y jouent un rôle important, comme il est naturel. Tantôt ce
sont des traductions : Das Heil des Gleichthumes (imitation de Veil-
lons au salut de l'Empire) ; Freier Völkergesang, Freiheits-Gesang,
Gesang auf die französische Tanzweise (Dansons la Carmagnole, etc.)
Un détenu envoie ces versions à Paris en l'an II 2.
Tantôt ce sont des originaux comme les Gesaenge auf alle Deka-
den und Volksfeste der Franken, de Schaller 3, qui n'ont été réunis
qu'en l'an VII, mais qui avaient paru auparavant en feuilles volan-
tes. Les Chants d'un français sur les bords du Rhin, d'Aug. Lamey
(1772-1861), ont joui d'une véritable célébrité, méritée du reste. Une
mention spéciale est due à Pfeffel, principal apôtre littéraire de la
Révolution en Alsace. On traduisit même en français certains de
ses Lieds patriotiques, ainsi Alsa, dont une version, due à Ramond
de la Carbonnière, fut mise en vers par M.-J. Chénier 4.

1. Là-dessus l'auteur prie le Ministre de l'Intérieur d'examiner son devis et de lui


donner une subvention. Il calcule ses frais à 21 418tt pour 3 000 exemplaires, non com-
pris les frais de poste. Signé Jean Goebel.
2. Arch. N., F17 1010 2413.
3. Schaller (1762-1831) était pasteur à Pfaffenhofen. Cf. Reuss, Hist. de Strasb.,
p. 328 et Vieil, paper., p. 23 et suiv.
4. Rev. de litt. comp., 1921, p. 439, 443.
LIVRE III
RUPTURE AVEC LES IDIOMES ET LES PATOIS

CHAPITRE PREMIER

LES IDIOMES DEVIENNENT UN DANGER

EMBARRAS DES REPRÉSENTANTS EN MISSION.


— Le savant éditeur des
Procès-verbaux du Comité d'Instruction publique serait porté à con-
sidérer que la campagne contre les idiomes, menée par Barère en
pluviôse, est un fait accidentel et qu'elle s'est inspirée uniquement
d'idées générales, dont aucune circonstance particulière n'imposait
l'application brusque. J'avoue que je ne puis, quelle que soit l'auto-
rité de l'auteur, partager cet avis. Mais je crois qu'il faut bien pré-
ciser, et pour cela il y a lieu, suivant moi, de faire une distinction
entre les pays à idiomes et les pays à dialectes. Au reste ce que
nous avons dit plus haut l'impose déjà. C'est dans les pays à idiomes
seulement que la différence de langage causait une gêne sérieuse
au développement de la Révolution.
Les Représentants étaient rarement envoyés en mission dans le
département par lequel ils avaient été élus. Il n'est pas du tout prouvé
qu'un décret ait jamais prononcé cette exclusive '. En tous cas,
Reubell l'a dit à Colmar, le 10 août 1793, l'esprit de la Convention
était d'assurer à ses commissaires une complète indépendance, et
pour cela de les tenir éloignés de leur milieu, de leurs parents, de
leurs électeurs 2. On peut donc poser en principe qu'en général ils
1. Voir Aulard, La Révol. fr.. 1896, t. XXXI, p. 383. Fayau se plaint qu'on lui
ait opposé ce décret (Aul., Act. du Com. S. P., t. VI, p. 278).
2. Leuillot, o. c, p. 71. Lemoyne est envoyé dans son département (13 vendém.
an III, 6 oct. 1794), " mais, attendu qu'il est envoyé dans son département, ses fonc-
tions seront restreintes... » (Aul., Acl. du Com. S. P.. t. XVII, p. 263). Au contraire
le Conseil exécutif provisoire était persuadé, lui, que la surveillance ne pourrait être
plus utilement exercée que par des hommes qui, connaissant l'idiome du pays, pourraient
en parcourir les campagnes (Conseil exécutif provisoire, 4 brum. an II 23 oct.—

1793, dans Aul., Ib., t. VIII, p. 3).


174 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

ignoraient le langage particulier des gens au milieu desquels ils


allaient se trouver pour un temps.
Une fois sur place et aux prises avec les difficultés, les commis-
saires ne manquèrent pas de remarquer et de signaler les inconvé-
nients des pratiques adoptées. En brumaire an II, Ehrmann insistait
pour que la République employât les mêmes armes que ses adver-
saires ; il était seul représentant à parler allemand, il demandait
qu'on lui adjoignît des collègues offrant le même avantage : « Il est
du grand intérêt de la République que, parmi les représentants à
cette armée, un au moins y connaisse et les hommes et les choses et
les localités ». Parmi les choses se trouve sûrement le dialecte.
Ehrmann ajoute du reste : « Le travail m'est d'autant plus fatigant
que les habitants de ces frontières, qui ne parlent que l'allemand,
s'adressent à moi »1. Faure, à l'armée de la Moselle, faisait les
mêmes constatations et les mêmes demandes : « Le peuple est...
excellent et meilleur que dans les autres parties de la république
que je connais... Il manque ici principalement l'instruction, et la
différence des langues nuit beaucoup au progrès de la Révolution.
Les traductions que vous faites faire à Paris ne servent pour ainsi
dire à rien ici, car l'allemand pur y est aussi étranger que le français
pour la partie du peuple qui n'est pas instruite. Ce dont j'aurais
besoin, citoyens collègues, c'est que vous me procurassiez deux
véritables Jacobins bien instruits. Nous ferions du bien dans ce
pays 2. Il faudrait qu'ils fussent pris parmi les membres épurés... et
il serait à désirer que l'un d'eux au moins sût l'allemand » 3.
Nous avons là-dessus d'autres rapports. Les Basques en général
méritaient des éloges. Ils se battaient d'ordinaire avec un entrain
que tous signalent. Cependant, certains avaient trahi 4. De Saint-
Jean-Pied-de-Port, Féraud prie qu'on lui adjoigne Neveu, en raison
de sa connaissance très profonde du pays et du langage des habi-
tants (23 juin 1793); on fit droit à sa demande 5. De Corse,
Lacombe-Saint-Michel, le 15 sept. 1793, écrit au Comité pour
demander qu'on adjoigne à Saliceti et à lui-même Gasparin, qui
«

1. 18 brum. an II (8 nov. 1793), dans Aul., Act. du Com. S. P., t. VIII 301.
2. De Bitche, 29 frim. an II (19 déc. 1793), Id., Ib., t. IX, p.
3. Du 3 niv. (25 déc), Id., Ib., t. IX, p. 334
p 662.
4. A l'affaire malheureuse du camp de Sarc, attaqué le 2 mai 1793, la
des Miquelets, recrutée parmi les Basques, trahit
compagnie
avec son commandant (Richard, Le
gouvern révol. dans les B.-Pyr., p. 16). Vers le même temps, les habitants de la vallée
des Aldudes firent une démarche auprès do l'ennemi
l'Espagne (Id., Ann. Rév., 1922). Au contraire, La Tour pour obtenir leur annexion à
d'Auvergne, Breton, entraî-
nait ses Basques. Il avait sur eux un extraordinaire ascendant. Les Mémoires
Lazare Carnol (I, 287) disent que cet ascendant s'explique sur
idiome et de leur caractère. par sa connaissance de leur
5. Aul., Act. du Com. S. P., t. V,
p. 61.
LES IDIOMES DEVIENNENT UN DANGER 175

connaît la langue et les moeurs des Corses ». Le Comité y consentit


également 1.

LE DOUBLE PÉRIL. — C'était incontestablement chose grave déjà


que de pareilles gênes, imposées à de pareils hommes, à des heures
où, munis de pouvoirs sans bornes, ils étaient appelés à connaître
de tout et de tous, à tout gouverner directement et souverainement.
Mais c'était la Révolution elle-même qui en était empêchée. Les
idiomes, malgré tous les efforts qu'on pouvait faire et dont nous
avons parlé pour pénétrer à travers un rideau de ténèbres jusqu'aux
masses rurales, offraient un obstacle insurmontable.
En outre, ils se prêtaient à la contre-propagande du dedans et aussi,
dans certains pays, du dehors. On se rappelle le tableau où Couturier
dépeint l'état d'esprit d'un district de Lorraine (celui de Boulay,
24 septembre 1793). « Pour ainsi dire tout le peuple est allemand et
n'a aucune notion de la langue française ; il est superstitieux et le ban-
deau du fanatisme est si épais que, si les hommes séducteurs ne sont
pas écartés, son égarement sera incurable ; il n'aime pas le Français,
parce qu'il le sait sans religion et même le destructeur, à ce qu'il croit,
de la vraie religion, dont le pape, son saint père, est le chef visible.
Les prêtres constitutionnels sont à ses yeux des monstres et anté-
christs. Les prêtres réfracfaires sont nichés dans le pays de Trêves ;
ce nid de chenilles sacerdotales est à portée de correspondance par
des espions à leur gré avec leurs coryphées de l'intérieur, dont les
plus dangereux sont leurs anciens marguilliers et maîtres d'école,
qui ne lui parlent que de l'enfer et lui promettent le paradis avec le
retour de ses anciens princes, descendants de Léopold, dont le gou-
vernement est toujours regretté » 2.
Je voudrais donner au moins un fait — il est postérieur 3, mais peu
importe, qui illustre cette description et montre comment, en met-

tant à profit leur ignorance du français, on se jouait de la naïveté des
simples. Je l'emprunte aux procès-verbaux des Jacobins de Colmar.
« Les c. Rothé et Schwartz... ayant passé devant la montagne, ils
ont vu Arles, Brandt, Jedele, Platten et beaucoup d'autres citoyens...
rassemblés pour signer une pétition du citoyen Ritzenthaler, lequel
les assurait que son contenu renfermait les seules demandes au
représentant... d'obliger la municipalité à rendre ses comptes et à
accélérer le partage des biens communaux. Que l'assemblée ayant
eu lieu dans l'auberge même, où logeait le Représentant, ils ont
1. Aul., Act. du Com. S. P., t. VI, p. 510.
2. Id., Ib., t. VII, p. 42-43.
3. 22 février 1794.
176 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

signé la pétition... ne pouvant s'imaginer que dans un pareil lieu,


pût avoir l'audace de faire signer des écrits séditieux, mais que
on
lors de [sa] présentation au Représentant, il s'était trouvé de bons
patriotes auprès de lui qui ont expliqué dans l'idiome du pays aux
citoyens présents le contenu de l'écrit séditieux... sur quoi ils ont
révoqué leur signature et assuré le Représentant de leur patrio-
tisme » 1. Ainsi voilà des gens, des patriotes, qui croient signer
un papier de caractère purement administratif et municipal, con-
tenant une demande légitime, et qui inscrivent leur nom sur un
papier de révoltés.

LES IDIOMES DÉCLARÉS SUSPECTS. — Aussi n'y a-t-il pas trop à


s'étonner que les idiomes soient devenus « suspects » et aient été,
eux aussi, dénoncés. Les plaintes contre eux viennent d'un peu
partout. Elles visent d'abord l'impossibilité de se faire entendre.
Isoré écrit de Cassel : « Si le peuple de la Flandre maritime n'est
pas à la hauteur de la Révolution, il faut s'en prendre à la langue
qu'on y cultive encore en secret» (12 frimaire an II-2 décembre 1793) 2.
Des Basses-Pyrénées même note. A Ustaritz, constate un envoyé,
« le fanatisme domine ; peu de personnes savent parler français ; les
prêtres basques et autres mauvais citoyens ont interprété à ces in-
fortunés habitants les décrets comme ils ont eu intérêt ». Dès le
mois d'octobre la conviction s'imposait à ceux qui étaient sur place
que « sans instruction en basque, le patriotisme pur aura de la
peine à se propager » 3.
Carrier et Pocholle mandent de Rennes, le 17 septembre 1793 : a Ils
(les maux et les ravages du fanatisme) sont d'autant plus difficiles
à étouffer que, dans les cantons les plus fanatisés, on ne peut y
faire entendre le langage de la raison. Les habitans des campagnes
n'entendent et ne savent parler qu'un idiome qui ne peut être
entendu et compris que par eux » 4.
« J'ai été affligé, rapporte un autre, en traversant cette ci-devant
Bretagne, de l'ignorance, de la stupidité, de la barbarie de ceux qui
l'habitent. Vos décrets, vos décades y sont inconnus. J'y ai vu chô-
mer la fête des Rois »5. C'est ce malheureux langage qui entrave
tout : « Ils (les Bretons) sont en général sains et robustes et ils ont
toutes les dispositions nécessaires à la liberté, mais ils parlent un
1. Leuillot, o. c., p. 123.
2. Aul., Act. du Com. S. P., t. IX, p. 104.
3. Regnier, Rapp. du 29 oct. 1792. Arch. N., H. 1448.
4. Legros, La Rév., p. 291.
5. Un Représentant à Brest au Comité de Salut P., 19 niv
Com. S. P., t. X, p. 133). an II (Aul Art du
LES IDIOMES DEVIENNENT UN DANGER 177

langage qui est aussi éloigné du nôtre que l'allemand et l'anglais :


ils n'ont aucune espèce d'instruction et sont par là livrés aux prêtres
fanatiques... en général les villes sont patriotes, mais les campagnes
sont à cent lieues de la Révolution, et tout jusqu'à leur maintien,
leurs costumes, et surtout leur langage annonce assez qu'il faudra
de grands efforts pour les mettre à la hauteur » 1. « Les mouvements
séditieux... sont occasionnés... par les dispositions contre-révolu-
tionnaires d'une grande partie des habitants des campagnes, que la
différence du langage empêche de pouvoir éclairer » 2.
C'était là pour ainsi dire le rôle passif des idiomes. Leur rôle
actif ne dut pas être moindre. Seulement il est difficile d'en retrou-
ver les traces. Il n'est pas besoin de réfléchir longtemps pour en
trouver la raison. L'auteur, l'imprimeur, les colporteurs couraient
trop grand risque. Ils préféraient servir leur cause par des moyens
moins dangereux. Aussi, l'Alsace mise à part, le nombre des
imprimés contre-révolutionnaires en idiome qu'on a signalés
jusqu'ici est-il extrêmement restreint, et en admettant qu'on en
découvre de nouveaux, ce ne sera jamais que des raretés. Je citerai
du pays breton d'abord deux complaintes extraites de pièces de pro-
cédure où Yves le Marec, Chartreux, donnait des conseils à ceux qui
seraient tentés de prêter le serment 3, ensuite des papiers publiés
par le chanoine Peyron, et qui ont été saisis sur une fille Coublanc
à Kerlosquet (près Douarnenez) 4. On a également remis la main sur
une complainte des prisonniers au château de Brest. L'abbé Bra-
nelles, qui fut guillotiné à Brest, avait composé un cantique : « Der-
niers sentiments ». D'autres chants ont été recueillis par l'abbé
Durand dans Ar Feiz hag ar Vro (La honte dans le pays, Vannes,
1847). On remarquera que le grand nombre de ces pièces sont des
chansons. Je ne conteste pas l'importance des chansons, loin de là,
j'ai même insisté sur l'effet qu'ont eu certaines d'entre elles. Il
importe de remarquer néanmoins l'absence de discussions, de
démonstrations, même de manifestes 5. La cause de ce fait, suivant
moi, est qu'une chanson s'apprend de proche en proche ; les plus
dépourvus d'instruction la répètent. D'autre part, si on l'imprime
ou qu'on la copie, c'est une feuille qu'on cache avec facilité. Il dut
y en avoir beaucoup.
1. Lett. de Prieur de la Marne du 23 brum. an II (13 nov. 1793), dans Aul.,
Act. du Com. S. P., t. VIII, p. 401-402.
2. Du même, 23 flor. an II —12 mai 1794; Id., Ib., t. XIII, p. 468. Cf. plus haut
les observations de Lequinio.
3. Ann. de Bret., 1899-1900, t. XV, p. 565.
4. Dans le nombre se trouve aussi une chanson contre l'évéque Expilly. Elle est en
français.
5. Voir Chassin, Études sur la Chouannerie (Index, au mot manifeste).
Histoire de la langue française. IX. 12
178 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

DANS L'EST. C'est dans les pays de l'Est surtout que la situa-

tion créée par l'existence d'un idiome particulier parut grave, et
qu'elle le fut. La petite ville de Bitche, par exemple, demeurait im-
pénétrable et comme fermée par son langage aux influences du
dehors. La Feuille de Strasbourg, au courant de ces résistances,
avait proposé une solution au moins originale, savoir une annexion
au Bas-Rhin, où elle ne se
trouverait plus dépaysée 1.
Le 3 juin 1793, Couturier, en mission dans les départements du
Rhin, envoyait un rapport où il demandait qu'on fit des efforts pour
franciser « autant que faire se pourra, les parties allemandes de la
République » ; il faut, disait-il, que chaque commune, dans les cam-
pagnes, ait un régent d'école pour enseigner les enfants à lire,
écrire et calculer sans déplacement ; il est nécessaire que les
régents d'école, dans les communes allemandes, sachent les deux
langues 2.
Un peu plus tard, le danger était devenu tout à fait pressant, ou
du moins semblait tel aux Représentants que le Comité avait envoyés
avec des pouvoirs extraordinaires. En novembre 1793 (le 27 bru-
maire an II), on écrivait d'Alsace : « Ce pays-ci est en général très
bon, excepté quelques districts et cantons, surtout ceux ci-devant
allemands » 3. Lacoste mandait de son côté : « Si la langue allemande
n'est proscrite et des institutions établies pour apprendre celle de
la République, on ne peut répondre de lui conserver ce principal
boulevard» (Strasbourg) 4.
Faisons la part du fanatisme de Lacoste, principal auteur des stu-
pides et cruelles propositions dont nous parlerons plus loin, il n'est
pas niable que la propagande contre-révolutionnaire faisait rage en
allemand. La similitude de langage, qui avait permis de recruter
outre-Rhin des prêtres, des instituteurs, des agitateurs républicains,
permettait aussi à l'ennemi d'introduire ses gens, ses journaux, ses

1. Voir Feuille de Strasbourg, ou Journal politique et littéraire des rives du Rhin, par
Chayrou, du 12 juin 1792 (N° LII). Suite de la lettre du camp de Neukirch du 3 juin :
« Nous touchons à un pays qui a bien besoin de l'attention de nos législateurs, c'est
le district de Bitsch... les décrets de l'Assemblée Nationale n'y sont pas plus qu'en
connus
Sibérie; les gens de la campagne n'entendent que la langue allemande, les décrets
n'y arrivent qu'en français et l'on se garde bien do les leur expliquer... Aucun prêtre
n'y a prêté le serment... Il me semble que le seul moyen de parvenir (à faire cesser cet
état de nullité) serait de détacher ce District du Département de la Moselle et de
l'annexer à celui du Bas-Rhin. Par-là, du moins, il correspondrait dans langue
l'administration métropole
sa propre,
avec et recevrait les instructions convenables » (Bibl
munic. Str., M. 109.376).
2. Conv. Nat., Supp. au rapport des citoyens Couturier et Dentzel... rédigé
citoyen Couturier, du 3 juin 1793. Paris, I. N., p. 100-102. par le
3. Un Représentt au Comité, 27 brum. an II (17
nov. 1793), dans Aul. Act du
Com. S. P., t. VIII, p. 511.
4. 28 frim. an II (18 déc. 1793), Id., Ib., t. IX, p. 503.
LES IDIOMES DEVIENNENT UN DANGER 179

idées. Les femmes qui passaient les ponts avec des balles de bro-
chures sous leurs jupes, n'étaient pas toutes arrêtées, et les barques
traversaient pendant la nuit, narguant la douane.
Il arrivait, dans les armées même, que des bataillons devaient
être séparés, faute de pouvoir s'entendre. La garnison de Huningue
avait d'abord été formée imprudemment de deux bataillons, l'un
d'Alsaciens, l'autre de gens de Seine-et-Oise; ils « n'entendaient
pas le langage l'un de l'autre », il fut impossible de les conserver
côte à côte 1.

1. Rapport de Dt, Basle, 17 juin 1793. Arch. Aff. Étr., Fr. 323, f. 120. Une
masse d'imprimés ont pénétré ainsi, comme ce Wahrheits-Freund (1791) que Reuss
n'avait connu que de nom et dont J. E. Gérock a fait l'histoire (Revue d'Alsace, 1924).
CHAPITRE II

Là GUERRE AUX IDIOMES

L'ÉCOLE DE FRANÇAIS. — Il est donc compréhensible et même


naturel que Barère ait jugé qu'il y avait une question des idiomes
et qu'elle intéressait le salut public. Il était tout simple aussi qu'il
pensât, pour remédier à la situation, à la création d'écoles. L'ini-
tiative avait été prise et l'exemple donné. De simples citoyens pro-
fessaient que là était le remède. « Citoyens, écrivait un préposé des
douanes de Sarreguemines, nommé Lebrun, le 12 février de l'an II
de la République (sic), je crois que la diversité des Langues est un
grand obstacle dans le sistème Politique aux Liaisons fraternelles des
Peuples de la terre, a plus forte raison dans une République une et
indivisible ; en conséquence je demande que les instituteurs qui
seront établis dans les Ecoles primaires des pays ou la Langue alle-
mande est en usage, soient spécialement chargés de donner à leurs
Elèves, les Principes de la langue françoise» 1. C'est le remède
proposé par ce modeste fonctionnaire qui parut le seul bon et le
seul capable d'assurer à l'avenir l'unité morale. Au reste, la loi de
vendémiaire n'avait-elle pas indiqué la route à suivre? Toute la
différence était qu'au lieu d'attendre des résultats lointains, il
s'agissait de « procéder par la méthode révolutionnaire ».
Le 3 pluviôse, à propos du Décret sur les livres élémentaires,
Grégoire posa de nouveau la doctrine : « Lire, écrire et parler la
langue nationale sont des connaissances indispensables à tout citoyen.
L'unité de la République commande l'unité d'idiomes, et tous les
Français doivent s'honorer de connaître une langue qui désormais
sera par excellence celle du courage, des vertus et de la liberté » 2.

Le 8 pluviôse an II (27 janvier 1794),


OFFENSIVE DE BARÈRE. —
au
nom du Comité de Salut public, Barère dénonça à la tribune les

1. Arch. N., F17 1004s, doss. 412. Les plans et demandes d'instruction
cartons. remplissent
ces
2. Guill., o. c, Conv., t. III, p. 368.
LA GUERRE AUX IDIOMES 181

dangers que faisaient courir à la République « les idiomes anciens,


welches, gascons, celtiques, wisigots, phocéens et orientaux ». Se
fondant sur les témoignages des Représentants, il affirmait qu'ils
avaient empêché la Révolution de pénétrer dans neuf départements
importants. En Bretagne, les prêtres, à l'aide du bas-breton, dirigent
les consciences, empêchent les paysans de connaître les lois et
d'aimer la République. Dans le Haut et le Bas-Rhin, c'est l'identité
de langage qui a fait appeler le Prussien et l'Autrichien en Alsace,
qui a ensuite poussé le paysan à émigrer. Les Basques, avec leur
langue sonore et imagée, regardée comme un héritage des ancêtres,
restent sous la domination des prêtres, alors qu'ils ont montré de
quel dévouement ils étaient capables pour la République en la
défendant le long de la Bidassoa. En Corse, Paoli, « Anglois par
reconnaissance, dissimulé par habitude, faible par sou âge, Italien
par principe, sacerdotal par besoin, se sert de l'italien pour per-
vertir l'esprit public ». En somme, « le fédéralisme et la supers-
tition parlent bas-breton; l'émigration et la haine de la République
parlent allemand; la contre-révolution parle italien et le fanatisme
parle basque. Brisons ces instruments de dommage et d'erreur. Il
vaut mieux instruire que faire traduire, comme si c'était à nous à
maintenir ces jargons barbares et ces idiomes grossiers qui ne
peuvent plus servir que les fanatiques et les contre-révolution-
naires...
« La monarchie avait des raisons de
ressembler à la tour de Babel ;
dans la démocratie, laisser les citoyens ignorants de la langue
nationale, incapables de contrôler le pouvoir, c'est trahir la patrie,
c'est méconnaître les bienfaits de l'imprimerie, chaque imprimeur
étant un instituteur de langue et de législation. Le français deviendra
la langue universelle, étant la langue des peuples. En attendant,
comme il a eu l'honneur de servir à la déclaration des Droits de
l'homme, il doit devenir la langue de tous les Français. Nous devons
aux citoyens « l'instrument de la pensée publique, l'agent le plus
sûr de la Révolution, le même langage ». Chez un peuple libre la
langue doit être une et la même pour tous »1.

BARÈRE ET DOMERGUE.
— Si cette violente diatribe ne s'inspirait
pas des idées de Domergue, il est incontestable qu'elle se rencontre
sur des points essentiels avec les observations que fit ce dernier, le 23,
au Conseil général de la commune de Paris, dans une adresse qu'il
destinait aux communes et aux Sociétés populaires de la République

1. Guill., o. c, Conv., t. III, p. 349-354.


182 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

et qu'il avait, dit-il dans un post-scriptum, écrite avant le Bien


8.
la conclusion soit différente et que Domergue propose d'autres
que
moyens que Barère, à savoir la publication périodique
d'un cours de
langue française — son cours — pour unifier la langue 1, l'exposé
des motifs est sensiblement le même : « Je puise mon courage,
disait-il, dans le besoin qu'éprouve mon coeur d'être utile à tous
les Français; je le puise dans l'espoir d'élever notre langue à la
hauteur du peuple qui la parle; je le puise dans la certitude de
coopérer à l'unité de langage, comme nos législateurs ont opéré
l'unité de gouvernement et de législation, et dans la certitude plus
flatteuse encore de pouvoir, par la propagation de notre langue, ce
conducteur électrique de la liberté, de l'égalité, de la raison,
contribuer à la régénération publique de l'Europe » 2.
1. Le cours de langue française devait contenir :
1° La grammaire française élémentaire simplifiée... suivie de la nomenclature des
mots à difficiles familles de mots et homonymes. Cette partie, « dégagée de toutes les
difficultés et les erreurs de la routine collégiale », sera intelligible à tous.
2° Un vocabulaire des mots usuels et de ceux qu'a enfantés la Révolution, où il v
aura des définitions logiques, une prononciation exacte, une prosodie sûre, le sens
propre et le sens figuré, la synonymie, la classification, l'orthographe de l'usage et les
réformes que sollicite la raison.
(Des définitions comme le roi est le souverain, des mots comme marquis, baron, etc.
doivent être relégués au théâtre pour servir d'objet d'horreur ou de ridicule).
3° La grammaire raisonnée, développement philosophique de la grammaire élémen-
taire. Elle motive les changements révolutionnaires opérés dans le système grammatical.
4° La solution des différentes difficultés... En forçant à remonter à des principes
inconnus, à tracer des règles nouvelles, elle enrichit de morceaux précieux l'édifice de
la grammaire.
5° Le commentaire grammatical d'un auteur célèbre.
6° Le recueil des meilleurs morceaux d'éloquence et de poésie, avec des notes didac-
tiques (Voir l'Adresse. Imprim. Guyot, 12 p. in-8°).
Domergue avait déjà essayé de ressusciter la Société grammaticale qui, en 1791, avait
repris son Journal de la Langue française, et de lui donner un caractère semi-officiel en
la logeant dans une pièce contiguë aux bureaux du Comité d'instruction publique.
Le Comité lui refusa l'autorisation d'y demeurer, mais l'engagea à continuer ses
travaux (27 ventôse an II — 17 mars 1794). Il avait été destitué de ses fonctions le
21 ventôse (Guill., o. c, Conv., t. III, p. 561). En vendémiaire III, la Commission
an
d'Instruction publique lui concéda un logement au Muséum des Arts, pavillon des
Archives (Voir une de ses lettres dans les Lett. à Grég., p. 322).
2. Nous savons par une lettre qu'il adressa à Grégoire le 25 Préréal II (sic)
« » an
que le Comité de Salut public, à qui Romme avait présenté cette adresse « la renvoya
par arrêté, à celui d'Instruction publique, et Guiton-Morveaux fut chargé par Prieur de
la Côte-d'Or de la remettre. La remise, ajoute la lettre, a été faite, mais nul
teur... n'a été nommé ». Domergue se réjouit à l'idée que Grégoire pourrait êtrerappor- choisi
(Lett. à Grég., p. 321).
CHAPITRE III

LE DÉCRET DU 8 PLUVIÔSE

LA DISCUSSION DU DÉCRET.
— La discussion fut brève. Barère
représenta que, à trop étendre la mesure, on risquait de la rendre
inefficace, parce qu'il faudrait « une masse d'hommes impossibles à
trouver ». Il ajouta des précisions qui montrent combien il était
renseigné — il était du reste député des Hautes-Pyrénées : « Ce dont
nous avons essentiellement besoin aujourd'hui, c'est qu'il ne se
forme pas une nouvelle Vendée dans la ci-devant Bretagne, où, comme
nous le verrons dans les Rapports de Richard et Choudieu, les
prêtres ont exercé la plus cruelle influence en ne parlant que le
bas-breton 1. Ce dont nous avons besoin, c'est de repeupler un
district du département du Bas-Rhin, que des émigrés ont entraîné 2,
parce qu'ils parlaient aux habitants leur langage, et se servaient de
ce moyen pour les égarer. Ce dont nous avons besoin, c'est que Paoli
n'opère pas la contre-révolution en Corse par les moyens que lui en
offre la langue italienne, qu'on parle uniquement dans cette île.
Enfin, ce dont nous avons besoin, c'est de mettre à l'abri du fana-
tisme le peuple basque, qui est patriote, mais que des ennemis de
la liberté pourraient corrompre en lui déguisant les vrais principes» 3.

LES INSTITUTEURS DE LANGUE FRANÇAISE.


— Il fut décidé, sur la propo-
sition du Comité de Salut public, que des instituteurs de langue
française seraient nommés dans un délai de dix jours, dans tous les

1. Je n'ai trouvé dans ce rapport aucune allusion au langage dont les prêtres se
servaient. Rien non plus dans les autres brochures qui se trouvent avec ce rapport et
ont trait aux événements de Vendée (Bib. de la Ch. des Députés. Coll. Portier de l'Oise,
Rév. fr., 34, Br 164). Il y a plus, Momoro, Commissaire national, décrit les origines de
l'insurrection et dépeint les agissements des nobles :
« Que firent ces nobles ? ils eurent la politique de s'oublier entièrement, de changer
de costume, de prendre celui de ces paysans, de vivre avec eux, de manger le même
pain, de coucher comme eux dans les bois, et de défendre comme eux la religion... ».
C'était l'occasion de nous les montrer parlant aux paysans leur langage. Pas un mot
n'est dit à ce sujet. Il est vrai qu'il est question des nobles, non des curés.
2. Barère fait allusion à la grande fuite, étudiée par Reuss.
3. Journ. des Déb. et Décrets, dans Guill., o. c., Conv., t. III, p. 356.
184 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

départements dont les habitants parlaient bas-breton, italien, basque


et allemand :
Art. 1. — Il sera établi dans dix jours, à compter du jour de la
publication du présent décret, un instituteur de langue françoise dans
chaque commune des départements du Morbihan, du Finistère, des
Côtes-du-Nord, et dans la partie de la Loire-Inférieure dont les
habitants parlent l'idiome appelé bas-breton.
Art. 2. — Il sera procédé à la même nomination d'un instituteur
de la langue françoise dans chaque commune de campagne des
départements du Haut et du Bas-Rhin, dans le département de
Corse, dans la partie du département de la Moselle, du département
du Nord 1, du Mont-Terrible, des Alpes-Maritimes et des Basses-
Pyrénées, dont les habitants parlent un idiome étranger.
Art. 4. — Ils seront tenus d'enseigner tous les jours la langue
françoise et la Déclaration des droits de l'homme alternativement
à tous les jeunes citoyens des deux sexes, que les pères, mères et
tuteurs sont obligés d'envoyer dans les écoles publiques.
Les jours de décade, ils donneront lecture au peuple et traduiront
vocalement les lois de la République, en préférant celles qui sont
analogues à l'agriculture et aux droits des citoyens.
Art. 6. — Les sociétés populaires sont invitées à propager l'éta-
blissement des clubs pour la traduction vocale des décrets et des
lois de la République, et à multiplier les moyens de faire connoitre
la langue françoise dans les campagnes les plus reculées.
Le Comité de Salut public est chargé de prendre à ce sujet toutes
les mesures qu'il croira nécessaires2.
Le 30 pluviôse (18 février), un nouveau décret étendit la mesure à
la Meurthe, et aux communes des Pyrénées-Orientales qui parlaient
exclusivement catalan.
Dix jours pour improviser ce personnel bilingue, sans faire appel
à un ci-devant ni à un ministre d'un culte (art. 3 du décret), c'était
évidemment peu.

1. Ce département fut ajouté à la liste sur une observation de Merlin de Douai.


2. Guill., o. c, Conv., t. III, p. 348. Cf. Proc.-verb. de la Conv., t. XXX, p. 191.
CHAPITRE IV

LES ACTES EN FRANÇAIS

Nous avons vu les velléités qui s'étaient produites d'appliquer


intégralement les antiques ordonnances sur l'introduction de la
langue française dans tous les actes publics. Mais rien n'ayant
encore été décidé, la Convention avait le choix entre une doctrine
rigoureuse et le maintien des tempéraments depuis si longtemps
admis. Ce devait être et ce fut la première résolution qui l'emporta.
Le 23 prairial an II (10 juin 1794), Thibaudeau était sollicité par
une lettre des Administrateurs du Département du Bas-Rhin. Elle
débute ainsi : « Nous avons senti comme toi, citoien Reprt, combien
il était avantageux à la propagation des principes de la révolution
et à la marche de l'esprit public de substituer dans tous les actes
publics la langue républicainne aux idiomes étrangers ». Les
signataires rappellent leur délibération du 25 germinal, dont ils
envoient un exemplaire. Ils ajoutent : « Nous ne voyons donc dans
une loi générale à proposer sur cet objet que le but avantageux de
porter tous les français à ne parler qu'une seule langue comme ils
ne forment qu'une seule famille, qu'ils n'ont que les mêmes droits,
les mêmes loix et les mêmes devoirs à remplir. Le seul inconvé-
nient que l'on peut alleguer ce serait de mettre les citoiens non
encore au fait de la mère langue de la République dans le cas de
pouvoir être trompé (sic) par un officier public de mauvaise foi, mais
cette objection doit disparaître devant l'intéret général qui requiert,
à notre avis, la loi que le Comité se propose de faire rendre »1.
Un citoyen, nommé Nègre, dont nous parlerons plus loin, exprimait
des idées analogues : « Que tous actes publics ne seront valides
qu'autant qu'ils seront conçus, rendus, écrits en la langue française.
La République voulant rester fidele à ses principes d'unité, et abo-
lissant à cet efêt l'usage de tous les idiomes ou patois usités dans
différents points de son Etendue.

1. Arch. N., F17 6891, n° 217. Comparez la lettre des Administrateurs du Haut-
Rhin citée p. 234.
186 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Que Général dès entrée dans le territoire ennemi,


« tout son
imposera aux vaincus la même loy des Romains, c'est-à-dire n'écou-
tera que le langage français.
C'est notre propre langue que tous les peuples conquis
« avec
sentiront les Avantages de la Liberté, s'approprieront nos principes,
et se républicaniseront.
« Voilà, Citoyen, le voeu d'un jeune français. S'il est utile,
remplissez-le; en faisant votre devoir, vous ferez ses plus doux
plaisirs. Salut et fraternité.
« Haîne aux Tyrans,
Amour aux Peuples. Nègre »1.
Il m'a paru nécessaire de citer ces plaintes venues des pays inté-
ressés pour montrer que l'idée ne fut pas uniquement inspirée aux
Jacobins par leur esprit tyrannique.
Quoi qu'il en soit, Thibaudeau avait inséré dans le projet de décret,
adopté par le Comité d'Instruction publique des dispositions rigou-
reuses. Il ne fut pas rapporté.
Mais le 2 thermidor (20 juillet 1794), sur un rapport de Merlin
de Douai au Comité de législation, on délibéra. Le Commissaire du
district de Bergues, séant à Dunkerque, nous mande, dit l'auteur,
que dans cette partie du département du Nord on ne se fait aucun
scrupule d'enregistrer des actes écrits en langue flamande. Et sans
doute « ni le département du Morbihan ni celui du Finistère ne sont
exempts du même reproche, quant à l'usage du Bas-Breton ».
Merlin connaissait la politique des rois à ce propos, et il est loin
de se plaire à opposer la pensée des « tyrans » à la conception
républicaine de la nation.
Après avoir rappelé l'ordonnance de Villers-Cotterets et celles
qui l'ont suivie, il concluait, non sans habileté, qu'on avait bien le
droit, « pour consolider la liberté du peuple », d'employer les
mesures autrefois mises en oeuvre « pour river les fers de ceux qu'on
osoit appeler des sujets ». Un décret complémentaire de celui de
pluviôse an II défendit l'emploi d'aucun idiome autre que le fran-
çais, même sous seing privé :
Art. 1. A compter du jour de la publication de la présente loi,
nul acte public ne pourra, dans quelque partie que ce soit du terri-
toire de la République, être écrit qu'en langue française.
2. Après le mois qui suivra la publication de la présente loi, il
ne pourra être enregistré aucun acte, même sous seing privé, s'il
n'est écrit en langue française.
3. Tout fonctionnaire ou officier public, tout
agent du Gouverne-

1. Arch. N., F17 6891, n° 2123.


LES ACTES EN FRANÇAIS 187

ment qui, à dater du jour de la publication de la présente loi, dres-


sera, écrira ou souscrira, dans l'exercice de ses fonctions, des pro-
cès-verbaux, jugemens, contrats ou autres actes généralement
quelconques conçus en idiomes ou langues autres que la française,
sera traduit devant le tribunal de police correctionnelle de sa rési-
dence, condamné à six mois d'emprisonnement, et destitué.
4. La même peine aura lieu contre tout receveur du droit d'en-
registrement qui, après le mois de la publication de la présente loi,
enregistrera des actes, même sous seing privé, écrits en idiômes ou
langues autres que le français 1.
Les Commissaires prirent quelques arrêtés d'application. Dans
le Nord, où de fâcheux agissements avaient été signalés, un arrêté de
Florent Guyot, daté de Dune libre le 27 messidor, ordonna la rédac-
tion de tous les actes publics en langue française 5.

1. Duvergier, Collect., t. VII, p. 225. Cf. un projet de décret du Com. I. P. du


3 messidor. Arch. N., F 17, 6391, n° 217.
2. Arch. dép. de Bergues, 13 f° 127, dans Lennel, L'instr. prim. dans le départ,
du Nord, p. 59.
Le français ne devait pas gagner grand'chose à cette contrainte, si on en juge par la
façon dont l'écorchaient des agents subalternes. Voici quatre gendarmes de Mar-
ckolsheim, qui essayent de donner un témoignage de civisme à leur collègue Beckmann :
Le 2 prairial " dern Undheilbaren Rebuplicq ». Ils ont signé les uns en lettres alle-
mandes, les autres en françaises : Graper gendarme, Schroder chandarm, Deiper,
Comandant de Brigote.
Rien de plus drôle que ce document allemand farci de mots français écorchés « Brigat,
bateriott » et qui porte fièrement en tête : Lieberté, Egaligte, Frate... On n'a pas pu
finir le mot (Arch. N., DIII 211, B.-Rhin).
CHAPITRE V

LA TERREUR LINGUISTIQUE EN ALSACE

PREMIERS ARRÊTÉS DES REPRÉSENTANTS. — En Alsace, on ne s'en tint


générales. Déjà Lebas
pas, on ne pouvait pas s'en tenir aux mesures
et St -Just, arrivés en octobre 1793, en présence d'une armée désor-
ganisée, exposée à des intrigues politiques de toute sorte, sentant
une partie de la population prête à l'insurrection, prirent
inquiétude
de cet attachement à la langue allemande qu'ils constataient jusque
chez les Jacobins, et ils crurent qu'ils devaient et pouvaient s'en
défaire, comme ils se défaisaient de tout ce qui menaçait la Répu-
blique.
Le 9 nivôse (29 décembre 1793), reprenant pour les appliquer les
idées de Couturier, et devançant la Convention elle-même, en vertu
de leurs pouvoirs illimités, ils décrétaient la création d'une école de
français dans chaque commune ou canton du Bas-Rhin : 1

« Provisoirement et jusqu'à l'établissement de l'instruction publi-


que, il sera formé dans chaque commune du canton du départt du
Bas-Rhin, une école publique de langue française.
« Le Département
du Bas-Rhin prendra sur les fonds provenant
de l'emprunt sur les riches, une somme de 600 000 livres, pour
organiser promptement cet établissement, et en rendra compte à la
Convention Nationale ». (Les rep. du peuple Lebas, St-Just)2.
En fait cet arrêté n'était pas inattendu. Il étendait simplement au
département ce qui avait été décidé pour Strasbourg un peu aupa-

1. Suivant une note manuscrite de Heitz dans son exemplaire de Le Génie de la


Rév. considéré dans l'éducation, Paris, 1817 (Bibl. univ. et région, de Strasb.), un arrêté de
la Commission provisoire municipale du 21 avertissait que les personnes sachant la
langue française eussent à se présenter pour avoir des places d'instituteurs. Heitz ne
s'est-il pas trompé sur la date? Ne faut-il pas lire 31 ?
2. Il est bien certain que beaucoup d'Alsaciens souffraient de cette ignorance du
français. Un détenu à la maison de Strasbourg écrit le 1er germinal an II (21 mars 1794)
pour « proposer un plan d'instruction publique ». Il termine en déplorant le désa-
vantage qu'il a « d'être peu agueri dans la langue française ».
" Obligé de se servir d'un traducteur pour faire une " versition de la langue
allemande en langue française, il n'aura pas sans doute rendu la justesse» et la précision
de ses idées » (Arch. N., F17 1318, doss. 7).
LA TERREUR LINGUISTIQUE EN ALSACE 189

ravant par la Commission municipale. Dans sa séance du 12 fri-


maire an II (2 décembre 1793), elle avait en effet arrêté : « Il sera
établi dans chaque arrondissement (de la ville) un instituteur pour
l'enseignement journalier de la langue française tant à la jeunesse
qu'aux citoyens ». Et dans plusieurs réunions subséquentes, on avait
repris la question et fixé les détails d'application 1.
Mais si ces arrêtés n'avaient rien d'oppressif, en voici un autre
d'un caractère bien différent. A la fête célébrée à Strasbourg en
commémorationdes martyrs de la liberté, le 17 décembre 1793, deux
discours devaient être faits en français, un troisième en allemand.
Le représentant Baudot s'opposa à ce que le dernier fût prononcé.
Les trois le furent en français 2.
Les Représentants entraient donc dans une voie nouvelle et dan-
gereuse. Ils ne cherchaient plus seulement à introduire le français,
ou même à l'imposer ; ils interdisaient l'autre langue dans une céré-
monie officielle. L'ère des violences était ouverte.

LES RESPONSABLES. — Il faudrait une longue recherche à travers les


documents qui ont survécu pour savoir quelle était au juste, dans
cette question spéciale de la langue, l'attitude de chacun de ceux
qui menaient alors l'opinion.
Il est bien certain que Monet, né en Savoie, et maire de Stras-
bourg, était entièrement étranger à l'allemand. La langue de Schnei-
der lui était aussi odieuse que sa personne. Entré en fonctions le
jour même de l'exécution de Louis XVI, il s'exaspéra peu à peu
contre les milieux alsaciens où il voyait le centre de la résistance
aux idées extrémistes. Cependant le jour de l'inauguration du
temple de la Raison, il en était encore à laisser traduire en alle-
mand sa brochure : Le Clergé abjurant l'imposture 3.
La Propagande, ce singulier aggloméré de patriotes mandés du
dehors et envoyés par les Clubs affiliés de France pour mener
l'Alsace 4, ne pouvait se montrer résignée à supporter une langue qui
gênait son action, car, de ses 80 membres, c'est à peine si quelques-
uns entendaient le langage de la province 5.
1. Délibons du Corps mun. Str., 5e vol., f° 1374 et suiv. (Communiqué par M. P.
Lévy).
2. Heitz, Soc. pol., p. 311.
3. En allemand, le titre est : Les prêtres veulent redevenir des êtres humains (M. 6451).
4. Leur première réunion eut lieu le 27 brumaire (17 nov.) à la Cathédrale.
5. Venaient de la région Vully, de Sarrebourg, Ming, de Phalsbourg, Schwartz,
Ortlieb, Darbas, de Colmar. Mais les autres ne parlaient probablement que français :
c'étaient Lavraud, Giroux, Schuller, de Chalon-sur-Saône ; Jardet, Dubois, de Beaune ;
Delatre, Richard, Meuller, Baget, de Metz ; Nautit, de Pont-à-Mousson; Cayon, de Nancy ;
Rades, de Lunéville; Robinet, Paillot, de Bar-sur-Ornain; Caillet, Grammaire, de Bar-
sur-Aube; Capitaine, Léonard, de Châlons-sur-Marne ; Laugier, Peccate, de St-Diez ;
190 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Mais Euloge Schneider, Allemand de naissance, avait ses raisons


juger vaines et inopportunes ces attaques violentes contre
pour
l'idiome. D'autre part Saint-Just et Lebas étaient si peu acquis à la
Propagande, qu'ils la firent supprimer par le décret du 6 décembre.
Il semble bien que les principaux coupables des violences aient
été Baudot et Lacoste. Quoi qu'il en soit de la responsabilité des uns
des autres, on vit l'allemand — entendez aussi bien le dialecte
ou
du cru — pourchassé en ennemi.
LA PROSCRIPTION DE L'ALLEMAND. — Le 23 germinal (14 avril 1794),
le Directoire du département du Bas-Rhin ordonna la rédaction en
français de tous les papiers de l'administration, et de tous ceux qui
lui seraient adressés 1.
Les séances allemandes de la Société des Jacobins furent inter-
dites 2. Peu de jours après, on en arrivait à des décisions franche-
Bouillon, Friez, de Montbéliard ; Frisne, La Viele, de Verdun-sur-le-Doubs ; Chabé,de
Seurre ; Vieune, Durand, de Nuits; Reuillot, l'Espagnol, de Conches; Miquel, Thierry,
d'Epinal (D'après un papier de la Corr. de Grég. (Bas-Rhin), Bibl. Soc. des Amis P.-R.).
1. " Les Administrateurs du Directoire du Dépt du Bas-Rhin, considérant qu'il est
instant de prendre les dispositions nécessaires pour répondre aux vues de la Convention
qui, par son décret du 8 Pluviôse dernier, a ordonné l'établissement d'instituteurs
français dans les départements du Rhin, afin d'y établir généralement la langue fran-
çaise ; considérant que le défaut de connaissance de cette langue entrave encore dans
le Département la propagation des principes de la Révolution et ralentit la marche de
l'esprit public ; considérant que la différence de langage entre les habitans de la rive
gauche du Rhin et leurs frères de l'intérieur paroît être un obstacle à la communica-
tion fraternelle qui doit exister entr'eux ; qu'il est par consequent essentiel de détruire
une cause qui pourroit nuire à l'harmonie politique de tous les Français, et relâcher
les liens sociaux qui les unissent ; considérant enfin, qu'il est de l'intérêt général, que
tous les Français qui ne forment qu'une même famille, qui ont les mêmes lois, les
mêmes droits et les mêmes devoirs à remplir, ayent aussi le même langage ; que pour
parvenir à ce résultat salutaire, il est nécessaire d'augmenter les moyens de propager la
mère-langue de la République dans le Département et de bannir de tous les actes pu-
blics un idiome, qui rend les habitans encore, quant à ce, étrangers au reste de la France;
" Arrêtent :
" Que toutes les Délibérations et lettres des Municipalités, les rapports et procès-
verbaux des employés et salariés de la République, les pétitions des citoyens aux corps
administratifs, enfin tout ce qui sera relatif à l'administration, et qui sera adressé au
Directoire du Département ou à ceux des Districts, sera rédigé en langue française.
ce
Les Administrateurs déclarent qu'ils ne recevront plus celles qui seront écrites en
allemand ; que leur intention n'est cependant point par là de mettre leurs concitoyens
dans la nécessité de recourir au secours de ces hommes rapaces qui pullulent encore
dans le Département et qui profitent de l'ignorance du citoyen de la
campagne pour
assouvir leur cupidité ; mais de les inviter de rédiger leurs écrits dans tel style et dans
quelle forme ils pourront, pourvu que l'objet y soit clairement et brièvement énoncé.
Invitent en outre tous les libraires et imprimeurs du Département de servir
ce
dans l'impression des ouvrages ou traductions en langue allemande, ne se
que de caractères
français.
" La présenteDélibération sera imprimée dans les deux langues, lue, publiée affichée
et exécutée dans toute l'étendue du Département. Signé Mougeat, Prét Carey,
Wagner Saget, Jaequy et Barbier Secre Gl » (Arch. Mun. Strasb., ;

germinal an II, t. II, 447). n° 108, du 25e


2. Voir Histoire de la Propagande et des miracles qu'elle faits à
a Strasbourg pendant
son séjour dans cette ville, dans le mois de frimaire de l'an II de la république
« La Propagande a fait abolir les séances en langue allemande (de la société
popu-
LA TERREUR LINGUISTIQUE EN ALSACE 191

ment ridicules, à de simples trompe-l'oeil. Ordre avait été donné par


le même Directoire aux libraires et imprimeurs d'imprimer l'alle-
mand en caractères français 1. On s'en prit aux écriteaux et aux ensei-
gnes : « Sur la proposition d'un membre, et ouï l'Agent national : Le
Corps municipal désirant propager l'uniformité d'idiome dans cette
partie de la République où la langue française est moins usitée :
« Arrête que toutes les inscriptions des bâtimens publics ne se
feront désormais qu'en français, et que les inscriptions allemandes
seront effacées.
« Invite instamment au nom du bien public ses Concitoyens d'ef-
facer de même dans la décade les caractères allemands qui pour-
roient se trouver dans les inscriptions ou affiches placées aux mai-
sons, au-dessus des magasins, ateliers ou boutiques. (Collationné :
Dorou, Secrre adjoint) » 2.

ON PROPOSE DES
— Ces mesures, aussi
MESURES DE VIOLENCE.
vaines qu'odieuses, ne satisfaisaient point encore les énergu-
mènes, les tyrans ayant toujours confondu le bon sens et la faiblesse.
Le 5 frimaire déjà (25 novembre 1793), parmi les Jacobins « épu-
rés » s'étaient produits des projets insensésde déportation ou d'exé-
cution en masse des gens dont le crime était d'ignorer le fiançais,
qu'on ne leur avait jamais appris 3. Un ancien prêtre, nommé
Rousseville, se chargea de développer l'idée et de la transmettre à
Paris4. Le 19 ventôse an II (9 mars 1794), il envoyait à la Conven-
tion un pamphlet virulent, qu'il se proposait de mettre ensuite en
allemand. Ce pamphlet est intitulé Dissertation sur la francilisation
de la ci-devant Alsace. L'élucubration de Rousseville, trop peu
connue, mérite d'être citée; elle éclaire mieux que toute autre
pièce, ce que fut cette période de la Terreur en Alsace 5.

laire) quoique les vrais sans-culottes de cette commune, cette portion précieuse du peuple
qui a le plus de nerf et de vertus, ne parlent que cette langue. Au temple même de la
raison, le seul culte qui existe à Strasbourg, la langue allemande a été proscrite. Com-
ment est-il possible d'instruire, d'éclairer et de persuader un peuple, en lui parlant une
langue qu'il n'entend pas ? » (Arch. Municip. de Strasb. Livre bleu, t. I, p. 191).
A Haguenau, la présence de Monet et de Rousseville amena au même résultat.
1. V. p. 190, n. 1.
2. " Extrait des Registres du Corps Municipal de la Commune de Strasbourg, Séance
publique du 11 Messidor an II ». Arch. Municip. de Strasb., n° 711, tome V, n° 109
2577. Cf. t. VII, n° 1355.
3. ce Plusieurs orateurs prononcèrent des discours très énergiques ; les uns deman-
daient qu'on les déportât et qu'on transplantât en Alsace une colonie de Sans-Culottes ;
d'autres que l'on leur fit faire une promenade à la guillotine, pour opérer leur con-
version » (Heitz, Soc. pol., p. 302-303 ; cf. Eccard, La lang. fr. en Als., dans Rev.
Als. illustr 1910).
,
4. Ce Rousseville était un agent de Robespierre (Aul., Act. du Com. S. P., t. XIV,
p. 497-498).
5. Le texte est en manuscrit aux Archives Nationales, F 15 3301. Il a été imprimé à
192 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Après quelques pages de récriminations contre les menées des


ennemis de la République, quelques sorties virulentes contre les
religions, Rousseville en vient au point du langage : « Ces cultes
bizarres dont je demande la destruction, avoient osé s'approprier
des langues particulières pour les choses qui les concernoient ; mais
ce ne doit être qu'à celui de la vérité que nous voulons propager,
qu'il faut qu'on consacre la plus belle et la plus étendue de celles
qui existent en Europe, et cette langue est celle que parle la majo-
rité des Français, et que la minorité doit apprendre. C'est dans
cette langue mâle et sublime que les Voltaire, les Jean-Jacques, les
Helvétius et tous les grands philosophes écrivirent leurs ouvrages
immortels ; c'est dans cette langue qu'on a prouvé que la noblesse
n'étoit qu'une chimère, le sacerdoce qu'une imposture, la royauté
qu'un crime digne du dernier supplice, et qu'il n'y avoit de réel que
l'égalité des sans-culottes, la vertu des républicains et la puissance
de la nature. Enfin c'est dans cette langue qu'on écrit ces lois majes-
tueuses et justes, qui fixeront à jamais notre bonheur et les desti-
nées ineffables du genre humain...
« Assurément ce
n'est point au langage, mais aux actions, que je
veux qu'on juge définitivement du patriotisme d'un ou de plusieurs
de mes semblables ; mais encore faut-il pouvoir faire entendre sa pro-
fession de foi ; et si je ne soupçonne pas un homme d'être aristo-
crate, précisement parce qu'il ne parle qu'une langue qui l'assimile
en quelque sorte à nos ennemis... j'avouerai en même temps que je
l'aimerois davantage s'il faisoit tous ses efforts pour s'acquérir un
lien de plus entre lui et la presque-totalité de ses véritables frères,
les républicains français... Un Français, au milieu d'une troupe
d'Allemands, appréhende sans cesse que dans leur langage barbare
ils ne blasphèment la révolution.
« Habitans de la ci-devant Alsace, si vous avez juré d'être nos
amis, si vos sermens sont sincères, si ce qu'il en a coûté à plusieurs
d'entre vous pour appeler nos perfides ennemis vous a totalement
guéris du désir d'être allemands, faites que nous puissions connoi-
tre par vos discours les dispositions de vos coeurs, et augmenter par
la communication fraternelle de vos sentimens patriotiques la haine
implacable que nous avons vouée à tous les tyrans...
« Ce n'est pas assez qu'on ait décrété qu'on vous donneroit des
instituteurs chargés de resserrer par l'uniformité du langage,

Strasbourg chez Leyrault le 1er vent, an II (19 fév. 1794). Reuss possédait
lapièce

et la cite. Elle a etc, lue à la Société de Thann, le 30 ventôse II - 20


(Poulet, o. c, p. 198). Un exemplaire en a été conservé an mars 1794
aux Archives municipales de
LA TERREUR LINGUISTIQUE EN ALSACE 193

l'union qui doit ne faire qu'une famille de tous les Français ; il faut
mettre ce décret à une prompte exécution, trouver des hommes, et
faciliter leur travail par votre bonne volonté.
« Un moyen sûr
d'avoir des sujets capables d'une entreprise aussi
grande que celle d'échanger ici l'allemand contre le français, c'est
de faire de leurs fonctions des places utiles et honorables à ceux
même qui les rempliront... Ces instituteurs auront un traitement
honnête; ils seront regardés et honorés dans leurs communes,
comme des espèces de magistrats chargés de faire connoitre et
aimer nos lois ; ils seront comme les pères de tous ceux à qui ils
auront appris la langue nationale...
« Une classe d'hommes que l'opinion a détruite... demande à
grands cris, pourquoi on l'a exclue de l'éducation publique... Pres-
que tous regrettent leurs anciennes prérogatives... ce furent des
prêtres qui préparèrent dernièrement une Vendée constitutionnelle
dans nos campagnes... ne confions pas la génération future à
ceux qui avoient tout fait pour tromper et corrompre la génération
présente.
« Que toutes les sociétés populaires, que toutes les autorités
constituées, que tous les bons patriotes soient invités à chercher des
maîtres de langue française, d'un civisme et d'une capacité recon-
nus ; et l'espace d'une ou deux décades prouvera que ce n'est pas
dans ce siècle de philosophie et de lumières, qu'il est impossible de
se passer des moines et des prêtres.
« Je ne parlérai point
ici de l'assiduité des pères de famille à fré-
quenter eux-mêmes, et à faire fréquenter par leurs enfans les espèces
de cours de langage et de droit français qui seront ouverts tous les
jours par ces instituteurs. Qu'ils sachent néanmoins que ces établis-
semens entrant une fois dans le système politique relatif aux pays
dans lesquels on ne parle pas français, on traiteroit comme sus-
pects... ceux qui y mettroient quelque négligence ou empêchement...
« Les institutions publiques de langue française une fois établies
avec la vigueur républicaine, il est d'autres mesures secondaires
qu'il sera bon d'employer... Je voudrois, par exemple, qu'il fût
défendu sous de fortes amendes à celui qui sait les deux langues et
qui parle avec un français qui ne sait que la sienne, de refuser de
répondre quand il lui demande un chemin, une boutique, une mai-
son... Je voudrois qu'on sût que, même dans l'ancien régime, ce
qu'on appeloit la politesse ne vouloit pas que deux hommes parlas-
sent devant un troisième une langue qu'il n'entendoit pas, quand
ils en savoient une qui leur étoit commune avec lui. Je voudrois
que le patriotisme fit de chacun de ceux qui savent les deux
Histoire de la langue française. IX. 13
194 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

de maîtres de français milieu de leurs familles


langues, autant au
concitoyens. Je voudrois qu'on envoyât dans l'intérieur
et de leurs qu'on n'em-
toutes les troupes levées dans la ci-devant Alsace, et
ployât sur le Rhin que des troupes françaises de langue et de'
sentiment. Je voudrois enfin, que tous les discours publics dans les
villes, que toutes les requêtes ou pétitions aux autorités constituées,
tous les actes publics, en un mot que toutes les choses de quel-
que
que importance se fissent en français.
Ayant il y a quelques décades, proposé un journal français,
«
particulier aux trois départemens, je ne fus point accueilli par la
société populaire avec tout l'empressement que méritoit une chose
de cette importance. Dans les premiers temps de la révolution
Laveaux faisoit ici un journal français, on le lisoit presque partout...
« Je
dirai pourtant que j'ai vu avec satisfaction qu'une partie des
familles patriotes envoyoient leurs enfans dans les contrées voisines
où la langue française est usitée, et j'ai dit : pourquoi ne pas gene-
raliser les choses ? pourquoi ne pas faire une espèce de levée en
masse de tous les jeunes citoyens et citoyennes de la ci-devant
Alsace, et ne pas les placer pour un temps, par réquisition, chez les
Français de l'intérieur? pourquoi ne pas décréter qu'aucune place
civile et militaire de la République ne pourra être occupée que par
des hommes qui sauront le Français ?...
" ...Vous recevrez avec joie des familles de frères qui viendront
cultiver les terres abandonnées (par les émigrés), réparer les pertes
de votre population, augmenter votre amour pour la révolution et
faciliter votre résistance...
" Il sera fait par les représentants montagnards qui ont déjà sauvé
votre pays, en appliquant le fer et le feu sur vos plaies gangrenées, et
par de braves révolutionnaires qu'ils sauront s'adjoindre au besoin,
un scrutin épuratoire de ce qui reste d'hommes dans la ci-devant
Alsace : on en transplantera une bonne partie dans des lieux où il
faudra qu'ils deviennent français, et on laissera l'autre pour se fran-
ciser avec la colonie qu'on appellera de l'intérieur de la République ».
On croirait, en lisant cette fin, à la folle élucubration d'un cerveau
brûlé. Non. Philibert Simond, un Savoyard, qui fut député à la Con-
vention et périt sur l'échafaud, lut le 17 floréal an II (6 mai 1794),
un rapport dont les conclusions étaient toutes semblables : « Ce
n'est pus assez, disait-il, de placer dans chaque
commune un insti-
tuteur qui cherche à populariser cette langue, on n'atteindrait par là
que partiellement le but; curies élèves, sortis de l'école, oublieront
bien vite ce qu'ils y ont appris ; se trouvant entourés de
parlant l'allemand, personnes
ne que ils préféreront parler leur langage
mater-
LA TERREUR LINGUISTIQUE EN ALSACE 195

nel. Il faut donc aviser aux moyens par lesquels le langage puisse
être favorisé le plus efficacement possible. Le Comité vous propose
dans ce but les mesures suivantes, que vous aurez à soumettre au
Comité de S. P.
1° Que l'on donne aux citoyens de l'intérieur, qui parlent le fran-
çais et qui ont mérité de la patrie, la préférence de l'achat des
biens nationaux, et vice versa, que l'on favorise l'achat de ces biens
de l'intérieur aux citoyens parlant allemand.
2° Que l'on transporte un nombre égal de citoyens parlant le
français de l'intérieur de la République dans les deux départements
du Rhin, de sorte qu'il y aura autant d'habitants parlant le français
que de ceux parlant l'allemand dans les deux départements. Adopté
par la Société » 1.
La Convention ne donna aucune suite à ces propositions. Peut-
être même les ignora-t-elle sur le moment 5 ; mais elles restèrent
dans la mémoire des habitants et servirent à alimenter la haine de
la République.

1. Heitz, o. c, p. 347-348.
2. Le 17 pluviôse an III, Bailly écrit de Strasbourg : " Ce que la Convention ignore,
c'est que, dans le temps où l'on voulait anéantir toutes les grandes communes de la
République, on faisait à Strasbourg la proposition féroce et insensée d'épurer la popu-
lation et d'arracher tous les habitants à leurs foyers, pour les transplanter dans un sol
qui ne les avait pas vus naître » (Aul., Act. du Com. S. P., t. XX, p. 87).
Sorgius parle de ces faits et donne quelques détails intéressants (Die l'olksschulen,
p. 12-13) :
Des commissaires du peuple avec pouvoir discrétionnaire parcourent l'Alsace, souvent
accompagnés de paysans armés que la population appelait " Speckreiter » [?].
Grande était la surprise de ces commissaires en pénétrant en Alsace par la Marche
de Saverne et y rencontrant une population qui ce par la langue, les moeurs et le costume
semblait plus allemande que française. » Pleins de préjugés à l'égard de ces Alsaciens
allemands de langue, ils disaient qu'il fallait changer celle-ci le plus vite possible.
Et c'est alors qu'éclata la lutte pour la langue et la nomination des maîtres, qui
coûta tant de peine aux instituteurs du temps, que l'on déplaçait sans pitié et sans
tolérer de résistance. En un tournemain il fallait que l'Alsace apprit le français.
Il est cependant historiquement prouvé que la lutte pour la suprématie du français
n'était que partiellement provoquée par Paris. Elle était bien plutôt le fait des Repré-
sentants et Commissaires du peuple en mission avec pouvoir discrétionnaire.
Au début, on les avait accueillis avec espoir et joie, complant sur eux pour faire la
paix entre les partis. Mais les citoyens tranquilles se virent bientôt déçus dans leurs
espoirs. Les Commissaires fréquentaient les Assemblées de Jacobins, se trouvaient en
partie sous leur influence et bientôt, dans leurs proclamations, parlèrent le langage des
clubs. Parlait-on l'allemand devant eux, c'était la langue des tyrans; parlait-on des
revers de l'Armée à la frontière, c'était la trahison; blàmait-on les décisions de la
Convention ou des Commissaires, on était traître à la République. A Strasbourg, les
choses allèrent si loin que personne ne voulait accepter et exercer la charge de maire,
qui finit par échoir à un jeune et fougueux Jacobin, Monet, qui ne comprenait pas
l'allemand...
Pour le recrutement de l'armée, on força beaucoup d'instituteurs, les célibataires ou
ceux qui n'avaient pas d'enfant surtout, à quitter leur école pour prendre du service.
Quand le nouveau calendrier fut introduit et que le Decadi remplaça le dimanche,
l'instituteur fut contraint de l'observer avec ses élèves, qui devaient danser autour de
l'arbre de la liberté en chantant : " Saira, Saira... » (Souvenir oral de vieux amis de
l'auteur).
CHAPITRE VI

LES PATOIS ET LA POLITIQUE

REPRÉSENTANTS PATOISANTS. Dentzel avait refusé de joindre les



patois aux idiomes dans son rapport sur les traductions, mais Gré-
goire avait son siège fait, on le savait. Une première fois, à la Con-
vention, à propos d'instruction, le 30 juillet, il était intervenu, nous
l'avons dit. Le 8 pluviôse an II (27 janvier 1794), quand Barère
avait proposé de créer des instituteurs dans les pays où il était
parlé des idiomes étrangers, un membre avait introduit un amende-
ment pour étendre cette mesure, c'est-à-dire, visiblement, pour
s'attaquer aux dialectes. Barère craignit qu'on risquât tout à vouloir
trop faire, et combattit la motion 1. Ce membre, c'était Grégoire.
Si l'Assemblée ne le suivit point, la raison en est, d'après moi, que
la persistance des patois était peut-être un embarras, mais pas un
danger. Elle ne compromettait pas la sûreté de la République. On
pouvait, en les poursuivant, servir l'unité, l'égalité aussi, on ne
sauvait pas la patrie. C'est le point que je voudrais établir.
Il est arrivé à des Représentants en mission ou à des Commissaires
de se servir de la connaissance qu'ils pouvaient avoir des parlers
locaux. C'est le cas de Cassanyès qui savait le catalan. Il en profita
en pleine bataille : « Comme je sais parler leur langage, je m'avan-
çai pour les sommer de se rendre » (les habitants de Thozes) 2.
Un autre jour, c'est Gonchon qui tient une réunion à Lyon
(28 mai 1793) : « Toutes les femmes disaient que j'avais été envoyé
pour protéger les accapareurs. Comme elles tenaient ces propos
en patois lyonnais, je m'écriai sur le même ton et dans le même

1. Voici la réponse de Barère : ce Ce n'est pas qu'il n'existe d'autres idiomes plus
moins grossiers dans d'autres départements ; mais ils ne sont ou
pas exclusifs, mais ils
n'ont pas empêché de connaître la langue nationale. Si elle n'est pas également bien
parlée partout, elle est du moins facilement entenduo Les clubs et les sociétés patrio-
tiques y pourvoiront, '' Le législateur doit voir d'en ».
haut, et ne doit ainsi apercevoir
que les nuances très prononcées, que les différences énormes; il ne doit des instituteurs
de langue qu'au pays qui, habitué exclusivement à un idiome, est, ainsi dire isolé
et séparé de la pour
grande famille ». (Paragraphe ajouté dans le rapport imprimé)
2. Compte-rendu de la mission Cassanyès, p. 23.
LES PATOIS ET LA POLITIQUE 197

patois Bravas citoyenas ! vo ne volli donc pas m'écota? » Elles


: «
furent toutes surprises de m'entendre parler leur patois, et alors
elles demandèrent les premières le silence, en disant toutes :
« Ecotons-le, il a l'air d'un bon infant » 1.

GÊNE OU OBSTACLE?
— Pour plusieurs, c'était assurément une sur-
prise d'entendre jargonner en tant d'endroits. Carnot, en mission
aux Pyrénées (septembre 1792), en fut scandalisé : « Le défaut de
communications, écrit-il, fait que des pays qui se touchent demeu-
rent, pour ainsi dire, étrangers l'un à l'autre ; langage, moeurs, cos-
tumes, tout est différent. Ces séparations entretiennent l'ignorance,
l'égoïsme et l'indifférence pour les affaires générales de la Répu-
blique » (H. Carn., Mém. sur Laz. Carn., I, 280). Le carnet de route
de Goupilleau, envoyé en 1793 dans le Midi, nous dit ses ébahisse-
ments. A Aix déjà, le président de la Société avait annoncé au
peuple, en patois, la présence du Représentant. A Aubagne (le pays
de Domergue !), ce fut pis : « Au club on ne parle pas français, mais
on l'entend ». Naturellement Goupilleau ne pouvait pas se mettre à
l'unisson 2.
Malgré cela, rien dans la correspondance, soit des Représentants,
soit des Commissaires, qui fasse allusion à des difficultés véritables.
Bo parcourt tout le Tarn ; il ne parle pas de la peine qu'il aurait
éprouvée à se faire entendre 3. Voici Chaudron-Rousseau à Céret,
en plein milieu hostile et étranger de langue. Il a harangué les
villages, il note simplement : « Nos discours ont été écoutés avec
attention et docilité » 4. Paganel a visité les communes du Midi, non
seulement des villes comme Lavaur, Castres, Albi, Gaillac, mais
l'Isle d'Albi, Réalmont, Rabastens. Il écrit triomphalement de Tou-
louse (16 pluviôse an II-4 février 1794): « Je m'y attachais encore
à faire aimer la Révolution et la Convention, en opposant le bien
qu'elles ont fait aux Français, et celui qu'elles veulent leur faire
encore, aux maux qui nous sont venus des prêtres et des rois. Je ne
puis vous peindre l'effet prodigieux de ces divers discours ; il fau-
drait en avoir été témoin pour s'en former une juste idée. Si les
Représentants du peuple font quelque bien dans leurs commis-
sions, la principale partie en appartient à ce qu'ils disent au

1. Caron, o. c, I, 485. Gonchon était ouvrier en soie à Paris.


2. Carnet de route publié par Gouve et Giraud, Nîmes, 1905, p. 38 ; cf. p. 42 et 64 :
" A Fontvielle on me fît loger chez des femmes qui n'entendaient pas le français,
mais qui me ccuriblèrent d'honnetetés ».
3. Aul., Act. du Com. S. P., t. XIII, p. 41. Sur Perpignan et les intrigues
nouées dans le pays avec les Espagnols, voir en particulier Id., Ib., t. VIII, p. 684
(24 nov. 1793), t. IX, p. 456 (16 déc. 1793). Il faut du reste se défier de ces textes.
4. 4 messid. an II, Aul., Act. du Com. S. P., t. XIV, p. 463.
198 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

peuple assemblé. Il n'y a pas d'erreur qui résiste à leurs paroles,


point de fanatiseur qui ose parler après eux. Peut-être faudrait-il...
les représentants du peuple ne peuvent pas tout faire,
comme
leur adjoindre des. patriotes dignes de votre confiance et de la
leur, qui eussent l'habitude de parler et celle d'écrire. J'oserai vous
répondre qu'ils préviendront, dans tous les pays qu'ils parcour-
ront, les mouvements et même les inquiétudes populaires, et que
c'est peut-être le meilleur moyen qui existe de préserver la France
des crises contre-révolutionnaires qu'elle a éprouvées l'année der-
nière de tant de côtés » 1. Lequinio, en mission dans la Charente,
mande de son côté : « Je parierais sur ma tète qu'il n'y a ni Vendée
ni Basse-Bretagne que je ne ramenasse à la raison, et je crois fer-
mement que cinq ou six Représentants, connaissant l'esprit de la
campagne comme je le connais, sachant un peu écrire et parler, et
ayant autant de fermeté que de douceur, vaudraient à la France des
armées et lui épargneraient des millions et une multitude d'agita-
tions en la parcourant pour répandre l'esprit philosophique dans les
campagnes. Ce que j'ai dit dans mon arrêté, je l'ai prêché avec bien
plus de développement dans les campagnes au milieu des paysans
qui n'avaient jamais entendu parler que d'oremus, et ils ont fini par
me couvrir.de bénédictions » 2.
Semblable communication avait une valeur particulière, car
Lequinio avait eu l'attention attirée sur le problème des langues
par Grégoire, dont il fut l'un des correspondants. Le 2 juillet 1793,
à propos d'une discussion sur l'éducation publique, il avait marqué
fortement l'importance de la lutte à entreprendre contre les parlers
non français : « Plus vous ferez communiquer les habitants des cam-
pagnes avec ceux des villes, disait-il, et plus vous réussirez à éta-
blir la vraie égalité qui réside dans le coeur de l'homme qui ose
penser, et qui, sans ces utiles communications, s'effacera toujours
devant l'impudence de l'homme riche.
« Vous en retirerez enfin l'avantage de voir s'éteindre sans
peines (sic) les idiomes étrangers que l'on parle
encore dans
quelques coins de la France et la pureté de la langue s'établir
partout où se parlent actuellement des langues qui ne semblent être
que des dépravations de la langue mère » 3. Les faits avaient-ils
donc corrigé son opinion? Parlait-il
comme un homme pour qui
la difficulté n'existe pas,
ou bien était-il en possession de parler

1. Aul., Acl. du Com. S. P., t. X, 693.


p.
2. 1er pluv. an II. De Rochefort. (Aul., Act. du Com. p. 341).
prendra garde toutefois qu'il s'arrangerait aussi, à S. P., t X On
dire,
3. Plan propose le 2 juillet 1793, dans Guill., son c., Convdut. bas-breton
I, p. 547.
0.
LES PATOIS ET LA POLITIQUE 199

le dialecte? On peut faire toutes sortes d'hypothèses. Toujours


est-il qu'il mentionne les conditions auxquelles les propagandistes
devraient satisfaire. Il semble que l'occasion était belle de marquer
quel secours pouvaient apporter des gens possédant le langage du
pays. Il n'en dit rien.
Là où les « vicaires » ont fonctionné, rien non plus dans les rap-
ports qui dise combien leur connaissance des parlers locaux a été
utile : « Le citoyen Lorrain, écrit Couturier, administrateur et cor-
donnier de profession, doit aujourd'hui être à la tète du convoi qui
part avec des cloches de cuivre. C'est un citoyen pauvre, mais dont
le patriotisme est à toute épreuve ; c'est un apôtre de la Révolution
comme il n'y en a point; c'est à lui que le rapide succès de la
régénération que j'ai faite est dû en plus grande partie. Depuis six
semaines il ne m'a pas quitté dans mes tournées. Il faut qu'il ait
une poitrine de fer pour avoir autant prêché et chanté, comme il l'a
fait dans les ci-devant chaires de mensonge, et le tout à la manière
des sans-culottes de campagne »1. Couturier est encore un des Re-
présentants qui se sont occupés à d'autres occasions de la difficulté
des idiomes. Il fait ici un éloge des facultés de Lorrain, de sa foi,
de ses poumons même. Pourquoi ne dit-il rien de sa connaissance
du parler?
Voici qu'on nous signale un honnête courtier, d'un infatigable
dévouement à la République : « Je me suis informé si on en avait
reçu des exemplaires (de la Constitution); je n'ai pas trouvé une
seule personne qui en eût connaissance, si ce n'est, à Bayeux, un
excellent patriote nommé Vautier... Il a écrit au Ministre pour lui
demander un exemplaire de la Constitution, qu'il a reçu bien exacte-
ment, et dont il donne connaissance à tous. Il demande que le Bul-
letin de la Convention lui soit envoyé, qu'il l'affichera tous les jours
dans son étude, qui est très fréquentée » 2. En quelle langue étaient
les commentaires dont Vautier accompagnait ses lectures ? Il semble
qu'il ne vaille pas la peine de s'attacher à ce détail.
Aucune étude sur la propagande, aucune du moins qui me soit
connue, ne vaut celle de H. Labroue sur Lakanal et l'instruction
civique dans la Dordogne 3. Nous y voyons la naissance des Commis-
sions d'instruction sociale, la création des apôtres civiques, chargés
de se rendre dans les chaumières ; nous y trouvons l'analyse du
Journal d'instruction populaire qu'ils portaient avec eux. Les entre-

1. 5 frim. an II, dans Aul., Act. du Com. S. P., t. VIII, p. 694.


2. Caron, o. c. t. II, p. 16-17. Rapport d'Heudier (3 août 1793). Le même propose
un Journal des Décades qui serait envové à toutes les municipalités (Ib., p. 42).
3. La Révol. fr., 1904, t. XLVII, p. 481 et suiv.
200 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

tiens civiques, destinés aux plus humbles, sont invariablement en


français.
Un dernier fait. Roux-Fazillac a entendu un instituteur lire un
jour de décadi, un discours « très propre à éclairer le peuple ». Il
se propose de l'envoyer dans tous les cantons faire la même lecture.
Il spécifie bien qu'il ne s'agit pas des centres, mais des villages :
" c'est le
moyen qu'il faut adopter dans un pays où les habitants
des campagnes, quelquefois même les officiers municipaux, ne savent
pas lire »1. Il veut donc s'adresser aux illettrés et ne propose nulle-
ment de traduire le papier.

LE PATOIS ET LES CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRES. — Même silence sur le


langage quand il s'agit des menées des contre-révolutionnaires et
des « fanatiques ». Nous avons des relations extrêmement détaillées
de la façon dont les choses se passaient. Or, il semble à peu près
établi qu'en Vendée, par exemple, les écrits destinés à entretenir
l'insurrection des « brigands » et à leur amener des recrues n'ont pas
emprunté les formes du parler paysan. La raison primordiale en est
sans doute que des écrits eussent été fort inutiles en n'importe
quelle langue, la masse des révoltés ne sachant pas lire 2. Les appels
se sont donc faits surtout oralement. On entrait dans les maisons,
on racolait; le patois jouait probablement son rôle et un rôle impor-
tant dans ces circonstances, mais nous n'en avons nulle preuve.
Nous possédons un des cantiques que l'on chantait parmi les Ven-
déens, c'est un travestissement de la Marseillaise; une nuit même,
il trompa les Républicains. Il est en français patoisé :

Allons, les armées catholiques,


Le jour de gloëre est arrivé !
Contre nous de la République
L'étendard sanglant est levé !
Entendez-vous, dans ces campagnes,
Les cris impies dos scélérats ?
Gle venant jusque dans vos bras
Prondre vos feilles et vos femmes !
O sainte Vierge Marie
Condis, soutiens nos bras vengeurs !
Contre ine séquelle annemie
Combats avec tes zélateurs!
A nos étendards la victoëre
Est premise de quiau moument

1. Niv. an II, dans Aul., Act. du Com. S. P., t. X, 55 et 109


2. Barère paraît avoir confondu Bretagne et Vendéep.
comme on l'a vu plus haut.
LES PATOIS ET LA POLITIQUE 201

Et le régicide expirant
Voië ten triomphe et notre gloëre !
Aux armes, Poitevins ! Formez vos bataillons !
Marchez ! Le sang des Bleus rougira vos sillons ! 1

Les proclamations des chefs sont en français, les lettres du Roi


également, cela va sans dire.
Nous voyons les insurgés en contact avec des Français, dans des
villes où ils ont pénétré ; ils écorchent la langue commune, la pa-
toisent, mais la parlent : « Je vous en prions... J'avons pitié de votre
âme et il faudra pourtant bien que je vous tuions » 2. Le citoyen
Jacques-Yves Bernard Chiron, Commissaire national près le tribu-
nal du district de Blain, a été pris par les brigands, et avant de
leur échapper, il a causé avec eux longuement. Aucune allusion au
patois. Le parlait-il? 3 Les insurgés crient " Vive le Ré! » mais une
fois pris par les bleus, et amenés devant les tribunaux, ils répondent
aux interrogatoires. Nulle mention d'interprètes dans les procé-
dures 4. La ressemblance des deux langues suffit à expliquer ces faits 5.

ON S'ACCOMMODE DES EMBARRAS LINGUISTIQUES.


— Il en allait de
même un peu partout, même dans le Midi, " C'est principalement
dans les foires que le conspirateur travaille et exploite le mal-
heureux agriculteur, écrit Lanot, parce que c'est là que les trouvant
rassemblés dans les cabarets, des émissaires adroits, revêtus du
costume du pays et souvent même pris et achetés dans la classe
du peuple, parcourent les cabarets, et tout en causant boeufs,
moutons, récoltes, et en continuant des marchés, en maudissant les
assignats, répandent les germes des insurrections... C'est là qu'on
alarme leur imagination, qu'on étouffe leur bon sens, en rappelant
les bons mots du curé, en évoquant les miracles et les diables de
l'enfer, et en ne leur pronostiquant que famine et pillage de leur
récolte, c'est là, en un mot, que les muscadins de campagne se

1. Cantique par l'Abbé Lusson, frère de l'aubergiste de Saint-Fulgent, dans Chassin,


Prép. de la guer. de Vend., t. III, p. 476.
2. Journal du président du tribunal de Cholet, dans Guerr. de Vend. et des Chouans,
Paris, 1824, t. I, p. 84.
3. Compte-rendu au Cn Morillon, Cre de la Convn. Arch. Aff. Etr., Fr., 1409
f° 183 et suiv.
4. Carrier, Lett. du 22 brum. an II, dans Aul., Act. du Com. S. P., t. VIII, p. 376. La
grande proclamation des Représentants, adressée à tout l'Ouest, le 15 frimaire an III,
pour porter à la connaissance des populations le décret du 12, fut imprimée en français
et non traduite (Id., Ib., t. XVIII, p. 536).
5. Des hommes instruits, questionnés, s'y tromperont, '' Le patois de ce pays-ci, dit un
préfet de l'Empire, ne ressemble en rien à un dialecte... C'est un français défiguré et
mal prononcé » (B. N., ms. f., Nouv. Acq., 5912. f° 300). Il est à remarquer que
quand ils
presque tous les Préfets des départements au Nord de la Loire, même
envoient des traductions, ne reconnaissent pas l'existence de dialectes.
202 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

rassemblent et font des portraits abominables de la Convention et


de ses travaux, en y prêtant de l'argent pour faire des emplettes et
promettant protection aux pauvres journaliers » .
en y
1

La scène est sûrement reproduite avec exactitude, chaque trait en


est d'une précision extrême. Or il s'agit des paysans de la Corrèze,
et dans ce département — j'ai pu m'en assurer par moi-même au
cours d'une enquête dialectale — aujourd'hui encore, un certain
nombre de vieilles gens ne parlent pas le français ; c'est donc en
patois qu'on cherchait, en l'an II, à les pousser à la révolte. Aucune
observation ne le marque. La chose ne valait-elle donc pas d'être
mentionnée? C'est que, je pense, elle ne paraissait pas considé-
rable 2.
Dithurbide, en proposant à la Commission des traductions de se
réduire aux idiomes, avait bien fait ressortir la différence entre pays
à idiome et pays à patois, tout en montrant qu'il n'avait qu'une con-
naissance très imparfaite de l'état linguistique général : « Il y a
autant de jargons (30) dans la République; mais je suis convaincu
que la plupart des peuples qui les parlent entendent assez le français
pour se passer de traductions, puisqu'aux Basques et aux Bas-Bre-
tons près, ce ne sont que des corruptions du français » 3. Là est
sans doute la vérité.
Ce qui précède ne va pas à dire que brusquement la lumière
s'était faite dans les cerveaux. Je ne veux rien exagérer. Révolution-
naires et contre-révolutionnaires continuaient d'appeler à l'occasion
les patois à la rescousse.
Nous savons qu'en mai et juillet 1793, une délégation de propa-
gande fédéraliste quitta Marseille 4, envoyée par le Comité des
Sections, avec le dessein d'évangéliser la région d'Arles. Les haran-
gueurs se servirent parfois du français — rarement; à St-Chamas, à
Salon, ils usèrent du provençal. A Aix même, la délégation fut
accueillie par une harangue en provençal 5.
A la société de Dunes-en-Condomois, comme divers sociétaires
ignoraient le français, employé sans doute d'ordinaire dans les
séances, on désigna six citoyens pour traduire en idiome du pays la

1. De Tulle, 23 niv. an II, dans Aul., Act. du Com. S. P.. t. X, 209.


p.
2. Même dans les Pyrénées-Orientales, dont l'esprit était particulièrement mauvais,
les Représentants, qui le signalent très vivement, s'en prennent pas au parler catalan.
ne
Cependant, sur cette frontière comme sur d'autres, le parler des habitants était aussi
celui de voisins en guerre avec la France, il y avait de nombreux Catalans dans
l' armée hispano-portugaise qui fut vaincue
car
au Boulou
3. Arch. N., AA. 32, doss. 2.
4. La propagande fédéraliste dans les Bouehes-du-Rhône, dans
Annal. Rév., juil. 1909,
p. 394 et suiv. ; cf. p. 402. Voir Brun, Mém. ms.
3. Guibal, Le mouv. fédér. en Prov.,
p. 89 ; cf. Brun, Mém. ms.
LES PATOIS ET LA POLITIQUE 203

Constitution révolutionnaire, ainsi que les décrets et les nouvelles 1.


Toutes les Sociétés dont nous avons parlé continuaient à être
bilingues. Néanmoins, même dans celles où on parlait le plus ordi-
nairement patois, le français avait pénétré, et les réunions y accou-
tumaient les oreilles, les yeux et les esprits. On ne pouvait pas
traduire intégralement la foule d'écrits et d'imprimés dont la
lecture et la discussion emplissaient les séances. Barère disait juste
quand il proclamait le principe que les Clubs, les Sociétés patrio-
tiques étaient des écoles primaires pour la langue et la liberté. Et
elles avaient pour élèves non seulement leurs membres, mais tous
les citoyens. On tendait l'oreille, on « s'arrangeait ». Les mots
difficiles et nouveaux étaient, à tout prendre, aussi obscurs pour un
francisant que pour un patoisant. Maximum ne disait pas plus à l'un
qu'à l'autre. Il dut, tout comme réquisition et tant d'autres, être
enseigné par la méthode directe et la leçon de choses.

1. Bigourdan, Soc. popul. de Dunes, dans El. et Doc., fasc. VIII, p. 62.
CHAPITRE VII

L'INTERVENTION DE GRÉGOIRE

LERAPPORT DU 16 PRAIRIAL. Malgré tout, Grégoire avait son siège



fait, et il n'était pas homme à se laisser rebuter par les fins de non
recevoir de Barère et des autres. Il avait longtemps étudié la ques-
tion, pris ses informations, et réfléchi. La destruction des patois lui
paraissait, sinon chose de salut public, du moins chose nécessaire
dans l'intérêt de la nation et de la République, et aussi dans l'intérêt
de l'Église, dont il entendait, ainsi que nous le verrons, franciser la
liturgie, espérant lui redonner par là une action plus forte que
jamais sur les âmes.
Si en effet un ou deux, parmi ses nombreux correspondants,
estimaient qu'il ne valait guère la peine de faire la guerre aux patois,
si même certains exprimaient la crainte qu'en les détruisant on ne
fit tort aux moeurs et à la religion, presque tous au contraire pro-
clamaient que leur disparition serait un immense bienfait. On ne lui
cachait point que l'entreprise était chanceuse. Il n'y a, en pays
wallon, lui écrivait-on, ni cour, ni foyers de civilisation purement
française, ni sociétés littéraires; les habitants s'occupent peu de
questions d'art, où la langue importe, et le français est pour eux
trop surchargé de règles. Du reste, le wallon est très riche, très
énergique et très doux. De Provence, nous l'avons vu, un « félibre »
avant la lettre lui répondait : '' Pour détruire le patois, il faudrait
détruire le soleil, la fraîcheur des nuits, le genre d'aliments, la
qualité des eaux, l'homme tout entier ».
La variété des moyens proposés pour réussir devait aussi lui
donner à réfléchir; la plupart n'étaient ni d'un emploi facile ni d'un
effet immédiat. La persuasion seule, signalait-on, serait efficace; des
lois brutales échoueraient. La Société des Amis de la Constitution
de Limoges observait avec clairvoyance
que « pour le changer [le
langage] il n'y a que la voie de la persuasion et la voie des
moyens
indirects » (Lett. à Grég., p. 171). Il fallait,
pour triompher de
vieilles habitudes, transformer les usages du clergé, interdire prônes,
L'INTERVENTION DE GRÉGOIRE 205

exercices, catéchismes en patois, exclure en même temps les patois


des tribunaux et des actes civils; mais, à ces mesures pour ainsi
dire négatives, il était nécessaire d'en ajouter d'autres, positives,
telles que la multiplication, par tous les moyens, des voies de com-
munication et des rapports des villageois avec les centres plus
instruits. Il convenait surtout de compter sur un plan d'éducation
bien organisé, appliqué par des instituteurs purement français, qui
disposeraient de bons manuels élémentaires, et répandraient dans
les campagnes des livres écrits dans la langue commune, traitant
d'agriculture, de commerce, de religion, faisant aussi connaître la
constitution et les lois.
Le 9 prairial an II (28 mai 1794), le Comité d'Instruction publique
entendit le rapport de Grégoire « sur les idiomes et patois répandus
dans les différentes contrées de la République ». Après cette
lecture, le Comité décida qu'il y joindrait un projet de décret. Le
11, Grégoire fut autorisé à conférer avec le Comité de Salut public.
Le 16 (6 juin), le rapport fut lu à la Convention 1. Il aurait de quoi
étonner, à cette date, et en pareil lieu, si on ne savait, comme le dit
Grégoire lui-même, qu' « au milieu des orages politiques (la Conven-
tion), tout en tenant d'une main sûre le gouvernail de l'Etat, prou-
vait que rien de ce qui intéresse la gloire de la nation ne lui est
étranger » 2.
Grégoire a fait deux parties distinctes de sa harangue. La seconde,
où il examine les moyens de révolutionner la langue, sera étudiée
ailleurs. La première est consacrée à montrer qu'il faut " l'uni-
former ». Grégoire, qui a lu Rivarol, peut-être même Charpentier,
commence par constater que la langue française est, de l'assenti-
ment de tous les peuples, devenue '' classique » en Europe 3.
" Si notre idiome a reçu un tel accueil des tyrans et des cours,

1. Guill., o. c, Conv., t. IV, p. 487.


2. On en trouvera le texte in extenso dans le Moniteur, t. XX, p. 643. Cf. La
Révol. fr., t. II, p. 649. L'édition originale se trouve au Mus. pédagogique, n° 11646,
et dans le Recueil des pièces mss. réunies par Grégoire, que j'ai si souvent cité.
3. " La langue française a conquis l'estime de l'Europe et depuis un siècle elle y est
classique. Mon but n'est point d'assigner les causes qui lui ont assuré cette préroga-
tive ; il y a dix ans qu'au fond de l'Allemagne (à Berlin) on discuta savamment cette
question, qui, suivant l'expression d'un écrivain, eût flatté l'orgueil de Rome, empressée
à la consacrer dans son histoire comme une de ses belles époques. On connaît les
tentatives de la politique romaine pour universaliser sa langue ; elle défendait d'en
employer d'autres pour haranguer les ambassadeurs étrangers, pour négocier avec eux,
et, malgré ses efforts, elle n'obtint qu'imparfaitement ce qu'un assentiment libre accorde
à la langue française. On sait qu'en 1774 elle servit à rédiger le traité entre les Turcs
et les Russes ; depuis la paix de Nimégue elle a été prostituée pour ainsi dire aux
intrigues des cabinets de l'Europe, parce que dans sa marche éclairée et méthodique, la
pensée s'exprime facilement, ce qui lui donne un caractère de raison, de probité, que
les fourbes eux-mêmes trouvent plus propre à les garantir des fourberies diplo-
matiques ».
206 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

monarchique donnait des théâtres, des pompons, des


à qui la France
modes et des manières, quel accueil ne doit-il pas se promettre de la
des peuples à qui la France républicaine révèle leurs droits
part
en leur ouvrant la route de la liberté ?
Mais cet idiome, admis dans les transactions politiques, usité
«
dans plusieurs villes de l'Allemagne, de l'Italie, des Pays-Bas, dans
partie du pays de Liège, de Luxembourg, de la Suisse, même
une
dans le Canada et sur les bords du Mississipi, par quelle fatalité
est-il encore ignoré d'une très grande partie des Français? »
Grégoire donne une brève étude sur les diverses influences qui
ont fait disparaître le celtique primitif, invasions, domination
romaine, et qui ont contribué à la formation des dialectes : La
féodalité, qui morcela la France, « y conserva soigneusement cette
disparité d'idiomes comme un moyen de reconnaître, de ressaisir les
serfs fugitifs et de river leurs chaînes ».
" II n'y
a environ que quinze départements de l'intérieur où la
langue française soit exclusivement parlée; encore y éprouve-t-elle
des altérations sensibles, soit dans la prononciation des mots, soit
par l'emploi de termes impropres et surannés, surtout vers San-
cerre, où l'on retrouve une partie des expressions de Rabelais, Amyot
et Montaigne.
«
Nous n'avons plus de provinces, et nous avons encore environ
trente patois qui en rappellent les noms » 1.
Plusieurs de ces dialectes, à la vérité, sont génétiquement les
mêmes; ils ont un fonds de physionomie ressemblante, et seulement
quelques traits métis tellement nuancés que les divers faubourgs
d'une commune, telle que Salins et Commune Affranchie, offrent
des variantes.
Cette disparité s'est conservée d'une manière plus tranchante
dans des villages situés sur les bords opposés d'une rivière, où, à
défaut de pont, les communications étaient autrefois plus rares. Le
passage de Strasbourg à Brest est actuellement plus facile que ne
l'étaient jadis des courses de vingt lieues, et l'on cite encore vers
Saint-Claude, dans le département du Jura, des testaments faits

1. " Peut-être n'est-il pas inutile d'en faire rémunération : le bas-breton, le


normand, le picard, le rouchi ou wallon, le flamand, le champenois, le messin, le
lorrain, le franc-comtois, le bourguignon, le bressan, le lyonnais, le dauphinois,
l'auvergnat, le poitevin, le limousin, le picard, le provençal, le languedocien, le
vélayen, le catalan, le béarnais, le basque, le rouergat et le
parle sur une surface de 10 lieues en tout sens. Au nombre des gascon ; ce dernier seul est
patois, ajoute Grégoire,
je puis encore placer l'italien de la Corse, des Alpes-Maritimes, et l'allemand des
Haut et Bas-Rhin, parce que ces deux idiomes sont très-dégénérés ". Il termine
y
par une allusion au parler des nègres de nos colonies. On voit que l'auteur s'attaque
en réalité aux idiomes sous prétexte qu'ils sont dialectaux.
L'INTERVENTION DE GRÉGOIRE 207

(est-il dit) à la veille d'un grand voyage; car il s'agissait d'aller à


Besançon, qui était la capitale de la province.
« On peut assurer sans exagération qu'au moins six millions de
Français, surtout dans les campagnes, ignorent la langue nationale;
qu'un nombre égal est à peu près incapable de soutenir une conver-
sation suivie; qu'en dernier résultat, le nombre de ceux qui la
parlent purement n'excède pas trois millions, et probablement le
nombre de ceux qui l'écrivent correctement est encore moindre.
«
Ainsi, avec trente patois différents, nous sommes encore pour
le langage à la tour de Babel, tandis que, pour la liberté, nous for-
mons l'avant-garde des nations... L'état politique du globe bannit
l'espérance de ramener les peuples à une langue commune... une
langue universelle est, dans son genre, ce que la pierre philoso-
phale est en chimie.
«
Mais au moins on peut uniformer la langue d'une grande nation
de manière que tous les citoyens qui la composent puissent sans
obstacle se communiquer leurs pensées. Cette entreprise, qui ne fut
pleinement exécutée chez aucun peuple, est digne du peuple fran-
çais, qui centralise toutes les branches de l'organisation sociale, et
qui doit être jaloux de consacrer au plutôt, dans une République
une et indivisible, l'usage unique et invariable de la langue de la
liberté.
« Sur le rapport
de son Comité de salut public, la Convention
nationale décréta, le 8 pluviôse, qu'il serait établi des instituteurs
pour enseigner notre langue dans les départements où elle est le
moins connue. Cette mesure, très-salutaire, mais qui ne s'étend
pas à tous ceux où l'on parle patois, doit être secondée par le zèle
des citoyens. La voix douce de la persuasion peut accélérer l'époque
où ces idiomes féodaux auront disparu. Un des moyens les plus
efficaces peut-être pour électriser les citoyens, c'est de leur prouver
que la connaissance et l'usage de la langue nationale importent à la
conservation de la liberté. Aux vrais républicains, il suffit de
montrer le bien, on est dispensé de le leur commander.
« La
résurrection de la France s'est opérée d'une manière impo-
sante; elle se soutient avec majesté; mais le retour d'un peuple à
la liberté ne peut en consolider l'existence que par les moeurs et
les lumières. Avouons qu'il nous reste beaucoup à faire à cet égard.
" Tous les membres du souverain sont admissibles à toutes les
places; il est à désirer que tous puissent successivement les remplir,
et retourner à leurs professions agricoles ou mécaniques. Cet état
de choses nous présente l'alternative suivante : si ces places sont
occupées par des hommes incapables de s'énoncer, d'écrire dans la
208 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

langue nationale, les droits des citoyens seront-ils bien garantis


des actes dont la rédaction présentera l'impropriété des termes,
par
l'imprécision des idées, en un mot tous les symptômes de l'igno-
rance? Si au contraire cette ignorance exclut des places, bientôt
renaîtra cette aristocratie qui jadis employait le patois pour montrer
son affabilité protectrice à ceux qu'on appelait insolemment les
petites gens. Bientôt la société sera réinfectée de gens comme il faut;
la liberté des suffrages sera restreinte, les cabales seront plus faciles
à nouer, plus difficiles à rompre, et, par le fait, entre deux classes
séparées s'établira une sorte de hiérarchie. Ainsi l'ignorance de la
langue compromettrait le bonheur social ou détruirait l'égalité ».
Il ne faut pas que, par ignorance, comme cela se vit, le peuple
aille prendre un décret pour un « décret de prise de corps ».
« Proposerez-vous
de suppléer à cette ignorance par des traduc-
tions ? Alors vous multipliez les dépenses, en compliquant les
rouages politiques, vous en ralentissez le mouvement : ajoutons que
la majeure partie des dialectes vulgaires résistent à la traduction ou
n'en permettent que d'infidèles 1. Si dans notre langue la partie poli-
tique est à peine créée, que peut-elle être dans des idiomes dont
les uns abondent à la vérité, en expressions sentimentales pour
peindre les douces effusions du coeur, mais sont absolument dénués
de termes relatifs à la politique; les autres sont des jargons lourds
et grossiers, sans syntaxe déterminée, parce que la langue est tou-
jours la mesure du génie d'un peuple ; les mots ne croissent qu'avec
la progression des idées et des besoins. Leibnitz avait raison. Les
mots sont les lettres de change de l'entendement ; si donc il
acquiert de nouvelles idées, il lui faut des termes nouveaux, sans
quoi l'équilibre serait rompu. Plutôt que d'abandonner cette fabri-
cation aux caprices de l'ignorance, il vaut mieux certainement lui
donner votre langue ; d'ailleurs l'homme des campagnes, peu accou-
tumé à généraliser ses idées, manquera toujours de termes abstraits ;
et cette inévitable pauvreté de langage, qui resserre l'esprit, muti-
lera vos adresses et vos décrets, si même elle ne les rend intradui-
sibles.
« Cette disparité de dialectes a souvent contrarié les opérations
de vos Commissaires dans les départements. Ceux qui
se trouvaient
aux Pyrénées-Orientales (sic) en octobre 1792 vous écrivirent que,
chez les Basques, peuple doux et brave, un grand nombre était
acces-
sible au fanatisme, parce que l'idiome est un obstacle à la
propaga-
tion des lumières. La même chose est arrivée dans d'autres dépar-

1. Dans le texte : promettent.


L'INTERVENTION DE GRÉGOIRE 209

tements, où des scélérats fondaient sur l'ignorance de notre langue


le succès de leurs machinations contre-révolutionnaires.
« C'est surtout vers nos frontières que les dialectes, communs aux
peuples des limites opposées, établissent avec nos ennemis des rela-
tions dangereuses, tandis que dans l'étendue de la République,
tant de jargons sont autant de barrières qui gênent les mouvements
du commerce et atténuent les relations sociales. Par l'influence res-
pective des moeurs sur le langage, du langage sur les moeurs, ils
empêchent l'amalgame politique, et d'un seul peuple en font trente.
Cette observation acquiert un grand poids, si l'on considère que,
faute de s'entendre, tant d'hommes se sont égorgés et que souvent
les querelles sanguinaires des nations, comme les querelles ridicules
des scholastiques, n'ont été que de véritables logomachies. Il faut
donc que l'unité de langue entre les enfants de la même famille
éteigne les restes des préventions résultantes des anciennes divi-
sions provinciales, et resserre les liens d'amitié qui doivent unir des
frères...
« Toutes les erreurs se tiennent comme toutes les vérités... C'est
surtout l'ignorance de l'idiome national qui tient tant d'individus à
une si grande distance de la vérité ; cependant, si vous ne les mettez
en communication directe avec les hommes et les livres, leurs
erreurs, accumulées, enracinées depuis des siècles, seront indes-
tructibles.
« Pour perfectionner l'agriculture et toutes les branches de
l'économie rurale, si arriérées chez nous, la connaissance de la langue
nationale est également indispensable... les livres les plus usuels
sont souvent inintelligibles pour les citoyens des campagnes...
« Il faut donc, en
révolutionnant les arts, uniformer leur idiome
technique; il faut que les connaissances disséminées éclairent toute
la surface du territoire français, semblables à ces réverbères qui,
sagement distribués dans toutes les parties d'une cité, y répar-
tissent la lumière. Un poète a dit :
Peut-être qu'un Lycurgue, un Cicéron sauvage,
Est chantre de paroisse ou maire de village.

« Les développements du génie attesteront cette vérité ».


Mais il y a des objections à ce plan d'unification. Les méridionaux
quitteront-ils facilement leur dialecte, qui est une véritable et belle
langue ? A cela, Grégoire répond que ni d'Astros ni Goudouli ne
sont comparables à Pascal, Fénelon et Jean-Jacques ; que d'ailleurs
les habitants du Midi, qui ont abjuré le fédéralisme politique,
« combattront avec la même
énergie celui des idiomes ».
Histoire de la langue française. IX. 14
210 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Ces idiomes resteront domaine d'étude, et, à ce sujet, l'orateur


s'élève à la conception de la grammaire générale et d'une philoso-
phie de la linguistique : « La filiation des termes conduit à celle des
idées... L'histoire étymologique des langues, dit le célèbre Sulzer,
serait la meilleure histoire des progrès de l'esprit humain. Déjà la
Commission des arts, dans son instruction, a recommandé de
recueillir ces monuments imprimés ou manuscrits ; il faut chercher
des perles jusque dans le fumier d'Ennius »'. En outre, dans le
provençal en particulier, l'on pourra puiser peut-être des « expres-
sions enflammées, des tours naïfs qui nous manquent ».
La seconde objection, la plus grave, est la crainte de voir les
moeurs s'altérer dans les campagnes, que leurs patois mêmes fer-
ment à l'invasion du mal.
« L'objection eût été
insoluble sous le règne du despotisme. Dans
une monarchie, le scandale des palais insulte à la misère des
cabanes... De là cette multitude de femmes de chambre, de valets
de chambre, de laquais, qui reportaient ensuite dans leurs hameaux
des manières moins gauches, un langage moins rustre, mais une
dépravation contagieuse qui gangrenait les villages. De tous les
individus qui, après avoir habité les villes, retournaient sous le toit
paternel, il n'y avait guères de bons que les vieux soldats...
« La forme nouvelle de notre gouvernement et l'austérité de nos
principes repoussent toute parité entre l'ancien et le nouvel état de
choses. La population refluera dans les campagnes, et les grandes
communes ne seront plus des foyers putrides d'où sans cesse la fai-
néantise et l'opulence exhalaient le crime. C'est là surtout que les
ressorts moraux doivent avoir le plus d'élasticité. Des moeurs sans !

elles point de République, et sans République point de moeurs.


« Tout ce qu'on vient de dire appelle la conclusion, que pour
extirper tous les préjugés, développer toutes les vérités, tous les
talents, toutes les vertus, fondre tous les citoyens dans la masse
nationale, simplifier le méchanisme (sic) et faciliter le jeu de la
machine politique, il faut identité de langage... l'unité d'idiome est
une partie intégrante de la révolution, et, dès lors, plus on m'opposera
de difficultés, plus on me prouvera la nécessité d'opposer des
moyens pour les combattre. Dût-on n'obtenir qu'un demi-succès,
mieux vaudrait encore faire un peu de bien que de n'en point faire
».
Du reste, l'usage des patois tend déjà de lui-même à décliner
:
« Il y a cinquante ans que, dans la Bibliothèque des auteurs de Bour-

1 Le phys.cien J -B. Leroy, dans une lettre publiée Gazier, attirait l'attention
de Grégoire sur 1 utilité des patois pour les recherches par
sur la langue nationale, et rap-
pelait qu' il avait donne à Sainte-Palayc le conseil de les étudier (Lett. à Grég p. 323)
L'INTERVENTION DE GRÉGOIRE 211

gogne, Papillon disait, en parlant des Noël de La Monnoie : « Ils


conserveront le souvenir d'un idiome qui commence à se perdre
comme la plupart des autres patois de la France ».
Le français se répandra de diverses façons : « Déjà la révolution
a fait passer un certain nombre de mots français dans tous les dépar-
tements, où ils sont presque universellement connus, et la nouvelle
distribution du territoire a établi de nouveaux rapports qui contri-
buent à propager la langue nationale.
« La suppression de la dîme, de la féodalité, du droit coutumier,
l'établissement du nouveau système dès poids et mesures, entraînent
l'anéantissement d'une multitude de termes qui n'étaient que d'un
usage local...
« En général, dans nos bataillons, on parle français, et cette masse
de républicains qui en aura contracté l'usage le répandra dans ses
foyers. Par l'effet de la révolution, beaucoup de ci-devant citadins
iront cultiver leurs terres. Il y aura plus d'aisance dans les cam-
pagnes ; on ouvrira des canaux et des routes ; on prendra, pour la
première fois, des mesures efficaces pour améliorer les chemins
vicinaux ; les fêtes nationales, en continuant à détruire les tripots,
les jeux de hasard, qui ont désolé tant de familles, donneront au
peuple des plaisirs dignes de lui : l'action combinée de ces opéra-
tions, diverses doit tourner au profit de la langue française ».
Les moyens moraux ne doivent pas être négligés. On avait
ordonné des traductions. « Le tyran n'eut garde de faire une chose
qu'il croyait utile à la liberté... Cependant j'observerai que, si cette
traduction est utile, il est un terme où cette mesure doit cesser, car
ce serait prolonger l'existence des dialectes que nous voulons pros-
crire, et, s'il faut encore en faire usage, que ce soit pour exhorter le
peuple à les abandonner ». Qu'on distribue avec « profusion, dans
les campagnes surtout, non de gros livres, — communément ils épou-
vantent — mais une foule d'opuscules patriotiques qui contiendront
des notions simples et lumineuses ». Opuscules relatifs à la politi-
que, à l'histoire naturelle, à la météorologie, d'une application
immédiate, à la physique élémentaire (en passant, Grégoire insiste
sur la nécessité « d'uniformer » les nomenclatures; nous y revien-
drons), bulletins, journaux, et jusqu'aux chansons seront efficaces
pour la réforme voulue, pourvu qu'elles soient choisies et semblables
à celles où Lavater a célébré la république helvétique. Au théâtre,
plus de patois ! Qu'on n'objecte pas Plaute avec son latin barbare
d'Ausonie, qu'on n'imite pas, chez les modernes, Goldoni, produi-
sant sur la scène des marchands vénitiens et le jargon bergamasque
de Brighella ! « Sous un despote, Dufresny, Dancourt pouvaient
212 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

impunément amener sur le théâtre des acteurs qui, en parlant un


demi patois, excitaient le rire ou la pitié : toutes les convenances
doivent actuellement proscrire ce ton... Je voudrais que toutes les
municipalités admissent dans leurs discussions l'usage exclusif du
français ; je voudrais qu'une police sage fit rectifier cette foule d'en-
seignes qui outragent la grammaire et fournissent aux étrangers
l'occasion d'aiguiser l'épigramme ; je voudrais qu'un plan systémati-
que répudiât les dénominations absurdes des places, rues, quais, et
autres lieux publics... Quelques sociétés populaires du Midi discu-
tent en provençal... Eh! pourquoi la Convention ne ferait-elle pas
aux citoyens l'invitation civique de renoncer à ces dialectes et de
s'énoncer constamment en français?...
« Encourageons tout ce qui peut être avantageux à la Patrie ;
que dès ce moment l'idiôme de la liberté soit à l'ordre du jour...
Quelques locutions bâtardes, quelques idiotismes prolongeront
encore leur existence dans le canton... Les citoyens de Saintes
iront encore voir leur « borderie » ; ceux de Blois leur « closerie »,
et ceux de Paris leur « métairie ». Vers Bordeaux, on défrichera
des " landes » ; vers Nîmes, des « garrigues ». Mais enfin les vraies
dénominations prévaudront... Les accents feront une plus longue
résistance... A la Convention Nationale on retrouve les inflexions et
les accents de toute la France... L'organisation, nous dit-on, y
contribue... c'est plutôt à l'habitude qu'à la nature qu'il faut en
demander la raison... L'accent n'est pas plus irréformable que les
mots ».
Il y avait un autre moyen d'action, le vrai ; ouvrir des écoles.
Grégoire le savait mieux que personne. Le cri de ses correspondants
était unanime : un enseignement sérieux, de bons instituteurs! En-
voyer les enfants à l'école (Languedoc) ; faire des ouvrages élémen-
taires, choisir des maîtres qui sachent le français (Mézin, par Nérac)
organiser un plan d'éducation (Limagne) ; distribuer des prix à l'oc-
casion des fêtes pour des exercices en français pur ou de bonnes
lectures (Jura); n'admettre pour instituteurs que des hommes igno-
rants du patois local (Salins) ; faire des leçons quotidiennes aux
enfants, hebdomadaires aux adultes (Mâconnais) ; nommer de bons
maîtres, rédiger une grammaire courte et claire (St-Omer); prendre
des maîtres d'école en règle (Berry) ; avoir des instituteurs
lant que le pur français (Poitou). ne par-
On trouvera tous les textes dans le volume publié Gazier. En
par
voici un qui n'a pas été imprimé, et qui en vaut la peine. C'est
lettre adressée par Virchaux à Grégoire, le 5 décembre 1790 une
: « Un
des plus grands bienfaits que puisse accorder l'Assemblée
nationale
L'INTERVENTION DE GRÉGOIRE 213

aux habitants de la campagne, c'est de les encourager à oublier toute


espèce de patois, comme le plus grand obstacle à leur instruction.
Qu'ils jabottent le françois, tant bien que mal, dans les commence-
ments, ils l'apprendront enfin de leurs enfans, moyennant que vous
leur ôtiez leurs maîtres et maîtresses d'école, si ceux-ci ne le parlent
[ni] ne l'écrivent correctement, en les remplaçant par d'autres, qui
auront subi un rigoureux examen au Comité d'Education national...
« Je crois donc, Monsieur, que l'auguste aéropage doit décré-
ter que la première instruction ne se fera qu'en françois et gramma-
ticalement, dans toute l'étendue du royaume, qu'il n'y aura non plus
qu'une seule méthode pour apprendre à épeler et à lire aux enfans,
et une seule orthographe. Comme cette belle langue est digne d'en-
terrer toutes les autres, on ne peut trop la purifier de ce qu'elle a
de deffectueux et la rendre par là riche et élégante » (Lett. à Grég.,
ms., p. 161).
Les autres moyens paraissent accessoires : prônes en français
(Mont-de-Marsan) ; ou en deux langues (Lett. de Chabot) ; diffusion
de journaux, un par décade suffiroit pour cet effet en une seule
année. Chaque commune serait obligée de souscrire pour un ou deux
exemplaires (Hennebert, Lett. de St-Omer, 19 frim. an III, Lett. à
Grég., ms., p. 515); chansons patriotiques (Lett. de Chaudon,
1794, Lett. à Grég., p. 124) ; instructions sur les lois principales
(Ib.) ; composition concertée entre l'évêque et les corps adminis-
tratifs, ensuite « distribution de catéchismes élémentaires, com-
posés de trois parties distinctes, savoir : le dogme, la morale et la
Constitution » (Maringues, Ib., p. 164, n° 30).
Il paraît étrange que, dans ces conditions, Grégoire, membre
influent du Comité d'Instruction publique, n'ait pas insisté sur le
rôle de l'école, qu'il avait indiqué précédemment, et qu'il n'y fasse
qu'une allusion en passant.
C'est très probablement qu'il songe, non aux enfants, mais aux
adultes, qui n'iront plus s'asseoir sur les bancs des écoles, si on en
crée. Il voudrait des sanctions pour les réfractaires ; celle qu'il
imagina était singulière : « Dans certains cantons de la Suisse,
dit-il, celui qui veut se marier doit préalablement justifier qu'il a
son habit militaire, son fusil et son sabre: en consacrant chez nous
cet usage, pourquoi les futurs époux ne seraient-ils pas soumis à
prouver qu'ils savent lire, écrire et parler la langue nationale?»
Il y a, dans ce rapport, de la déclamation et des outrances. Aucun
écrit de l'époque, aucun discours surtout, n'en est exempt. Mais on
conviendra que c'est l'oeuvre d'un homme qui avait examiné le pro-
blème sous toutes ses faces, et qui présente un programme raisonné.
214 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Bien des idées utopiques se mêlent à ses propositions, bien des


à observations. Pour moi, je suis surtout frappé de voir
erreurs ses
comment il avait su profiter des renseignements qui lui avaient été
fournis, et avec quelle pénétration il détermine les faits qui sont de
nature à agir sur le langage. On peut lui reprocher des abus d'éru-
dition qui donnent à son exposé un air de pédanterie, l'alourdissent,
lui ôtent de sa valeur polémique. Mais ce jour-là Grégoire ensei-
gnait. Il avait, même dans la Convention, des préjugés à vaincre,
une conviction à faire naître. Barère avait surtout parlé politique,
lui ne touche qu'en passant à ce sujet. Il insiste sur l'unité morale
de la nation. Or, l'idée que la question du langage n'était pas sans
rapports avec les plus hautes questions de la vie nationale, n'avait
jamais été exposée ; on s'explique que Grégoire se soit complu à
certains développements.
Sa conclusion est extrêmement mesurée. Rien dans ce qu'il con-
seille ne ressemble à de la contrainte. Avait-il — tout en approuvant
le décret du 8 pluviôse
— le soupçon que des mesures violentes
étaient destinées à rester inefficaces? Je n'oserais l'affirmer. En tout
cas, lui, ne suggère rien d'analogue. Il compte sur les bonnes
volontés, il croit à l'influence des idées nouvelles. Peut-on lui
reprocher de s'être fait illusion sur le patriotisme et sa puissance ?
Si les maîtres d'alors avaient tous ressemblé à ce saint schisma-
tique, dont la bonté passait encore le courage, la République eût
été bientôt, et dans sa langue, couverte universellement de béné-
dictions.
CHAPITRE VIII

CONCLUSION BÉNIGNE

— Après avoir entendu Grégoire, la Con-


ADRESSE AUX FRANÇAIS.
vention se borna à des mesures bien anodines ; mais ce sont celles-
là même qui avaient été demandées 1. Elle chargea le Comité
d'Instruction publique de présenter un rapport sur les moyens
d'exécution pour une nouvelle grammaire et un vocabulaire nouveau
de la langue française. Elle mit « l'idiome de la liberté à l'ordre du
jour ». Une adresse aux Français fut adoptée. Elle a été imprimée
à l'Imprimerie Nationale et porte la date du 16 prairial. Elle est
signée de Prieur (de la Côte d'Or), président, Carrier, Isoré, Paga-
nel, Lesage-Senault, Francastel, Bernard (de Saintes), secrétaires
(7 pages).
Il est inutile de la résumer longuement. On peut deviner les idées
qui l'inspirent, les termes mêmes dans lesquels elle est rédigée :
Vous détestez le fédéralisme politique; abjurez celui du langage;
la langue doit être une comme la République... Dans toute l'étendue
du territoire français, il faut que les discours comme les coeurs
soient à l'unisson...
Les dialectes « sont le dernier anneau de la chaîne que la tyrannie
vous avait imposée ».
« Comment pouvez-vous statuer sur l'acceptation des lois, les
aimer, leur obéir, si la langue dans laquelle elles sont écrites vous
est inconnue?... Proposer de la traduire, ce seroit pour vous un
surcroit de dépenses ; ce seroit rallentir la marche du gouvernement ;
d'ailleurs la plupart des patois ont une indigence de mots qui ne
comporte que des traductions infidèles.
« Si la langue française ne vous est pas familière, ou vous rem-
plirez mal les fonctions auxquelles vous appelleront vos concitoyens...
ou votre ignorance connue éloignera de vous les suffrages; alors
les places seront constamment réparties entre un petit nombre de
personnes, l'autorité se concentrera dans leurs mains... bientôt ils
1. Duvergier, o. c, t. VII, p. 186.
216 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

vous considéreroient comme une classe subordonnée, et l' aristo-


cratie ressuscitée anéantiroit l'égalité ».
Vous ne pourrez tirer aucun fruit des ouvrages utiles, qui
«
répandent les lumières ».
« Un peuple ignorant ne sera jamais un peuple libre, ou ne le
sera pas longtemps ».
« Qu'une sainte
émulation vous anime pour bannir ces jargons
qui sont encore des lambeaux de la féodalité et des monumens de
l'esclavage... Le bon exemple que montreront les pères de famille
et les vieillards sera un titre de plus pour mériter vos respects ».
'' Vous n'avez que des sentiments républicains, la langue de la
liberté doit seule les exprimer, seule elle doit vous servir d'inter-
prète dans les relations sociales, dans l'intimité des familles, dans
toutes les circonstances de la vie... La patrie vous tiendra compte
de vos efforts; quand elle se borne à une simple invitation, votre
amour pour elle doit la convertir en décret » 1.

1. Cf. Guill., o. c, Conv., t. IV, p. 497. Le Comité d'Instruction publique décida


le 15 messidor (3 juil.), que le Rapport de Grégoire et l'Adresse seraient tirés au
même nombre que les Annales du Civisme (Id., ib., t. IV, p. 738).
LIVRE IV
EFFETS DU DÉCRET DU 8 PLUVIÔSE

CHAPITRE PREMIER

IMPRESSION CAUSÉE

— Les approbations de principe ne firent pas défaut.


APPROBATIONS.
A la Convention, Michel-Edme Petit, si sceptique à l'égard des plans
utopiques d'instruction publique et qui attaqua aussi bien le décret
antérieurement voté que les plans nouveaux, ne dirigea aucune de
ses critiques contre les mesures qui concernaient la langue française.
Tout au contraire, le 27 pluviôse (15 février), il exprima son
regret de voir que toute la France ne fût pas acheminée à la parler :
« La langue française, dont il est si important d'étendre l'usage
dans sa pureté, cette langue restera encore un jargon dans plu-
sieurs parties de la France, vous aurez encore des Gascons vers
la Garonne et des Allemands vers le Rhin ». On ne pouvait affir-
mer en termes plus décisifs la nécessité d'un enseignement du fran-
çais destiné à détruire jusqu'aux traces des idiomes 1.

1. L'orateur ajoute : '' Les néologies les plusbarbares vont s'introduire dans cette langue
destinée sans cela à être la langue de l'univers. Ce seul objet mérite la plus sérieuse atten-
tion, et le dessein de populariser la langue française, dessein que vous venez d'adopter,
rentre dans ma pensée, surtout quand je vois que d'une administration à l'autre on ne s'en-
tend pas, tant le français est négligé ; surtout quand je vois jusque dans la rédaction même
de nos décrets se glisser les fautes les plus impardonnables telles que ce solécisme : l'ensei-
gnement sera fait publiquement. On fait le prône ; mais on donne l'enseignement ou
l'instruction. La langue française doit gagner à la Révolution, puisqu'elle se nettoie de
toute la bassesse royaliste. Eh bien ! Je vous proteste, moi, qu'elle deviendra bientôt
inintelligiblesi la présomptueuse ignorance veut l'enseigner ; et sans doute ce serait ici
un petit inconvénient si ceux qu'il entraîne après soi n'étaient pas incalculables, si les
hommes pouvaient s'entendre entre eux en parlant un langage différent, si les habi-
tudes civiles et le gouvernement qui en résulte, si la moralité même pouvaient être
absolument les mêmes pour des hommes qui se servent seulement de dialectes différents ;
si enfin le pur idiome de la liberté ne devait pas préparer la liberté du monde »
(Guill., o. c., Conv., t. III, p. 422).
218 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

la l'unité d'idiome rencontra des


Dans le pays, campagne pour
enthousiastes. Elle avait pour elle, nous l'avons vu par les réponses
faites à Grégoire, des adhésions acquises par avance. D'autres s'y
ajoutèrent, " Une multitude d'idiomes grossiers divisent la France en
autant de peuples que de contrées. Il est tems que l'oreille délicate
du voyageur ne soit plus choquée de ces intonations diverses qui
changent à chaque province, qui rappellent l'ancien régime;
qu'elles soient enfouies avec lui dans la nuit de l'oubli; qu'il n'y ait
plus en France qu'une même langue comme une même adminis-
tration.
« Rome, après
avoir asservi les peuples par sa valeur, fut jalouse
encore de les enchaîner par son langage : dans ses plus beaux jours,
elle rechercha cette nouvelle gloire. Ce que fit ce peuple-roi pour
son honneur, faisons-le pour notre prospérité. Amis de la paix, la
conquête des provinces voisines nous importe peu : notre seule
félicité doit captiver maintenant notre attention. Sans rougir,
verrons-nous les étrangers apprendre et parler notre langue, alors
qu'elle est inconnue au plus grand nombre d'entre nous? Un corps
respectable par ses lumières lui a décerné des droits à l'universa-
lité; et nous ne la rendrons pas universelle seulement parmi nous.
Ah! les peuples jaloux de leur liberté, ont un bien plus grand soin
de ce qui intéresse leur bonheur et leur gloire! La revendeuse
d'Athènes, qui reconnut à l'accent seul que Théophraste étoit
étranger, nous prouve à quel point l'usage de la langue étoit général.
Les chefs-d'oeuvre d'Homère, de Sophocle, de Démosthène, de Platon
étoient entendus de tous les Grecs. Eh! à combien de Français,
même de nos jours, les Racine, les La Fontaine, les Rousseau sont
encore étrangers !
" On doit attribuer les variations de la langue française à l'igno-
rance de la multitude. Qu'elle soit commune à toutes les classes,
et bientôt elle sera plus riche et plus stable. Le voyageur, ami de
la nature et des lettres, qui parcourt les rians vallons d'Helvétie,
s'arrête avec plaisir près de la charrue du robuste et fier concitoyen
de Gessner, qui se délasse de ses travaux par la lecture de ce chantre
de l'innocence pastorale. Si l'on s'empresse de rendre commun le
langage constitutionnel, on pourra bientôt en France trouver Télé-
maque ou le Contrat social dans la pannetière des laboureurs.
« Dans la foule des ouvrages instructifs qui doivent composer la
bibliothèque des nobles époux de la terre, on trouvera
sans doute
l'Ami des enfans et toutes les productions d'un des plus vertueux
écrivains, dont nous ne pouvons rappeler le souvenir
que les yeux
humectés des larmes de l'amitié.
IMPRESSION CAUSÉE 219

« Quelavenir ne peut-on pas prévoir, par l'établissementd'un lan-


gage national! Les progrès de l'esprit humain dans ce siècle, lui
méritèrent le titre de siècle des lumières; mais lorsqu'elles seront
répandues dans toutes les classes de la société, avec quels nouveaux
succès ne seront-elles pas cultivées?... Quel titre créera-t-on pour
caractériser ces jours de vérité? '' 1

En Alsace, nous avons dit dans un chapitre précédent sous quelles


menaces on vivait. Les Administrateurs locaux avaient déjà déféré
aux ordres de Lebas et de St-Just. Le 21 nivôse (10 janvier 1794),
ils avaient ordonné que l'arrêté des Représentants fût imprimé
dans les deux langues et affiché à la diligence des directoires des
districts, lesquels seraient responsables de sa prompte exécution 2.
Toutefois rien n'avait suivi. Les communes n'étaient pas convain-
cues et n'avaient pas les moyens d'obéir, si elles l'eussent voulu.
Une seule ouvrit son école française, celle d'Obernai.
Quand de Paris arrivèrent les nouvelles injonctions, les uns
crurent, les autres feignirent sans doute de croire à des résultats
prochains et bienfaisants. Une délibération fut encore prise par le
Directoire du Bas-Rhin, en date du 25 germinal an II (14 avril
1794). La Société des Jacobins proclama que les fils de la liberté
ce

doivent parler la langue des hommes libres ». Monet fit à cet


égard, le 21 floréal an II (16 mai 1794), à la Société populaire, une
harangue qui nous a été conservée 3. Rousseville tonnait.

1. Chalvet (P. Vinc.) Des quai, et des dev. d'un Instit. pub., p. 11 et suiv. L'auteur
est de la S. N. des Neufs-Soeurs et de celle des Amis de la Rép. de Grenoble.
2. Reuss, Inst. Prim., p. 117-118. Cf. Eccard, La l. fr. en Als., dans Rev. Als. ill..
1910.
3. A. Ulrich, Recueil de pièces, etc. vulgo Livre Bleu, I, 113, n° LXXI : '' La prin-
cipale cause des succès que les factions avaient obtenus dans le Bas-Rhin, est dans
l'antipathie invétérée des habitans contre les Français et leur tendance trop marquée
vers le germanisme ; le titre de Français ou de Welche était n'aguère une sorte d'in-
sulte ; celui d'Allemand annonçait un compatriote, auquel l'amitié devait un accueil
fraternel. L'Alsace, avant la Révolution, réunie depuis peu de temps à la France, avait
conservé ses anciennes moeurs, son costume, son langage, et une juridiction parti-
culière ; des barrières hérissées de douanes, de contrôleurs, de péages la séparaient
du territoire, dont elle faisait une partie nouvelle, tandis que le commerce refluait
librement et sans entraves vers l'empire où les négociants de Strasbourg avaient des
maisons établies » (p. 126).
'' L'éducation nationale uniforme dans tous les départemens, commune à sinon tous les
citoyens, contribuera aussi à réformer promptement le caractère et les moeurs, de
la génération présente, au moins de celle qui lui succède. L'on ne saurait assez applau-
dir au décret sage et politique, qui établit dans chaque commune une école de langue
française; rendre celte langue familière, bannir l'allemande du commerce et de tous les
actes publics, l'extirper insensiblement, proscrire le costume et les moeurs étrangères,
c'est briser autant de noeuds qui unissent le Bas-Rhin à l'ennemi ; c'est élever un mur de
séparation éternelle entre les hommes libres et les esclaves, c'est identifier enfin l'Alsace
à la République » (p. 128).
'' La société ayant entendu la lecture de ce discours, en arrêta l'impression dans les
deux langues » (p. 131).
220 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

De Colmar, des Jacobins, Lucé et Haussmann, furent envoyés à la


barre de la Convention (voir Bullet du 26 germinal an II — 15 avril
1794), et remercièrent : « Recevez, dit l'orateur, les bénédictions
de nos concitoyens pour le décret salutaire, qui donne un instituteur
de langue française à chaque commune, où l'on avait coutume de
parler un idiome étranger. Nos enfants, plus heureux que leurs
pères, ne balbutieront plus en exprimant leurs sentiments républi-
cains. Français par le langage comme par le coeur, ils connaîtront
vos décrets bienfaisants dans leur pureté primitive »1.
Du Midi aussi, des adhésions arrivèrent. Voici une délibération
de la Société populaire, les Antipolitiques républicains d'Entre-
casteaux, en date du 30 messidor an II—18 juillet 1794 (Arch.
communales d'Entrecasteaux, police générale) :
« Délibéré sur une invitation générale tendante à faire parler la
langue françoise dans toute l'étendue de la Republique, d'exiger
rigoureusement des instituteurs de la commune, l'accomplissement
formel et efficace de cette obligation, '' Je triomphe aujourd'hui, a
dit un des membres, qui s'est levé pour prendre la parole, je
triomphe de ce joug aimable et salutaire auquel on va soumettre
les individus de la republique françoise sans exception; nous nous
assimilons à nos hautes destinées. On n'entendra plus, désormais,
grâce à nos observations en tout genre, cet idiome lourd et assu-
mant, ces patois très disséminés dans la Republique dont l'accent
faisait presque perdre, aux yeux de l'étranger qui nous fréquentait,
une partie de la gloire quelconque que nous nous sommes acquise.
Et si nous ne pouvons marcher de pair avec les phenix de notre
langue, nous aurons du moins par le secours de l'habitude et l'étude
des règles, s'il est possible, l'avantage précieux et consolant de nous
communiquer mutuellement nos pensées et de nous rendre à notre
primitive origine ». D'autres membres ont parlé... Et bientôt en
serait resulté une grammaire vocale et républicaine. Mais de l'invi-
tation du président, on en tire la conséquence
que ceux qui auront
des connaissances et de la bonne volonté la dessus
en feront part aux
républicains, et que les instituteurs actuels obtiendront dans leurs
écoles, en attendant une séance tumultueuse et visigothe où les
jeunes élèves se démonteront pour répéter et retenir chaque mot
des phrases, se roidiront et se tendront
comme un arc pour prononcer
convenablement et sans dureté les mots gracieux et élégants de la
langue française et dénaturer cette pente enracinée à
mettre un
mot patois à la place d'un mot françois, emmielleront l'apreté de

1. Leuillot, o. c. p. 193.
IMPRESSION CAUSÉE 221

leur langue, et se prépareront par les soins opiniâtres de leur vigi-


lants instituteurs et les differentes sensations qu'ils recevront de
l'habitude d'entendre des sons doux et harmonieux, à recevoir les
grands principes de la langue françoise et à apprendre les diverses
connoissances tracées dans le plan que doit répandre bientôt le
comité d'instruction publique » 1.
De Perpignan, le 7 ventôse an II, un agité, Nègre, controlleur
ce

des Etapes », écrivait au Comité d'Instruction publique : '' La Con-


vention Nationale l'a établie cette égalité désirable pour tous les
humains par mille loix respectables... il existe cependant encore
le principal mobile de tous ces mêmes abus. Elle a porté ses
regards bienfaisants sur tout ce qui révoltoit la raison, et la raison
gémit encore d'un préjugé qu'elle n'a pas détruit. Encore elle ne
nous a point désigné l'idiôme National, qui doit caractériser un
nouveau Peuple, cette langue Républicaine qui doit consacrer nos
principes et faire connoitre à nos ennemis les sentiments qui nous
animent. Entourés de Nations Barbares ou avilies par la servitude,
dont le langage peint si bien les moeurs corrompues, tous nos
départements frontières s'expriment comme elles. Les Pyrénées
Orientales parlent le catalan, la Mozelle l'autrichien, la Manche
l'ancien breton (!), le Var le piémontais. Si l'habit National et la
Cocarde tricolore qui flottent sur ces pays, ne détruisoît pas tout
soupçon, en france on se croiroit souvent étranger. Même langage,
mêmes habits, mêmes usages, mêmes vices que chez les puissances
voisines, tout m'a fait quelquefois douter si j'étois au milieu de mes
compatriotes. Je ne suis pas le premier à vous faire ces observations;
je le sais, mais je veux partager la gloire de ceux qui vous les ont
déjà faites. Unis par tous les liens politiques et naturels, pourquoi
serions-nous séparés par une vue dans le langage ? Ah ! qu'il n'existe
plus cet abus, il outrage et la nature et la raison. N'ayons tous
qu'une même voix, habitant la même patrie, jouissant des mêmes
biens, vivant sous les mêmes loix, ne formant qu'une seule famille,
parlons tous le même langage. Nos voix ne faisant qu'un accord,
en seront bien plus agréables à l'Etre suprême, alors vraiment
nous nous regarderons comme frères, comme Egaux et l'esprit
particulier du pays n'existera plus.
« Oui, citoyens, cette diversité
de langage entretient la diversité
des Partis, chaque pays donne la prééminence à son idiome et celui
qui ne le parle pas entre rarement en crédit. C'est vous qui pré-

1. Communiqué par M. Trokobas, instituteur à Entrecasteaux, à M. A. Brun, qui a


bien voulu me le transmettre.
222 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

sentez à la Convention Nationale les décrets relatifs à l'instruction


du Peuple, c'est vous qui pour ainsi dire le civilisez, faites encore
une action digne de votre employ, demandez aux Représentans du
peuple français de décréter que tout citoyen de quelle contrée qu'il
soit natif, dans quelle partie de la République qu'il soit, centrale
ou frontière, ne parlera plus que français, à moins d'être regardé
comme ami ou allié des Tyrans qui nous font la guerre »1.
A Dax, le 7 thermidor an II (25 juillet 1794), la Société populaire
s'engagea à seconder les vues du Comité dans l'anéantissement du
patois et dans le projet d'universaliser l'usagede la langue française 2.

1. Arch. N., F17 6891. Cf. p. 186.


2. Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 867.
CHAPITRE II

ESSAIS D'APPLICATION

Quels furent les effets réels et positifs de la campagne entreprise?


Assurément nous ne sommes pas en état de les mesurer partout,
mais, à en juger par ce que nous savons, ils ne répondirent nulle-
ment — ils ne pouvaient pas répondre — aux espérances. Le pro-
cureur général syndic des Pyrénées-Orientales écrivait au Comité
de Salut public le 5 germinal an II (25 mars 1794): « L'établis-
sement des instituteurs de langue française dans nos campagnes
est le seul véritable moyen de révolutionner tous les esprits...
mais, citoyens représentants, l'effet d'un si salutaire décret sera
nul par le manque d'instituteurs » 1. Cette prophétie sinistre devait
se réaliser entièrement.
EN FLANDRE.
— Quelques nominations d'instituteurs français
furent faites à Bailleul, à Steenworde, à Bergues, à Hazebrouck,
mais tardivement et péniblement. La Commission executive avait
attendu quatre mois pour écrire dans les districts de Bergues et
d'Hazebrouck, et faire appliquer un décret, qui donnait dix jours de
délai 2. Cependant la Société populaire avait énergiquement tra-
vaillé, et bientôt devait arriver à Paris un projet très mûri et qui
eût remédié à tout 3.
EN ALSACE. Les administrations départementales, celles d'ar-

rondissements et un certain nombre de municipalités, les plus con-
sidérables, se mirent en mouvement dès le début. Un premier ordre
leur avait été envoyé le 19 février (1er ventôse).
On avait ouvert un registre le 12 (2 mars) pour inscrire les
citoyens et citoyennes qui voudraient enseigner.
Le 25 (15 mars), la Municipalité de Strasbourg avait décidé de
son côté qu'on n'enseignerait plus à lire et à écrire qu'en langue
française 4.
1. Torreilles, o. c., p. 359.
2. Lennel, o. c, p. 58 et 133. Cf. Lefebvre, o. c, p. 764.
3. Voir p. 243 aux Ecoles normales.
4. Délib. corps mun., V, 1985, dans Reuss, Inst. prim., p. 123.
224 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Le 2 germinal (22 mars). Délibération du Directr du District de


Strasbourg. Ordre d'envoyer le cit. Grandmougin dans toutes les
communes qui n'ont pas encore établi d'écoles.
Le 10 floréal (29 avril). Avis aux citoyens de Strasbourg. Tableau
des instituteurs auxquels le Conseil général a donné le certificat de
civisme et de bonnes moeurs. Invitation aux parents de choisir entre
ces instituteurs.
Le 23 floréal (12 mai). Délibération du District de Strasbourg.
Examen des Instituteurs que les communes ont reçus provisoirement
par le cit. Grandmougin.
Le 14 messidor (2 juillet). L'Agent national du District de
Strasbourg envoie aux Municipalités l'arrêté du Comité de Salut
public :
" Vous recevrez ci-joint l'arrêté du Comité de Salut public du
29 Prairial dernier, relatif aux fonctions à remplir par les institu-
teurs nationaux dans les divers départemens où l'on parle des
idiômes différents.
" Les dispositions sages qu'il renferme, vous feront connoître de
quelle manière l'instruction publique doit être organisée.
« Citoyens, l'instruction publique bien dirigée, c'est la base de
l'éducation nationale, c'est le germe de la vraie morale, c'est la
source de toutes les vertus républicaines, c'est en un mot, après la
défense de la patrie, l'affaire la plus importante et qui doit être
sans cesse à l'ordre du jour. Des motifs aussi puissants me donnent
lieu de croire que vous veillerez sérieusement à l'exécution de
l'arrêté du Comité de Salut public et que vous me mettrez à même
de lui rendre un compte satisfaisant à cet égard. Signé : Mainoni,
Agent national » 1.
On donnait l'ordre, non les moyens.
L'empressement des communes fut loin d'être grand. Beaucoup
attendaient. La promesse d'un Représentant de prohiber entiè- ce

rement l'allemand dans les écoles primaires... et l'annonce qu'il


ne leur serait permis de s'en servir que pour l'explication du
français » n'avait rien de séduisant 2. Autant valait décréter pure-
ment et simplement la suppression de toute instruction. Ce fut dans
bien des endroits, non seulement une résistance, mais une dés-
obéissance formelle. Ainsi le délégué Grandmougin, ancien maître

1. Arch. mun. de Strasb., 719, t. V, n° 109.


2. Simon déclare que les Représentants du peuple interdiront l'usage de l'allemand
dans les écoles qu'on va créer et que les instituteurs pourront l'employer que pour
ne
expliquer les mots français à leurs pupilles (séance du Club, 7 floréal (26 avril) Strassb.
Zeitung, 9 flor. an II—28 av. 1794, dans Reuss, Gymn.,
p. 97 ; cf. Heitz, o. c, p. 343.
ESSAIS D'APPLICATION 225

de pension, devenu personnage politique important, se présenta en


vain à Balbronn le 8 germinal an II (28 mars 1794), pour sommer la
commune d'obéir à la loi. La commune ne se soumit pas, elle promit
seulement qu'on « se procurerait un maître de langue française, si
cela devait être nécessaire »1.
Pourtant diverses localités cherchèrent des maîtres. On peut voir
leurs annonces dans les journaux. La Strassburgische Zeitung du 5
germinal an II (25 mars 1794), renferme une annonce de la municipa-
lité de Rosheim demandant un maître d'école français. Celle du 8
contient un appel ayant le même objet, lancé par la Société populaire
de Wasselonne 2. La municipalité de Dornach renvoie Jean Bauer,
" puisqu'il ne connaît nullement la langue française » 3. Haguenau s'en-
quérait à la ronde 4. Ça et là les recherches amenèrent une précieuse
découverte. Heiligenstein réussit à dénicher l'oiseau rare. Le 16 mes-
sidor an II (3 juillet 1794), la Société populaire pouvait écrire au
Représentant du Peuple, Commissaire de la Convention Nationale
près l'armée du Rhin : « La Société Populaire de Heiligenstein,
District de Benfeld, departement du Bas Rhin, ayant reçu le Decret
du 8 Pluvios qui ordonne l'Etablissement d'Instituteur de Langues
française dans les Campagnes de plusieurs departement qui parle
un autre Idiome que la Langue françaisse, Cest reunis enconformité
de Larticle 3 Pr deliberer sur la Nomination d'un Instituteur qui
reunirait les faculté de bon Patriote avec des Tallents propres afor-
mer une Jeunesse qui fit les poir de notre Commune. La Société
sétant penetre de l'importance de la Nomination d'un Citoyen qui
remplisse le Veux de la Loix apres avoir murement reflechi a una-
nimement arreté que le Citoyen Siegfried Toussaint sera proposé
avotre consentement. Nous vous prions Representant du Peuple de
vouloir bien nous l'accorder » 5.
A Val-aux-Mines, c'est le 20 ventôse (10 mars) qu'arrive l'adresse
de la Société populaire de Strasbourg, qui invitait les Sociétés à ce

prendre en considération son objet, qui est la propagation de la


langue française, que nous devons d'ailleurs materniser sur le sol
de notre République » 6. Un Comité de six membres, formé à

1. Reuss, Inst. prim., p. 123.


2. Voir Id., Ib., p. 132.
3. Gide, Journ. d'Alsace, 23 sept. 1900.
4. On fait lecture de plusieurs lettres du district d'Haguenau adressées à celui de
Belfort, par lesquelles ce dernier est invité par les autorités constituées à leur procurer
des sujets capables de remplir les places de maîtres de langue française (Poulet, o. c,
p. 137).
5. Protocolle, Arch. Dép. Strasb., Inv. N° 6 D. Deux commissaires sont chargés de
présenter Toussaint, suivant une délibération en allemand qui suit.
6. Proc.-verb. Soc. Val-aux-Mines, p. 237.
Histoire de la langue française. IX. 15
226 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Strasbourg, devait recevoir les « souscriptions » de tous ceux qui se


destinent à cet honorable état. La question fut reprise à la séance
du 30. On décida de faire connaître la loi à tous les citoyens, et deux
membres furent chargés d'une démarche auprès de la Municipalité,
pour l'inviter à faire publier, au son de la caisse, que tous les
citoyens « qui voudront se dévouer à l'enseignement de la langue
française maternisée sont priés de se faire inscrire au bureau de la
Société populaire »1.
Le 5 germinal (25 mars), on cherchait encore les moyens d'obtem-
pérer à l'arrêté du 1er. Le Comité de Correspondance reçoit mandat
d'y travailler et de présenter une liste le décadi suivant. On inscrit
d'ores et déjà Grandpierron et J. Jos. Hachette. Il est sursis à
l'inscription de Thurel en attendant son certificat de civisme 2.
Le 10 thermidor, le cit. Aubry est reconnu avoir le plus de capa-
cité. C'est donc lui qu'on choisit pour enseigner à Ste-Croix. Mais
quand on demande au candidat s'il se présente comme instituteur
de la langue française ou comme instituteur des écoles primaires, c'est
cette fonction qu'il déclare préférer; les autres candidats en font
autant 3.
On avait nommé Grand pierron le 20 germinal (9 avril) 1. La Société
d'Epinal certifie que Klein, ex-prètre, conviendrait, et qu'il accepte
(20 floréal-9 mai) 5. On presse la nomination de Hachette, secré-
taire de la Société 6. Hachette est nommé, mais il sera bientôt l'objet
d'une plainte : il ne corrige pas « les exemplaires de ses écoliers » 7.
L'échec était inévitable, le personnel manquait. Alors que les insti-
tuteurs tout court faisaient défaut presque partout, par quel privilège
eût-on découvert dans le Bas-Rhin des hommes — sans parler des
femmes — bilingues et capables d'enseigner en français ? Le 20 avril
(1er floréal), un mémoire annonçait aux Jacobins de Strasbourg
qu'il ne s'était présenté jusqu'à présent qu'un petit nombre d'institu-
teurs de langue française pour les écoles de la campagne 8. C'était
exact.
En ce mois d'avril, pour les 400 communes alsaciennes, on avait
trouvé, en tout et pour tout, 30 à 40 candidats! Dans Strasbourg-
Ville, où la Société populaire avait chargé six de ses membres d'exa-
miner les postulants (17 ventôse an II-7 mars 1794), 5 instituteurs
1. Proc.-verb. Soc. Val-aux-Mines., p. 246
2. Ib., p. 249.
3. Ib., p. 281.
4. Ib., p. 259.
5. Ib, p. 263.
6. Ib., p. 264.
7. Ib., p. 305.
8. Heitz, o. c., p. 341.
ESSAIS D'APPLICATION 227

nationaux seulement s'étaient présentés. La Société, pour y remédier,


arrêta qu'elle adjoindrait encore quelques membres au Comité qui
se réunissait tous les quintidis et décadis au Temple des Réformés 1.
C'était un pauvre moyen.
Dans le Haut-Rhin la situation était toute pareille. A la séance
du 18 pluviôse (6 février), c'est-à-dire aussitôt que lui était parvenu
le décret du 8, la Société de Colmar s'était occupée de l'appli-
cation. Le bureau fut chargé d'un rapport. Les dix jours de
délai étaient bien entendu passés depuis longtemps quand on reprit
la question 2. Mais on l'examina très sérieusement. Le 27 ventôse
(17 mars), séance extraordinaire. Un membre demande qu'en fasse
de bons choix, et propose une adresse aux communes pour provo-
quer les candidatures. La Société nommera ensuite un Comité
d'examen. Plus pressé de rester dans les délais légaux, un autre
membre voudrait que le Comité de Correspondance soumît dès la
prochaine séance une liste de candidats. Après une discussion assez
confuse, on choisit un Comité de 10 membres. Le 2 floréal (21 avril),
le Rapporteur du Comité d'instruction lisait un projet de lettre sur la
pénurie des sujets 3. Le 10, on constate de nouveau les mêmes diffi-
cultés. Enfin le 16 floréal (5 mai), le Rapporteur rend compte des
moyens employés pour trouver des instituteurs pour les 132 communes
du district. Il demande qu'on agrée en attendant les 37 dont les capa-
cités et le civisme ont été constatés. Divers membres estiment que
le voeu de la loi ne serait point rempli; finalement on ajourne au sur-
lendemain 18. A cette séance, trêve est faite aux discussions et on
procède aux nominations. La Société propose 16 instituteurs. Les
Sociétés du district en présentent 10 autres 4. Le 30 floréal (19 mai),
se rendant compte de l'insuffisance des résultats, on prend le parti
de faire appel à toutes les Sociétés de la République 5. De nouveau,
des membres reviennent à ce sujet le 6 prairial (25 mai) 6. Enfin des
nominations sont faites le 16 prairial (4 juin) 7. Mais comme elles ne
portaient que sur 31 maîtres, on approuve l'adresse dont il avait été
antérieurement question, et on l'envoie à toutes les Sociétés. Elle
disait: «... quels que soient le zèle, l'activité et les soins que nous
avons cru devoir apporter à la loi du 8 pluviôse dernier (27 janvier),
relative à l'établissement des instituteurs dans ce département,

1. Voir Reuss, Instr. prim., p. 124-425, 132, 146-148.


2. Leuillot, o. c,
p. 104.
3. Id., ib., p. 156; Id., ib., 193.
4. Id., ib., p. 204-205.
5. Id., ib., p. 213.
6. Id., ib., p. 219.
7. Id., ib., p. 232.
228 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

loi
nous ne sommes pas parvenus jusqu'à présent au but que cette
indique, et nous ne connaissons encore que 31 citoyens dignes et
capables par leurs qualités morales et civiques et par leurs talents
de remplir les places d'instituteur; cependant, il en faut nécessaire-
ment un nombre égal à celui des communes, et, pour l'atteindre, il
en faudrait encore 100.
« Après avoir
épuisé tous les moyens pour nous en procurer, tant
dans ce département que dans celui du Bas-Rhin, où l'idiôme
esclave est aussi naturalisé, nous avons arrêté de nous adresser à
vous, frères et amis, pour vous engager de faire connaître aux
citoyens qui possèdent les deux langues et qui d'ailleurs réuniraient
les qualités requises, le désir que nous avons de les voir se vouer
à l'instruction de la jeunesse dans ce département : puissent les
sentiments qui nous attachent tous au bonheur commun les déter-
miner à venir bientôt fraterniser avec nous. Nous les assurons
d'avance que nous saurons toujours leur donner des preuves non
équivoques de reconnaissance. Salut et fraternité »1.
On ne peut s'empêcher de reconnaître que la Société de Colmar
avait fait preuve d'un beau zèle et obtenu des résultats relativement
importants. Peut-être était-elle stimulée par Foussedoire. Il écri-
vait à ce propos au Comité de Salut public une lettre qui prouve
combien le succès de ces écoles lui tenait au coeur et l'importance
qu'il leur attribuait pour l'affermissement de l'esprit républicain en
Alsace : « Le décret qui établit des instituteurs pour la langue fran-
çaise dans le département du Haut-Rhin va bientôt recevoir son
exécution. L'usage d'un idiome étranger est peut-être le plus fort
obstacle à la propagation des lumières dans les campagnes du dépar-
tement » 2. A ce moment Foussedoire pouvait encore écrire en ces
termes et se faire des illusions. Elles durent être bientôt dissipées.
Le 16 prairial (4 juin), nouvelle communication où la vérité éclatait
tout entière. « Les progrès de la raison y sont lents (dans le dépar-
tement), et les prêtres, qui abusent toujours des lois, même les
plus favorables à la liberté des cultes, contribuent toujours à y
entretenir un foyer de fanatisme que l'ignorance et la diversité des
langues ne peuvent qu'alimenter davantage. Les Sociétés populaires
travaillent sans relâche à propager les lumières. Malheureusement
les instructeurs de langue française qui doivent être établis dans
ce département, sont extrêmement difficiles à trouver; je m'occupe
souvent d'une manière particulière de cet objet intéressant » 3.
1. Leuillot, o. c. p. 233-234.
2. 10 vent. an II (28 fév. 1794), Aul., Act. du Com. S. P t. XI, p.
468
3. Aul., Act. du Com. S. P., t. XIII, p. 754. Colmar, 6 prairial
an II (25 mai 1794)
ESSAIS D'APPLICATION 229

Le 11 prairial (30 mai), le Comité d'instruction publique renvoie à


Thibaudeau une lettre où le citoyen Laroche dénonce (29 floréal—18
mai 1794) l'inexécution dans le département de la loi du 8 pluviôse 1.
A la date où il écrit, pas un instituteur n'avait été nommé. Le
9 germinal (29 mars), un citoyen a été présenté à Foussedoire,
trente autres se sont inscrits à la Société populaire. Celle-ci a fait
ses choix, la loi est toujours sans effet. « Craint-on de se presser
trop de rendre entièrement français les bons sans-culottes des cam-
pagnes du Haut-Rhin? Peut-on se dissimuler le grand bien qu'un
bon républicain seroit à portée de faire parmi eux indépendamment
de l'enseignement de la langue, en éclairant ces hommes inté-
ressans sur les vrais principes de la Constitution, sur les droits de
l'homme, sur les devoirs sociaux, en leur donnant l'explication des
loix auxquelles ils ne manquent souvent que faute de les comprendre,
en les guérissant, par des raisonnemens mis à leur portée, des
égaremens du fanatisme et des erreurs de la superstition, en leur
montrant l'exemple des moeurs, de la probité, des vertus sociales »2.

EN MOSELLE.
— Simon, dans un discours échauffé, prononcé sur
la place publique de Sarreguemines

j'ignore à quelle date pré-
cise, mais certainement sur ces entrefaites — annonçait en vain la
mort de l'idiome du pays sous l'action des nouvelles écoles: « La
création d'instituteurs, va peu à peu faire disparaître les traces de
cet idiôme barbare, digne langage des esclaves », disait-il 3. C'était
là des mots et du vent. Il est bien vrai que Mallarmé mande de
Sarre libre, le 27 floréal (16 mai): «Déjà dans ce district, comme
dans ceux où l'idiome germanique déshonorait encore la langue des
républicains, s'établissent, en vertu de la loi du 8 pluviôse, des
instituteurs publics. Dans six mois, s'ils suivent leur mission avec
zèle, ce langage tudesque et grossier, que d'ailleurs des Français
doivent abhorrer., puisqu'ils le partagent avec des esclaves, aura dis-
paru » 4. Le 1er prairial (20 mai), il s'entête encore aux mêmes espoirs :
« La barbarie de l'idiome a pu contribuer à
fermer les coeurs des
citoyens aux principes lumineux et sûrs de la civilisation politique ;
mais ce dialecte tudesque va s'oublier, et des instituteurs de langue
française, institués en exécution du décret du 8 pluviôse, seront
non moins efficaces que pourraient l'être des apôtres de morale et
de républicanisme » 3. Tout cela n'étant appuyé sur aucun fait, on
1. Arch. N., F 17 6891. Renvoyé à Thibaudeau le 2 prairial an II.
2. Guill., o. c, Conv., t. IV, p. 508. Arch. N., F17 6891.
3. S. 1. ni d., p. 11 (Bibl. Soc. des Amis de Port-Royal).
4. Aul., Act. du Com. S. P., t. XIII, p. 567.
5. Id., Ib., p. 639.
230 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

est en droit de croire que Mallarmé ne fait que donner une adhésion
projets de ceux qui, à Paris, avaient fait voter la loi, et qu'il
aux
ferme les yeux sur les difficultés pratiques qu'elle rencontrait dans
l'application.
En fait, le 2 messidor (20 juin), Grégoire recevait de Lut-
tange, district de Thionville, une lettre qui a de quoi surprendre.
Le signataire a seulement entendu parler d'écoles françaises : « J'ai
ouï dire, législateur, écrit-il, que tu avais fait la motion qu'il fallait
chercher à rendre le français l'unique langue et language (sic) dans
l'empire; cela paraît impossible tant qu'on ne cherchera pas à'
détruire tant de préjugé (sic), qu'il y a encore parmi nous, et sur-
tout que nous ne voyons aucune instruction publique, car il n'y a
encore que très-peu d'instituteur (sic), et que ce peu ne tient pas
école, et, j'ose le dire, nos enfants sont plus négligé (sic) que jamais,
en sorte que nous avons reculé au lieu d'être en avant. Notre orto-
graphe (sic) est encore un obstacle à la généralisation que tu pro-
poses, il faut donc la corriger, et on ne le peut parfaitement qu'en
corrigeant et surtout augmenter (sic) l'alphabet qui est insuffisante
(sic) »1.

DANS LA MEURTHE.
— L'administration du département montra
aussi un certain empressement. Elle n'avait garde, disait-elle, d'excé-
der ses pouvoirs. Mais elle adressa des copies de la lettre qui lui
était envoyée aux Directoires des districts de Bar et de Sarrebourg,
et elle donna son avis, exposant les raisons qui, suivant elle, empê-
chaient le recrutement des maîtres. C'était d'abord qu'un certain
nombre d'hommes capables étaient aux armées, ou se trouvaient
exclus de ces fonctions; ensuite qu'ils préféraient le séjour des
grandes communes ; enfin que les diverses administrations, qui
payaient mieux, offraient des situations plus avantageuses.
D'autre part la République ne procurait ni logement, ni salles
d'école suffisantes ; les municipalités s'intéressaient peu à ces établis-
sements ; les familles avaient besoin de leurs jeunes enfants, en l'ab-
sence des aînés partis aux frontières; enfin, la loi sur le maximum
fonctionnant mal, empêchait les sans-culottes « qui n'ont que des
talents et des enfants », de transporter leur ménage et de vivre
avec quinze cents livres par an « dans des communes où le défaut
d'instruction et les inconvénients du voisinage des frontières enne-
mies se font encore vivement sentir » 2.

1. Lett à Grég.. p. 331.


2 Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 668-669. d'après dossier ms. du Musée Pédag.,
anct n° 88.
un
ESSAIS D'APPLICATION 231

Ces raisons étaient justes, car le district de Dieuze, averti par


Nancy, les donna à son tour, presque dans les mêmes termes (18 mes-
sidor-16 juillet), en y ajoutant même des renseignements statis-
tiques du plus haut intérêt : « Nous sommes forcés d'avouer que ce
Décret est resté jusqu'ici sans exécution dans notre District; de
72 communes qui le composent, il en est trente où l'on ne parle
qu'allemand; il faudroit donc trente instituteurs qui entendissent
les deux langues, et certe il y a impossibilité de les trouver dans ces
environs, puisqu'il n'est presque point d'écoles primaires ouvertes
même dans les lieux où l'on ne parle que français...
« D'après le tableau que nous avons dressé, sur la demande de
l'administration du département, de tous les instituteurs établis dans
notre district, selon la loi du 29 frimaire, nous remarquons qu'il n'y
en a que six dans nos trente communes allemandes, encore igno-
rons-nous s'ils savent la langue française, par ce qu'ils ne sont pas
présenté (sic) au directoire du district; ce sont les municipalités
chargées par cette loi de la surveillance immédiate des instituteurs
qui les ont reçu (sic).
« A l'égard des instituteurs de langue française à placer dans les
communes où les habitans parlent divers idiomes, en exécution de
la loi du 8 pluviôse, l'article 3 du décret porte qu'ils seront nommés
par les représentants du peuple sur l'indication des sociétés popu-
laires ; il n'appartenait pas aux administrations de district d'y pour-
voir.
« Cependant cet établissement est d'autant plus instant dans nos
communes allemandes que le fanatisme et sa soeur l'ignorance y
dominent encore ; que l'instruction seule peut y arracher le bandeau
de l'erreur, qui empêche le progrès de la raison.
« Notre district est tout agricole, point de ressources, pas même
dans le chef-lieu, qui compte à peine trois mille ames et où nous
ne pouvons trouver les collaborateurs nécessaires à nos bureaux.
« Hâtez-vous, citoyens, de nous envoyer des patriotes bien pro-
noncés, pris dans les grandes communes où l'on parle les deux
langues; qu'ils apportent dans nos campagnes, où la langue natio-
nale n'est pas usitée, le flambeau de la vérité et de la persuasion,
que bientôt nos administrés, tous frères, tous amis, n'ayent plus
qu'un même langage, qu'un même esprit et qu'un même coeur pour
abhorrer la tyrannie et chérir la Republique »1.
C'est de toutes parts les mêmes plaintes. Le 13 germinal (2 avril),

1. Les membres composant le directoire du district de Dieuze: Signé: Schneider,


v.-p., Prury (?), Vogin, Wauthier, administrateur, et Etienne, secrétaire (Même dossier.
Cf. Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 671).
232 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

la Société populaire de Phalsbourg se désole « qu'il ne s'est pré-


senté personne dans la commune pour remplir les fonctions d'insti-
tuteur ». Et cependant la municipalité a écrit à Strasbourg, à Metz,
et même à Nancy 1.
DANS LE MONT TERRIBLE. Les Administrateurs du district de

Delémont envoient en prairial une lettre dont on saisit le Comité
d'Instruction publique, indiquant les moyens de recruter des insti-
tuteurs, dont on manque 2.
DANS LES ALPES-MARITIMES. — Dans ce département, pour trouver
des instituteurs, on s'adressa directement au Comité d'Instruction
publique à Paris ; on le pria d'abord d'accorder aux maîtres un trai-
tement, et ensuite de voir si « dans les arrondissements de ce dé-
partement et des départements adjacents on pourrait trouver des
sujets propres à remplir les fonctions d'instituteurs, lorsque, outre
les qualités civiques, ils réuniront à la connaissance de la langue
de la liberté celle des idiomes vulgaires du pays »3. La langue fran-
çaise était-elle si peu répandue dans le département? Un instituteur
demandait un drapeau avec une inscription : Institut national de
langue française 1. Autour de ce drapeau, on eût peut-être rallié un
bataillon d'élèves, mais pas de collègues.
Le 7 brumaire an III (28 octobre 1794), il fut décidé de faire faire
lecture, chaque jour de décadi, d'une lettre d'un jeune élève de
l'Ecole du Champ-de-Mars par un élève du citoyen Berthoud, « insti-
tuteur national de langue françoise » (Combet, o. c, p. 409).
Pour les pays à dialecte, j'avoue que les renseignements spéciaux
me font à peu près totalement défaut. Du reste le décret de plu-
viôse ne s'appliquait pas à ces départements'. Il n'y a donc pas lieu
de rechercher si des écoles de français y ont été créées. Il nous suf-
fira d'examiner, et nous le ferons, si on avait ouvert des écoles.

1. Guil., o. c., Conv., t. IV, p. 74-78; cf. Arch. N., F 17, 1010A, 2437.
2. Arch. N., F17 10102, n° 3179; cf. Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 507.
3. Guill., o. c, Conv., t. IV, p. 703.
4. Rev. hist. de la Rév. et de l'Emp., juil. 1915. Cf. Combet, La Rév. à Nice et l'En-
seignement à Nice sous le Consulat.
5. Signalons pourtant un ou deux faits qui se rapportent au mouvement d'idées dont
nous parlons : En 1794, à Beauvais, le conseil général défendit aux maîtres et maî-
tresses d'écoles, et à tous les instituteurs « d'apprendre soit à lire, soit à écrire avec
d'autres livres qu'avec des livres français, et entre autres ceux qui traiteraient des
droits de l'homme » (Charvet, L'inslr. publ. à Beauvais, p. 38). Dans le Var, l'agent
national du district de Draguignan écrit le 2 messidor que les instituteurs doivent
» attacher à faire disparaître le jargon bizarre de la contrée (Brun, Rech. hist., p. 492).
CHAPITRE III

OBSTACLES IMPRÉVUS

LA FRANCISATION ET LES FINANCES.


— Rien ne montre qu'à la Con-
vention on ait été surpris ni inquiet des résistances. D'autres soucis
pressaient. La Convention avait voté le décret de pluviôse sans
réserve, puis applaudi Grégoire. Mais des causes multiples, on le
savait, s'opposaient, et devaient s'opposer longtemps encore, par la
suite, à la francisation des écoles primaires. « Peut-être, dit M. May,
les conventionnels ne virent-ils pas ces obstacles, ou, s'ils les virent,
ne les jugèrent-ils pas insurmontables, les uns parce qu'ils avaient
une foi robuste dans la vertu agissante des textes et des prescrip-
tions légales, les autres parce que, dans leur inexpérience des
affaires publiques, ils n'avaient pas encore le sens des possibilités,
beaucoup parce qu'ils ne soupçonnaient pas la mentalité des popu-
lations rurales, auxquelles, pour la plus grande part, s'adressa leur
réforme, tous enfin et d'instinct, parce qu'élevés à l'école de la
monarchie absolue, ils croyaient qu'il suffisait de parler en maître
pour être obéi. Les faits devaient leur faire voir bientôt jusqu'où
va la force de résistance d'une langue parlée depuis plusieurs
siècles » (o. c., p. 55).
Je ne suis pas convaincu que l'Assemblée, si favorable qu'elle
pût être à l'oeuvre de nationalisation linguistique, fût disposée à con-
sentir les sacrifices nécessaires. On le vit presque tout de suite à
une circulaire que le Comité de Salut public envoya aux agents na-
tionaux (28 prairial an II—16 juin 1794), c'est-à-dire quelques jours
à peine après le rapport de Grégoire. Elle fut probablement provo-
quée par les doutes que soumettaient les Administrations départe-
mentales.
En effet, le 12 ventôse an II (3 mars 1794), les Administrateurs du
Haut-Rhin s'informaient de ce qu'ils devaient faire. Les 10/12èmes du
département ne parlent que l'idiome étranger. Or, aux termes de
l'art. IV, les instituteurs français doivent connaître les deux lan-
gues. Il sera impossible de trouver des personnes dans ce cas pour
chaque commune.
234 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Les personnes instruites et recommandables par leur civisme sont


déjà occupées dans les différents services tant militaires que civils ;
on ne peut admettre aux fonctions d'enseignement les ministres du
culte et encore moins les adversaires du régime.
Donc, faut-il qu'il y ait deux instituteurs, l'un pour l'idiome, l'au-
tre pour le français ? « L'intelligence des anciens titres, et l'usage
habituel exige encore pendant quelque tems qu'il y ait des per-
sonnes instruites dans l'idiôme étranger. L'avantage qui va nous
résulter en le faisant tomber bientôt dans la désuétude doit le faire
emporter sur cet inconvénient et nous devons nous borner à un
instituteur français » ?
La 2e question est celle de savoir si « dans les communes où
l'on ne pourrait procurer des Instituteurs français, on doit encore
les priver d'un Instituteur pour I'idiôme étranger, auquel cas elles
n'en auraient aucun ; ce résultat nous paraît encore plus dangereux
que l'inconvénient de les instruire dans une autre langue.
« Ne serait-il pas aussi convenable d'ordonner que tous les actes
publics, soit des juges de paix, notaires et administrations, seront
redigés en Langue française ; ce qui serait encore un grand pas que
l'on ferait pour l'usage de cette dernière Langue ?
« Cette proposition peut être prise en considération et si vous
la trouvés juste, vous voudrés bien la soumettre à la Convention
pour qu'il soit rendu un décrêt à cet égard. L'exécution en serait
d'autant plus facile que tous nos Juges ou notaires savent le fran-
çais » 1.
On répondit : « La Convention nationale a senti l'importance d'une
loi pour l'enseignement de la langue française aux citoyens des
divers départements où l'on parle des idiomes différents.
« Dans une République une et indivisible, la langue doit être une.
C' est un fédéralisme que la variété des dialectes elle fut
: un des
ressorts de la tyrannie ; il faut le briser entièrement : la malveillance
s'en servirait avec avantage.
« Le décret du 8 pluviôse ordonne, en conséquence, le prompt
établissement d'un instituteur de langue française dans chaque com-
mune de campagne des départements où les habitants sont dans
l'habitude de s'exprimer dans une langue étrangère.
« Cet instituteur doit, chaque jour, enseigner la langue française
et la déclaration des droits de l'homme à tous les jeunes citoyens
des deux sexes, et chaque décadi faire lecture
au peuple des lois de
la République en les traduisant vocalement.

1. Arch. N., F 17, 6891. Au bas de la dernière


page Bien public, n° 1366.
OBSTACLES IMPRÉVUS 235

« Mais, en le chargeant de ces fonctions importantes, la loi ne le


dispense pas de remplir celles d'instituteur des écoles primaires.
« Le travail est la mesure du salaire, et c'est ce principe qui a
déterminé le législateur, en accordant à l'instituteur un traitement
fixe et plus fort, pour l'indemniser d'un plus grand travail.
« Ainsi donc, dans les communes de campagne, le même institu-
teur doit non seulement enseigner la langue française, mais encore
satisfaire à tout ce qu'exigent de lui les lois relatives à l'instruction
publique » l.
Cette exigence ne pouvait qu'empêcher l'exécution de la loi,
déjà si difficile à appliquer. On aggravait les charges des maîtres,
alors qu'il fallait battre le rappel pour en trouver un de loin en loin.

LA FRANCISATION ET LES ARMÉES.


— Ni Barère ni personne n'avaient
réfléchi à d'autres conséquences de la francisation à outrance. Du
quartier général d'Arlon, Gillet écrit, le 8 floréal an II (27 avril 1794),
pour savoir quel parti prendre, et comment appliquer la loi qui
exclut ceux qui ne savent ni lire ni écrire des grades qui vien-
dront à vaquer « de caporal à général en chef ». Faut-il que les
candidats sachent lire et écrire en français ?2
« La loi qui a exclu de l'avancement tout militaire qui ne sait pas
lire et écrire, dit-il, était nécessaire ; mais on l'a étendue à tous
ceux qui ne savent pas le français, quoique sachant parfaitement
lire et écrire en allemand. Voici ce qui en est résulté. L'armée de
la Moselle renferme un grand nombre de bataillons formés dans les
cantons où l'on ne parle pour ainsi dire que l'allemand. Il y a dans
ces bataillons beaucoup de braves militaires qui, depuis le commen-
cement de la guerre, servent la patrie avec autant de zèle que de
succès ; on les a exclus de l'avancement par cela seul qu'ils ne
savent pas le français. Il en est résulté, premièrement, beaucoup de
mécontentement, et il est constant aujourd'hui que c'est l'origine
du complot de désertion qui a existé dans la 173e demi-brigade
d'infanterie. La perversité de nos ennemis dit aux Allemands :
« Vous n'êtes plus estimés, on vous
méprisé ». Secondement, cette
exclusion est à la fois préjudiciable à la chose publique et aux indi-
vidus. A la chose publique, parce qu'elle se trouve privée des
talents d'un grand nombre d'excellents officiers qui auraient pu la ser-
vir utilement; il est même des bataillons où le remplacement des
officiers devient impossible, si on exclut ceux qui ne savent lire et

1. Aul., Act. du Com. S. P., t. XIV, p. 344.


2. Remarquer que celte loi avait été demandée de divers endroits, ainsi par les Com-
missaires envoyés dans les Alpes-Maritimes (Id., Ib., t. II, p. 363).
...
236 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

écrire qu'en allemand. Aux individus, parce qu'ils se voient déchus


de l'espérance de parvenir à des grades qu'ils croient avoir acquis
par de longs travaux et d'honorables services.
« La loi prive de tout avancement ceux qui ne savent pas lire et
écrire. Cette loi peut-elle s'appliquer à ceux qui ne savent écrire
qu'en allemand ? Cette interprétation m'a paru trop rigoureuse. La
loi n'exige d'autre condition que de savoir lire et écrire. Elle ne dit
point dans quelle langue, et il est certain qu'un officier qui sait lire
et écrire en allemand peut aussi bien faire un rapport, rendre un
compte, faire son service, en un mot, que s'il écrivait en français.
Avant la Révolution, il y avait vingt régiments où l'on ne parlait ou
n'écrivait pas d'autre langue que l'allemand.
« Je n'ai donc pas cru
contrarier l'esprit de la loi, j'ai cru au
contraire faire une chose juste et utile en prenant l'arrêté que je
vous adresse ; il porte que ceux qui savent lire et écrire en langue
allemande sont susceptibles d'avancement, quoiqu'ils ne sachent pas
le français 1.
« Si vous partagez mon opinion, si, comme moi, vous croyez cette
mesure juste, indispensable, je vous invite à proposer à la Conven-
tion nationale d'expliquer ainsi son décret, car il est à présumer
que l'exclusion qui a eu lieu à l'armée de la Moselle contre les
Allemands aura été pratiquée dans d'autres armées » 2.
Cette lettre me paraît très importante. Elle faisait sentir qu'on
tombait d'un danger dans un autre, car il ne s'agissait pas de
jeter le désordre et la défiance dans les armées, dont le patriotisme
républicain était ardent, mais dont la cohésion laissait encore par-
fois à désirer.

1. L'arrêté (en date du même jour), qui est joint à cette lettre, porte en outre que
toutes les nominations faites jusqu'à ce jour sont confirmées. Toutefois le Représentant
rappelle à tous les militaires que c'est un devoir pour tout Français de savoir la langue
de son pays.
2. Aul., Act. du Com. S. P., t. XIII, p. 103-101.
CHAPITRE IV

A LA RECHERCHE DE MÉTHODES ET D'HOMMES


PREMIERS PROJETS D'ÉCOLES NORMALES

LES MÉTHODES.
— C'était une oeuvre singulièrement difficile que
d'apprendre le français aux enfants qui ne le parlaient pas. Elle
demandait des méthodes appropriées, des maîtres habiles, la pré-
sence régulière et prolongée des élèves. Or, qu'espérer de pauvres
hères comme cet instituteur de la Robertsau, le citoyen Schwoerer,
dont Reuss a raconté les tribulations ? On le voit se faire inter-
préter le procès-verbal de son interrogatoire en langue allemande :
« il ne connaissait pas la langue française ». Il était né du reste
au-delà du Rhin ! 1

Elle existait pourtant, la méthode, qui n'était ni celle des thèmes


et des versions, ni l'analyse transcendentale et abstraite de la Gram-
maire générale. Elle avait même fait des merveilles entre les mains
de deux apôtres, dans un coin reculé des montagnes vosgiennes.
La Convention en avait eu connaissance. Le procès-verbal du 16 fruc-
tidor an II(2 sept. 1794) contient en effet la communication suivante
faite par « un membre » 2 : « Dans le département du Bas-Rhin, il y a
une vallée dite le Ban-de-la-Roche, composée de plusieurs com-
munes dans lesquelles on ne parlait qu'un patois que l'on ne com-
prenait plus hors de la vallée. Un vieillard respectable, père d'une

1. Reuss, Les trib. d'un me d'école, p. 24.


2. Guillaume accepte l'indication du Journal des Débats et décrets, qui nomme
Ehrmann (o. c., Conv., t. IV, p. 397). Les lettres publiées par Gazier permettent de croire
qu'il s'agit de Grégoire : « Vous devez vous souvenir de ce que vous avez vu au Ban-
de-la-Roche ; l'application de mon frère et de M. son devancier (Stouber) pourront
peut-être servir d'exemple à d'autres » (Lett. à Grég., p. 229).
Il faut noter que l'autre Oberlin (Jacques-Jérémie), le professeur du gymnase de
Strasbourg, qui écrivait en 1775 son Essai sur le patois lorrain, et qui compare souvent
le Ban-de-la-Roche à Lunéville, ne croyait pas alors à la possibilité de détruire le
patois. « C'est en vain qu'on se proposerait de déraciner le jargon populaire, dit-il,
les scavans l'apprendroient plutôt que les paysans et gens de métier ne sauraient s'en
défaire. Ajoutons que, parmi le beau sexe, l'on trouve presque partout des zélés
partisans du patois de chaque canton » (p. 4.) Oberlin avait fait une bibliographie de
livres patois comprenant 36 numéros. Elle appartient aujourd'hui à la bibliothèque
de Nîmes.
238 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

nombreuse famille, nommé Stouber, s'est dévoué à donner à ces


citoyens les moyens de communiquer avec les autres hommes. Pour
arriver à ce but, il créa une école d'instituteurs destinés à apprendre
le français aux bons habitants de cette vallée. Les soins de Stouber
n'ont pas été infructueux ; il est parvenu à faire apprendre à la jeu-
nesse à lire et à écrire en français. Stouber avec son successeur et
ami Oberlin ont porté leurs soins plus loin. Ils ont enseigné aux
jeunes gens du Ban-de-la-Roche les éléments de physique et d'as-
tronomie, de la botanique, de la musique, et de beaucoup d'autres
connaissances utiles à l'homme social ; et ce brave homme se croi-
rait offensé si on lui offrait une récompense pécuniaire ». La
Convention nationale décrète que le « récit qui vient de lui être
fait sera inséré honorablement au procès-verbal et au Bulletin ».
Quand il eut connaissance de la séance de la Convention, Oberlin
répondit par une lettre simple et touchante, qui est aux Archives 1,
où est exposée sinon son oeuvre, du moins sa méthode. C'est la
méthode directe, combinant leçon de mots et leçon de choses, telle
que nous la préconisons de notre temps. Voici cette lettre :
« Dépt du Bas-Rhin, Waldersbach, au Ban de la Roche, 9 Ven-
démiaire an III.
« Je reçus, il y a quelques jours, un Extrait du Procès Verbal de
la Convention Nationale du 16 Fructidor de l'An deux de la Répu-
blique Une et indivisible, où il fut fait mention honorable de mon
bon et loyal Prédécesseur Stouber, et de moi, pour nos Efforts à
francésiser, cultiver, civiliser les Habitans des cinq Villages et trois
Hameaux, sur les quels nous osions travailler au Ban de la Roche.
« Je fus extrêmement surpris de cet Honeur inattendu, et encore
ne sais-je trouver des expressions pour Vous témoigner la vive
Reconoissance, dont je fus pénétrer.
« Mon Embarras est d'autant plus grand, que ma Langue mater-
nelle étant l'allemande, sachant à force de Lecture assez de Fran-
çois pour ma chère Vallée, je reste court vis à vis de François, nés
François. Agréez, Citoyens Représentants, agréez l'assurance, que
je vis de Coeur et d'Ame, de Talens et de toutes mes Forces pour
la République Françoise.
« La Convention Nationale me témoigne Son Approbation de mes
soins pour introduire ici la Langue françoise. Peut-être oserois-je
Vous présenter une petite Description de la Méthode, dont je
me
suis principalement servi :
« Il y a environ 27 Ans, que j'établis huit Institutrices
pour les
1. Arch. N., F17 6891.
A LA RECHERCHE DE MÉTHODES ET D'HOMMES 239
huit Villages et Hameaux. Ces bonnes Filles instruites par feu ma
Femme et moi, montroient à leurs jeunes Elèves des deux sexes des
Figures d'Histoires, d'Animaux et de Plantes, où j'avais écrit les
Noms françois et patois, avec une courte Description en François.
Pour occuper en même temps les Mains des Enfans, les Conductrices
leur apprenoient le Tricotage inconnu jusqu'alors dans cette Con-
trée. Puis elles les amusoient par des Jeux, qui donnoient de l'Exer-
cice au Corps, dégourdissoient les Membres, contribuoient à la
Santé, et leur apprenoient à jouer honnêtement et sans se quereller.
Dans les beaux Jours on les menait à la Promenade, là les Enfans
cueilloient des Plantes et les Conductrices les leur nomoient et leur
faisoient répéter les Noms. — Toutes ces Instructions avoient l'air
d'un Jeu, d'un Amusement continuel.
« J'ai une petite Collection d'Histoire naturelle, de Productions
de l'Art, d'Instruments de Joueurs de Gobelets, etc. Le tout au ser-
vice de nos Institutrices. Quand donc le Zèle des Elèves començoit
un peu à se rallentir, un nouveau Miracle de notre Façon excitoit de
nouveau leur Surprise et ranimoit leur Goût à apprendre. J'ai oublié
de parler des petites Cartes Géographiques, taillées grossièrement
en Bois, par le Moyen des quelles mes chers petits Elèves se fami-
liarisoient un peu avec tous les Pays du Monde.
« Quand une Institutrice m'avertit, que les Elèves avoient bien
saisi leur Tache de Plantes Animaux Histoires Cartes Géographi-
ques, elle osoit produire ses Elèves à l'Eglise assemblée, et les
Enfans montroient leurs Progrès avec une Gaieté, avec une Extase,
qui faisoit pleurer les Vieux. De plus par cette Répétition ou Réci-
tation publique je réussis à Enseigner aux Vieux ce qui leur étoit
utile, mais que je n'aurois pas eu l'Occasion de leur apprendre.
« Par ces moyens cette petite Peuplade, jadis parfaitement igno-
rante, est toute métamorphosée et le François est quasi la Langue
maternelle de toutes les Familles qui ont bien voulu se laisser civi-
liser, quoique les Leçons de ces Institutrices, pour éviter le Dégoût
des Maîtresses et des Elèves ne se donassent qu'un ou deux Jours
par semaine, et qu'elles ne se douent aujourdhui qu'autant par
Décade.
« Corne par les dits Travaux j'ai eu le Bonheur
de prévenir les
Voeux du Comité d'Instruction et de la Convention Nationale ; je ne
souhaite rien tant que d'avoir la Satisfaction d'oser consacrer le
Reste de mes Jours à l'Instruction de cette Contrée.
« Que Dieu conserve la République et confonde ses
Ennemis » 1.

1. Il existe encore aux Archives Nationales (F17A 1207), une note à la main du
240 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Dans son désert, l'apôtre prêchait et il était écouté ; à Paris il


fut seulement complimenté.

ORIGINE DE L'IDÉE D'ÉCOLES NORMALES 1. L'idée de faire une pépi-



nière de maîtres était ancienne déjà en France. Elle avait été pré-
conisée dès le XVIIe siècle, et depuis par Crevier 2, par l'abbé Pesse-
lier, par Rivard, par Vanière 3. Barletti Saint-Paul prétend même
avoir souffert pour elle l'incarcération à la Bastille 4. Rollant, en
créant au chef-lieu de chaque Université une école spéciale et pro-
fessionnelle, recrutée au concours et dotée du monopole, Vadier en
instituant des Facultés d'éducation, Proyart en demandant une école
à Paris, se proposaient le même objet 6. Du reste les noviciats, pour
certaines congrégations, étaient des sortes d'ébauches de l'école
rêvée, et avaient montré l'intérêt d'une semblable institution 6.
D'autre part l'essai avait été tenté en Allemagne avec des résultats
excellents, on le savait en Alsace et en Lorraine, en raison du voisi-
nage 7. Un certain nombre de Cahiers, rédigés dans l'Est, y font
allusion 8.
Depuis la Révolution, diverses propositions avaient été faites aux

même Jean Frédéric Oberlin, jointe à la traduction qu'il envoie de la parabole de


l'Enfant Prodigue le 10 déc. 1807 : « Quoiqu'il y ait 40 ans passés (depuis 1767), que
je deserve cette Paroisse, je ne comprends rien, lorsque j'entends parler mes Paroissiens
entre eux en Patois. Mais aussi en ma présence on ne parle jamais Patois, et dans
beaucoup de familles on ne parle plus Patois avec les Enfants ».
1. Sur ce sujet voir l'article de P. Dupuy dans Le Centenaire de l'Ecole Normale,
et Guill., o, c., Conv., t. IV, et XXXVIII.
2. Diff. prop. à M. de La Chalotais, p. 44 ; et Mémoire sur la nécessité d'établir dans
Paris une maison d'instruction pour former des maîtres... S. 1. n. d., vers 1762, 28 p.
Barbier l'attribue à Rivarol.
3. Voir II. L., t. V, p. 38.
4. Cependant, ajoute-t-il, il était autorisé par le gouvernement. Mais l'Université
aurait vu d'un si mauvais oeil le Prospectus de celte école, que le Cours fut interdit
(o. c, p. 14, note m.). M. Funck-Brentano, qui a dépouillé les Registres, a vérifié que
Barletti Saint-Paul fut en effet enfermé du 20 février au 17 mai 1766, pour le motif
suivant : Epigrammes et injures contre les commissaires només pour l'examen d'un
ouvrage de lui sur l'instruction de la jeunesse (Les lett. de cachet à Paris... Paris, 1903,
n° 5707).
5. Letaconnoux, Les proj. de réf. scol., dans le Journ. de Psychol., janv.-mars 1924,
p. 251-252. Cf. le voeu du Clergé du Languedoc (1789) Hist. Lang., XIV, col. 2539.
6. Daunou accueillit l'idée d'avoir des écoles de l'art d'enseigner (Dupuy, o. c.,
p. 24-25).
7. J. Fr. Simon, le futur organisateur de l'École Normale do Strasbourg, avait fait
avec Schweighasuser un stage au célèbre établissement de Basedow, le Philanthropinum
de Dessau.
C'est dans un manuel publié en 1781 qu'ils expriment le de voir Louis XVI
voeu
créer « un corps de génie pour former des instituteurs capables de fournir à l'Etat des
hommes vigoureux et éclairés et des citoyens vertueux Louis XIV « a établi un
», comme
corps du génie pour rendre le canon français respectable aux ennemis » (Connaissances les
plus nécessaires... destinées à la jeunesse du moyen-âge MM. Schweighaeuser et Simon
par
conseillers de légat, de Mgr le Margrave de Bade et directeurs d'une maison d'éducation.
Bâte, 1781, in-12°, dans Reuss, Inst. pr.. 138).
p.
8. Allain, La quest. d'ens., p. 335, n° 15 de l'index et
p. 356, n° 10.
A LA RECHERCHE DE MÉTHODES ET D'HOMMES 241

Assemblées, par Major (12 octobre 1790)1, par d'Archenholtz, ancien


capitaine au service de la Prusse, qui exposait les magnifiques pro-
grès faits en Allemagne et la valeur de l'établissement de Basedow2.
Le Comité d'Instruction publique de la Législative s'était au moins
entretenu de la question : « M. Bourdon étant venu au Comité, il
a lu une adresse par laquelle il demande des encouragements publics
pour établir une école d'expérience où viendraient des élèves de tous
les départements »:i.
L'Alsacien Dorsch envoya à Paris une brochure qui fut trans-
mise au Comité d'Instruction publique le 14 mars 1792. Elle est
intitulée : Projet d'établissement de Collèges pour l'instruction des
Maîtres d'école, dans chaque département du Royaume, présenté
à l'Assemblée Nationale (Arch. N., F 17 1309, doss. 5). L'auteur les
appelle Collèges des Maîtres d'école (Schul-Lehrer Akademien). Le
projet n'a point pour but la francisation immédiate. On apprendrait
dans les Collèges de Maîtres « l'art de lire et d'écrire; l'orthographe
et les principes de la langue du pays, pour pouvoir la parler et l'écrire
correctement. Dans un département où deux langues sont en
usage, comme le nôtre, par exemple, il faut que les maîtres d'école
les possèdent toutes les deux », dit-il 1.

L'IDÉE SE PRÉCISE. — Simon a raconté plus tard les entretiens


qu'il eut à propos d'écoles normales avec le Comité d'Instruction
publique 5.
Lors des grandes discussions de juillet 1793, Léonard Bourdon et
Grégoire parlèrent de la nécessité de ces Ecoles normales6. Le
mot 7, comme la chose, s'imposait peu à peu aux esprits. Barère,

1. Projet d'une École Nationale, ou les Professeurs de tous les Collèges de la France
viendront apprendre le cours d'instruction donné par l'Assemblée Nationale et la manière de
l'enseigner (Voir le détail p. 16 et suiv.). J. F. Major, Tableau d'un collège en activité,
Bar-le-Duc (22 Dec. 1790), in-8°. Précédé d'un Discours sur l'Instruction publique adressé
au Comité de Constitution le 12 oct. 1790.
2. Let. du 30 mars 1792. Arch. N., F 17 1309, doss. 6.
3. 25 nov. 1791. Guill., o. c., p. 35.
4. Cf. Guill o. c., p. 149.
part à la journée du 10 août, puis à la défense de Mayence. Voir ses
,
5. Il avait pris
Observations sur l'organisation des premiers degrés de l'instruction publique. Paris, Levrault,
1801, in-8°.
Un membre ayant proposé de faire venir d'Allemagne les ouvrages sur l'organisation
des écoles normales, les universités et les gymnases, le Comité a chargé M. Arbogast
d'écrire pour cet effet à Strasbourg (Guill., o. c., t. I, p. 10).
6. 3Guill., o. c, Conv., t. II, p. 119 et 177. Le fils du pédagogue allemand Villaume,
ami et ancien collaborateur de Campe, avait écrit à la Convention, le 16 oct. 1712,
offrant ses services et pour fonder et diriger des séminaires de maîtres pour les écoles
nationales » (Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 507).
7. Il venait d'Allemagne. Voir Id., ib., t. I, p. 10, n. 4 et Id., ib., Conv., t. IV,
Treize canonniers,
p. 461, n. 1. Je crois devoir signaler qu'il prit une extension rapide : forgeurs de baïon-
un nombre proportionné de platineurs, garnisseurs, monteurs,
Histoire de la langue française. IX. 16
242 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

saisissant au passage l'occasion de se mettre en avant, en proposant


la fondation de l'École de Mars, ajouta qu'il y avait lieu d'établir à
Paris « une école où se formeraient les instituteurs, pour les dis-
séminer ensuite dans tous les districts », et il annonça un autre
rapport'. Il faut noter ce rapprochement : Ecole de Mars, Ecoles
Normales, on y persistera; et par là on perdra tout. L'expérience
faite en ventôse de la méthode révolutionnaire à l'École des Armes
donnera l'illusion qu'en toutes matières les résultats peuvent être
aussi prompts, et qu'on formera des instituteurs comme des salpê-
triers et des armuriers.
Le 1er prairial an II (20 mai 1794), Coupé présentait à la Convention
un Projet de décret tendant à révolutionner l'instruction2 : « L'admi-
nistration de chacun des districts de la République désignera, en
consultant à cet effet les sociétés populaires, quatre citoyens ayant
des dispositions pour l'enseignement. Les citoyens désignés se
rendront à Paris pour le 1er messidor ; ils recevront vingt sols par
lieue pour frais de route. A Paris ils seront logés, et recevront
quatre livres par jour. Des citoyens choisis par le Comité de salut
public, leur donneront pendant deux mois des leçons pour les
préparer aux fonctions d'instituteurs; ces citoyens se concerteront
entre eux sur l'uniformité du mode d'enseignement des objets dont
ils seront chargés, et des ordres seront donnés par le Comité de
salut public pour que le même enseignement puisse être fait à la
fois dans plusieurs sections. Ces maîtres rédigeront leurs leçons;
elles seront imprimées, et il en sera remis des exemplaires aux
élèves avant leur départ. Le cours d'instruction terminé, les citoyens
qui l'auront suivi retourneront dans leurs districts, et là, dans les
chefs-lieux de canton qui seront désignés par l'administration, ils
ouvriront des écoles publiques d'instruction où ils répéteront la
méthode d'enseignement qu'ils auront reçue à Paris. Ces nouveaux
cours seront de deux mois. Les citoyens et citoyennes qui seront
dans l'intention de se vouer à l'instruction en feront la déclaration
à la municipalité, et se rendront dans l'une des quatre écoles
ouvertes dans le district; ils recevront quarante sous par jour pen-
dant la durée des cours. Dès que le cours sera terminé, ces citoyens
et ces citoyennes se rendront dans les communes où ils désireront
ouvrir une école conformément au décret du 29 frimaire
».
Les dispositions que nous venons de résumer étaient suivies d'un

nettes, etc., réunis en école normale ont été formés dans le même temps (Lakanal,
15 mess an II, dans Aul., Act. du Com. S. P., t. XIV p. 702)
1. Guill., o. c., Conv., t. IV, XXVII
2. Id., Ib., p. 460. p.
A LA RECHERCHE DE MÉTHODES ET D'HOMMES 243

article final ainsi conçu : « Pour connaître l'effet que ce cours nor-
mal aura pu produire, il sera répété l'année suivante. Cette pre-
mière expérience indiquera par ses résultats les moyens de la
perfectionner et de donner à cette méthode révolutionnaire toute
l'extension dont elle sera susceptible »1.

LE PROJET DE BERGUES. — La Société populaire de cette ville envoya


au Comité d'Instruction publique un Projet d'établissement d'un Ins-
titut National à Bergues pour l'enseignement de la langue française
dans la ci-devant Flandre Maritime2. Il est assez important pour
être reproduit.
ARTICLE PREMIER.

« Il sera établi pour les deux districts de Bergues et Hazebrouk un


institut national, dont l'objet principal sera de former des institu-
teurs qui aient la capacité d'enseigner dans les communes de cam-
pagne, la Langue françoise, conformément au Décret du 8 pluviôse.
« Les deux districts
de Bergues et Hazebrouk font ce qu'on appeloit
ci-devant la Flandre-maritime françoise; les habitans y parlent la
langue flamande.
« Les vues bienfaisantes du Législateur,
deviennent parfaitement
nulles, si l'on n'adopte ce moyen, car il n'existe peut-être pas dans
les deux districts six citoyens qui aient la capacité nécessaire pour
enseigner la Langue françoise; ce n'est pas que le pays soit totale-
ment dépourvû de talens, mais ceux qui en possèdent quelq'uns,
ceux, surtout, qui ont celui de connoître à fond la Langue françoise,
se trouvent placés dans les administrations, dans les tribunaux, ou
exercent quelques autres fonctions qu'ils ne quitteroient pas pour
remplir une place d'instituteur.
« Il n'y a pas encore une seule commune
de campagne qui jouit de
l'avantage qu'a voulu lui assurer la convention nationale, rien ne
prouve conséquemment davantage la pénurie des sujets. Deux
citoyens seulement se sont présentés à la Société pour être examinés,
l'un deux a été accepté à la vérité, et sera, aux termes du décret,
proposé à la nomination du Représentant du peuple en mission dans
ce département, mais nous devons avouer que ce citoyen même,
n'a pas toute la capacité qu'on desireroit et qui rigoureusement est
indispensable pour remplir sa place avec succès. L'on a été obligé
d'user de quelque indulgence, parce qu'on a cru qu'il valoit mieux
de faire un bien médiocre que d'en priver totalement la campagne
par trop de sévérité.
1. Guill., o. c., Conv., t. IV, Introd., p. XXV.
2. 3 vendém. an III (24 sept. 1794). Arch. N., F17 6891 n° 4944.
244 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

ARTICLE 2.
institut placé à Bergues, dans le Bâtiment servant main-
« Cet sera
tenant à l'enseignement des humanités.

ARTICLE 3.

« Quatre instituteurs sachant parfaitement les deux Langues, seront


attachés à cet institut, ils seront nommés par le représentant du
Peuple en commission dans le Département qui prendra à cet effet
les renseignemens nécessaires sur leur capacité. Leur traitement
sera de 3 000tt.
«... l'on peut assurer qu'on ne parviendra à se procurer ces quatre
instituteurs qu'avec infiniment de peine.
ARTICLE 4.

« Chaque Municipalité de ville et de Campagne des deux districts,


indiquera ceux des citoyens de leur commune dans qui elle remar-
quera le plus de disposition et d'aptitude pour apprendre la langue
françoise et qui la connoissent déjà assez pour n'avoir besoin que
d'une année d'application pour s'y perfectionner...
ARTICLE 5.
« Ces citoyens seront pris de Préférence parmi ceux qui ont Reçu
quelques principes de la langue latine, s'il s'en présente suffisam-
ment.
ARTICLE 6.

« Les citoyens indiqués seront examinés par les quatre instituteurs


et les commissaires dont il va être parlé à l'article 8 ; il en sera
désigné 100 qui auront été reconnus les plus capables, et dans qui
l'on aura remarqué le plus de disposition, pour être reçus dans
l'institut national; en observant néanmoins, de ne pas inscrire
ceux que les qualités physiques ou morales doivent éloigner d'une
place d'instituteur, et ceux qui sont présumés ne vouloir pas se
charger de cette fonction à cause de leur fortune.
ARTICLE 7.
« Chaque élève touchera une gratification de 400tt par année, qui
sera payée par trimestre à titre d'encouragement et en considération
des frais de son déplacement.
« ... Il ne faut pas s'attendre à voir beaucoup de jeunes
gens
fortunés fréquenter cet institut, du moins dans l'intention de devenir
A LA RECHERCHE DE MÉTHODES ET D'HOMMES 245

instituteurs; il n'y a que les pères vraiment sans-culotes qui pourront


ambitionner ces places pour leurs enfans, et à moins de les encou-
rager, l'on manquera le but, car c'est déjà un sacrifice pour eux,
s'ils doivent se priver pendant une année et quelquefois plus long-
temps des secours qu'ils peuvent recevoir de leurs enfans, à la
campagne surtout; si à ce premier sacrifice, l'on joint celui de
devoir payer une pension hors de chez eux, ils seront absolument
dans l'impuissance de profiter des avantages que présentera cet
établissement.
ARTICLE 8.
« Cet établissement sera surveillé par cinq commissaires nommés
par le conseil général du District, qui les choisira parmi les citoyens
qui ont une connoissance parfaite des règles de la Grammaire.
ARTICLE 9.
« Ces Commissaires s'assembleront une fois par décade, et plus
souvent s'il en est besoin, ils détermineront de concert avec les
quatre instituteurs le mode de l'enseignement, et ceux-ci seront
tenus de s'y conformer.
ARTICLE 10.
« Les instituteurs enseigneront aussi les premiers élémens des
sciences les plus utiles et les plus indispensables à des républicains ;
ils s'entendent à cet égard avec les cinq commissaires.

ARTICLE 11.
« Cours de l'année, les élèves qui auront acquis la capa-
A la fin des
cité nécessaire, seront reçus pour instituteurs dans les communes
pour lesquelles ils témoigneront de la préférence; ils choisiront
dans l'ordre de leurs talens reconnus.

ARTICLE 12.

« A la fin del'année, l'on remplacera ceux des élèves qui auront


quitté pour aller occuper une place d'instituteur, et l'on complé-
tera derechef le nombre en le portant à 100, en suivant à cet effet
le mode indiqué par les articles précédens — on fera de même
chaque année, jusqu'à ce que chaque commune de campagne ait
son instituteur, à laquelle époque cet institut sera supprimé.
ARTICLE 13.
« L'enseignement sera public et chacun pourra y assister ; les jeunes
gens cependant qui voudront suivre le même Cours avec les 100
246 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

élèves déterminés par l'art. 6, seront soumis à la même police et


discipline, quoiqu'ils ne touchent pas la gratification allouée par
l'article 7.
Adopté par la Société populaire en sa séance du trois vendé-
«
miaire 3e année de la républ. fr. u. et ind. « Marhem président,
Bouchette secrétaire », etc.
Voilà certes un projet bien conçu, solide, tel qu'un Comité de
spécialistes eût eu peine à le dresser. Il est digne de Bouchette 1.
On ne pouvait lui reprocher que la dépense qu'il entraînait : 62000
livres. Aucune mention n'indique qu'il ait été l'objet d'un examen.

SUGGESTIONS DU BAS-RHIN. — Nous avons rapporté plus haut les


efforts faits par les Administrateurs du Bas-Rhin, pour trouver des
instituteurs de français. Dans une lettre à Thibaudeau du 23 prai-
rial an II (11 juin 1794), ils avaient avoué leur impuissance. Nous
avons réclamé, disent-ils, le secours de la Société populaire de Stras-
bourg à ce sujet, mais ses efforts ont été presque nuls jusqu'à pré-
sent et nous sommes « forcé de soliciter le Comité d'instruction
publique de venir à notre secours pour prevenir cette pénurie pré-
judiciable à la chose publique dans ce département » (Ulrich, Rivet
pr., Marey, Mougeat, Fiesse) 2. Thibaudeau fit un rapport, le
29 prairial (17 juin). Il y faisait ressortir une fois de plus les diffi-
cultés qui s'élevaient au sujet des lois de frimaire et de pluviôse :
« 1° Dans chaque commune où l'on parle l'idiome étranger, doit-il
y avoir deux instituteurs, dont l'un pour cet idiome, l'autre pour
le français, et seront-ils payés l'un et l'autre du traitement fixé par
les deux lois?
« 2° Dans les Communes pour lesquelles l'on ne peut pas trouver
des instituteurs français, doit-on laisser un instituteur pour l'idiôme
étranger?
« 3°Quels sont les moyens de donner promptementdes instituteurs
de langue française aux départemens désignés par la loi du 8 plu-
viôse ?
« Il n'y a pas de doute, continue-t-il, que l'intention de la Con-
vention dans la loy du 29 frimaire a été que les instituteurs des
écoles primaires enseignassent en français dans toute la république,
quoique cela n'y fût pas formellement exprimé
».
On avait bien prévu que la loi de frimaire serait insuffisante,
on
l'a complétée le 6 (lisez 8) pluviôse. « Ainsi c'est à l'exécution de cette

1. V. p. 25.
2. Arch. N., F17 6891
A LA RECHERCHE DE MÉTHODES ET D'HOMMES 247
dernière loy que les autorités constituées des départemens visés
doivent se fixer ». Cependant, « comme elle n'abroge pas formelle-
ment la loy du 29 frimaire, il est nécessaire de ne plus laisser de
doutes à cet égard ».
« Ils se plaignent de la rareté des hommes en état de remplir
les fonctions des instituteurs, parce qu'il faut qu'ils sachent à la
fois la langue française et l'idiôme ou le patois du païs dans lequel
ils sont établis ».
« Il n'y a que le comité de Salut public qui puisse prendre des
mesures pour faire cesser cette difficulté, soit en mettant en réqui-
sition, pour les envoyer dans les départemens, des hommes en état
de faire l'enseignement prescrit par la loy du 8 pluviôse, soit en
authorisant les autorités constituées de ces départemens à faire eux-
mêmes ces réquisitions, soit enfin en établissant des écoles nor-
males dans les départemens indiqués par la loy du 8 pluviôse » 1.
Le 1er messidor an II (19 juin 1794), le Comité entendit ce
rapport 2. Un projet de décret fut envoyé au Comité de Salut public.
Les écoles normales y sont expressément mentionnées :
« 1° Les dispositions de la loi du 29 frimaire sont rapportées pour
les départements dans lesquels il a été établi des instituteurs de
langue française pour le premier degré d'instruction publique.
« 2° Tous les instituteurs des Ecoles primaires enseigneront en
langue française.
« 3° Les directoires de district sont autorisés à mettre en réquisi-
tion les citoyens qui seront jugés capables de remplir les fonctions
d'instituteurs des écoles primaires dans les communes où il ne s'en
trouverait pas d'établies.
« 4° Dans les chefs-lieux des départements pour lesquels il a été
établi des instituteurs de langue française, par le décret du 8 plu-
viôse, il sera établi une école normale pour en former.
« 5° Les directoires de district de ces chefs-lieux choisiront, à cet
effet, deux citoyens les plus capables d'enseigner la langue française,
d'après la méthode la plus facile et la plus prompte.
« 6° Le cours durera pendant trois mois ; tous les citoyens
qui
se destineront à l'enseignement primaire y seront admis ».

AJOURNEMENT. Tout cela demeura en projet. Cependant, le



8 messidor (26 juin), le Comité d'Instruction publique rappelait,
sous la signature de Villar, au Comité de Salut public le rapport

1. Arch. N., F17 6891.


2. Voir Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 665 et suiv.
248 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

le projet de décret relatif Instituteurs de langue française1.


et aux
Messidor se passa sans que le Comité de Salut public prit une déci-
sion à ce sujet, et on le comprend; non seulement il était surchargé
d'affaires, mais il répugnait fort probablement à constater les déplo-
rables résultats des lois de frimaire et de pluviôse. Il fallut que le 29,
le Comité d'Instruction publique lui renvoyât une nouvelle expédition
de son projet de décret. Ce fut seulement le jour de la 4e sans-culottide
que la Convention, sur le rapport de Lindet, vota un décret aux
termes duquel son Comité d'Instruction publique était chargé de
lui présenter, dans deux décades, un projet « d'écoles normales, où
seront appelés de tous les districts tous les citoyens déjà instruits,
pour leur faire apprendre, sous les professeurs les plus habiles dans
tous les genres de connaissances humaines, l'art d'enseigner les
Sciences utiles » 2. Il était bien tard.
Pendant cette période, il n'y eut, à ma connaissance, qu'un seul
et unique essai du système 3. Ce fut en Alsace que Simon le tenta. Il
en avait été chargé par le département du Bas-Rhin. Mais son
école normale ne marcha que médiocrement ; les raisons, d'après
ce que nous avons dit, sont faciles à deviner. Il faut ajouter que
personne n'eut l'air d'apprécier la valeur de son effort dans ces
temps si troublés. On vit à un moment les locaux de l'Ecole
occupés par les porcs que l'administration militaire avait réquisi-
tionnés !4

1. Arch. N., F17 6891.


2. Guill., o. c., Conv., t. IV, Introd., p. XXVII-XXVIII.
3. Un jeune homme d'Eiweiler, canton de Frühlingen (Bas-Rhin), Jean Philippe Kai-
bach, écrit en allemand de Strasbourg, le 15 prairial an II (3 juin 1794), en fournissant
un certificat de moralité et de civisme, pour exposer que le représentant a fait connaître
dans le district de Neusaarwerden l'ouverture d'une école normale à Strasbourg,
destinée à la formation d'instituteurs de français. L'Agent national prévenu les
a
jeunes gens. Lui s'offre. Il ne sait pas le français, mais il l'apprendra pour l'enseigner
ensuite dans son endroit. Quoique père de famille, il a fait le sacrifice d'une séparation
avec l'espoir de servir sa nouvelle patrie. Il a fait le voyage de Strasbourg, s'est présenté
à Simon. Mais il ne peut pas supporter les frais, il demande (Arch N.,
F 6891).
17
un secours
4. Guill., o. c., Conv., t. IV, Introd., p. III ; cf. p. 738.
CHAPITRE V

EFFET MÉDIOCRE DE LA POLITIQUE DE LA LANGUE


SUR L'USAGE LINGUISTIQUE

— J'ai dit plus haut que les milieux


LES VELLÉITÉS ET LES FAITS.
républicains n'avaient pas été insensibles aux appels de la Conven-
tion. Si les écoles décrétées ne purent pas se créer, le mouvement
d'opinion fut réel et peut-être assez étendu. Mais put-il se traduire
dans les faits, et vint-on au français par ordre et
sous l'influence
des injonctions envoyées de Paris? C'est
une autre affaire.
La vie politique elle-même, et à plus forte raison la vie scolaire,
en fut à peine influencée. Comment eût-il pu en être autrement? Le
regret d'ignorer une langue pousse à l'apprendre, quand on en a
les moyens et le temps. Mais il ne suffit pas d'aimer une langue,
il faut s'en assimiler de façon quelconque les mots et les formes.
On entreprit et on exécuta des traductions, tout comme on en
avait fait jusque-là. Les Sociétés populaires continuaient à presser
les administrations pour en avoir. Celle de Bitche écrit, le 27 floréal,
an II (16 mai 1794), aux Membres composant l'administration du
département de la Moselle : « La société toujours prévoyante sur les
obstacles qui peuvent entraver le propagement du républicanisme,
vient de s'assurer que le plus grand obstacle nait de la difference
de la langue. Vous avez été invité par l'administration de district à
adresser les loix en allemand; soit oubli dans les Bureaux, soit tout
autre Cause, le district interrogé a répondu négativement sur la
nature de cet envoy. Nous ne doutons pas que vous ne vous empres-
siez à coriger cet abus. Vos frères vous y invitent et attendent de
votre zele la plus prompte exécution »1.
Le 11 prairial an II (30 mai 1794), le Comité d'Instruction publique,
loin d'abjurer l'hérésie, chargeait Grégoire lui-même de s'assurer si
les traductions ordonnées par un décret s'effectuaient. Cette date

1. Signé Ferey, président, g1 de brigade, Commandant de Bitche, Joly, secrétaire.


Arch. de la Moselle, II. L. 901. Pér. révolre. Communiqué par M. D'Arbois de
Jubainville, Archiviste.
250 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

importe. C'est ce jour-là en effet que Grégoire fut autorisé à communi-


Comité de Salut public célèbre rapport sur les patois 1. La
quer au son
rencontre est instructive, elle montre comment on entendait combiner
des moyens d'action qui ne s'excluaient pas : se servir des idiomes
attendant, faute de mieux, et former en même temps des géné-
en
rations qui connussent le français. Quel est le politique raisonnable
qui n'eût pas consenti à ces concessions et n'eût pas subordonné les
avantages de la francisation à des nécessités autrement pressantes?

LES ADMINISTRATIONS, LES SOCIÉTÉS. — La propagande continua dans


la langue qui portait le mieux. Assurément, une fois les directives
reçues de Paris, on éprouvait comme une pudeur de ne pas donner
les marques de patriotisme demandées. Mais à l'impossible nul n'est
tenu, et à bien dire, exiger de nombre de républicains de renoncer
à leur langage, c'était leur enjoindre de se tenir cois. Aussi est-il
bien des clubs qui n'essayèrent même pas de se conformer aux
nouvelles instructions.
A Villecroze, le 10 floréal an II (29 avril 1794), on s'abonne au
Journal d'Instruction publique ; on organise des instructions morales
et patriotiques, où on explique les droits de l'homme et les lois en
langue vulgaire du pays 2. A Dunes-en-Condomois, à la séance du
25 floréal an II (14 mai 1794), on charge le président de présenter
à la prochaine séance un précis du rapport de Robespierre sur
l'Etre suprême, en idiome du pays 3.
Il y eut des localités où on renonça plus ou moins solennellement
au patois, où on fit même mine de le condamner ; ces manifestations
ne furent ni bien nombreuses ni bien sérieuses, et il faut y regarder
de près. Ainsi on raconte qu'à Marseille le conseil municipal interdit
la représentation de pièces en provençal, « l'unité des Français
devant exister jusque dans leur langue » (23 floréal an II
— 12
mai 1794)4. Mais de graves soupçons n'avaient pas cessé de peser
sur les dispositions de la ville à l'égard du gouvernement. D'autre
part, les autorités locales voulaient en la circonstance faire pièce à un
auteur, et tout cela a bien pu, autant que le zèle pour la langue
nationale, inspirer cette mesure inattendue qu'on couvrait d'un
prétendu loyalisme envers la langue. Lorsque l'armée révolution-
naire était rentrée dans Marseille (25 août 1793), la nouvelle
municipalité, pour se recommander, avait fait proclamer la décla-

1. Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 501.


2. Poupé, o. c., dans La Révol. fr., t. 40, 1901, 148; cf. Brun, Mêm. ms.
3. Bigourdan, Soc. pop. de Dunes, p. 62. p.
4. Fabre, Rues de Marseille, t. III, p. 410, dans Brun, Rech. hist.,
p. 492.
LA POLITIQUE DE LA LANGUE ET L'USAGE LINGUISTIQUE 251

ration des droits et la constitution dans tous les lieux publics


— en
langue provençale 1.
Ailleurs aussi il faut se défier des empressements excessifs. Ainsi en
Alsace, Barr et Sélestat semblaient lutter de bons sentiments; il
s'agissait en réalité pour l'une ou l'autre ville d'être choisie pour
chef-lieu du district 2.
Reconnaissons que diverses localités essayèrent de bonne foi de
bannir le patois. Ainsi à Callas (Var), le 6 thermidor (24 juillet), deux
membres de la Société populaire, considérant « qu'il ne devait plus
y avoir d'autre idiome dans la République que le français, ce qui...
rapprochait toujours plus de l'égalité », proposèrent de ne plus
parler que français et de ne plus faire de motions qu'en cette
langue. La proposition fut adoptée. Mais il fallut bien en rabattre;
des réclamations s'élevèrent, notamment au sujet de la lecture « des
papiers publics » et des procès-verbaux. L'agent national eut beau
relire le décret de la Convention sur l'emploi de la langue française
et faire sentir la nécessité de s'y conformer ; il est certain que le
provençal ne fit qu'une absence et ne tarda pas à reparaître, après
moins d'un mois (Séances des 1er et 4 fructidor an II-18 et 21 août
1794) 3.
A Aix, à la Société des Anti-politiques, le 16 pluviôse an II (4
février 1794), le Président avait lu le décret et invité « tous les
François à ne parler que sa propre langue »4 (sic). Se tint-on à cette
résolution? Peut-être quelque temps. Mais en vendémiaire an III,
quand on « régénérera » la Société et que d'anciens clubistes se pré-
senteront pour rentrer, on leur fera lecture de l'arrêté en... provençal 5.
En pays d'idiome, il n'y eut peut-être même pas d'abandons tem-
poraires, du moins là où la terreur n'y obligea point. En Bretagne,
le 20 prairial an II (9 juin 1794), un maire et un commissaire du dis-

1. Bargès, Doc. sur l'hist. de l'Egl. d'Auriol. p. 187, dans Brun, Mém. ms.
2. Le directoire de Benfeld, transféré à Barr, avait pris, dès le 17 janvier, une déli-
bération sur l'ouverture provisoire d'écoles françaises dans l'Arrondissement (Eccard,
o. c, p. 122). Marc Probst avait été nommé président des écoles françaises. Sélestat
essaya de jeter la défaveur sur Barr. Le 17 pluviôse an II (5 février 1794), le Conseil
général de la Commune, le Général de brigade Girardot, toutes les Autorités civiles et
militaires et la Société populaire s'unirent dans une pétition en faveur du transfert à
Sélestat. On s'appuyait sur ce que et les Administrateurs trouveront une resource dans
un certain nombre de patriotes éclairés de cette commune pour les differentes Com-
missions, ce que Barr n'a jamais pu fournir vû qu'on n'y parle que la langue alle-
mande » (Arch. munie, de Sélestat, D13 n° 9, p. 337).
3. Poupé, o. c., p. 496. L'agent national rappelait encore en messidor que les insti-
tuteurs devaient s'attacher à faire disparaître « le jargon bizarre de cette contrée »
(Bulletin de la Soc. d'ét. de Draguignan, Honoré, L'instr. à Bormes, dans Brun, Rech.
hist., p. 492).
4. Arch. des B.-d.-Rhône, L. 2029, f° 77 v°, dans Brun, Mém. ms.
5. Bizos, Le Distr. d'Aix, dans La Révol. fr., t. XIII, 1887, p. 2; cf. Brun, Mém. ms.
Rapport de l'agent d'exécution.
252 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

trict, expliquaient de concert au peuple que « le Peuple français


reconnaît l'Être Suprême » 1. Ils se servirent du breton.

RÉSULTATS DE LA TERREUR EXERCÉE EN ALSACE. En Alsace, les



maintenaient, et, malgré les menaces, dialecte et français
usages se
alternaient, même dans la bouche des patriotes. Considérons d'abord
Val-aux-Mines. Le 7 ventôse an III (25 février 1794), Kriegelstein
obtient la parole à la Société. Il monte à la tribune pour y lire un
discours allemand, rendu ensuite en « langue républicaine » par
Testu. Le 10 ventôse, c'est Isaac Grandpierron qui parle en français.
Son discours est mis en allemand par Dicker. Ce n'est pas tout. Les
droits des deux idiomes sont réglés suivant un principe d'égalité.
On demande que toutes les motions faites au sein de la Société soient
traduites et rendues dans les deux langues; sur l'observation que les
deux interprètes chargés de cette traduction manquaient souvent tous
deux, il est arrêté qu'on en nommera deux autres... afin qu'en
l'absence de l'un, l'autre puisse le suppléer. A la même séance, il
est encore décidé que chaque décadi un Membre fera lecture des
gazettes pendant une heure en français, d'une à deux heures; de
deux à trois heures on continuera en allemand 2.
A la fête de la Raison, Hachette est chargé de tenir le discours
français, Grügelstein (est-ce le même que Kriegelstein ?) le discours
allemand (10 prairial an II —29 mai 1794, Proc.-verb., p. 267). On
ne voulait pas « laisser à leurs préjugés les gens de la localité et des
petites localités environnantes qui étaient de langue allemande ».
Aux Jacobins de Colmar, des mesures tout aussi libérales et rai-
sonnables furent prises. Le 2 thermidor an II (20 juillet 1794), Fri-
dolin Frey, simple ouvrier, demandait de nouveau qu'on reproduisît
chaque fois en allemand ce qui avait été traité en français 3. En fait
Lucé, Metzger, Ortlieb rendaient ordinairement aux frères le service
de traduire. On proposa le 8 que ce devînt une règle et que l'un
d'eux se tînt régulièrement au bureau à cet effet 4.
Le même jour, les inquiétudes se manifestèrent au sujet de la fran-
cisation précipitée. Le décret ordonnant que les publications des
pièces et actes n'eût plus lieu qu'en français, fut lu en séance ;
Blanchard demanda que le Comité fit un rapport sur la situation
que créait cette mesure. Il fut répondu que la municipalité avise-

1. A Dupuy, Art. c. dans Ann. de Bret.. t. III p.


51
2. Proc. verb., p. 232. Cf. p. 287.
3. Leuillot, o. c., p. 285.
4. Id., ib., p. 292.
LA POLITIQUE DE LA LANGUE ET L'USAGE LINGUISTIQUE 253
rait. Quant aux campagnes, le comité d'instruction fut chargé d'un
rapport pour faciliter l'exécution du décret 1.
On se soumettait donc, mais il était visible qu'on le faisait sans
empressement. Pour ne pas revenir plus tard sur ce sujet, je dirai
tout de suite qu'aussitôt que la chose fut possible sans trop de danger,
les membres allemands réclamèrent. Un brave homme de tambour,
nommé Doll, « observa », le 10 vendémiaire an III (1er octobre 1794),
que, lorsqu'il faisait des publications de la part du Corps municipal,
il était tenu de les faire en allemand. Il désirait donc que dans la
Société on expliquât de même ce qui se disait à des concitoyens qui
ne comprennent pas le français. Adopté 2. Lucé fut invité à traduire
en idiome allemand l'écrit intitulé les Crimes des Sociétéspopulaires,
pour en donner lecture à la séance du décadi 3. Les demandes à ce
propos ne cessaient plus. Le 20 pluviôse (8 février), Buob, constatant
que les nouvelles sont importantes, déclare qu'il serait bon d'en être
informé dans l'idiome du pays ; il propose qu'on s'abonne à la
Strassburger Zeitung. A la même séance, on traduit un passage de
la Feuille décadaire de Chayrou 4. Le 10 ventôse (28 février), on
traduit en idiome le décret sur la liberté des cultes. Frey donne des
nouvelles en allemand. On réclame encore une fois un abonnement à
une feuille en allemand 5.
Le 20 ventôse (10 mars), les plaintes se renouvellent. Suivant
l'art. 6 du règlement du 20 décembre, les discours devaient être tra-
duits et lus au décadi suivant 6. Fiest regrette qu'il n'y ait jamais de
discours allemands. « Les Sociétaires... [connaissant] cette langue
n'ont jamais l'attention de faire la traduction... il demande que
le discours de Jourdain (sur le courage) soit interprété. Ortlieb...
analyse... ce discours en allemand; il [lit les] plus intéressantes nou-
velles contenues dans les gazettes allemandes. Lucé demande la pa-
role pour faire l'interprétation en allemand du rapport [de Carnot] » 7.
Encore trouvait-on que le français tenait une trop grande place
dans les réunions. Quand, en l'an III, la Société se mit à décliner visi-
blement, — les raisons, on le devine, étaient d'ordre général, — plu-
sieurs attribuèrent cette décadence à l'abus qui avait été fait du fran-
çais, au parti pris de discuter en cette langue, ce qui avait fini par
lasser des habitués. Erdinger observant qu'ordinairement les mem-

1. Leuillot, o. c., p. 292.


2. Id., ib., p. 362.
3. Id., ib., p. 403.
4. Id., ib., p. 425-426.
5. Id., ib., p. 430-431.
6. Id., ib., p. 416.
7. Id., ib., p. 434.
254 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

bres ne se rendent plus nombre suffisant aux séances, Doll a décou-


en
vert les causes de l'absence des membres, c'est «
qu'on ne traite...
les affaires que dans la langue française et, comme beaucoup de
membres ne la comprennent point, ils sont naturellement distraits 1.
Dès que Foussedoire arriva, il jugea fort sainement la situation,
et, loin de bannir l'allemand, il ne songea qu'à s'en servir. Appre-
nant qu'il avait existé une feuille de propagande villageoise en alle-
mand, il la ressuscita, en en faisant une édition française et une
édition allemande, et cela dans le mois qui suit le décret Barère
(ventôse an II) :
1. — Il sera rédigé et distribué à chaque commune du départe-
ment du Haut-Rhin, à toutes les autorités et aux Sociétés popu-
laires une feuille périodique destinée à propager l'esprit public...
2. — Cette feuille sera rédigée par les anciens éditeurs de la
feuille périodique, dite Feuille villageoise [et] imprimée tant en
langue françoise qu'en idiome dit du pays, jusqu'à ce que l'instruc-
tion publique ait fait disparaître cet idiome étranger 2.
Nous connaissons mal le Décadaire. Cependant les premiers nu-
méros ont été retrouvés et publiés par Guillaume avec une lettre
de l'éditeur Blanchard, datée de Colmar, 8 floréal an II. Il y est dit:
« Privé de la connaissance de ses devoirs et de ses droits, à cause
de sa difficulté à comprendre la langue française, il ne connaissait
pas le prix de la Révolution...
« Une société de patriotes connut l'étendue de ces maux et songea
à y remédier.
« Elle entreprit déjà l'année dernière la rédaction d'une feuille
villageoise, qui, rédigée dans l'idiome du pays et répandue avec pro-
fusion, servît merveilleusement à instruire le peuple et à l'éclairer ».
« Cependant la loi salutaire qui accorde des instituteurs de la
langue française aux communes de ce département, exigea aussi un
changement dans la rédaction de cette feuille.
« Le représentant... Foussedoire, en reconnaissant la nécessité
de l'instruction dans ce département, ordonna que ladite feuille
serait rédigée dans les deux langues pour servir de livre élémen-
taire aux instituteurs, pour habituer peu à peu le peuple à la langue
française, et pour l'instruire insensiblement dans les connaissances
qui forment des républicains » 3.

1. Leuillot, o. c, p. 439.
2. Guill., o. c., Conv., t. III, p. 595, et t. IV, p. 327; cf Arch. N., F17 1009B

2184.

3. Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 325. Le Décadaire parut jusqu'en l'an III. A en

juger par les numéros spécimens, il n e dut pas avoir un grand succès près des

populations alsaciennes.
LA POLITIQUE DE LA LANGUE ET L'USAGE LINGUISTIQUE 255

PROTESTATIONS. ALLEMANDS DE LANGUE, PATRIOTES DE COEUR.


— C'était
la seule chose à faire, s'accommoder du présent et préparer
l'avenir. Sans doute on s'explique les impatiences de Représentants
incapables de trouver même assez de citoyens comprenant le fran-
çais pour composer les corps municipaux 1. La différence de lan-
gage, qui ailleurs était un inconvénient, tournait en Alsace au fléau.
Elle favorisait les communications constantes avec l'ennemi, et
les rendait plus difficiles à surveiller.
Mais c'était un injuste aveuglement, et une funeste confusion que
de traiter en bloc comme des ennemis de la République tous les gens
qui parlaient allemand. Hentz, lui aussi, donna dans cette erreur.
« Le Bas-Rhin, écrit-il le 19 prairial (7 juin), et les districts qui
ne parlent qu'allemand sont plus mauvais que l'ennemi» 2. Et à
quelques jours de là (25 prairial), il continue : « Quand le mouvement
sera donné, je parcourrai les départements du Haut-Rhin et du Bas-
Rhin, qui sont bien mauvais, et je mettrai à la raison les égoïstes,
les agitateurs et les contrerévolutionnaires allemands, qui invitent
les Prussiens à venir chez eux » 3. Le 4 thermidor (22 juillet), après
avoir parcouru avec Goujon le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et le Mont-
Terrible, il reprend : « Ce malheureux état de choses a son prin-
cipe dans l'aristocratie des riches, qui dominent dans ce pays,
dans le caractère des Allemands, qui sont serviles, dans la langue,
si différente de la nôtre, dans la présence des prêtres et d'une
foule de juifs. Ils nous appellent des étrangers, et le mot Fran-
çais, donné à quelqu'un, est une injure... Dans le Mont-Terrible...
le peuple de la partie française est excellent » 4.
Le résultat de cette méprise fut celui auquel on pouvait s'atten-
dre. La contrainte ne réussit jamais longtemps. En France elle
exaspère et révolte. Hartmann a cité l'opinion d'André Ulrich, le
célèbre publiciste de l'époque. Elle est formelle: plus on faisait,
plus la résistance devenait opiniâtre, et tournait à la haine de la
Révolution et même de la France 5.

1. Bar écrit, le 28 ventôse an II (18 mars 1794), de Sélestat : « l'habitude où est encore
la grande majorité des citoyens du département du Bas-Rhin, de ne parler que la langue
allemande, en les empêchant de saisir le sens des lois, les met dans l'incapacité de
remplir les fonctions publiques... A Landau... le défaut d'usage de la langue française,
le peu d'énergie des citoyens, tout m'a conduit à ne former qu'une commission muni-
cipale provisoire » (Aul., Act. du Com. S. P., t. XII, p. 52).
2. Id., 76., t. XIV, p. 211.
3. Id., Ib., p. 302.
4. Id., Ib., t. XV, p. 368.
5. « La première et la principale cause pour laquelle le Strasbourgeois et l'Alsacien
montre une si grande froideur et même de la haine contre les Français était plutôt
parce qu'ils ne comprenaient pas leur langue qu'on leur imposait despotiquement, que
parce que le gouvernement était despotique ».
256 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

On peut voir, dans les Procès-verbaux publiés par Leuillot, avec


quelle sévérité les Jacobins de Colmar sommèrent les membres qui
avaient été à la Propagande de s'expliquer sur les motions barbares
et incendiaires qu'on y avait faites 1. « Les habitants du Haut-Rhin,
disait-on, ne diffèrent pas en patriotisme des autres départements...
Il est vrai que... l'on y parle encore l'idiome allemand. Mais
sommes-nous moins français pour cela?... La différence de l'idiome
ne peut... servir de prétexte à établir une différence entre les
départements qui ne connaissent que la langue française » 2.
De son côté, la Société des Amis de la Constitution de la Ville et
du voisinage de Ribeauviller, écrit à la Convention, le 15 thermidor
an II (2 août 1794) de la République une, indivisible et démocratique :
« ... la calomnie
s'est étudié a déprimer aux yeux du Peuple fran-
çais les habitans du Departement du Haut-Rhin. Nos freres de
Colmar y ont repondu par les faits, par les preuves sans nombre
que le Departement du haut-Rhin n'a cessé de donner de son Patrio-
tisme, de son Amour pur et ardent pour notre immortelle Répu-
blique. Vous les avez trouvées consignées dans l'Adresse que la
Société populaire de Colmar vous a présentée le 30 messidor.
« La Société et la commune de Ribeauviller vinrent y adhérer
pleinement: Nous garantissons la verité de chaque ligne... Mais
vous ne parlés pas la Langue Nationale? Cela est faux, tous ceux
qui la savent, et c'est la moitié des Citoyens, la parlent et la parlent
avec plaisir et de préférence; et ceux qui ne savent encore qu'une
seule langue, parlent la langue qu'ils savent; nos Detracteurs, que
font-ils de plus ? et s'ils étaient à la place de nos corps constitués,
ignorant la langue de nos Administrés, leur parleroient ils en langue
française pour le plaisir de la parler ou pour en être compris ?
« Nous ne parlons pas la langue Nationale? Mais suffit-il de par-
ler français pour être bons républicains? Les infâmes fanatiques de
la Vendée et les traîtres lyonnais et Toulonnais et les Marseillais
insensés fédéralistes ne parlaient-ils pas français,
ceux là? Et suffit-
il de parler Allemand pour être contre-révolutionnaire ? les fidèles
habitans des Départements du haut et bas Rhin, qui sont morts les
armes à la main, qui ont massacrés (sic) les vils satellites des Despotes
'' Les Alsaciens ne peuvent être formés à la vie civique, que si on leur apprend

à parler....

" La langue française doit être inculquée au peuple par des écoles appropriées.

Si une fois elles existent, alors les juges et l'administration pourront l'introduire

officiellement '' (Hartmann, Andreas Ulrich. ein strasb. Publizist, dans Jahrb, f. Gesch.

der Spr. u. Lit. in Elsass-Lothringen, p. 65 et suiv.).

1. Leuillot, o. c., p. 318.

2. Observations de la S. sur le rapport présenté à la Convention... par Hentz, dans

Leuillot, o. c., p. 338


LA POLITIQUE DE LA LANGUE ET L'USAGE LINGUISTIQUE 257

— nous mêmes enfin qui outre les travaux de la fenaison et de la


récolte, avons continué à envoyer chaque décade un sixième de nos
concitoyens faire la garde pénible des bords du Rhin dégarnis de
Troupes; en étaient ils — en sommes nous moins bons républicains,
parce que nous parlons encore en partie la langue allemande ?
« Nous ne parlons pas la Langue nationale ! Mais si même sans
le secours de la langue nous n'en sommes pas moins bons français,
est-ce là un mérite de moins ou de plus? — Nous ne parlons pas
la langue nationale ! Mais nous employons tous les moyens possibles
pour l'apprendre ; nos sociétés populaires discutent les interrêts de
la République dans les deux langues ; nos instituteurs du peuple lui
addressent la parole au Temple de l'Etre suprême chaque Décadi
successivement dans les deux langues, ils mettent entre les mains
du peuple des hymnes en deux colonnes, énoncées dans les deux
langues. Nos instituteurs de la langue française sont ou vont être
établis; et pour suppléer à leur pénurie, puisqu'il faut qu'ils soient
également versés dans les deux langues, vous allez recevoir inces-
samment, citns Représentants, de la part de l'Administration du
Département du haut-Rhin, un moyen également sur, prompt et
facile, d'accélérer presque sans institeurs (sic) la connaissance et
l'usage de la langue française dans nos Départements; méthode con-
çue et exécutée par un membre de notre Société; Nous saisissons
cette occasion pour vous prier de l'adopter sans perte de temps et
de la rendre générale dans nos écoles nationales, lorsque vous
serez convaincus de son utilité. Citoyens Représentans, que faut-il
faire de plus pour mériter votre approbation et l'amour de nos
frères, dites nous le ; rien de ce qui peut contribuer au Salut de la
République n'est étranger à la Société populaire de Ribeauviller ;
vous connaîtrez sans doute des républicains plus éloquens, mais
vous n'en compterez pas de plus fidèles que les habitans du Dépar-
tement du haut-Rhin. Salut et Fraternité. Eberhard, Près. Barth,
Pres.adj. Kohler, Secrre " 1.
Schneider, si exalté qu'il fût, avait des raisons de voir juste en
cette affaire. S'il savait le français, il était né Allemand, et en me-
nant la bataille dans le pays, il avait vu par expérience où on en était ;
il faisait la différence entre ce qu'on pouvait espérer de l'avenir
et ce qu'il était raisonnable de demander dans le présent. Il écrivait
dans l'Argos, dès le 12 pluviôse (31 janvier) : « Toutes les communes
où jusqu'à présent on a parlé une autre langue que la française, reçoi-
vent un maître de cette dernière. Cela est raisonnable et adapté à son
1. Arch. N., F 17 6891. L'adresse fut renvoyée au Comité d'instruction publique, le
9 fructidor (26 août).
Histoire de la langue française. IX. 17
258 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

but; mais vouloir que de braves gens, sans leçons, en quatre se-
maines, comprennent et parlent le français, est et demeure un pur
non sens » (ein baarer Unsinn, n° XV, p. 127).
On eût pu ajouter que des milliers d'hommes mouraient pour la
République, avant d'avoir appris sa langue, à commencer par l'hé-
roïque enfant qu'on allait porter au Panthéon. C'est en patois en
effet que Viala, atteint d'une balle, s'était écrié : « M'an pas man-
quat ; aquo es egaou, mori per la libertat '' 1.
Je voudrais terminer sur un autre nom, cher à tout Alsacien, ce-
lui de Kléber. Envoyé à l'armée du Rhin, et sur le point de quitter
ses compatriotes qui combattaient dans l'Ouest, il écrira le 1er fri-
maire an III (21 novembre 1794) à Gillet, le Représentant du peuple :
Je voudrais « la consolation de pouvoir mener avec moi l'adjudant-
général Ney, afin qu'en arrivant dans cette nouvelle armée je puisse
au moins parler tout de suite à quelqu'un qui connaisse mon lan-
gage » 2. Rien de plus humain que cet attachement à la petite
patrie chez l'homme qui va combattre et peut-être mourir pour la
grande. On pense au soldat du temps du roi-citoyen dont parle un
poète qui, à travers les fumées de la bataille, aperçoit le coq qui
surmonte la hampe du drapeau et le regarde, les yeux fixes, « Comme
un souvenir du clocher ».
1. Voir Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 363. Le rapport de la Commission officielle
se trouve Id., ib., t. IV, p. 732.
2. La Révol. fr., t. V, 1884, p. 76. Gillet transmit sa demande le 3 frimaire (Aul.
Act. du Com. S. P.. t. XVIII, p. 310).
CHAPITRE VI

L'ÉDUCATION DES ADULTES

LE THÉÂTRE. — Je n'ai pas cru devoir m'arrêter longtemps au


théâtre de cette époque, si fastidieux. Son influence a pu être utile
dans certaines villes. Cambry, après avoir décrit la vie des habitants
de Quimper et leurs chansons bachiques, ajoute : « Depuis la révo-
lution on y a un théatre d'amateurs » et il fait cette réflexion : « La
pureté du langage français s'évanouissait... peut être pour jamais,
sans cette multitude de spectacles établis dans les villes et dans les
villages de France » (o. c, p. 138). Nul doute, même si on veut
rabattre, comme il convient, quelque chose de l'opinion de Cambry,
que le théâtre n'ait été dans les villes une école de pur français.
Mais contribuait-il à répandre le français ?
Il est certain que, sauf en Alsace, il fut à peu près exclusivement
français. A Marseille même, la décadence du théâtre provençal
s'acheva très rapidement. Au début de la Révolution, on cite encore
quelques pièces d'ancien type : un divertissement de Bonnet Bonne-
ville, où sont insérés des couplets provençaux, le Tribut du coeur ou
les fêtes citoyennes par Tolmer, Vallier et Brulot — les personnages de
marque parlent français, pendant que des paysans venus pour s'enga-
ger, usent du patois — ; la Réunion patriotique par Pelabon, qui devait
être interdite à Marseille, — comparez Mathiou et Anno (1792)
et Lou sans culotto a Niço (1793) presque totalement en provençal.
Tout cela est peu de chose à côté des pièces en français, les unes
empruntées au vieux répertoire, les autres composées à l'occasion
des événements : Les Anglais à Toulon, Marseille sauvée, etc.1.
Dans la pensée des révolutionnaires, les représentations étaient
un instrument d'éducation. A Nice, le théâtre portait le beau nom
d'Ecole des moeurs 2, et Barère avait pompeusement déclaré que
1. P. Moulin, Le th. à Mars. pend, la Rév., dans Congr. Soc, Sau., 1906, p. 643.
2. Combet, o. c, XXII, p. 200.
La Commission de l'Instruction publique est exclusivement chargée, en vertu de la
loi du 12 germinal, de tout ce qui concerne la régénération de l'art dramatique et de
la police morale des spectacles, qui fait partie de l'éducation publique (Aul., Act.
du Com. S. P.. t. XIV, p. 169).
260 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

c'était l'école primaire des hommes éclairés et un supplément à


l'éducation publique 1. Mais les villes qui n'avaient point de salle ni
de troupe étaient nombreuses, et les villages n'en eurent jamais.

FÊTES ET RÉUNIONS. D'une tout autre importance ont été les



fêtes et les cérémonies 2. Les fêtes, nous l'avons vu, avaient com-
mencé spontanément du temps des premières Assemblées, mais sans
rien de régulier et de périodique. Il était toujours question d'en
organiser la série. Les pouvoirs publics n'en avaient pas eu le temps.
A la Convention, dès le mois de décembre 1792, elles furent mises
à l'ordre du jour. On trouvera partout l'histoire des atermoiements
et des discussions qui empêchèrent longtemps d'en arrêter la liste
et d'en déterminer le caractère, si bien que ce fut seulement le 18
floréal an II (7 mai 1794) que fut rendu le décret, à la demande de
Robespierre. Non seulement la République célébrait tous les ans les
fêtes du 14 juillet 1789, du 10 août 1792, du 21 janvier 1793 et du
31 mai 1793, mais trente-six fêtes correspondant aux trente-six
décadis étaient instituées.
Les fêtes étaient un moyen d'éducation 3. Il ne s'agissait pas de
réjouissances à proprement parler, mais de célébrations par les-
quelles on entendait former la conscience générale ou l'entretenir,
et sur cette pensée mère, tout le monde était d'accord, la Montagne
et la Gironde, Vergniaud et Boissy d'Anglas. « L'instruction publi-
que, dit Rabaud Saint-Etienne, demande des lycées, des collèges,
des académies, des livres, des instruments, des calculs, des métho-
des ; elle s'enferme dans les murs. L'éducation nationale demande
des cirques, des gymnases, des armes, des jeux publics, des fêtes
nationales, le concours fraternel de tous les âges et de tous les
sexes, le spectacle imposant et doux de la société humaine rassem-
blée, elle veut un grand espace, le spectacle des champs et de la
nature, c'est par là qu'élevant tout à coup les moeurs au niveau des
lois on peut faire une révolution dans les tètes et dans les coeurs,

t. Guill., o. c., Conv., t. II, p. 687.


2. Voir, outre les études de Mathiez déjà citées, Blum, Les fêtes du 14 juil. 1790
au XVIII brum. an X. dans La Révol. fr., t. LXXII, p. 199-200.
3. Le 22 avril 1793, on avait discuté à la Convention sur instruction et éducation.
Roux pensait que le mot instruction suffisait dans la phrase L'instruction est le besoin
: «
rie tous «. Audrein trouvait au contraire qu'éducation suffisait. D'autres opinants deman-
daient qu'on joignit les deux (Guill., o. c., Conv., t. I, p. 419).
« On croit que la poste et l'imprimerie suffisent à la propagation des idées, disait
Daunou ; comme si le peuple des campagnes, dans l'état présent de
lumières pouvoit faire, des deux moyens que l'on indique, ses moeurs et de ses
bien étendu ! comme s'il n'avoit pas le besoin trop manifeste un usage bien commode et
d'une instruction plus
accessible et plus immédiate, et si j'ose ainsi parler, plus
électrique et plus
vivante » (Essai sur l' Instr. publ., p. 7).
L'ÉDUCATION DES ADULTES 261

comme elle s'est faite dans les conditions et le gouvernement ».


Il fallait bien, comme toujours, avoir ses autorités. L'orateur
alléguait d'une part l'Eglise, de l'autre les Anciens. « Les prêtres
par leurs cérémonies, leurs sermons, leurs hymnes, leurs missions,
leurs pèlerinages, leurs patrons, leurs tableaux, et par tout ce que
la nature et l'art mettaient à leur disposition, conduisaient infail-
liblement les hommes vers leur but. » 1

Chez les Anciens, qu'il est malheureusement impossible d'éga-


ler, de grandes et communes institutions faisaient qu'au même
jour, au même instant, tous les citoyens, dans tous les âges
et tous les lieux, recevaient les mêmes impressions par les sens,
par l'imagination, par la mémoire, par le raisonnement, par tout ce
que l'homme a de facultés, et par cet enthousiasme que l'on pourrait
appeler la magie de la raison.
« Les plus belles écoles, les plus utiles, les plus simples, où la
jeunesse puisse recevoir une éducation vraiment républicaine, pro-
clame à son tour Marie-Joseph Chénier, ce sont, n'en doutez pas,
les séances publiques des départements, des districts, des municipa-
lités, des tribunaux et surtout des sociétés populaires » 2.
« Les véritables écoles des vertus, des moeurs et des lois républi-
caines, sentenciait Bouquier, sont dans les sociétés populaires, dans
les assemblées de sections, dans les fêtes décadaires, dans les fêtes
nationales et locales, les banquets civiques et les théâtres » 3.
« Les institutions publiques, opinait de son côté Boissy
d'Anglas,
doivent former la véritable éducation des peuples, mais cette éduca-
tion ne peut être profitable qu'autant qu'elles seront environnées de
cérémonies et de fêtes ou plutôt qu'autant qu'elles ne seront elles-
mêmes que des fêtes et des cérémonies » 4.
Toutes les fêtes furent organisées avec le caractère théâtral qui
était dans le goût de l'époque. Ce furent avant tout des spectacles
où le symbolisme jouait un rôle prépondérant 5. Néanmoins, ce ne
furent pas des spectacles muets ni des rites bornés à des gestes.
Mirabeau eût voulu que les grands poètes, les orateurs éloquents
récitassent leurs vers, prononçassent leurs discours dans ces solen-

1. Moniteur, 22 déc. 1792.


2. 15 brum. an II (5 novembre 1793), dans Hippeau, o. c., t. II, p. 104. Cf. 119,
200, etc.
3. Rapport sur le dern. degré d'instruction, dans Guill., o. c., Conv., t. III,
p. 573.
4. Ess. sur les fêtes (25 pluviôse), dans Sicard, L'éduc. mor. pend, la Révol.,
p. 359.
5. Merlin de Thionville eût voulu moins d'apparat dans le spectacle, plus de parti-
cipation du peuple. Telle était l'idée maîtresse qu'il soutint quand il en traça le plan, le
7 vend, an III-28 sept. 1794 (Guill o. c., Conv., t. V, p. 96-97).
,
262 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

nités, qui eussent été les fêtes de l'esprit en même temps que de la
foi civique. A défaut des grands poètes, il y en eut de petits, mais
nombre, et leurs productions, avec l'aide de la musique, ne man-
en
quaient pas de faire leur effet sur des coeurs bien disposés. Il est
des chants dont la vogue n'a pas encore passé, comme le Chant du
Départ. Le peuple y ajoutait ses airs favoris, le Ça ira, la Carma-
gnole, et surtout l'Hymne des Marseillais 1.
Les recherches modernes ont montré comment l'idée première se
transforma et peu à peu se confondit avec l'idée originairement
lancée par de Moy, d'un culte civil et laïque. On sait même à peu près
aujourd'hui où les Cultes de la Raison et de l'Être suprême ont été
réellement célébrés, et l'impression qu'ils ont produite 2. Il s'agissait
naturellement, dans ces entreprises, de bien autre chose que de
substituer une religion de langue française à une de langue latine.
C'est l'âme même des peuples qu'on avait la prétention irréfléchie de
transformer brusquement de fond en comble, non seulement par
la persuasion, mais par des moyens odieux, que tout républicain a
le devoir de flétrir.
Toutefois, il est bien certain qu'aucun des créateurs n'eût eu
l'idée de renoncer à l'avantage qu'offrait la langue française pour
séduire et entraîner les esprits. C'était au contraire une des supé-
riorités sur lesquelles on comptait, que la faculté d'être immédiate-
ment compris. Les Représentants en mission triomphaient à ce pro-
pos. L'un d'eux écrit de Brest (1er pluviose an II—20 janvier 1794) :
« Il lui reste [au peuple] à détruire ceux [les hochets] de l'imbé-
cillité. C'est une vérité dont il est convaincu depuis qu'au lieu d'en-
tendre psalmodier dans ses temples un langage qu'il ne comprenait
pas, il y entend les éternelles vérités de la raison ».
Des prières, de véritables prières, invocations à Dieu ou à la
Patrie, accompagnaient les hymnes. Il arrivait qu'elles fussent com-
posées par des prêtres comme la « Prière pour demander à Dieu de
rendre les Français dignes de la liberté », par Coué, curé d'Orville 3.
Les discours formaient aussi une partie essentielle des Assemblées,
dont ils étaient les sermons. Poultier en a composé tout un recueil
qui a commencé à paraître le 20 prairial an II (8 juin 1794). Ils
sont dédiés à l'Être Suprême, à la Nature, au Genre humain 4. Il y

11,1889 p.
Voir ValdriKhi. La Marseillaise ; Motta, La Marseillaise, dans Giornale di erudizione,
et II, 1890, p. 178; Pierre, Les hymnes et les chans. de la Révolution.
85,

2.
Paris, 1904, in-8°, Tiersot, Les fêtes et les chants. Paris, 1908, in-12°.
Voir Aul; Culte de la Raison et le Culte de l'Être Suprème. Paris,
Le

F. Alcan, 1892, in
12°.

3. Feuille cillay.. 29 mars 1792.


4. Tourneux, Bibl. hist.. n° 15870.
L'ÉDUCATION DES ADULTES 263

en a beaucoup d'autres. Tous sont tombés dans l'oubli, comme ils


le méritaient, étant pour la plupart insupportables. Il faut dire
cependant que l'enflure n'y est pas toujours la tare de l'insincérité,
mais simplement l'excès amené dans le style par une hyperesthésie
morale due à des circonstances exceptionnelles, à la pratique
fâcheuse de la rhétorique et à une imitation indiscrète de l'antique.
Malgré tout, ces productions ont agi, elles ont recueilli les applau-
dissements, soulevé même des cris d'enthousiasme et dans les villes
et dans les villages.
Il y a eu des fêtes dans des localités infimes : à Dié-sur-Loire, à
Vimoutier (Orne), à Livry, à Seyssel 1. Boisset, le 11 septembre 1793,
annonce de Montélimar la réunion dans la Drôme de 69 sociétés
populaires 2. Les simples décadis devaient grouper les paysans autour
de l'instituteur, dans des sortes d'offices républicains. Des lectures,
des chants attireraient les familles 3. Il n'y a point de doute que ces
intentions furent remplies en bien des endroits, pendant quelque
temps.
Pas un des Commissaires de l'an II qui n'ait parlé au peuple dans
les moindres bourgades et jusque dans des communes retirées.
Souvent, plus ils sentaient les auditeurs rebelles, attachés à leurs
« superstitions », plus ils s'efforçaient de les catéchiser et de les
convertir, et il n'est pas douteux, malgré l'emphase de leurs rap-
ports, qu'ils arrivaient à se faire écouter et applaudir. « Je leur ai
montré, écrit Crassous, de Milly, le 16 pluviôse an II (4 février 1794),
un moyen de faire des fêtes de décade ; je leur ai fait voir l'avantage
qu'ils en pouvaient tirer pour leur instruction et même pour leur
plaisir... J'ai recommandé de rassembler les enfants... de leur
faire réciter ce qu'ils savent, et leur faire donner une récompense
par les vieillards. Ce genre de fête les flatte » 4.
1. Voir Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 750, 752, etc.
2. Aul., Act. du Com. S. P., t. VI, p. 440.
3. La Convention décrète un cahier d'instructions (4e s.-culott. an II) à lire chaque
décadi dans chaque commune devant les pères, mères et enfants (Guill., o. c., Conv.
— pl. petit t. V, p. 78).
4. Aul., Act. du Com. S. P.. t. X, p. 685. Cf. « Comme rien au monde n'est plus propre
à faire oublier ces anciennes rêveries que le rassemblement des citoyens les jours
de décades, j'ai indiqué [partout] où je passais la commune d'Itteville pour y célébrer la
décade dernière dans le temple de la Raison, et j'ai eu la satisfaction d'y voir réunis
tous les citoyens des communes voisines, pères, mères, grands-pères, enfants et petits-
enfants, au nombre de plus de quatre mille. Le temple de la Raison n'était plus assez
grand pour contenir l'affluence. Là les hymnes sacrés de la Liberté et de la Raison
triomphantes ont remplacé les jérémiades du vieux rite « (Couturier, 5 frim. an II-
25 nov. 1793, Id., 76., t. VIII, p. 692-693); — « Les bons citoyens se rassembleront, en
présence des autorités constituées, autour de l'autel de la patrie, ou, à défaut, devant
l'arbre de la liberté, pour y chanter des hymnes patriotiques, y entendre la proclamation
des lois et un rapport abrégé sur la situation politique de la République et sur les tra-
vaux de la Convention nationale, lequel rapport sera fait par un membre des autorité
264 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

On imagine sans peine que, dans bien des cas, le paysan, même
rallié à la République, mais blessé dans sa foi séculaire par un culte
qu'on lui représentait comme impie, excité par des prédications
sournoises, se tenait à l'écart. Le 10 août 1793, fête à Ambert,
célébrée avec apparat. Les citoyens sont invités à fraterniser et à
danser ; les places restèrent désertes, avoue un Rapport de
Lebreton 1.
En revanche, nous avons de nombreux témoignages que même des
populations rurales s'intéressaient aux réunions et y prenaient une
part active. On entendait alors des discours « enfants du patriotisme
plutôt que de l'éloquence », comme dit le Représentant Blutel de
ceux qu'il a entendus à Magny-le-Freule (Calvados), le 21 nivôse
an II (10 janvier 1794), en l'honneur de la prise de Toulon 2.
Condorcet eût voulu, si les plans d'instruction avaient pu se
réaliser, que les instituteurs présidassent à ces fêtes 3. A leur défaut,
des magistrats municipaux, des membres de sociétés populaires
étaient parmi ceux qui intervenaient ainsi. Parlaient-ils français?
Probablement pas toujours. Il serait ridicule de faire de ces fêtes
des sortes de Pentecôtes où, par la grâce de la Révolution, les
apôtres et les catéchumènes sentaient leurs esprits s'ouvrir tout à
coup à la langue nationale. Les choses se passaient plus humaine-
ment. Les discoureurs haranguaient de leur mieux, et ceux qui
essayaient de les comprendre étant soulevés par l'enthousiasme,
aidés par tout ce qui parlait aux yeux, on s'entendait à peu près.
A Péronne, le 1er décembre 1793, grande fête du brûlement des
titres de noblesse et des idoles. Il y avait sûrement là, au moins
dans la première partie, de quoi éveiller l'intelligence du paysan,
mais même la seconde semble avoir été comprise. La fête, dit le
rapport de Dumont, « se termina par des banquets, des danses »;
mais ce qu'il est bon de remarquer, c'est le propos tenu par des
filles de la campagne : « Il viendront cor, chez curés, nos dire
que des morciaux de bos sont des saints ; oh leur dirons : os êtes
des menteus, oh ne volons pus de vous »''. Paysans et paysannes
étaient venus, causant en patois, ils faisaient de même en s'en

constituées du lieu ou un citoyen désigné par elles, autre que les ministres du culte. Le
reste du temps pourra être employé à l'exercice des armes, de la course et à des danses
publiques » (Cavaignac, Dartigocyte, Auch, 19 brum. an II —9 nov. 1793, Id., Ib., t. VIII,
p. 313 note).
1. Caron, Rapp., II, 138.
2. Aul., Act. du Com. S. P., t. X, p. 173. A
ces braves gens il ne parvient rien. On
demande pour eux le Bulletin des Lois. Il y a un chant civique d'un cultivateur de Mont-
du-Vey(Carentan, Manche) (Guill., o. c.. Conv., t. IV, 761, n.
10)
3. Guill., o. c. p. 228. p.
4. Aul., Act. du Com. S. P., t. IX, p. 84
L'ÉDUCATION DES ADULTES 265

retournant; mais ils avaient pris une leçon de français. C'était tout
gain pour la langue nationale 1.

1. En Alsace, avant la période de persécution, on avait naturellement fait à l'alle-


mand sa place. Le programme des fêtes décadaires à célébrer au Temple de la Raison à
.
Colmar stipule, dans la section II, art. 1er : Le Temple de la Raison s'ouvrira à 9 heures
du matin. Le culte y sera célébré en allemand, jusqu'à ce que l'instruction ait fait dispa-
raître cet idiome étranger.
Art. 2. Le Temple de la Raison s'ouvrira de nouveau à 3 heures de l'après-midi ;
le culte y sera célébré dans la langue française (Leuillot, o. c, p. 210).
LIVRE V

ABOLITION DE L'ÉDUCATION LATINE

CHAPITRE PREMIER

AGONIE DES COLLÈGES

SÉVÈRES CONDAMNATIONS.
— Je serai extrêmement bref sur la sup-
pression de l'ancienne éducation latine 1. Il est inutile d'entasser
les textes, et de citer les nouveaux actes d'accusation. Quelles que

1. lourde
On ne cite jamais que le
de
vers de la boutade de Berchoux (1797). Quoique un
1er
forme, cette satire mérite mieux cela.
peu que
Qui me délivrera des Grecs et des Romains?...
A peine je fus né, qu'un maudit rudiment
Poursuivit mon enfance avec acharnement.
La langue des Césars faisait tout mon supplice...
Dans le monde savant je me vis introduit.
J'entendis des discours sur toutes les matières
Jamais sans qu'on citât les Grecs et leurs confrères...
J'avais pris en horreur cette société,
Et demandais enfin grâce à l'antiquité,
Je voulais observer des moeurs contemporaines,
Vivre avec des Français, loin de Rome et d'Athènes...
Mais les anciens n'ont pu me laisser respirer.
Tout mon pays s'est mis à se régénérer.
Les Grecs et les Romains mêlés dans nos querelles
Sont venus présider à nos oeuvres nouvelles.
Bientôt tous nos bandits, à Rome transportés,
Se sont crus des héros pour s'être révoltés...
Les biens étaient communs, tous les hommes égaux.
Et Lycurgue invitait à piller les châteaux.
...O vous qui gouvernez notre triste patrie,
Qu'il ne soit plus parlé des Grecs, je vous supplie ;
Ils ne peuvent prétendre à de nouveaux succès ;
Vous serait-il égal de nous parler français?
Votre néologisme effarouche les dames ;
Elles n'entendent rien à vos myriagrammes;
La langue que parlaient Racine et Fénelon
Nous suffirait encor, si vous le trouviez bon...
OEuv., t. IV, p. 107 et suiv.
268 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

fussent les violences, il arrivait encore souvent qu'on proposât de


concilier la tradition et les nouveaux besoins 1. Cependant, en géné-
ral, les Conventionnels qui s'occupaient de la question de l'enseigne-
ment ne montraient pas cette modération. Lavoisier s'est exprimé
grande véhémence L'éducation publique, telle qu'elle
avec une : «

existe dans presque toute l'Europe, dit-il, a été instituée dans la


de former des citoyens, mais de faire des prêtres, des
vue, non
moines et des théologiens. De là le système d'éducation qui se trouve
langue
presque entièrement dirigé vers l'enseignement de la
latine » 2.
Romme va plus loin encore que Lavoisier ; il croit, non à une
pédagogique qui s'explique par l'histoire, mais à un dessein
erreur
malfaisant et prémédité : « La langue latine, dit-il, a été jusqu'à
présent presque l'unique objet de l'enseignement des collèges.
Cette étude eût été moins vaine, si elle eût conduit à se nourrir de
bonne heure de la philosophie des anciens, de leur morale austère,
de leur goût dans les beaux-arts, et surtout de l'amour énergique
des Romains pour la liberté dans les temps héroïques de la Répu-
blique ; mais on fatigue plus la jeunesse pour la maintenir dans
une ignorance présomptueuse et crédule, que pour lui faire acqué-

1. Un ou deux échantillons seulement pour donner le ton :


« Il est plus aisé d'enseigner
la langue françoise que la langue latine, la géographie
et les mathématiques sont plus utiles que la syntaxe et la versification latines. Le latin
tombera dans l'oubli... Pas plus que le grec qu'on ne parle pas depuis nombre de siècles :
le latin deviendra, comme les langues étrangères, un accessoire des études » (J. F. Major,
Tableau d'un Collège en activité, p. 6 ; cf. Arch. N., A. D. VIII, 29).
Dans un Discours sur l'éducation, lu au Temple de la Raison de Bordeaux, le 1er
décadi de nivôse an II, la citoyenne Thérésia-Cabarrus (Mme Tallien) disait : « Que
le latin, cette langue sublime, il est vrai, dans ses beautés, ne soit pas cependant un
principe exigé dans l'éducation de nos jeunes élèves ; qu'ils apprennent d'abord le langage
correct de leur pays ; que l'on ait soin de leur prononciation ; qu'ils s'énoncent en
public avec grâce et facilité » (Guill., o. c., Conv., t. III, p. 634).
« Du temps de l'esclavage, l'enfant apprenoit d'abord une langue morte, par l'étude
de laquelle il auroit du finir. Ne pouvant pas alors comparer cette langue avec la sienne
qu'il ne connoissoit pas, il devoit sans doute se trainer longtems et péniblement dans
la carrière des études, sans pouvoir jamais communiquer avec justesse ses pensées ni
dans l'une ni dans l'autre langue » (Arch. N., F 17 1318, doss. 7).
Mais l'auteur est loin de proscrire les langues mortes « que les Cicerons et les
Demosthenes ont parlées ». Il met seulement en tête l'art d'écrire la langue de la
Liberté.
Dans un plan pour Strasbourg, il y a un professeur de langue française (Miller), un
professeur de langue françaisedéveloppée (Rosières). « Aucun élevé ne sera admis au cours
des langues mortes s'il ne connoit point les principes de la langue françoise (L'Agent
»
Nat du Distr. de Strasb au Comité de S. P.).
1

2. Réflex. sur l'instruction publique, dans Guill., o. c., Conv., t. II, p. 333; cf. OEuv.,
t. VI,
p. 516.
Dans un brouillon de discours écrit en décembre 1792 et trouvé dans papiers,
ses
Lakanal disait sèchement : « Quant à l'étude des langues, je pense, contre l'avis de
votre Comité, que lu seule qu'on doive enseigner dans les premiers degrés de l'instruc-
tion, c'est la nôtre ; il s'agit de former de bons Français et non de mauvais Latins »
(Id., ib., Conv., t. V, p. 661).
AGONIE DES COLLÈGES 269

rir des vérités utiles ». Les quatre facultés... « se regardent comme


soeurs, ont le même costume, donnent les mêmes titres à leurs ini-
tiés, et parlent la même langue, sans cependant s'entendre toujours
entre elles, et sans être entendues du peuple, sans doute pour
mieux lui voiler les |moyens qui leur sont propres, mais qui leur
échappent aujourd'hui, de prolonger son ignorance et ses querelles,
ses maux et sa crédulité »1.
Dans sa 55e séance (22 février 1793), le Comité d'Instruction
publique décida que l'enseignement de la langue latine n'entrerait
point dans les travaux des écoles secondaires 2.

LA PÉTITION DU DÉPARTEMENT DE PARIS.


— Ces aversions allaient
se traduire en loi. Le département de Paris s'était, pendant les
vacances de 1793, préoccupé de la rentrée des classes. Un Plan
d'Etudes provisoires fut dressé par Crouzet, principal du Collège
du Panthéon, et Mahérault, professeur au même collège 3. Les
élèves y sont répartis en deux divisions : enfants, adolescents. Les
enfants apprennent la grammaire française; les adolescents, les lan-
gues grecque et latine. Le cours des études est de quatre ans. On y
ajoutera deux ans complémentaires pour reprendre les Cours, ou
perfectionner les jeunes gens dans les sciences qui auraient le plus de
rapport avec les états auxquels ils se destinent. Ce plan était bien
timide. Monge, Gart, Hassenfratz furent consultés et aussi, natu-
rellement, le Comité d'Instruction publique. On reprit le plan de
Condorcet, avec ses instituts et ses lycées, mais en introduisant sous
le nom d'écoles secondaires, des écoles d'arts et métiers entre le
premier et le troisième degré.
On a vu que ce plan n'excluait pas les langues anciennes. Le
tableau-programme n° 2 porte : Connaissance des langues et des
beaux-arts : Grammaire générale française. — Langue latine. —
Langue grecque. — Langue vivante variée dans chaque institut. —
Le tableau n° 3 (Lycée de Paris) porte également les langues
modernes et les langues anciennes, orientales, grecque, latine 1.
Le 15 septembre, une députation du département, de la Com-
mune, des Sociétés populaires apporta une pétition à la Convention.
Non seulement cette pétition fut accueillie, mais, sur la propo-

1. Rapport du 20 décembre 1792 dans Guill., o. c., Conv., t. I, p. 203.


Cf. « En répandant notre langue et nos principes, ils [les lycées] étendront nos
conquêtes, les seules dignes de nous, celles qui affranchissent l'homme des erreurs et
des préjugés » (Id., ib., Conv., t. I, p. 212).
2. Id., ib., Conv., t. I, p. 357.
3. Mus. Péd., n° 9761.
4. Guill., o. c, Conv., t. II, p. 415 et suiv.
270 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

sition de Lakanal, on la convertit en décret. Il était dit à l'art. 3 :


Pour les d'exécution, le département et la municipalité de
« moyens
Paris sont autorisés à se concerter avec la Commission de l'Instruc-
tion publique de la Convention Nationale, afin que ces établisse-
ments soient mis en activité au 1er novembre prochain; et en con-
séquence les collèges de plein exercice et les facultés de théologie,
de médecine, des arts et de droit sont supprimés sur toute la
surface de la République ». Seul Coupé de l'Oise avait fait des
objections. Mais, comme le marquaient Dufourny et Fourcroy, il
s'agissait d'abolir l'ancien régime en matière d'éducation. Le lende-
main la discussion reprit; Chabot, Prieur de la Marne, Fabre
d'Églantine, Cambon, firent des critiques. La Convention remit à
trois jours et adjoignit trois membres à la Commission des six :
Guiton-Morveaux, Edme-Petit et Romme. L'exécution du décret fut
suspendue. La Commission revint au plan de Condorcet et au pro-
gramme d'Arbogast, déjà adopté le 28 mai 1. Romme rédigea un
projet de décret, où était maintenu l'article portant suppression des
anciennes institutions « aussitôt que les nouveaux établissements
pourront entrer en exercice » 2. Mais la discussion de ce rapport fut
encore ajournée. Dans l'intervalle, les professeurs furent maintenus
dans les collèges de Paris. Leurs traitements devaient leur être
payés; ils ne le furent que très irrégulièrement, de sorte que bon
nombre de cours se trouvaient suspendus 1.
On aura sans doute, en lisant ce chapitre, l'impression d'une
bataille indécise. C'est bien en effet le caractère qu'elle présentait.
On condamnait l'ancienne éducation; c'était surtout à cause des
anciens éducateurs. Sans doute on avait abusé du latin, on en avait
surtout mésusé. L'antiquité latino-grecque n'avait pas perdu pour
cela son prestige, une parenté illusoire des principes continuait
d'attirer les regards vers les républiques des siècles passés. On eût
voulu servir les anciens dieux sans leurs prêtres.
Les latinistes ne désespérèrent jamais ; ils avaient raison 4. Le
1. Ce plan ne ruinait ni le latin, ni le grec (Voir Guill., o. c., Conv., t. II, 471).
2. Voir art. 7 du décret du 8 et décret du 13 pluv. an II (1er févr. 1794). Cettep.
mesure brulale et imprudente qui en fait suspendait l'éducation de la jeunesse, était en
opposition certaine avec les voeux des populations. Les Archives Nationales ont conservé
la trace des protestations qui s'élevèrent. Les pères de famille de Brive réclament contre
la suppression du collège (4 du 2e mois an II) (F 17 1008; 1319, 1). Le 5 prairial II
(23 mai 1794), les citoyens commissaires de la Cne de la Flèche, députés à la Conven- an
tion, demandent le maintien de l'établissement d'éducation existant dans celte
com-
mune (Arch. N., F07 1010, 3161), etc.
3. Guill., o. c, Conv., t. IV, p. 636, et note.
4. Barbier, instituteur, a mis en latin le 2 pluv. III (21 janv. 1795) « les vertus »
an
dont les législateurs « sont le parfait modèle ". Il envoie
une pétition qui est remise
au C. I. P. :
« Vous connoissez, législateurs, l'importance de ces deux langues. Sans leur
secours
AGONIE DES COLLÈGES 271

français prenait seulement la place qui lui appartenait, la première.


D'après le plan de la Commune on commençait le matin à 9 heures
par l'Art de penser, la Grammaire générale et l'art d'écrire la langue
française. Les professeurs désignés étaient de choix : Barletti,
Duhamel, Domergue, Lemaire, Delacour, Perrier, Laplace. Tous
étaient parmi les maîtres de l'époque 1.
Le latin n'était pas pour cela chassé de l'éducation.
auroit-il paru depuis la révolution tant de termes nouveaux francisés qui tirent leur
origine de ces deux langues ?
« Il falloit donc que les uns les sussent pour former ces termes et les autres pour les
entendre; il en sera de même par la suite. Ces langues sont donc d'une utilité indis-
pensable, puisqu'elles s'enseignent dans toutes les parties de l'univers » (Arch. N., F 17
1318, doss. 7. La brochure est jointe, doss. 8).
Guéroult, professeur de rhétorique, Decoussy, professeur de belles-lettres et Coisnon,
principal du ci-devant Collège de la Marche, envoient aussi un plan. Il commence par
l'étude simultanée des deux langues (Arch. N., F 17 1318, doss. 8).
Les Conventionnels continuaient à professer pour le latin une véritable reconnais-
sance : « Les langues anciennes, disait Boissy d'Anglas, sont la clef de plusieurs
sciences, une nation libre doit les connaître, indépendamment de toute autre considé-
ration, parce qu'elles furent autrefois l'idiome de la liberté » (28 germ. an II —17 avr
1794, dans Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 185).
1. Guill., o. c., Conv., t. IV, p. 632-633.
CHAPITRE II

DERNIERS ESSAIS DE TRANSFORMATION

Sous la menace, ou spontanément, des collèges, à Lyon, à Stras-


bourg, etc. avaient continué de s'amender et de mettre en appli-
cation les idées qui prévalaient.
Dans le Cantal, le 12 avril 1793, le Conseil général arrêta que
« chaque professeur des
premier, second et troisième degrés d'ins-
truction enseignera les éléments de la langue française et la mettra
préférablement à toute autre au premier rang des études publiques 1.
Au Mans, estimant que la langue française est celle dont l'étude
doit être la plus familière aux enfants, on les y appliquait, avec
Restaut pour guide, dès la petite classe. On ne sacrifiait pas le
latin, on l'abrégeait. A Paris, les principaux et professeurs des ci-
devant Collèges, adressent, le 20 messidor an III (8 juillet 1795), une
pétition à la Convention. Ce n'est pas pour demander un retour aux
anciens errements. Ils réduisent les études latines à trois ans, dont
deux pour le grec, et ajoutent aux quatre professeurs nécessaires
pour mener cet enseignement à bien, six maîtres d'autres matières,
dont un de grammaire ou de littérature française et un d'entende-
ment humain. Le rédacteur met sur le même pied Grammaire
latine, Grammaire française 2.
De Rouen, le « principal » des écoles publiques de la ville et fau-
bourgs, nommé Germain le Normand, adressait le 26 août,
l'an 2e de la République française, une pétition
« tendant à ce
que le pétitionnaire soit autorisé d'établir dans le collège de Rouen
une école française dans laquelle il enseignera les éléments de la
langue française tant parlée qu'écrite 3.
»
Dans un collège de Lunéville, Pierre Helot enseigne la langue
française et un abrégé de prononciation et d'orthographe. Ainsi de
suite. Les maisons restées ouvertes jettent du lest.
1. Bull de la Hte Auv. Le coll. de St-Flour, 1908,
hist.. 493. p. 188, dans Brun, Rech.
p.
2. Guill., o. c., Conv., t. VI, 419-420.
3. p.
Id., ib., Conv., t. II, p. 432-433.
DERNIERS ESSAIS DE TRANSFORMATION 273

Rien n'est plus significatifà cet égard que les essais par lesquels
le Gymnase de Strasbourg fit un nouvel effort pour se moderniser.
On en trouvera le détail dans les études de Reuss.
Fries, le 20 floréal (9 mai), donne à Huzard des indications sur
les programmes. Notons l'article VIII : Langue Françoise. Les
considérants sont à retenir : « Celle-ci (la langue française) est un
des principaux objets des leçons que donnent les Instituteurs du
Gymnase, persuadés qu'ils sont, que non seulement elle fournit
d'excellens modèles pour former nos élèves au goût de l'Eloquence
et des Belles-Lettres en général, mais quelle rapprochera entière-
ment dans le Département du Bas-Rhin des Citoyens François qui
ne diffèrent entre eux que de langage " 1. — Puis timidement on
ajoute : On enseigne du reste aussi la langue latine, « c'est qu'elle
contribue... à faciliter la connoissance et surtout l'orthographe de
la langue françoise ». Ces bonnes gens se grimaient pour avoir le
droit de vivre.

1. Reuss, Gymn. prot., p. 100. Il y avait, à cette époque, 3 divisions :grec; latin et
religion; français, allemand, mathématiques, géographie, histoire.
Nous avons parlé plus haut du Collège National; c'était Fr. Miller qui y enseignait
le français.

Histoire de la langue française. IX.


CHAPITRE III

FIN DES COLLÈGES ET DES UNIVERSITÉS

C'étaient là des sursauts d'agonie. Il est évident que les collèges


condamnés à mort avec sursis, ainsi que les Universités, ne comp-
taient plus. Le vieux système d'éducation latine était aboli en fait,
sinon en droit 1.
Le Collège de France fut maintenu. Il avait eu des défenseurs
illustres, en particulier Lagrange, aux yeux de qui il était la pre-
mière École de l'Univers. « J'ai vu arriver et j'ai examiné, dit-il,
les candidats aux Écoles Normales, je les ai trouvés au-dessous du
médiocre ». Il restait convaincu que le Collège était la seule et
véritable École Normale. 2
L'Université de Strasbourg elle-même, désertée, ne put résister.
En 1791 elle avait 23 étudiants, en 1792, 20; en 1793, 13; en 1794,
G. Considérée comme un foyer d'obscurantisme et de germanisme,
elle n'était nullement défendue par les pouvoirs locaux, au con-
traire 3.
1. Certains collèges parvinrent cependant à survivre : à Paris, Louis-Le-Grand ; dans
les départements, Sorèze, Provins, Auxerre, Orléans, Lunéville, etc. On soutint les
maîtres par des indemnités, comme l'a prouvé Guillaume. Voir par exemple pour
Provins, o. c., Conv., t. VI, p. 573.
La pétition de Dom Ferlus, appuyée par le Directoire du Tarn, demandant qu'on
vienne en aide à l'École de Sorèze, se trouve aux Arch. N., F 17 1144.
2. Le décret est du 25 messidor an III (13 juillet 1795). Voir Guill., o. c., Conv.,
t. VI, p. 401. La pièce est sans date, mais postérieure à vendémiaire an III (Arch. N.,
F 17 6891).
3 Voici en quels termes il était parlé de cette vieille cl illustre maison : « Un membre
a dit: quelques efforts que nous ayons faits jusqu'à ce jour pour détruire l'esprit de
localité qui rend une partie des habitans de cette commune étrangers au reste de la
République, nous n'avons cependant encore pu atteindre tous les abus, toutes les insti-
tutions antiques, autour desquelles viennent se rallier les fédéralistes et les contre-
révolut onnaires. Strasbourg réuni depuis trop peu de tems à la France, s'est plutôt
regardé tomme subissant un joug imposé par la force des armes que comme partie inté-
grante d'un état ; invoquant sans cesse la capitulation qui l'avait arrachée à l'aigle
d' Autriche, cette commune avoit conservé, jusqu'à l'heureuse époque de notre révolu-
tion, des droits particuliers, des privilèges, des péages, une douane, une université,
une juridiction criminelle et civile qui n'avoit aucune liaison, aucun rapport avec les
droits, coutumes et établissemens des autres villes de l'intérieur; exemple de contri-
butions générales, elle levoit des impôts de tout genre administration locale
et ses besoins; elle n'accordoit de seccours à l'état pour son gratuits; c'étoit
que sous le titre de dons
FIN DES COLLÈGES ET DES UNIVERSITÉS 275

en un mot un gouvernement aristocratique allié de la France et non pas une portion


de cet empire.
« La révolution a enfin brisé ces barrières funestes qui isoloient les coeurs et les intérêts ;
l'édifice gothique de la magistrature, du grand et du petit sénat, des échevins des tribus
et maîtrises s'est écroulé sous la main hardie d'un peuple insurgé ; mais des adminis-
trateurs perfides initiés dans les complots de Dietrich, ont ralenti, autant qu'il étoit en
eux, le cours rapide de la liberté et audacieusement suspendu l'exécution des lois
décrétées par les représentans du peuple; nourrissant l'espoir criminel d'une révolte
prochaine ils tâchoient de conserver à la commune, qu'ils cherchoient à maîtriser, des
biens qui, aux termes des lois dévoient être vendus ; ils s'opposoient à l'aliénation des
propriétés des corporations et maîtrises supprimées ; une lenteur affectée accompagnoit
toutes les grandes opérations administratives, qui auroient ancré la révolution dans nos
murs et désespéré les ennemis de la chose publique en les privant des moyens néces-
saires à l'exécution de leurs coupables entreprises ; une université qui n'est pas nationa-
lisée encore, qui appartient en propre à cette ville, qui lui a été consacrée par les traités
comme un privilège, subsiste même de nos jours et présente aux yeux de la république
le spectacle étonnant de la servilité et du germanisme l'ans un pays français et libre.
« C'est sur cette université riche en biens et en revenus, pauvre en civisme et en
vertus républicaines que je fixe aujourd'hui votre attention ; cet objet est également
intéressant sous le rapport d'administration et sous celui d'esprit public.
« Cette commune n'a cessé de renfermer un grand nombre de ces familles anciennes,
qui pour se conserver le superstitieux ascendant qu'elles s'étoient acquis sur le peuple,
affectoient en public et dans la solitude de leurs foyers les moeurs peu civilisées, les
habitudes gothiques de leurs ancêtres et refusoient de se dépouiller de ces idées rétré-
cies qui depuis longtems ont été épurées par le souffle de la raison ; l'université de la
ville au lieu de réformer, par l'instruction, des coutumes grossières, au lieu de
répandre ces connaissances utiles, fruits de la philosophie plus cultivée de nos jours, au
lieu de rapprocher, par les principes de l'égalité, l'orgueil des rangs introduits dans les
siècles de la féodalité et sous l'aristocratie du droit germanique, flattoit, caressoit la vanité
stupide des patriciens, dont elle se glorifioit de porter les chaînes, croyant partager
leur éclat emprunté et leur gloire futile ; revêtus la plupart des fonctions du sacerdoce,
les professeurs n'employoientl'autorité de leur double ministère qu'à rappeler au peuple
le souvenir d'une ville impériale où ses pères, à les entendre, avoient joui d'une parfaite
indépendance,tandis qu'ils n'y avoient été que les serviles artisans des passions des riches
et leurs aveugles esclaves ; delà sont nés tous ces obstacles que la révolution a rencon-
trés dans nos murs; delà sont partis tous ces pamphlets liberticides qui nous ont si
longtems fait craindre une scission criminelle avec la république; c'est là qu'étoit le
point d'appui de la conspiration de Dietrich qui cherchoit à rattacher à l'empire une
province fertile qui en avoit été depuis peu démembrée ; ainsi l'enfant en suçant le lait
de sa mère, en recevant les premières impressions des idées morales et religieuses
apprenoit à regretter les fers de l'Autriche, à détester sa vraie patrie et à se regarder
comme membre d'une société asservie et subjuguée.
« ...détruisons tout ce qui n'est avantageux qu'à quelques familles et qui porte créin-
dice au peuple et à l'ensemble de la cité ; que l'idée de l'empire ne soit désorma s
rappelée dans Strasbourg qu'avec celle de l'esclavage honteux et dur dans lequel on y
gémit; propageons les principes de la liberté, qui nous rendront chaque jour notre
patrie plus chère; accélérons surtout l'établissement do tout ce qui peut resserer nos
noeuds avec la France que l'on a envain cherché à rendre odieuse dans ces murs;
l'intérêt général, les loix nous en imposent le devoir auguste et sacré.
« Je vous propose donc d'arrêter et de déclarer :
« 1° Qu'invariablement unis à la Convention nationale, nous ferons tous nos efforts
pour détruire l'hvdre du germanisme et toutes les institutions qui lui assurent encore
une existence; qu'en conséquence de ces principes et en exécution de la loi du
24 août 1793 (vieux style) les biens de l'université de cette ville seront mis, comme
biens nationaux, sous la surveillance immédiate de l'administration du district., »
Extrait des Registres du Corps Municipal do la commune de Strasbourg Séance du
10 prairial an II (Warrentrapp, art. c,. p. 472, 478 et 480-481) La suppression de
l'Université fut votée à l'unanimité.
CHAPITRE IV

LES INSCRIPTIONS LATINES

La question de la langue à adopter dans les Inscriptions, déjà


débattue au XVIIe siècle, avait fait, au XVIIIe, l'objet de nouvelles
discussions.
L'Académie des Inscriptions en tenait alors pour tous les goûts'.
Il ne manquait pas de gens pour trouver, avec Voltaire, un peu ridi-
cule et choquant qu'on honorât un roi de France dans une langue
étrangère. Malgré tout la tradition restait forte. Le président de
Brosses ayant perdu sa premièie femme en décembre 1761, il lui fit
élever un monument dans l'église St-Jean de Dijon, et y fit graver
une inscription française. L'innovation parut à Foisset médiocrement
heureuse. Etait-ce parce qu'il s'agissait d'un monument funéraire,
et qu'il était placé dans une église? 2 Au contraire les gens qui n'ai-
maient point le latin, tel l'abbé Coyer, malgré la supériorité recon-
nue de cette langue synthétique pour le style épigraphique, s'exta-
siaient quand ils rencontraient quelque part au fronton d'une porte
des vers français, fussent-ils médiocres 3.
C'était question de doctrine. On y mettait d'abord une sorte
d'amour-propre national, si bien que le Président Rolland n'hésita
pas à clore son Plan d'éducation par un mémoire sur ce sujet.
Ce mémoire donna lieu à une polémique à laquelle prirent part le
poète Roucher et Sébastien Mercier, qui soutinrent la cause du
français. Visiblement le public était avec eux. Un monument, encore
que fait pour le personnage qu'il honore, est fait aussi pour le
peuple qu'il doit instruire. C'est une leçon que la vertu ou le
talent donne au passant, et que l'inscription résume.
Avec la Révolution, la question des inscriptions devait prendre
une tout autre ampleur. Mirabeau s'indignait, le 12 Décembre 1790,

1. Voir Gohin, La question du français dans les inscriptions


au .XVIIIe siècle dans
Mél. Brunol, p. 201 et suiv.
2. Le présidt de Brosses, p. 532.
3. Voyage d'Italie, t. I, p. 22.
LES INSCRIPTIONS LATINES 277

que les monnaies portassent « des légendes dans la langue des Ro-
mains ». Mais il ne s'agissait plus de quelques lignes gravées sur
la pierre ou le bronze, forcément très clair semées, il s'agissait
des innombrables phrases en vers ou en prose qui, écrites aussi bien
sur des murs que sur des banderoles, des drapeaux, des bannières et
jusque sur des assiettes, formulaient l'espoir, la foi, la volonté du
peuple. Le rôle de l'inscription grandit alors dans une proportion
qu'il eût été impossible de deviner quelques années auparavant.
Tantôt c'est une simple devise « Une foi, une loi, un roi ; Vivre
libres ou mourir ». Tantôt c'est une maxime, une pensée d'un des
prophètes. A Rennes, une pyramide élevée sur l'autel de la patrie
porte cette phrase de Rousseau : « La patrie ne peut subsister sans
la liberté, la liberté sans la vertu »1. A la cérémonie funèbre du
Champ de Mars, on en lit toute une série :
1° A la Mémoire des braves guerriers morts à Nancy, pour la
défense de la loi, le 31 août 1790.
2° Ennemis de la constitution; tremblez : en mourant, ils nous
ont laissé leur exemple.
3° Le marbre et l'airain périront, mais leur gloire sera éternelle.
4° C'est ici qu'ils avoient juré avec nous de mourir fidèles à la
nation, à la loi, et au roi 2.
Point de réunions sans inscriptions; elles attendent les cortèges,
les précèdent, les accompagnent, les suivent. Les pouvoirs publics
les dictent : « Aux grands hommes la patrie reconnaissante » (4 avril
1791). Quand Simonneau meurt comme on sait, on choisit la
phrase toute simple qui sera gravée sur son monument 3.
Celle qu'on avait ordonné de mettre à la porte des cimetières :
« La mort est un sommeil éternel », occasionna une vraie bataille
politique.
De plus en plus, au fur et à mesure que la Révolution se déve-
loppe, on prend conscience de la doctrine qui se résume dans la
formule de M.-J. Chénier : « C'est par les fêtes, les cérémonies,
les monuments, que l'homme s'attache au sol qui l'a vu naître » 4.
Le 1er août 1793, Barère parle avec dédain des médailles qui
portent « en idiome étranger : gallicae nobilitatis signum » .
Dans la séance du 2 frimaire an II (20 novembre 1793), sur une

1. Voir Mathiez, Orig. des cultes rév., p. 41.


2. Voir la Feuille villageoise qui les transcrit, n° 1, p. 12.
3. Guill., o. c, pièce ann., 18 mars 1792, p. 153. A un moment, il est décidé que
toutes les mairies devaient avoir une inscription commune. Sur les monnaies, on met-
tra : Le peuple seul est souverain, ou encore : les hommes sont égaux devant la loi.
4. Voir Hippeau, o. c, t. II, p. 104; cf. p. 119, 200.
5. Rapp. au nom du Com. Sal. P., I. N., p. 4.
278 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

demande d'un membre à propos des inscriptions de Dol, l'Assemblée


Comité d'instruction publique la proposition de faire
renvoya au
effacer toutes les inscriptions latines. Boutroue fut nommé rapporteur
le 13 frimaire (5 décembre). A la séance du 7 nivôse (27 décembre),
un membre (Grégoire?) renouvela la proposition de radier toutes
les inscriptions latines et d'interdire d'en faire d'autres. Le 12 nivôse,
Grégoire fut nommé rapporteur, et présenta son travail le 21 1.
Il débutait ainsi : « Leibnitz voulait un idiome universel, qui fût
le lien commun des connaissances humaines. Son désir commence
à se réaliser : notre langue, reconnue pour celle de la raison, par
sa clarté, deviendra, par nos principes, celle de la liberté. Ne lui
faisons donc pas l'outrage de la repousser de nos monuments, tandis
qu'elle reçoit les suffrages de l'Europe.
« Nous sommes
loin de déprécier celle de ces antiques répu-
blicains dont nous chérissons la mémoire; mais qui pourrait désirer
sous aucun rapport d'être Grec ou Romain lorsqu'il est Français? »
Il concluait : « Pour les monuments comme pour les monnaies, le
peuple français ne doit admettre que l'idiome national ». « Il faut
que les murs, le marbre et l'airain parlent à tous les sans-culottes
contemporains et futurs le langage de la liberté ».
Le décret fut adopté le jour même. Il disait :
« I. Toutes les inscriptions des monuments publics seront désor-
mais en langue française.
« II. Toutes les inscriptions des monuments antiques seront
conservées » 2.
Personne que je sache ne prit la défense du latin. Quel argument
aurait-on pu donner ? 3
Dès le 16 frimaire (6 décembre), Devin de Noyon proposait un
quatrain français pour remplacer les deux vers latins de Santeul
inscrits sur la porte de l'Arsenal 4. Il est certain qu'il y eut des grat-
tages et des substitutions. On a conservé de Marigner : Traduction
et imitation d'inscriptions latines gravées sur les monuments de Paris
(22 nivôse an II
— 11 janvier 1794) 5.
Sous prétexte de francisation on a dû beaucoup détruire et beau-
coup gâcher. Mais d'autre part on a énormément inscrit. Toutes les
1. Guill., o. c. Conv., t. III, 69, 71 et 217.
p.
2- id., ib.. p. 257, 260 et suiv.
3. Marie-Jos. Chénier, le 6 vendém. an III (27 sept. 1794) parlant de la fète de J. J. Rous-
seau, dit : Les inscriptionsn'étaient point défigurées langage barbare, ou Cit.
le jargon du bel esprit (Guill.. par
99) un par
«
Jammes excitant », o. c. Conv., V,
t.trant Cf Le blessentdu
inscriptions n les lois
.

rapport
l'indignation de l'Assemblée,

ces

4. Arch. N., F17 14444, 1. Cf 10080, 4454.

5. Arch. N., F17 1008 , 1638.


LES INSCRIPTIONS LATINES 279
autorités s'y sont mises, centrales et locales, civiles et militaires.
C'était une passion. On se rappelle l'engageante et provocatrice
inscription du pont du Rhin: « Ici commence le pays de la liberté».
L'entrée de Paris devait de même en imposer. « Aux barrières
on élèvera des monuments destinés à retracer les époques révolu-
tionnaires et les victoires des armées de la République, un con-
cours est ouvert pour composer les inscriptions qui doivent y être
placées » 1.
Chaque événement doit être commémoré. Lyon repris, il est
décidé qu'une colonne rappellera à Commune Affranchie l'infamie
de Lyon :
Art. 5. — Il sera élevé sur les ruines de Lyon une colonne qui
attestera à la postérité les crimes et la punition des royalistes de
cette ville, avec cette inscription : Lyon fit la guerre à la liberté;
Lyon n'est plus. Le dix-huitième jour du premier mois, l'an deuxième
de la République française une et indivisible2.
Chaudron Rousseau écrit de Prades (29 prairial an 11-17 juin
1794) 3 : « Je demande qu'un obélisque soit élevé à l'endroit où
les Espagnols avaient établi leurs batteries, avec une inscription
qui transmette honorablement à la postérité cet exemple de valeur
et de fidélité républicaines ».
On pense bien, d'après ce qui vient d'être dit, que les cultes révo-
lutionnaires usèrent et abusèrent de l'inscription.
A Commercy, en l'an II, le temple décadaire portait : « Au grand
Etre, à l'existence de l'Être suprême, à l'immortalité de l'âme, au
peuple souverain, à l'amour conjugal, aux armées de la République ».
Bientôt les temples des théophilanthropes auront une partie de
leur catéchisme sur les murs : « Adorez Dieu, chérissez vos sem-
blables, rendez-vous utile à la patrie...
« Enfants, honorez vos pères et mères. Obéissez-leur avec
affec-
tion. Soulagez leur vieillesse. Pères et mères, instruisez vos enfants ».
Les hommes « pratiques » s'égayeront sans doute de cette foi
naïve dans la vertu des symboles. En effet, la Révolution croyait, à
tort peut-être, comme la plupart des religions, comme l'Université,
à l'efficacité de l'exemple. Elle le publiait, le commentait, avec l'es-
poir que la dignité humaine s'en trouverait rehaussée, que la fai-
blesse en serait soutenue, et l'ardeur encouragée. En même temps

1. Aul., Act. du Com. S. P.. t. XIV, p. 629. Cf. Guill., o. c, Conv., t. IV, p. 736
et 750. Voir un Essai d'inscription pour les différents monuments de la ville de Paris
[de Bourdelois] (Id., ib., p. 761).
2. Décret relatif à la Mission à l'Armée des Alpes devant Lyon, dans Aul., Act. du
Com. S. P.. t. VII, p. 376.
3. Voir Aul., Ib., t. XIV, p. 374.
280 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

qu'elle punissait avec rigueur, elle voulait honorer dignement. Nous


n'avons pas à juger la valeur morale et politique du système. Il
nous suffit de dire qu'il n'était applicable que si on se servait d'une
langue intelligible, il n'avait de sens que si la Nation, dans ses Juge-
ments des morts et des vivants, parlait sa langue. Le français s'en
trouva appelé à un nouveau rôle.
Quand les prédications se turent, des choses s'étaient produites
qui ne permettaient guère de revenir en arrière. Non seulement le
Panthéon garda son fronton, mais les habitudes prises demeurèrent.
Il est bien vrai que les cimetières, qui renferment le grand nombre
des inscriptions, restèrent latins. Mais l'état-civil, lui, avait été laïcisé.
C'était le prêtre qui reconduisait le mort, c'était l'officier de l'état-
civil, le maire, qui l'inscrivait. El tout naturellement la langue de
l'acte mortuaire tendait à s'étendre à la tombe, où seules bientôt
des formules Hic jacet, Requiescat in pace, rappelleront l'ancien
usage.
TROISIÈME PÉRIODE

DU IX THERMIDOR AU COUP D'ÉTAT DE BRUMAIRE

LIVRE PREMIER
NOUVELLE POLITIQUE

CHAPITRE PREMIER

ON CONTINUE A ACCUSER LES IDIOMES

APRÈS LA TERREUR.
— Malgré la chute de Robespierre, le dévelop-
pement de la Révolution sembla se poursuivre. En réalité les res-
sorts étaient détendus. La politique linguistique, comme la poli-
tique générale, ne tarda pas à s'en ressentir. Il est très difficile de
savoir si les patois et les idiomes avaient profité du rétablissement
de la liberté de penser et d'écrire. On n'a là-dessus que des rensei
gnements trop fragmentaires. Il est possible, par exemple, qu'il y
ait eu en Alsace comme une sorte de réaction. Mais les preuves
manquent. A Strasbourg, les journaux allemands étaient nombreux ; 1

on a vu qu'ils n'avaient jamais été sérieusement menacés de dis-


paraître.
En Flandre, des prêtres français rentrèrent en quantité considé-
rable, des prêtres belges s'introduisirent. Nul doute qu'ils n'aient
parlé assez souvent leur langue à nos paysans 2. Ce n'est tout de
même qu'une hypothèse. Un ex-jésuite, curé en 1791, puis supé-
rieur du séminaire de Bergues, nommé Antoine Cauche, publiait à
Bergues, en 1795, un « Nederlandschen Mercuer », dans lequel

1. Sans reparler du Weltbote, on verra paraître successivement Der republikanische


Wächter, la Republikanische Kronik de Schlemmer (1796), der Wahlmann de Lembert
(an V), la Rheinische Kronik, la Kronik der Menschheit et la Chronik der Franken.
2. Lefebvre, Les paysans du Nord, p. 558.
282 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

traduisait flamand les nouvelles du jour et les décrets de la


il en
Convention. Cette feuille n'eut du reste que quelques numéros 1.
Dans le Midi, la contre-révolution vociférait et menaçait d'une
Terreur, la sienne 2. Elle servait presque exclusivement du
autre se
français. Sans doute des patoisants se trouvèrent pour célébrer le
9 thermidor, comme il s'en était trouvé pour chanter d'autres évé-
nements. On a conservé l'Hymne à la Rasou ou le Dialoguo entre dus
Insurjats de l'armado rouyalo et Suito del Dialoguo 3. J'ai moi-même,
cours d'une enquête dialectale, enregistré dans le village de
au
Voutezac (Corrèze), de la bouche d'un artisan qui ne savait pas la
Marseillaise, et qui était un « rouge », une chanson limousine dont
le refrain porte sur « le pauvre Robespierre ». Est-elle du temps?
(Arch. de la Parole, série D, cas. 3, tir. 34). Il y a eu de ces pro-
ductions après la Terreur, comme de tout temps. Il n'en faudrait
nullement conclure au réveil d'une inspiration étouffée. Je n'y attri-
bue pas plus d'importance qu'aux catéchismes en latin 4.

— Les dangers qui avaient poussé à


LES IDIOMES ET LES CHOUANS.
des mesures de violence n'avaient pas tous disparu. L'Est et le Nord
n'étaient plus exposés à l'invasion, mais la guerre civile continuait
à faire rage dans l'Ouest. Or une bonne partie des chouans était
de langue bretonne. Si cette langue ne servait pas comme d'autres
à entretenir des communications avec l'ennemi, ce qui ne permet-
tait pas de la charger des mêmes reproches que l'allemand, elle
tenait ces départements à l'écart du mouvement général des idées.
Dès avant la fin de l'an III, les plaintes des Représentants mon-
trent la gravité du mal : « si le gouvernement ne fait pas instruire
les habitants ; s'il ne fait pas ouvrir de grandes routes et creuser
des canaux navigables dans la Vendée, ce pays sera la ressource
éternelle des mécontents » (Lett. de G. E. Merl. de la Boulaye à
Grégoire, d'Angers, 23 messidor an II-11 juillet 1794, dans Lett. à
Grég., p. 317).
De Pontivy, le Représentant Bouret écrivait, le 9 brumaire an III

Looten, Un journ. flam. à Bergues en 1795,


1. 195.
2. « Ce sont ces tigres qui demandent du p.
sang, toujours du sang, qui veulent en
avoir jusqu'auc genoux, et qui, dans leur idiome atrocement énergique, qu'il est
impossible de rendre on français, disent que, s'il redeviennent jamais les maîtres, il
restera pas un enfant a la mamelle » Cadroy, Mariette, Lett. du 4 vent, ne
an III (22 févr.

date?).
1795), dans Aul., Act. du Com. S. P., t XX p. 480
3. Voir Noulet, o. c 156 et Gazier, Lett. à Grég.. n°
p 343, 24.
4. existe aux Arch. . p.
N , F17 1318, dossier 8, une instruction, véritable catéchisme
Ilet républicain, Instruction
laïque intitulé latine

surles principes
jeunesse française. Une note indique qu'elle est du
républicains dédiée à la
Barbier instituteur. fin
cette note J. C. [17] 98. Est-ce la
Cn

(A la de
ON CONTINUE A ACCUSER LES IDIOMES 283

(30 octobre 94) : « Les localités, l'ignorance des habitants des


campagnes, leurs antiques préjugés, la différence du langage, tout
concourt à servir les projets perfides des rebelles et des tyrans....
On peut vaincre les difficultés que le sol présente, par l'exécution
de grandes mesures déjà combinées, mais l'instruction publique
peut seule vaincre les esprits, et, dans ce pays, ses conquêtes sont
malheureusement trop lentes. Je n'épargne rien pour en hâter les
progrès. Je place des instituteurs partout où l'instruction paraît pou-
voir germer » l. Dix jours plus tard, nouvelles plaintes : « On ne
saurait instruire tout à coup une masse d'hommes fanatisés qui n'en-
tendent pas un mot de votre langage. L'esprit public ne s'intro-
duira en Bretagne qu'avec une génération neuve » 2. Jugeant qu'il
est « extrêmement pressant d'arrêter les malheurs qui affligent ces
montrées », Bouret a fait avec Leyris une proclamation, datée du
19 brumaire an III (9 novembre 1794). L'arrêté qu'elle accompagne
et la proclamation devaient être traduits en breton et affichés dans
toutes les communes 3. Le 28 brumaire (18 novembre), Bouret
mande encore d'Hennebont (Morbihan): « Ce que j'ai à vous dire
à ce sujet... s'accorde parfaitement avec la loi qui établit des ins-
tituteurs dans les campagnes, quoique, dans les circonstances ac-
tuelles, cela ne soit pas applicable à la plus grande partie du dépar-
tement du Morbihan, qui, relativement à ses localités et à l'esprit
qui y règne, est le repaire de presque tous les brigands réfugiés de
Bretagne. Mais les autres départements de cette ci-devant province
n'offrent pas le même inconvénient. Les cultivateurs y manquent
réellement d'instruction et n'assassineraient pas leurs instructeurs » 4.
Au moment de cesser sa mission, Bouret se résume en quelque
sorte: « Je n'ai pas cessé de vous dire... que les progrès de l'instruc-
tion étaient lents, et qu'un peuple ignorant et fanatique ne changerait
pas de moeurs et d'opinion dans si peu de temps, surtout quand il
avait un idiome qui lui était propre, ce qui était un moyen puissant
pour ceux qui étaient intéressés à alimenter son fanatisme et à l'en-
tretenir dans ses erreurs. Mes sentiments à ce sujet sont toujours
les mêmes » (27 frimaire — 17 décembre) 5. Le 19 nivôse an III (8 jan-
vier 1795) arrive un dernier rapport, très méthodique, où Bouret se
montre encore plus précis. Il commence par étudier l'esprit public
dans le Morbihan. « C'est une erreur, dit-il, de croire que l'ins-

1. Aul., Act. du Com. S. P., t. XVII, p. 696.


2. Leyris et Bouret, De Vannes, 19 brum. an III, dans Id., Ib., t. XVIII, p. 56.
3. Aul., Act. du Com. S. P., t. XVIII, p. 67.
4. Id., Ib., t. XVIII, p. 220. Suit un très judicieux aperçu des services que doit
rendre un instituteur.
5. Id., Ib., t. XVIII, p. 777-778.
284 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

traction opérera subitement cet effet (de détruire les anciens pré-
jugés). « Indépendamment de ce que les progrès de l'instruction
lents, thèse générale, il faut le dire, dans ces contrées la
sont en
génération présente des habitants des campagnes n'en est presque
pas susceptible. En voici les raisons.
1° Ils parlent un idiome barbare, qui est le seul usité parmi eux,
«
et qui varie même dans chaque district, si bien que, quand un
étranger veut entrer en conversation avec eux, après avoir beaucoup
écouté, ils répondent nontanquete, c'est-à-dire : Je n'y entends
rien » 1.

EN ALSACE. Foussedoire qui avait été envoyé en pacificateur,



affectait l'optimisme. Il transigeait, nous l'avons vu. Pourtant il se
voit forcé d'avouer, dès le 29 fructidor an II (15 septembre 1794),
qu'il est urgent de franciser le pays « Le peuple, dit-il, est en ce
:

moment dans le Bas-Rhin ce qu'il est partout. A la vérité il n'est pas


aussi éclairé que celui de l'intérieur. L'idiome s'y oppose. Mais, en
multipliant les instituteurs français, on l'amènera sous peu de temps à
embrasser avec plus d'ardeur encore les principes qui déjà ont jeté
de profondes racines dans plusieurs communes importantes de ce
département 2 ». II n'y a dans cette lettre que ces quelques mots
sur l'idiome, mais venus de ce modéré, ils suffisent.
EN LORRAINE ALLEMANDE.
— Les prêtres réfractaires commençaient
à redoubler leur propagande, et prenaient à peine le soin de s'en
cacher. Des émigrés rentraient aussi. Des pays voisins, des émissaires
venaient semer la haine et la révolte. « Bien des paroisses, écrit
l'évêque de Metz, le 8 messidor an III (26 juin 1793), sont gâtées
par les prêtres « refracteurs », dont la Lorraine et le pays de Bitsch
fourmillent et même de ceux qui sont revenus de leurs déporta-
tions » 3. De langue allemande lui-même, l'évêque n'incrimine pas
l'idiome, mais il est facile de deviner l'usage qu'en font les agita-
teurs. Voici du reste un passage qui précise : « Les articles de
vôtre lettre encycliques concernants les prêtres, qui pendant la
persecution ont abdiqués, rendus leurs lettres... ont été malitieu-
sement mal expliques au gens des campagnes par des prêtres mer-
cenaires et sur tout par des Ex-moines qui ont
eus l'adresse de
conserver leurs lettres, ils ont insinués aux fideles de la partie de
la lorraine allemande que les évêques dans
un concil tenu à Paris
1. Aul Act. du Com. S. P., t. XIX,
2. Id., ,Ib.. p. 729-730. p. 368
3. Corr. de Grégoire, Moselle, Bibl. Soc. des Amis de
P.-R.
ON CONTINUE A ACCUSER LES IDIOMES 283

avoient excomuniés tous les prêtres qui avoient rendus leurs lettres
de Prètrisse... leurs intrigues et mansonges ont réussits »1.

DANS LE NORD.
— On a déjà publié sur la réaction qui suivit
thermidor bien des documents concernant ce pays. Il y en a beau-
coup d'autres dans la Correspondance de Grégoire. Le curé deLaunoy
(distr. de Lille) se plaint à Grégoire (26 messidor an III— 14 juillet
1795) : « Je vous fais part que dans nos environs nous craignons
une Vendée. Le chapitre de Tournay y envoye des prêtres dans
toutes les communes frontieres, comme Missionnaires». Suivent les
détails de leurs menées audacieuses. Le curé de Beuvry par Orchies
(Nord) mande de son côté : « Il y en a (des prêtres dissidents) qui
rodent en cachête sous l'habit de md de pipes ou d'alumettes; mais
ceux de la ci-devant Belgique et diocèse de Tournay dont nous fai-
sions parti à la révolution, quoique soumis eux-mêmes, ils ne cessent
de répéter chez eux et aux sots de chez nous qui y courent que leur
serment n'est point un serment, que ce n'est rien en comparaison
de celui qu'on a prêté en france (c'est ainsi qu'ils s'expriment par
rapport à nous, car ils ne veulent pas être françois), qu'ils ne
peuvent venir à nos messes sans être damnés ».2
1. 8 messidor an III, Corr. de Grégoire, Moselle, Bibl. Soc. des Amis de P.-R.
2. Corr. de Grég. Nord. Bibl. Soc. des Amis de P.-R.
CHAPITRE II

DISPOSITIONS DES ESPRITS

A LA CONVENTION.
Boissy d'Anglas, dans un plaidoyer pour la

liberté des cultes, prononcé le 3 ventôse an III (21 février 1795),
déplorait, tout comme on l'avait fait un an auparavant, « la barbarie
de quelques idiomes qui maintiennent l'ignorance dans quelques
contrées de la République »4. L'Assemblée non plus n'avait pas
abandonné ses principes ; on le vit bien. Un curieux débat eut lieu
en effet quelques jours après (7 ventôse — 23 février). Il était
question d'introduire, dans les écoles centrales des départements
frontières, un professeur de langues vivantes. Certains membres se
récrièrent : « Je crois, remarqua l'un d'eux, qu'il est dans l'intention
de la Convention de faire disparaître du sol de la République tous
les jargons particuliers, pour ne conserver que la langue nationale ».
Le rapporteur rassura son collègue : « J'observe à mon collègue
qu'il n'a pas saisi le sens de l'article. Il n'est pas question de
conserver des idiomes particuliers, mais de répandre, selon les
localités, la connaissance des langues parlées chez les peuples nos
voisins, avec lesquels nous pouvons avoir des relations de commerce
ou d'amitié. Ainsi dans les départements voisins des Pyrénées, on
enseignera l'espagnol; l'italien dans les départements situés au pied
des Alpes; l'allemand, dans les départements du Nord » 2.
On ne serait pas embarrassé de citer d'autres paroles de même
inspiration. La Convention, cela n'est pas douteux, continuait à
désirer, a vouloir même le progrès de la langue française. Le 27 ther-
midor an II (14 août 1794), le Comité d'Instruction publique recevait
de l'agent national d'Issoudun une lettre où il s'informait s'il devait
faire exécuter la loi du 8 pluviôse. On lui répondit que l'intention
de la Convention était qu'on enseignât partout la langue nationale 3.
Les Jacobins non plus ne renoncèrent jamais, tant que la Société
exista.
1. Guill., o. c. Conv., t. IV, p. 520.
2 Id., ib., Conv., t. V, p. 543-44.
3 Id., ib., Conv., t. IV, p. 992 et 997.
DISPOSITIONS DES ESPRITS 287

Le 29 vendémiaire an III (20 octobre 1794), la question fut agitée


dans une séance. Un citoyen, qui arrivait du Mont-Terrible, rappela
les plaintes de la Société populaire de Delémont à la Convention et
constata que le décret de pluviôse n'avait pas reçu d'exécution 1.
Toutefois, si les lois restaient en vigueur, les méthodes de gou-
vernement avaient changé. La Convention désirait toujours que le
français fût enseigné et su, mais il est certain que désormais elle
attendait davantage du temps que des lois. Non seulement elle avait
abandonné toute pensée de contrainte, ce qui n'était que de la
clairvoyance; mais, nous allons le voir, elle était beaucoup moins
tentée que jadis d'appliquer la force de l'État à propager la langue,
ce qui était de la faiblesse. L'ardeur combative était tombée; il était
visible que la République, ayant passé dans des mains plus molles,
s'abandonnait. Le relâchement général se fit sentir jusque dans la
politique linguistique.

DANS LE PAYS.
— Il est certain que la cause du français devait
souffrir longtemps des brutalités de ceux qui avaient prétendu la
servir. Voici les réflexions pleines de sens qu'envoie un pasteur pro-
testant, Muller, à l'évêque de Blois (Strasbourg, 6 vendémiaire
an III— 28 septembre 1794): « Comme les arrestations, dépor-
tations et refus de certificats de civisme ont nécessité de nom-
breux remplacemens dans les bureaux des administrations, et que
par là, il s'est manifesté une penurie de sujets capables et versés
dans la Langue Allemande et Françoise, des enroleurs ont porté
plusieurs de nos jeunes candidats au Ministere à préferer des
emplois de bureaux, en leur insinuant que les choix de leurs
confreres pour les Ecoles seront cassés aussitôt qu'on trouvera des
sujets qui n'ont pas tâté de la Théologie, pourvû qu'ils sachent le
François tellement quellement. L'établissement d'écoles normales
peut seul donner dans notre Département la perspective de
fournir toutes les communes d'instituteurs habiles. Il se présente
pour ces établissements dans les Départemens, où le peuple de la
campagne ne sait que la langue allemande, une difficulté qui
demande au moins douze ans pour être vaincue. Il est impossible de
trouver actuellement pour chaque commune un maitre de langue
Françoise et un Instituteur pour les connoissances qui doivent for-
mer l'esprit et le coeur des enfans. On s'est bientôt apperçu qu'il
faut pourvoir aux deux besoins par le même homme, et cet homme
doit necessairement savoir les deux langues, parceque suivant des

1. Guill., o. c, Conv., t. V, p. 150 ; cf. t. IV, p. 307.


288 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

axiomes irrefragables de Psychologie l'échange des idées et des sen-


timens ne se fait que tres défectueusement et tres froidement dans
langue qui n'est pas commune et familiere à celui qui enseigne
une
et à celui qui apprend. Nos Reformateurs à la Robespierre ont
voulu proscrire tout a coup la Langue Allemande de notre Ville ; ils
ont crié, que l'usage de cette langue doit rendre suspect d'intelli-
gence avec les ennemis ; ils ont affecté de couvrir cette Langue de
mépris, comme si elle étoit essentiellement impropre à exprimer
une saine politique et à faire parler dignement la philosophie. Je
serois mortifié s'il m'etoit défendu d'augurer que les François ne
dedaigneront pas, après la paix, les communications literaires avec
une Nation qui comte des philosophes originaux. La philosophie de
Kant est encore inconnue en France, et elle mérite d'y être trans-
plantée. Mais je brise là ; il y auroit matiere à une longue Epitre
si je voulois verser dans votre sein tous mes voeux et toutes mes
doléances relatives à l'enseignement d'une saine philosophie spécu-
lative » 1.
Malgré cela, il ne faudrait pas croire que les excès des terroristes
eussent causé une répulsion telle que le mouvement de francisation
fût arrêté. Les patriotes d'Alsace vivaient leur vie dialectale, comme
en attendant, mais essayaient de se familiariser avec le français. On
voit la Société de Heiligenstein s'abonner à une feuille française en
même temps qu'à un journal allemand (10 brumaire an III— 1er no-
vembre 1794). Le 22 vendémiaire(13 octobre), elle s'excusait d'écrire
en allemand à Strasbourg : « Il est vrai, frères et Amis, que par
mégarde nous vous avons écrit à deux differentes reprises dans un
Idiôme que nous regrettons nous-mêmes d'être forcés de conserver
encore long-tems dans notre Société pour nous entendre nous même
et nous rendre intelligibles aux Habitans de deux Communes voisines
fraternellement réunis en une même Société, qui quoique jadis
divisés par des opinions religieuses se sont dès le commencement
de la révolution constament distingués par l'attachement le plus
caractérisé aux principes de la Liberté et de l'égalité. Pour nourrir
en nous de plus en plus le feu sacré du patriotisme, nous vous
prions de nous entourer de vos lumières, de vos conseils en tout ce
qui pourra tendre à l'affermissement de la liberté, et de nous com-
muniquer tous les écrits qui visent à ce noble but. C'est
par cette
communication fraternelle que les liens qui nous unissent tous
seront serrez de plus près, et que le bien de notre patrie ne s'opé-

1. Corr. de Grégoire, Haut-Rhin, Bibl. Soc. des Amis de P.-R. Cf. Warrentrapp,

art. c., p. 498.


DISPOSITIONS DES ESPRITS 289

rera que plus efficacement. Salut fraternel »1. Jamais la Société de


Colmar ne perdit de vue non plus la création d'instituteurs fran-
çais. Elle en proposait encore en frimaire an III 2.
Un peu partout, les municipalités continuaient à chercher des
instituteurs sachant la langue française 3.

— Ces projets
PROJETS ENVOYÉS AU COMITÉ D'INSTRUCTION PUBLIQUE.
sont, eux aussi, tout pleins de l'esprit qui avait inspiré la loi de
pluviôse, dont on déplorait l'inexécution. L'un des seuls que je
citerai est inspiré à son auteur, Gauthier, lieutenant au premier
bataillon des Amis de la République, par les constatations qu'il a
faites au pays des brigands, où il faisait campagne.
Pour ce combattant, le dialecte c'est l'ennemi. Lui disparu,
l'unification réalisée, « vos enfans sont également bien élevés,
ils se connaissent; ils parlent et écrivent correctement la même
langue : vous faites disparaître ces idiômes barbares, qui ont assuré
pendant si long-tems l'empire des prêtres, et occasionné la plupart
de nos guerres intestines, par la difficulté de communiquer avec les
habitans des campagnes... Pour que l'exécution de ce projet ne
trouvât pas d'opposition, on n'admettrait auprez des enfans que des
personnes qui possedassent bien notre langue. Cette précaution vau-
drait mieux que les Grammaires et les Dictionnaires » 4.
On peut comparer à ce qui précède un écrit de Vaureix, instituteur à
Beaumont (district de Clermont-Ferrand, P.-de-D.), du 8 brumaire
an III. Le souci de faire connaître à tous le français, et de l'enseigner
méthodiquement, est un de ceux qui doivent dominer, dit l'auteur :
« L'étude de la Langue nationale parait devoir occuper la première
place parmi les differens objets du ressort de l'enseignement, parce
qu'il convient de connaître même par principes la Langue mater-
nelle avant que de songer à épeller une autre science quelconque,
ici se présente une reflexion toute naturelle et à Laquelle on ne
fait pas assez d'attention. En effet la Langue française, sage dans sa
marche, assez belle et beaucoup plus riche aujourd'hui qu'elle ne
l'était vers le commencement du siecle dernier, a ses difficultés
d'ailleurs, qui demandent la plus sérieuse attention, même dans ceux
qui la parlent habituellement; et c'est encore sur quoi l'on ne ré-
fléchit pas assez ; on l'apprend au Berceau, et presque sans autre

1. Protocolle, Arch. Dép. Strasb., Inv. N° 6 D.


2. Leuillot, o. c p. 407, 411.
3. A Nice, le 22 , vend, an III (13 oct. 1794), la Société s'occupait de vérifier les
citoyens capables d'être employés dans les écoles primaires (Combet, o. c, p. 408).
On institua des épreuves le dernier quintidi.
4. 28 vend, an III-19 oct. 1794. Arch. N., F 17 A 1310, doss. 5.
Histoire de la langue française. IX. 19
290 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Etude on continue de la parler comme on l'a apprise: aussi n'est-il


pas rare de voir aujourd'hui des personnes, même assez instruites,
tomber soit pour l'expression, soit pour le tour dans les fautes les
plus grossières. Que ne pourrais-je pas dire des campagnes du
Département du puy-de-Dôme ou l'usage de la Langue française est
absolument inconnu et presqu'entierement ignoré, malgré l'adresse
de la Convention nationale au peuple français sur la nécessité d'uni-
versaliser l'usage de la langue nationale, parceque les autorités
constituées n'y ont attaché aucune importance, ne l'ayant pas même
faite publier, ni lire? le meilleur moyen d'anéantir le patois dans
les campagnes serait de convertir cette adresse en Décret, de
rendre uniforme le costume de tous les français en général... L'uni-
formité de costume aménerait plus facilement l'uniformité de lan-
gage, surtout si l'adresse du 16 prairial était convertie en décret... »1.
1. Arch. N., F17 A 1310, doss. 5.
CHAPITRE III

PREMIER RECUL. LE FRANÇAIS ET LES ACTES

OBSERVATIONS.
— Il ne faut pas oublier que la question des idiomes
se posait tout autrement depuis que, au début de l'an III, les
armées de la République, franchissant les frontières, lui avaient
livré des pays étrangers parlant flamand, allemand, espagnol, etc.
Il ne pouvait venir à l'esprit de personne d'imposer à ces pays con-
quis, dont le sort n'était pas encore réglé, qui n'étaient pas formés
en départements, des obligations linguistiques. On avait bien des
choses plus urgentes à demander aux habitants. Et d'autre part le
moyen d'avoir plusieurs règles à ce sujet, de tolérer là ce qu'on
interdisait ailleurs ? La Babel naturelle s'expliquait. Une Babel
administrative, créée de toutes pièces, était un vrai non-sens.

ON REVIENT AUX TOLÉRANCES.


— On céda pourtant et ce fut une des
premières concessions que l'on accorda. Le 16 fructidor an II
(2 septembre 1794), la Convention décréta que l'exécution de la
loi du 2 thermidor précédent serait suspendue jusqu'au nouveau
rapport des comités de législation et d'instruction publique. Ce
nouveau rapport ne fut jamais fait, ce qui équivalait à l'abrogation
de la loi 1.

PERSISTANCE DES VIEUX USAGES. —Il y aurait eu lieu d'agir pourtant,


si on ne voulait pas imiter l'indolence de la monarchie. Pour mesurer
combien peu on avait obtenu, il suffit de quelques exemples. Je les
prendrai naturellement en Alsace. A Strasbourg, en vendémiaire
an III, le IVe arrondissement a pour juge de paix Fried. Les regis-
tres débutent par une longue série de jugements en français. Puis
l'allemand reparait et domine très nettement dans la suite. En
vendémiaire an IV, nouveau registre. Plus trace de français.
Passons aux notaires. A Benfeld — localité particulièrement alle-
mande, il faut le dire —, chez le notaire Dépinay, en 1792-1793, tous
1. Bullet, des Lois, n°51, loi 276.
292 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

allemand. De même en 1793-1794. Ce n'est qu'en


les actes sont en
l'an IV qu'on voit apparaître quelques actes en français avec des si-
allemandes de gens visiblement à peu près illettrés 1. La
gnatures
suite ne contient guère que des actes en allemand. Souvent ces
portent la mention Fait, lû, passé et interprété en allemand 2.
actes :

Les actes de l'état civil présentent un mélange déconcertant des


deux langues, suivant les communes. A Barr, depuis 1791, les actes
de naissance sont tantôt en allemand, tantôt en français. A Epfig,
c'est à partir de 1793 que le français apparaît, alternant avec l'alle-
mand. A Dambach, les délibérations du Conseil Municipal sont,
depuis 1791, tantôt dans une langue, tantôt dans l'autre ; les actes de
mariage de même depuis 1791. Au contraire les décès sont enre-
gistrés en français depuis 1792.

LA TRADUCTION DES ACTES DU POUVOIR CENTRAL. — Rühl, fidèle à ses


idées, ne voyait d'autre remède que de traduire les actes. Presque
coup sur coup, il envoie à ce sujet au Comité de Salut public deux
lettres qui sont de première importance et que je donnerai tout
entières : « Je me suis informé s'il ne se trouvait pas en la commune
de Strasbourg un homme bien au fait des deux langues française et
allemande, que l'on pourrait attacher à un bureau de traduction, et
dont on pourrait aussi se servir pour traduire en airs allemands les
hymnes et les chants civiques que le Comité de salut public aura
distingués, et on m'a indiqué pour cet effet un jeune poète alle-
mand, mais né Français, nommé Lamey, qui est présentement gref-
fier de la justice du IIIe arrondissement de Strasbourg, et qui a déjà
donné en langue allemande le petit recueil des hymnes et chants
civiques dont vous trouverez un exemplaire ci-joint sous n° 1, et qui
a remporté les suffrages des connaisseurs en poésie allemande. Il
est prêt à me suivre à Paris et se contentera d'abord de 2.400 livres
de traitement par année 3. Le voeu de l'article 4 de ma commission
est donc rempli en partie, sauf votre ratification.
« Pour satisfaire aussi à celui de l'article 5, je me suis adressé
au citoyen Würtz, libraire, dont le commerce a été autrefois bien
étendu en Allemagne, pour me concerter avec lui sur les moyens de
faire circuler en ce vaste pays le Bulletin de la Convention traduit

Paris.
1. Gross, dans un acte en français, n'ayant l'usage de l'écriture allemande,
pas
signe en lettres hébraïques (24 flor. an III-13 mai 4 795).
2 Ainsi dans un acte du 19 messidor
an III (7 juillet 1795). Cf. 12 messidor an III.
La formule varie. On trouve ailleurs : après lecture et interprétation faites (Arch Dép.
au Bas-Rhin. Fonds nouvel ement versé, non catalogué)
3. Lamey fut nommé, en 1795, traducteur du Bulletin des
Lois, à l'Imprimerie de la
République, à
PREMIER RECUL. LE FRANÇAIS ET LES ACTES 293

en allemand, de même que les rapports dont la Convention aura


décrété la traduction en allemand, ou que le Comité aura jugés d'une
utilité générale. Ce libraire me remit hier le plan qui se trouve
ajouté à ce rapport sous n° 2; mais comme ce plan ne contient rien
de. nouveau pour moi, si j'excepte le projet d'un journal allemand,
je n'en ai pas pu retirer le fruit que j'en ai espéré ; car, pour ce qui
est de la proposition qu'il me fait de faire répandre le Bulletin par
nos agents secrets dans les pays étrangers, je n'ai pas eu besoin
qu'il m'indiquât ce moyen ; ce qu'il aurait dû me dire se réduisait à
m'apprendre comment ce moyen serait praticable. Pour ce qui est
de son autre proposition de me servir de la voie des libraires
suisses, je la lui avais indiquée moi-même, et je saurai m'en servir
sans lui. Reste donc à discuter le projet d'un journal allemand,
auquel je reviendrai en un autre temps.
« Ce qui, dans cet instant-ci, doit vous occuper, chers collègues,
c'est la lettre qui m'a été adressée par l'administration du district
de Wissembourg, que je joins ici sous n° 3, avec son incluse, qui
n'est autre chose qu'une copie d'une lettre que ces administrateurs
vous ont écrite le 16 du courant. Pesez dans votre sagesse, je vous
en conjure, au nom de la patrie, le contenu de cette lettre, et soyez
persuadés que, s'il se trouve dans le seul district de Wissembourg
190 communes dans lesquelles il n'y a pas un seul citoyen qui con-
naît la langue française, il se trouve dans le reste des districts des
départements du Haut et du Bas-Rhin, de même dans les districts
de Sarrebourg et de Dieuze du département de la Meurthe, et dans
ceux de Sarreguemines et de Sarrelibre, du département de la
Moselle, plus de deux mille communes encore qui sont dans le
même cas, et auxquelles on peut appliquer tout ce que les admi-
nistrateurs du district, de Wissembourg disent de leurs communes.
Pour tout au monde, chers collègues, regardez en pitié les pauvres
habitants des extrêmes frontières du côté de l'Allemagne, et donnez-
leur un terme pour apprendre la langue française; donnez-leur des
instituteurs français, répandez parmi eux vos bulletins et vos rap-
ports imprimés dans les deux langues, et, si au bout de dix ans ils
ne sont pas encore en état d'entendre nos lois, de rendre justice et
de passer tous les actes en langue française, sévissez alors contre
eux et traitez-les avec rigueur ; mais, dans ce moment-ci, regardez ce
peuple, qui n'a jamais remué, malgré tout ce qu'on a fait pour le sou-
lever; regardez-le comme digne de vos soins paternels, et pesez bien
dans votre sagesse la lettre des administrateurs de Wissembourg.
« Comme il est important
de savoir sous quel point de vue le
succès de nos armées et les travaux de la Convention sont pré-
294 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

dans les gazettes et les journaux allemands, je me suis


sentes
informé d'abord, à mon arrivée ici, si on ne pouvait pas me procurer
de telles gazettes ou journaux; maison me dit que, l'importation
de cette espèce de feuilles étant très sévèrement défendue, on ne
pouvait m'en procurer. Aujourd'hui cependant, le médecin Wede-
kind, réfugié mayençais, me remit une note que vous trouverez
jointe ici sous n° 4, avec le n° 83, du 11 juillet dernier, de la Gazette
de Mannheim, et le n° 110, du 12 juillet aussi dernier, de la Gazette
impériale de Francfort, ajoutés ici sous nos 5 et 6, qui m'ont
paru mériter votre attention; car dans l'article Vienne, du 5 juillet
dernier, il est dit, entre autres, que « l'armée des puissances coali-
sées n'est point en état de poursuivre ses victoires, parce que les
armées françaises, quoique battues, se trouvent, par le moyen des
réquisitions, renforcées autant qu'auparavant, et même plus encore,
pour pouvoir porter défit à leurs vainqueurs ». Il est dit encore,
dans le même article, que la guerre présente est une douloureuse
leçon pour ceux qui se persuadent que les Français ont été battus
complètement, ou que l'on a remporté sur eux une victoire. Il est
dit enfin, dans cet article, que le feld-maréchal Lascy a dit, il n'y a
pas longtemps encore, qu'il est impossible de battre complètement
une nation telle que la nation française ou de remporter sur elle
une victoire complète, à moins qu'elle ne se détruise elle-même, ce
qui paraissait être le cas des Français, comme il est celui des Polo-
nais. Dans la Gazette de Mannheim il est dit, dans l'article Bruxelles,
qu'il paraissait convenu avec les Français que les armées combinées
évacueraient la Belgique, qu'elles se retireraient de ce pays dans le
plus bel ordre possible, et que l'on parlait partout d'une trêve entre
les deux armées. J'invite mon collègue Barère de donner connais-
sance à la Convention nationale de ces différents traits de vanterie
et de craintes allemandes, de les accompagner de ses réflexions que
lui, né dans le ci-devant pays de Bigorre et jeune encore, n'attendra
sûrement pas qu'elles lui soient suggérées par un vieillard sexagé-
naire, né sur les bords du Rhin.
« Avant de partir pour Paris, je vous ai écrit, mes collègues, en
date du 14 du courant, que, dès que je serais arrivé à Strasbourg,
je traduirais et ferais imprimer en caractères allemands le rapport
de Barère sur la conjuration de Robespierre et complices. A
mon
arrivée dans le département du Bas-Rhin, je me suis
aperçu que
cette traduction et impression était plus que nécessaire; elle est
faite sous mon inspection, et pourrait être meilleure, mais elle
est
fidèle. Vous en recevrez ici deux exemplaires de la première feuille
sous n° 7, et j'aurai soin de la répandre et de la faire répandre
PREMIER RECUL. LE FRANÇAIS ET LES ACTES 293

partout, et même, s'il est possible, dans les pays étrangers, ce qui
est d'autant plus à propos qu'il est dit dans la Gazette de Mannheim,
sous n° 5 ci-dessus, que « depuis quelque temps Robespierre,
Barère et le reste des membres du Comité de salut public paraissent
régulièrement aux Jacobins et tâchent en général plus que jamais à
s'insinuer auprès d'eux, qu'il paraît par conséquent qu'ils ont des
pressentiments de périls et d'événements où ils pourraient avoir
besoin de secours, supposition qui est encore confirmée, ajoute-ton,
par un long discours que Robespierre a fait depuis peu sur les
pièges qu'on lui tend tous les jours, sur les complots journellement
renouvelés contre la liberté et sur les calomnies répandues contre
lui et contre le gouvernement révolutionnaire. Philippe Rühl »1.

« Le Bulletin de la Convention, traduit en allemand et imprimé


en caractères français à Paris, n'est jamais parvenu au directoire
du département du Bas-Rhin... l'administration du district de Stras-
bourg n'en a pas encore eu un seul exemplaire... celle du district
de Wissembourg se trouve dans le même cas... ce Bulletin, ainsi
traduit et imprimé, est absolument inconnu à l'administration du
district de Haguenau... il en est de même de celle du district de
Saar-Réunion (ou Neu-Saarwerden),... il n'y a que le directoire du
district de Schlestadt qui en a reçu quelques exemplaires en très
petit nombre, mais qui depuis longtemps n'en reçoit plus, comme
tout ceci est prouvé par les pièces justificatives sous nos 1, 2, 3, 4,
5 et 6, que je joins à ce rapport. C'était donc doublement en pure
perte que l'on faisait traduire à Paris, en allemand, et imprimer en
caractères latins ou français le susdit Bulletin, puisque cette tra-
duction n'a pas été envoyée, les administrés n'auraient pas pu la lire,
étant imprimée en caractères latins ou français qu'ils ne connais-
saient pas; en un mot c'était autant d'argent, que coûtait cette tra-
duction et cette impression, de jeté dans la rivière.
« L'administration du département du Bas-Rhin croyait cependant
que la traduction et l'impression, dont elle ignorait qu'il s'en faisait
une à Paris, était si nécessaire que, dans l'origine, elle l'a fait
réimprimer en entier en langue allemande et ensuite, pour écono-
miser les frais d'impression, par extraits dans une feuille intitulée
Der Volksfreund, ou l'Ami du peuple, dont vous trouverez ici un exem-
plaire sous n° 7. Ajoutez à cela que l'administration du district de
Strasbourg observe qu'il ne sera guère possible de se passer encore
dans ce district de la traduction allemande du Bulletin, à moins qu'on

1. Aul., Act. du Com. S. P., Strasbourg, 25 thermidor an II (12 août 1794),


t. XVI, p. 58-61.
296 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

ignorer les lois citoyens, que celle de Haguenau


ne veuille faire aux
public, le
prétend qu'elle en a déjà écrit au Comité de salut que
directoire du district de Saar-Réunion déclare qu'il serait très utile
le Bulletin lui parvint traduit en allemand, attendu que ce
que
district est un pays réuni, où la langue allemande est pour ainsi
dire la seule en usage. Or, la conséquence de tout ceci est :
Qu'il faut supprimer l'impression de la traduction du Bulletin
«
en caractères latins ou français ;
Qu'il faut le faire imprimer en caractères allemands sur une
«
colonne, en face d'une autre colonne qui contiendra le texte fran-
çais, ce qui familiarisera les administrés avec la langue française
qu'ils apprendront peu à peu en comparant la traduction allemande
avec le texte français ;
Qu'il en faut, enfin, envoyer un nombre suffisant d'exemplaires
«
aux administrations de districts à langue allemande.
« Vous saurez que,
si la traduction et l'impression du Bulletin de
la Convention, au moins par extrait des articles principaux, est
nécessaire, celle du Bulletin des lois est indispensable, à cause des
décrets dont l'insertion dans ce Bulletin doit servir de publication,
et qu'il en est de même des arrêtés du Comité de salut public.
« Vous verrez, par
la réponse qui a été faite à mes questions par
l'administration du district de Saar-Réunion (ou de Neu-Saarwer-
den), que l'exécution de la loi du 9 thermidor, d'après laquelle, à
compter du jour de sa publication, nul acte public ne pourra être
écrit qu'en langue française, est impraticable dans ce pays, dont
toutes les municipalités, juges de paix, comités de surveillance et
forestiers ne connaissent que la langue allemande; et que, malgré
tous les soins de l'administration et de la Société populaire, et
malgré toutes leurs recherches, elles n'ont encore pu trouver que
deux instituteurs de langue française.
« Vous verrez
enfin, par les pièces sous nos 1, 2, 3, que les frais
de traduction et d'impression des décrets, et rapports de la seule
administration du département du Bas-Rhin, se montent pour l'année
1793 à la somme énorme de 220.558 livres 15 sols; ceux du district
de Strasbourg à celle de 72.000 livres; ceux du district de Hague-
nau, à 14.000 livres; de celui de Schlestadt à 15.449 livres, ce qui
donne un total effrayant de passé 313.058 livres, sur lequel on
pourra épargner deux tiers au moins lorsqu'on aura organisé métho-
diquement ces mêmes traductions et impressions.
« Mais comme on ne saurait parvenir à ce but économique et si
salutaire en même temps, si on manque de sujets que l'on puisse
employer utilement, j'ai, conformément à ma commission, voulu
PREMIER RECUL. LE FRANÇAIS ET LES ACTES 297

engager avant-hier un très bon sujet, nommé Jean Frantz, dont les
connaissances littéraires, la pureté des moeurs et la douceur de
caractère me sont connus depuis longtemps. Lui ayant fait ma pro-
position, il me dit ingénument qu'il a travaillé pendant quatre années
consécutives au Bureau de bien public de la municipalité de
Strasbourg, et que, depuis deux mois, il a été remercié purement
et simplement. Ayant là-dessus écrit à l'agent national de la com-
mune la lettre dont la minute est jointe ici sous n° 8, j'en attends
encore la réponse, que je n'aurai pas sitôt reçue, que je quitterai
le département du Bas-Rhin, où j'ai recueilli tous les renseigne-
ments relatifs à la mission que j'ai à remplir, pour me rendre à
Colmar, chef-lieu du département du Haut-Rhin, d'où je vous écri-
rai le premier quintidi de fructidor prochain »1.
Le 16 fructidor (2 septembre), on écrivait de Nancy : « La publi-
cation des lois éclaire le peuple en lui montrant quelles ont été
dictés par le desir de le rendre heureux ; néanmoins dans les com-
munes allemandes des Districts de dieuze et Saarbourg on ne recoit
pas les lois traduite en allemand; l'idiôme français leur est absolu-
ment étranger, et les habitants de ces communes isolés par leur
langage restent abandonnée aux préjugés politiques et religieux que
l'instruction Publique auroit bientot dissipée » 2.
En fait, des actes continuaient à arriver de Paris tout traduits 5.
En même temps, on traduisait aussi sur place des documents venus
de Paris, aussi bien que des pièces émanant des autorités locales 4.

1. Aul., Act. du Com. S. P., t. XVI, p. 181-183 ; Strasbourg, 30 thermidor an II—


17 Août 1794.
2. Extrait d'une lettre du cn Michaud, Représt du peuple au Comité de Sal. P., 16 fruct.
an II. (Arch. N., F17 6891).
3. Oscar Berger-Levrault (Catalogue des Alsatica, Nancy, 1886, 5e partie) dit à ce
propos dans une Note préliminaire p. X : « Pendant l'an VI, la traduction en Alle-
mand des Lois et Arrêtés du Directoire exécutif se faisait généralement à Paris, con-
trairement aux habitudes précédentes, et F. G. Levrault en constatait le fait sur les
numéros sortant de ses presses pour ne pas en assumer la responsabilité ».
M Gérock, si informé de toutes les choses alsaciennes, me fait observerque Ose. Berger-
Levrault, qui avait l'esprit dynastique très développé, a commis là une erreur. Les
traductions étaient faites, non pas par les soins de F. G. Levrault qui n'était que
l'imprimeur, mais par le Bureau des traducteurs, fonctionnant sous l'autorité du Directoire
du département. C'est donc ce dernier qui indiquait, en tête des imprimés qu'il faisait
faire, l'origine de la traduction.
4. La Bibliothèque universitaire de Strasbourg en possède un assez grand nombre,
aussi sous forme d'affiches, portant en exergue : Pariser Ucbersetzung. Il y aurait là
proba-
une étude à faire. La même Bibliothèque universitaire possède une collection,
blement incomplète, de l'édition allemande des Bulletins do la Convention Nationale.
Je l'ai trouvée, m'écrit M. Gérock, dans les fonds, non catalogués par les Allemands,
de la bibliothèque Heitz. Osc. Berger-Levrault n'a donc pas pu en avoir connaissance
lorsqu'il travaillait à la Bibliothèque pour la confection de son catalogue. Il faudrait
constater si vraiment les traductions exécutées en Alsace laissaient à désirer.
LIVRE II
LE FRANÇAIS ET L'ENSEIGNEMENT

CHAPITRE PREMIER

INSUCCÈS DES ÉCOLES PRIMAIRES

CAUSES ET EFFETS.
— Au lendemain de thermidor, l'instruction
publique avait cessé d'être une chose de Salut public. Elle était
revenue au Comité d'Instruction publique, dont Lakanal fut nommé
président le 17. et où Garat entra le 26. La formation, des esprits
et des coeurs n'allait plus être menée « au pas de charge » et
« par
la méthode révolutionnaire ». Il eût été possible que les
choses n'en allassent que mieux, car les essais tentés jusque-là
n'avaient guère été heureux. Nous avons parlé des résultats de la
loi de pluviôse. Considérons maintenant les résultats généraux de la
loi de frimaire.
Leclerc, député de Maine-et-Loire, avait été sinistre prophète
quand il avait dit le 12 décembre 1792 : « L'esprit de parti s'abstiendra
de favoriser les écoles. Bien des pères, scandalisés même de ce que
vous aurez fait composer des livres nouveaux pour remplacer les
Heures et le Catéchisme, ouvriront facilementleurs âmes aux malignes
impressions des prêtres, et, soit par leur propre faiblesse, soit par
condescendance pour celle de leurs femmes, ils voueront volontai-
rement leurs enfants à l'ignorance, tant les préjugés religieux ont
encore d'empire »1. Pour que des écoles pussent s'établir partout,
étant donné le système d'instruction publique adopté, étant donné
d'autre part l'état de l'esprit public, il eût fallu un miracle. La
bonne volonté des autorités, stimulée par les réclamations des
familles, n'était pas douteuse. Mais il y eût eu d'insurmontables
obstacles à vaincre, même si la loi avait comporté un plan, et elle
n'en comportait pas.

1. Hippeau, L'inst. sous la Rév., p. 28.


300 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Guillaume a dépouillé avec le plus grand soin la Correspondance


du Comité d'Instruction publique, et il a prouvé sans peine que de
nombreux districts, des communes aussi, avaient écrit à Paris pour
poser des questions ou faire des observations de toutes sortes, en
particulier pour obtenir l'autorisation d'employer, ici une soeur,
là un ex-prêtre, etc., à des fonctions d'instituteur 1. Les plaintes
aussi sont nombreuses. Partout revient le même refrain : les ins-
tituteurs manquent. Peut-on agréer ceux qui plairaient aux fa-
milles ?
Nous avons dit plus haut ce qui avait été fait dans le départe-
ment de la Meurthe. Des résultats très heureux avaient de même
été obtenus dans l'arrondissement de Rambouillet, en Haute-Marne,
à Belfort, etc.
Malgré cela, même dans la Meurthe, les districts allemands étaient
singulièrement dépourvus. Le 16 fructidor an II (2 septembre 1794),
une lettre de Nancy va jusqu'à demander des instituteurs allemands,
puisqu'il n'y en a pas d'autres. « Les écoles Primaires ne sont Point
organisés (sic), il faudroit établir des instituteurs allemands. Les corps
administratifs de ses deux districts proposent d'extraire des bataillons
des depts frontieres les Cens propres a remplir ces fonctions. Peut
etre la chose Publique gagneroit elle Plus a les utiliser de cette
maniere qu'elle ne perdroit Par la privation de quelsques soldats
cest avous Citoyens Collegues a resoudre cette question » 3.
En général, on peut dire qu'il est bien peu de départements où
les résultats du décret Bouquier aient été favorables 4. Le 11 prai-
rial an II (30 mai 1794), le Comité d'Instruction publique renvoyait à
Bouquier une lettre des Administrateurs du district de Delémont.
Ils avaient demandé en floréal que les sociétés populaires fussent
invitées à fournir une liste, et que le Comité mît en réquisition
23 patriotes instruits pour les communes françaises et autant parlant
allemand, pour les communes allemandes. Ne l'ayant pas obtenu,
ils signalent qu'ils ne peuvent organiser les écoles 5.

1. O. c., Conv., t. IV, p. XLII et suiv. Cf. 556, 621, 626, 637, etc.
2. Voir Guill., o. c, Conv., t. IV, p. XLVII-XLVIII
3. Extrait d'une lettre écrite par le citoyen Michaud, Représentant du peuple Comité
de Salut Public dattée de Nanci le 16 fructidor, enregistrée au
F17 6891). sous le N° 1762(Arch. N.
4. Les dires des satisfaits ont besoin d'être contrôlés. Ainsi, de Clamecy, l'agent
national mande que presque toutes les communes ont nommé des instituteurs (11 flor.
an II-30 avril 1794, dans Guill., o. c. Conv., t. IV, p. 293). Or le 5 fructidor
(22 août), on reçoit du même une lettre informant le Comité des difficultés qui s'y
presentent (Id., ib., t. IV, p. 974.
5. Guill., o. c, Conv., t. IV, p. 507. Le Moniteur du 5 brumaire
1794) contient des plaintes toutes semblables apportées an III (26 oct.
Mont-Terrible le 29 vend. (Id ib.). par un Jacobin de retour du
,
INSUCCÈS DES ÉCOLES PRIMAIRES 301

Le procureur syndic de Perpignan écrit, le 16 floréal an II


(3 mai 1794) : « Dans ce moment aucun professeur ne propage l'ins-
truction publique, ny ayant aucun individu qui aille s'instruire dans
les différentes classes ». Il est vrai de dire que les classes de l'école
primaire de la ville avaient été transformées en « magasin d'abon-
dance » et celles du collège en hôpital militaire 1.
Dans la Haute-Loire, Guyardin mande, le 10 prairial an II (29 mai
1794) : « l'ignorance... est si épaisse dans ces contrées que les com-
munes ne peuvent pas trouver d'instituteurs pour tenir les écoles
primaires » 2.
UNE PREMIÈRE STATISTIQUE.
— Pour l'année qui suit, nous avons des
renseignements plus complets. En effet l'article 3 d'un décret du
21 thermidor an II (8 août 1794), portait que les administrations
de district feraient passer au Comité un état exact des écoles. Ces
papiers ne semblent plus exister; s'ils ont été envoyés, ils sont
égarés. Mais nous possédons une courte statistique dressée par les
bureaux de la Commission exécutive de l'Instruction publique et
retrouvée dans les papiers de Ginguené 3. Elle date du commen-
cement de l'an III (12 brumaire—2 novembre 1794), et, quelque
sommaire qu'elle soit, elle nous apporte des renseignements du
plus haut intérêt.
Voici les résultats pour les pays à idiomes, c'est-à-dire ceux où
l'école eût pu rendre le plus de services pour la propagation du
français :
Saint-Brieuc. Aucun renseignement.
Côtes-du-Nord.. Dinan. Peu d'écoles. Instituteurs ineptes.
Pontrieux. 16 écoles sur 474.
Loudéac. Point de renseignements.
Quimper. Point d'écoles.
Finistère Carhaix. —
Landerneau. —
Port-Malo. Quelques écoles.
Ille-et-Vilaine. Redon. Point de renseignements.
. Bain. —
Vitré. Point d'écoles.
1. Torreilles et Despl., o. c., p 324 et n. 3. Cf. Six mois après la publication de la
loi du 29 frimaire, cinq communes seulement du district de Perpignan avaient un
instituteur. Une sixième aurait bien voulu confier l'instruction des enfants à un
sergent-major, afin qu'il détruise « entièrement l'idiome catalan... pour le remplacer par
le langage national », mais celte commune demeura sans instituteur, le sergent-major
n'ayant pas obtenu l'autorisation de quitter son bataillon (Id., ib., p. 325 et n. 3).
2. Lett. datée du Puy, dans Aul., Act. du Com S. P., t. XIV, p. 13.
3. B. N., Nouv. acq. fr.. n° 9192. f° 39-45. Cf. Guill.,_ o. c., Conv., t. VI,
p. 899 et suiv. J'y ajoute quelques renseignements fournis en exécution d'une circulaire
de floréal an II par les agents nationaux (Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 908).
4. En l'an II l'agent national disait 0 sur 70 (Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 909).
302 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Roche-des-Trois (Rochefort-en-Terre). Point


d'écoles.
Josselin. Point d'écoles.
Morbihan Hennebont. —
Pontivy. —
Le Faouet. Quelques écoles.
Ploërmel. —
Douai. Quelques écoles.
Cambrai. —
Le Quesnoy. —
Nord Berck. Point de renseignements.
Hazebrouck. — I

Avesnes. —
Pau. Écoles à moitié organisées.
Pyrénées (Basses).. Oloron. Peu d'écoles.
Tarbes. 14 écoles sur 150.
Pyrénées (Hautes).. Argelès. Écoles organisées en partie.
Bagnères. Peu d'écoles.

Pyrénées-Orientales.
Perpignan. Peu d'écoles.
Prades. —
Nancy. Écoles organisées en grande partie.
Vézelize. 53 écoles sur 85.
Sarrebourg. Écoles organisées, excepté dans les
Meurthe communes allemandes.
Blamont. Écoles totalement organisées.
Pont-à-Mousson. Quelques écoles.
Salins-Libre. —
Dieuze. Aucun renseignement.
Metz. Quelques écoles.
Briey. —
Moselle Sarreguemines. —
Bitche. Point d'écoles.
Fauquemont. —
Mont-Terrible. Porrentruy. Point d'écoles.
. Delémont. —
Strasbourg. Ecoles organisées excepté 13 2.
Rhin (Bas) Wissembourg. 5 écoles sur 220 3.
Haguenau. 16 écoles sur 140.
Saar-Union. Peu d'écoles.
Colmar. Quelques écoles.
Rhin (Haut). Belfort. Écoles organisées en partie.
. . .
Altkirch. 33 écoles sur 145.

1. Des renseignements antérieurs des agents nationaux disaient Exécution intégrale


:
ou a peu près (Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 908).
2. En l'an II, 39 sur 69 (Id., ib., Conv., t. VI, 910).
p.
3. En l'an II, d'après l'Agent national, 0 (Id., ib., Conv., t. VI,
p. 909).
INSUCCÈS DES ÉCOLES PRIMAIRES 303

En somme, d'après Guillaume, sur 557 districts, 350 ont fourni


des rapports; 32 seulement ont des écoles organisées à peu près
complètement; 41 ont des écoles organisées en partie. Dans les
277 districts restants, un nombre appréciable n'ont pas donné de
chiffres, les autres déclarent avoir très peu d'écoles; il y en a qui
n'en ont point du tout.
Il faut assurément tenir compte que certains pays ravagés par la
guerre civile ou étrangère n'avaient rien pu créer. Mais l'ensemble
du tableau est décisif. Le système avait échoué et des anciennes
écoles il ne restait guère que des ruines 1.

1. Guillaume, o. c. Conv., t. VI, p. 907. On comparera sur l'Alsace, Letaconnoux,


Ann. Révol.. t. IV, p. 685 et Arch. N., F1C III, Ht-Rhin. Sorgius cite Spach (Descr.
du Départt du Bas-Rhin, par Migneret, t. III, p. 34). Celui-ci, historien très sûr, se
fondant sur la statistique, écrit : « La secousse révolutionnaire conduisit à la fermeture de
la plupart des Ecoles primaires, si bien que, le 17 mai 1791, il ne restait plus dans
tout le département du Bas-Rhin que 29 écoles pourvues de leurs maîtres » (Die
Volksschulen, p. 75).
CHAPITRE II

L'ÉCOLE NORMALE

FORMATION ET RECRUTEMENT. Nous avons exposé plus haut com-



ment l'idée d'écoles de maîtres avait pénétré en France. La nécessité
imposait de former immédiatement les instituteurs qui manquaient.
Grégoire avait déjà montré les grands besoins de l'instruction
publique. Lindet (quatrième sans culottide—20 septembre 1794)
avait fait prendre des décrets. Le 6 vendémiaire an III (27 septem-
bre 1794) intervint le décret célèbre, qui instituait l'École Normale.
Le citoyen Glêze de Strasbourg la demande encore quelques jours
après : « Ne serait-il pas à désirer... que la Convention par un
autre Décret appellât à paris un certain nombre de citoyens par
District capables de devenir des instituteurs, et qu'elle y fasse
ouvrir un cours d'Études gratuites pour les y former sans délai,
et les renvoyer ensuite dans leurs Départemens respectifs? » (26
vend, an III—17 octobre 1794) 1.
Malheureusement, avant ce décret, Garat avait dénaturé le plan
primitif, de sorte que l'École Normale de l'an III, devenue une sorte
d'École d'enseignement supérieur, ne correspondit plus du tout ni
aux besoins, ni aux intentions de la Convention.
Elle eut, on le sait, des maîtres excellents, mais ce n'était pas
ceux qu'il fallait. Elle eut des élèves, mais ce n'était pas les jeunes
gens qui devaient régénérer les écoles populaires. On a reconstitué
partiellement au moins les listes. Elles ont de quoi surprendre 2.
Beaucoup de demandes témoignent cependant de l'espoir que l'en-

1. Arch. N., F 17 6891. On avait aussi établi des Écoles Normales à Naples, et prévenu
le Comité (Arch. Aff. Étr., Fr. 1413, 147).
2. « Il avait été recommandé de préférer les candidats les plus instruits mais, dans
:
bien des districts, on n'eut pas l'embarras du choix en fait, il n'y eut d'exigé le
; que
certificat de civisme. Les treize ou quatorze cents élèves que l'on avait ainsi recrutés
formaient une masse très hétérogène, où tout différait, les origines, les âges et les
degrés d'instruction. Dans leurs rangs, il y avait de ci-devant nobles et d'anciens
prêtres ; il y avait des jeunes gens de vingt à vingt-cinq beaucoup d'hommes
mûrs et même des vieillards ; on se montrait, assis ans,
sur les bancs, Bougainville, le
célèbre navigateur, qui avait soixante-six ans. Un grand nombre d'instituteurs primaires
avaient été désignés, surtout dans les campagnes. Dans les villes avait pris volontiers
on
des professeurs de collège, auxquels les événements avaient fait des loisirs. C'est ainsi
qu'à Paris furent nommés Mahérault, Crouzet, les deux Guéroult, De Wailly, etc.
L'ÉCOLE NORMALE 305
treprise avait fait naître, et dans les populations et chez les maîtres.
Certains pensaient qu'il serait fait une sélection et qu'on appellerait
ceux qui avaient fait preuve d'aptitudes pédagogiques. Parmi ceux-
là, il convenait de ne pas négliger les hommes qui avaient l'habitude
de l'enseignement du français, matière essentielle.
Le citoyen Cuns, instituteur à Chénérailles, district d'Aubusson
(Creuse), demande que les auteurs qui ont envoyé les meilleurs
ouvrages au concours soient admis aux Écoles Normales. « En effet,
le prompt besoin où se trouve la Nation d'universaliser la langue
française dans toute l'étendue de la république par des principes
uniformes de grammaire, de lecture, de prononciation aussi bien
que de répandre des méthodes pour apprendre d'une manière uni-
forme les principes de...toutes les autres sciences, semble engager
à choisir de préférence ceux qui ont déjà des principes sur les
différentes matières » 1.
Divers articles du règlement étaient fort heureux. Organiser, à
côté d'un enseignement dogmatique, des conférences, où les futurs
maîtres, qui n'étaient plus des enfants, pourraient s'éclairer, faire
leurs remarques, présenter leurs objections, c'était combiner des
leçons et des débats, une Ecole et un Congrès 2.
Mais malgré l'exemple de l'École des Armes, ce n'est pas en
quatre mois qu'on pouvait épuiser le programme, évincer les inca-
pables, grouper les autres et les exercer. En outre, les conditions
matérielles étaient mauvaises, les élèves étaient trop nombreux, les
salles trop petites. Enfin, pour les lettres, les professeurs étaient
mal choisis.

LA GRAMMAIRE FRANÇAISE A L'ECOLE. En grammaire, un Domergue



eût peut-être tout sauvé. Il fut d'abord question de Pougens 3.

Laromiguière, le futur professeur de la Faculté des lettres, figure sur la liste des deux
cent cinquante élèves do l'Ecole, dont M. Dupuy a pu découvrir les noms ; mais on
y compte aussi beaucoup de fonctionnaires, employés de diverses sortes, magistrats et
greffiers. Il y a jusqu'à des militaires, des marins en activité de service, qui, on ne
sait trop comment, avaient réussi à se procurer un congé plus ou moins régulier »
(Perrot, L'Éc. Norm. et son centen., p. IX-X).
Les dossiers des Archives Nationales F 17 6891, renferment des pièces très curieuses.
On y voit quantité de districts, de Wissembourg à Pontrieux, qui, faute de pouvoir
déléguer d'anciens prêtres, ou parce que les jeunes gens instruits sont aux armées, ou
parce que des maîtres en exercice ont peur de perdre leur place, n'ont su qui déléguer.
En revanche on constate que les patriotes de la Guadeloupe veulent envoyer
des élèves.
1. Arch. N., F 17, 6891 (18 brum. an III-8 nov. 1794).
2. De province, des « amateurs des beaux-arts » demandaient à suivre « médiate-
ment » les leçons (Arch. N., F 17. 6891).
3. Le Comité d'Instruction publique l'avait choisi. Voir Guill., o. c., Conv., t. V,
p. 159. 1er brum. an III (22 oct. 1794).
Histoire de la langue française. IX. 211
306 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

L'homme, qui appartenait à l'École de Lacurne de Ste-Palaye, quï


avait commencé à fouiller le trésor du vieux langage, qui a laissé
des ouvrages et des manuscrits dont Littré a tiré le plus grand pro-
fit, eût peut-être versé dans l'érudition. Il eût peut-être aussi aidé
à mettre la grammaire dans sa voie. Finalement, la préférence fut
retirée à cet aveugle, elle alla à l'abbé Sicard, l'éducateur des-
sourds-muets, successeur de l'abbé de l'Épée.
Fourrier a fait de Sicard un portrait très nuancé : « Petit de
taille, encore jeune, dit-il, il a la voix forte, distincte et timbrée.
Il est ingénieux, intéressant, actif et sait comment occuper une
grande assemblée. Il plaît à la multitude, qui l'applaudit à tout
rompre. Il vante son art, sa méthode et ses principes, et parle à
tout propos de l'homme de la nature qu'il prétend être le sourd et
muet. C'est un homme de beaucoup d'esprit sans génie, qui paraît
fort sensible et qu'au fond je crois modeste, mais qui a été séduit
par je ne sais quel système de grammaire, qu'il prétend être la clef
des sciences. Il parle souvent, longtemps et avec emphase ; il a
dans l'accent et dans la diction quelque chose de capricieux. Son
projet de grammaire, qui a des côtés brillants, est un des plus fous
que je connaisse. Cependant on parle de l'adopter et même de le
prescrire dans les écoles de la République. Si on en vient là, nous
aurons de quoi rire. Du reste, Sicard est rempli de zèle et de
patience et donne l'exemple de toutes les vertus, mais il est fou: et
cela me fait songer qu'il plaît aux femmes, quoique petit et assez
laid » 1.
Le professeur de grammaire, comme les autres, était essentielle-
ment chargé d'apprendre aux futurs instituteurs à appliquer à l'en-
seignement de la grammaire française les méthodes tracées dans
les livres élémentaires adoptés par la Convention nationale et
publiés par ses ordres 2.
Sa carrière n'avait nullement préparé Sicard à ce rôle. C'était,
dit M. Paul Dupuy, « les expériences des Célestins et du sémi-
naire Saint-Magloire qui, en suggérant à Garat la pensée d'appli-
quer à l'enseignement primaire les procédés de la méthode de
l'analyse, avaient déterminé la direction de ses vues
sur l'École
normale. A l'Ecole normale, Sicard se proposait de transporter
ses
procédés du séminaire Saint-Magloire : le programme de
son cours
d'Art de la parole annonçait un enseignement philosophique et
scientifique qui devait aboutir à des applications pratiques et élé-

1. Cité par P. Dupuy, L'Ec. Norm. de l'an III, dans L'Éc. Norm.
et son centen., p
140-141.
2. Décret du 9 brumaire an III (30 octobre 1794), art. 8.
L'ÉCOLE NORMALE 307
mentaires pour les instituteurs. Lorsque le professeur aurait
démontré que l'abstraction faisait le langage véritable, il indique-
rait une méthode propre à conduire les élèves des écoles primaires à
toutes les abstractions, par une opération très simple, très facile,
qui rendrait l'abstraction visible en quelque sorte (son système de
numération pour les sourds-muets). Lorsqu'il aurait prouvé que

tous les verbes pouvaient être rappelés et réduits à un seul, que
celui-là tout seul méritait le nom de verbe, il dirait comment, dans
les écoles primaires, la conjugaison de tous les verbes français pou-
vait être également réduite à une seule conjugaison ; il ferait voir
comment on peut simplifier la théorie des temps en les distribuant
en deux classes, les uns considérés comme absolus, les autres comme
relatifs. — S'il racontait l'histoire dé l'écriture, ce serait de manière
qu'elle pût être mise à la portée des élèves des écoles primaires.

S'il exposait les rapports de la Grammaire générale avec les gram-
maires particulières, ce serait pour tirer des principes qu'il aurait
développés, pour en faire naître par voie de conséquence et comme
dernier résultat l'ouvrage élémentaire qui pourrait être propre aux
écoles primaires. — Et il concluait en annonçant « que l'art de
communiquer de la manière la plus prompte et la plus sûre toutes
les connaissances serait surtout la grande tâche de celui qui devait
enseigner l'art de la parole ; il ne perdrait jamais de vue le but de
l'École normale, lequel était moins d'enseigner la science que d'in-
diquer la marche que doit suivre l'esprit dans l'étude qu'il en veut
faire ». Ainsi le seul programme de Sicard annonçait l'instituteur
demandé parla Convention. Il annonçait du même coup une philo-
sophie conforme à celle dont Garat donnait lui-même le pro-
gramme » 1.
Le principe dont s'inspirait Sicard était, comme le lui fit judi-
cieusement remarquer un élève nommé Latapie, des plus contes-
tables. Ce disciple jugeait étrange que le maître présentât comme
« les hommes de la nature » les sourds-muets,
qui sont précisément
victimes d'une « méprise de la nature ». Et Sicard n'eut rien à
répondre de sérieux (Débats, I, 109, dans P. Dupuy, o. c, p. 132).
Il amenait ses sourds-muets, en particulier Massieu, et produisait
avec eux des effets de sensiblerie. Son cours semblait moins fait
pour éclairer que pour attendrir. On a cité son explication de l'ori-
gine du verbe être : « Nous apprendrons à notre élève que ce mot
fut peut-être un des premiers que dut prononcer la tendresse de la
première mère, qui voulut rassurer son mari sur l'apparence de

1. P. Dupuy, o. c, p. 110.
308 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

premier enfant, endormi sur ses genoux. Il vit, dit-


mort de son «
elle, il respire; j'entends le souffle de sa bouche (et une mère ne
saurait s'y tromper), ce souffle est celui de la vie ; il existe, il est ».
Sicard ajoutait ensuite que l'explication, empruntée à Court de
«
Gébelin, était peut-être plus ingénieuse que vraie, mais l'effet
cherché était produit, et tous les pères de famille redevenus élèves
pleuraient en pensant à leurs femmes et à leurs enfants »'.

DISCUSSIONS. Outre les séances ordinaires, le règlement de



l'École Normale prescrivait tous les quintidis une séance consacrée
à l'étude et à la discussion des livres élémentaires, dont les profes-
seurs avaient été chargés par le décret du 1er brumaire. « Autant
que j'en puis juger, dit M. P. Dupuy, il y a eu en pluviôse et en
ventôse 5 séances de quintidi, consacrées à l'examen des éléments
de lecture et d'écriture préparés par Sicard. Celles du 15 et du
25 pluviôse ont été rapportées par la Feuille de la République du
18 pluviôse et celle du 1er ventôse ». Pour le 15, « Sicard, dit le
journal, avait été chargé de lire le premier livre élémentaire. C'est
une grammaire de sa composition. Elle n'a pas été à l'abri des obser-
vations critiques. Volney et Garat, en soumettant à leur collègue
les objections qu'ils avaient à faire contre son ouvrage, ont donné
aux élèves un modèle de conférence dont quelques-uns ont fort peu
profité ». Pour le 25 : « Dans la séance de quintidi, un des profes-
seurs, Sicard, soumettait à l'examen et à une discussion critique le
premier livre élémentaire. La conférence a eu lieu entre lui et ses
collègues, et quelques hommes de lettres invités à cette séance. La
discussion a été vive et lumineuse, et elle a tourné tout entière au
profit de l'instruction, puisque le professeur a renoncé à ses idées
particulières pour adopter celles qu'on lui proposait avec avantage » 2.
« Sur la séance du 5 ventôse, on trouve une allusion d'un élève dans
le compte-rendu sténographique de celle du 9. On sait, par la
Décade du 30, qu'à la séance du 15, Delille, étant entré dans la salle,
1. P. Dupuy, o. c. p. 145.
2. Un rapport de police est plus brutal. On le trouvera aux Archives Nationales
:
« Esprit public. Instruction publique (Deuxième Decade Ventose An III). Il est un
de ces professeurs dont la vue seule excitait l'enthousiasme pendant le premier mois
de leçons; c'est le cit11 Sicard, il n'obtient plus de succès que quand il amene sourd et
un
muet, le jeune Massieu vrayement étonnant, les leçons de grammaire générale que
donne le cit. Sicard sont mal digerées, sans methode, plutot étranges qu'extraordi-
naires, son système grammatical dont les préliminaires ont été victorieusement attaqués
et renversés ne tiendra pas contre l'examen des hommes instruits. Le cit. Sicard avait
d'abord apporté dans ses leçons beaucoup de jactance. Sa suffisance avait séduit la
masse des éleves : mais pendant ce dernier mois, il a été beaucoup plus modeste, son ton
est devenu moins tranchant et tous les jours il a rapporté quelques articles du décrèt
de proscription que sa haute et profonde science avait prononcé contre tous les
mairiens » (F 17 6891, doss. 8). gram-
L'ÉCOLE NORMALE 309

fut salué par des applaudissements répétés. Enfin, il est probable


qu'une dernière séance eut lieu le 25 ventôse, car, le 26, un membre
du comité d'instruction publique, Lakanal ou Deleyre sans doute,
demanda que l'ouvrage sur les éléments de lecture et d'écriture du
citoyen Sicard fût imprimé en nombre suffisant pour être distribué
aux membres de la Convention, que les planches en fussent conser-
vées jusqu'après le rapport qui en serait fait à la Convention pour en
demander l'impression définitive. Daunou et Grégoire furent au
préalable chargés d'examiner le manuscrit et d'en faire un premier
rapport au comité »1.
Il faudrait, pour juger en toute sûreté, avoir d'autres documents
que le Manuel de l'enfance2, qui parut plus tard, et n'est qu'un traité
de lecture, suivi de dialogues, où Sicard converse avec Massieu de
divers sujets. Cette partie devait être suivie d'une autre qui renfer-
merait la grammaire.
Les Elémens de Grammaire générale appliqués à la langue fran-
çaise (Paris, Bourlotton, an VII) nous apportent quelques indica-
tions. Il semble bien que ce soit là un résumé du cours de l'auteur 3.
Chaque chapitre comprend un développement, puis une leçon
abrégée, où Sicard s'adresse à la fois aux instituteurs et aux
« tendres mères ». Cette leçon est
rédigée comme un catéchisme,
par demandes et par réponses'*.

L'ÉCHEC.
— En vérité, il ne sortit des leçons et des conférences

1. P. Dupuy, o. c, p. 164-165.
2. Le Manuel de l'Enfance contenant des élémens de lecture et des dialogues instructifs
et moraux, dédié aux mères et à toutes les personnes chargées de l'Education de la
première Enfance, par Roch-Ambroise Sicard, Instituteur des Sourds-Muets, et
Membre de l'Institut national. Paris, Le Clerc, 1797, an V (Mus. péd., n° 33168).
Il est vraisemblable que ce livre a été composé bien avant l'an V, car le treizième
dialogue roule sur les Écoles Normales. Il y est dit : « ils (les élèves) reviendront
ensuite dans leurs départemens instruire à leur tour les maîtres des Ecoles Primaires,
et surveiller les maîtres des Ecoles Centrales. De là naîtra l'uniformité d'enseigne-
ment » (p. 108). Le quatorzième roule sur le même sujet. Il explique comment à
l'école primaire les enfants prendront une idée de ce que c'est que les sciences. Cette
mentalité est celle de l'époque où la Convention créait son système.
3. 2 vol. in-8°. D'après l'éditeur, l'ouvrage était déjà commencé en l'an V, mais
l'auteur fut « enveloppé dans le décret du 19 fructidor ».
4. L'auteur croit toujours qu'on ne peut fonder un livre pour l'enfance que sur les
« vrais principes » : « Les principes généraux et
éternels de cette grammaire logique
sont ceux de toutes les langues. C'est d'après ses principes et ses règles que les gram-
maires de tous les idiomes ont dû être faites ; aussi avons-nous eu soin d'en rappeler
les principes toutes les fois que l'occasion s'en est présentée. Et qu'on n'imagine pas
que ces principes sont au dessus de l'intelligence de la tendre enfance. Il est bien
plus difficile de mettre à sa portée ce qui n'est justifié que par les caprices de l'usage »
(t. I, p. 306).
« Rendre moins difficile la pénible tâche des
mères ; l'étude des enfants moins
désagréable, et leurs succès plus prompts, j'ai tout sacrifié à ce but-là » (t. II,
Introd.,p. VII).
310 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

de l'École Normale ni un instituteur préparé, ni un livre adapté. Le


seul vrai débat roula sur la réforme de l'orthographe. Nous le racon-
terons ailleurs.
L'école ferma. On trouvera dans l'étude de P. Dupuy et les Procès-
verbaux de Guillaume les condamnations sévères dont elle fut l'ob-
jet à la Convention (27 germinal an III — 16 avril 1795). Seul Four-
croy en défendit le principe. La suite prouva combien il était dans le
vrai. Le rapport de Daunou concluait à la suppression. Il fut adopté
(7 floréal — 26 avril); on refusa même de prolonger l'essai jusqu'au
30 prairial (18 juin).
En vain une pétition signée d'une vingtaine d'élèves demandant
la continuation des cours au moins jusqu'à ce que fussent rédigés
les livres élémentaires, fut remise à la Convention 1. On passa outre.
Seuls quelques jeunes gens furent autorisés à demeurer à Paris.
Quant aux Écoles Normales qui devaient être créées dans les
départements, on y renonça. Le Comité n'apercevait plus « aucun
moyen d'effectuer avec quelque utilité ce difficile et dispendieux
projet » (Rapp. de Daunou) 2.

1. Arch. N., F17 1144 et 6891. Cf. Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 133, 141.
2. Guill., ib., Conv., t. VI, p. 137.
CHAPITRE III

INFIDÉLITÉS A LA POLITIQUE SCOLAIRE

LA PORTE ENTREBAILLÉE AUX PATOIS.


— Malgré cette déconvenue, la
Convention ne renonça pas à organiser l'instruction publique. Le
Comité adopta, les 28 et 29 vendémiaire an III (19 et 20 octobre 1794),
un nouveau projet. Nous n'en retiendrons que deux articles. L'ar-
ticle 2 du chapitre IV disait :
« On enseignera... 4° les éléments de la langue française, soit
parlée, soit écrite ».
L'art. 3 était ainsi conçu :
« Dans les contrées où l'on parle un idiome particulier, l'enseigne-
ment se fera en même temps dans l'idiome du pays et en langue
française, de manière qu'elle devienne dans peu de temps d'un
usage familier à tous les citoyens de la République ».
C'est le 27 brumaire que la Convention aborda les programmes.
Barailon rejetait l'enseignement de la grammaire française dans
les écoles de canton 1. Au cours de la discussion, il soutint opiniâ-
trément qu'on surchargeait le premier enseignement. L'article 2 fut
néanmoins adopté. L'étude de la langue était maintenue2.
Mais l'article 3 fit l'objet d'un vif débat, que nous croyons devoir
reproduire intégralement, d'après le Moniteur : DUHEM. — Je vais
proposer, comme doutes, quelques observations sur cet article. Je
voudrais qu'au lieu de donner la faculté d'enseigner dans l'idiome,
on se bornât à l'enseignement en langue française. Par là, vous for-
ceriez bientôt tous les habitants des départements qui conservent
des idiomes à ne parler que la langue mère. Si au contraire
vous donnez vos leçons dans les deux langues, vous consacrez natu-
rellement l'idiome, le patois barbare; vous accoutumez les citoyens
à regarder le français comme une langue savante, à se faire une
espèce de gloire de conserver celle que parlent leurs parents. Au

1. Guill., o. c, Conv., t. V, p. 214, 217.


2. Id., ib., Conv., t. V, p. 232.
312 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

lieu que si les enfants étaient instruits forcément dans la langue


française, ils finiraient par y habituer peu à peu même leurs parents.
Je désirerais donc que la langue française fût la langue dominante
dans les écoles, sauf à faire usage de l'idiome comme d'un moyen
accessoire. Je prie le rapporteur de donner son opinion à cet égard.
LE RAPPORTEUR. — Il est impossible dans l'ordre actuel des choses
d'enseigner exclusivement dans la langue française. Il faut d'abord
se faire entendre des élèves, qui, dans les pays d'idiome, arriveront
aux écoles à six ou sept ans n'entendant, n'ayant parlé que cet
idiome. Il faut encore qu'ils puissent eux-mêmes être entendus des
autres citoyens ; autrement vous en feriez des petits êtres isolés,
très malheureux. Au surplus le Comité d'instruction publique n'a
point perdu de vue la nécessité de rendre la langue française domi-
nante, et la rédaction de l'article le prouve, puisqu'il y a mis ces
mots : « de manière qu'elle devienne, dans peu de temps, d'un
usage familier à tous les citoyens de la République ». Il n'a voulu
en laissant subsister les idiomes dans l'enseignement, s'en servir
que comme d'un véhicule qui fit mieux comprendre la langue fran-
çaise.
ROMME.
— Il est facile, je crois, de concilier toutes les opinions ;
c'est d'adopter cette rédaction : « L'enseignement sera fait en
langue française ; les idiomes ne seront employés que comme moyen
auxiliaire ».
MASSIEU.— J'appuie cette rédaction ; la langue française est déjà
devenue, je ne sais par quel empire, c'est sans doute par celui de
sa beauté, de sa clarté, par celui des ouvrages sublimes qu'elle a
produits dans tous les genres, la langue française, dis-je, est déjà
devenue la langue universelle de l'Europe. C'est donc une raison
pour que, dans les écoles de la République, cette langue soit pré-
férée exclusivement autant que possible, et que, si les idiomes sont
nécessaires, ils ne soient employés que comme des langages
subsidiaires ; mais avant tout, parlons aux enfants la langue de leur
pays, la langue française.
LE RAPPORTEUR.
— Il n'y a qu'à ôter de l'article l'alternative de
l'idiome, et alors l'article satisfera tous les esprits.
— Je demande que nous nous en tenions au principe, et
AUDREIN.
que nous décrétions simplement que l'enseignement sera fait en
langue française.
— Si vous adoptez cette rédaction, vous allez jeter la
EHRMANN.
consternation dans tous les départements frontières, où, dans
ceux
du Rhin, par exemple, on ne parle et
on n'entend que l'allemand.
Décréter que l'enseignement se fera exclusivement
en langue fran-
INFIDÉLITÉS A LA POLITIQUE SCOLAIRE 313

çaise, c'est comme si vous décrétiez qu'à Paris on apprendra en


grec les arts et les métiers.
Je demande la priorité pour la rédaction de Romme.
BOISSY. — Elle n'est pas française 1.
D'autres la demandent pour celle du rapporteur. La priorité est
accordée à la rédaction de Romme. L'article 3 est adopté avec cet
amendement 2.

L'EFFET DANS LE PAYS.


— Il est bien certain que l'intention du
législateur n'était que d'accorder des facilités passagères. On
réservait les droits du français, on désirait même qu'il éliminât ses
rivaux. Il n'en est pas moins vrai qu'on rompait avec les principes
votés le 8 pluviôse, et qu'on créait un danger. Des tolérances jus-
tifiées ne pouvaient manquer d'être interprétées dans bien des
endroits comme des autorisations. De toutes façons, c'était une
fâcheuse rédaction que celle qui omettait de marquer le but néces-
saire.
Les municipalités bien intentionnées ne se trompèrent pas sur les
idées du législateur. Ainsi, à Douarnenez, on admit des maîtres
ne sachant pas le breton, vu surtout que « l'intention du législateur
était moins d'enseigner le breton que de le faire oublier » 3. Néan-
moins il s'en fallut bien qu'il en fût ainsi partout et les idiomes
rentrèrent, avec autorisation, dans l'école.
On voit même des jurys d'instruction se plaindre que la loi, en
laissant au français la place à laquelle il avait droit, gênât le recru-
tement des maîtres. Voici ce qu'on écrit de Schlestatt, le 21 plu-
viôse an III (9 février 1793), un an après le décret Barère : « Au
Représentant du Peuple, Bailly, en mission dans les Départemens
du Rhin, etc. (Lettre adressée au Comité d'Instruction publique
20 frimaire an III, sur certaines dispositions de la loi du 27 bru-
maire) :
« ... Vous y verrez ce qui
avait été fait avant la loi du 27 bru
maire, ce qui reste à faire, et les difficultés presqu'insurmontables
et de plus d'un genre, que l'instruction publique éprouvera encore
longtemps dans les Départemens du Rhin. Les principales sont
la pénurie des bons instituteurs et des institutrices, même des
1. Boissy a voulu dire, sans doute, qu'il n'était pas français de laisser aux idiomes
locaux une place dans l'école publique. La nouvelle rédaction présentée par Lakanal,
au contraire, « ôtait de l'article l'alternative de l'idiome », et rédigeait par conséquent
cet article ainsi : « Dans les contrées où l'on parle un idiome particulier, l'enseignement
se fera en langue française de manière, etc. ».
2. Guill., o. c, Conv., t. V, p. 232-233, 26 brum. an III. Cf. Moniteur, réimp.,
t. XXII, p. 527.
3. Dan. Bernard, art. c, dans Ann. de Bret., t. XXVIII, p. 293.
314 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

médiocres, laquelle provient de la nécessité de savoir le français et


l'allemand, et le fanatisme d'un grand nombre de communes qui
veulent assujettir les instituteurs à enseigner comme auparavant
des doctrines et pratiques religieuses. Cette seconde difficulté est
encore la plus invincible, et s'est beaucoup renforcée depuis l'époque
de la lettre des citoyens Massenet et Kuhn... comme si le libre
exercice des cultes... pouvoit jamais concerner les écoles primaires.
Les Membres composant le jury d'instruction publique du District
de Schlestatt. Signé, Massenet, Kuhn et Bavelaer »1.
Ce qui pressait le plus assurément c'était de ne pas laisser les
enfants dans une ignorance complète, et de les mettre au moins
en possession des éléments essentiels des connaissances, ensuite de
répandre les idées de morale républicaine. La connaissance de la
langue française ne venait qu'après. Il n'en est pas moins vrai
que
l'État commettait la faute, reprochée à l'Église, de sacrifier l'idiome
aux intérêts de sa propagande. Et l'État n'avait pas sur ce point les
mêmes droits qu'elle.

1. Imprimé, avec traduction en allemand, Kuhn, de St-Nabor (Bibl. de l'Univ


de Strasb., M. 122.761). par
CHAPITRE IV
LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES

AJOURNEMENTS.
— Huit mois après l'ouverture du concours, deux
mois après la nomination du jury, le 26 fructidor an II (12 septembre
1794), Lakanal affirmait à la Convention que les livres qui devaient
servir aux écoles primaires allaient être publiés. C'était faux. Le jury
ne semble pas avoir travaillé avant cette date, et lorsqu'il se livra à
un premier examen, il constata que les livres ne correspondaient pas
aux vues de la Convention. Lakanal, revenant sur sa déclaration,
en convint le 7 brumaire an III (28 octobre 1794) 1. On avait confondu
« résumer » et « élémenter » 2. Il fut décidé qu'on s'adresserait à
des hommes choisis : pour la grammaire, on demanderait à Pou-
gens 3. Se mit-il jamais à la besogne ? Le 7 ventôse an III (25 février
1795), Lakanal prononçait encore une fois des paroles optimistes :
« Les écoles primaires s'organisent de toutes parts, les livres élé-
mentaires sont composés » 4. Il fallut en réalité les attendre encore
longtemps.

— Assurément on avait eu
LES CHEFS-D'OEUVRE TARDENT A VENIR.
des propositions. Alphabets, grammaires, manuels d'orthographe
étaient arrivés en nombre 5.
Aucun des « hommes de génie » sur lesquels on comptait ne se
1. Guill., o. c, Conv., t. V, p. 183.
2. Sous le titre de livres élémentaires on vit paraître des manuels techniques de toute
sorte.
Topsent annonce au Comité qu'après son arrêté du 27 floréal, qui invite les citoyens
à composer des livres classiques (Aul., Act.

du Com. S. P., t. XIII, p. 543-546), le citoyen


Romme a composé la Science de l'homme de mer. Rochef. 3 mess, an II (Id., Ib.,
t. XIV, p. 441).
3. Il fut nommé par arrêté du 1er brumaire an III, puis du 28 germinal, membre
du jury.
4. Guill., o. c, Conv., t. V, p. 341.
5. Je citerai d'abord une Grammaire offerte à Grégoire par Borrelly, le 13 prairial
an II (Lett. à Grég., ms., p. 503).
Panckoucke fait hommage au Comité d'une Nouvelle Grammaire raisonnée à l'usage
d'une jeune personne (6 vent, an III). Cf. sa Grammaire élémentaire et mécanique. 1795.
On trouve aux Archives Nationales différents livrets : Aust. Morin, Alphabet conciliant
l'orthographe et la prononciation (F 17 1008a, etc. Cf. 1008d, 1009A, 1506,1647, 1, 1771,
1, 1932, 4.), etc.
316 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

pressait de se mettre à l'oeuvre. Ces retards étaient peut-être plus


graves encore que l'échec des Écoles Normales. A la rigueur de
mauvais maîtres eussent pu suffire avec de bons livres. Sans ces
instruments, rien n'était à espérer.
Le 7 fructidor an III (24 août 1795), il avait été décidé que le
concours des livres élémentaires serait fermé; le 28 (14 septembre),
le jury annonçait qu'il espérait avoir fini son examen dans la 2e décade
de vendémiaire an IV. Ce n'est que le Ier brumaire qu'il présenta
son rapport général. Le 2, fut remis le tableau de classement; le 3, le
rapport sur les indemnités. La Convention se sépara le 4.
CHAPITRE V
DERNIER RECUL. ABANDON DE LA POLITIQUE SCOLAIRE

TOUJOURS PEU D'ÉCOLES.


— On trouvera dans les réponses reçues
par Lakanal, au cours de sa mission de prairial an III, des rensei-
gnements officiels sur l'état, non des écoles de français, qui n'avaient
jamais eu qu'une existence précaire, mais des écoles primaires en
général. Ces renseignements complètent ceux que j'ai donnés dans
un précédent chapitre.
En voici quelques extraits, au hasard : Dans l'Allier, district de
Cerilly, 32000 habitants, 18 écoles, 13 instituteurs, 9 institutrices;
district de Monmarault, point d'institutrices, malgré les demandes
des communes. Dans l'Aude, district de Lagrave, la majorité des
arrondissements est privée d'instituteurs et d'institutrices. Dans la
Charente, district d'Angoulême, sur 65 écoles, 22 instituteurs. Dans
le Cher, si à Bourges tout va bien, dans la campagne sur 37 écoles,
9 ont un instituteur et une institutrice, 9 n'ont qu'un instituteur.
Dans le district de Sancerre, 7 communes seulement sont pourvues.
Dans le Tarn, 44 écoles, manquent 15 instituteurs et 36 insti-
tutrices; dans le district de Cadillac, 40 écoles, 24 instituteurs,
3 institutrices, etc., etc. On se plaint souvent de la qualité des
maîtres aussi bien que de la quantité. Ainsi on mande de Monflan-
quin : « Sur 30 à 40 instituteurs qui se sont présentés et dont
quelques-uns ont été nommés, à peine en comptons-nous deux qui
sachent lire et écrire » 1.
On connaît par ailleurs des départements privilégiés comme la
Meurthe. Dans le district de Lunéville, toutes les communes, sauf six,
sont pourvues. Dans le district de Chateau-Salins, on se plaint que les
chefs-lieux d'établissement d'écoles sont trop espacés. II y a néan-
moins 6144 élèves, l'hiver bien entendu. Encore les instituteurs
sont-ils d'anciens maîtres fort médiocres. A Vézelise, 2 052 élèves.
Mais « les préjugés des parens les retiennent d'envoyer leurs enfants
là où ils n'apprendront aucune religion ». A Blamont le nombre des
élèves est assez élevé. Toutefois les maîtres sont peu capables, ils
1. Arch. N., F17 134435.
318 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

n'ont « en général point d'idée de la grammaire française » ; le jury


n'a pas eu à choisir. Les écoles de Toul comptent 2 073 garçons,
1 897 filles, l'hiver. Aucun renseignement sur Dieuze.
Si insuffisants
soient de pareils résultats, ils dépassent singulièrement ceux
que
qu'on avait obtenus ailleurs.
Pour le Midi, voici quelques résultats concernant divers districts : 1

Digne, 4 écoles sur 88 communes ; Barcelonnette, pas d'insti-


tuteur ; Castellane et Forcalquier, quelques instituteurs ; Mar-
seille, 33 écoles ; Arles, écoles organisées; Tarascon, pas de ren-
seignement; Grasse, pas d'école; Fréjus, 14 écoles; Saint-Maximin,
11 ; Barjols et Brignoles, quelques écoles; Apt, 34 écoles sur 49
communes ; Carpentras, 17 sur 52 2. D'après une liasse de corres-
pondances émanant des Municipalités 3, dans le district d'Aix, en
l'an III, 25 communes sur 58 étaient pourvues d'écoles. Inutile de
poursuivre. L'insuccès des écoles publiques demeurait complet.
Il en était de même jusqu'à Paris 4.
On se l'explique sans peine. La répartition prévue des écoles entre
les communes était mal établie, les traitements promis étaient trop
faibles, et ils furent irrégulièrement versés ; ce n'était pas une com-
pensation suffisante que le titre, si prestigieux qu'on le crût alors,
d' « instituteur ». Le recrutement fut déplorable; il fallut se con-
tenter de maîtres sans préparation éprouvée, munis d'un brevet de
civisme, qui prouvait juste autant qu'un certificat de catholicisme en
ce qui concernait l'instruction et les capacités. Quelques maîtres
manquaient de valeur morale ; ceux qui en avaient inspiraient
eux-mêmes aux familles restées foncièrement chrétiennes une
défiance invincible, que l'Église attisait, étant résolue à empêcher
à tout prix l'expérience d'une école affranchie d'elle.

LA LOI DE BRUMAIRE IV. — On comprend que la Convention ne


AN
pouvait pas se séparer sans discuter encore une fois de l'Instruc-

1. D'après Bourilly, o. c, à Toulon, 12 instituteurs, 13 institutrices s'offrent, la


plupart insuffisants ; à Aix, à Marignan, Charleval, Gardanne, il
(Arch. B.-du-Rhône, L. 799, dans Brun, Mém. ms.). y a des écoles.
2. Brun, Mém. ms.
3. Arch. des B.-du-Rh. L. 800 (dans Brun, Mém. ms.).
4. Voir Aulard, Paris pendant la réaction thermidorienne et le Consulat, t. III.
sous
P 79, 779 ; t. IV, p. 278, 279, 348, 571, 734; t. V, p. 97, 168, 274, 389, 424,
523. Consulter aux Arch. Nat. le carton F17 A 1320, et surtout 1344.
On a cité
— avec quellejoie — cent preuves de la médiocrité des résultats obtenus.
Je ne voudrais plus en donner qu'une. A Péronnas, distante de Bourg d'un
kilomètre (304 habitants), on ne compte en 1808 commune deux individus sachant lire et
que
écrire, d'après un rapport du préfet Bossi (Aulard, Nap. et le mon., p. 54). La nouvelle
génération, qui avait grandi sous la Révolution, était moins avancée
précédente. encore que la
DERNIER RECUL. ABANDON DE LA POLITIQUE SCOLAIRE 319
tion publique. Les plus modérés sentaient le besoin de l'assurer 1.
Hélas! la loi qui fut votée était une vraie loi de renonciation,
au moins en ce qui concerne l'instruction primaire. Le 6 mes-
sidor an III (24 juin 1795), Boissy d'Anglas lut un Rapport, au
nom de la Commission des Onze. Suivant les dispositions nouvelles,
l'instituteur n'était plus salarié, mais seulement logé par la
nation (p. 94). L'éducation des filles était remise aux soins éclairés
de parents ignorants, et aux établissements libres et particuliers
d'instruction (p. 99). Il n'y était question ni de l'enseignement
du français ni même de l'enseignement en français.
Le 7 fructidor (24 août), le projet revenu au Comité d'Instruction
publique fit l'objet d'un rapport de Lakanal. Il rétablissait des
principes méconnus. L'art. 4 disait simplement : « Dans chaque
école primaire, on enseignera à lire, écrire, compter, et les élé-
ments de la morale ». L'art. 5 stipulait du moins : « L'enseignement
sera fait en langue française » 2. Il ne devait pas subsister.
Une conférence eut lieu entre Lakanal et Fourcroy d'une part,
représentant le Comité, Daunou de l'autre, représentant la Commis-
sion des Onze 3. Le projet du Comité fut adopté, mais avec suppres-
sion de l'art. 5, dont il ne resta rien dans la loi 4. Daunou, si
longtemps en état d'arrestation, n'avait pas suivi le mouvement.
Les autres membres de la conférence n'avaient plus, en présence des
échecs, la conviction nécessaire pour défendre les principes de
l'an II. Quoi qu'il en soit, on ne reculait plus, on abdiquait. La
politique de la langue était abandonnée 5.

1. Panckoucke, qui n'était certes pas un Jacobin, écrivait encore avec la belle foi de
jadis : « Cet objet (les progrès de l'instruction dans les campagnes, les petites villes) est
d'une si grande importance, qu'il me seroit facile de démontrer que le salut de la
République y est attaché » (Gram. étre et mécan., p. 62).
2. Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 580. Ginguené, dans son rapport du 4 vendé-
miaire, était d'avis qu'il ne s'agissait que de multiplier le nombre des individus sachant
lire et en état d'écrire, quoique mal et sans orthographe (Arch. Nat., F17 1697).
3. Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 643.
4. Id., ib.,p. 793-794.
5. On insérait bien dans la loi que, pour être inscrit sur le registre civique, il faudrait
qu'on sût lire et écrire, mais rien ne spécifiait en quelle langue (Id., ib., Conv., t. VI,
p. 415).
CHAPITRE VI
COMPENSATIONS.
LE FRANÇAIS PREND POSSESSION DU HAUT ET DU MOYEN
ENSEIGNEMENT

MAGNIFIQUES CRÉATIONS. Si la Convention avait échoué dans sa



lutte contre les langues vivantes, elle avait du moins triomphé des
langues mortes, plus faciles à vaincre à coups de décrets. Le latin
cessait partout d'être la langue de l'enseignement.
On sait quelle série de créations marquèrent cette dernière
période. Or le français fut seul autorisé dans les grandes institu-
tions nouvelles. Au Muséum d'Histoire Naturelle, à l'École des Tra-
vaux Publics, d'où sortit l'École Polytechnique, aux Écoles de Santé
de Paris, de Montpellier et de Strasbourg, à l'École des Langues
Orientales, à l'École Normale, et jusque dans le Cours d'Antiquités
institué à la Bibliothèque par la loi de prairial an III 1, partout, dans
ces établissements appelés pour la plupart à un si magnifique avenir,
qu'on s'y occupât de lettres ou de sciences, qu'ils fussent théo-
riques ou pratiques, c'était une règle générale : on enseignait en
français. Sous ce rapport, toute satisfaction était donnée aux aspi-
rations modernes.

LE FRANÇAIS ET LES ECOLES CENTRALES.


— Il ne pouvait pas en être
autrement dans les Écoles Centrales. Si la politique de la langue
était abandonnée ailleurs, dans des maisons qui devaient remplacer
Universités et Collèges, il ne devait venir à l'esprit de personne
d'introduire des maîtres incapables d'enseigner en français 2. La
connaissance du latin ne pouvait y suppléer, d'abord parce que les

1. On crée l'École des Langues orientales (10 germinal an III-27 mars 1795).
L'art. 4 porte: « Les... professeurs composeront en français la grammaire des langues
qu'ils enseigneront » (Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 21).
2. Une preuve entre plusieurs de la résolution qu'on maintenait de n'admettre
point d'enseignement en latin, c'est le refus que le Comité oppose aux Administrateurs
de Strasbourg qui demandaient d'attacher à l'École de Santé un jeune Danois, nommé
Ahrend. Le Comité passa à l'ordre du jour : « La République ne peut... employer des
individus qui ne parlent pas sa langue, la seule admissible l'enseignement dans les
Ecoles de Santé » (Guill., o. c, Conv., t. V, p. 191).
pour
COMPENSATIONS 321

programmes des Ecoles Centrales étaient essentiellement scienti-


fiques, ensuite parce que les élèves, faute de préparation, eussent
été complètement incapables de suivre des cours en latin. De sorte
que, même si on ne l'eût pas décidée, la substitution du français au
latin était inévitable. Mais on la voulut expressément. L'article III
du chap. I du décret du 7 ventôse an III portait : « Dans toutes les,
Écoles centrales, les professeurs donneront leurs cours en français ».
Toutefois une autre mesure eût été nécessaire. Il eût fallu un en-
seignement suivi et méthodique du français. C'était dans ces écoles
qu'il devait avoir sa place véritable et qu'il devait produire ses
fruits. Comment ne fut-il pas institué ?
Le projet primitif du Comité prévoyait: Un professeur de gram-
maire et art d'écrire 1. Le 7 fructidor, dans son rapport, Lakanal ins-
crit encore : Un professeur de grammaire générale et de l'art
d'écrire 2. Dans le projet commun de la Commission des Onze et du
Comité, il n'est plus fait mention que d'un professeur de grammaire
générale 3. Aucune disposition qui assure un enseignement métho-
dique et pratique de la langue nationale.
Lakanal en est-il responsable ? Dans son rapport du 26 frimaire
an III (16 décembre 1794), défendant les lettres contre les reproches
de J. J. Rousseau, il s'écriait : « Ressuscitez les langues anciennes
pour enrichir la nôtre de leurs trésors ; les auteurs de l'antiquité
respirent l'amour sacré de la patrie, l'enthousiasme de la liberté,
et cette haine vertueuse que l'être sensible doit aux oppresseurs de
l'humanité. Rapprochez de vous les langues principales de l'uni-
vers moderne ; ce n'est que par là que la vôtre peut se perfection-
ner. »4 D'un autre passage on peut inférer qu'il demeurait absolu-
ment opposé à l'enseignement en latin 5. C'est tout. Il faut ajouter
que rien dans les considérants ne fait allusion directement ni à la
valeur de la littérature française comme instrument d'éducation ni
à la nécessité d'enfoncer aussi avant que possible dans l'étude de
la langue par principes. C'est la grammaire générale seule qui rem-
plira tous les rôles.
On ne pouvait commettre une erreur plus fâcheuse. Assuré-
ment les Écoles Centrales faisaient partie d'un ensemble et on avait
1. Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 574.
2. Id., ib., p. 581.
3. Id., ib.. p. 794 et 871.
4. Id., ib., t. V, p. 305.
5. Id. ib,, p. 303. Cf. « Les éléments... seront enseignes dans ces premiers établis-
sements (les écoles de l'enfance) avec plus de choix et de variété, sans y être amal-
gamés avec ceux d'une langue certainement utile, mais qui, devenue l'unique véhicule
de toutes les idées, retardait infiniment la marche de l'esprit humain dans les premières
années de la vie » (Rapp. sur les Ecoles Centrales, 26 frim. an III).
Histoire de la langue française. IX. 21
322 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

compté sans aucun doute sur les écoles primaires pour assurer les
connaissances préalables, en particulier pour familiariser tous les
enfants avec la pratique de la langue.
Il n'en est pas moins vrai qu'on méconnaissait une vérité procla-
mée depuis Rollin, et que les éducateurs des premières assemblées
avaient défendue avec force : la nécessité d'apprendre le français
« par principes ». Et, pour renier cette
doctrine, on choisissait le
temps où on renonçait à l'enseignement obligatoire du français dans
les écoles primaires !
CHAPITRE VII

LE DIRECTOIRE. — INDIFFÉRENCE ET VEULERIE

DES AVERTISSEMENTS CONTINUENT A ARRIVER.


— Divers personnages,
aux prises avec les difficultés quotidiennes, ne cessaient de rappe-
ler l'attention sur les embarras où les mettaient les idiomes, et sur
le fâcheux état d'esprit des populations qui les parlaient.
La Correspondance de Grégoire à elle seule renferme plusieurs
lettres dans lesquelles des curés constitutionnels communiquent
leurs impressions et donnent de sages conseils. Le 3 ventôse de
l'an V (12 février 1797), le curé de Flettrange écrit : « Le malheur
de ce pays (de la Lorraine allemande et de l'Alsace) vient de l'igno-
rance de la langue française. Les malveillans leur ont faussement
expliqué la constitution, les Ioix et les décrets, et ils ne cessent pas
encore leurs horribles machinations, nous marchons ici sur un vol-
can, l'explosion sera terrible, si on ne prend pas les mesures les
plus sévères pour éliminer les prêtres réfractaires dont le pays est
rempli...
« L'an passé au mois de Messidor il ne s'en fallait que peu, et
tous les patriotes étaient massacrés, en un jour sont arrivés proces-
sionnellement douze mille fanatiques à Fauquemont... Les horreurs
de la Vendée se repeteront sous peu dans la Lorraine allemande et
dans l'Alsace ».
Le 20 messidor an V (8 juillet 1797), le même curé mande
encore: « Je remarque que nos confrères de la partie française sont
mille fois plus tranquiles, le peuple y est plus instruit que parmi
nos allemands qui sont superstitieux, ignorans et jurent in verba
magistri »1.
En Alsace même, on entend exprimer des regrets sur la lenteur
des progrès du français. Le 19 prairial an VI (7 juin 1798), l'évêque
de Colmar, Berdolet, écrit à Rebour, Directeur de l'Imprimerie-
librairie chrétienne, que son synode s'est tenu : « Tout a été traité

1. Corr.de Grég., Moselle, Bib. des Amis de P.-R.


324 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

concert édifiant et en langue nationale ; mais pour l'instruc-


avec un
tion des fidèles qui y assistoient, quelquefois en foule, et qui n'ont
l'usage de la Langue françoise, les actes du Synode étoient en
pas
même tems traduits et publiés en langue allemande, ceux du Con-
cile National avoient deja été publiés et imprimés de même en lan-
gue allemande ». Il ajoute: « Il seroit à
souhaiter que dans mon dio-
cèse il n'y eut que l'idiôme français »1.
Toutefois il fallait bien se plier aux nécessités, et faire contre for-
tune bon coeur. A Volgensbourg, canton de Huningue (Ht-Rh.), le
13 vendémiaire an VI (4 octobre 1797), on établit une imprimerie,
pour répandre les traductions. Elle fut placée sous les auspices de
Grégoire.2
Naturellement le Directoire recevait, lui aussi, des informations :
« Le fanatisme exerce encore son
empire, surtout sur quelques
cantons, sur ceux surtout où l'idiome allemand est en usage 3.
Des prêtres déportés et séditieux parcourent... quelques cantons
de ce département, notamment ceux où l'idiome allemand est en
usage » 4.

ACTES ET PAROLES.
— Malgré tout, la période de l'action énergique
était passée. Je ne connais aucune mesure par laquelle le gouver-
nement ait essayé vraiment d'aider à la diffusion de la langue na-
tionale. De temps à autre la doctrine s'affirmait et c'était tout.
Ainsi le collège de l'Égalité, rue Saint-Jacques, avait été baptisé
Prytanée français par le ministre, le 16 thermidor an VI (3 août
1798). Il avait pour directeur Champagne, et calquait en général
son enseignement sur celui des Écoles Centrales 5. Mais des cor-
rections importantes avaient été faites au programme. Lors de la
distribution des prix, le 7 fructidor an VII (24 août 1799), en présence
du nouveau ministre Quinette, Champagne prononça un discours 6 où

1. Corr. de Grég., Ht-Rhin. Bib. des Amis de P.-R.


2. « La traduction allemande de la lettre encyclique, des Annales de la religion, du
Journal du concile national de france et d'autres ouvrages intéressants sont le fruit de
nos veilles de six mois ». L'adresse est l'oeuvre des Frères Hagé, ci-devant vicaires
épiscopaux, et directeurs de l'imprimerie épiscopale du Haut-Rhin (Corr. de Grég.,
Ht-Rhin, Bib. des Amis de P.-R.). Les auteurs espèrent bien être fournis de toutes
les pièces et être considérés comme une succursale de la Librairie Chrétienne. L'évêque de
Metz, Francin, envoie les prospectus des Hagé dans les parties allemandes de diocèse;
beaucoup d'ecclésiastiques s'y abonnent, mais les réfractaires interdisent son publica-
tions « Il est domage, ajoute l'évêque, que le haut-allemand de cet ces
bien pères de famille suscrire (sic) du côté de Thionville ouvrage empechera
des
ày

(Metz, 24 mai 1797, an V. Ib.). Cet évêque sait lui-même fort mal
et Luxembourg »

le français.
3. Etat du 1er fructidor an VI (18 août 1798) dans May o. c. ,
4. Rapport de Saulnier le jeune (frim. an VIII) Id., ib.,p 66. p 66
5. Voir Aulard, Paris... t. V, p. 27 ; cf. p. 405, 435.
6. Paris, Bertr. Quinquet, an VII. Voir p. 16.
LE DIRECTOIRE. — INDIFFÉRENCE ET VEULERIE 325

il disait : « La première et la plus importante (des langues vivantes)...


est la langue française, dont les premiers élémens avoient peut-être
— on remarquera ce peut-être — été trop négligés dans nos anciennes
écoles. Cependant la grammaire est la première métaphysique à la
portée des enfants... Une langue bien connue, et cette langue doit
être la langue maternelle, facilite d'abord par ses analogies l'étude
de toutes les autres ; de plus elle abrège toutes les espèces d'ins-
truction parce qu'elle est un moyen de communiquer et de s'entendre
bien, qu'elle établit entre le maître et l'élève ». L'orateur ajoutait:
« D'après ces principes vrais, nous avons donné cette année, une
attention particulière à la connaissance de la langue française, qui
a été pour la première enfance, la plus importante et presque la
seule étude ». C'était de la pédagogie, et non plus de la politique. Était-
ce même de la pédagogie? Assurément il y a des mots de ministres
qui sont des mots d'ordre ; il y en a bien davantage qui ne sont
que du vent.
François de Neufchâteau, qui était grammairien et qui fut
ministre, s'intéressait réellement à la langue et à la grammaire
françaises 1. Les prescriptions qui concernaient l'enseignement en
français furent renouvelées par lui.

VITESSE ACQUISE.
— Là où les choses allaient, elles allaient de la
vitesse acquise. Dans le Midi, des administrations continuaient à
rechercher des instituteurs ayant une connaissance sérieuse de la
langue nationale. En l'an VI, l'administration centrale du Var estime
que les instituteurs doivent parler correctement la langue française
et être exempts de toutes locutions vicieuses (22 pluviôse—8 février) 2.
A Bayonne, le Commissaire du pouvoir exécutif fait des recomman-
dations à ce sujet (avril 1796) 3.
Quand il y eut des préfets, ils n'eurent pas tous besoin d'être
stylés. Certains gardaient la tradition, ainsi Laumond, du Bas-Rhin.
En réorganisant ses écoles, il n'avait garde d'oublier la chose prin-
cipale, à savoir la diffusion du français. Il tenait à ce que ses
maîtres l'enseignassent « autant que les localités le permettraient ».
Il avait seulement tiré une leçon de sagesse des années où l'on

1. Il était même puriste à ses heures. On trouvera aux Archives Nationales A. B.


XIX, 84, une collection de notes et d'extraits sur diverses questions : fureter, l'accord
des participes, la nécessité d'avoir une grammaire de l'Académie, les composés, les
suffixes de dérivation, l'orthographe de guère, commencer à et commencer de, plus
d'un, etc.
2. Bulletin Acad. du Var (1894, t. XVII).
3. Soulice, Notes pour servir à l'histoire de l'I. P. dans les Basses-Pyrénées, dans
Brun, Rech. hist.. p. 193.
326 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

croyait pouvoir tout improviser, et modérait son impatience: « Bor-


nons-nous, disait-il, à propager le plus vite possible la langue fran-
çaise, et faisons-la de cette manière aller de pair avec la langue
maternelle du département. C'est tout ce qu'on peut espérer. Sem-
per cogitamus idiomate materno. S'il y a plus à désirer, ce ne
peut être que l'ouvrage des siècles ».
CHAPITRE VIII

GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET GRAMMAIRE FRANÇAISE

— Trois sections,
FAVEUR DONT JOUIT LA GRAMMAIRE GÉNÉRALE.

comme on sait, se superposaient dans les Écoles Centrales. Le pro-


gramme comportait 1° De douze à quatorze ans : dessin, histoire
naturelle, langues anciennes, et aussi, selon la « localité », langues
vivantes.
2° De quatorze à seize ans: mathématiques, physique, chimie.
3° De seize à dix-huit ans : grammaire générale, belles-lettres,
histoire, législation.
Nous avons assez marqué l'engouement qu'a suscité au XVIIIe
siècle la Grammaire générale pour n'être pas obligé d'expliquer ici
1

les raisons qui pouvaient la faire introduire dans le plan d'études


de la Convention. Les grands réformateurs avaient demandé cette
innovation2.
Beaucoup de révolutionnaires en étaient férus, Talleyrand, Bris-
sot, Daunou 3, Deleyre 4, Masuyer 6, etc. Mais c'est peut-être Lan-

1. Un de mes anciens élèves, M. Fouquet, préparait depuis de longues années, une


thèse sur la Grammaire générale, quand un déplorable accident l'a enlevé à la science.
2. Je rappellerai seulement l'opinion de La Chalotais : « Il faut commencer par une
Grammaire Générale et raisonnée, qui contienne les fondements de l'art de parler, qui
donne une idée nette de toutes les parties du Discours, où l'on voie ce qui est commun
à toutes les Langues, et les principales différences qui s'y rencontrent » (Essai,
p. 73)
3. « J'ignore si, au milieu des sciences humaines, il en est une seule qui l'emporte
en utilité et en intérêt sur l'analyse des sensations, des idées et des signes, et si parmi
toutes les méthodes de penser, il en est de plus salutaires que celle qui consiste à
reporter chaque conception à son origine, et à combler l'intervalle entre les systèmes
et les sensations. Or tels seraient les infaillibles fruits d'un bon enseignement gram-
matical, et c'est ainsi qu'en apprenant à parler et à lire, vos élèves s'élèveraient sans
difficultés, et presque d'eux-mêmes, à la théorie la plus claire et à la pratique la plus
sûre de la pensée » (O. c, p. 27).
4. « Il y a des choses que tous doivent savoir, ou faire : tels sont les fondemens de
la Constitution française ; les élémens de la grammaire générale raisonnée » (O. c.,
p. 19; cf. p. 23).
5. « Dans les gymnases ou Lycées on enseignera : la métaphysique des grammaires,
la grammaire générale et particulière » (Projet d'I. P. Cf. titre IV, art. Il, 8°). Cet
enseignement sera donné par un professeur de métaphysique des langues, grammaire
générale et grammaire française.
328 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

juinais qui fournit le plus bel exemple du croyant pour qui cette
étude était le mode essentiel de formation de l'esprit à la pensée et
au raisonnement 1.

LA GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET LES PLANS D'ÉTUDES. — Cette


faveur dont
jouissait la Grammaire générale lui avait valu de trouver place dans
de nombreux plans d'instruction, parus un peu partout. On a con-
servé un Plan d'Instruction publique... comprenant les écoles pri-
maires, secondaires et instituts, à établir dans la ville de Vienne
ensuite du voeu manifesté par l'Assemblée électorale de District,
...
dans sa session de novembre et décembre 1792... (Vienne, Jos.
Labbé, 1793, in-12°). On y lit : « La troisième école est destinée aux
élémens de la langue française ». Voici la première des leçons consi-
dérées comme nécessaires : « Grammaire générale rapprochée de
l'intelligence des élèves, expliquée par les idées les plus simples,
les termes les plus familiers, les exemples les plus sensibles, et
appliquée à la langue maternelle » 2.
Le 1er brumaire an VI (22 octobre 1797), le Citoyen Joubert, prési-
dent de l'Administration Centrale du Département de la Seine tiendra
des propos analogues : « Est-ce que la grammaire générale n'est pas
le premier degré de toute doctrine, l'instrument principal et des insti-
tuteurs et des écoliers ? Est-ce que les règles pour connoître la vraie
1. Il avait été professeur de droit à Rennes, en 1775 (à vingt et un ans). « Elu
quatre ans après l'un des conseils des Etats de la province de Bretagne, dit-il, devenu
ensuite membre de la Constituante et d'autres assemblées législatives, retourné en
1796, comme en 1791 professeur de législation », j'y trouvai « des élèves avancés en
âge, pleins d'esprit el d'ardeur », mais qui «au milieu des troubles n'avaient pu suivre
que très faiblement les premières études » et qui « étaient peu en état de comprendre mes
leçons, quoique je les donnasse en français. Ils n'avaient pas acquis les notions méta-
physiques les plus essentielles, bien loin d'avoir contracté l'habitude d'en faire usage,
habitude si nécessaire, particulièrement aux jurisconsultes ». Lanjuinais ajoute : « J'étais
convaincu dès longtemps que la science de la grammaire générale, qui bien entendue,
peut se confondre avec la bonne métaphysique et la bonne logique, et pose même les
londements de la morale naturelle, pouvait le plus efficacement suppléer à ce qui leur
manquait, hâter et assurer leurs progrès dans l'étude à laquelle je devais les introduire,
celle des lois positives, celle qui apprend à les interpréter, à les juger
au besoin, à les
corriger, et même à les projeter et à les rédiger ».
« La chaire de grammaire générale à Rennes avait un titulaire absent et non repré-
senté. Je m'offris par zèle, et je fus agréé pour le remplacer provisoirement. Le premier
donc en cette ville, j'enseignai la grammaire générale, non seulement étudiants en
aux
Droit public et privé, mais à d'autres élèves qui se présentèrent et qui furent assidus
»
(Disc, prélimin. en tête de l'Hist. nat. de la Parole, de Court de Gébelin).
Lanjuinais n'était pas seul à considérer la Grammaire générale comme capable de
former l'esprit juridique. On trouve à la suite d'un rapport de l'an VIII écrit qui
définit la Grammaire générale comme une science importante, qui est leun fonds de la
«
bonne logique ou plutôt l'enseignement de la constitution et de quelques maximes de
droit » (Arch. N., F 17 A. 1314).
D'ailleurs le rapport ci-dessus déclare : « On n'apperçoit l'utilité d'une gram-
pas
maire générale, parce qu'on n'apprend pas à faire des lois ». Lanjuinais, lui, n'apos-
tasia jamais.
2. Arch. N., 17 589, 593.
F
GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET GRAMMAIRE FRANÇAISE 329

propriété des termes, l'accord du signe avec l'idée, la raison de


l'usage, le fondement, j'ai presque dit, l'excuse des exceptions, ne
sont pas d'une' nécessité qui ne souffre point de délai et à quoi il
faut céder d'abord ? Eh bien ! ce cours est celui par où nos jeunes
élèves sont invités à commencer. Au sortir de l'école grammaticale,
où ils ont appliqué les généralités de leur théorie à la langue fran-
çaise, ils arrivent, sans avoir perdu de tems, sans avoir pris de
détours, chez le professeur de langues anciennes »1.
Le point n'est donc pas de savoir pourquoi les spéculations de la
Grammaire générale avaient été introduites dans les programmes,
mais de déterminer quel profit on pensait en tirer pour la connais-
sance des langues. Sur le plan de Talleyrand, on ne peut se mé-
prendre. Il demandait qu'on enseignât la grammaire en général,
la syntaxe des langues anciennes comparée avec celle des langues
modernes, la grammaire française en particulier, la comparaison du
français avec les langues vivantes, les variations du français aux
différentes époques. Tout cela gardait un caractère philologique,
sinon exclusif, du moins prépondérant. C'était de la grammaire
comparée plutôt que de la grammaire philosophique. Entendue
ainsi, elle eût donné à l'étude de la langue un caractère scientifique
qu'elle n'a pas encore.
Les dossiers des Archives Nationales 2 contiennent toutes les pièces
nécessaires pour se faire une idée de l'enseignement qui fut donné.
Ce sont d'abord les réponses collectives des professeurs des Ecoles
Centrales, et un rapport du Conseil d'Instruction publique adressé
au Ministre et divisé par Sections, dont l'une a trait à la Grammaire
générale. Ce sont surtout les réponses fournies aux divers minis-
tres : Fr. de Neuchâteau, Quinette et Lucien Bonaparte, de l'an VI
à l'an VIII, par les professeurs de Grammaire générale, auxquels
avait été adressé un Questionnaire détaillé sur leur nom, leur âge,
leurs publications antérieures, les livres qu'ils avaient composés
pour leur enseignement, surtout sur leurs méthodes et le nombre de
leurs élèves de l'an V à l'an VII. Des lettres accompagnent le plus souvent
les réponses au Questionnaire. Les professeurs ont en général exposé
très exactement ce qu'était leur cours. Plusieurs ont envoyé des
affiches, des brochures, des programmes, des cahiers de notes. J'ai
dépouillé ces cartons avec grand soin. Ce n'est pas le lieu d'en
analyser tout le contenu. Mais j'en tirerai les renseignements utiles
à mon objet.

1. Disc. pron. le 1er brum. an VI à l'ouverture de l'Ec. Cµentr. de la rue Antoine.


2. F17 1344, 1-3.
330 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

LES MAÎTRES. — Dans la séance du Comité d'Instruction publique


du 21 germinal an III (10 avril 1795), les professeurs de l'Ecole Nor-
male avaient exposé « qu'un établissement d'un degré supérieur à
Paris, au milieu des Ecoles Centrales serait utile pour former les pro-
fesseurs des Écoles centrales »1. Le 28, il avait été donné suite à
cette observation. L'article 5 d'un décret du jour stipulait :« Le
Comité d'instruction publique présentera incessamment un projet de
décret pour organiser définitivement à Paris une École normale
destinée à former des professeurs pour les Écoles Centrales ».
C'était l'institution qui devait être créée au XIXe siècle. Mais le
projet ne fut jamais élaboré.
Malgré cela, et quoique certaines chaires de Grammaire générale
soient restées un temps vacantes, on recruta sans trop de difficultés
des professeurs pour cet enseignement nouveau. Un assez grand
nombre avaient appartenu au personnel des anciens collèges 2.
D'autres avaient exercé diverses fonctions, suivi les carrières et fait
les études les plus différentes.
L'un était mathématicien 3, un second botaniste 4, un autre théolo-
gien et évêque constitutionnel 5. Le Helloco, de la Lys, s'était engagé
comme volontaire en 1792. J. Cazalis avait été Génovéfain, Ortolan,
frère de la Doctrine; Lissès, du Pas-de-Calais, sortait de l'Oratoire.
Arrachart, du Morbihan, d'abord précepteur, ensuite bibliothécaire,
avait été employé à l'agence d'habillement et de recrutement.
Ces maîtres, de provenance si disparate, n'étaient pas pour la
plupart dépourvus de culture, tant s'en faut 6. Certains avaient même
subi des concours très sérieux, avant d'être nommés, ainsi dans

1. Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 61 et 93.


2. Rouziès, du Lot, ancien principal du Collège de Cahors et de Sarlat; Bignon,
maître de quartier au Collège de Rouen; Barletti Saint-Paul, du Collège des Cadets
d'Espagne; Minault, des Deux-Sèvres; Ricque, de la Vienne ; Bourgeois, de la Somme ;
Chamberland, de la Côte d'Or, qui avait longtemps séjourné en Angleterre, et avait
enseigné 14 ans à Oxford ; Henschling, de Bruxelles, qui avait enseigné l'hébreu, le grec,
l'italien, l'allemand, l'anglais.
Philippon, du Loiret, Descole, du Gard, plusieurs autres encore avaient été maîtres
de pension.
3. Poirrier, de la Loire-Infre de même Debrun, de l'Aisne.
;
4. Merlet La Boulaye, de Maine-et-Loire.
5. Barthe (P. Ben.) évêque du Gers, ancien professeur de théologie à l'Université de
Toulouse, professeur à l'école du Gers.
6. Il existe dans le carton F 17 A. 1311, un écrit non daté qui dit: Pour
des Ecoles Centrales, le rapport mentionne que parmi les professeurs de « ce qui est
langues, il en
est plusieurs qui ne savent que très imparfaitement l'orthographe
Cette même observation se retrouve sur un autre feuillet ».
: « Entre ceux qui enseignent
le latin il en est plusieurs qui ne savent
que très imparfaitement l'orthographe de leur
propre langue ».
Cela est très exagéré. J'ai lu les documents. Ceux qui présentent des
fautes sont
l'exception. Debrun, de l'Aisne, est parmi ces non-orthographistes. Mais c'est
maticien, aussi égaré dans la Grammaire que dans la Nousiographie un mathé-
« »
GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET GRAMMAIRE FRANÇAISE 331

l'Yonne. Sans s'effrayer de la nouveauté du cours, sans se rebuter


devant l'ignorance des élèves, les préjugés des familles, les calomnies
des adversaires, ils ont cherché leurs matériaux, comme leurs plans,
organisé leurs leçons avec un dévouement méritoire. Il n'est pour
s'en rendre compte que de lire le dossier envoyé par Cazalis 1. Il a
eu des audaces dont la moindre ameuterait aujourd'hui tous les
grammairiens-amateurs assis en aveugles sur les marches du Pont
des Arts.
Quand on a lu les cahiers et la correspondance des professeurs,
qu'on a constaté leurs efforts et connu leurs déceptions, on s'associe
au témoignage que leur rendait, le 16 pluviôse an VIII (4 février
1800), le Conseil de l'Instruction publique, composé de Lagrange,
Garat, Palissot, Ginguené, Domergue, Lebreton, Jacquemont, Tracy :
« Le cours de Grammaire Générale est un de ceux où le Conseil a
remarqué parmi les professeurs le plus d'hommes distingués par
leur lumière et par leur zèle » (Arch. N., F17 13441).
A Paris, le jury avait été heureux dans ses choix. Il présentait :
Suard, Domergue, Duhamel, Dumouchel, Thiébaut (de l'Académie
1. Ce Cazalis était poète en latin. Avant d'enseigner la Grammaire générale, il a
éprouvé le besoin de consulter les autorités. Il est venu à Paris s'entretenir avec
Domergue. Ses observations sont des plus curieuses : « L'opinion publique, écrit-il,
le 20 floréal an VII (9 mai 1799), n'entend que la Grammaire françoise et influe pour
dégoûter les élèves ».
« J'ai mis en mains à chacun la Grammaire de De Wailly et les Fables de La
Fontaine. Je leur ai fait remarquer l'accord du substantif avec l'adjectif... » (Suit toute
la Grammaire).
« Pour les former à écrire et à rendre leurs idées, j'ai commencé par leur faire faire
des lettres, je leur lisois et fesois lire Mme de Sévigné, ensuite la fable dont nous
avions fait l'analyse ».
Cazalis a essayé d'une orthographe simplifiée préconisée à l'École Normale :
« L'usage que j'ai voulu essayer d'une
nouvelle orthographe à l'exemple de la Gram-
maire de Roulfé, dont le raport (sic) a été fait à l'Institut national en l'an V, a jette
de la défaveur sur le cours... Je reprendrai dans les programmes de l'an VII l'ortho-
graphe usitée ».
« Nous avons passé ensuite à la partie de la Grammaire qui traite des mots, nous
avons comparé l'ancienne dénomination .. avec une nouvelle qui leur fournit l'idée
attachée au mot par le caractère dont il est revêtu dans le discours... »
Dans cette nouvelle nomenclature : « les mots lien et qualification ont paru bizarres et
ridicules ; j'en avois trouvé l'idée dans les leçons des Ecoles Normales, je les ai reformés
dans mes cahiers de l'an VII ».
Un sommaire donne sa classification: nom, qualificatif, déterminatif et conjonctif.
On a d'autres détails dans un imprimé qui est joint : le verbe adjectif y est nommé le
qualifico-lien. Il y a un futur complétif : j'aurai fait ; trois modes: affirmatif. condi-
tionnel, subordonné pétitif. L'infinitif y est l'abstractif.
Mais, comme le dit une nouvelle lettre du 11 fructidor an VII (28 août 1799) : Dans
le département « les institutions particulières jouissent d'une préférence distinguée ».
« Vous nous représentez comme
professeurs d'Ecole Normale, à l'égard des Institu-
teurs des Ecoles primaires, vous nous chargez de la confection des livres Elemen-
taires... j'aurois eu besoin de votre autorité, contre le préjugé de l'ignorance la plus
invétérée, pour qui tout ce qui sent la nouveauté est blasphème et malédiction ».
Le 13 vendémiaire an VIII (7 oct. 1799), encore une lettre du même : « On veut
absolument me borner aux premiers éléments de la Grammaire françoise et dans
l'abrégé de De Wailly » (Arch. N., F17 13442).
332 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
valeur,
de Berlin) 1. C'étaient là non seulement des hommes de
spécialistes, Domergue d'abord 2, Duhamel aussi 3. Ce
mais des
dernier est le type du Condillacien. Il écrit : «
Suivre une méthode
naturelle et sûre dans l'étude d'une science, c'est bien faire
la langue de cette science, et en bien faire la langue, c'est faire
l'analyse des idées qu'elle renferme et y attacher des signes et
des expressions analogues » (Mémoire joint au dossier). Un mot
aussi sur Thiébaut de la rue « Antoine ». Il avait publié des Dis-
sertations dans les Mémoires de l'Académie de Berlin, contre la
méthode grammaticale fondée sur l'usage. Il est l'auteur de tous les
articles raisonnes du Dictionnaire de l'Elocution française et du Dic-
tionnaire grammatical de la langue française.
La province n'était pas dépourvue de ces spécialistes. Baradère,
de Pau, auteur d'un traité d'Idéologie, en est un spécimen 4. Il faut
nommer également son voisin, Estarac, des Htes-Pyrénées, qui a
donné une Grammaire Générale en 1811; Benoni Debrun, de Sois-
sons, auteur d'un Cours de Psychologie ; Mérandon, de Saône-et-
Loire, qui a mis l'apologie de la Grammaire générale en action
dans une saynète, à la manière des débats scéniques de mode dans
les anciens-collèges 5.
Mais peut-être le plus compétent était-il, malgré l'apparence, Le
Helloco (de la Lys), qui semble s'être rendu compte de ce que valait
la doctrine, et de ce que présentaient de hasardé ses a priori. Il
fallait qu'il y eût souvent réfléchi pour se refuser à suivre Condil-
lac, et le qualifier de « très léger, très superficiel » et surtout
l'accuser « d'une inconcevable intrépidité dans ses assertions »
(Arch. N., F17A 13442).

— Si on considère les choses d'ensemble, il n'y a


INDÉCISIONS.
point de doute que, dans un grand nombre d'écoles, on n'ait tâché

1. Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 115.


2. Domergue annonce à la fin de son livre, La prononciation françoise, un ouvrage:
« Grammaire Générale simplifiée, appliquée particulièrement à la langue françoise. Cet
ouvrage, convenable à toutes les bibliothèques, est principalement destiné aux écoles
centrales. Il est sous presse » (p. 307).
3. Il avait enseigné dans des pensions, et donné pendant quatre jusqu'en 1789,
ans,
des leçons do langue française. Il s'était formé avec Beauzée. Maître de chambre parti-
culière au Collège d'Harcourt jusqu'en 1792, il devint élève de l'École Normale, puis
professeur et administrateur aux Sourds et Muets. Il publié des études l'instruction
a
publique avec Condorcet et Sieyès. Nous aurons à reparler de lui. sur
4. Il envoie au ministre un énorme de psychologie et de logique : « J'ai
cours
toujours pensé, dit-il, que le cours de Grammaire Générale devoit remplacer la Philo-
sophie des anciens colleges, en ce qu'elle avoit de bon, et l'appliquer ensuite à la
théorie du langage en général et de la langue françoise
15 fructidor an VII, Arch. N., F17A 13143). en particulier » (Pau,'
5. Cf. Picavet, Les idéol.. p. 39.
GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET GRAMMAIRE FRANÇAISE 333

de donner au cours son vrai caractère philosophique. Les maîtres


allèrent chercher leur bien partout parmi les doctrines des théori-
ciens. Ils dépouillèrent Port-Royal, Duclos, Dangeau, Dumarsais,
Girard, Locke, de Brosses, Harris 1, Beauzée, Domergue, Garat et
jusqu'à Fénelon et le P. Lamy. Mais c'est surtout Condillac et
Court de Gébelin qui fournirent l'essentiel et servirent de guides,
jusqu'au jour où parut l'oeuvre de Sicard : Eléments de Grammaire
générale appliquée à la langue française. Tout cela forma à peu près
l'amalgame qu'on voulait.
On vit des professeurs, dont l'esprit était habitué aux méthodes
scientifiques, tel Merlet La Boulaye, d'Angers, proclamer : « Mon
but est de former des observateurs » et s'aventurer avant l'ère de
la philologie positive dans un exposé historique et comparatif 2.
Escher, du Bas-Rhin, avait fait, lui, une sorte de grammaire
comparée où il rapprochait français, allemand, latin, anglais et
italien 3. D'autres collègues, de formation allemande, se refusaient
à suivre Condillac et s'enfonçaient dans le Kantisme, voire dans une
sociologie historique avant la lettre. D'autres réunissaient dans des
leçons communes latin et français, tels Domange, dans la Meuse,
Bruno Benoît, dans les Bouches-du-Rhône 4. Enfin il y avait des
professeurs — et ce ne sont pas les moins intéressants pour nous
— qui s'en tenaient purement et simplement au français.
Il est visible que chacun suivait surtout ses inspirations et ses
goûts. Ainsi un homme comme Barthe, du Gers, théologien de
métier, n'était occupé que de philosophie et de métaphysique du
langage. A aucun moment il n'eut l'idée de faire au français une
application quelconque de ses théories.
Gattel, au contraire, le lexicographe bien connu, y employait tout
son zèle. Il écrivait au ministre le 15 vendémiaire an VIII (7 octobre
1799) : « Les continuelles applications que je fais des principes géné-

1. On avait fait traduire Harris (Guill., o. c, Conv., t. V, p. 169).


2. Il écrit le 29 vendémiaire an VIII (21 oct. 1799) : « Nous nous sommes engagés
dans l'étude de la langue française, ensuite j'ai fait le parallèle du goût et du génie
français sous Louis XIV et sous Louis XV ; j'ai aussi fait connaître la littérature
italienne et j'ai fini par faire voir le progrès des Allemands dans les sciences, les belles-
lettres et les arts comme une suite du perfectionnement de la langue » (Arch. N.,
F17 A 13443).
3. Arch. N., F 11 A 1344 3. Il n'était point le seul qui sût les langues vivantes.
Barletti St-Paul, Thiébaut, Bourgeois (qui donna une grammaire anglaise en l'an IX),
avaient enseigné à l'étranger.
4. Le professeur de Grammaire générale à l'Ecole Centrale de Beauvais était
Géruzcz. Boinvilliers y enseignait les Belles-Lettres. Mais il y avait eu en plusieurs
endroits des arrangements entre professeurs. Ils s'étaient chargés, avec approbation du
Ministre, d'un cours supplémentaire de langues anciennes. Tous les après-midi,
Boinvilliers faisait un cours de grammaire française et de latinité (Charvet, Inst. publ.
à Beauvais, p. 18).
334 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

langues particulières soit anciennes soit modernes, sont


raux aux échapper
surtout relatives à la langue française, dont je ne laisse
occasion de rappeler les règles, d'éclaircir les difficultés. Je
aucune
n'oublie point que mon premier devoir est de former des citoyens et
dans un état républicain, sous un gouvernement libre qui a pour
que
base l'égalité établie par la nature entre tous les hommes, où chacun
est appelé par la Constitution et peut être porté par son mérite aux
fonctions publiques les plus relevées, chacun aussi doit travailler à
pouvoir un jour les remplir dignement, en joignant aux vertus et
aux lumières le talent de l'élocution, et par conséquent une connois-
sance approfondie de sa langue » (Arch. N., F 17 13442).

RÉPUGNANCES DES ÉLÈVES ET DES FAMILLES. ON NE TIENT QU'AU FRANÇAIS.

— Beaucoup des collègues de Gattel éprouvèrent un grand embarras.


C'est qu'en effet un cours se règle moins sur un plan d'études et
une instruction ministérielle que sur les goûts des maîtres et les
besoins des élèves. Si on prétend l'instituer ou le maintenir en
opposition avec des voeux déclarés, surtout dans une école où le
règlement permet de choisir, il végète, on le déserte, l'application
de ceux qui le suivent baisse, les résultats sont médiocres.
Or les volontés du pouvoir tardèrent à s'exprimer et les préférences
des élèves se manifestèrent tout de suite. Ils demandaient un ensei-
gnement du français ; souvent, quand on ne le leur donnait point, ils
s'en allaient. Magin écrit des Ardennes : « Ce cours en l'an V a eu
dans le commencement jusqu'à trente élève (sic), mais ce fut une
méprise causée par l'ignorance de l'objet qui y est traité... Générale-
ment on croyoit que ce cours n'avoit d'autre objet que l'enseigne-
ment de la langue françoise; on parut très surpris d'abord de s'être
trompé. J'eus beau représenter... on m'écouta... mais le cours n'en
déserta pas moins, au point qu'au bout d'un mois d'exercice, de
trente il n'en resta que dix » (Arch. N., F 17 13442).
1

Un aveu semblable est fait par le professeur des Landes


: « Des
élèves déjà âgés ne cherchent qu'à savoir l'orthographe (Lett. du
»
citoyen Magniez, 10 prairial an Vil. Arch. N., F 17 13442).
L'esprit positif régnait. On voulait des choses utiles, marchandes,
non des spéculations : « La pluspart bornent leur ambition à acqué-
rir la connaissance mécanique de la Langue française et de
contrac-
ter par l'usage plutôt que par principes, l'habitude de parler et

que nous donnons, qu'il fût bien grand clerc.


1. Magin a publié des Etudes sur la langue française. Charleville, Buffet

par
et Cie an XI
avec une longue lettre de Sicard, Secrétaire de la Classe de Littérature et Beaux-Arts
de l'Institut, datée de pluviôse an XI. Il
ne semble pas, à en juger l'échantillon
GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET GRAMMAIRE FRANÇAISE 335

d'écrire correctement. Tels sont ceux qui, se destinants à des


arts d'industrie, au commerce, ou à l'agriculture, n'ont que trois ou
quatre années à donner à leur instruction littéraire » (Lett. de
Rouziès, du Lot). Comparez : « Les élèves dans ce département,
appartiennent à des parens tous négocians, et qui hâtent, autant
qu'il est en eux, la fin des études de leurs enfans ». On leur donnait
donc ce qu'ils voulaient, les conjugaisons et l'accord, d'après
Domergue (Lett. de Mareschal, 24 vendémiaire an VIII—16 octobre
1799, Arch. N., F17A 13442).

LA GRAMMAIRE FRANÇAISE SUBSTITUÉE A LA GRAMMAIRE GÉNÉRALE.



Beaucoup de maîtres s'inclinèrent et réduisirent leur enseignement
au français. Fabre mande de l'Aveyron (15 brumaire an VIII-6 no-
vembre 1799) : « Les circonstances et la diverse portée des élèves
...
ne m'ont pas permis d'embrasser toute l'étendue de l'institution...
je me suis borné à leur faire suivre des cours ordinaires de gram-
maire française et latine. Quoi que mon cours n'embrasse pas cette
dernière partie, j'ai cru devoir céder, surtout dans les commence-
ments, aux instances de leurs parents» (Arch. N., F 17 13442).
Ollitrault avait fait de même à Quimper : « Au commencement de
l'année dernière j'attendis quelque temps, mais en vain, des élèves
de Grammaire générale. Prévoyant que je n'en aurois pas, si je n'en
formois moi même, voulant de plus me rendre utile à mes conci-
toyens, j'annonçai... que je donnerois provisoirement, des leçons
de Grammaire françoise... J'eus bientôt un assez bon nombre
d'élèves, mais la plupart ne savoient qu'imparfaitement lire et
écrire, n'en soyez pas surpris, citoyen ministre, les écoles primaires
n'ont pas encore réussi dans ce pays, et les maîtres particuliers y
sont très rares.
« Au commencement de
celle-ci (cette année) point d'élèves
encore pour la Grammaire Générale... ceux qui m'étoient venus
n'étoient pas assez formés... et demandoient instamment à conti-
nuer la Grammaire françoise » (Lett. du 5 fructidor an VIII —23 août
1800, Arch. N., F 17 13442).
En l'an V, en Indre-et-Loire, il ne s'était pas présenté d'élèves
pour le cours de Grammaire générale de Marc Corneille. Le pro-
fesseur, voulant se rendre utile, a fait un cours de Grammaire fran-
çaise, qui a été suivi par un assez grand nombre d'enfants, de l'âge
de 10 à 14 ans. Même programme et même succès en l'an VI
(Arch. N., F 17 13442) 1.
1. Cf. « Si nous suivions ce plan, nous n'aurions pas d'élèves » (Varney,
Hte-Marne, Arch. N., ib.).
336 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

D'autres professeurs cédaient de même à leur public. Toussaint-


Larivière; du Calvados, avait fait précéder son cours de Grammaire
générale d'un cours de Grammaire française et d'un cours de
Grammaire latine, pour avoir deux langues à comparer. Ses élèves,
entraînés, lui avaient demandé de faire imprimer les éléments de
Grammaire française 1. Il continua à diviser son cours en deux
années; il se sentait « obligé de s'arrêter longtemps sur la gram-
maire française que beaucoup d'élèves ont principalement en vue »
(Arch. N., F 13442. S. d.).
17

Ailleurs il n'était point seulement question de préférences des


élèves, mais de nécessités. Les malheureux n'avaient rien appris;
même si on prétendait les mener au sommet, il fallait commencer par
gravir les premiers degrés, « La jeunesse vient aux Écoles Centrales
sans savoir même le français», dit la réponse collective des Alpes-
Maritimes (Arch. N., F17 13441). Voilà la cruelle vérité qu'on
pouvait méconnaître dans les bureaux et les Comités, à laquelle
des maîtres doués de bon sens et de dévouement ne pouvaient pas
fermer les yeux. Bon gré, mal gré, ils se « constituaient en institu-
teurs primaires ». Baradère lui-même a dû se résigner : « Les élèves
étant dépourvus des connoissances preliminaires, je fus obligé de
ne mettre entre les mains de mes élèves de l'an V qu'une petite
grammaire française » (Arch. N., F17 13443).
Il n'est pas difficile du reste de voir que beaucoup de professeurs
ont cédé sans regret à leurs inclinations. Domange, de la Meuse,
avait l'horreur des spéculations en l'air. Sauger Préneuf, de la Haute-
Vienne, sans partager les répugnances de son collègue, proclame les
motifs qui lui ont dicté sa décision. Il n'a pas oublié qu'il parlait à
des Français. « Parcourant les langues en général, nous avons dû...
reposer nos regards plus particulièrement sur la langue maternelle.
Je me suis attaché scrupuleusement à corriger leurs vices de pro-
nonciation les plus communs. J'ai dressé à cet effet un tableau : d'une
part diction incorrecte, de l'autre diction correcte. Plusieurs pères
de famille m'ont témoigné le désir de le voir imprimé 2 ». Descole
a fait de même dans le Gard : « Comme c'est surtout la langue
nationale qu'il importe de connaître dans ses procédés analytiques et
tous ses moyens, je fais pour la majorité de mes élèves le plus d'appli-
1. On a de lui : Elémens de grammaire française, pour servir d'introduction au cours de
grammaire générale à l'usage des élèves de l'Ecole Centrale du Calvados. Caen, an VII
(Bibl. Strasb., n° 589).
2. « L'auteur laissera à l'amour que le Ministre
a pour la langue le soin déjuger
si ce travail ne pourrait pas un jour être de quelque utilité générale. En attendant,
il joint des Solutions grammaticales, avec une lettre du citoyen Caminade, datée de
l'an VI » ; Elle porte sur une des questions épineuses de la Grammaire
: son et leur
avec chacun, etc.
GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET GRAMMAIRE FRANÇAISE 337

cations qu'il est possible à la langue française. Je discute ses prin-


cipes et ses usages, je remonte autant que possible à l'étymologie
des mots, j'examine les différentes modifications qu'ils ont reçues...
Cette partie de mon travail... doit être d'une utilité plus immédiate
pour la majorité de mes élèves » (Arch. N., F 17 13442).
Personne n'a donné plus fortement que Sauger, de la Hte-Vienne,
en répondant aux lettres ministérielles du 30 fructidor an VII
(16 septembre 1799) et du Ve jour complre de la même année, les
raisons qui imposaient de procéder ainsi, surtout en présence d'en-
fants qui n'ont pas même « les premières notions de leur langue et
ignorent jusqu'aux principes généraux de l'orthographe» (Arch. N.,
F 17 13443).
Il semble qu'on ait senti, dans divers départements du Midi, que
l'École Centrale offrait le moyen de généraliser la connaissance
sérieuse de la langue. A la séance d'ouverture de l'École de Gap 1,
l'un des professeurs, Rolland, prononça un discours où il disait :
« On trouvera ici plus de temps pour
la langue nationale, celle de
toutes qui nous intéresse le plus et qui cependant est pour nous et
pour tous les Provençaux une langue morte... Accoutumés dès le
berceau à faire usage d'un dialecte vulgaire et grossier, il nous
manque quand nous voulons nous énoncer ou écrire en français,
cette aisance, cette facilité d'expression que, sous d'autres climats
des hommes qui ne nous surpassent ni en talents ni en connais-
sances semblent tenir du sol qui les a vus naître. Dans nos conver-
sations ordinaires, combien de termes impropres, de tournures
vicieuses dérobées au patois ! Combien l'accent de ce patois ne
défigure-t-il pas le français que nous parlons !... Telle est, s'il m'est
permis de le dire, la tache originelle de ces contrées qui rend
nécessaire dans le département un cours de langue française. Pour
faciliter cette étude et en assurer les fruits, le patois sera proscrit
dans l'enceinte de l'École Centrale » (1er nivôse an VI—21 décembre
1797).
D'autres ne donnent point de motifs, mais ils sont grammairiens
français et ils enseignent comme tels. Le cours que Fontaine, de
l'Yonne, présente le prouve. C'est un essai remarquable pour la
partie française, qui est étudiée avec de la méthode et parfois avec
grand littéraire (Arch. N., F 17 13443). Magniez, dans les
un sens
Landes, donne un abrégé de langue française qu'il a fait, « avec le
secours duquel et des explications, les élèves peuvent rendre compte
à la fin de l'année de toutes les parties du discours français ». De

1. Voir Bull. Soc. d'Etudes des Htes-Alpes, t. XI, 1892, p. 227 et Nicollet, Notice
historique sur l'Ecole Centrale de Gap (1796-1804).
Histoire de la langue française. IX. 22
338 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

même Durand, de l'Ain : « J'ai pensé qu'il falloit surtout


instruire
élèves de la théorie de notre Langue par la pratique, sans
mes
cependant négliger les règles » (Arch. N., F 17 13442, 15 vendémiaire
VIII- 7 octobre 1799). De même naturellement Rolland, dont
an
parlions plus haut Il n'est pas nécessaire d'avertir que nous
nous : «
attacherons particulièrement à faire l'application des principes
nous
de la Grammaire générale à la Langue française, dont nous nous
proposons de développer les règles, les usages qui lui sont propres,
avec toute l'étendue dont nous serons
capables » (Arch. N., F 17
13442, 19 frimaire an VII—9 décembre 1798). On peut ajouter
Raybaud, des Alpes-Maritimes, Godfroy, de la Moselle, Gressot, du
Mont Terrible 1.
Il se trouva même, paraît-il, un professeur, — un sot ou un sage ?
pour annoncer un cours de « Grammaire générale française » 2.
Nous avons parlé des désirs des élèves; on voit ici les effets des
inclinations des maîtres. Sans instructions précises, ils s'aban-
donnaient aux inspirations de leur conscience pédagogique, et
chez presque tous dominait le sentiment de leur devoir envers le
français.

AVANTAGES QUE LA GRAMMAIRE FRANÇAISE TIRAIT DE L'ENSEIGNEMENT DE


— Pour mesurer tous les services
LA GRAMMAIRE GÉNÉRALE. que dans
leur chaire de Grammaire générale les maîtres des Écoles Centrales
ont pu rendre à notre langue, il faudrait considérer ce qu'ont fait
non seulement ceux dont nous venons de parler, mais les autres,
les philosophes. En fait, les plus entêtés de Grammaire générale ne
pouvaient, sauf exception, en présence des élèves qu'ils avaient,
appuyer leurs analyses sur d'autres langues que la française. Ils y
prenaient non seulement leurs exemples, mais souvent leurs idées
et ils y rapportaient leurs doctrines.
Naturellement leur marche n'était pas toujours la même. Tantôt
le cours de grammaire française servait d'introduction
aux généra-
lisations, tantôt les principes généraux étaient posés d'abord, puis
suivis d'applications à la grammaire française. Il est bien évident
que c'était la première manière qui était la bonne, et pour attirer
1. Ce dernier distingue avec humour ce qui devrait être et
moins ce qui est : « Peut-être
au paroîtroit-il naturel de dire quelque chose des règles particulières de la langue
maternelle ; mais nous devons en supposer la connoissance dans
premières éludes ont, sans doute, été basées sur nos élèves, dont les
ce fondement essentiel ». En fait, lui
aussi répare, et explique aux élèves sortis récemment des Ecoles primaires les règles
de la langue française « d'après les principes de Vailly (Arch. N., F17 1344A, 2
2. Ollitrault témoignait au ministre » et 3).
sa crainte que la grammaire qu'il enseignait à
Quimper ne ressemblât trop à la Grammaire générale (5 fructidor
21 août 1800). an VIII—
GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET GRAMMAIRE FRANÇAISE 339

les élèves, et pour fonder les considérations philosophiques sur une


base. Delarivière, du Calvados, en usait ainsi. De même Abbey,
du Jura; Layer, d'Eure-et-Loir; Vidal, de la Drôme ; Fontaine, de la
Nièvre 1; St-Quentin, de l'Allier ; Carrère, de la Hte-Garonne.
Cependant il arrivait qu'on commençât à rebours, par les abstrac-
tions. Les choses se passaient ainsi dans la Lys. Le professeur, Dra-
parnaud, dans la première année de son cours, « analysait la pensée
dans l'esprit qui la conçoit, ce qui donne l'analyse de l'esprit
humain; dans la deuxième année, il considérait la pensée dans le
langage, qui l'exprime » (Arch. N., F 17 13441). De même Mangin,
dans la Meurthe ; Debrun, dans l'Aisne ; Bardon, dans la Sarthe, etc.
De toutes façons et malgré les différences de plan, le cours,
quand il ne débutait pas par une étude exclusive du français, y
aboutissait.

OBSERVATIONS DE L'ADMINISTRATION.
— Il semble bien toutefois que,
jusqu'à la fin, l'Administration centrale ait cherché à s'opposer à
cette déformation, et tenu à conserver au cours de Grammaire géné-
rale le caractère d'un cours de philosophie 2. Était-ce là désir de
répandre des idées philosophiques en accord avec la politique reli-
gieuse du Directoire ? En tous cas, si on s'en fie au rapport que
nous avons cité, les professeurs qui se bornent à enseigner la gram-
maire française n'ont pas l'air d'être bien vus en haut lieu. Le rap-
porteur dit même textuellement qu'ils n'ont pas compris le but de
leur cours. François de Neufchâ*teau, Quinette, leur recommandent
successivement de ne pas perdre de vue l'objet propre de la chaire.
Ce dernier finit par préciser.
Dans une circulaire du Ve jour complre de l'an VII (21 septembre
1799), il se reporte à la circulaire de Fr. de Neufchâteau du 20 fruc-
tidor an V (6 septembre 1797), et ajoute : « Ne sachant pas com-
ment vous envisagez l'ensemble de votre cours, je vous ferai ici
quelques observations que je crois utiles, parce que je m'aperçois
que plusieurs Professeurs de grammaire générale n'ont pas vu toute
l'étendue de l'enseignement dont ils sont chargés : ils se croient
bornés à la grammaire, et c'est à tort.
« Le nom de
grammaire générale donné à la chaire que vous occu-

1. « Je croyais devoir commencer par les mots pour déguiser « la sécheresse de


l'idéologie », et la faire découler par intervalles de quelques observations bien senties
dans la langue maternelle » (Lett., 15 vendémiaire an VIII-7 oct. 1799, Arch. N.,
F17A 1344A3).
2. On entendit Binet, professeur de langues anciennes à l'Ecole Centrale du Pan-
théon, démontrer que logique et grammaire étaient inséparables et se fondaient dans
la Grammaire générale (Discours pron. à la rentrée des Ec. Cent., p. 28-29).
340 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

doit faire illusion. On ne pouvait, sans doute, en choisir


pez, ne pas
plus convenable, par beaucoup de raisons; mais, quoique pré-
un
férable à tout autre, il a l'inconvénient de n'exprimer qu'en partie ce
devez enseigner : car votre cours doit comprendre l'idéo-
que vous
logie, la grammaire générale, la grammaire française et la logique.
En effet, citoyen, dans l'ensemble de l'éducation, votre cours
«
doit être le complément et le couronnement du cours de langues
anciennes, et l'introduction aux cours de belles-lettres, d'histoire
et de législation. Or vous n'ignorez pas que dans le nouveau système
d'instruction, auquel préside exclusivement la méthode qui consiste
à aller toujours du connu à l'inconnu, les Professeurs de langues
anciennes doivent, avant d'entrer en matière, faire observer aux
enfans, comment, depuis leur naissance, ils ont appris le peu qu'ils
savent; leur faire remarquer ce qu'ils font quand ils pensent et
quand ils parlent; c'est-à-dire, leur donner les faibles notions
d'idéologie et de grammaire générale qui sont à la portée de cet
âge, et qui sont nécessaires pour bien comprendre les règles d'une
langue quelconque, et pour en abréger l'étude.
« Pour la même raison, votre cours venant après
celui de langues
anciennes, vous devez d'abord profiter des connaissances acquises
par les élèves dans cet intervalle, pour leur donner des leçons plus
approfondies sur l'idéologie et la grammaire générale; car c'est là
l'époque où ils doivent apprendre réellement ces deux sciences.
Ensuite, il faut appliquer ces connaissances à la grammaire française,
puisqu'elle est le premier pas dans l'étude des belles-lettres; et
enfin, il faut en tirer les règles de l'art de raisonner, puisque c'est
là le fil conducteur qui doit aider les jeunes gens à apprécier les
hommes et les choses, les faits et les institutions, dans les cours
d'histoire et de législation, et les guider pendant le reste de leur
vie » (Arch. N., F1A 23).

— Ces instructions venaient trop tard. Le cours


LES RÉSULTATS. 1
de Grammaire générale, même en recevant cette nouvelle orien-
tation, ne pouvait réussir. Offert à des jeunes gens que leurs études
antérieures n'y avaient pas préparés, et qui étaient
peu capables
de le suivre, trop abstrait surtout,
en opposition avec les tendances
1. Il faudrait, pour que cette étude fût complète, l'étendre livres contemporains
aux
qui traitent du même sujet. Nous en avons cité déjà. En voici d'autres Dangremont,
Méthode logico-synoptique (Voir Guill., Conv., :
o. c, t. VI, p. 612, 14 fructidor an III);
J. Edme Serreau, Grammaire raisonnée et principes de la l. fr., VII (Arch. N.,
F17 1011 1301) ; Arnaud, Principes de lecture Rouilleau, an
bien lire le fr. an VII (Ib„ 1369). Cf. Ib., 1512, ; 1588
Livre pour apprendre à
; Loneux, Grammaire générale
appliquée à la langue française. an VIII (Ib., 1623).
GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET GRAMMAIRE FRANÇAISE 341

réalistes de l'époque, en outre par son caractère philosophique,


suspect aux catholiques, il ne pouvait avoir que peu de succès.
Nous donnerons plus loin des chiffres. Ce que nous voulions montrer
ici, c'est qu'en fait la langue et la grammaire françaises furent
enseignées dans la plupart des Écoles Centrales, mais pour ainsi dire
subrepticement et faute de mieux. Ce n'était pas là que la politique
scolaire de la Révolution aurait dû aboutir. Binet, dans un Discours,
en l'an VII, examina la question que nous venons de nous poser et
essaya de démontrer que l'enseignement du français était vraiment
assuré par le régime d'études qu'on avait établi.
« On peut se demander... dit-il, pourquoi parmi les cours qui
composent les Écoles centrales, il n'en existe pas encore pour la
langue française. Qu'on ne croie pas qu'elle y soit oubliée. Nous
osons dire au contraire qu'elle y est enseignée continuellement, et
de la manière la plus étendue qu'il soit possible.
« Nous sommes loin de contester l'utilité, la nécessité même d'un
enseignement spécial à cet égard, pour des élèves qui se borneroient
à cette partie de l'étude, et à qui leur âge, leur inclination et leurs
vues diverses ne permettroient point d'aller au delà. Mais ceux qui
se proposent de parcourir toute la carrière, chaque pas qu'ils y
font doit les avancer d'autant dans la connoissance de leur langue
maternelle. Nous ne sommes plus dans ces siècles, où le Latin étoit
le seul interprète de toutes les sciences; où le bon Français encore
neuf et à peine formé étoit exclu comme barbare des écoles publiques'
de France. Les tems sont bien changés, et le bon Français à son
tour, réduisant insensiblement le Latin à lui-même, s'est emparé
de tous les genres d'enseignement. C'est en français que le maître
enseigne, c'est en français que l'élève est obligé de recueillir et de
rendre les leçons du maître. En apprenant sa langue par cette
voie, on ne peut pas dire qu'il apprenne seulement des mots :
l'histoire naturelle, la physique, la chimie ne lui disent le nom des
choses, qu'en lui mettant les choses mêmes sous les yeux; l'histoire
et les sciences morales ne lui parlent que sur des idées qu'il trouve
en lui-même ; les belles-lettres ne sont elles-mêmes que la perfection
du langage; et du côté des langues anciennes, la traduction des
auteurs qui fait la base de cette étude, n'est-elle pas un exercice
continuel de langue française ?
« Qu'aura-t-il donc manqué à
l'élève à la fin de ses cours, pour
savoir sa langue maternelle? Sera-ce la connoissance des principes?
Il y en a de généraux, il y en a de particuliers. Quant aux principes
généraux du langage, naturellement abstraits et au-dessus de la
portée des commençans ils les retrouveront, plus avancés en âge,
342 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

dans la grammaire générale qui les attend pour cet effet à la fin,
de la carrière. A l'égard des règles les plus faciles et des formes
particulières de la langue française, outre qu'il est à présumer que
désormais l'élève n'arrivera guère à l'époque de son admission aux
écoles centrales sans cette étude préliminaire, qui ne scait qu'elles
se combinent nécessairement avec les élémens des langues an-
ciennes, et que la première attention d'un professeur, est d'en faire
observer les rapports et les différences » ? Tout cela n'était vrai
1

qu'en partie 2.

1. Rec. des disc. et des prix de poésie... Imp. du Dépt, an VII, p. 31-33.
2. Cyprien Godfroy, professeur de Grammaire générale, à l'Ecole Centrale de
Metz, juge mieux la situation. C'était un ancien lazariste, né à Briey en 1760.
En octobre 1797, en réponse à une circulaire du Ministre de l'Intérieur (20 fruct.
an V-6 sept. 1797), il dit que, dans la plupart des écoles, les professeurs de Grammaire
générale, de langues anciennes, d'histoire et même de belles-lettres n'ont que point ou
peu d'élèves. Il ajoute qu'il faudrait d'abord apprendre la grammaire qu'on ne sait
pas, et qu'ensuite seulement on pourrait envoyer les élèves au professeur de langues
anciennes : « L'on n'auroit plus à faire aux Ecoles centrales ce reproche trop fondé
qu'on ne peut y apprendre ni français ni latin ».
CHAPITRE IX
DÉVELOPPEMENT DES ÉCOLES CENTRALES

— Malgré la légende, la prospérité des Écoles


FAITS ET LÉGENDES.
Centrales, loin de diminuer, s'accrut d'année en année.
On a fait grand bruit des insuccès. Il y en a eu. L'école de la
Vendée n'avait que 50 élèves. Mais comment en eût-elle attiré beau-
coup au lendemain de l'insurrection? Le Vaucluse n'en comptait
que 68. Ce pays aussi avait été trop profondément agité pour
qu'il en fût autrement. Il faut ajouter qu'en cinq ans, cinq ans de
tourmentes, de guerres étrangères et civiles, une institution d'une
conception si nouvelle n'avait guère eu le temps de faire ses
preuves nulle part. Cependant on constate que, de l'an V à l'an IX,
les progrès de la plupart des écoles ne cessaient de s'affirmer. A
la fin un grand nombre d'entre elles étaient en pleine prospé-
rité. Celle de Besançon était devenue « tellement célèbre », qu'elle
comptait 500 élèves, en l'an IX; et elle en avait de 31 départements
différents 1.
Celle de Strasbourg était également en très bonne voie 2. De même
celle d'Auxerre 3, celle de Montpellier 4, celle de Toulouse, celle
des Landes, dont la population avait quadruplé 5. A Rodez, on
comptait en l'an VI, 248 élèves; en l'an VII, 321; en l'an X, 386 6.
Au cours de Grammaire générale, il se trouva dans quelques
départements, comme les Bouches-du-Rhône, qu'aucun élève ne se

1. Statistique du dépt du Doubs, in-8°. Le Préfet signale que beaucoup de Suisses


viennent à Besançon suivre les cours.
2. « L'école centrale long-temps déserte, n'a commencé à être fréquentée qu'en
l'an.IX. Le zèle des professeurs, et les progrès qu'ont faits les jeunes gens, dont le public
a été à même de juger dans les exercices qui ont eu lieu à la fin de ladite année, ont
vaincu la répugnance que les parens témoignaient à envoyer leurs enfants aux différens
cours d'éducation. L'école centrale compte, proportionnellement à la localité, un aussi
grand nombre d'élèves que les écoles les plus distinguées de la République » (Laumond,
Statist. du dépt du Bas-Rhin. Cf. Jardinet, Statist. du dépt de Sambre-et-Meuse, p. 39).
3. Picavet, Les Idéol., p. 42.
4. Id., Ib., p. 44.
5. Décade du 20 vendémiaire an VII.
6. Lunel, Histoire du Collège de Rodez, dans Picavet, o. c, p. 47, n. 2
844 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

présenta 1. En Lozère, un seul élève s'était inscrit et il se retira à


la fin de germinal. Il allait travailler à la terre, sans doute. Nous
voilà loin du Bas-Rhin, où Grassot réunissait 58 élèves 2, ou bien de
l'Hérault où le citoyen Draparnaud accusait 200 auditeurs. Toutefois,
quand on le voit ajouter que 75 écrivent sous sa dictée! l'attention
doit être mise en éveil. Ces étudiants en Grammaire générale étaient
évidemment des commençants, qui apprenaient l'orthographe. Et
il y a lieu de croire qu'il en était de même ailleurs. Les plaintes et
les observations que nous avons résumées plus haut le disent
clairement. Mais la chose au fond n'a pas pour nous grande im-
portance, puisque ce que nous cherchons à connaître, c'est le déve-
loppement des études de langue française.

1. Le professeur, en présence de cette situation, prit le parti de faire du français.


2. Le dessin en attirait 85, les langues anciennes 46, les belles-lettres 15, la
législation 2.
STATISTIQUE DES ÉLÈVES DES COURS DE GRAMMAIRE GÉNÉRALE
D'APRÈS LES DOCUMENTS DES ARCHIVES NATIONALES F 17A 1344.

AN V AN VI AN VII

Ain 5 4

Aisne.
... (16-28)1
10
(14-16)
42

Allier.
...
Hautes-Alpes..
1

10
(13-18)
7

8
13
(13-16)
14
(14-22) (18-20) (15-19)
Ardennes. 10 5 -+- 3 7
. .
Aube.
. . .
peu d'élèves 17 30
(14-22)
Bouches-du-
Rhône. 00 00 00
. .
Calvados. 10 à 18 20 26
. .
Côte-d'Or. 75 96 133
. .
Creuse.. 404 7 4, 12, 15
. .
(12-15) (16-17)
40
Doubs.
...
Gard. . . .
Haute-Garonne.
12
12 à 18
20
15
12 à 18
20
12 à 18
30

Gers.

Hérault.
... (10-15)
5 ou 7
(16-18)
(10-15)
6 ou 7
(16-18)
(11-19)
5 (même âge)

2006
. .
Ille-et-Vilaine. 20
(16-22)
Indre-et-Loire. 3

Isère.
... 10 5
(14-16)
7

Jura.
Landes..
... (16 et plus)
15
(16-20)
23
24
(16)
32
19
(17-25)
46
. .
(14-18)
Loire.
. . .
10 10 12
(12-14) (13-15)

1. Les chiffres de la seconde ligne, entre parenthèses, indiquent l'âge des élèves.
2. Pour les principes généraux, 14 pour l'application à la langue française.
3. En l'an VI, il (le professeur) a donné des leçons de grammaire française à
dix élèves.
4. « Par le beau temps ».
5. 25 après la conscription.
6. 75 écrivent sous la dictée. En l'an VI, l'école de l'Hérault avait 80 élèves en
Grammaire générale, d'après les sources consultées par A. Duruy.
346 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

AN V AN VI AN VII

Haute-Loire. 22 à 28 36
. (12-18)
(12-17)
Loire-Inférieure. 8 à 10 15 à 20 20 et même 30
(16-25)
Loiret.

Lot
... 33
6
(19-40)
30
(20)
28
3

(13-18)
Lot-et-Garonne. 6 15
(16-18) (16-18)
Lozère.. 12 12 1
. .
(9-13) (10-14) (12)
Manche. 30 30 30
. .
(14-20) (14-20) (14-20)
Marne.. 6 12 29 à 20
. .
Haute-Marne.. 11 13 12
(13-15)
Mayenne. 18 30
. .
(15-17) (15-17)
Meurthe. 1 4 14 1
. .

Meuse.

Morbihan.
... (16) (16-22) (16-24)
5
(12-18)
12
. .
Moselle. 40 40
Nièvre.. . .
4 13 22
. .

Nord.

Orne. .
... (15-18)
5
(16-25)
(14-19)
10
(16-25)
(14-18)
17
(16-25)
Pas-de-Calais.. 26 22
(16-19-27)
Basses- Pyré-
nées.. 15 à 18 15 à 18 10
. .
(12-211) (12-20) (16-20)
Bas-Rhin. 6 20 45
. .
Haute-Saône. 3 4 6
.
(16 et au-dessus)

Sarthe.

Seine.
...
Saône-et-Loire. 5

8
10

15
18
7
(12-17)
École du Pan-
. .
21
théon.
3 12 à 16 École de la rue
(12-13) (14 et plus) «Antoine».

1. 9 après la conscription.
DÉVELOPPEMENT DES ÉCOLES CENTRALES 347

AN V AN VI AN VII

Seine-Inférieure. 5 14 25
(16-21) (22-13) (14-20)
Seine-et-Marne. moins moins 00 En l'an IV:
Deux-Sèvres. .12 (17-20)
15
(17-20)
27
(19-21)
25 élèves.

Somme. 12 15 17
. .
(13-15) (13-16) (13-18)
Var 131
Vaucluse. 8 18 21
. .
Vienne.
. .
18 37 65 En l'an IV:
12 élèves.
Haute-Vienne. 10 13 14
(12-15)
Yonne.. 12 15 19
. .
(13-17) (13-18) (14-18) 2

1. Tous aspirants; se sont embarqués. Il en reste 7.


2. 4 ont abandonné, se jugeant trop peu préparés.

Le progrès était incontestable. Mais il est bien évident que les


quelques douzaines de « grammairiens philosophes » qu'on formait
par département, qui eussent suffi s'il se fût agi d'une école nor-
male, ne pouvaient guère compter dans un temps où, pour gagner
le pays, il fallait à la langue des centaines de jeunes gens qui la
possédassent 1.
On comprend que Barailon lui-même, dans la séance du 27 bru-
maire au VI (17 novembre 1797), tout en défendant les Écoles Cen-
trales, ait accepté l'idée de supprimer la chaire de Grammaire
générale. C'était d'une part une grammaire prétentieuse, vide, tour-
nant facilement à la déclamation, de l'autre une philosophie enfan-
tine et grossière. La faute grave qu'on avait commise en n'instituant
pas d'enseignement spécial, à la fois théorique et pratique de la
langue française, apparaissait malgré tout. Rien n'avait pu tenir
lieu de ce cours nécessaire".

1. En outre, une fois renseignés sur le nombre des élèves, on voudrait aussi et sur-
tout connaîtreleur valeur. Des cahiers de professeurs nous sont parvenus. Il faudrait
voir des cahiers d'élèves. Il en reste certainement dans les archives départementales et
privées ; ils méritent d'être exhumés.
2. Meiners trouvait que la langue française était négligée à l'École Centrale
(Beschreib. einer Reise, p. 170-171): « On m'a affirmé, dit-il, que certains élèves
n'arrivent pas à écrire cette dernière sans grosses fautes d'orthographe » (Reuss, Gymn.
prot., p. 232).
348 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Quant aux bibliothèques, organisées avec tant de peine et de


soin par les « Vandales », elles n'eurent guère le temps d'agir. En
principe, outre qu'il y en eut une dans chaque chef-lieu d'arron-
dissement, les Écoles Centrales qui en possédaient durent les
ouvrir au public, le principe de l'École étant de recevoir tous ceux
qui voulaient s'instruire et qui formaient le groupe des Auditeurs.
Au moyen de ces bibliothèques, accessibles sans formalités, l'Ecole
Centrale devait combiner instruction des enfants et éducation des
adultes. Mais, s'il est relativement facile de compter le nombre 1

des dépôts ou d'en connaître les règlements 2, et même à la rigueur


d'en déterminer la richesse 3 et la composition4, comment savoir
si ces bibliothèques ont été fréquentées et par quels lecteurs?

1. Sur les Bibliothèques fondées par la Révolution, voir dans Gautier, Nos Bibl.
publiques, p. 20 et suiv. des renseignements très sommaires.
La création d'une Commission chargée de veiller à la conservation des monuments
des arts et des sciences remontait au mois de novembre 1790. On trouvera dans la
notice de Camus des indications détaillées sur cette commission, sa composition et son
fonctionnement. Comme nous l'avons dit plus haut, une section spéciale du Comité
d'instruction publique, nommée le 10 novembre, eut la mission de s'occuper de toutes
les questions relatives aux bibliothèques et aux monuments (Guill., o. c., 4e séance,
p. 13, note 5).
2. La bibliothèque de Porrentruy était ouverte tous les jours quintidis et décadis,
exceptés de 10h à 12 et de 3 à 5 (Arch. N., F17 13178, doss. 46).
3. La bibliothèque formée à St-Lô conformément à la loi de pluviôse an II contenait,
en brumaire an IV, 15000 volumes.
4. En général, elles étaient malheureusement très pauvres en ouvrages d'histoire, de
littérature et de sciences exactes (Voir Laumond, Statist. B.-Rhin, p. 39).
CHAPITRE X

L'ÉCOLE PRIMAIRE SOUS LE DIRECTOIRE

— Dans l'enseignement
ETAT MISÉRABLE DES ÉCOLES. TÉMOIGNAGES.
primaire, même à Paris, l'école — qu'on ne peut plus appeler école
d'Etat, puisque l'Etat ne la payait plus, — l'école publique, pour
mieux dire, luttait péniblement contre une concurrence victorieuse.
Les administrateurs du département le reconnaissent 1.
Dans le reste de la France, la situation était lamentable. « Vous
appercevrez, disait Barbé-Marbois, en ventôse an IV, quelques
écoles éparses à des distances incommodes pour l'enfance, et
sur-tout pendant l'hiver. Les élèves y viennent, mais en très-petit
nombre, parce que les circonstances retiennent aux travaux tous
ceux qui peuvent y être employés avec un commencement d'utilité.
La chambre où le maître donne ses leçons est ordinairement
humide, sans plancher, mal éclairée, et la cherté de toutes choses
empêche les élèves d'être suffisamment pourvus de ce qui est néces-
saire à leur instruction. Les maîtres sont peu assidus, parce que,
fort mal payés, il faut qu'ils exercent en même temps une autre
profession, et qu'ils cultivent, pour vivre, ou leur jardin ou leurs
portions communales ; ils remplissent leurs fonctions de la manière
la plus indépendante ; et les officiers municipaux des campagnes
n'ont pu se persuader encore que la surveillance de l'éducation leur
étoit attribuée. Ces maîtres sont réduits à la moitié, et peut-être
au tiers du nombre ancien ; et de jour en jour il est plus difficile
de remplacer ceux qui viennent à manquer. Le nombre des enfans
qui sortent de ces écoles, instruits dans l'art d'écrire et de calculer,
n'est pas aujourd'hui égal à la moitié de ce qu'il étoit autrefois.
1, Dans un rapport sur sa gestion de l'an V, le commissaire du Directoire donne,
pour l'an VI, cette statistique sommaire : « Il existe dans le département de la Seine
plus de 2000 écoles particulières et 56 écoles primaires seulement ». Dans un autre
compte rendu pour l'an VI, les administrateurs de la Seine disent : « Il y a des cantons
où elles (les écoles primaires de l'Etat) n'ont pu se bien organiser ; d'autres même où
il n'y a pas d'instituteur et d'institutrice, par le grand nombre de maîtres particuliers
qui s'y sont fixés « (Aul., La politique scolaire du Directoire, dans Revue bleue,
12 mai 1900).
350 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Ces deux arts, si nécessaires dans toutes les professions civiles,


ainsi que dans les armées de terre et de mer; ces arts, non moins
essentiels dans la vie privée, sont à la veille d'être renfermés dans
un très petit cercle d'individus. Déjà le gouvernement
s'apperçoit
de ce défaut général d'instruction ; il annonce au Corps législatif
qu'il est une infinité de communes dans la République où il ne se
trouve pas un homme capable d'écrire lisiblement les actes essen-
tiels qui constatent l'état civil des citoyens. Si l'on n'y remédie
aussi promptement qu'efficacement, cette pénurie sera bien autre-
ment sensible pour la génération suivante. Le développement des
lumières s'opère avec lenteur... Déjà le nombre des hommes instruits
est diminué, au point que si nous n'y prenions garde, cette rareté
nous rameneroit aux temps du privilège de clergie »1.
L'instruction est presque nulle dans sa partie la plus immédiate-
ment nécessaire au peuple, avouait de son côté Fourcroy 2. Et dans
les années qui suivirent, la situation ne s'améliora guère, les rap-
ports parvenus des départements le prouvent. Les jurys n'avaient
toujours trouvé personne pour tenir les écoles. Ou bien ils s'étaient
par nécessité, contentés des premiers venus 3. « Elle (l'instruction)
est nulle si pas dangereuse, les hommes à qui elle est confiée sont
presque tous des ignorants. Faute de mieux, il a fallu nommer des
cy devant clercs de villages, qui tiennent à leur routine et au culte
romain... le fanatisme a fait tant de mal aux habitans des cam-
pagnes, que les instituteurs républicains ont été abandonnés » 4.
On trouvera, en feuilletant les dossiers, la même antienne vingt fois
ressassée.

RÔLE PLUS QUE MODESTE DU FRANÇAIS.


— Ce que devenait l'ensei-
gnement du français dans ces conditions, on le devine. Les souhaits
même, à plus forte raison les plans, s'étaient fait singulièrement
modestes : « On tâchera d'enseigner dans les villages l'écriture et
les deux premières règles ; dans les bourgs et les villes cela
sera
indispensable... Mais comme c'est une instruction bien bornée
que
celle de ne savoir que lire et son catéchisme... je voudrois
que dans
chaque canton il y eût une école où l'on enseignât davantage plus
et
long-tems les mêmes choses. On
y donneroit les élémens de la
langue françoise, les quatre premières règles... Cette même
espece
1. Rapp. au Cons. des Anciens, 6-7.
p.
2. 11 germ. an IV, Opinion, Cons. des Anciens,
3. Torreilles et Desplanques, p. 11
o. c. p. 337. Dans tout le Roussillon, il fut fondé de
l'an IV à l'anVIII, 14 écoles publiques de garçons,
pas une école de filles. 2e
4. Compte-rendu de la Cn du Dir. exécutif près l'Adn centrale du Nord. décade de
vendém. an VI (Arch. N., Fic III Nord, 7).
L'ECOLE PRIMAIRE SOUS LE DIRECTOIRE 351

de classe seroit la seconde pour les cantons ruraux, et seroit, avec


la première, l'école primaire de toutes les villes » 1. L'étude des élé-
ments du français était considérée comme une ambition que la
petite école de village ne pouvait se permettre.
Il se trouva, dans les Conseils, des représentants pour acquiescer
à ces doctrines de renoncement, tel Andrieux : « Je suis effrayé,
opinait-il, de la nomenclature d'enseignement qu'on paraît exiger
des instituteurs des écoles primaires qu'on appelle renforcées ! Ils
devront montrer les élémens de la grammaire française, ceux de la
mesure des surfaces et des solides, c'est-à-dire, de la géométrie rec-
tiligne et sphérique et de la stéréotomie, de la géographie du terri-
toire de la République et des pays limitrophes ; donner des notions
sur l'agriculture, le commerce et les arts mécaniques... Mais voilà
l'Encyclopédie... »2
Dans les diverses provinces de langue étrangère, l'école était
redevenue ou restée d'idiome local. Le rapport du Commissaire
François le montre nettement : « Si vous écoutez, dit-il, les auto-
rités constituées de la ci-devant Flandre maritime, ils vous diront:
« Tant que nous
n'aurons point de livres en flamand, nous ne pour-
rons rien faire ». Entrez dans les écoles de ce pays, vous trou-
verez le catéchisme de Mgr l'Evêque d'Arras entre les mains des
élèves; on peut donc y donner des leçons en français, oui sans
doute, mais dans... le catéchisme » 3. L'auteur est piqué, on le
sent, mais il n'y a nulle raison de douter de son témoignage. Les
municipalités dont il parle étaient résignées.
En Alsace et en Lorraine, l'institution d'une école française était
devenue une rare exception qu'on citait 4.
Toutefois une impulsion comme celle qui avait été donnée ne
pouvait s'arrêter si vite entièrement, et il ne manqua pas, au cours
de la nouvelle discussion instituée sur les écoles, d'hommes résolus
à opposer la tradition républicaine aux renoncements des sceptiques.
Mangenet, le 11 frimaire an VI (1er décembre 1797), estimait que si les
hautes sciences conviennent peu aux agriculteurs, savoir lire, écrire,
compter, parler la langue française de manière à se faire entendre...
constituaient l'éducation qui leur est propre".
La nouvelle rédaction présentée au nom de la Commission

4. Mentelle, Consid. gén. sur l'I. P., p. 19. Mentelle était professeur aux Ecoles Cen-
trales de la Seine.
2. Opinion sur l'I. p. dans les écoles primaires, Cons. des Cinq-Cents, 11 flor.
an VII, I. N., p. 21.
3. Arch. N., Fic III Nord, 7. Brumaire an VII. Dans Lennel, o. c, p. 400.
4. Colchen, Mém. Statist., p. 97.
5. Opinion, I. N., germinal an VII, p. 8.
352 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

d'Instruction publique par Heurtault-Lamerville, le 9 nivôse an VII


(29 décembre 1798), stipulait (titre II, art. II) que dans les écoles
à plusieurs instituteurs on enseignerait les éléments de la Gram-
maire française 1.
C'est à Sonthonax que revient l'honneur d'avoir repris, le 1er ven-
tôse an VII (19 février 1799), les arguments des Commissaires
de la Convention : « Il seroit à souhaiter sur-tout que vos écoles
primaires parvinssent à rendre la langue française familière à toutes
les parties de la République; qu'elles pussent extirper ces idiomes
barbares qui, dans plusieurs départemens, sont seuls connus du
peuple. C'est un étrange phénomène, que la langue que l'Europe
entière s'honore de connoître et de cultiver, soit ignorée d'une
partie des Français ou parlée d'une manière si rebutante. Vous
sentez toute l'importance de cette considération.
« C'est parce que les habitans des campagnes de l'ouest, n'em-
ployoient et n'entendoient qu'un jargon inintelligible qu'ils étoient
livrés à toute l'influence de leurs prêtres, et qu'ils ne pouvoient
entendre les paroles de paix que leur portoient les républicains.
Cette uniformité de langage fera disparoître les antipathies qui se
perpétuent entre les divers cantons pour le reste des Français. Elle
facilitera la communication des lumières en rendant nos auteurs
classiques aussi familiers au ci-devant Basque, à l'habitant de l'an-
cienne Armorique, qu'à celui de Paris » 2.

1. Opinion, I. N., nivôse an VII, p. 4.


2. Opinion, ventôse an VII, p. 6.
CHAPITRE XI

NOUVEAUX PROJETS D'ÉCOLES NORMALES

VELLÉITÉS SANS EFFET.


— Après l'expérience manquée de l'an III,
l'idée d'écoles normales ne pouvait pas être reprise tout de suite.
Elle n'était pas abandonnée pour cela. En vendémiaire an IV, le
Comité d'Instruction publique avait chargé la Commission des rela-
tions extérieures « de faire en sorte d'obtenir des détails sur les
écoles normales organisées à Leipzig »1.
« Les Ecoles normales, dit de son côté Barbé-Marbois en ventôse
an IV, n'ont manqué si complètement leur but que par le vice des
premiers choix, et parce que les départemens n'ont envoyé, pour la
plus grande partie, que des sujets dépourvus de cette première ins-
truction qu'on exigeoit avec raison d'hommes qui venoient apprendre
la méthode d'enseigner » 2.
Le 11 germinal an IV (31 mars 1796), Fourcroy soutenait aussi
que l'expérience faite dans de mauvaises conditions ne prouvait
rien : « De ce que la réussite de cette institution n'a pas été com-
plète, de ce que des plaintes, peut-être exagérées, mais en partie
fondées, ont provoqué sa suppression, de ce que la marche même
suivie dans cette école — il faut encore en convenir — avoit semblé
exiger cette sévère mesure, gardons-nous d'en conclure que l'idée
d'une école normale, d'une école d'instituteurs, ne soit point favo-
rable aux progrès de la raison ; ne craignons pas d'avancer ici qu'elle
est un des plus sûrs moyens de réaliser les établissemens parti-
culiers d'instruction chez un grand peuple ; osons même prévoir
qu'elle sera représentée aux méditations des législateurs, et qu'éta-
blie sur d'autres bases que celles qu'on lui avoit données dans ce
premier essai, elle deviendra la véritable et la seule pépinière des
instituteurs des écoles primaires, et même des professeurs des
écoles centrales » 3.

1. Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 743.


2. Rapport cité, p. 9.
3. Cons. des Anc., Opinion, I. N., p. 6.
Histoire de la langue française. IX. 23
354 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Mais les circonstances n'étaient guère favorables, les écoles pri-


maires n'étant plus affaire d'État. En outre il était trop tôt. Tou-
tefois l'idée d'avoir des écoles de maîtres devait reparaître lors des
discussions de l'an VII. Déjà en l'an V, François de Neufchâteau
comptait rassembler les instituteurs aux chefs-lieux pendant un
certain temps, aux frais des communes, et les former là aux mé-
thodes nouvelles 1. Briot parla aussi dans son Rapport d'un grand lycée
normal (Séance des Cinq-Cents, 27 brumaire an VII—17 novembre
1798). Finalement un arrêté créant un « cours normal » pour per-
fectionner le mode d'instruction employé par les Instituteurs des
Ecoles primaires fut pris le 16 ventôse an VII (6 mars 1799). Les
Ecoles Centrales devaient développer les principes de l'enseigne-
ment à tous les instituteurs et institutrices, soit primaires, soit par-
ticuliers (25 floréal an VII-14 mai 1799). Une école fut créée dans la
Seine. Le citoyen Duhamel parla à l'ouverture 2. Maudru 3 y fut
nommé le 26 fructidor an VII (12 septembre 1799) avec Domergue. Ce
n'était point cette institution qui pouvait fournir aux immenses
besoins de l'Etat.

1. Rec. des Circ., LXXI, 20 fructidor.


2. Aul., Paris..., t. V, p. 522-523. Cf. 579.
3. Il est l'auteur d'un Nouveau système de lecture, applicable à toutes les langues, Paris
et Strasb., vendém. an VIII, in-8°. Ce livre est hérissé de termes techniques, mais
ferme un embryon de phonétique. J. B. Maudru y affiche son titre de Professeur ren-
à
l'Ecole normale du département de la Seine.
CHAPITRE XII

LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES

FERMETURE DU CONCOURS. LHOMOND PRIMÉ.


— Le 14 brumaire, Laka-
nal avait fait un rapport aux Cinq-Cents 1. Une résolution fut prise,
d'après laquelle les ouvrages destinés à devenir livres élémentaires
de la République seraient imprimés à ses frais, distribués aux deux
Conseils et envoyés aux Administrations départementales. La réso-
lution fut transmise le même jour aux Anciens. Une Commission
de cinq membres fut nommée, et, le 30, Barbé-Marbois présenta son
Rapport.
Voici ce qui concerne la grammaire française : « Le jury met
les Elémens de la grammaire française par Lhomond à la tête des
ouvrages de cette classe qu'il a jugés dignes de son suffrage ;
il en propose l'impression, et il a jugé que l'auteur méritoit une
indemnité de 3 000 livres. Le rapport fait au Conseil des Cinq-
Cents ne dit rien de plus, et ce silence est un éloge complet.
Effectivement ce petit ouvrage se recommande assez par lui-même
aux yeux des gens qui ont réfléchi sur l'enseignement pratique.
Simple dans sa marche et dans son style, l'auteur ne dit que ce qu'il
faut pour les enfans, et il le dit ainsi qu'il faut le dire pour leur
âge. Élève du bon Rollin, on voit que Lhomond a vécu long-temps
en observateur avec des enfans. Il appartenoit à une école célèbre
qui commençoit à se réformer et à suivre le siècle, quand elle a
été détruite, et qui n'est point encore remplacée. Ses Elémens ont
le cachet précieux d'une longue expérience. Les éditions successives
dont ils ont obtenu les honneurs annoncent qu'ils n'ont pas été com-
posés pour le concours, comme le petit nombre de bons ouvrages
qu'on y a présentés. Il est difficile, dans un cercle de jours et de
mois déterminé, de tracer un bon traité élémentaire qui doit être le
résultat d'une infinité de combinaisons et d'essais sur l'intelligence
variée et progressive des différens âges ; il faut avoir le temps
d'être court, d'être clair, de s'appuyer sur des faits. C'est à quoi on
1. Moniteur, 5-8 frimaire.
356 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

toujours dans de concours, dont le but


ne songe pas un programme
d'appeler des tours de force oratoires et acadé-
est le plus souvent chaleur du
miques, fruits éphémères de l'imagination et de la
moment. La commission a mis ce livre au nombre des trois ouvrages
dont elle n'eût hésité à proposer l'impression aux frais de la
pas
République » (p. 28-29).
Fourcroy, dans la séance du 11 germinal, proposa, lui aussi, de
restreindre à trois le nombre des livres qui seraient imprimés aux
frais de la République 1. La Grammaire française de Lhomond était
du nombre. Ses conclusions furent adoptées. Ce livre de Lhomond
avait paru en 1780 2. Malgré le vote dont il venait d'être honoré,
le libraire Colas, avec lequel Lhomond avait traité en 1793, con-
tinua à le publier pour son compte. L'édition de l'an V fit néan-
moins mention de la consécration obtenue 3. Les annonces de la
Grammaire de Lhomond furent au moins envoyées par le Ministre
de l'Intérieur aux Administrations de Département 4.
Outre la Grammaire de Lhomond, la Commission avait distin-
gué 1° La Grammaire élémentaire et mécanique5, dont la critique
avait paru intéressante, mais dont la partie dogmatique avait médio-
crement plu. L'idée de commencer par le verbe ne paraissait pas
heureuse. L'ouvrage poussait trop loin l'analyse pour des élèves
qu'aucune comparaison de langues ne préparait à comprendre.
On lui donnait un prix de 3 000 livres.
2° Le Précis de la langue française de Blondin, qui avait été jugé
trop peu nouveau. L'auteur, comme les très vieux grammairiens,
avait présenté des déclinaisons qui n'existaient pas en français. Ses
planches, avec figures, peu utiles pour les enfants, ne paraissaient
guère utilisables pour les écoles publiques (Prix de 2000 livres).
3° Les Notions élémentaires sur la grammaire française, par un
prisonnier français sur les bords du Danube, qui étaient précédées
d'une introduction fort neuve. Mais l'ouvrage était trop savant, et
l'auteur avait oublié qu'il écrivait pour la multitude des maîtres,
qui, hors des grandes communes, ne sont pas tous capables de
comprendre, même dans notre langue, les écrits des savants 6.
Je n'ai aucunement le désir de rabaisser les mérites de Lhomond.
Il faut tout de même convenir qu'il ne valait vraiment pas la peine

1. Opinion, p. 11.
2. Voir Buisson, Dict. péd., art. Lhomond.
3. Il m'a été impossible de retrouver ces éditions.
4. Rec. des Circ., t. I, p. 111.
5. Paris, Pougin, Plassan, Gide, 1795, an IV. Panckoucke, retard, avait néan-
en
moins été autorisé à soumettre son oeuvre (Guill., o. c. Conv. t. VI p. 567).
,

6. Barbé-Marbois, Rapport, p. 29-32.


LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES 357

d'organiser officiellement un grand concours national pour en


arriver à couronner un ouvrage rédigé du temps des collèges et
pour eux.

RÉCRIMINATIONS.
— Panckoucke, mécontent, malgré son respect
pour Lhomond, qu'on considérât une Grammaire faite pour des
enfants qui apprennent le latin comme vraiment adaptée à un rôle
tout différent, se plaignit à Lakanal par une lettre du 10 frimaire
an IV (1er décembre 1795).
Blondin, lui, avait antérieurement demandé au Comité d'Instruc-
tion publique: 1° Que sa méthode fût adoptée comme base élémen-
taire pour l'enseignement, tant du latin que des langues modernes ;
2° Que son nom fût inscrit sur la liste des récompenses ; 3° Qu'on
lui concédât un logement et une salle d'exercices au Louvre pour
applications au tableau ; 4° Qu'on lui accordât un secours pour lui
faciliter l'impression, tant de ses grammaires en différentes langues
que de son Dictionnaire prosodique des mots de la langue française
qui ont le même son (6 thermidor an III—24 juillet 1795). Le Comité
le fit inscrire sur la liste ; il avait renvoyé son Précis au jury des livres
élémentaires et ajourné ses autres demandes 1. Après le jugement
rendu, il ne se tint pas pour battu, et protesta. Le Musée pédago-
gique possède une plaquette rarissime2: Au Conseil des Cinq-Cents.
Observation que soumet le cn Blondin... sur l'article du rapport... du
Jury... L'auteur s'étonne que sa méthode n'ait obtenu que le 3e rang
et ne soit pas parmi les livres à imprimer aux frais de la République.
A dire vrai, l'idée de livres élémentaires, comme tant d'autres,
survécut au concours. Domergue, en l'an V, essaie de présenter son
ouvrage, la Prononciation françoise, comme répondant au type qu'il
faudrait : « Cet opuscule... est, dit-il, un véritable LIVRE ÉLÉMEN-
TAIRE: sorte d'ouvrage dont il n'existe pas peut-être de modèle, et
dont l'essence est de présenter sous une forme simple, de mettre à la
portée de l'enfance ce que la philosophie a de plus exquis... Le simple
savant, le simple praticien, font également mal un livre élémen-
taire ; le premier ajuste des ailes à un enfant, dont la foiblesse le
retient à terre ; le second lui met un bandeau sur les yeux, et le
pique de toutes les épines que son imprévoyance n'a pas écartées.
On ne peut exceller en ce genre, sans la réunion, dans le même
homme, du philosophe, qui conçoit, et de l'instituteur, qui exécute »
(306-307).

1. Guill., o. c, Conv., t. VI, p. 453.


2. N° 11753.
358 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

En l'an VII, François de Neufchâteau, qui avait fait lui-même


une méthode pratique de lecture, essaya de substituer à l'idée du
livre élémentaire, l'idée du cahier où l'élève, faisant preuve d'acti-
vité personnelle, devait consigner les idées et les faits enseignés par
le maître. Nous avons vu renaître cette utopie. Les régimes qui
suivront reviendront à la grammaire d'État.
CHAPITRE XIII
RÉSULTATS INDIRECTS
LES ÉCOLES PRIVÉES S'ADAPTENT AUX NOUVEAUX BESOINS

— Cette étude
TRANSFORMATION GÉNÉRALE DES ÉCOLES ET DES
LIVRES.
ne peut pas se terminer sans une remarque très importante. Une
des causes de l'état misérable des écoles publiques, c'était le déve-
loppement des écoles privées.
Il est à peine besoin de citer des établissements parisiens bien
connus, célèbres même, tels que le Lycée des Arts. Il s'était ouvert
au milieu de 1792, sous les auspices de la Société philomathique1.
Son créateur était Gaullard de Saudray. Ouvert solennellement
après la fin de la Législative, sous la présidence de Fourcroy, il
était installé dans le cirque du Jardin-Égalité, et avait, outre une
immense salle de réunion, des salles de cours, des salons, une
bibliothèque, et jusqu'à des bains et un restaurant.
Toutes les leçons y étaient gratuites, et il faut signaler qu'en
patriotes, les dirigeants avaient entendu se mettre à la portée de
tous, en ouvrant des classes primaires. Il servit grandement les
industries de guerre et l'industrie en général, soutenant et récom-
pensant les inventeurs, organisant des expositions, professant infa-
tigablement les sciences pures et les sciences appliquées. Lors de
la création de l'École Normale, il ouvrit dix cours dialogués où il
offrit aux élèves six cents places gratuites.
Sans être un établissement public, le Lycée des Arts obtint, grâce
à Grégoire et à Lakanal, d'être subventionné en échange de sa
coopération. Mais après un incendie qui le priva de son local,
l'établissement successivement transporté à l'Oratoire et à l'Hôtel
de Ville, dut se transformer. Les cours cessèrent. Le Lycée ne fut
plus qu'une Société d'encouragement.
Pendant ce temps, le Lycée de Pilâtre existait toujours. Il avait
seulement — après épuration — ajouté à son nom l'épithète de

1. Voir un article de Berthelot dans le Journal des Savants (août 1888) ; cf. Dejob,
L'instr. publ. en Fr., p. 156.
360 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

républicain. Au temps de la Terreur, La Harpe était incarcéré, mais


la plupart de ses collègues enseignaient, en bonnet rouge. La crise
passée, le Lycée se mondanisa, et La Harpe y reparut, furieux
de ses souffrances et de ses faiblesses. La langue française y fournit
la matière et le prétexte de leçons retentissantes. C'est là que fut
étudié, après un discours prononcé le 31 décembre 1794, l'abus
des mots dans la langue révolutionnaire, qui fut imprimé sous le
titre de Du fanatisme dans la langue révolutionnaire. En l'absence
:

de La Harpe, entre le 18 fructidor et l'année qui suivit le 18 bru-


maire, Mercier le remplaça. Plus tard, La Harpe dut encore s'éloigner
par ordre (ventôse an X—février 1802). Ginguené y fit bientôt ses
cours de Littérature moderne. Il n'est pas besoin de mettre en lumière
le caractère de l'établissement. La pédagogie y était entièrement
rajeunie. En 1803, après la création des Lycées, le nom étant mono-
polisé, l'établissement, toujours vivant, prit le nom d'Athénée. La
Grammaire générale a joué son rôle au Lycée comme ailleurs. C'est
Sicard qui l'y enseignait 1.
Le Lycée de la Jeunesse fut fondé en nivôse an V. La langue
française y tenait une place peut-être plus considérable que partout
ailleurs. Les objets de l'enseignement étaient :
1° L'Écriture.
2° La Lecture. Les élèves, dans leur division respective, font
chaque jour des lectures communes, suivies de remarques écrites
et orales. Elles sont relatives à la Langue française.
3° L'orthographe. Les Cours et les
morceaux de Littérature
donnés par les professeurs, sont dictés par ceux-ci, aux com-
mençants, mot par mot; et par les élèves, lettre par lettre...
7° Le Style épistolaire.
8° L'éloquence Grecque, Latine et Française.
9° La Poésie 2.
En 1797, les fondateurs d'un Salon des étrangers ouvrirent
un
Lycée des Étrangers, appelé aussi Lycée Marbeul, puis Lycée
Thilusson, du nom de l'Hôtel de la rue de Provence où il transporta
son siège. La Harpe y enseigna également. C'était un véritable
cercle littéraire et artistique où se rencontraient
gens du monde
et hommes de lettres : Chénier, Lebrun, Lemercier, Ducis. Il
publiait le journal : Les Veillées des Muses.
Nous ne saurions énumérer les Collèges
et les pensionnats qui
s'établirent. Beaucoup de ces fondations étaient des restaurations.

1. Il ne semble pas qu'avant 1794 il ait donné Cours suivi. En 1796, son cours
a cessé. Les séances reprennent en l'an IX (1800).
un
2. Voir Coup d'oeil du Lycée de la Jeunesse, Paris,
frimaire an VII p 7-8
LES ÉCOLES PRIVÉES S'ADAPTENT AUX NOUVEAUX BESOINS 361

On sait le bruit que fit la réouverture du Collège de Navarre. Tous


ces établissements, pour différents qu'ils fussent des établissements
républicains, ne reproduisaient pas intégralement l'ancien type; on
n'y avait pas repris des programmes considérés comme archaïques.
« De toute
nécessité il faut réformer le plan d'éducation que l'on
pratique dans toutes nos maisons d'éducation ; elle entraîne avec
elle un dégoût pour la plus grande partie des jeunes gens qui sont
peu portés à apprendre le latin. La manière de leur montrer les
décourage avant d'en connoître les premiers principes »1.
On voit les directeurs du cours d'instruction ouvert au Collège
de la Marche (Montagne du Panthéon) soutenir également la néces-
sité de combiner latin et français 2. L'Institution des Jeunes Fran-
çais, rue St-Dominique, école théorique et pratique, annonce de
son côté qu'elle substituera l'étude des choses à celle des mots,
profitera des dispositions naturelles des enfants à l'observation et à
l'analyse. On pense bien qu'avec un pareil principe elle ne va pas
se cantonner dans le latin. En effet, elle étudie la grammaire
universelle, les langues modernes aussi bien que les anciennes 3.
Dans le Courrier Républicain du 30 frimaire an V, le citoyen
Tache, prêtre de l'Oratoire des Minimes, publie une réclame en
faveur de sa maison d'éducation de la Place-Royale; il y enseigne,
dit-il, « l'étude de la religion et des sciences », le français, le
latin, la géographie, l'anglais et l'allemand4. Blondin recommence
ses cours de français dans la Salle des Ducs et Pairs au Louvre,
le 21 brumaire (11 novembre). La langue y avait sa large place, le
primidi, le quartidi et le septidi (Arch. N., ADVIII 29).

DANS LES DÉPARTEMENTS. Les mêmes changements d'orientation



se remarquent dans des maisons ouvertes au fond des provinces.
Maudru, évêque des Vosges, fonde un « Pensionnat-écoles-chré-
tiennes à Senones pour tous les bons Citoyens des Vôges, de la
Meurthe, des Haut et Bas-Rhin ». Il écrit : « Tous les Citoyens
ne peuvent et ne doivent pas tout savoir : mais certains élémens
sont communs aux diverses fonctions, aux divers emplois de la
société. Il ne faudra que la langue française pour apprendre le
code des lois de la République. L'école de médecine changera
d'idiôme comme la chimie en a changé avec la phisique expérimen-

1. Arch. N., Ecoles libres particulières, sans date, ADVIII 29, p. 5, VIIIe pièce.
2. Arch. N., ADVIII. 26.
3. C'est le même plan que dans l'ancienne école des Jeunes Français.
4. Aul., La Pol. scol. du Dir., dans Revue bleue, 12 mai 1900.
362 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

tale. Il suffira donc, mais il faudra pour se perfectionner dans


l'usage de la langue française, étudier les elémens de la langue
latine » 1. Plus loin l'évêque ajoute : « L'instruction doit changer de
forme ; il faut passer simultanément de l'étude à la pratique,
exercer les Elèves à bien prononcer le français » 2.
Au Gymnase protestant de Strasbourg, reconstitué à grand'peine
à côté de l'École Centrale, quand Beyckert mourut le 29 nivôse
an VIII (18 janvier 1800), pour le remplacer, on employa le mode
républicain de l'élection. C'est Brunner qui fut nommé « tant à
cause de ses connaissances supérieures en français que de ses
autres études excellentes » (Act. Gymn., 160) 3.
Il m'est impossible d'analyser ici les centaines de pièces et docu-
ments qui se trouvent aux Archives, et qui donnent une idée nette
de la place qu'occupait alors la grammaire française dans l'en-
seignement privé; partout la langue nationale tient un rang d'hon-
neur. Et si les détails fournis prouvent à n'en pas douter qu'il y
aurait beaucoup à dire sur les méthodes, assurément trop abstraites,
trop scolastiques, les études étaient solides et sérieuses 4. Or l'arrêté
du Directoire relatif à la surveillance des maisons particulières
d'éducation(17 pluviôse an VI-5 février 1798) ne prescrivaitpas qu'on
s'assurât si l'enseignement de la langue était donné. Les choses
allaient donc de la vitesse acquise : la bataille pour le français dans
les études moyennes était gagnée, l'impulsion donnée eût suffi, si
on ne se fût pas employé à l'arrêter.

LES PETITES ÉCOLES.


— C'est là surtout que l'enseignement libre
triomphait. Mais à quelles conditions et pour quelles raisons? La
première est sans doute qu'on y enseignait la « doctrine chrétienne ».
C'était là une différence essentielle par rapport à l'école publique, et
qui constituait l'avantage principal de ces maisons. Mais ne s'en était-
on pas assuré d'autres ? Avait-on restauré les anciennes méthodes et
les anciens programmes? En aucune façon. En général, l'école libre
lutte contre l'école publique en lui empruntant
ses programmes.
Je dirai plus, elle les affiche et s'en fait
une réclame. Sous le Di-
rectoire, l'annonce d'un cours de français était un gage de succès :
Pension de jeunes demoiselles, rue de Courcelles, n° 276
:

1. En note Ceux qui auront de la vocation


« l'état ecclésiastique, se perfec-
:
pour
tionneront, au séminaire, dans l'usage de la langue latine
2. Colège de Senones. p. 7 et 8. ».
3. Toutefois ce n'est pas en français qu'on enseignait (Reuss, Gymn.,
p. 216). L'alle-
mand du reste n'était guère mieux su que le français. Le patois l'envahissait. La
maire s'enseignait encore en latin. A Bouxviller, l'allemand régnait de même gram-
4. Arch. N., F17 1337, doss. 16,
an VIII
Voir
LES ÉCOLES PRIVÉES S'ADAPTENT AUX NOUVEAUX BESOINS 363

« La citoyenne Leroux, Institutrice depuis vingt ans, leur enseigne


(aux élèves) elle même, la Géographie, l'Histoire, les langues
Française, Italienne et Anglaise » (Arch. N., ADVIII 29, Écoles libres
particulières, sans date, p. 10).
Maison d'éducation pour les jeunes gens depuis cinq ans jusqu'à
quinze. Hôtel ci-devant Laval, rue du Mont-Parnasse :
« La lecture, l'écriture, la langue française, la langue latine, la
littérature et les mathématiques entreront dans l'essence de son
enseignement.
« Deux Citoyennes, de moeurs douces leur donneront des soins
maternels... Une d'elles a fait une étude particulière de la langue
française et des mathématiques, de l'italien et de l'anglais, de la
musique et du dessin » (Arch. N., ADVIII 29, Écoles libres, pièces
détachées, sans date).
A l'Institution libre tenue rue Honoré par Ousouf (Élève de l'Ecole
Normale ) 1, le programme comporte : La langue française et la latine,
qui « se serviront réciproquement de terme de comparaison ».
Il en était de même en province.
Un instituteur libre du Nord, Jean-Louis Mortelette, d'Aniche, se
présente pour profiter de la loi qui a permis à tous d'enseigner. Son
programme, du 8 brumaire an III (29 octobre 1794), débute ainsi :
«J'apprendrai... les connaissances des caractères de l'alphabet,
épeler, lire et écrire, parler la langue françoise dans sa plus grande
pureté... Ceux qui désireront faire des progrès dans la grammaire,
la rhétorique et la poésie françoise me trouveront toujours très
disposé à leur communiquer mes lumières à cet égard » 2.
Tant de prospectus de ce genre ont été conservés que je ne
m'arrêterai pas à des départements acquis depuis longtemps. Dans
ceux qu'il s'agissait encore de conquérir, le français n'est pas
négligé. Peut-être, en poussant l'étude très à fond, trouverait-on
des distinctions à faire. Ainsi il semble bien qu'en Alsace les
établissements catholiques aient été plus ouverts à la francisation
que les établissements protestants. En tous cas n'est-ce pas un signe
des temps que de trouver des écoles où on annonce qu'on punira
l'enfant surpris à parler allemand?
Je donnerai seulement une poignée de faits. A Barr, le pasteur
Fritz fonde une école libre. Dans une lettre du 2 germinal an II
(22 mars 1794), il annonçait cette fondation à ses concitoyens 3. Le

1. Arch. N., ADVIII, 29, p. 2. Le directeur, tout en arborant son titre, se « défie de
l'obscur néologisme de l'Ecole dite Normale ».
2. Arch. Dép., L. T. 1024, dans Lennel, o. c, p. 66.
3. Voici la lettre où Fritz communique ses intentions: « Barr, den 2. Germinal, II.
364 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

pasteur Schweighaüser fonde aussi une école. Une troisième est


ouverte en 1796 par François Humbert, une autre en 1797, bref
1802, 5 écoles libres enseignent, avec 264 enfants. Partout on
en
mentionne expressément que le français sera enseigné.
Je ne prétends pas soutenir bien entendu que toutes les écoles
se rangeaient à ces vues. Il suffit de lire le discours inaugural de
J. N. Belin de Ballu, l'helléniste bien connu, pour se rendre
compte qu'aux yeux de certaines gens, le français ne comptait
toujours pas et ne valait guère être enseigné 1.

Jahr der französischen Republik. Mitbürger, Maire und Municipalbeamte, Ich gedenke
die Erlaubnis zu benüzen, welche das Gesetz vom 29. Frimaire (19. Dezember) jedem
guten Bürger ertheilt, der Republik durch Bildung guter und aufgeklärter Bürger und
Bürgerinnen nüzlich zu werden.
« Ich gedenke Schulen fur Söhne und Töchter von eilf Jahren und drüber zu eröffnen
und ihnen über folgende Gegenstände Unterricht zu ertheilen : Anfangsgründe der fran-
zösischen und teutschen Sprache, die Constitution, die wichtigsten Lehren der Weisen
aller Völker und Zeitalter von Gott und den Pflichten der Menschen, das Gemeinnü-
tzigste aus Erdbeschreibung, Völkergeschichte, Naturkenntniss, Rechnenkunst und
Schönschreiben.
« In meinem ganzen Unterricht werde ich den patriotischen Sinn, die warme Liebe
fur Tugend und die Aufklärung zu meinem Augenmerk machen, wodurch der Mensch
der Freiheit würdig und empfänglich wird, wodurch das öffentlicheWohl befördert und
häusliches Glück möglich wird » (Hecker, Die Stadt Barr von der französischen Revolu-
tion bis auf unsere Tage. Strasbourg-Colmar, 1911).
1. 10 floréal an IX—30 avril 1801. Pour l'inauguration du Gymnase littéraire et des
arts de Versailles. Imp. Locard fils.
LIVRE IV
LES FÊTES, LES CULTES ET LE FRANÇAIS

CHAPITRE PREMIER

ORGANISATION OFFICIELLE

ABOUTISSEMENT TARDIF.
— Après thermidor, certaines manifesta-
tions n'avaient plus aucune chance de se renouveler. D'autres ne
pouvaient retrouver leur ancien éclat. L'autel de la Raison gisait à
terre, et le culte de l'Être-Suprème ne pouvait continuer, quoiqu'il
traduisît des sentiments qui étaient ceux d'une grande partie du
peuple français. Il avait été frappé à mort par le patronage du
«tyran »1. Malgré tout, la confiance des Gouvernants dans l'effet
d'édification produit par les fêtes n'était nullement ébranlée. On
pourrait même dire que les républicains, au fur et à mesure qu'ils
se désabusaient de l'illusion que les lois suffisent à changer les
hommes, ne mettaient que plus d'ardeur à agir sur les esprits par
une propagande éducative, capable de déterminer la masse à suivre
la direction qu'on lui donnait 2.
Le Ier nivôse an III (21 décembre 1794), Marie-Joseph Chénier
avait déposé son rapport au nom du Comité d'Instruction publique ;
le 9, la Convention provoquait les projets en vue d'une organisation
régulière des fêtes publiques. Les projets vinrent en foule, mais
rien de définitif ne fut fait. Le décret du 18 floréal ne fut même pas
rendu exécutoire. C'est seulement à la veille de sa séparation, le
3 brumaire an IV (25 octobre 1795), que la série légale des fêtes

1. Voir sur ceci et sur tout ce qui suit l'exposé magistral de Mathiez. La Théophilan-
thropie... p. 23. Cf. Guill., o. c, Conv., t. I, p. 535, 556; t. II, p. 113; t. III,
p. 508 ; t. V, p. 273, 337, 457.
2. Grégoire note déjà que « les motifs qui avaient servi de prétexte à la création des
fêtes décadaires subsistaient ou plutôt qu'ils se développaient avec plus de force ».
(Mathiez, Théoph., 25.)
366 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

fut fixée, après un rapport de Daunou, et qu'elles prirent leur


place dans le calendrier républicain 1.
Le 27 ventôse an V (17 mars 1797), le ministre de l'Intérieur, Béné-
zech, envoya une instruction sur les programmes. Il y eut un
ordonnateur en chef, chargé surtout du matériel, et un bureau des
fêtes, théâtres et monuments, dont « le grand objet » fut « d'amé-
liorer peu à peu les moeurs, de procurer au peuple l'instruction, de
l'attacher à ses nouvelles lois à l'aide des fêtes nationales, des jeux
utiles, solennités et cérémonies publiques ». Le bureau envoyait aux
administrations et aux armées les chants et hymnes, que le Conser-
vatoire publiait chaque mois dans le Journal des chants civiques.
François de Neufchâteau imprima aux fêtes une véritable direc-
tion. On donnait aux municipalités non seulement le rite, mais jus-
qu'au thème des discours. Et le metteur en oeuvre ne manquait ni
d'imagination ni d'esprit.
Les réunions décadaires elles-mêmes eurent leur programme,
intelligemment choisi. Le Bulletin décadaire apportait la matière;
dans les villes, les professeurs des Ecoles Centrales, dans les villages,
les instituteurs étaient invités à y prêter leur concours. Des manuels,
des recueils de chants étaient en préparation, lorsque le ministre fut
révoqué et remplacé par Quinette (4 messidor an VII—22 juin 1799).

LA THÉOPHILANTHROPIE.
— Le culte le plus important fut celui des
Théophilanthropes. Il a tenu plus de place et eu plus de succès qu'on ne
l'a dit. Les recherches modernes l'ont bien montré. Le mémoire
retentissant de La Reveillère-Lépeaux, lu devant l'Institut dans la
séance du 12 floréal an V (1er mai 1797), en était l'apologie. Leclerc
proposait une sorte de liturgie (Mathiez, Théoph., p. 153). L'insti-
tution eut l'appui de l'État, malgré l'opposition de Carnot et de
quelques clairvoyants, et, après fructidor, fut appelée par son pontife
à « modifier la substance de l'homme », simplement. La théophi-
lanthropie a groupé des hommes très distingués et attiré beaucoup de
ces déistes dont l'époque fourmillait. Elle fit son entrée solennelle
dans les églises, qu'elle partagea souvent avec les
« frères catho-
liques ». Elle eut même ses écoles
— avec enseignement de la
grammaire française — et on put croire un moment qu'un grand
avenir lui était réservé.

1. Les sept fêtes nationales étaient: fête de la fondation de la République (1er


démiaire-22 sept.), fête de la jeunesse (10 germinal-30 mars), fête des époux ven-
(10 flo-
réal-29 avril), fête de la reconnaissance (10 prairial-29 mai), fête de l'agriculture
(10 messidor-28 juin), fête de la liberté (!) et 10 thermidor-27 28 juillet);
vieillards (10 fructidor-27août). Le premier Directoire ajouta et fête des
trois fêtes nouvelles :
Anniversaire de la mort de Louis XVI; 14 juillet 10 août.
;
ORGANISATION OFFICIELLE 367

Mais en ce qui nous concerne, il n'y a guère à tenir compte de


la théophilanthropie. Les cercles constitutionnels, qui l'appuyèrent
tant qu'ils vécurent, étaient loin d'être répandus, comme les sociétés
populaires de l'an II, sur toute la surface du pays. Il n'y eut que
quelques départements, tels que l'Yonne, où cette religion arriva à
pénétrer au village. Là on la vit s'installer jusque dans des agglo-
mérations de quarante feux (Malay-le-Petit)1. Ailleurs elle resta
confinée dans les villes, et n'agit en aucune façon sur les patois.

LES FÊTES DÉCADAIRES.


— La seule influence durable eût été celle
de réunions périodiques et fréquentes, telles que les fêtes déca-
daires. Un arrêté du 14 germinal an VI (3 avril 1798) et les lois du
17 thermidor, puis du 28 fructidor, les réorganisèrent. Mais le décadi
était en exécration chez les catholiques ; son culte, en concurrence
avec les « offices », était proscrit. Malgré les ordres réitérés, on ne
parvenait à l'imposer qu'aux autorités 2. Pris en soi du reste, il ne
présentait pas les caractères nécessaires à un culte populaire.
D'abord on manquait d'idoles. Les fêtes étaient exclusivement consa-
crées à des souvenirs récents autour desquels la légende n'avait pas
eu le temps de se former — celle de Lepelletier et de Marat n'avait
pas été remplacée — ou bien elles étaient destinées à l'exaltation
de vertus abstraites. Les héros auraient eu besoin d'apparaître
comme des saints ; on leur conservait au contraire le caractère humain,
pour hausser jusqu'à eux ceux qui auraient leur bonne volonté et
leur foi, de sorte qu'ils n'avaient point l'attrait mystérieux qui plaît
à l'imagination des foules. Pour émouvoir les coeurs, il eût fallu du
reste qu'on les trouvât fidèles aux premiers enthousiasmes ; or ils
étaient aigris par des désillusions, alarmés aussi par les propos mal-
veillants de ceux qui opposaient les « saturnales » républicaines à
la religion et les représentaient comme de damnables parodies.
Aussi, en dépit des Ça ira, ça n'allait pas, ou plutôt « ça n'allait
plus ». La République, partout battue en brèche, paraissait près de
succomber. Dans les villes même, les cérémonies se traînaient
devant quelques spectateurs amenés par la curiosité, ou même venus
pour gouailler. Politiquement, on sortit d'embarras par le coup
d'État de fructidor. Restait la grosse et véritable difficulté, reprendre
l'opinion. Un grand nombre de penseurs et de politiques proposèrent
leurs plans. On imagina des religions et des cultes : culte social,
culte naturel, adorateurs de la liberté et de l'égalité, etc.
1. Math., Théoph., p. 359 et 377.
2. « Le jour du décadi n'a pas d'attrait dans les campagnes, faute de quelques fonds
pour payer des instruments », Auch, 23 nivôse an II (Aul., Act. du Com. S. P., t. X
p. 211).
368 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Il eût été nécessaire aussi que la célébration en fût accompagnée


de la pompe, et célébrée dans le décor dont les grandes villes
seules pouvaient payer le luxe et régler l'ordonnance. Les prêtres
qui y étaient attachés, magistrats locaux, vieillards — on avait
beaucoup compté sur les vieillards, — sans habits de cérémonie,
sans gestes consacrés, manquaient de prestige 1. Leur
intelligence
insuffisante des symboles qu'ils exaltaient, leur inhabileté à manier
la parole et à trouver les mots qui touchent, firent que les assistants
devinrent de plus en plus rares, surtout alors qu'une misère géné-
rale avait détruit bien des espoirs.
En l'an II, dit excellemment Mathiez, tous ceux qui participaient
aux fêtes civiques, communiaient entre eux en un même sentiment :
l'amour enthousiaste de la patrie, source du bonheur futur. En l'an
VII, le scepticisme est veau et a desséché les âmes. L'image resplen-
dissante de la patrie s'est effacée dans le lointain, derrière les laides
figures des politiciens, qui s'en constituaient les fondés de pouvoir.
La foi en la valeur souveraine des institutions n'a pas résisté à la
secousse répétée des réalités. Le patriotisme, qui était une religion
au début de la Révolution, n'est plus guère maintenant qu'une
opinion politique 2.
Ce fut bientôt le retour monotone et obligatoire de cérémonies
vaines et froides, qui ne pouvaient avoir sur les masses désenchan-
tées aucune influence, d'aucune sorte 3.

TRIOMPHE DU DIMANCHE.
— De plus en plus le dimanche triom-
phait. Malgré tous les efforts du gouvernement et de ses agents, les
masses rurales préféraient « la messe et le chapelet » à la lecture des
lois et des actes, et la Légende dorée aux relations des victoires. La
République était dépopularisée.
Dans les communes rurales, les réunions décadaires sont nulles,
écrivait le Commissaire central de l'Aube4. Dans les campagnes,
reprenait celui des Landes, on ne les célèbre jamais.
On avait espéré y intéresser les familles en fixant au décadi les
mariages civils, occasion naturelle de réunions joyeuses. En fait,
on obligeait par là les familles et leurs invités à des dépla-
cements gênants, et quelquefois coûteux, auxquels l'édification ne

1. Souvent la caducité forme un tableau triste (Lefébure, Rapp. Carpentras, 25 nivôse


an II-14 janv. 1794, dans Caron, o. c t. II, p 176)
2. Théoph.. p. 534-535. ,
3. Sur la décadence des fêtes, même à Paris, voir Aulard Paris.. , t. V, p. 116-118,
154, 167, 197,227,238,241,299, 411, etc.
4. Mathiez, Théoph., p. 501.
ORGANISATION OFFICIELLE 369

gagnait rien, quand encore la cérémonie ne tournait pas au chari-


vari.
Il serait peut-être exagéré de dire que la langue ne profita pas de
ces réunions. Elles ne furent pas en tous cas ces « écoles primaires
des hommes faits » qu'on avait rêvées. Qui sait si, dans certains
endroits, les autorités parlaient le français ? Il est bien douteux
que dans les petites localités d'Alsace, on se soit servi d'un autre
idiome que de l'allemand 1.

1, A Strasbourg, c'est en allemand qu'était rédigée la publication périodique sub-


ventionnée par la municipalité, qui mettait à la disposition du peuple des chants et
hymnes patriotiques (Mathiez, Théoph., p. 492).

Histoire de la langue française. IX. 24


LIVRE V
LE CULTE CATHOLIQUE ET LE FRANÇAIS

CHAPITRE PREMIER

EN FAVEDR DE LA LANGUE NATIONALE

LA SÉRIE DES PROTESTATIONS CONTRE LE LATIN CONTINUE.


— Une der-
nière chance se présenta encore à cette époque pour la langue fran-
çaise, celle de gagner une place plus large dans le culte catholique
restauré. Nous avons donné, dans un chapitre antérieur, des textes
où, dans une intention pieuse, on avait demandé l'abandon complet
ou partiel du latin. Il n'est pas surprenant que plusieurs des Conven-
tionnels qui se sont occupés d'instruction publique aient proposé que
cette substitution d'une langue à l'autre se fit par autorité. Romme
s'élève contre l'usage d'officier en latin, ce qui est « saintement faire
chanter au peuple son ignorance et sa sottise »4 . L'esprit de
l'Église, dit à son tour Lavoisier, a toujours « répugné à toute inno-
vation, et parce que les premiers chrétiens parlaient et priaient en
latin, on en a conclu que dans quelque pays que ce fût, quelque
changement qui pût arriver dans le langage vulgaire, il fallait prier
en latin jusqu'à la consommation des siècles » 2.
Mais vint un temps où incontestablement les Révolutionnaires
espéraient détruire le catholicisme. Il ne s'agissait plus alors ni de
modifications, ni même de transformations dans ses rites ou son
organisation ; on cherchait à l'extirper, et pendant cette période, le
clergé assermenté subit lui aussi d'odieuses persécutions.
Un des griefs qu'on fait à l'Église, c'est qu'elle parle une langue
étrangère 3. La Feuille villageoise, organe des « curés rouges », fait

1. Rapport du 20 déc. 1792, dans Gnill., o. c., Conv., t. I, p. 203.


2. Réf. sur l'instr. publique, dans Guill., ib., t. II, p. LVIII.
3. Cf. « Il lui reste à détruire ceux (les hochets) de l'imbécillité. C'est une vérité dont
il est convaincu depuis qu'au lieu d'entendre psalmodier dans ses temples un langage
qu'il ne comprenait pas, il y entend les éternelles vérités de la raison » (Rapport du
Repr. à Brest, 1er pluviôse an II, Aul., Act. du Com. S. P.. t. X, p. 339).
372 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

allusion à latin que les prêtres chantent et qu'ils n'en-


souvent « ce
plus (Décadi, 30 ventôse, Ve Année, N° 33).
tendent pas que nous » !

La Société populaire et montagnarde de Lorient demande, dans


adresse du 21 frimaire an II (11 décembre 1793), que ceux qui
une
voudraient, par une langue étrangère et inconnue, tromper encore le
Peuple soient « tenus de faire entendre, dans la langue nationale,
les prières qu'ils disent adresser, au nom du Peuple, à l'Eternel » 1.
Le Dimanche 26 mai an II, dans un Discours au Club révolution-
naire des vrais sans-culottes, Lonqueue écrit : « Les prêtres... ont
toujours contrarié le bon sens ; ils ont toujours parlé un langage
mystérieux et absurde » (Paris, Impr. du Lycée des Arts, réimpres-
sion, p. 3).
C'est tantôt un mot en passant, tantôt une diatribe : Un ex-curé
« ne
craignait pas de mêler la superstition à l'acte civil ; il bénissait
l'anneau et en faisait faire la ridicule cérémonie en marmottant du
latin ». (Crassous, de Montfort Brutus, 6 prairial an 11-25 mai 1794,
Aul., Act. du Com. S. P., t. XIII, p. 747).
« Ces prêtres
oisifs, ces célibataires corrompus, complices des
ennemis du peuple, ne faisaient consister leur culte que dans des
cérémonies bizarres et dans un jargon inintelligible » 2.
«
Quel mal fais-je, écrit Chantreau dans ses Documents, quand
je ne crois pas faire une bonne oeuvre en allant tous les huit jours
entendre parler latin à un homme qui gesticule devant une table
carrée, y boit un coup, se retourne pour me parler latin, me salue
et s'en va ? »3
En l'an IV, l'écho de ces récriminations retentit encore : « Ils
ont abruti l'espèce humaine au point d'interdire à chaque nation
l'usage de sa propre langue ; ils ont persuadé à ce troupeau de
dupes, qui les suit, qu'il faut, pour honorer dignement la divinité,
hurler, du malin au soir, de prétendus cantiques écrits dans la
langue des Hébreux, et platement traduits dans un latin que la mil-
lième partie de ceux qui les crient ne comprend point » (Discours
de P. F. Real, lors de la fête des Victoires, à Bruxelles, 10 prairial
an IV 29 mai 1796, dans le Rédacteur, n° 219).
Cependant, depuis qu'était intervenu le bienfaisant décret sur la
liberté des cultes, ceux qui n'avaient pas cessé de travailler à
réconcilier la Révolution et le Christianisme purent se remettre à
agir et à espérer, en dépit des réfractaires et de leurs anathèmes.

1. Jullien, Adresse, p. 6.
2. Un citn de la Soc. pop. de Chal. s. Marne
aux Jacobins de Paris, 13 prairial an II
dans Aul., Soc. de Jacob., t. VI, p. 164.
3. Aul., Le Cult. de la Rais., p. 150.
EN FAVEUR DE LA LANGUE NATIONALE 373

Grégoire, qui n'avait abdiqué ni son caractère de prêtre, ni sa foi


de patriote, devait parler de ce sujet dans son Rapport de prai-
rial. Il n'y a pas manqué. Dès le 30 juillet 1793, il avait exposé ses
vues : « Leur anéantissement (des patois) sera plus prochain encore,
si, comme je l'espère, vingt millions de catholiques se décident à
ne plus parler à Dieu sans savoir ce qu'ils lui disent, mais à célébrer
l'office divin en langue vulgaire »1.
Dans un ouvrage intitulé : Du nouvel ordre social fondé sur la reli-
gion, un des républicains les plus fermes, membre du Conseil des
Cinq-Cents, Bancal [des Issards], trempé par l'épreuve, et profon-
dément religieux, écrivait sous la même inspiration : « La sainte
Messe et les saints offices de notre Religion... qui sont célébrés et
prononcés en latin, rendent la parole de Dieu inintelligible au
peuple... Tout ce qui intéresse la Religion devrait être présenté de
manière à produire des fruits utiles » 2.
« La traduction en français de tout ce qui regarde la religion
seroit, je pense, non une réforme, mais un devoir des prêtres qui
sont revêtus de la sainteté, une oeuvre de charité qui feroit jouir le
peuple de toutes les consolations de la religion ».
« Je crois pouvoir assurer que ce seul changement
changeroit en
mieux les moeurs du peuple françois..: Que les prêtres qui ont le
caractère de sainteté, autorisés par l'église, nous disent la messe et
les offices en français... Alors les Français auront l'esprit de la
République, l'esprit le plus parfait qui ait encore existé » 3.

1. Discours du citoyen Grégoire sur l'éducation, Guill., o. c, Conv., t. II, p. 177.


2. P. 111. Les novateurs, en citant ce passage, ont retranché ce qui concerne la
Messe, par peur d'être pris pour des protestants. Bancal y reviendra : « J'ose transcrire
en français le commencement de la sainte Messe » (p. 512).
3. A la fin, la date de la rédaction est donnée : 2 vendémiaire an VI (23 sept. 1797).
CHAPITRE II

LE CONCILE NATIONAL

AVANT LA RÉUNION. Quand le premier Concile de l'Eglise gal-



licane dut se réunir, on ne manqua pas d'attirer son attention sur
cette question '.
On pourra consulter d'abord la brochure de Jti L.-N. Réformes à
faire dans l'extérieur du Culte catholique, substituer le français au
latin pour la prière publique, etc. Demandé au Concile de l'Église
Gallicane. L'auteur a souffert des persécutions, comme l'Église elle-
même. C'est parce que Dieu est seulement honoré des lèvres, que
dans sa sagesse il a renversé et entraîné dans le tourbillon de la
Révolution des sacrificateurs, ses Autels, ses Temples. « Le seul
moyen de ramener sa miséricorde est de lui former des Adorateurs
en esprit » (p. 5). Dans quelle langue doit-on rédiger les Décrets et
Canons? « Je réponds : Ce doit être en Français ». Vous annoncez
dans le § 8 de l'Organisation des travaux du Concile : Partie de la
Lithurgie en langue vulgaire. Pour moi je ne balance pas de vous
dire, que, dans le véritable intérêt de la Religion, il faut qu'elle le
soit entièrement » (p. 4). Et c'est facile. Rien ne manque, ni tra-
ductions, ni morceaux lyriques susceptibles d'être adaptés à des
chants religieux (p. 3). « Ce seroit un travail d'autant plus digne de
la Commission que le Concile en chargeroit, que, en rendant,
comme on vient de le voir, un service signalé à la Religion, elle y
rattacheroit bien des individus que nos Frères Prétendus réformés
et la nouvelle Secte des Théophilanthropes2 séparent journellement
de notre réunion Catholico-Chrétienne, et essentiellement par ce

1. Dans l'évèché de Perpignan le synode du 2 messidor juin 1798) décide :


an VI (2
Art. 3
« Quant
à la refonte des goigs ou éloges de certains Saints, il a été délibéré de n'en
permettre l'impression en catalan qu'avec la traduction française, desquels un original
devroit être déposé aux archives du presbytère (Corr. Grég., Pyr.-Or., Bibl. de la Soc.
»
des Amis de P.-R.).
2. « Aucune (secte) ne devient plus rivale de notre religion celle des Théophi-
lanthropes, dont la simplicité du dogme (c'est précisément que
ce qu'on appelle Religion
naturelle), la popularité du langage, la brièveté de leurs exercices... favorisent singuliè-
LE CONCILE NATIONAL 375

moyen de l'appas des Prières simples, courtes et toutes en français.


Elle rempliroit, en même tems, un des voeux de nos nouvelles Loix
qui exigent qu'on ne parle plus d'autre langue que le Français ;
auquel, déja spontanément les Nations, même nos rivales, rendent
l'hommage d'abandonner la leur propre, et la Latine dont elles se
servoient ci-devant, pour rédiger leur divers Traités » (p. 6) 1.
Dans les Observations pour être présentées au Concile national,
Copin, curé de Noirmont (Mont-Terrible) demande, le 10 Août 1797
(23 thermidor an V), à l'article 4, qu'on confronte la liturgie mo-
derne avec les anciennes qui se trouvent dans les « bibliothèques »,
et que « les prières en soient faites au moin (sic) en partie en langue
vulgaire » 2.
Un ancien Bénédictin, Dufeÿ, écrit aux évêques assemblés (22 ther-
midor an V) : « L'étude de la langue latine étant absolument négli-
gée à présent, et la fondation des Séminaires étant devenue presque
impraticable, le seul remede à ces grands inconvéniens seroit de
permettre de faire la liturgie et l'office divin en Langue vulgaire ».

LA QUESTION EST POSÉE 3.


— Le Concile réuni forma plusieurs congré-
gations, dont la congrégation de liturgie, constituée le vendredi
23 Août 4. Elle avait à son programme : 1° Uniformité dans la Litur-
gie... 4° Cérémonial gallican, 5° Partie de la Liturgie en langue vul-
gaire 5. Je n'ai pas retrouvé les discours, s'il y en a eu. Mais il suffit
de lire les procès-verbaux pour constater que la majorité des « Véné-
rables Pères » ne se décida qu'avec répugnance.
Séance du trois novembre 1797, vendredi matin, 13 brumaire an
VI (Procès-verb., f° 100 v°) :
« Le projet de decret concernant la lithurgie est soumis à la
discus-
sion. Plusieurs articles sont successivement mis aux voix et Décrétés.
« On reprend la discussion du decret concernant la
lithurgie. Sur le
7e article, un membre observe que cet article semble donner

rement la paresse de l'homme. On ne saurait croire combien, déja, ses progrès sont
rapides, même dans la classe du commun du peuple » (p. 6).
1. On remarquera que l'auteur, qui est à Bayonne, ou de Bayonne, ne fait pas la
moindre allusion au dialecte local. Il accepte sans réserve la thèse de la langue une.
2. Bibl. de la Soc. des Amis de P.-R. Cf. « Ces mêmes demandes, réitérées au
Concile national, de différentes parties de la République, et notamment dans une lettre
des ecclésiastiques d'Autun, mon diocèse natal, et la manière dont le concile les
accueillit, m'ont enfin engagé à m'en occuper plus sérieusement depuis trois ans, et à y
procéder par principes » (Dissert., p. 30).
3. Un bref résumé de ce qui suit se trouve dans Actes du second Concile National,
Paris, an X, t. III, p. 201-204,
4. Elle était composée de Grégoire (Evêque de Blois), Royer (Evêque de Belley),
Daire (Proc. de l'Ev. du Puy), Juglar (Proc. de l'Ev. de Digne), Servois (Proc. de
l'Ev. de Mandes) (sic).
5. Procès-verb. ms., f° 34 v°, Coll. Grég., Bibl. de la Soc. des Amis de P.-R.
376 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

saints mysteres devraient être celebrés en lan-


à entendre que les
qui lui paroit dangereux soit à raison de la mobilité
gue vulgaire, ce pourroient
des langues vivantes, soit parceque certaines personnes
scandalisées, soit parcequ'on pourroit en prendre occasion
en être
de calomnier le Concile. On répond qu'il n'est pas question de la
celebration de la messe en langue vulgaire. Néanmoins on demande
et on adopte l'ajournement de cet article après le rapport qui sera
fait dans le courant de la semaine prochaine sur les parties de la
lithurgie qui peuvent être mises en français.
Sur le 9e article, on dit que c'est de ce principe que sont partis
«
les novateurs du 16e siecle, qu'il n'est nullement à propos de faire
actuellement aucun changement, et qu'il faut renvoyer le tout au
futur Concile. On répond qu'il n'est pas question de rien changer
quant à present, mais seulement d'indiquer les bases d'après les-
quelles on peut disposer les matériaux.
(Renvoi)... L'article 7 : «La liturgie doit, autant qu'il est possible,
associer l'intelligence des fideles au sens des prieres et des cérémo-
nies », est ajourné.

LE DÉCRET. — Malgré ces hésitations, on aboutit pourtant à un


Premier décret sur les différentes parties de la liturgie. Il portait:
Art. III. « La lecture de l'Epitre et de l'Evangile, le prône et l'ins-
truction aux messes parroissiales sont, pour les pasteurs, d'une
obligation indispensable.
« Dans les parroisses où
il y a plusieurs messes le Dimanche, outre
la messe parroissiale, à la premiere et à la derniere, après l'epître et
l'evangile on les lit aux fideles en langue vulgaire avec les réflexions
qui les accompagnent.
« Le Concile exprime le desir que cette lecture ait lieu à toutes
les messes » 1.
Un second décret fut adopté dans la séance du jeudi matin
9 novembre 1797 (19 brumaire). Il disait : « Le Concile national,
considérant que si la liturgie doit, autant qu'il est possible, associer
les fideles aux prieres du célébrant et leur intelligence au sens de
ces prieres, l'application de ce principe doit etre cependant subor-
donnée aux mesures de sagesse chrétienne que commandent les cir-
constances, décréte :
Art. I. A dater de la publication du présent décret les prieres du
prône seront faites en français, dans toutes les Eglises catholiques
de France.
1. Adopté le lundi matin 6 novembre 1797 (16 brumaire VI). Procès-verb. fn 105
r°; cf. Ann. de la Rel, an ms.,
t. VI, 3e Année, 25 brumaire an VI (15 nov. 1797),
p. 81.
LE CONCILE NATIONAL 377

Art. III. Dans la rédaction d'un rituel uniforme pour l'Eglise gal-
licane, l'administration des sacremens sera en langue française : les
formules sacramentelles seront en latin.
Art. IV. Dans les diocèses où des dialectes particuliers sont en
usage, les pasteurs sont invités à redoubler leurs efforts pour ré-
pandre la connaissance de la langue nationale »1.
Comme on voit, pour favorable qu'il fût au principe que la liturgie
doit, autant que possible, associer l'intelligence des fidèles au sens
des prières et des cérémonies, le Concile ne prit que des demi-
mesures. Encore celles que prescrivait le second décret n'avaient-
elles été discutées, semble-t-il, ni en commission, ni en séance.
Il n'y a aucun doute que le meneur dans toute cette affaire avait
été le président de la Congrégation, Grégoire.
Je ne crois pas que Grégoire fût le moins du monde le « com-
plice des protestants ». Mais il est incontestable que ceux-ci avaient
saisi au vol ses propos et qu'ils les avaient accueillis avec joie.
Blessig, son « digne ami » de Strasbourg, s'en est plusieurs fois entre-
tenu avec lui. Déjà le 3 pluviôse an III (22 janvier 1793), il lui écrit :
« J'ai distingué... avec une vive satisfaction dans ton discours l'ex-
pression: de « prières en langue étrangère » 2. Le 27 ventôse (17 mars
1795), il rapporte à Grégoire ses impressions sur une fête : « J'ai
conjuré les larmes aux yeux les protestants et les catholiques qui
furent présents, de bannir à jamais tout esprit de parti, tout senti-
ment haineux, et tout morcellement de secte que pourroient occa-
sionner des vues honteuses d'amour propre, de ressentiment,
d'arrogance, de cupidité ou de fanatisme... Ai-je tort, mon res-
pectable ami, si je m'attends à entendre bientôt parler de vos
offices, hymnes et liturgies en langue française ? » 3 Le 27 germinal
an IV (16 avril 1796), nouvelle lettre : « Vous le dirai-je cependant?
et vous voulez que je le dise : Votre sévérité envers les prêtres
mariés et votre indulgence pour quelques rits, dont vous-même
sembliez desirer la réforme, comme par exemple l'usage liturgique
de la langue latine, ne m'ont point étonné à la vérité, car j'ai senti
la force des motifs et des temps, mais j'ai été affligé de voir que le
bien que vous desirez de faire ne peut point s'opérer encore » 4.
Grégoire fût allé beaucoup plus loin que ses confrères, si la majo-
rité y eût consenti.
C'était une des supériorités des cultes révolutionnaires, une de
1. Proc. verb. ms., 110 r° ; cf. Ann. de la Rel., t. VI, p. 82-83. Un troisième décret
ne fut pas publié.
2. Corr. Grégoire, Bas-Rhin, lett. 7. Bibl. de la Soc. des Amis do P.-R.
3. Ib., lett. suiv.
4. Ib., lett. suiv.
LANGUE FRANÇAISE
378 HISTOIRE DE LA
celles sur lesquelles comptaient leurs créateurs que cette faculté

d'être compris des foules. Les Représentants en mission en triom-

phaient à l'occasion. elle aussi, sur le catholicisme


La « théophilanthropie » présentait,
supériorité. De Château-Thierry, l'instituteur Rubarbe écrivait
cette
à un théophilanthrope une lettre que Grégoire a raillée à cause des
fautes de français et d'orthographe qu'elle renferme, mais qui n'en
est pas moins significative : « ce culte... sans contredit préférable
au romain, qui est rempli de paroles que le peuple n'entend pas et
qu'il ne se soucie guère d'entendre, attendu que c'est une langue
qu'on entend (sic) pas, car tout le monde ne sait pas le latin » 1.
Si ce n'est pas le succès de la théophilanthropie qui a amené
l'Eglise constitutionnelle à la pensée de franciser le culte et l'idée,

je crois l'avoir montré, est plus ancienne et vient d'ailleurs, il se

peut néanmoins que l'effroi causé par cette concurrence redoutable
ait contribué à décider le Concile ; c'est ce qui expliquerait qu'après
la chute de Larevellière, en l'an VII, l'attitude changea2.

OPPOSITIONS. - Les décisions prises ne contentèrent pas ceux qui


espéraient un changement radical 3. Pourtant elles effrayèrent les
prudents. L'évêque de Rennes se déclara le premier. Le 7 ven-
démiaire an VII, il écrivait à Grégoire « On gemit de ce que le Concile :

n'a point ordonné toutes les prières publiques en langue vulgaire.


Vêpres, messe, formules des sacrements, on veut tout en françois;
mais les Bretons dont la langue est plus ancienne même que le grec,
les Picards, les Auvergnats, les Gascons, les Biscayens, les Proven-
çaux n'ont-ils pas le même droit de vouloir nos liturgies dans leurs
langues ou jargons? Vous le savez, telle fut autrefois la manie des
protestants; et à leur prière, l'un des plus beaux génies du temps,

1. Grég., Hist. des sectes, t. I, p. 419, dans Mathiez, Théoph., p. 322.


2. Mathiez, o. c, 260.
p.
3. « Quant à la prière faite
en langue vulgaire, nous ne savons à quoi attribuer la
conduite timide qu'a tenue le Concile. Il n'a
pu se dissimuler le voeu devenu général
parmi tous les fidèles éclairés ; il a entendu dans son sein la lecture des savans mémoires
que l'illustre évêque de Blois a faits à ce sujet. Des hommes accoutumés à voir ce que
l'étonnante révolution de France a fait si peu de temps et malgré tant d'obstacles,
en
trompent sans doute s'ils croyent qu'en matière religieuse produit les mêmes effets
par
se les mêmes moyens. Le Concile, en ne décrétant point sur on
la prière en langue vul-
gaire, n'a pas simplement consulté la foiblesse de l'autorité que les circonstances lui
donnoient l'opinion publique, il a pris dans la plus sage et dans la plus mûre considé-
ration sur que lui opposoient l'habitude, l'ignorance, et la malveillance; il a
les
certainementespéré que l'asssemblée qui suivroit seroit plus heureusement placée
obstacles

le

pourfaire avec sagesse avec succès certains changemens (Ann. de la Rel., t. VII,
(p.
179-180). Brugière opineet que ce fut là
»
au
un contre-sens que la condescen-
contraire

rapporteurlui
dance
du
fait admettre pour ne pas effaroucher les dévots minutieux (Appel,
p.96).

a
LE CONCILE NATIONAL 379

Clément Marot, traduisit en françois nos pseaumes. Voici comment


il commence le touchant Miserere mei :
Lave-moi, Sire, et relave bien fort
De ma commise iniquité mauvaise ;
Et du peché, qui m'a rendu si ord,
D'eau de grâce me nettoyer te plaise 1.

« Voyez les versions de la Bible chez les protestants. Sans cesse ils
sont obligés d'y retoucher, et chaque nouveau traducteur met du
sien. Aussi combien ne diffèrent point entr'elles les Bibles luthé-
riennes, calvinistes, sociniennes, anglicanes, etc. Les liturgies de ces
différentes sectes ne se ressemblent pas davantage et ne demandent
pas moins souvent d'être retouchées. Aussi, dès qu'un protestant
e[s]t hors de son pays, il ne peut plus participer au culte public. Un
catholique, au contraire, n'est dépaysé dans aucune des contrées de
l'Eglise latine.
« Si les Grecs et les
Latins n'avoient eu qu'une même langue,
croyez-vous qu'il eût été aussi facile à Photius et à ses adhérents
d'entraîner toute l'Eglise greque dans le schisme, en attribuant à
l'Eglise latine des erreurs et des abus dont elle ne fut jamais cou-
pable ?
« Je vous le
dis franchement, je viens d'examiner de nouveau les
raisons pour et contre ce système. Les premieres ne m'offrent que
quelques petits avantages spécieux ; les secondes présentent des in-
convénients réels, nombreux, effrayants. Dans la jeunesse où l'on
doute peu, j'étois pour les traductions ; aujourd'hui, je rougis d'avoir
été séduit par des apparences si mensongeres. Tout changement
dans notre culte devroit être profondément médité, ne fut-ce que
par respect pour nos peres. Des chimeres, la plus dangereuse peut-
être, c'est celle du « parfaitisme ». Rien ne lui resiste. Par quelles
erreurs ou quelles folies d'abord, et ensuite par quels crimes, par
quelles horreurs n'a-t-elle point souillé notre revolution? Ne nous
exposons point à mériter les mêmes reproches que nous sommes fon-
dés à faire à nos orgueilleux philosophes. Défions-nous de l'épou-
ventable manie de tout innover. Comme le dit un penseur moderne,
n'ayons pas une confiance crédule aux figures tracées par la théorie,
ni un mépris inconsidéré pour les réalités gravées par l'expérience » 2.

1. Le texte exact est : Me nettoyer d'eau de grace te plaise.


2. Corr. de Grég., Lett. Ille-et-Vil. Bibl. de la Soc. des Amis de P.-R., cf. le
P. Roussel, Corr. de Le Coz, t. I, p. 308-309.
CHAPITRE III

L'EXÉCUTION DU DÉCRET

LE SACRAMENTAIRE FRANÇAIS. C'est incontestablement le diocèse



de Versailles qui fut le centre du « gallicisme ». L'évêque Clément
était acquis à l'idée. Son vicaire épiscopal, Ponsignon, en fut le
metteur en oeuvre. Sur l'ordre de l'évêque, il rédigea un Sacra-
mentaire français. C'est autour de ce livre que se livra la bataille.
J'ai été assez heureux pour remettre la main sur le Sacramentaire,
conservé dans les documents manuscrits non classés de la Biblio-
thèque des Amis de Port Royal. Il n'est précédé d'aucune notice.
C'est un manuel destiné à l'administration des Sacrements 1.
Le texte est à peu près totalement expurgé de latin. Les formules
rituelles elles-mêmes sont en français'. En revanche pas une allu-
sion au reste de la liturgie 3.

AUTRES LIVRES.— Il ne faudrait pas croire qu'il n'y eut pas d'au-
tres essais. On vit paraître des traductions des Offices: Vêpres du
Dimanche, traduites en françois. A l'usage des Eglises du départe-
ment de Rhône-et-Loire (S. l. n. d., 32 p.) 4.

1. 1° Administration du Sacrement de baptême aux enfans (p. 1-12) ; 2° Adminis-


tration du baptême aux adultes (p. 13-22) ; 3° Administration du Sacrement de Confir-
mation (p. 23-20) ; 4° Administration du Sacrement de Pénitence (p. 26-28) ;
3° Administration du Sacrement de l'Eucharistie pendant les Saints Mystères ou sépa-
rément avec un chapitre spécial pour l'administration du viatique aux malades ou de
communion aux infirmes (p. 28-33) ; Administration du Sacrement de l'Extrême-
Onction et Saint-Viatique conjointement (p. 33-41) ; Administration de l'Extrême-
Onction et du Saint-Viatique à un prêtre ou à un diacre (p. 41-42) ; Administration
du Sacrement de l'Extrême-Onction seul, à un malade ayant sa connaissance (p. 42-46).
2. Une seule exception, p. 29 : « Après la confession faite par les Ministres, au nom
des Communians, ou conjointement avec eux, le Celebrant se retourne vers eux du
f
côté de l'Evangile... et dit à haute voix : Misereatur vestri... et Indulgentiam absolu-
tionem etc. Il se retourne au milieu de l'Autel vers les Communians et dit à voix
haute, une fois : Ecce Agnus Dei, cece qui tollit peccata Mundi, puis trois fois : Domine,
non Sum Dignus ut intres sub tectum meum, sed tantum die Verbum et Sanabitur
anima mea... Aussitôt après, il s'approche des Communians
».
3. Il est dit seulement p. 23 : « Il serait à souhaiter les pasteurs introduisent
que
l'usage de chanter dans cette cérémonie des cantiques françois, qui seraient relatifs,
y
dont les confirmés et les assistants retireraient plus de fruits et d'édification
4. Certains psaumes sont traduits ».
en vers, d'autres en prose.
L'EXÉCUTION DU DÉCRET 381

Je citerai en outre : Formule abrégée pour faire le prône à l'usage


du diocèse du Doubs 1.
Essai pour le Dimanche des hymnes, Pseaumes et Cantiques en
français, notés pour être chantés sur les mêmes tons des hymnes,
pseaumes et cantiques latins auxquels ils correspondent dans les
usages de Paris.
Essai de la Messe du jour de l'Epiphanie en Français, notée
d'après les tons marqués dans le Graduel.
Suivent en français, les Prières et les cérémonies dont l'Église
se sert pour l'administration des Sacrements de Baptême, Extrême-
Onction, et le Saint Viatique 2.
Il importe aussi de signaler une Dissertation sur la célébration de
l'Offtce divin en langue vulgaire 3, oeuvre d'un laic 4.
C'est visiblement dans la partie « Discussion » une riposte à l'Avis
motivé dont nous parlerons plus loin", mais l'auteur a mûri long-
temps son projet auparavant et étudié sa matière. On reconnaît un
technicien de la liturgie. Il fait suivre sa Dissertation de Règles de
la Psalmodie française qui sont d'un homme de métier.
La technique de la liturgie nouvelle se dégageait donc et la Biblio-
thèque nécessaire se formait. En messidor an VII, la Dissertation
fut même adoptée du plus grand nombre des évêques. N'ayant pu l'in-
sérer dans le premier numéro des Annales de vendémiaire an VIII,
l'évêque d'Amiens, Dubois, la fit imprimer avec les règles de la
psalmodie. Clément écrit à ce propos, dans le P. S. de sa lettre du

1. Besançon, J. Fr. Daclin, an VII. Les psaumes et antiennes y sont en latin et en


français. Ponsignon l'envoie à Grégoire (Lett. du 5 Août 1800).
2. Paris, Imp. Libr. Chrét. An VII. En tète, des textes et des textes, en faveur de
la thèse; ils constituent la Préface. Puis, sous forme de demandes et de réponses, un
Avis au Lecteur, qui justifie l'entreprise. Enfin une Liturgie Gallicane dans laquelle
la Messe même se trouve, ainsi que les Sacrements (126 pages in-8°).
3. Avec trente-sept Chants ou Airs, sur chacun desquels on peut chanter tous les
Psaumes, suivant la traduction du Bréviaire de Paris, aussi agréablement qu'on chante
les cantiques. Paris. Impr Lib chrét. et chez Brajeux, frimaire an VIII.
4. L'exemplaire de la Nationale porte un nom: C. Renaud. C'est bien l'auteur ;
Grégoire le connaît et le cite.
5. Le ton de cette Dissertation est très modéré, la discussion sérieuse, serrée et calme.
Les arguments et les textes sont ceux qu'on trouve partout. Je signale cependant une
ou deux phrases : « Bien des personnes éclairées considèrent le long espace de tems où
Dieu n'a pas permis qu'on pût faire le service divin en langue vulgaire, comme l'exécu-
tion, à notre égard, de la menace qu'il avoit faite aux juifs de leur parler en une langue
étrangère qu'ils entendroient de leurs oreilles, mais qu'ils ne comprendroient pas.
Pourquoi vouloir prolonger une peine si douloureuse ? » (p. 18).
« Comme Saint Chrysostôme a dit que le jeûne
chrétien, en affaiblissant le corps,
fortifie l'ame, nous pouvons bien dire . que le chant latin fatigue le corps, sans nourrir
l'ame... » (p. 16 17).
« J'ai connu un couvent de moines où l'on
n'avait plus conservé de l'office divin que
l'usage de le sonner aussi régulièrement que par le passé, mais sans le direjamais. Il en
est de même de tous ceux pour qui le chant latin n'est qu'un composé de différens sons
nuls à leur intelligence » (p. 17).
382 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

21 brumaire an VIII (12 novembre 1799) : « Le citoyen occupé de


le chant régulier des pseaumes de Paris, m'a fait part hyer
procurer
de sa Dissertation sur cet objet. Quel qu'extraordinaire qu'il paroisse
dans la pratique, je pense, comme vous et M. Gregoire, qu'il seroit
très utile d'y tendre, avec sagesse et en instruisant. Sa Dissertation
me paroît y convenir, et qu'il seroit a désirer
qu'elle eut l'appro-
bation de plusieurs Evêques pour l'impression »1.

LES SACREMENTS EN FRANÇAIS EN SEINE-ET-OISE. — Ponsignon, curé


de Meulan, Vicaire Épiscopal de Versailles, adressa son OEuvre aux
Évêques réunis »2 à Paris, par une lettre du 1er thermidor an VII
«
(19 juillet 1799), dont la minute est conservée dans les papiers de
Grégoire. Elle fut imprimée dans les Annales de la Religion3.
« Je ne
réponds pas, dit-il, du mérite de l'exécution; vous en serez
les juges: mais je puis répondre du succès qu'en obtiendra la pra-
tique, si j'en augure par celui qu'ont obtenus ici les essais mul-
tipliés qui en ont été faits...
« A
peine m'eûtes-vous désigné pour ce travail, que, moins...
flatté d'être par votre ordre l'organe du Concile, dont je vous regarde
comme les mandataires, qu'animé par l'espérance de l'édification
qui en reviendroit à l'église, je m'empressai de rédiger l'adminis-
tration du Baptême, ensuite celle du Mariage, celle des Malades;
je les soumis successivement à l'examen et à l'approbation de notre
vénérable évêque ; et je les administrai sous cette nouvelle forme,
non seulement sans contradiction, mais avec applaudissement et
souvent même avec attendrissement de la part des assistans.
« Je dois vous avouer que depuis quelque tems (depuis sur-tout
que la licence ne paroît plus permise que contre les objets reli-
gieux), je ne me présentois à l'administration des sacremens, et
sur-tout du Baptême, qu'avec la crainte d'être le témoin des irrévé-
rences et l'objet des sarcasmes de l'impiété : le plus souvent je
n'étois entouré que d'une jeunesse tumultueuse et dissipée; souvent
aussi ceux qui présentoient des enfans au baptême, n'apportoient
que des dispositions d'une froide indifférence ou d'un dédain mal
déguisé pour des cérémonies qui leur sembloient vaines, parce qu'ils
ne les comprenoient pas : quelques uns même m'avoient reproché
ouvertement de leur parler un langage inconnu.
« Mais depuis que l'administration des sacremens se fait en fran-
çais, tout a changé au profit de la religion.
1. La signature seule et quelques corrections sont de la main de Clément (Corr.
Grég., S.-et-Oise. Bibl. de la Soc. des Amis de P.-R.).
2. On appelait ainsi le Bureau permanent.
3. T. IX, Ve année, p. 318 et suiv.
L'EXÉCUTION DU DÉCRET 383

« Sur près de quatre cents baptêmes qui ont été administrés en


cette forme, il n'en est pas un qui n'ait inspiré un vif intérêt : à la
dissipation a succédé le recueillement : des chrétiens attentifs
réclament la piété par leur silence : les cérémonies expliquées et
comprises impriment le respect, même à ceux qui apportent des
dispositions contraires ; et des hommes d'une religion très équivoque,
témoins de ces cérémonies, n'ont pu se défendre d'en être touchés
jusqu'aux larmes et en ont fait l'aveu.
« Les belles formules du mariage produisent le même effet. Dans
l'administration des derniers sacremens, les malades ne sont plus
purement passifs ; ils se joignent aux prières qui les touchent et les
consolent, et les assistans y répondent avec piété. Il n'est pas jus-
qu'à la cérémonie des relevailles, qui jusqu'alors n'intéressoit
personne, qui ne trouve à présent des auditeurs attentifs et édifiés.
« Je dis plus : c'est que ces dispositions des assistans influent
jusques sur le ministre des Sacremens, et le portent à les administrer
avec plus de respect et de dignité. Quand il parle dans une langue
inconnue, la certitude de n'être pas entendu, la crainte de devenir
ennuyeux le forcent presque malgré lui à la précipitation.
« Mais ici l'attention qu'il apperçoit au-dehors excite la sienne :
l'onction qu'il répand se communique à lui-même et lui rend ses
fonctions plus vénérables.
« Tout se réunit donc pour confirmer cette vérité sentie par les
pères du Concile national, ainsi que par tous les amis éclairés de
la religion, que les pratiques augustes de cette religion sainte ne
peuvent que gagner à être plus connues : que l'espèce de secret
qu'on en a fait jusqu'à présent, bien loin d'augmenter le respect,
ne sert qu'à le diminuer; et qu'un Sacramentaire, au lieu d'être une
sorte de code mystérieux, dont l'intelligence est réservée presque
aux seuls prêtres, devroit être un manuel intéressant pour tout
fidèle, et un livre classique pour la jeunesse chrétienne ».
Puis Ponsignon justifie quelques changements qu'il a introduits,
de légères additions, il plaide que l'ordination elle-même doit être en
français, puisque l'évêque s'adresse au peuple pour lui demander
son témoignage sur les candidats. Il ajoute : « J'avoue même que
tout se prononce en français dans notre église... » (p. 324).
« Si le Concile, en votant
l'administration des sacremens en
français, s'est conformé aux principes de la raison, pourquoi
à principes, lorsqu'il s'agit de la forme du sacrement?
renoncer ces
pourquoi cette bigarrure? pourquoi cette demie réforme? pourquoi
laisser à ceux qui nous suivront le soin de la completter?... pourquoi
cesser d'instruire et d'édifier les fidèles, dans le moment où ils
384 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

doivent être plus avertis que jamais de l'opération de la grâce dans


leur ame?... pourquoi laisser croire que les formules sacramen-
telles sont composées de paroles secrètes qui n'ont de vertu que
dans une langue inconnue?... Dira-t-on que les formules sacramen-
telles doivent être conservées en latin, par respect pour la langue
de l'église? En ce cas il ne falloit rien changer » (p. 325-326).
Et l'auteur reprend le procès des protestants contre la prétendue
langue de l'église : « Si on a conservé le latin dans l'église, comme
on l'a fait longtems encore après dans les tribunaux et dans les
actes publics, ce n'a été que par habitude ou par la difficulté de
suivre toutes les variations des langues vulgaires, non encore
formées, et peut-être plus encore, pour ne point céder aux Pro-
testans qui exigeoient cette réforme » (p. 327).
On le voit, et l'auteur le reconnaît lui-même, le Sacramentaire
allait plus loin que ne l'avait ordonné le concile, il anticipait.
L'évêque lui donna pourtant sa pleine approbation par une Lettre
pastorale portant permission d'user de la langue française pour
l'administration des Sacremens aux Fidèles du Diocèse de Seine-et
Oise, et des Eglises vacantes de la Métropole (17 vendémiaire
an VIII-9 octobre 1799)1.
L'évêque commence par rappeler la parole de Saint-Jean : « Dieu
est esprit et il faut que ceux qui l'adorent l'adorent en esprit et
en vérité », puis la décision du Concile de Francfort (794), can. 52 :
« L'Eglise
n'a point borné l'usage des langues dans le culte divin;
mais elle tient que Dieu peut être adoré dans toutes les langues, et
qu'il y exauce les hommes, lorsqu'ils lui demandent des choses
justes ». « L'intention de l'Eglise est... d'associer, autant qu'il se
peut, les Fidèles à ses prières et à ses offices (Décret du Concile
national). Le Concile a pourvu au détail de ce soin, en décidant que
l'Administration des Sacremens se fera en français... Nous n'avons
mis que trop de délai pour nous y conformer; car le Concile veut
que ce Sacramentaire se trouve préparé. Et par qui peut-il l'être,
que par les Evêques?
« C'est la règle expresse du quatrième Concile de Latran. Ce que
le Concile National a réservé au Concile suivant, c'est de le rendre
uniforme, et de l'adopter comme Sacramentaire gallican ».
Au quatrième Concile de Latran « l'Eglise a enjoint expressément
(stricte praecipimus) que, lorsqu'une Nation entière se trouve com-
posée de peuples de différentes langues, vivant dans une même foi,
les Evêques des Diocèses... aient soin... de leur administrer les

1. Coll. Grég., t. 109, p. (17 ; 8 p. in-8°. Bibl. de la Soc. des Amis de P.-R.
L'EXÉCUTION DU DÉCRET 385

Sacremens de l'Eglise selon la diversité de leurs usages et de leurs


langues » (a. 1215, sous le Pape Inn. III, can. 9).
L'Evêque est donc « obligé de veiller avec lumière à la fidélité des
traductions... Dans le fait... c'est un soin qui est continuellement
exercé en France par les Evêques de la Basse-Bretagne et des
Basques... N'y aurait-il donc en France que les Français qui seraient
privés du même avantage ?
« A ces causes...
ordonnons que désormais la pratique de ce Diocèse,
et des Diocèses vacans de cette Métropole, y sera rendue conforme,
et l'administration des Sacremens faite en français, commencée
avec sagesse et par degrés, au soin et jugement des propres Pasteurs.
Pourquoi nous réglons au provisoire, que désormais il pourra être
fait usage en toutes nos Eglises de la langue française dans l'admi-
nistration des Sacremens; ne permettant cependant à cet effet d'autre
traduction que celle que nous approuvons par les présentes sur
l'examen de plusieurs de nos confrères, composée par notre cher
Vicaire, le citoyen Ponsignon, et n'en permettant aucune autre sans
notre préalable examen; le tout jusqu'à la publication de la tra-
duction uniforme du rituel Gallican, annoncé par le Concile National.
Donné à Versailles, le 17 vendémiaire an VIII. Clément, Evêque
du Diocèse de Seine-et-Oise ».

Histoire de la langue française. IX.


CHAPITRE IV

LA QUERELLE DU SACRAMENTAIRE

— C'est Royer, Evêque de


VIVE OPPOSITION. l'église métropolitaine
de Paris, et les pasteurs formant son Presbytère qui prirent la tête
du contre-mouvement1. Ils écrivirent aux Annales une Lettre ouverte
où ils soutenaient que le vicaire épiscopal s'était arrogé des droits
qu'il n'avait pas, que c'étaient là des nouveautés inouïes. Elles étaient
d'abord formellement contraires à l'article III du second décret sur
la liturgie.
En outre les principes suivants avaient été posés. Neuvième
principe : « On doit conserver ce qui est d'un usage général dans
l'église catholique » (469).
Dixième principe : « Les formes du Sacrifice de la Messe et l'admi-
nistration des Sacremens ne peuvent subir aucun changement (Ib.).
« Qu'aucun prêtre français ne se laisse donc surprendre par le
pompeux étalage des succès qu'un dangereux novateur dit avoir
obtenus. Le temps des innovations est passé; le français catholique
ne peut plus soupirer qu'après le retour de l'ordre, de l'union et
de la paix, et il voueroit à l'exécration publique celui qui chercheroit
à révolutionner l'église, comme celui qui tenteroit de bouleverser
l'état...
Nous improuvons l'innovation introduite dans la cathédrale de
«
Versailles, nous n'y participerons ni directement ni indirectement » 2.
Saurine, évêque de Dax, donna de son côté un Avis motivé sur les
Lettres Pastorales du Citoyen Clément, évêque du Diocèse de Seine-
et-Oise du 7 et 17 vendémiaire an VIII 3. Cet Avis fit un bruit
énorme. Saurine conteste que les évêques réunis aient donné à
faire autre chose qu'un premier essai4.

1. Ann. de laRel., t. IX, p. 461. Voir [Brugière] Appel, p. 5. Il y eut un grand émoi
à l'évêché de Paris, et aux Annales. On arrêta l'impression.
2. P. 472. Un N. B. signale d'autres réclamations, celle de Poulard, curé d'Auber-
villiers, et celle de Capel, que le Concile a nommé à l'un des évêchés de Saint-
Domingue.
3. Voir Ann. de la Rel., t. X, p. 49. Autre titre Réfutation de l'opinion tendante à
:
introduire la langue vulgaire dans la Liturgie Gallicane.
4. « Leur dessein n'était point qu'on l'imprimât
comme réglement quelconque,
LA QUERELLE DU SACRAMENTAIRE 387

« On multiplie, sans le vouloir sans doute, nos maux et nos


dangers, ceux de la religion et de la patrie, en fournissant à nos
ennemis communs des armes qu'ils n'avoient pas encore » (p. 50).
Le Concile avait soumis « ces idées nouvelles, ou, pour mieux dire,
renouvelées des protestans, à l'examen de tout le clergé, en ren-
voyant la décision à un temps plus opportun, au futur Concile »
(p. 51).
Puis l'auteur reprend le procès au fond, examinant les textes du
Concile de Trente et du IVe Concile de Latran; il discute l'interpré-
tation du passage de Paul, rappelle une controverse sur la matière
entre le roi de Grande Bretagne, Jacques Ier, et le Cardinal du
Perron.
Des traductions peuvent être lues. Ceux qui ne savent pas lire ne
peuvent s'en prendre qu'à eux. Officier en français à voix basse ne
sert de rien. Le français n'est pas entendu des assistants étrangers,
ni des sourds (!) ni des fidèles dont les « prêtres prononcent avec
précipitation, ou bredouillent, et cet inconvénient là n'est pas
rare»(!)(p. 70-71). Il suffit que le prêtre comprenne. « Puisqu'on
veut que le peuple entende tout, il faut tout adapter au seul langage
qui lui est connu. En ce cas, il faudra faire bien des traductions
diverses, puisque le peuple, dans un grand nombre de contrées,
ne connoît pas le français, témoin les Basques, les Bas-Bretons,
les Gascons des montagnes, les Provençaux, etc. » (p. 75).
En outre, il faudrait suivre les changements de la langue vul-
gaire, « de sorte que qui verroit aujourd'hui réciter le service de
l'église en langue française, telle que nous apprenons par nos
romans qu'elle étoit il y a deux ou trois cents ans, la religion se
tourneroit en dérision et mocquerie; comme, d'ici à cent ans, la
traduction des pseaumes de Marot se trouvera chose goffe, inepte
et ridicule » (p. 76).
Tels sont les arguments de du Perron. Arnault ne pensait pas
autrement, ni Racine le fils, ni le docte abbé Renaudot.
« La perte des
anciennes langues que la religion ne conserve
pas, entraîne, à la longue, la perte des écritures originales, celle
des antiques monumens, celle des sciences et des arts. La substi-
tution des langues vulgaires, comme on la veut, seroit donc le
premier pas vers la destruction de la religion, le premier pas vers
le vandalisme général » (p. 93).
Royer, évêque de Paris, El. Marie Desbois, évêque d'Amiens,

encore moins qu'on le mît à exécution, sans concert, sans accord, sans examen préa-
lable, sans avoir consulté ni les évêques de France, ni même le clergé du diocèse, ce qui
n'est ni canonique, ni conforme au voeu du concile » (p. 49-50).
388 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

qu'on ne se fût pas attendu à voir sitôt chanter la palinodie,


appuyèrent la protestation de l'évêque de Dax, « étant incapables
d'aucune foiblesse, même à l'égard de notre respectable ami, le
célèbre évêque de Blois » (Ann. de la Rel., t. X, p. 96).
Puis ce fut (p. 121) une Déclaration motivée des évêques de la
métropole de Rennes contre l'emploi de la langue vulgaire, signée
de l'évêque Le Coz (13 frimaire an VIII) 1, et (page 576) les adhé-
sions de quatorze évêques à cette opposition, savoir ceux de Perpi-
gnan, Pamiers, Rennes, Troyes, Le Puy, Coutances, Besançon, Le
Mans, Avignon, Aix, Grenoble, Vesoul, Colmar, Mende. Des prêtres
signèrent aussi. Le français était bien menacé. Mais ses partisans
ne se laissèrent pas abattre.

RÉPONSE DE L'AUTEUR. Les évêques réunis, le 30 vendémiaire



an VIII (22 octobre 1799), entendirent la lecture de la riposte de
Ponsignon à ses adversaires. Les Annales ayant refusé de l'insérer,
force fut de la publier à part. Elle porte le titre de Apologie de
l'usage de la langue française dans l'administration des sacremens,
en exécution de l'article III du deuxième décret du Concile National
sur la Liturgie, contre les réclamations des R. R. Royer, évêque
Métropolitain de Paris, et Saurine, évêque de Dax2.
Cette Apologie est précédée d'une Lettre sans nom d'auteur, du
27 ventôse an VIII (18 mars 1800), incitant Ponsignon à se défendre.
Il en résulte que non seulement l'évêque de Versailles avait suivi le
travail de son vicaire épiscopal, mais que d'autres évêques avaient
entendu lecture du Sacramentaire, ainsi que plusieurs Ecclé-
siastiques du Presbytère de Paris (p. 12). Ce sont même les évêques
qui ont donné le titre. Le Concile avait prévu une rédaction, non
une traduction, donc autorisé des changements (p. 14). Nous n'en-
trerons pas dans la discussion où l'auteur revendique des droits que
les protestataires lui contestent, et démontre que l'opprobre qu'on
essaye de jeter sur lui retomberait en dernier lieu sur le Concile
National. Le fond du sujet n'est pas véritablement abordé 3.

1. Cf. Le Coz, Corr., t. I, p. 360. Depuis longtemps Le Coz, on l'a vu, était revenu
de ses illusions; dès l'an III, il proposait à Grégoire de retrancher le mot République
de l'encyclique des évêques réunis pour y substituer gouvernement (Mathiez, Théoph
p. 20).
2. Paris, Impr. Libr. chrét., s. d., in-8°. Le titre de départ porte le nom de
F. L. Ponsignon et la date du 22 octobre 1799.
On trouve page 33 : Observations du citoyen Ponsignon en réponse à l'Avis motivé
(cf. Ann. de la Rel, 14 janv. 1800, t. X, p. 49).
3. Je signalerai pourtant cette page curieuse : « Supposons que dans Église on
adminislre par an huit cents baptêmes (et cette supposition est constatée une
par l'expérience) :
chacun de ces baptèmes procure au moins trois témoins, le père communément, et tou-
jours un Parrain et une Marraine ; ce qui fait deux mille quatre cents témoins,
sans
LA QUERELLE DU SACRAMENTAIRE 389
Écrivant à son collègue de Blois, le 21 brumaire
an VIII (12 no-
vembre 1799), Clément lui donnait des nouvelles des applications
du « gallicisme » dans son Diocèse : « Je vois par votre lettre du
17 brumaire que j'ai l'aventage (sic) de penser en beaucoup de
choses comme vous, spécialement sur l'usage de la langue vulguaire
(sic) dans l'Administration des Sacremens. Ce ne peut être que par
un concert de fait, que l'on puisse en introduire l'usage...
« Vous parlez des circonstances. Elles m'ont été parfaitement
favorables ici, et sans contradiction » 1.
Mais il importait d'agir sur l'opinion générale. Le Vicaire épis-
copal de Versailles avait préparé une réponse à ses contradicteurs.
Il suppliait Grégoire d'intervenir. Une première lettre est datée du
24 brumaire an VIII (15 novembre 1799) 2. Le 11 nivôse (1er jan-
vier 1800), nouvelle lettre au même « cher et respectable Évêque » 3.

compter les assistans qui sont quelquefois assez nombreux: accordons que, dans ce
nombre, il se trouve quatre cents chrétiens instruits et fervens ; reste deux mille qui
peut-être n'ont fait depuis long-tems d'autre acte extérieur de religion que celui-là. Si
vous récitez du latin devant eux, vous ne leur procurez aucune instruction ; vous n'excitez
en eux aucun sentiment ; ils ne savent ni ce que vous dites ni ce que vous faites ; souvent
même vous ajoutez à leurs préjugés et à leur esprit de dérision envers des cérémonies
sur lesquelles ils ont entendu jetter le ridicule. Mais prononcez du français avec la gra-
vité et le recueillement convenables, et vous exciterez dans les uns des idées de religion
qu'ils ne connoissoient pas ; vous réveillerez dans les autres des sentimens depuis long-
tems assoupis, ou du moins vous obtiendrez presqu'infailliblement une attention qui les
disposera à la décence extérieure ; et l'impie le plus déhonte n'aura plus de prétexte à
troubler vos fonctions par les sarcasmes et les objections contre un langage et des céré-
monies qu'il se plaignoit de ne pas comprendre » (Apologie, p. 52).
1. Lett, ms., Corr. Gréq., Bibl. de la Soc. des Amis de P.-R.
2. Ces lettres, manuscrites comme la précédente, sont conservées dans la Correspon-
dance de Grégoire. « Au citoyen Grégoire, membre de l'Institut National, rue Saint-
Guillaume, Faube Saint-Germain, Paris. Etes-vous de retour à Paris?... votre voiage
qui a été sans doute bien agréable a ceux que vous avez visités ne l'a gueres été pour
moi; votre absence [m'] a laissé seul en butte aux attaques d'un parti qui vous poursuit
sous mon nom et qui voudrait pouvoir anéantir un ouvrage que je n'ai entrepris que
sur votre invitation. Je ne vous parlerai que de la Lettre du presbitère de Paris insérée
dans la dixième livraison des Annales, et qui n'est qu'une satyre personnèle ou nulle
vérité, nulle décence n'est respectée : j'y ai préparé une réponse que M. l'Evêque
d'Amiens m'a promis de publier dans les Annales. Mais je voudrais au préalable vous en
faire ainsi qu'à lui une lecture particulière ; il faudrait donc que je fusse assuré de votre
retour a Paris, et que je pusse obtenir de vous deux une heure d'audience determinée.
Des apologies que je n'attendais pas avaient précédé les satyres que je prévoiais et
servaient d'avance à m'en consoler, il était du droit naturel d'opposer l'éloge au blâme
et la défense à l'attaque ; j'avais remis à M. l'Evêque d'Amiens des extraits de ces apo-
logies, il m'avait promis d'en faire usage dans les Annales et jusqu'à présent rien n'en
a paru.
« Serais-je donc réduit a me croire abandonné par ceux mornes dont j'ai rempli
les
intentions avec le plus grand zèle ? devrai-je dire après une année de veilles et de tra-
vaux : « frange miser calamos, vigilataque proelia dele ». Cette letlre se termine par une
phrase d'espoir : « Mais je compte sur votre fermeté à suivre un dessein si utile a la religion,
si canonique dans son principe, si indispensabledans les circonstances presentes et qui, s'il
était rejette aujourd'hui, le serait peut-être encore pour des siècles. Salut plein d'un
tendre et respectueux dévouement ».
3. « Votre nouvelle dignité (Grégoire venait d'être élu Membre du Corps Législatif)
n'empechera pas sans doute que vous ne daigniez continuer a proteger et a diriger mes
390 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Grégoire insista-t-il auprès de la rédaction des Annales? En tous


à la suite de l'article dont nous avons parlé parut un deuxième
cas,
opuscule, du 24 nivôse an VIII (14 janvier 1800), intitulé Observa-
tions... en réponse à l'Avis motivé du citoyen Saurine. Ponsignon y
traite cette fois la question au fond 1.

INTERVENTION DE BRUGIÈRE. Sur les entrefaites, le curé Brugière



(de Saint-Paul, à Paris) publia, sans nom d'auteur, son Appel au
peuple chrétien de la réclamation de M. Royer, évêque de Paris,
contre l'admission de la langue française dans l'administration des
Sacrements, par un des Pères du Concile National. Il s'en prend à
Royer qu'il suit argument par argument. C'est un fervent et un
croyant, sûr du succès 2. Les raisons que donne Brugière n'ont rien
de bien original 3. Mais le ton est vif et les saillies nombreuses :

travaux J'ai redigé de courtes observations sur la longue dissertation de M. Saurine


contre le Sacramentaire français et j'espere que sous vos auspices elles pourront
paraître dans les Annales. Je vois avec chagrin qu'on y accueille et qu'on y entasse coup
sur coup les attaques qui me sont faites, tandis qu'on néglige d'y insérer les apologies
et les défenses qui pourraient y servir de contrepoids. M. l'évêque d'Amiens contribue
lui-même à décrier ouvertement un ouvrage dont il est le principal provocateur et qu'il
se propose de publier : j'ai peine a croire d'après cela que la publication en soit possible,
ou qu'elle puisse avoir aucun succès : d'après ces reflexions comment me resterait-il du
courage pour achever la partie dogmatique des Sacremens, quoiquelle soit dejà tre*s
avancée : d'ailleurs elle n'est point essentielle à un rituel et la plupart ne presentent que
la partie ceremonièlle et la pratique administrative ; ces traités en outre, quelques courts
qu'on les fit, augmenteraient de beaucoup un volume qu'il n'est pas prudent de grossir
dans l'incertitude de son succès ou meme de son existence : enfin la methode de traiter
plusieurs des Sacremens, tels que la penitence, le mariage, et l'ordre doit etre sur
plusieurs points absolument nouvelle et il ne m'appartient pas de trancher sur ces
articles délicats, je vous soumets néantmoins ces reflexions et je recevrai vos avis avec la
plus entiere déférence ».
1. Il est reproduit dans les Ann. de la Rel., t. XI, p. 583-874.
2. « J'annonce au citoyen Ponsignon, qu'avant même la tenue du futur Concile,
l'administration des Sacremens, en langue française, sera d'un usage universel par
toute la France... Si je me trompois dans mon calcul, je serois autorisé à publier
sur les toîts que vers la fin du XVIIIe siècle, il n'y avoit ni bon sens, ni raison dans la
très-grande majorité des pasteurs de l'Eglise Gallicane » (Appel, p. 51).
3. Il arguë toujours de l'impossibilité où l'on met les fidèles de participer en esprit
à la célébration du culte (p. 57).
« S'obstiner à ne pas vouloir faire usage de la langue française dans la liturgie, c'est
priver les fidèles de l'exercice d'une fonction à laquelle ils ont un droit inaliénable,
celui d'offrir le sacrifice » (p. 89).
Le Concile de Trente, dont l'autorité du reste, en matière de discipline, est contestée
et contestable, n'a pas défendu partout l'usage des langues vulgaires. Son texte est très
obscur (p. 102-104).
En 1723, on célébrait à Rome les offices en diverses langues : arméniène, copte,
syro-chaldaïque, sclavonne, aussi bien qu'en grec et en latin.
M. Le Coz se trompe. Le catéchisme de Montpellier le dit bien L'Eglise, au com-
: «
mencement, a célébré dans chaque pays le service divin dans le langage vulgaire »
(p. 106) Quand l'évêque ordonne, il dit à ceux qu'il ordonne lecteurs, leur faisant
en
mettre la main sur le livre des leçons : Faites entendre aux fidèles la parole de Dieu.
Attachez-vous à prononcer ces saintes paroles distinctement, intelligiblemment. Que
signifie cet ordre, si on doit lire en langue non entendue ? (p 111-112).
Brugière qui parle avec tant de dignité et de respect des
du « errants », ne s'émeut
pas reproche qui lui est fait de leur ressembler. Il reconnaît même
que le commun
LA QUERELLE DU SACRAMENTAIRE 391

Les prêtres même éprouveront le bénéfice de la réforme. On ne verra


plus des « diseurs de messe », ces « porte dieu dont l'insouciance est
telle, qu'ils ne s'embarrassent aucunement de ce qu'ils disent... parce
qu'ils sont bien convaincus... qu'on n'est pas en état de les entendre »
(p. 62). Le temps est fini de la maxime : « Des chapelets et pas de
livres ». Un chrétien qui ne comprend pas, c'est le flûteur de Vau-
canson, encore le flûteur est-il un ouvrage de génie, tandis que ce
chrétien est l'avilissement de l'ouvrage le plus parfait de Dieu (p. 65).
« On s'est accoutumé, dit Fleuri, à regarder tout ce qui se fait à
l'église comme des cérémonies, et tout ce qui s'y dit comme des
formules... de-là vient qu'il est si ordinaire d'y dormir » (p. 72).
« Il ne reste qu'un squelette de religion... des pratiques extérieures
que rien n'anime, un culte pharisaïque, des dévotions supersti-
tieuses et au moins absurdes, de Sacré-Coeur, etc. » (p. 73)1.

RIPOSTE AUX VERSAILLAIS. — La réponse de Ponsignon lui avait


valu une riposte où sa témérité n'est guère ménagée 2. On essaye de
convaincre le vicaire général d'ignorance, de mauvaise foi, de com-
plicité avec les protestants. La fameuse réforme serviroit à quoi,
puisqu' « il ne veut point qu'on donne une Liturgie en langue vul-
gaire, aux contrées de la France où l'on parle des idiômes particuliers ;
et cela pour deux raisons, l'une que l'influence du gouvernementactuel
rendra bientôt, dit-il, le français vulgaire par tout; l'autre, que les
habitans de ces contrées sont en petit nombre. La première seroit
une espèce de miracle, qu'aucun gouvernement n'a encore pu opérer
dans un vaste empire ; et c'est dans un miracle imaginaire que
le C. P. va puiser ses raisons ; la seconde est évidemment fausse.
La plus grande partie de la population de la France est dans les
campagnes; et dans les campagnes un peu éloignées des villes, on
parle des idiômes particuliers, ou un mauvais français. On n'y
entend point, ou presque point le français moderne pur, qui est

des catholiques est beaucoup moins instruit de sa religion que le commun des protes-
tants ne l'est de la sienne ; la raison en est toute simple : « Les protestants célèbrent
leur culte en langue vulgaire ».
1. L'ouvrage se termine après un appel pathétique, par la reproduction de la Lettre
de Ponsignon, du 1er thermidor an VII (19 juillet 1799).
Le Mémoire apologétique de P. Brugière, publié en l'an XII après la' mort de l'auteur
(15 brumaire an XII-7 nov. 1803), reprend naturellement toute la discussion (p. 63 et
suiv.). J'en citerai seulement cette boutade : « faire parler français à des Français,
lorsqu'ils parlent à Dieu; faire chanter en français, des Français, lorsqu'ils chantent les
louanges de Dieu, n'est-ce pas le comble du ridicule, l'ultimatum de la déraison? On
serait tenté de croire que, par une singularité bien autrement singulière, ces judicieux
Aristarques pensent que Dieu n'entend pas le français » (p. 63).
2. Remarques sur la réponse du citoyen Ponsignon à l'Avis motivé, Paris, Baudelot et
Eberbart, s. d., in-8°. L'opuscule se termine par une bibliographie des ouvrages où la
même question a été antérieurement discutée.
392 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

celui de nos livres, de manière que plus de la moitié des habitans


de la France sont dans ce cas. On sait cela quand on a un peu
voyagé, quand on a vu autre chose que les grandes villes et les
environs. Le C. P. regarde-t-il cette moitié comme peu de chose?
plus de quinze millions de personnes, comme un petit nombre?
qu'en fera-t-il ? » (p. 23-24). Le 16 floréal an VIII (6 mai 1800),
l'évêque Clément mandait à Grégoire : « Cher et Reverendissime
Confrère, Votre lettre du 28 Germinal, en adoptant si nettement
comme'moi-la Décision du Concile sur l'emploi de la langue fran-
çaise dans l'Administration des Sacremens aux Fidèles, m'assure
de votre suffrage, pour quand vous aurez pu lire mon Mémoire,
que j'ai eu a coeur de ne donner que dans l'indispensable nécessité;
avec autant de démonstration au fonds, que de retenue et de modé-
ration dans la forme. Mais cet objet est à cette heure pour moi une
matière qui ne m'occupe plus, et qui ne m'occupera pas davantage,
puisqu'il est porté au prochain Concile National»1. Évidemment
ces dernières lignes ne signifient pas que Clément entend désor-
mais attendre et remettre. Elles seraient en contradiction avec le
reste de la lettre, qui marque une entière décision, et la volonté de
défendre les idées du Concile. Toutefois il n'y avait visiblement pas
beaucoup à compter sur l'action de l'évêque.
En revanche Ponsignon, plus attaqué et plus ardent que son chef,
en appela encore une fois au grand patron de l'idée : Grégoire.
Le 10 thermidor (29 juillet), l'évêque Clément annonçait à Gré-
goire la visite de son vicaire. Celui-ci de son côté, le 5 août,
écrivait directement au « patriarche » : « Vous avez donc absolu-
ment abandonné la cause du Sacramentaire français ? Vous voiez
donc avec indifférence chaque n° des Annales donner un nouveau
coup de pied a vous, a M. Clément, a moi, a tous les bons esprits,
a la vérité, a l'édification publique, au bon sens, etc.... Pourquoi
donc garder le silence en si beau sujet de parler ?
— On n'oserait
pas probablement vous clore la bouche comme a moi. — Quel ver-
tige a donc tourné la tète des annalistes dont le chef était le plus
ardent propagateur du français et qui aujourdhui me sacrifie cruel-
lement au parti de l'opposition ? je crois bien qu'il faut que je
renonce a l'espérance de le voir imprimer mon ouvrage, malgré tant
de promesses réitérées, je voudrais pourtant avoir là dessus
une
assurance quelconque pour savoir si je dois poursuivre mon entre-
prise ou y renoncer. Si j'osais vous prier de sonder M. Mauvie
sur
cet objet, comme de vous même : peut-être en saurait-il ou y pour-

1. Corr. Grég., Seine-et-Oise. Bibl. de la Soc. des Amis do P.-R.


LA QUERELLE DU SACRAMENTAIRE 393
rait-il quelque chose. J'espère aller a Paris incessamment et
ce
sera pour moi une faveur si je puis recevoir de votre bouche un
mot d'encouragement. Recevez... »1.

GRÉGOIRE DONNE.
— L'évêque de Blois n'était pas de ces hommes
qui abandonnent les causes compromises. Nous sentons, disait-il,
ce
que vaut « la cause si intéressante que nous soutenons et. que nous
nous féliciterons toujours d'avoir soutenue; parce que nous sentons
tout le prix de la grâce que Dieu nous fait d'en connoître l'im-
portance, et de la soutenir pour le bien de son Eglise » 2. Il lança
un vrai plaidoyer 3. Son opuscule n'est certes pas un chef-d'oeuvre
littéraire. Grégoire ne s'est pas occupé d'y mettre de l'art, il ne
cherche même pas à composer. Il voulait agir, non plaire. Mais
c'est une oeuvre forte et qui porte.
Tous les arguments que le bon sens et l'érudition combinés pou-
vaient fournir en faveur de sa thèse, l'auteur les a, comme on pense,
trouvés et produits, sans aucun de ces écarts de langage ou de ces
formules emphatiques qui déparent certains de ses rapports et
discours antérieurs. On sent que de grands sentiments l'élèvent au-
dessus de la polémique : le respect de ses frères dans l'épiscopat,
le désir de ne pas diviser l'Église, une volonté de progrès dégagée
des routines, mais qui se garde de condamner ou de maudire le
passé, des regrets du temps perdu qui ne tournent jamais au dédain.
Mais surtout, d'un bout à l'autre, éclate un amour profond des
fidèles, un dévouement manifeste aux plus humbles, pour tout dire,
une vertu d'apôtre qu'aucune menace n'a effrayé, qu'aucun coup
n'a abattu, qui continue son rêve de fondre le christianisme et la
Révolution, malgré l'orage qui vient de passer et la menace qu'il
sent venir, où va périr l'Église dont il est le chef.
1. Corr. Grég., Seine-et-Oise. Bibl. de la Soc. des Amis de P.-R. Dans leur numéro
du 31 juillet 1799, les Nouvelles Ecclésiastiques avaient reproduit la lettre de Ponsi-
gnon du 14 thermidor an VII (19 juillet 1799). Le 3 juillet 1800, le même journal
insérait la lettre de Le Coz, puis la Dissertation sur la célébration de l'office divin. Son
avis donné en termes fort modérés, était très net : « l'évêque de Versailles peut avoir
mal fait d'agir seul dans un cas où le concert paroissoit nécessaire : mais du moins ce
qu'il a fait est une chose, qu'il seroit à souhaiter que tous les Evêques du monde
s'accordassent à vouloir faire comme lui » (p. 54).
2. Avis au lecteur, p. 7 de l'ouvrage cité ci-dessous.
3. Voir Réclamations des fidèles catholiques de France au prochain Concile National en
faveur de l'usage primitif de la langue vulgaire dans l'administration des Sacrements
et la célébration de l'office divin Contre l'Avis motivé, etc.. publié dans les Annales de
la Religion, t. X, p. 49, pour servir de suite à la Dissertation publiée depuis peu sur la
même matière... [Par l'abbé H. Grégoire]. Paris, Brajeux, 1801, in-8°, VIII-159 pages.
B. N., 8°, Ld-4 5479. C'est sans doute ce livre qu'annonçait Grégoire quand il disait
dans les Actes du second Concile National III, 204, an X, « il y a du neuf à dire pour
[la francisation], et le rédacteur du compte-rendu des évêques espère le prouver en
publiant sur cet objet son ouvrage présenté au Concile National de 1797 ».
394 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Les seules objections qui lui inspirent des ripostes de quelque


vivacité sont celles où se trahit l'oubli des devoirs du clergé ou de
l'esprit de charité. Quand il entend dire que « le seul inconvénient
qui résulte de la conservation de la langue originale consiste en ce
que le simple vulgaire, les femmes, les enfans et autres personnes
illettrées ne peuvent pas entendre immédiatement et par eux-mêmes
les expressions des prières, des louanges et des actions de grâces
qu'on y adresse à Dieu », il tressaille. « En effet, s'écrie-t-il ironique-
ment, les femmes, les enfans, et autres personnes illettrées, qu'est-ce
que tout cela en comparaison des gens lettrés ? Cela ne mérite pas
qu'on y fasse attention; et les consolations spirituelles, et autres
avantages dont pourroient jouir des individus de si peu de consé-
quence (et en si petit nombre, qu'à peine sont-ils deux cents contre
un homme lettré) sont si peu de chose eu soi, que cela ne mérite
pas d'être recherché! » (p. 66)1. Et c'est là toute son amertume.
S'il veut peindre la routine, il emprunte un tableau tout fait.
Certains des arguments de ses contradicteurs lui paraissent vrai-
ment singuliers : Les prêtres peuvent bredouiller en latin ; la langue
française ne serait pas si commode. Eh bien, répond-il simple-
ment, ils bredouilleront moins. « Le prêtre apprendroit à se res-
pecter lui-même » (p. 79).
Malgré la prolixité du style et les redites, l'esprit est frappé de
temps en temps par des formules vives et nettes : « Apparemment
que les pasteurs entendent pour les fidèles, comme les nourrices
mangent pour leurs nourrissons » (p. 84).
« Pour prier, pour traiter avec Dieu, de Dieu, de soi-même, du
prochain, des choses de la vie éternelle, un consentement vague et
implicite, une simple direction d'intention peuvent-ils suffire ? »
(p. 82).
Chanter des psaumes en français, c'est faire comme les pro-
testants. Tout ce que font les protestants est-il mauvais parce qu'ils
le font? (p. 41-42). C'est là du « noir à noircir les gens » (p. 53).
Comment la version, adoptée dans plus de quarante diocèses,
dont l'Avis motivé présente la lecture aux fidèles comme remède
et dédommagement, peut-elle être erreur, venin, poison par l'usage
du chant? « Il en seroit donc comme de l'usage de la même eau,
qui, froide, retient les aliments, et, tiède, les fait vomir! » (p. 55).

1. Cf. « Nous avons des livres, nous disent-elles (les personnes pieuses), mais qui,
nous ? Vous etes en quelques endroits un seul sur cent qui en avez, en d'autres un sur
mille ; lesquels ou ne savent pas lire, ou par défaut de goût ou de
livres. Vous vous nourrissez donc, vous? je le suppose; mais tant moyens n'ont pas de
d'autres meurent
faute de manger, et cela vous est indifférent ! Est-ce donc là votre charité ? elle n'est
pas catholique » (p. 63).
LA QUERELLE DU SACRAMENTAIRE 395

« Les chantres de profession, et la plûpart des autres fidèles qui


chantent, ne peuvent mieux être comparés qu'à ces laquais de grands
seigneurs qui servent leurs maîtres à table : tous les mets les plus
exquis leur passent par les mains, mais ils n'ont pas le pouvoir d'en
manger » (p. 9).
« Si sans nous causer aucune dépense, ni nous déranger de nos
occupations ordinaires, l'Avis motivé et ses partisans peuvent, dans
l'espace d'un mois, nous donner l'intelligence de la langue latine en
laquelle on fait le service divin, nous lui donnerons la préférence.
Mais si on ne peut nous donner l'intelligence de la langue en
laquelle on fait l'office, qu'on fasse donc l'office dans la langue dont
nous avons l'intelligence » (p. 112-113).
Tout nourri des Pères et des Écritures, Grégoire les appelle à
son aide avec sobriété et à propos. Il a entendu à Saint-Nicolas
du Chardonnet des prières et toute une cérémonie en français.
Pourquoi donc pas les offices ? « Combien... n'auroient pu retenir
leurs larmes, si, à la reprise du culte, nous avions chanté en langue
vulgaire ces paroles du pseaume 73 : « Ceux qui vous haïssent ont
mis leur gloire à vous insulter au milieu de vos solennités... »
(p. 30).
On voit assez par ces quelques extraits combien les arguments
de bon sens, si nombreux dans cette cause, sont présentés avec
verve. Mais il en est que nous devons particulièrement retenir pour
l'histoire de la langue. Les adversaires ne peuvent plus arguer de
l'infériorité de la langue vulgaire. Si elle n'est pas une « mère-
langue » (p. 92), elle a donné cent chefs-d'oeuvre en preuve de sa
haute valeur. Elle est arrivée à maturité (p. 93).
« Assurés par une
expérience de cent cinquante ans que les règles
de notre langue sont fixées, et qu'elle est aujourd'hui aussi parfaite
que pouvoient l'être toutes celles dont l'Eglise s'est originairement
servie pour l'exercice de son culte, à mesure qu'elle s'est étendue
parmi les nations, nous sommes persuadés que ce temps de la misé-
ricorde du seigneur, après lequel elle soupire depuis si long-tems,
est enfin arrivé » (p. 18).
Arnauld l'appelait déjà « une des plus belles langues de l'Europe » ;
et Bouhours écrivait « qu'on l'y parloit dans toutes les Cours » ; or,
« loin d'avoir dégénéré
depuis, tout le monde sait qu'elle est parvenue
à un tel degré de perfection, qu'elle n'est pas seulement vulgaire
dans toute la France, mais encore dans toutes les grandes villes de
l'Europe. Et nous ne doutons pas que quand on concluera (sic) le
traité de la paix générale, c'est dans cette langue qu'il sera exprimé,
ainsi que le vient d'être celui de la paix particulière, entre la Repu-
396 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

blique et l'Empire; ainsi que l'ont été en 1783, les différents traités
qui pacifièrent les deux mondes, ainsi que le furent en 1774, le
traité, entre les Russes et les Turcs, à quoi M. de la Harpe fait
allusion par ces vers :
Des intérêts des Rois, votre langue est l'arbitre;
Disputant contre Orlof, l'orateur du Divan,
Osman plaide en français les droits de son Sultan ;
Et dans Foksani, le Turc et la Russie
Décident en françois du destin de l'Asie.

«Nous venons de lire dans le Publiciste : La lettre que l'Empe-


reur Alexandre Premier addressa au Prince Royal de Danemarck
pour le féliciter du courage qu'il montra dans l'affaire du 2 avril,
étoit écrite en français, circonstance qu'il ne faut pas oublier
(ajoute le Publiciste). C'est encore en français qu'on a publié à
Copenhague les événemens militaires entre le Dannemark et la
Grande-Bretagne, depuis le 30 mars 1801, jusqu'au 2 avril de la
même année. Il semble que la langue des Français soit devenue
désormais l'idiome convenu dans l'Europe pour célébrer les exploits
militaires » (4 prairial an IX) (p. 91-92).
Les sophismes historico-théologiques ne pèsent rien aux yeux de
Grégoire. Dès la page 4, il a dissipé l'erreur que le latin est la
langue de l'Église 1. Quand on dit que les Saints Pères ont tranché
le débat, on fausse le texte : il s'agit des Pères du Concile de Trente
(p. 110-111) 2.
Une objection restait pourtant, grave et gênante. Officier en
français n'était pas un moyen de se faire entendre des Bas-Bretons,
des Provençaux, etc. Grégoire s'en tire mal. Il ne peut pas accepter
le culte en patois, ce serait compromettre sa cause, risquer la
dignité de la religion. L'évêque de Blois refuse d'aller jusque-là et
l'on retrouve en lui l'auteur du rapport sur les patois. Les dissidents
se mettront au français 3 :

1. « En quelle langue... les apôtres et les hommes apostoliques ont-ils établi partout la
célébration du service divin ?... L'ont-ils établie en latin? Oui, mais non pas par-tout. En
grec? Oui, mais non pas par-tout. En syriaque? Oui, mais non pas par-tout. En hébreu ?
Oui, mais non pas par-tout... Et en quelle langue donc par-tout ?En langue vulgaire,
c'est-à-dire, en la langue ordinaire du lieu, et le plus généralementconnue de tous les
assistans. Pourquoi en usoient-ils ainsi par-tout ? 1° Parce que le bon sens le demande.
2° Parce qu'ils se proposoient par-tout, en tout, et préférablementà tout, la plus grande
utilité et la plus grande édification des fidèles... 3° Pour donner l'exemple à leurs
successeurs dans le même ministère ».
2. Le canon du Concile n'est qu'un point de discipline sujet à variation. Pehem,
professeur de droit canon à l'Université de Vienne, l'a proclamé en 1782. Un évêque de
Toscane a donné l'exemple delà réforme, avec plein succès, dans
son diocèse (p. 39-40).
3. Chabot avait exprimé la même opinion : « Si l'on faisait traduire livres litur-
giques en langue vulgaire de chaque département, nos
un voyageur aurait besoin d'entendre
LA QUERELLE DU SACRAMENTAIRE 397

« Quoique le français soit la langue vulgaire de toute la France en


général, néanmoins les paysans [les] plus éloignés des villes dans
la Bretagne, la Provence, la Gascogne, le Languedoc, le Poitou, ont,
en chacun de ces lieux, un patois particulier qui leur est plus usité
et plus vulgaire que le français, il n'est sans doute pas nécessaire
de célébrer le service divin dans tous ces patois, qui n'ont ni l'éten-
due, ni l'exactitude, ni la stabilité de la langue française : mais cela
n'empêche pas que la célébration en langue française ne fût très
avantageuse à toute la France en général, et même dans les lieux où
le français est moins usité et où le latin ne l'est pas du tout ;
parce que cela contribuant à leur rendre le français plus vulgaire,
leur seroit avantageux, et pour la religion, et pour leurs affaires
temporelles » (p. 37).
« La considération des Basques et des Bretons d'aujourd'hui ne
doit pas empêcher... de celébrer [les offices] en la langue com-
mune à toute la France... Un médecin abandonne-t-il quatre-vingt-
dix-huit malades qu'il peut guérir à cause de deux autres qu'il ne
peut encore soulager? » (p. 34).
Enfin il y avait à emporter l'adhésion de ceux dont la pusillani-
mité se déguise en prudence, et la peur en raison ; Grégoire l'essaye :
On craint cette nouveauté dans les circonstances où nous sommes.
« Mais le besoin du Peuple Français est le même dans les deux par-
tis »(p. 114). Les prêtres insermentés le sentent comme les autres :
« Si de leur côté ils tenoient un Concile, où siégeassent le prêtre
rétractant, qui, vers la fin de l'an VII, administra le baptême en
français à Saint Gervais ; le prêtre retractant qui, vers le commen-
cement de l'an VIII, disoit que le rétablissement que nous deman-
dons étoit le voeu de son professeur, et qu'il avoit raison ; le prêtre
insermenté qui, dans une lettre du courant de l'an VIII, appeloit
cela un usage si ancien et si nouveau, et ajout oit que les raisons
sont d'un côté et les préjugés de l'autre, l'ecclésiastique étranger,
et parconséquent insermenté qui, dans un écrit public de l'an VIII,
appelle cela un point ou le suffrage de la raison et celui de la religion
se trouvent d'un côté, et l'usage seulement de l'autre ; et sans doute
un grand nombre d'autres qui pensent de même, ils accueilleroient
aussi favorablement notre voeu que l'accueille un vertueux et savant
canoniste de leur parti, qui dit qu'il faudroit faire sur cette matière
un écrit à chaux et à ciment qui, si la routine et la prévention injuste

toutes les langues et de porter avec lui une bibliothèque liturgique pour assister aux
offices de l'Eglise... Le français est donc la seule langue que l'on puisse adopter pour
toutes les liturgies françaises, comme pour tous les livres de religion » (Lelt. à Gréq .
p. 76-77).
398 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

empêchoient de s'y rendre aujourd'hui, seroit au moins un témoi-


gnage pour la postérité que l'abus n'a pas été sans réclamation »
(p. 117-118).
Il m'a semblé impossible de ne pas m'arrêter un instant à ce plai-
doyer, autre Deffense et Illustration, où l'amour du pays, de la
Révolution et de la démocratie chrétienne s'unissent pour exalter
notre langue et lui ouvrir la vie religieuse 1. Le jansénisme, qui
avait toujours bien mérité d'elle, la servait une dernière fois.

1. Brugière mérite à cet égard d'être cité après Grégoire : « En employant dans
la liturgie l'usage de la langue française, vous lui faciliterez [au peuple] en même-
temps le moyen de se perfectionner dans sa propre langue, dans sa langue natu-
relle, ce qui n'est pas sans doute à mépriser. C'est le voeu du gouvernement, c'est le
voeu qu'a émis le concile national, en invitant les pasteurs à redoubler leurs efforts,
pour répandre la connoissance de la langue française dans les diocèses, où des dialectes
particuliers sont en usage ; quel moyen plus puissant pour les attacher plus forte-
ment et à la patrie et à la religion ? Que serviroit à ces peuples de faire des progrès
dans la connoissance de leur langue maternelle, si les avantages qui en résultent, se
bornent uniquement aux intérêts de la société civile ? La langue nationale est le véhi-
cule le plus propre à leur donner de la religion les sublimes idées qu'elle comporte.
Quelle confiance ils prendront dans les dogmes et dans les mystères de cette religion,
lorsque réunis dans les sentimens d'une même foi, ils adresseront à Dieu en commun
leurs prières et leurs voeux dans une langue dont ils éprouveront la force et l'énergie,
et dont l'harmonie et la douceur font goûter les délices les plus pures et les douceurs les
plus délicieuses ! Quelle fin s'est donc proposée le concile national, en invitant les
pasteurs à répandre la connoissance de la langue française? N'a t-il eu en vue que de
civiliser, d'adoucir les moeurs des habitans de la Basse-Bretagne, du Jura, des
Cévennes, du Mont-d'Or ? Il a porté ses vues plus loin, et ces vues sont bien dignes
d'évêques et de prêtres éclairés, et vraiment théophilantropes, c'est-à-dire les vrais
amis de Dieu et des hommes. Il a eu en vue de faciliter, par la connoissance de la
langue française, la connoissance de la religion. Et comment parvenir à remplir un si
grand objet, si l'on s'obstine à leur en faire pratiquer l'exercice public en une langue
étrangère, inconnue, qu'ils n'entendent pas? Tant vaudroit-il les laisser croupir dans
l'ignorance, en leur laissant l'usage de leurs barbares dialectes : et quels reproches nous
aurions à nous faire, nous évêques, nous prêtres, si nous nous contentions d'en faire des
français plus civilisés, plus polis, si nous ne nous appliquions de toutes nos forces à en
faire des chrétiens plus éclairés et plus vertueux ? Et quel moyen plus puissant,
encore une fois, que l'exercice public de la liturgie en langue française ? » (Appel,
p. 75-76).
CHAPITRE V

DANS LA PRATIQUE

HARDIES INITIATIVES.
— Brugière n'avait pas attendu le Concile
pour appliquer ses idées. Appelé pendant la Terreur auprès d'un
malade dont la famille l'avait prié d'administrer les sacrements en
français, il le fit. L'effet d'édification fut tel que le prêtre continua
cette pratique. Puis, vers l'an VII, les controverses achevèrent de
le décider. Il s'y engagea à fond. En l'an IX, il prit possession de
l'église Sainte-Marie. Les paroissiens lui demandèrent de se servir
du français. On chanta d'abord après complies, toutes sortes
d'hymnes. Un seul paroissien se retira. On pria alors le curé de
faire de même pour les prières de l'Avent et du Carême. Il l'essaya
encore, à la satisfaction de tous.
Un curé de Beauvais vint s'enquérir, puis un autre du Pays Char-
train. Mieux que cela, en l'an X, l'évêque Royer, assistant au Salut
français, éprouva « ce qu'avait éprouvé Saül à la rencontre de pro-
phètes, parmi lesquels il prophétisa comme eux » ; « il chanta de
tout son coeur en français, comme les autres ».
L'abbé Leroi fut converti à son tour, au point qu'il paya l'impres-
sion de la Réclamation 1.
C'est même là-dessus que Brugière, encourageant le technicien
qui lui avait fourni les moyens d'exécution, l'engagea à mettre en
ordre et à recueillir tout ce qui avait été chanté à Sainte-Marie, et
« qui forma un volume de trois cents pages contenant le chant des
Pseaumes, des Hymnes, des Proses, des Saluts, des Lamentations,
de la Passion, et enfin de l'Ordinaire de la Messe ».
« Brugière n'eût pas craint d'oser sans aucun
soutien, comme le
fidèle Abraham,-seul de son pays, comme le chaste Lot, seul de
sa ville » 2. Il avait un émule, Duplan. « Le dimanche
18 thermi-
dor an VI (5 août 1797), content les Annales, Duplan fit dans l'église
de Gentilly, près Paris, l'essai de faire chanter les Vêpres en langue
vulgaire, sur le ton ordinaire des Pseaumes. L'un des évêques réunis

1. Voir sur tous ces faits la Préface du Mémoire apologétique, XI-XIII.


2. Mémoire apologétique, p. 98.
400 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

à Paris a cru devoir céder à l'invitation qui lui avait été faite
d'assister à cet Office... Cet essai a parfaitement réussi »'. Or
la note des Annales est de l'évêque lui-même, qui, entraîné par
l'expérience, fut quelque temps au moins le partisan de la doctrine
et résolut de faire imprimer ces chants qu'il avait chantés de tout
son coeur, à gorge déployée, « pendant qu'il se contentait de fri-
cotter les Vêpres latines ».
Brugière eût fait volontiers sur la question un plébiscite à sou-
mettre au peuple : « Dites le à l'Église ». D'où le titre de son
Opuscule : Appel au peuple chrétien.

RARETÉ DES TÉMOIGNAGES.


— Assurément les protagonistes doivent
avoir été singulièrement fortifiés dans leurs idées par l'adhésion,
même partielle, du Concile de 1797. Mais furent-ils imités ? Où et
par qui? C'est un problème à éclaircir. Hors les déclarations de
l'évêque de Seine-et-Oise, Clément, dont nous avons parlé, nous
n'avons guère de témoignages sur l'accueil fait par les ecclésiastiques
et les fidèles aux nouveaux usages. Si nous en croyons Pon-
signon, des centaines de baptêmes ont été donnés en langue fran-
çaise ; il nous le dit, mais nous n'en savons rien de plus. Grégoire y
fait aussi allusion, mais d'après la même source, et sans aucune indi-
cation précise 2.
A Paris, l'évêque Royer avait accepté au moins pendant un

temps —, nous dit-on, que plusieurs prêtres donnassent les sacre-
ments en français. Il disait en personne les prières du prône en
français, conformément aux décisions du Concile (Grégoire, o. c,
p. 139-140) 3. On y vit donner le baptême en français. Quand et où ?
se demande-t-on \
Un prêtre reçut en cette langue l'extrême-onction de son curé en
présence d'autres prêtres et de laïcs 5. Des cérémonies de cette sorte
eurent lieu en ville 6. Mais combien de fois ? Qui en fut témoin?
Si les Matines, les Compiles se disaient en français, si on y
chanta des psaumes, des hymnes aussi bien que des cantiques 1,
1. VII, 182. Cf. Grégoire, o. c, p. 74 et 138. Grégoire tient les détails d'un
assistant.
2. Dans telle paroisse de Versailles, le vicaire épiscopal, d'après le voeu de son
évêque, administre aussi le baptême en langue vulgaire (Réel., p. 74). Cf. dans telle
«
paroisse du diocèse de Versailles, on lit en français seulement les leçons de matines, et
le reste se chante
en latin » (Ib., p. 73).
3. Grégoire emprunte probablement le fait à l'Apologie, p. V.
4. Grégoire, o. c. p. 137.
3. Id., ib.. p. 144.
6. Id., ib., et p. 74.
7. Id., ib., p. 74, 144, 137. Dans paroisse de Paris, on chante avant None
des Pseaumes en français (p. 73); dans
une
une autre... depuis trois ans, on récite en
français les compiles durant le Carême pour prière du soir (ib.).
DANS LA PRATIQUE 401

personne ne rapporte qu'on ait francisé la Messe, ni même, sauf


exceptionnellement, les Vêpres.
S'il faut en croire les tenants du français, les nouveautés, loin
d'être mal vues des fidèles, étaient très goûtées par eux. Ce fut
même, on nous le dit expressément, à la sollicitation des parois-
siens qu'on donna en français les sacrements, et l'impression fut
telle que les assistants, profondément remués, se mêlaient à la
célébration. Les faits allégués auraient besoin naturellement d'être
contrôlés, puisqu'ils sont rapportés par des hommes qui ont intérêt
à montrer l'effet bienfaisant de ces pratiques. Pourtant, ce qui semble
confirmer leurs dires, c'est que des insermentés suivaient l'exemple.
Boursier, curé de St-Gervais, a administré le baptême en français1.
« Le curé de Surenne, autre insermenté, est dans l'usage de lire à ses
paroissiens la Passion en français, au lieu de se fatiguer à la leur
chanter inutilement en latin ». Le curé de Brunoi, encore un inser-
menté, en a fait autant cette année (Grég., o. c., p. 115). A Saint-
Nicolas du Chardonnet, MM. Hur et Grinne ont fait chanter
l'hymne Statuta en français et à chaque strophe la reprise du Rorate 2.
Malgré les exemples que je viens de rapporter, il est difficile de
dire si vraiment le français s'introduisit dans le culte — en dehors
même de la Messe. — J'ai l'impression de tentatives isolées plutôt
que d'un commencement de mouvement général. Je dirai plus. Il
me semble bien que Grégoire n'a pas eu connaissance de beaucoup
d'essais de francisation dans les divers diocèses ; il les aurait cités,
au lieu d'emprunter à Ponsignon ceux qu'il allègue 3. Celui-ci fait
allusion à de nombreuses adhésions qu'il aurait reçues (Apol., p. IV).
Il les avait, prétend-il, communiquées aux Annales, qui ne les ont
pas insérées. C'est dommage. On aimerait les connaître et contrôler
son témoignage. Si l'attention des historiens se porte désormais sur
ce point, peut-être trouveront-ils dans les Archives des renseigne-
ments positifs 4.

RÉPUGNANCE GÉNÉRALE DE L'ÉGLISE.


— Visiblement asser- l'Église
mentée, si réduite, répugnait dans son ensemble à briser ainsi avec

Dans une autre paroisse de Paris, on lit en français, non-seulement les leçons, mais
les matines toute (sic) entières (ib.).
M. le Curé de Saint-Paul fait des essais de psalmodie française : Te Deum, psaumes,
prières de l'Avant et du Carême, etc. (p. 77).
1. Brugière, Mém. apol., p. 90.
2. Id, Ib., p. 90.
3. Brugière cite aussi, parmi les convaincus, Ricci, qui était à la tête du Diocèse de
Pistoie (Ib., p. 99).
4. Je dois dire que je n'en ai pas rencontré dans la portion que j'ai lue de l'énorme
correspondance manuscrite de Grégoire.
Histoire de la langue française. IX. 26
402 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

la tradition. Ayant déjà assez à faire de soutenir dans chaque village


une lutte furieuse, elle ne voulait pas risquer de se compromettre
encore aux yeux des fidèles, en se donnant des airs d'hérésie. Il lui
suffisait d'être traitée en schismatique. Des essais qui, en d'autres
temps, eussent peut-être été vus avec quelque complaisance, ne
pouvaient manquer d'être représentés comme des sacrilèges d'inspi-
ration diabolique. Après les faux prêtres, les faux baptêmes, on
aurait les fausses prières. Les prélats reculèrent.
Il est facile de voir, en feuilletant les Annales, que, si la direc-
tion changea plusieurs fois, les dispositions envers les franciseurs
changèrent peu, et toujours pour devenir plus hostiles.
Le citoyen Vernerey, curé de Luhier (Besançon), avait proposé
des Vues sur un cours de théologie française. En insérant ce travail,
la direction du journal l'accompagna de cette note: « Nous devons
protester ici contre l'étrange idée d'un cours de théologie en fran-
çais, quoi que proposée par un ecclésiastique du mérite le plus dis-
tingué. Rien ne paroît mieux disposé pour précipiter les prêtres et
l'église dans une profonde barbarie. Nous ne craignons pas de son-
ner le tocsin contre toutes ces francisations» (an VIII) 1.
Nous avons, du reste, d'autres preuves que des preuves néga-
tives. Il y eut de nombreux synodes diocésains. Tout en acceptant
que leur langue serait le français (voir Syn. de Versailles, Act., 19
janvier 1796. Coll. Grég., tome 109, pièce 5, p. 29, Bibl. Soc. des
Am. de P.-R.), ou bien ils passèrent sous silence la question
débattue ou bien ils se prononcèrent en faveur de la tradition.
Synode de Toulouse : « L'église d'Auch conservera le latin dans
l'office divin jusqu'à ce qu'il en soit autrement décidé par un Concile
d'Occident ». — Synode de Bayeux (2 septembre 1800). On
« réclame contre tout changement d'idiôme dans l'office public » —
Synode de Vannes : « L'assemblée a unanimement protesté contre
le Sacramentaire Français » 2. — Synode de Rouen : « Le Concile

1. Ann. de la Rel., t. XI, p. 215. Brugière n'eut pas plus de succès. L'enseignement
de la théologie en latin est en France un vieux préjugé de corps : nos« évêques auront-
ils le courage et la force de l'abattre ? La théologie est la science des dogmes et la
doctrine des moeurs ; qu'on ait égard et qu'on s'en tienne à ce que le Saint-Esprit
dicté, à ce que la tradition constante et suivie de l'Eglise, qui est la colonne et la basea
de la vérité, nous a transmis de siècle en siècle, alors on fera des théologiens,
théologiens de nos jours, dont toute la science consistoit en chicanes et non des
en subtilités
plus propres à soutenir le mensonge, qu'à établir la vérité » (Appel,
Grégoire rapporte pourtant que feu Climent, évêque de Barcelone, p. 83).
de bons de piété langue, renonça à com-
poser ouvrages en sa parce qu'il y avait assez de bons ouvrages
français qu'il suffisait de traduire. Dans un séminaire d'Allemagne, les séminaristes
croyaient ne pouvoir « devenir habiles théologiens qu'autant qu'ils seroient bien
vus des bons ouvrages françois, et les moins aisés prenoient sur leur nécessaire
pour-
s'en procurer » (Récl., p. 94-93, n.). pour
2. Ann. de la Rel., t. XII, p. 502, 506, 540.
DANS LA PRATIQUE 403

s'oppose au changement de l'idiôme latin dans les Offices, et à


l'introduction de la langue vulgaire dans la Liturgie ». Toutefois il
«
recommande aux Fidèles de se procurer des livres traduits en
françois, afin de pouvoir suivre l'Office avec intelligence » (Act. du
Conc. Métrop. de Rouen, 5 octobre 1800—13 vendémre an IX, Rouen,
Fouquet, p. 38). — Synode de Vesoul : « Le synode donne comme
instruction au vén. Lempereur, député au concile métropolitain :
de déclarer qu'il s'oppose formellement, autant qu'il est en lui, à
l'introduction de la langue vulgaire dans l'Office public du diocèse
de la Haute-Saône » (Ann. de la Rel., t. XII, p. 544).
A Versailles même, l'opinion parait sur la fin être devenue très
froide. Le révérend évêque notifia d'abord au synode, « comme un
juste éclaircissement qu'il devoit à son clergé, les raisons cano-
niques de la conduite régulière et réservée qu'il avoit tenue depuis
le Concile National dans l'exécution de son décret sur l'administra-
tion des sacremens aux fidèles en langue vulgaire ; le succès et les
bénédictions que Dieu y avoit répandues, contre les vaines équivo-
ques que l'inadvertance lui avoit opposées » (Ib., 541).
On y entendit ensuite le rapport du citoyen Ponsignon... archi-
diacre... sur la confection d'un Sacramentaire à adopter, selon le
plan du Concile National, en la langue vulgaire, dans l'administra-
tion des Sacremens, pour parvenir à l'uniformité du rit gallican
décrétée pour occuper le prochain Concile National. Le synode a
conclu de donner acte de sa reconnoissance au citoyen Ponsignon,
sur ce travail destiné à être joint au Mémoire présenté précédem-
ment par le diocèse, pour y être pourvu par le prochain concile 1.
Sans plus.
Grégoire devait sentir venir la défaite. N'était-ce pas en prévi-
sion qu'il écrivait à la veille du Concordat : « Que le nombre de ces
pasteurs et membres éclairés du Concile... soit grand ou petit, il
n'importe ; ayant plus égard au poids des raisons qu'au nombre des
suffrages ; c'est en ceux-là que nous reconnaîtrons la voix de
l'Eglise » (Réclam., p. 122). Cette belle intrépidité ne servait de rien.

LE SECOND CONCILE. — On se rappelle les obstacles opposés à la


réunion du dernier Concile. Royer, l'évêque de Paris, ne recon-
naissait plus depuis longtemps l'autorité des Evêques Réunis, sorte
de Bureau Permanent. Il était hostile au Concile nouveau. Celui-ci
se réunit pourtant. Quand il se tint, Grégoire y fit une relation
détaillée des mesures prises en exécution des décrets de 17972. Il
1. Ann. de la Rel, t. XII, p. 543.
2. Actes du Second Concile National, Paris, Lib. chrét., an X, t. III, p. 201.
404 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

prit la parole le lundi 3 août, le mercredi 5, et fit son rapport sur


la Liturgie. Après quelques observations générales faites sur
«
le rapport, et principalement sur le projet de décret, » l'évêque de
Coutances demanda l'ajournement à huitaine de la discussion de ce
projet. Il fut appuyé par l'évêque de Saint-Claude ; l'évêque d'Auch
proposa, par amendement, d'ajourner aussi à huit jours la discus-
sion sur le rapport. Adopté 1. Le 12 arriva; aucune trace de la dis-
discussion. Or le 14, on annonça la Bulle « pour la pacification des
troubles religieux ». Le ministre de la police espérait que « le
Concile aviseroit dans sa sagesse à une prompte séparation ». 2
L'Église gallicane avait fini de vivre. Bonaparte ne s'était servi
d'elle que pour obtenir de la cour romaine des concessions. C'est
sur celle-ci qu'il entendait fonder sa politique. Faut-il conclure que
la liturgie française mourut du même coup? Non. Elle était morte
auparavant. Nous avons vu que le rapport de Grégoire sur la litur-
gie fut escamoté. C'est son Traité de l'Uniformité et de l'Améliora-
tion de la liturgie. Assurément Grégoire n'y abandonne pas ses
doctrines 3, mais il ne fait plus qu'une simple allusion à la francisa-
tion. Il rappelle qu'on avait fait un premier pas ; il ne lui vient pas
à l'esprit de proposer qu'on fasse le saut décisif4.
Il appartient à d'autres de dire si l'Église gagnait autant en unité
qu'elle perdait en force. La langue française en tous cas avait man-
qué encore une fois l'occasion de s'emparer d'une province essen-
tielle de la pensée et du sentiment 5.

1. Ann. de la Rel, t. XIII, p. 321-322.


2 Ib.. p. 350.
3. « Autant le peuple a de dégoût pour du latin qu'il ne comprend pas, autant il a
d'empressement à écouter les chants qui frappent son coeur, parce que son esprit en
saisit le sens ; il le répète dans ses travaux rustiques ; et souvent il remplace des couplets
indécents et triviaux, qui sans cela auraient plus de vogue. Je ne suis pas surpris que
les anglais dissenters attachent tant de prix au recueil de cantiques publiés par Wats :
Jamais la poésie n'est plus belle que quand elle associe ses richesses aux idées sublimes
de la religion » (p. 113-114).
4. « Ces articles furent adoptés par le concile, seulement on ajourna la disposition du
septième, portant que la liturgie doit associer l'intelligence des fidèles aux sens des
prières et des cérémonies: C'est une vérité indéniable. Mais après avoir statué que les
prières du prône se feraient on langue française, et qu'il en serait de même pour
l'administration des sacrements dans la rédaction d'un rituel uniforme de l'église
gallicane, le concile ne crut pas devoirétendre plus loin l'admission de la langue vulgaire
dans le culte public » (p. 125).
Brugière, lui, ne désespérait pas pour cela. Au contraire, reconnaissant droit
l'Etat un
à en ces matières, il invoquera l'article organique de la Convention du 26 mes-
sidor an IX-15 juill. 1801 (titre III du culte, art. 39), qui prescrit l'unité de liturgie
et soutient qu'il prolonge et reprend l'article identique du Concile National, que les
choses restent donc dans le statu quo (Mém. apol. p. 92).
5. On lit dans les Actes du Second Concile national de France, t. III, 201-204 :
Un décret du concile national portoit qu'il seroit rédigé un rituel uniformep.
«
églises gallicanes, et que l'administration des sacremens (les formules sacramentellespour les
exceptées), seroit en langue française : le vén. Ponsignon,
sur notre invitation, s'étoit
DANS LA PRATIQUE 405

chargé de la rédiger. D'après le consentement et la recommandation du rév. évêque


de Versailles, on commença à mettre cette forme en pratique dans sa ville épiscopale
pour l'administration du baptême, du mariage, et pour les sacremens des mourans.
Dès ce moment on en sentit tout l'avantage ; les cérémonies expliquées et comprises ;
les prières augustes qui les accompagnent, prononcées dans une langue qui les mettent
à la portée de tout le monde, impriment le respect à tous les assistans : ils en sont
touchés jusqu'aux larmes ; on se presse autour du pasteur pour l'entendre ; il n'est pas
jusqu'à la cérémonie des relevailles qui ne trouve des auditeurs attentifs et édifiés.
« Dans l'administration des derniers sacremens, les malades ne sont plus purement
passifs ; ils se joignent aux prières qui les consolent, et les fidèles présens y répondent
avec piété. Ces dispositions des assistans influent jusque sur le ministre des sacremens,
et le portent à les administrer avec plus de respect et de dignité. Tout se réunit donc
pour prouver que les pratiques et les prières de notre sainte religion ne peuvent que
gagner à être connues ; et comme le disoit le vén. Ponsignon, un sacramentaire, au
lieu d'être une sorte de code mystérieux dont l'intelligence est réservée à ceux qui
entendent le latin, devroit être un manuel intéressant pour tous les fidèles, et un livre
classique pour la jeunesse. [Tout ce passage est emprunté à Ponsignon, v. p. 383.]
« Cet usage est celui de toute l'antiquité chrétienne, qui administroit les sacremens
dans la langue du peuple : pour le justifier, le rév. évêque de Versailles, les vén.
Brugières et Duplan, et le cit. Renaud publièrent divers écrits; mais le rév. évêque
de Paris, de concert avec son presbytère, et le rév. évêque de Dax écrivirent en sens
opposé. Alors parurent, contre l'introduction de la liturgie en langue vulgaire, diffé-
rentes protestations dont on grossit la liste, même en y joignant celle du rév. évêque
de Besançon, qui ne s'en doutoit pas.
« Mais, dira quelqu'un, on avoit donc voulu introduire l'usage
de célébrer la messe
en français ; et sans doute déjà dans quelques diocèses, on l'avoit fait. Point du tout.
Et sur quel motif pouvoient donc s'appuyer ces réclamations ? sur aucun. Cette absence
de raisons et de motifs imprime une teinte de ridicule, soit à ceux qui s'escrimoient
contre ce qui n'existoit pas, soit à ceux qui croyoient faire une chose merveilleuse en
leur adressant des protestations et des adhésions. Au reste, l'usage de la liturgie en
langue vulgaire est une question si souvent débattue, surtout à la fin du seizième
siècle, que, pour quiconque est un peu versé dans ces discussions, il n'y a rien de
neuf à dire contre, tandis qu'il y a du neuf à dire pour; et le rédacteur du compte
rendu des évêques espère le prouver en publiant sur cet objet son ouvrage présenté au
concile national de 1797 ».
LIVRE VI
LES RÉSULTATS DE LA REVOLUTION

CHAPITRE PREMIER

PROGRÈS CONSTATÉS

— Quiconque n'est pas hostile de


L'IDÉAL DES RÉVOLUTIONNAIRES.
parti pris à tout ce qu'a établi ou cherché à établir la Révolution,
n'aura pas manqué, en lisant les pages qui précèdent, d'observer
combien les Révolutionnaires de toute nuance avaient le sens pro-
fond des grands intérêts nationaux et comment en particulier,
en travaillant à l'établissement de la République de langue une
et indivisible, ils contribuaient à parfaire l'unité morale de la
France.
Si c'était un rêve, il était noble et grand. En haut, réagir contre
des routines démodées, et remettre définitivement à sa place la
langue latine qui n'avait plus aucun droit à rester exclusivement la
langue des études libérales, n'étant plus ni l'organe des sciences
définitivement constituées d'après des méthodes nouvelles, ni celui
des lettres depuis longtemps libérées ; reconnaître donc pour instru-
ment unique de la pensée nationale la langue française, la faire
entrer de la cour de récréations des collèges et du vestibule des
Universités dans les salles de classes, faciliter par ce coup d'État
l'instruction supérieure, l'assurer aussi en éliminant les chances
d'erreur et les obscurités qui naissent de l'emploi d'un idiome
étranger, mal adapté, faire des créations de l'esprit français, des
chefs-d'oeuvre de nos poètes, de nos prosateurs, de la langue elle-
même, produit authentique du génie de la race, l'objet essentiel
de l'enseignement linguistique, la matière des réflexions et des
analyses, la base de l'éducation littéraire, le moyen de formation
des esprits et des caractères.
408 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

En bas, créer à la pensée française, passée et présente, un foyer


dans chaque commune, accueillant aux adultes comme aux enfants,
église du patriotisme ; donner à tous l'avantage de savoir lire dans
tous les livres, non pour les seuls besoins de la vie quotidienne,
mais de façon à devenir des hommes et des citoyens complets, à
entrer en communication avec les savants et les écrivains de leur
pays; mettre les plus humbles en état de pouvoir, en toute occasion,
suivre et comprendre la marche des événements, les discussions
politiques, sociales, économiques, d'y prendre part, de défendre
directement et sans intermédiaires leurs idées aussi bien que leurs
intérêts ; abaisser les barrières qui étaient les douanes provinciales
de la pensée, fondre tous les citoyens en une âme commune, qui
mettrait les mêmes idées et les mêmes sentiments dans les mêmes
mots, du Rhin aux Pyrénées ; accomplir par le moyen de relations
devenues faciles et sûres l'oeuvre de fraternité; vivifier, en les ren-
dant compréhensibles, jusqu'aux hautes leçons qu'ils recevaient des
monuments, jusqu'au culte qu'ils rendaient à Dieu, devenu conscient
et personnel ; en un mot élever la masse, en lui fournissant l'instru-
ment premier et indispensable, jusqu'à une vie nouvelle, plus large,
plus haute, plus morale, plus humaine et presque divine.
Voilà quelques-uns des résultats auxquels on voulait atteindre, et
on comprend qu'une époque géante, où des pétrisseurs de mondes
ignoraient la règle qui impose de mesurer les entreprises géné-
reuses à la médiocrité des forces des plus vaillants, se soit éprise
de ce vaste plan de nationalisation linguistique. Il n'est pas dans
la condition de l'humanité que des hommes, de quelque pouvoir
qu'ils disposent, arrivent en quelques années, à changer la langue
maternelle de peuples entiers. Le parler est la chose qui se com-
mande le moins, toutes sortes d'oppresseurs en ont fait l'expé-
rience; il est même téméraire de chercher à précipiter les change-
ments.
Les résultats ne répondirent donc pas aux espérances, il serait
vain de le contester, et tout l'exposé qui précède en fait foi. Néan-
moins il faudrait bien se garder de croire qu'ils furent nuls. A la
fin de la Révolution, le nombre des gens qui parlaient le français,
en l'estropiant plus ou moins, avait énormément augmenté. Un
paysan facétieux, répondant à un enquêteur de l'Empire, lui disait:
« Depeu la Révolutiun, je commençon de franciller esé bein » 1.
Des millions d'autres campagnards eussent pu prendre le mot à
leur compte. Quand le grand linguiste Meillet, considérant la

1. Arch. N., F17, 12092. De St-Léger s. Dheune (Saône-et-Loire).


PROGRÈS CONSTATÉS 409
situation linguistique d'avant et celle d'après la Révolution, a
déclaré qu'on en était à peu près au même point en 1800 qu'en
1789, il faut bien dire qu'il s'est trompé 1. Il a raison de penser qu'il
n'y avait pas de langages disparus. Mais le français s'était intro-
duit, à côté des divers parlers, dans une foule d'endroits où aupa-
ravant il n'avait jamais pris pied.

LES STATISTIQUES.
— Des étrangers qui voyageaient en France sous
l'Empire, comme Christ. Aug. Fischer, remarquèrent les progrès
accomplis : le français avait pénétré même dans les basses classes 2.
Mais il n'est plus besoin de s'en rapporter à des témoignages isolés,
et pour ainsi dire fortuits. Nous sommes entrés dans l'âge des
statistiques et des enquêtes.
L'histoire et la bibliographie des statistiques a été faite dernière-
ment, de main de maître, par mon collègue de Saint-Léger, dans
Le Bibliographe moderne3. Assurément les statistiques ne donnent
1. Rev. du mois, 10 janv. 1920, p. 29.
2. Briefe eines Südlaenders. Leipz., 1803, p. 178-184.
3. XIXe année, janvier-juin 1918-1919, p. 5 et suiv. : Les Mémoires statistiques des
Départements pendant le Directoire, le Consulat et l'Empire. Née sous l'ancien régime,
l'idée fut reprise par les Assemblées révolutionnaires, mais c'est à François de Neuf-
château que rerient l'honneur de l'avoir mise à exécution dès son premier passage au
Ministère de l'Intérieur (du 28 mess, an V—16 juillet 1797, au 24 fructidor an V-10 sept.
1797). Quand il redevint ministre (29 prairial an VI-17 juin 1798), il la reprit, et
fournit un canevas aux commissaires. Ce canevas faisait place à un chapitre sur les
moeurs et usages du département. C'est là que pouvaient être donnés les renseignements
sur le langage.
Sous le Consulat, Lucien Bonaparte s'occupa à son tour de cet inventaire (Circulaire
du 23 prairial an VIII-14 juin 1800). Mais ce fut Chaptal qui étudia l'idée avec le
plus de méthode (Circre de germinal an IX). Toutefois lui aussi négligea de demander
des informations au sujet du langage.
Malgré les efforts du gouvernement, le travail marcha très lentement. Sur ordre du
ministre, un plan fut dressé par Peuchet, Essai d'une Statistique générale de la France.
Paris, an IX, in-8°, 78 pages. Quelques mémoires parurent. Le mouvement était
donné. Le ministère fit imprimer les Statistiques de 33 départements.
Chaptal voulut faire plus complet. Une collection nouvelle fut entreprise, qui com-
mença à paraître in-f° en l'an XI.
En 1804, Champagny, qui avait succédé à Chaptal, donna ordre de suspendre la publi-
cation. Puis, le 26 floréal an XIII (16 mai 1805), on donna à Testu le droit d'imprimer
et de vendre les mémoires à son compte. Le travail commença, mais fut suspendu. Testu
s'aboucha avec des géographes et des littérateurs. Un plan modifié fut adopté par le
ministre en juin 1812. On verra plus loin comment, grâce à Coquebert de Montbret,
une vaste enquête linguistique spéciale avait été entreprise. Survint la suppression du
bureau de Statistique (oct. 1812). Testu n'obtint pas du ministre, comte de Montalivet,
la subvention qu'il avait demandée, et la statistique officielle demeura en partie manus-
crite. La Bibliothèque Nationale a conservé le prospectus de Testu de 1808 (Voir en tète
de la Statistique de l'Ain, 1808). Ce document contient le plan uniforme. Au chapitre III
(Instruction publique), il n'est pas fait mention du langage. En 1810, Peuchet et
Chanlaire, employés au Ministère, avaient publié une Description topographique et
statistique de la France. Paris. P. G. Chanlaire, 3 vol. in-4°.
En dépouillant aux Archives F20 1-2-3-4-5, où se trouve l'analyse de la Correspon-
dance avec les Préfets, j'ai constaté que beaucoup des mémoires avaient été considérés
comme plus ou moins manqués : Creuse (médiocre ; on a demandé au Préfet de le
refaire) ; Escaut (médiocre) ; Finistère (très mauvais) ; Forêts (incomplet) ; Morbihan
410 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

pas souvent les renseignements précis que des philologues souhai-


teraient. Beaucoup négligent totalement la question du langage, qui
auraient pu et dû en parler. Que le préfet de la Marne n'ait pas
songé à quelques parlers réfugiés dans des communes telles que
Cheminon ou Courtisol, il en est fort excusable. Mais un administra-
teur, observant l'état moral des populations, eût pu trouver un mot
à dire sur le langage dont usaient les gens des campagnes dans la
Drôme, la Lozère, la Loire-Inférieure, le Lot-et-Garonne, le Gers,
l'Ille-et-Vilaine, les Vosges. Ce n'était pas non plus chose indiffé-
rente dans le Golo ! Or les rapports sont muets à ce sujet.

RENSEIGNEMENTS INSUFFISANTS.
— En second lieu,
il arrive aux pré-
fets de donner tout autre chose que ce que nous souhaiterions. Ils
transmettent des racontars de seconde main sur la nature et le ca-
ractère des parlers de la région, renseignements qui sont sans
valeur, ainsi pour les Deux-Sèvres 1, la Haute-Vienne 2. On y trouve
un chapitre intitulé : Le langage. Il contient des détails sur le patois,
les chansons, l'Enéide en vers burlesques de l'abbé Roby, la Para-
bole de l'Enfant prodigue (p. 106-107). Le préfet Texier-Olivier
ajoute : « Dans les villes on parle françois, mais avec une prononcia-
tion vicieuse. L'accent limousin ne se perd que difficilement, même
chez ceux qui font de longues absences. Les habitants des campagnes
entendent un peu la langue françoise, mais ils ne peuvent la parler
qu'avec beaucoup de peine ; ils ont un langage particulier qui a plus
ou moins de rudesse, et qui varie à l'infini pour le dialecte et pour
l'expression ». C'est tout.
Pour la Meurthe, les indications ne sont guère plus satisfaisantes.
Qu'on en juge: « Dans la partie N. E. qui dépendait de l'Empire
germanique, tous les habitans sont de race allemande ; cette langue
est toujours la seule que l'on y parle dans les campagnes » (p. 134) 3.
Le rapport ajoute : « On parle françois avec assez de pureté dans nos
villes, et parmi les gens bien élevés, on ne remarque point d'accent
particulier... Mais le langage du peuple est fort lourd, sur-tout dans
le Toulois. Le patois lorrain que l'on parle dans nos villages est le
vieux françois » 4. Les fonctionnaires placés à la tête des départe-

(très mauvais) ; Puy-de-Dôme (renvoyé au Préfet pour changements) ; Sambre-et-Meuso


(médiocre) ; Saône-et-Loire (renvoyé au Préfet) Stura (simple statistique) ;
Vienne (renvoyé au Préfet) ; Yonne (incomplet). ; aperçu
1. Voir an XII, p. 214.
2. 1808, in-4°
3. Voir M. Marquis, Mém. Statist. de la Meurthe. Paris, Impr.Impér.,an XIII, in-f°.
4. Ce patois diffère do canton à canton, et quelquefois de village à village... Dans
l'arrondissement de Sarrebourg et dans trois cantons de celui de Château-Salins,
on
parle allemand ; mais ce n'est qu'un dialecte grossier et désagréable à l'oreille (p. 140).
PROGRÈS CONSTATÉS 411

ments n'étaient pas des linguistes, ils ne l'ont que trop fait voir 1.
Un certain nombre d'entre eux, répondant à une enquête dont
nous parlerons plus loin, se font l'illusion que les patois ont disparu
de leurs départements. C'est le cas dans l'Indre 2, l'Indre-et-Loire3,
la Marne 4, le Maine-et-Loire 6. Le préfet de la Nièvre en dit autant 6
et aussi celui du Calvados 7, celui de la Seine-Inférieure8, celui de
l'Eure 9, celui de l'Oise, celui de l'Aisne 10, celui de l'Allier 11, celui
de la Loire-Inférieure12.
Tous ces gens se trompent, sans doute, et des dialectologues
jugeraient sévèrement leur ignorance, mais leurs affirmations elles-
mêmes ont leur valeur pour l'objet qui nous occupe. En effet,
puisque ni les administrateurs, ni ceux de leurs administrés qu'ils
ont interrogés n'ont l'impression qu'on parle autour d'eux autre
chose que le français, altéré peut-être, mais reconnaissable, c'est
donc que le français domine et règne. J'interpréterais ainsi, sans
hésiter, des affirmations telles que celle qui suit : Les paysans (de
la Côte-d'Or et des autres départements de Bourgogne), lorsqu'ils
sont obligés de converser avec les habitans des villes, parlent géné-

1. Celui des Bouches-du-Rhône nous dira :


« Ce mélange (de grec, de mauvais latin, d'italien et de catalan) en fit une langue par-
ticulière, toujours riche et remarquable par une infinité de termes exprimant seuls des
choses, qui en nécessitent plusieurs dans la langue française. Elle a encore perdu
beaucoup de son caractère originel par le mélange d'un grand nombre de termes
français qu'elle a emprunté depuis la réunion de la Provence à la France. Aujourd'hui,
la langue française, étant avec raison la seule reçue dans toute la République, la langue
provençale ne peut plus être regardée que comme un idiome qu'on emploie généra-
lement à quelques nuances près, depuis Nice jusqu'à Bordeaux ». (Paris, Valade,
an XI-1802,in-8°, par J. Et. Michel (d'Eyguières), p. 163. Admin. en 1790,1791,1792).
Celui d'Ille-et-Vilaine s'aventure plus témérairement encore : « La langue du cultivateur
est un vieux français qui varie. Dans les cantons du sud particulièrement, ils parlent pur
Joinville (!!); mais la prononciation gutturale et sifflante, que notre alphabet ne peut
pas rendre, tient au celtique, dont il a retenu quelques mots, et surtout des noms de
lieux, dans toute leur pureté » (Statist. d'Ille-et-Vil, par le cit. Borie, Préfet. Paris,
an IX, p. 12).
2. Let. du 23 juill. 1812. B. N., ms. Nouv. acq. fr., 5911, f° 181.
3. Let. du 22 fév. 1812, Ib., f° 189.
L'on y prononce nâtion, conversâtion Suit un Tableau de quelques mots particuliers :
= = = =
bardou âne, joué peu, noue endroit bas, chatelet devidoir, etc. (Ib., f° 191-192).
4. Sauf les cantons de Marson et Ste-Menehould. La lettre donne un recueil de
mots « courtisiers » (Ib., f° 296).
3. On y parle la langue française sans caractère distinctif. Ni mots ni tournures par-
ticulières, sauf sur les confins du Poitou (Ib., f° 290).
6. Il n'y a de patois qu'en Morvan (arrt de Château-Chinon) (Ib., f° 361).
7. Let. du 1er févr. 1812. B. N. ms. Nouv. acq. fr., 5913, f° 161.
8. Le Préfet envoie une lettre du Sous-Préf. d'Yvetot « Tout le monde, sans excep-
tion, y parle la langue française ». Il avoue du reste que ses habitudes ne le mettent
pas en relation avec le peuple.
9. B. N., N. acq. fr. 5910, f° 388.
10. Ib., f° 21-22.
11. Let. 27 oct. 1808. Ib., f° 26. Dans l'arrondissement de Moulins, on parle la
langue française sans dialecte, même dans les communes rurales.
12. Let. du 6 juill. 1812, B. N., Nouv. acq. fr. 5911, f° 229-230.
412 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE
ralement français et même assez purement (B. N., Nouv. acq. fr.,
5910, f° 255. Notice non signée).
Mais il y a mieux que ces renseignements négatifs.

PROGRÈS ATTESTÉS DU FRANÇAIS. DANS LES PAYS DE LANGUE D'OUI ET



DE LANGUE FRANCO-PROVENÇALE:
SEINE-INFÉRIEURE.
— Le préfet de la
Seine-Inférieure envoyant, le 31 décembre 1812, un vocabulaire de
l'idiome Cauchois, précédé d'observations générales, y ajoute une
analyse pénétrante des causes qui ont agi sur le langage dans les
vingt dernières années.
« Ce changement (qui peut bien être commun aux autres
dia-
lectes) paraît, dit-il, avoir été opéré depuis 23 ans, pour trois causes
principales :
« 1° L'habitude et la nécessité de lire ces nombreuses loix, ces
arrêtés en tout genre, dont les placards tapissaient les murs de
toutes les communes, ces feuilles publiques, qui venaient journel-
lement exciter et repaître la curiosité de tous les citoyens.
« 2° L'établissement des fonctions municipales qui obligea tant
de paysans à se faire un style intelligible pour correspondre avec
des autorités supérieures et surtout celui des sociétés populaires,
dont tous les membres, à la campagne comme à la ville, se virent
souvent dans la nécessité de parler, du haut de la tribune, à des
collègues aussi ignorants qu'eux, mais souvent disposés à les ridi-
culiser s'ils s'exprimaient en patois vulgaire.
« 3° La réquisition et conscription militaire qui, dépaysant une
bonne partie de la jeunesse, la mit dans le cas d'épurer son lan-
gage par l'habitude d'entendre parler mieux ou différemment. D'où
il arrive que, quand ils reviennent dans leurs foyers, ils y apportent
une manière de parler qui, tout en se détériorant peut-être un peu,
ne laisse pas que de se propager peu ou beaucoup parmi ceux qu'ils
fréquentent.
« La réunion de ces trois causes a produit sur le patois cauchois
une amélioration bien sensible pour quiconque peut se rappeller le
langage usité il y a vingt-cinq ans pour le comparer avec celui d'au-
jourd'hui, on lui trouve en effet une physionomie plus française
« II n'est peut être pas impossible que dans peu ce perfection-
nement ne s'acheve. Qui sait si le regne de Napoleon le Grand n'ajou-
tera pas ce nouveau prodige à tant d'autres... C'est un genre de
conquête qui ne serait pas indigne de sa gloire... »
Laissons de côté les flatteries et ne retenons que cette expli-
cation des raisons qui tendent à exterminer le patois cauchois.
Elle est des plus exactes.
PROGRÈS CONSTATÉS 413
Je voudrais aussi ne pas laisser passer sans la souligner la phrase
par laquelle le préfet conclut. Il a gardé, il le montre assez, le
souci de l'unification linguistique que jamais intendant n'avait eu.
L'esprit révolutionnaire avait passé par là.
AIN. — Le préfet de l'Ain pense de même : « Reserve faite de
quelques expressions locales, dit-il, la langue françoise est la seule
en usage... on la parle généralement assez bien ; depuis quelques
années surtout elle est devenue l'objet d'une étude particulière
dans les différentes villes du departement, et principalement dans
le chef-lieu. On peut dire qu'il est peu de pères de famille jouissant
de quelqu'aisance, même parmi les artisans, qui ne tiennent à ce
que leurs enfans de l'un et l'autre sexe reçoivent ce genre d'instruc-
tion; et il est satisfaisant de voir que ce n'est pas sans succès »1.
MONT-BLANC.— Dans le départementdu Mont-Blanc, après de longs
développements sur le langage, des exemples, la Parabole de l'en-
fant prodigue (p. 301), le préfet en vient à la situation respective
des idiomes, et il nous apporte des précisions intéressantes : « Les
habitans des campagnes entendent généralement le françois et plu-
sieurs le parlent : ce qui est l'effet, en bonne partie, des migrations
annuelles. Le patois des villes et des bourgs s'est, pour ainsi dire,
francisé. L'étude et la pratique de la langue françoise ont fait des
progrès sensibles dans toutes classes de citoyens depuis la révo-
lution. Quantité d'expressions puisées dans l'ancien style de la
jurisprudence, et dont l'usage se faisoit remarquer même parmi les
hommes les plus instruits, sont presque disparues. On parle géné-
ralement mieux le françois à Chambéry que dans plusieurs villes de
l'ancienne France; au moins est-il certain que la prononciation n'y
est défigurée par aucun accent » 2.

DANS LES PAYS DE LANGUE ALLEMANDE :— Laumond


BAS-RHIN.
consacre à ce sujet deux chapitres. L'un d'eux a pour titre : Les
habitans se familiarisent-ils avec l'usage de la langue française ?
Le voici :

1. Ensuite le préfet donne une description du patois que parle l'habitant des cam-
pagnes. Il ajoute : « Il est à remarquer que le patois Bressan a subi beaucoup de chan-
considérablement
gemens depuis quelques années, et surtout depuis la révolution qui a
multiplié les relations entre les campagnes et les villes. Les campagnes ont emprunté de
ces dernières un certain nombre d'expressions souvent mal rendues ;
néanmoins on peut
dire que ces sortes d'emprunts lui ont été avantageux ; ils ont singulièrement contribué
à répandre une certaine clarté dans un idiôme dont la grande habitude seule pouvoit
donner l'intelligence » (Suit la Parabole de l'enfant prodigue. Statist. générale de la
France, Ain, par Bossi, préfet. Paris, Testu, 1808, p. 318 et s.).
2. Statistique générale de la France. Dépt du Mont-Blanc, par M. de Verneilh, ex-
préfet. Paris, Testu, 1807, in-4°, p. 307.
414 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

« Tous ceux qui jouissent de quelque aisance ont à peu près l'ha-
bitude de notre langue. En général elle est familière à environ une
moitié du département, au moins pour les usages ordinaires de la
vie. La proportion est plus forte dans les villes, surtout à Strasbourg,
où elle est au moins des trois quarts ; mais il y a encore certains
cantons dans la campagne où elle est presque entièrement inconnue.
« La langue
allemande s'est conservée en Alsace, 1°par l'habitude
maternelle, si l'on peut s'exprimer ainsi ; 2° par le grand nombre
d'ouvriers en tous genres, qui ne parlent point d'autre langue; et
3° parce que dans cette province, jadis régie par des usages particu-
liers, la plus grande partie des actes publics se rédigeaient en alle-
mand. Cette langue était même le dialecte officiel de la magistra-
ture de Strasbourg.
« Au commencement de
la révolution, l'usage du français avait
pris, en quelque sorte, un caractère de dévouement à la patrie, et
par cela seul était devenu plus commun. Les exagérations qui sui-
virent bientôt arrêtèrent ce mouvement, surtout lorsque parler en
allemand fut devenu un crime; car les habitudes des peuples, qui
cèdent quelquefois à la persuasion, bravent ordinairement la vio-
lence.
« Les fréquens logemens de gens de guerre, le service des jeunes
citoyens aux armées, et les affaires familiarisent de plus en plus les
habitans du Bas-Rhin avec la langue française. Cette révolution
sera peut-être beaucoup moins lente qu'on ne devrait s'y attendre
chez un peuple aussi attaché, que l'Alsacien, à ses usages ; et l'au-
torité la secondera puissamment, si elle ne se sert jamais de l'alle-
mand seul, dans ses communications avec les administrés.
« L'un des plus grands moyens sera la bonne organisation des
écoles primaires ; je reviendrai sur cet objet, à l'article des écoles » 1.
Un autre chapitre est intitulé : L'usage de la langue allemande
diminue-t-il ? Y a-t-il quelque chose à faire pour la détruire ? En
quelle langue imprime-t-on le plus ? Le texte est le suivant : « J'ai
exposé, dans un des articles précédens (Instruction publique), les
causes qui maintiennent l'usage de la langue allemande chez le
peuple du département du Bas-Rhin, et notamment dans les cam-
pagnes, ainsi que les moyens, non d'y substituer entièrement (ce
qui serait impossible), mais d'y familiariser peu à peu le français.
J'ai indiqué que la moitié de la population, à peu près, comprend
notre langue, et que celte proportion est même plus forte dans les

1. Statistique du département du Bas-Rhin, 207-209. Paris, an X (La statistique a


été dressée en Messidor an IX). p.
PROGRÈS CONSTATÉS 415

villes. J'attends beaucoup de mon arrêté, qui vient d'ordonner l'éta-


blissement d'un instituteur au moins par commune, et de l'invita-
tion que j'ai faite de donner, dans le choix, la préférence à ceux
qui pourront enseigner la langue française ; mais ce n'est que du
temps que l'on peut en espérer un usage plus fréquent et plus
répandu. Il existe, dans l'ancienne philosophie scolastique, un
adage qui n'en est pas moins vrai pour être vieux : Semper cogi-
tamus idiomate materno. Il n'y a point de puissance humaine
qui puisse empêcher un enfant de parler la langue de sa nourrice ;
de père en fils la langue se transmet. Je ne sais rien qui puisse pré-
valoir contre cet ordre de choses ; la transplantation même ne l'opé-
rerait pas. Bornons-nous donc à propager, le plus possible, le lan-
gage français, à le rendre indispensable à chacun des habitans pour
toutes ses relations de cité; et faisons-le de cette manière aller de
pair avec la langue maternelle du département ; c'est tout ce que
l'on peut espérer. S'il y a plus à désirer, ce ne pourra être que l'ou-
vrage des siècles.
« A l'article Imprimerie (4e Question), j'ai parlé de la propor-
tion qui existe entre les impressions qui se font ici de livres fran-
çais et de livres allemands. J'ai observé que, depuis la Révolution,
l'imprimerie n'a pas été fort active dans ce département; qu'excepté
quelques livres de sciences et arts, dont beaucoup en latin, il
n'avait point paru d'ouvrages considérables ; et qu'enfin ce qui
s'imprimait pour le peuple, tels que livres d'église, prières, chan-
sons, avis, etc., était, pour la majeure partie, en langue allemande,
qui est véritablement celle du pays. Mais tout ce qui tient aux
lettres, et en général aux connaissances élevées, se fait, se dit, se
traite et s'enseigne en français ; les librairies, les bibliothèques sont
meublées de préférence de livres en cette langue, qui ne peut
manquer de se propager de plus en plus, et de devenir, avec le
temps, la langue prépondérante, surtout lorsqu'on verra le gouver-
nement accorder des préférences, pour les fonctions publiques, aux
citoyens qui sauront le français » 1.
L'opinion de Laumond est confirmée par le Conseil Général :
Avant la Révolution, dit-il, la langue allemande était seule domi-
nante dans les tribunaux et les administrations. Aussi la plus grande
partie des Alsaciens étaient-ils absolument étrangers à la langue
française. Depuis la Révolution le mouvement vers l'usage du fran-

1. Statistique du département du Bas-Rhin, p. 282-284.


« Le spectacle français est assez suivi par les habitans de Strasbourg ; mais ils
témoignent un empressement marqué pour la troupe allemande, quand il s'en pré-
sente » (Ib., p. 258).
416 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

çais, d'abord très rapide, n'a été ralenti que par l'influence des
mesures coërcitives exercées pendant la Terreur. Dans les cam-
pagnes, la moitié des individus parle plus ou moins le français, et
dans les villes les 3/4. Le Conseil Général du Bas-Rhin désire que
l'enseignement du français soit successivement introduit dans toutes
les Ecoles Elémentaires du Bas-Rhin, en commençant par les Com-
munes les plus populaires et les plus aisées 1.
MOSELLE. — En Moselle, même effet des événements. Les gens
sachant lire et écrire étaient en 1789 de 67.616, ils sont en l'an IX
de 68.265. Il n'y a eu qu'un accroissement de 649 2; ce n'est donc
pas là la cause du changement. Mais, jusqu'en 1793, les habitants
des campagnes « ayant pris un intérêt direct aux suites de ce grand
événement » étaient portés à apprendre. Cet enthousiasme « se
réfroidit » par « le malheur du tems » : Écoles fermées, levées
militaires, on a fait travailler les enfants. « Depuis le rétablisse-
ment des écoles, le goût de l'instruction renaît », on voit même
avec satisfaction, « les communes allemandes choisir des maîtres
d'école français » et cette langue s'introduire dans les lieux où en
1789, elle était ignorée.
« La langue française est actuellement familière aux deux tiers des
habitans de ce pays, dans lequel elle étoit presque inconnue au com-
mencement du siècle. On parloit le patois messin même dans les
meilleures maisons. Il est encore usité dans les campagnes, mais
en concurrence avec le français, que le paysan parle facilement. Il
a même fait, dans la partie allemande, des progrès mesurés sur la
fertilité du sol, et l'aisance que les habitans se sont procurée pen-
dant la révolution ; ils recherchent et choisissent de préférence des
maîtres d'école qui possèdent les deux langues. Il est plusieurs

1. Cseil gal du Bas-Rhin, 1809. Ms. Coq. de Montbret, Rouen, 721, p. 119. Ce qui
a empêché une plus grande propagation du français pendant la période révolutionnaire,
c'est, dans l'opinion de M. Lévy, qui a bien voulu me communiquer une note à ce
sujet : 1° l'immigration allemande, qui, à aucun moment n'a complètement cessé, et
qui a amené des ouvriers, des étudiants, des acteurs, des professeurs, des prêtres, dont
beaucoup prirent une part à la lutte et gênèrent l'action de l'élément français.
2° la question religieuse dont les contre-révolutionnaires jouèrent pour combattre
les sympathies des patriotes pour la France.
3° l'incompréhension des masses qui ne voyaient pas l'intérêt de connaître le
français.
4° la résistance lie certains hommes gênés dans leurs habitudes (par exemple le
profr Haffner ou Koch).
5° la presse, presque tout entière allemande.
6° l'exagération de certains révolutionnaires venus de l'intérieur.
7° le manque d'instituteurs.
2. Analise de la stat. génle de la Fr. par de Ferrière. Paris, An XII (1803), in-f°,
p. 9. Ces chiffres paraissent un peu bien précis. Quelles sont les statistiques sur les-
quelles ils reposent ? Qui a fait les recensements des lettrés et des illettrés ?
PROGRÈS CONSTATÉS 417
villages où l'on n'entendoit pas, avant 1789, prononcer un mot de
français, et où cette langue a déjà fait des progrès sensibles. Il faut
laisser agir le temps, et dans quelques années elle sera presque
généralement répandue sur le département. On peut citer pour
exemple, Thionville et plusieurs villages de son arrondissement,
cédés à la France par le traité des Pyrénées, et dans lesquels il ne
reste plus aucune trace de la langue allemande, qui y étoit seule en
usage encore à la fin du XVIIe siècle » 1.
Je ne saurais trop insister avant de passer à d'autres régions sur
les témoignages que je viens de citer, et qui se rapportent aux pays
qui étaient les plus difficiles à conquérir. On voit que, malgré les
fautes commises et les difficultés rencontrées, le français avait
commencé à s'implanter profondément.

— Le sous-préfet de
DANS LES PAYS DE LANGUE D'OC. DRÔME.

Montélimar écrit : « Depuis la Révolution, dans la ci-devant Pro-
vence, dans le Languedoc et dans la partie méridionale du Dauphiné,
l'idiome patois est d'un usage un peu moins général, les mouve-
ments des troupes, la circulation des voyageurs, le retour des mili-
taires sur leurs foyers ont du porter à la langue française l'application
d'un certain nombre d'individus » 2.
— A Marseille, d'après la Statistique, la
BOUCHES-DU-RHÔNE.
langue française, si peu répandue en 1789, avait fait de grands
progrès en dix ans: « le provençal s'y réfugie désormais dans les
vieux quartiers, résidence des pécheurs, des poissonnières, des
ouvriers, des nervis. Dans les villes de second ordre, Carpentras,
Draguignan, les bourgeois conversent encore assez fréquemment
en provençal. Quant au peuple des campagnes, il parle provençal,
mais on y sait le français, et si le conservatisme paysan maintient
sa langue, une tendance se dessine, celle que la Révolution a mise
en branle, et un auteur peut dire : le provençal s'en va. Il y a
même des points, ceux qui avoisinent le Rhône, où il recule nette-
ment.
«La Révolution eut seule le pouvoir de rompre les habitudes du
pays... Ce peuple qui ne savait que le provençal, crut savoir le
français, parce que les orateurs des assemblées populaires affectaient
de le haranguer dans cette langue. D'ailleurs la nécessité de l'ap-

1. Colchen, Mém. Stat. du département de la Moselle. Paris, an XI, f° 97-111. Cf.


Anal, de la statistique, p. 12.
2. B. N., ms., Nouv. acq. fr., 5910, f° 353. Cf. un mémoire sur le patois de Romans
(Ib., f° 378 v°) : « Ce patois se pert tous les jours ; il n'est plus en usage que parmi le
menu peuple; la langue française a fait de grands progrès, le patois a adopté plu-
sieurs mots français ».
Histoire de la langue française. IX. 27
418 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

prendre se fit sentir tous les jours davantage et toute la population


se mit à la parler tant bien que mal » 1.
HÉRAULT. Sur l'Hérault, nous avons des observations qui

n'émanent pas d'un administrateur, mais d'un commerçant, témoin
désintéressé et véridique : Martin fils, de la maison Bérard et
Martin. Il écrit le 4 mai 1812 : « Plusieurs causes me paraissent
contribuer à l'altération des patois en général. D'abord, l'éducation,
qui plus généralement prisée, porte, dans toutes les classes de la
société, le génie de la langue française à laquelle en province
n'étaient initiés naguères que quelques privilégiés. Ensuite, les
voyages fréquens des habitans des départements dans la capitale,
voyages bien plus rares il y a trente ans. Enfin la cause la plus
puissante peut-être a été notre révolution, qui a réuni sous les mêmes
drapeaux et sous le même langage une foule de jeunes gens, dont
beaucoup n'auraient jamais parlé que l'ydiome de leur pays natal,
tandis qu'ils sont rentrés et rentrent chaque jour chez eux familia-
risés avec la langue française qu'ils inoculent, pour ainsi dire à
leurs parens, à leurs amis, à leurs enfans » 2.
HAUTE-GARONNE. — La Haute-Garonne a envoyé un vrai mémoire :
« Dans
les villes et dans tout le pays qui les entoure, l'idiome
-vulgaire subit peu à peu des changemens qui le rapprochent de la
langue nationale. Ce qu'on peut attribuer au mélange fréquent des
habitans des divers pays, soit dans les armées et les levées en masse,
soit dans les réunions politiques. Le désir de se distinguer était un
effet nécessaire [de] ces réunions, et l'effet peut-être subsiste encore
après sa cause. On a senti partout le besoin d'entendre et de parler
le français. Il faut dire aussi que l'instruction qui consiste à savoir
lire, écrire et compter s'est un peu étendue dans les campagnes
depuis quinze ans. Ce qu'il y a de certain, c'est que les personnes
qui parlent le français avec un mélange plaisant de mots et de tours
gascons et avec cet accent qui excite le rire dans nos spectacles,

15.
sont devenues plus rares à Toulouse et sans doute aussi dans les autres
villes de cette contrée. Un comédien qui viendrait chercher ici des
modèles en ce genre en trouverait moins aujourd'hui et de moins
saillants qu'autrefois » 3.

1. Statist. des B.-du-Rhône, publiée sous la direction du préfet Villeneuve-Barjemon


dans Brun, Rech. hist.. p. 494. Cf. L. Constans, La litt. prov., dans Bouch.-du-Rh.,
t. III, p. 721.
2. B. N., ms., Nouv. acq. fr., 5911, f° 128. L'auteur développe ces idées dans un
Mémoire historique sur le Dialecte de Montpellier (voir ib. f° 146, où il y a quelques
additions intéressantes).
3. Bastide, Consr de Préfre de la Hte-Gar., 21 avril 1810, B. N., ms., Nouv. acq. fr.
5911, f°s 14 et
PROGRÈS CONSTATÉS 419
L'auteur continue et considère « l'Établissement des Sales de
spectacle, où les manouvriers, les artisans viennent, dans des tems
heureux, épurer leur langage grossier et se familiariser avec la
langue française. Parcourez les rues de nos grandes villes les jours
de repos, et vous entendrez les émules des Elleviou, des Martin,
voire des Laïs, fesant retentir... les voutes des cabarets. Ceux-ci
chantent des vaudevilles, des romances; ceux-là des ariettes, des
morceaux même de grand Opéra. Aurait-on entendu de pareils
chants, il y a cinquante ans? j'ose répondre que non. Ces voutes
retentissaient alors de chansons, peut-être plus franches et plus
gaies, mais toujours composées en patois ». Puis revenant encore
à la Révolution, il ajoute « La loi de la conscription, si elle reste
:

en vigueur, maintiendra dans les siècles à venir et cette cause et


ses effets, pour les propager dans les villages, dernier refuge des
mots languedociens bannis des villes, refuge où l'instruction péné-
trera plus lentement et contre lequel les autres causes d'altération
n'agiront que d'une manière indirecte »1.
Les autres documents sont moins explicites. Mais ceux-là suffisent,
je crois, pour marquer le progrès accompli 2.

1. Il est intéressant d'ajouter que l'auteur prévoit que les patois ne disparaîtrontpas,
mais se franciseront. Ce sera « des enfants adoptifs de la langue française ».
2. Je crois devoir cependant en extraire quelques passages.
Puy-de-Dôme. — Clermont : « Le patois y est tout-à-fait dégradé ; chaque quartier a
celui des villages qui l'avoisinent ou avec lesquels il a des rapports, et l'usage du français
y domine de manière à avoir altéré tout-à-fait le dialecte du pays » (Lettre du
Préf. du Dépt, 24 juin 1808. B. N., ms., Nouv. acq. fr., 3912, f° 46v°.)
Le patois de Riom... a de même cédé presque entièrement au français.
Creuse. — « Le patois est généralement en usage dans les campagnes. Néanmoins
tous les campagnards y comprennent bien le français, même ceux qui ne le parlent
pas » (B. N., ms., Nouv. acq. fr., 5910. f°s 262-3).
Charente. — Dans la commune de Saint-Sornin, qui touche au nord le canton de
La Rochefoucauld, « on trouve plusieurs campagnards, qui se parlent français, mais
avec un accent qui tient du baragouinage » (Lettre de Montbron, 14 mai 1810, signé
Marchadier, juge de paix. B. N., ms., Nouv. acq. fr., 5910, f° 220 v°).
« Dans toutes les communes sans exception le paysan y comprend le français.
« Dans les simples bourgades de mon canton, les gens qui ont reçu un tensoipeu (sic)
d'éducation ne s'y parlent qu'en français, tandis qu'à Périgueux des dames à la prome-
nade, en grande toilette, causaient en patois » (Id., Ib., f° 223 v°).
Haute-Vienne. — « Dans les villes on parle français, mais avec une prononciation
vicieuse. L'accent limousin ne se perd que difficilement, même chez ceux qui font de
longuesabsences. Les habitants des campagnes entendent un peu la langue françoise, mais
ils ne peuvent la parler qu'avec beaucoup de peine (Texier-Olivier, Préfet, Stat. de la
Haute-Vienne. Paris, Testu, 1808, in-4°, p. 106).
Htes-Alpes. — M. Rey, de St-Chaffrey, écrit à propos du Briançonnais : « Les communes
limitrophes de la Ville abandonnent tous les jours leurs anciens mots barbares, gaulois
et employent dans leur idiome vulgaire, le français en lui donnant un accent, une pro-
nonciation, une terminaison de patois assez doux » (B. N., ms., Nouv. acq. fr., 5910,
f°s 78-79). Cf. : « le patois dont les dernières classes de la Société dans le midi de la
France s'obstinent à se servir exclusivement, ce qui par cela seul contraint les hommes
même instruits, à l'employer à leur tour dans beaucoup d'occasions » (Roland, Dict.
des exp. vicieuses, 2e édn. Gap, Allier, in-8°).
420 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

CHANGEMENTS DANS L'ESPRIT PUBLIC. LA LANGUE PARTIE INTÉGRANTE DE:


Il y avait quelque chose de plus précieux
LA NATION MODERNE. —
encore pour le français que ces réalisations, c'étaient les transfor-
mations profondes de l'esprit général, qui promettaient d'autres
résultats pour l'avenir. Quelque aversion que l'on affectât de pro-
fesser dans certains milieux pour les « horreurs révolution-
naires », le pays avait passé par une de ces crises matérielles et
morales au sortir desquelles les hommes se trouvent, bon gré mal
gré, différents de ce qu'ils étaient auparavant. Si l'idiome local dans
bien des endroits restait en possession de la vie familiale, il existait
désormais une vie commune, qui n'était pas comme jadis purement
administrative, mais qui était devenue politique et sociale. Après
une période d'intensité terrible, elle allait se réduire, on ne pouvait
plus la supprimer 1.
Notre démocratie manquée, avait pendant dix ans, trop manifesté,,
trop discuté, trop agi, pour ne pas avoir besoin de repos. Mais on
sentait confusément que cette détente passagère n'était pas un
renoncement. L'esprit public ne ressemblait plus, malgré l'appa-
rence, à ce qu'il avait été; des paroles avaient été dites qui ne
pouvaient plus s'effacer, et elles étaient françaises, exclusivement.
L'anéantissement des patois eût été proche s'il n'était resté
dans les villages une population sédentaire, composée non seulement
des vieillards, mais des femmes, qui elles n'avaient pas fait cam-
pagne et couru le monde, mêlées à des camarades de tout pays et
de tout idiome. Celles-là transmettaient leur langage aux enfants :
« Semper lactamus idiomate materno » 2.
D'autre part des principes avaient été posés et des impulsions don-
nées. Les tendances d'un François Ier, d'un Richelieu, d'un Colbert,
étaient devenues doctrine et doctrine d'État. La langue devait être natio-
nale et formait un des éléments essentiels de la nationalité. Pour qu'elle
pût jouer son rôle, l'État lui devait son appui. L'école devait être le
foyer d'où elle rayonnerait et se propagerait jusqu'au plus profond
des masses. Si l'Église, par entêtement dans sa tradition et par
crainte de compromettre son caractère international, s'était retran-
ché cet avantage, il était de l'intérêt de l'État de se l'assurer et de
mettre cette force à son service. Par une conséquence nécessaire,

78-9).
l'école devait redevenir tôt ou tard une institution de l'État.

1. Il faut ajouter que le nouveau gouvernement continuait, sous certains rapports, la


tradition ; par exemple, il s'appliquait à compléter le réseau des routes.
2. « Les voyages d'une partie de leurs habitans n'y apportent changement, les
aucun
hommes reprennent bien vite leur langue naturelle auprès des femmes et des enfans
qui perpetuent sans altération du moins sensible le patois (B. N., ms., Nouv
» acq.
fr., 5910, f°s
PROGRÈS CONSTATÉS 421

On l'a vue depuis altérée dans son caractère, réduite dans son
rôle, détournée vers d'autres fins; elle ne cessa plus, malgré cela,
d'être l'école nationale, destinée à l'Instruction « publique ». Le
personnel put être au-dessous ou à côté de sa tâche, les plus
fâcheuses pratiques purent y renaître et les faiblesses envers les
idiomes locaux se renouveler ; elle resta essentiellement française
de langue et de programme.
La langue elle-même, sans être sous l'autorité de l'Etat, a gagné
à la Révolution de devenir chose d'État. Les propositions pour la
révolutionner — dont nous parlerons ailleurs — ont passé, le
devoir de la conserver a été retenu. Depuis lors l'État en impose
et en surveille l'étude; il en fait enseigner les règles et en garde
par conséquent la tradition, au moyen de ses maîtres, de ses pro-
grammes, de ses examens ; il en commande le respect. En exerçant
cette tutelle, il a fait de l'idiome, dans une certaine mesure, un bien
national, dont chacun a le libre usage, mais dont le soin, au dedans
comme au dehors, importe à la prospérité générale. Et ainsi la Révo-
lution a préparé pour la langue un régime de vie nouveau. Le
XIXe siècle nous en montrera certains effets, qui furent presque
immédiats ; les siècles qui viennent en obtiendront d'autres,
encore impossibles à prévoir.
QUATRIÈME PÉRIODE

APRÈS BRUMAIRE.
— LE CONSULAT ET L'EMPIRE

LIVRE PREMIER
LA RÉACTION LATINE

CHAPITRE PREMIER

LA CAMPAGNE CONTRE LES ÉCOLES CENTRALES

OBSERVATION GÉNÉRALE.
— Après Brumaire, l'histoire de la propa-
gande en faveur du français s'arrête à peu près complètement.
Sans doute, aucune restauration des institutions à l'aide desquelles
avait pu végéter si longtemps l'esprit provincial et particulariste
ne fut tentée; aucune ne pouvait l'être. La division en départements
demeura. La France du Consulat et de l'Empire continuait, sous bien
des rapports, la République une et indivisible, et centralisait comme
elle, plus qu'elle. Mais la question d'unité d'idiome y était reléguée
tout à fait à l'arrière-plan.
La suppression du culte théophilanthropique, la destruction de
l'Église Constitutionnelle, l'abolition des fêtes, eurent des consé-
quences qu'il est facile d'apercevoir et même d'estimer à leur gran-
deur véritable, d'après ce que nous avons dit dans les chapitres
précédents. Aucun de ces actes ne peut se comparer aux boulever-
sements que subit le système d'instruction publique.

DÉFAUTS GRAVES DES ÉCOLES. Les Écoles Centrales en avaient


1

et de diverses sortes. Le premier c'est que la répartition en était
mauvaise. Elles étaient appelées Centrales, parce qu'elles étaient

1. L'abbé Allain a étudié avec attention les documents concernant les Ecoles Centrales.
Il ne les a pas toujours employés avec l'impartialité qu'il eût fallu (voir L'oeuvre
scolaire de la Révolution). D'autre part, il y a un peu trop d'indulgence dans ce
424 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

réputées placées au centre des départements ; mais le chef-lieu des


divisions administratives nouvelles n'était pas nécessairement un
centre, et souvent n'avait avec les autres villes et les bourgs que des
communications rares et précaires 1. En second lieu, elles n'avaient
pas d'internat, ce qui dérangeait les familles dans
leurs habitudes
et leur donnait des motifs légitimes d'inquiétude 2.
Sitôt qu'on consulta les autorités locales, l'esprit arrondissemen-
tier, qui s'était manifesté violemment lors de la division, se réveilla.
On réclama le rétablissement des collèges de jadis, qui étaient sur
place ou à portée, ce qui permettait à beaucoup de familles éclai-
rées de faire donner à leurs enfants un commencement d'éducation
libérale, sans s'imposer de gros frais et payer une pension au dehors 3.
Un exemple de ces récriminations, qui sont générales : « Le sys-
tème actuel d'enseignement reste incomplet, dit le préfet des Deux-
Sèvres, et ne peut produire les heureux résultats qu'on en doit
attendre. Il importe donc qu'il y ait des écoles secondaires à
Niort et à Saint-Maixent, les externes n'étant point admis dans les
pensionnats qui s'y sont fondés et dont l'état florissant rivalise
avec celui de l'École Centrale » (Obs. du Préf., Arch. N., F 17 13178,
doss. 49).
De plus, la conception même des Écoles laissait visiblement à
désirer. L'École prétendait à réunir l'enseignement secondaire à un
commencement d'enseignement supérieur. Or elle prenait l'enfant
trop tard, et l'abandonnait trop tôt. Il y entrait non préparé 4, et en
sortait incomplètement formé.
La discipline intellectuelle comme la discipline morale était insuf-
qu'en dit Picavet, o. c, p. 38 et suiv. Mais ces deux études sont à consulter contradic-
toirement. Je fais beaucoup moins de cas du pamphlet d'Albert Duruy.
1. Quel est l'habitant de Saint-Dié ou de Neufchâteau qui eût envoyé son fils à
Epinal, bourg semblable au sien, auquel rien ne le rattachait, ni service de correspon-
dance, ni route, ni tradition d'aucune sorte ? L'Ecole d'Epinal végéta : elle ne pouvait
pas prospérer. Cent ans devaient passer encore avant qu'on eût l'idée saugrenue de créer
un Lycée dans cette ville.
2. De bonne heure on organisa des pensionnats officieux. Beaucoup étaient tenus par
les professeurs.
3. Luminais, au Conseil des Cinq-Cents, fit un tableau pittoresque de la petite
charrette, traînée par une vieille haquenée, conduisant les parents vers la ville où, en
même temps qu'ils iraient voir leur enfant, ils porteraient les légumes, le lait et les
oeufs (Opinion, p. 11).
4. Il y a, disait Chaltan, « un vuide entre l'instruction primaire proprement dite et
celle secondaire » (Opinion, 28 niv. an VII —17 janvier 1799, p. 3). Cf. « L'instruction..,
trop relevée, suppose des connaissances... que l'on n'y donne pas... quoi que cependant
ce seroient celles qui deviendroient le plus utiles au grand nombre » (Cassini, Disc, à
l'École Centrale de Beauvais, an VIII, dans Charvet, o. c, p. 35).
Dès le 2 prairial an III (21 mai 1793), Hardoin, ancien professeur de Droit à l'Univer-
sité de Paris, devenu juge de paix à Joigny, avait montré avec une extrême justesse
qu'il fallait des écoles intermédiaires entre les Écoles primaires et l'École Centrale. Il
était d'avis que les études latino-grecques, tout en ayant besoin d'être réformées, for-
maient le goût et initiaient les enfants à une haute culture (Arch. N., F17A 1320, doss.4).
LA CAMPAGNE CONTRE LES ÉCOLES CENTRALES 425
fisamment assurée. Point de chef pour diriger l'établissement,
guider le choix des élèves parmi les cours, tous facultatifs, et veiller
sur leur travail. Par une pédagogie d'illusions, on avait tout sacrifié
à la liberté. L'ensemble des études était incoordonné, les matières
se trouvaient réparties presque au hasard. Des règlements essayè-
rent de concilier variété et continuité ; ils n'eurent que peu d'effet.
Les programmes, eux aussi, pour excellent qu'en fût l'esprit
général, prêtaient à la critique. Les lettres avaient été incontesta-
blement trop sacrifiées aux sciences, et la formation du cerveau à
l'acquisition de notions immédiatement utilisables.
En ce qui concerne l'apprentissage de la langue, la lacune était
manifeste, l'embarras des professeurs de Grammaire générale nous
l'a montré. Les Écoles Centrales auraient dû recevoir des élèves
déjà dégrossis, et ayant acquis les premiers éléments de l'ortho-
graphe et de la grammaire, mais les premières écoles manquaient;
et, si elles avaient existé, on n'aurait pas eu la possibilité d'y don-
ner l'enseignement de la langue par principes, que tous les réfor-
mateurs du XVIIIe siècle avaient considéré comme une nécessité. Là
comme partout — c'est le vice essentiel du système pédagogique
de l'an IV — l'enseignement moyen avait été négligé. Il eût fallu
une division de transition, n'eût-ce été que la classe qu'on appelle
aujourd'hui dans nos écoles primaires le cours préparatoire.

HAUTE VALEUR DE L'INSTITUTION.


— Il ne faudrait par pour cela mécon-
naître les mérites de cette création grandiose, destinée à répartir
également dans toute la France une instruction supérieure, rajeunie,
capable d'initier la jeunesse aux découvertes et aux méthodes de la
science la plus moderne, seul essai qui ait jamais été tenté pour
fonder l'éducation sur l'esprit d'observation positive.
Les élèves n'étaient enfermés ni dans des murs, ni dans des cours.
Ils lisaient des journaux, dont la Décade, aussi bien que des livres,
et il semble bien que dans beaucoup d'endroits l'esprit de libre
observation avait donné ses fruits. On jugeait avec indépendance,
on discutait, au lieu d'accepter les yeux fermés la parole des maîtres.
QUELQUES OPINIONS. Stendhal nous a dit avec force les bienfaits

qu'il en avait éprouvés. Il n'y avait pas appris l'orthographe, sans
doute, mais c'était justement le caractère de ces maisons d'en-
seigner mieux que cela, même en grammaire 1: « Les Écoles Cen-
1. Voir Journal, publié par Stryienski et Fr. de Nion, p. IV. A son premier voyage
à Paris, il écrivit cela avec deux ll dans une lettre officielle... M. Pierre Daru, le parent
et le protecteur de Beyle, s'écria : « Voilà donc ce brillant humaniste qui a remporté
tous les prix dans son endroit! » (Picavet, o. c, p. 43, n. 2).
426 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

traies, l'École polytechnique sont fondées ; ce fut le plus beau temps


de l'Instruction publique. Bientôt elle fit peur aux gouvernants, et
depuis, sous de beaux prétextes, on a toujours cherché à la gâter.
Aujourd'hui, l'on enseigne aux enfants qu'equus veut dire cheval ;
mais on se garde bien de leur apprendre ce que c'est qu'un cheval.
Les enfants, dans, leur curiosité indiscrète, pourraient finir par
demander ce que c'est qu'un magistrat... On cherche à former des
âmes basses et à perfectionner quelque enseignement partiel ; tan-
dis qu'il n'y a aucun cours de politique, de morale et de logique » '.
Par un goût qui mérite d'être signalé ici, c'était le cours de Gram-
maire générale de Gattel que le futur grand écrivain préférait. Il
resta acquis pour le reste de sa vie à cette discipline qui a certai-
nement contribué à sa formation intellectuelle 2.
Fourcroy, qui est en partie responsable de leur suppression,
a rendu aux Écoles Centrales un magnifique témoignage : « Les
écoles centrales, dit-il, malgré les attaques multipliées que la mal-
veillance, la haine de la Révolution, les préjugés leur ont livrées en
commun depuis les premiers moments de leur établissement, sont,
aux yeux des hommes éclairés et impartiaux, un des monuments les
plus remarquables du régime républicain. En vain essaie-t-on de
déclarer qu'elles n'ont point encore d'organisation, et qu'elles man-
quent également de moyens d'instruction et d'écoliers. Ce reproche,
qui pouvait avoir quelque fondement il y a trois ans, n'est plus vrai
ni vraisemblable aujourd'hui. Les Écoles Centrales ont beaucoup
gagné dans presque tous les départements. Elles sont l'asile de tous
les hommes éclairés dans les sciences utiles... Elles ont produit des
ouvrages très bien faits. Les écoliers y augmentent d'année en année.
Ceux qui les calomnient n'en connaissent souvent pas l'organisation
et confondent aveuglément les difficultés et les obstacles qu'elles
ont eu à vaincre dans les deux premières années de leur existence,
avec leur amélioration et leurs succès soutenus depuis trois ans »
(Sagnac, Ens. av. et pend, la Révn, dans Rev. Hist. mod., p. 450).
Terminons par le mot décisif d'un penseur catholique, Cournot :
« Je n'ai connu aucun homme de mérite, ayant passé par les écoles
centrales, qui n'en eût conservé un bon souvenir » 3. C'est dans des
Ecoles Centrales, il est juste de ne pas l'oublier, qu'Ampère a
débuté dans l'enseignement ; c'est là que Cuvier a donné, en l'an V,
les leçons dont la réunion a formé un de ses principaux livres :
1. Beyle Stendhal, Vie de Napol, p. 89, dans Arbelet, La jeun, de Stendh., p. 239.
2. Arbelet, o. c, p. 241. Stendhal se passionna pour l'ouvrage de Destutt de Tracy,
quand il parut, en 1808. La Grammaire générale l'avait initié aux doctrines de Con-
dillac.
3. Souvenirs, pub. par Bottinelli, p. 178.
LA CAMPAGNE CONTRE LES ÉCOLES CENTRALES 427
Tableau élémentaire de l'histoire naturelle des Animaux (An VI).
C'est pour elles que Lamarck composa son Système des Animaux,
sans vertèbres (An IX) ; c'est là que fut d'abord enseignée cette
Philosophie zoologique, dont le mépris de Napoléon n'a pas diminué
la valeur, et d'où est sortie au XIXe siècle la théorie de l'évolution ;
c'est à leur usage, c'est pour leurs élèves que Destutt de Tracy a
fait ses Eléments d'idéologie.

REMÈDES POSSIBLES.
— Pour établir que les Écoles Centrales
étaient peu estimées des familles qui devaient leur fournir leur
clientèle, on a produit divers témoignages, en particulier les Avis
des Préfets et des Conseils élus. II faudrait les reprendre tous et les
examiner de très près, et avec critique1.

1. « L'école de l'Isère remplace avantageusementl'ancien collège royal de Grenoble,


dit le préfet ; l'enseignement y est plus varié, moins long, moins fastidieux, plus utile
aux diverses classes de la Société et... les élèves y sont infiniment plus nombreux qu'ils
ne l'étaient dans ce collège ».
Berriat-St Prix, Gattel, Villar, membre de l'Institut, y professaient. « Il faudrait
cependant y adjoindre un professeur de langues vivantes et un de langues anciennes, et
conserver la chaire de chimie et de physique expérimentale, dont l'enseignement est si
utile dans un pays où il existe tant de mines et de fabriques » (25 ventôse an IX
16 mars 1801, Arch. N., F17 13178, doss. 22). —
Dans le Doubs, le Conseil du 1er arrondissement constate que le Collège n'offrait pas
les mêmes avantages et les mêmes ressources que les Écoles Centrales, qui donnent, il est
vrai, moins de développement à l'enseignement des langues anciennes, mais qui « à
cette branche unissent si heureusement l'étude de toutes les sciences nécessaires, utiles
et honnêtes » (Extrait du registre des délibérations du Conseil du 1er arrondt du Doubs
(Besançon). Séance du 9 germinal an IX —30 mars 1801, Arch. N., F 11 13178).
L'Ecole Centrale d'Angers a, d'après le préfet, l'avantage « de réunir divers établis-
sements scientifiques du plus grand intérêt, une bibliothèque nombreuse, riche et de la
plus belle tenue, un des jardins de botanique des plus complets qui existent en France...
ainsi donc, quel que (sic) doive être la forme ultérieure de l'enseignement, tous les
éléments d'une excellente maison d'éducation se trouvent rassemblés à Angers » (Rapp.
du préf., 12 messidor an IX— 1er juil. 1801, Arch. N., F17 1317, dossier 30).
On pourrait ajouter beaucoup d'autres témoignages. De Fontainebleau : « Les progrès
de l'École Centrale établie à Fontainebleau ne laissent rien a désirer à cette ville pour
l'instruction publique» (Arch. Sorb., carton XXVII).
Du Pas-de-Calais : « Le systeme d'enseignement dans cette école (à Boulogne) est
certainement meilleur que dans les Collèges, plus complet, plus favorable surtout à
cette nombreuse classe de la société destinée à cultiver les arts et à se livrer au com-
merce » (Ib.).
Du Gard : Le Conseil d'arrondissement pense que le pensionnat de l'Ecole centrale
remplace avec avantage le ci-devant collège de Nîmes (Ib.).
De l'Ourthe : Les anciens collèges n'ont pas produit de gens instruits (lb.).
D'Ille-et-Vilaine : L'École Centrale est suivie (Ib.).
Nous ne donnerons plus qu'un texte. Il est relatif à l'École de l'Ain. Elle avait
obtenu des résultats « merveilleux » : jardin botanique de 3 200 individus, muséum
d'histoire naturelle, bibliothèque de 25 000 volumes, dont beaucoup d'histoire; rien
n'y manquait. « Des enfants qui savoient à peine lire à leur entrée dans l'établissement,
traduisirent au bout de deux ans Quinte-Curce et Virgile (?) Tels ignoroient la forme
et les caractères de l'arithmétique qui se trouvèrent après quelques années, inscrits
sur la liste des admissibles à l'école polytechnique, nommés aspirans do marine, ou
promus au grade d'officiers dans l'artillerie ou le génie ». Une école de musique ajoutait
à l'intérêt (Stat. de l'Ain, in-4°, p. 371).
Je conviens que ces apologies doivent éveiller autant de défiance que les diatribes.
428 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

En tous cas, les vices des Écoles Centrales étaient loin d'être
incurables 1. Laumond, le préfet du Bas-Rhin, signalait les moyens
de les guérir. Il demande l'éducation, une marche graduelle, un
principal, des prytanées ou pensionnats publics. Il prie enfin qu'on
« ne compromette pas tout, en tout
bousculant ». Les améliorations
dans les écoles actuelles préviendraient l'inconvénient de refaire à
neuf, « toujours grave dans l'instruction, où le bien ne peut résulter
que de la continuité d'action » (Statist. du B.-Rhin, p. 219 et s.) 2.
Dans la Haute-Loire, le préfet acceptait la restauration des col-
lèges, mais il eût voulu garder l'École Centrale. De même à Bor-
deaux, où le préfet propose un plan général d'études secondaires,
dans lequel l'École Centrale se trouve conservée. Le plan nouveau
n'avait pas cessé, comme dit le préfet de l'Orne, de paraître à tous
égards supérieur à l'ancien 3. Chénier, de Tracy, les rédacteurs
de la Décade, protestèrent contre l'idée d'abolir les Écoles, qui com-
mençait à se répandre. En vain. Les méthodes violentes, si sévè-
rement condamnées quand des révolutionnaires les pratiquent, sont
exemplaires quand on les emploie à restaurer. Les gouvernements
les plus timorés les ont appliquées à l'enseignement secondaire
depuis la Révolution jusqu'à nos jours.

CAMPAGNE VIOLENTE. —L'École Centrale, comme dit le préfet d'An-


goulême, avait « deux adversaires incorrigibles, la malveillance et
le demi-savoir » 4. En effet, en même temps qu'on essayait de soulever
contre leur éloignement l'esprit local, on excitait contre leurs mé-
thodes le sentiment de la tradition, contre leur libre et hardie orga-

Elles émanent surtout de préfets, qu'on n'avait pas encore changés partout, et qui peu-
vent être suspectés de louer de parti pris une institution républicaine.
Après avoir lu les documents et les études, on garde l'impression qu'une histoire
impartiale des Écoles Centrales est encore à faire. Mais il y a de très bonnes monogra-
phies, parmi lesquelles on peut citer celle de la regrettée Mlle Déries : L'École centrale
de la Manche, celle de Gain : Ecole Centrale de la Meurthe.
1. Des écoles annexes étaient prévues par la loi. Titre II, art. 10. Un peu partout
les pensionnats s'organisaient.
2. Cf. « Quant aux écoles centrales, il ne s'agit que d'achever, que de perfectionner
nu ouvrage qui sans doute est plus qu'ébauché ; d'en organiser les élémens de manière
à ce qu'ils offrent une gradation dans les études, et de remplir la lacune qui
se trouve
entre l'enseignement de ces écoles et celui des écoles primaires » (Barruel, Obs. s.
l'Instr. pub., p. 43).
3. Arch. Sorb., cart. XXVII. Le préfet de la Dordogne voudrait des écoles intermé-
diaires entre les écoles communales et les écoles centrales, où les élèves sont découragés
et abandonnent, ou bien s'ils persévèrent, n'acquièrent qu'une instruction incomplète et
éphémère. « On n'a peut-être pas assez considéré toutes les causes qui ont empêché
retardé les succès de ces Ecoles, aux quelles on doit au moins d'avoir fait naître dans ou
beaucoup de Départements le gout des Mathématiques et du dessein (sic), qui était
peut dire ignoré » (Périgueux, le 14 prairial an IX on
— 3 juin 1801, Arch. N., F 17. 13178,
dossier 12).
4. 5e jour complre de l'an IX 13178, doss. 9.
— 22 sept. 1801. Arch. N., F 12
LA CAMPAGNE CONTRE LES ÉCOLES CENTRALES 429

nisation les instincts d'ordre, de discipline, de morale même. Le


clergé réfractaire, qui voyait pour la première fois des Écoles d'État,
indifférentes aux confessions, substituant les méthodes condilla-
ciennes au « balbutiement des langues mortes », fit contre elles
une de ces campagnes enragées, comme nous en avons vu, où à des
arguments justes se mêlaient les pires calomnies. Les attaques,
suivant le mot de la Décade, « allaient jusqu'à l'indécence ». Le
préfet des Hautes-Alpes, Bonnaire, y a vu très clair : « La véritable
raison de leur abandon (des Écoles Centrales), dit-il, n'est que trop
souvent un éloignement marqué pour tout ce qui a tenu et tient au
nouvel ordre de choses » 1.
Il y avait là une part de l'oeuvre diabolique des Cloots, des Hébert,
des Chaumette ; il fallait la détruire. « Nous sommes des foyers de
peste dont on redoute le contact dangereux » écrit Girard-Janin,
professeur de Grammaire générale dans le Nord, à Saladin 2. Les
« bonnes
écoles », déjà prospères 3, s'élèveraient sur les ruines, et
n'auraient plus à craindre un retour de l'esprit philosophique.

LE SALUT PAR LE LATIN.


— Le point qui nous intéresse spéciale-
ment, c'est de savoir si les voeux tendaient à ce que le latin fût
rétabli dans sa situation d'autrefois. Disons tout de suite que la
grosse majorité des autorités qu'on consulta — cela n'est pas con-
testable— souhaita le renforcement des études latines 4. Il ne faut
pas voir là seulement un de ces retours fréquents qui ramènent pério-
diquement la France aux idées qu'elle avait semblé résolument
abandonner. Le latin avait gardé un nombre considérable de fidèles.
Et il n'est pas contestable que sa part avait été réduite à l'excès'.
1. Cf. Les parents gâtés par les prêtres aiment mieux garder leurs enfants auprès
d'eux... que de les envoyer à l'École Centrale (Landes, 22 brum, an VIII — 13 nov. 1799,
Arch. N., F17 13442).
2. Let. du 30 frim. an VI, dans Peter, L'ens, sec. dans le dépt du Nord, p. 107.
3. Le préfet se plaint que l'École Centrale de Fontainebleau ne compte que 50 pen-
sionnaires et une vingtaine d'externes, ce qui, dit-il, pour une population d'environ
300000 habitants du département, n'annonce pas de grands progrès, tandis que le pen-
sionnat de Juilly, établi sur les mêmes bases que son ancien collège, compte plus de
230 élèves (Obs., Arch. N., F 17 13178, doss. 43).
Le préfet de Lot-et-Garonne dans sa Statistique de l'an X, p. 59. signale le grand
nombre d'écoles privées, en particulier trois à Aiguillon, à Layrac et à Villeneuve, qui
ont un nombre considérable d'élèves. On y étudie le latin, les mathématiques et le
dessin. Ce sont des écoles intermédiaires. Celle de Villeneuve est sous l'inspection de
vingt-six pères de famille, qui l'ont fondée.
4. « L'étude des langues anciennes, dit Frochot, à la distribution des prix des trois
Écoles Centrales de Paris, le 19 messidor an XII (8 juill. 1804), dut n'être indiquée
aux écoles centrales que comme l'objet secondaire dans l'instruction, précisément parce
cette étude était enseignée presque exclusivement dans l'ancien système » (Aulard,
Napol et le Mon., p. 35). « L'importance des langues anciennes ne peut être méconnue
que chez les nations abruties par l'ignorance et la barbarie » (Cons Génl de la Hte-
1

Marne, dans Allain, OEuv. scol. de la Rév., p. 413).


5. Il s'était trouvé du reste des maîtres pour faire au latin une place assez large
430 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Passons sur les colères des Parigots de brumaire. Quelques


hommes, qui avaient mieux profité de leurs humanités, plus courtois,
sont aussi absolus, et demandent le retour pur et simple au système
de l'Ancien Régime 1.
Voici qui est déjà plus digne d'esprits pondérés : « Quant à l'étude
des langues anciennes, n'avons-nous pas tombé d'un excès dans
l'excès contraire? se demande-t-on à Avranches. Sans doute l'étude
des langues vivantes est utile et nécessaire, mais l'habitude qu'on a
de les parler, les rapports avec ceux qui les parlent rendent les
progrès infiniment plus faciles... Si le commerçant peut à la rigueur
s'en tenir aux langues vivantes, c'est plus particulièrement dans
l'élude des langues anciennes que se forme l'homme de lettres, le
magistrat, le législateur. Tant qu'il y aura des hommes éclairés et
sensibles, les anciens seront toujours les législateurs du goût, de
la morale et de la vertu. Ceux qui ne voyent dans cette étude que
du grec et du latin ne raisonnent souvent ainsi que par défaut de
connaissances. C'est par elles que nous rallumerons les flambeaux
qui jadis ont éclairé Rome et Athènes, et en cherchant dans ces saintes
émanations de l'antiquité le feu du génie, nous y trouverons aussi les
traces des vertus qui ont immortalisé tant de grands hommes » 2.
Encore beaucoup se montrent-ils plus réservés. En effet l'opinion
générale n'était nullement qu'on dût retourner à l'ancien système.
Des collèges, oui, on en réclame de toutes parts, mais « dégagés de
leurs anciens abus ». Le mot est du préfet du Cantal 3; la plupart
de ses collègues pensent comme lui'.
Suivant le préfet de l'Indre, « ce serait également un mal de
rétablir tous les collèges et de n'en point rétablir ». Mais « il

dans l'enseignement de l'École Centrale, en marge des programmes, ainsi à Angoulême


et à Périgueux.
Le 10 avril 1799 (21 germinal an VII), s'ouvrait près de l'École Centrale de la Meurthe
un pensionnat. C'est déjà un prototype des collèges de nos jeunes années. Le programme
de la première division, celle des petits, comprenait l'étude de la grammaire française
jusqu'au verbe, des déclinaisons et des conjugaisons latines. En seconde, on achevait la
grammaire française et on commençait la syntaxe latine. Ensuite, par une bifurcation,
les élèves choisissaient entre l'étude des langues mortes (grec), des langues vivantes ou
de la Grammaire générale (Voir Gain, o. c., p. 120).
1. A Poitiers, on veut un collège où l'on enseigne la théologie, la physique, la logique
et les humanités (Réponses aux questions proposées par le Ministre de l'intérieur... par le
conseil du cinquième arrondt du département de la Vienne, séant à Poitiers. Arch. N.,
F17 13178).
A Pont-l'Evêque, dans le Calvados, on estime qu'il faudrait rappeler le même
corps
enseignant qu'avant la Révolution, et cela implique le retour intégral aux anciennes
éludes (Chapitre II du Procès-verbal des délibérations du Conseil général du département
du Calvados pendant la session de l'an neuf, 29 Germinal. Arch. N., F 17 13178).
De même à Limoges. Avis motivé du Préfet, Arch. N., Ib.
2. Conseil Général de la Manche, dans Déries, Le dist. de St-Lô, 142.
p.
3. Aurillac, 27 mess, an IX-16 juill. 1801, Arch. N., F17 1318B, doss. 8.
4. Voir l'avis du préfet d'Alençon, 5e j. compre, IX 22 sept. 1801, Ib.,doss. 38.
an —
LA CAMPAGNE CONTRE LES ÉCOLES CENTRALES 431

faudrait... que le genre d'instruction qui y serait donnée, fût mis


en rapport avec celui qui sera pratiqué dans chaque École Cen-
trale ».
Suivant le préfet de l'Oise (Beauvais), « le rétablissement d'une
maison d'éducation serait très avantageux, pourvu qu'on ne s'en
tint pas absolument au programme classique » (Allain, OEuv. Scol.
Rév. p. 384) 1.
En somme, on voulait un enseignement secondaire où on tint
compte « des progrès immenses qu'ont accomplis les sciences », 3
où les « méthodes d'enseignement fussent perfectionnées comme
les objets même qu'on enseigne » 3.

FIDÈLES DU FRANÇAIS.
— Mais précisons encore davantage. Il s'en
faut bien que la majorité des conseils consultés ait souhaité qu'on
fît du latin, comme autrefois, la matière exclusive de l'enseigne-
ment. Il importe ici de donner quelques faits, parce qu'ils ont été
systématiquement méconnus.
Dans le Calvados, on demande l'étude de la grammaire française
(Allain, OEuv. scol, Rév. p. 367).
Dans la Manche, le Conseil Général montre l'insuffisance de l'an-
cien programme pour l'enseignement du français (Id., Ib., p. 412).
Dans le Doubs (Besançon), on remarque : « Si dans les Écoles
Centrales on ne cultive pas assez l'étude de la langue latine, il faut
convenir que dans l'aneien collège, comme presque partout, on
employait à ce travail les premières années de l'enfance et de la
première jeunesse » (Id., Ib., p. 371).
La ville de Provins était parvenue à garder son collège, trans-
formé depuis la Révolution et qui comptait encore 40 pensionnaires,
12 demi-pensionnaires et 20 externes au moment de l'enquête.
La langue latine y avait toujours été enseignée, mais l'art de bien
parler et d'écrire la langue française avait « été présenté aux élèves
comme devant faire l'objet d'une étude sérieuse »4.
Le conseil d'arrondissement de Nancy se prononce plus nettement.
Il est entièrement opposé à faire renaître les anciennes institutions
d'enseignement, le plan d'études n'en offrant que des vices sans
nombre; « ces vices sont parfaitement connus; ils ont été pendant
longtemps l'objet des réclamations de tous les gens instruits et de
la France entière, et ce n'est pas sans doute après qu'on les a

1. Châteauroux, 28 floréal an IX — 18 mai 1801. Arch. N., F17 13178, doss. 21.
2. Avis motivé sur le rétablissement des anciens collèges. Arch. N., F 11 13178.
3. Carcassonne, le 18 thermidor an IX — 6 août 1801. Arch. N., F 17 13178, doss. 4.
4. Copie de la Lettre des Membres du Conseil d'arrondt de Provins. Arch. N., F 17 13188,
doss. 43.
432 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

détruits que l'on chercheroit aujourd'hui à les faire renaître... Que


serviroit (sic) effectivement aujourd'hui des Collèges uniquement
occupés à enseigner le latin? Ils ne pourroient être utiles qu'à un très
petit nombre d'élèves qui seroient appelés, soit par leur goût pour la
belle littérature, soit par leur désir d'acquérir les connoissances
nécessaires pour parvenir à certains états. Mais aujourd'hui... que
les principes sur l'instruction sont tellement changés que, loin de
regarder la langue latine comme une base essentielle de l'instruc-
tion, on considère son étude comme une perte de tems pour celui
qui ne se destine pas à un des états pour lesquels elle seroit
absolument nécessaire, il doit être évident que cette langue ne sera
plus enseignée qu'à ce très petit nombre d'élèves dont on a parlé
plus haut, et que les Collèges, si on les rétablissoit... seroient
déserts »1.
L'abbé Allain a cité comme particulièrement sévère la censure
que le Conseil Général d'Ille-et- Vilaine a faite des Écoles Centrales.
En effet, dans ce département, on professe un amour véritable de
l'ancienne organisation. Rennes dit pourtant « Le mode d'en- :

seignement suivi dans le collège était vicieux, on négligeait l'étude


de la langue et de la littérature française pour s'occuper princi-
palement du latin qu'une année passée dans le monde faisait oublier »
(OEuv. scol. Rév., p. 375). Un enseignement régulier du français est
demandé aussi instamment qu'un enseignement du latin (Ib.,
p. 409). La grammaire française et la latine « paraissent devoir
concourir ensemble » 2.
Celte idée de combiner l'étude des trois langues était générale.
Dans la Marne, le préfet prévoit un Collège Central et trois Col-
lèges, où l'enseignement commun se réduirait aux principes de la
langue grecque, de la langue latine et de la française (Arch. Sorb.,
An IX). C'était le plan type. Il est proposé de Briançon, de Bor-
deaux, d'un peu partout, par les Conseils, les Maires, les Préfets.
Toutefois des esprits avisés devinaient bien où on voulait en
venir, et ils craignaient non sans raison que les éléments de français
qu'on allait mettre dans cette combinaison fussent bien peu de chose.
Les préfets en particulier, plus fidèles que les élus à la pensée répu-
blicaine, montraient de la défiance. « Il est reçu, dit celui de la
Seine-Inférieure, qu'on peut ignorer le grec et même le latin et n'en
être pas moins un médecin habile, ou un légiste délié; on rirait
1. Procès-verbaux du Conseil du deuxième arrondissement dans session de l'an Neuf
de la République. Arch. N., F 17 13178. sa
2. Dans les collèges du département,
on enseignait, dans les trois premières classes
surtout, le français en même temps que le latin (Réponses du préfet et des conseils
d arrondt. Arch. N., F17 13178, doss. 20).
LA CAMPAGNE CONTRE LES ÉCOLES CENTRALES 433

au nez de quelqu'un qui soutiendrait que l'une ou l'autre de ces


langues puisse être de quelque utilité à un administrateur et il serait
promptement écrasé sous le poids des exemples contraires ».
C'était également l'avis d'hommes d'affaires et d'hommes de
sciences. Dutens, ingénieur des Ponts, membre du Conseil d'Ar-
rondissement, dit: « On sent... combien à raison de son industrie
et de son commerce, l'étude des sciences naturelles serait préfé-
rable à celle des langues mortes qui, pour avoir été trop négligée
dans ces derniers temps, semble cependant tenir une trop grande
place dans les nouveaux systèmes d'instruction qui viennent d'être
proposés récemment » (Descr. top. de Louviers, Evreux, an IX,
p. 36).
Le maire de Rouen, chef d'une grande cité commerciale, est
entièrement opposé au rétablissement des anciens collèges ; les idées
sur la nature d'une bonne éducation lui paraissent changées : « Au
lieu du latin, dit-il, on étudie actuellement les langues vivantes; et
s'il est à souhaiter que l'étude des langues savantes ne soit point
abandonnée, on pourrait, sans rétablir les collèges, perfectionner
l'institution naissante des écoles centrales, afin de les mettre à
portée d'offrir plus de secours pour cette partie de l'enseignement
public » 1.
Il se rencontrera même, et le fait vaut bien qu'on le note, une
Assemblée pour juger que le français devait primer tout le reste.
On fait trop de sciences, jugeait-on dans la Haute-Marne. Les
élèves « négligent pour quelques figures géométriques l'art de
parler et d'écrire leur propre langue » 2.
A considérer attentivement les textes que nous venons de citer,
on s'aperçoit facilement que la question des Ecoles Centrales n'était
pas purement d'ordre pédagogique. Des deux côtés les gens du
temps se laissaient préoccuper par leurs préférences politiques.
Il y a un cas au moins où il était légitime de ne pas juger en péda-
gogie pure, c'est quand on constatait que la nouvelle éducation
avait servi la cause nationale. Or, dans certains pays, les résultats
obtenus n'étaient pas contestables.
« La situation de
l'École Centrale est, et a toujours été très satis-
faisante, dit le préfet des Pyrénées-Orientales... Il n'est pas douteux
que l'établissement de l'École Centrale n'ait ranimé les études...
l'idiome particulier du pays y cède peu à peu à l'influence de

1. Le Maire de la ville de Rouen au Préfet du département de la Seine-Infre. Arch. N.,


F 17 13178. Cf. Les professeurs de langues anciennes enseigneront en même temps la
grammaire française (Barruel, Observ. sur l'Instr. publ, p. 72).
2. Arch. N., F 17 13178 (an XIII).
Histoire de la langue française. IX. 28
434 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

l'instruction, l'usage de la lecture, l'étude des principes de la


grammaire, les relations habituelles entre les professeurs et les
élèves y rendent la langue nationale plus familière » 1.
C'est le rapport de Roger Martin, fait le 6 brumaire au nom de
la Commission d'Instruction publique et discuté le 27 brumaire et
le 11 frimaire an VI, qu'on peut considérer comme le point de
départ du mouvement de restauration de l'enseignement secondaire
placé entre les écoles primaires et les Ecoles Centrales. Ce qui
précède explique pourquoi le français avait gardé dans ce plan une
place éminente 2.

1. Perpignan, 4 prairial an IX—24 mai 1801 (Arch. N., F 17 13178, dossier 44). La
pièce est signée : Le Général de Brigade, Préfet du Département, Martin. Cf. Arch.
Sorb., XXVII. Pyr.-Orles.
Comparez la lettre du Professeur Carrère : « Je commencerai dès cette année, à
suivre le plan que vous avez bien voulu me tracer, et je le ferai avec d'autant plus
de plaisir que l'enseignement de la Grammaire française donnera à la chaire que
j'occupe un degré d'utilité beaucoup plus grand dans ce Département, où la langue
Nationale est fort maltraitée, sous tous les rapports » (30 vend, an VIII). Arch. N.,
F17 13443.
2. « La première année, dit-on, on enseignera les.. premiers éléments de la langue
française. On emploiera la deuxième année à un plus grand développement de la
géographie et de la langue française, aux premiers éléments du latin... et la troisième
année aux tours élégants de la langue française, à quelques principes de goût et de
style, à la traduction de quelques ouvrages latins de médiocre difficulté » (Allain,
L'oeuv. de la scol. Rév., p. 246-247).
CHAPITRE II

ABOLITION DES ÉCOLES CENTRALES


PROPOSITIONS DÉCENTRALISATRICES

En l'an IX, la campagne menée depuis plusieurs années par


intermittences 1, aboutit à une enquête à laquelle nous avons emprunté
nombre des documents qui précèdent.
Finalement les Écoles Centrales furent condamnées 2, et, malgré
les regrets qu'elles inspiraient à des législateurs avant même que la
loi eût été votée 3, la suppression en fut décidée le 11 floréal an X
(15 mai 1802).
Dans divers pays de France on avait espéré que le nouveau système
scolaire tiendrait compte « des localités » 4. D'Alsace arriva un
véritable mémoire, où survivait l'illusion qu'une organisation parti-
culière donnerait satisfaction aux besoins spéciaux de la contrée 5.
Hardiment on y revendiquait pour l'allemand une situation officielle.
1. Luminais se montra indigné au Conseil des Cinq-Cents que la Commission eût
bâti un système d'enseignement des hautes sciences si gigantesque, alors que les six
septièmes de la nation ne savaient pas lire, et qu'on donnât des professeurs de langues
anciennes et de langues vivantes « à des hommes qui n'entendoient pas le français »
(Opinion, frim. an VI, p. 6).
Un message du Directoire exécutif du 3 brumaire avait demandé aux Conseils de déli-
bérer en particulier sur les moyens de graduer les écoles et de remplir le vide effrayant
entre les Écoles primaires et les Écoles Centrales, d'autre part « de former des établis-
semens où les instituteurs viendraientapprendre l'art d'enseigner » (Disc, de Heurtault
Lamerville, rapporteur, 14 germ. an VII, p. 26).
2. Arnault (de l'Institut) reconnaissait que les Écoles n'avaient pas donné ce qu'on
en espérait. L'esprit de parti en avait écarté les élèves, l'absence d'écoles intermé-
diaires aussi (Disc, à la Distrib. des prix de l'an X. Paris, fruct. an XI, p. 9).
3. Jacquemont disait dans son Rapport au Tribunal (4 flor. an X-24 av. 1802) :
« Ce serait une erreur de croire que les écoles centrales n'aient point été utiles. Le
nombre des élèves qu'elles présentaient dans ces dernières années s'était considérable-
ment augmenté. L'ordre des études et la matière de l'enseignement s'étaient fixés,
et l'administration avait pris d'elle-même une marche exacte et régulière. Le zèle
et l'activité des professeurs avaient suppléé à tout ce qui leur manquait ».
Fourcroy reconnut aussi combien cette mesure radicale était injustifiée : « Déjà dans
beaucoup de villes, on se plaint de la destruction des écoles centrales, et ces plaintes
succèdent quelquefois à celles que l'on faisait, il y a quelques mois, sur le peu d'uti-
lité de ces écoles » (Discours au corps législ, 20 flor. an X—10 mai 1802, dans Rec. de
lois conc. l'instr. publ, t. II, p. 235).
4. Voir un remarquable rapport du préfet du Gard (9 fruct. an IX).
8. Notes sur l'instr. publ, Strasbourg, s. d., Dannbach, impr. de la Mairie. Bibl.
Univ. de Strasb., M. 33.919.
436 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Il me paraît indispensable de donner ici une brève analyse de ce


document.
On voudrait une instruction à quatre degrés :
I. Des Écoles primaires, où on apprendrait les choses essentielles :
Lire. Ecrire. Chiffrer.
II. Des Écoles centrales, Collèges, Gymnases, à 4 classes.
Les 3 premières années rempliraient le vide entre les premières
écoles et les écoles centrales. Les 3 supérieures comprendraient le
programme des écoles centrales.
Pour les départements situés le long du Rhin, on ajouterait l'al-
lemand aux matières enseignées.
Un professeur de dessin serait attaché à l'établissement, mais ce
serait là un enseignement à part.
III. Des Écoles supérieures.
IV. Des Écoles spéciales : Droit, Médecine. Il y aurait lieu de
réunir à divers endroits écoles supérieures et spéciales. Des Lycées
tiendraient la place des Universités.
Ce qui fait l'intérêt de ce plan, ce sont les observations qui
l'accompagnent. I. Sur les écoles primaires : La confiance dans les
écoles n'est pas venue. — Leur nombre doit être égal à celui des
anciennes écoles paroissiales. Il faut y rétablir l'enseignement des
devoirs et la croyance en Dieu. Il y faut un inspecteur permanent.
C'était jadis le curé. « Sans doute qu'il faudra maintenant le
chercher ailleurs ».
II. Sur les Écoles secondaires :
1° Les écoles centrales ne présentent pas une instruction graduée.
2° Elles ne soumettent pas un jeune homme à une discipline sévère.
3° Elles abandonnent au bon plaisir des élèves de fréquenter tels
cours que bon leur semble.
4° Il résulte nécessairement de là un manque de liaison.
5° Il est à craindre, avec le système suivi, que l'étude des langues
mortes... ne soit de jour en jour plus négligée 1.
III. Sur les Écoles supérieures. Il y a nécessité de créer des
maisons où se forme une élite pour les Écoles Centrales. Il ne faut
pas disperser les écoles. Les sciences sont soeurs. Il faudrait en
France 10 à 12 grands établissements, à l'instar des grandes Uni-
versités d'Allemagne.
Mais voici qui est plus particulier et la note y insiste : « Comme
1. « Peut-être qu'à l'égard du latin, et plus encore du grec, on pourra faire
exception en faveur de ceux qui déclarent ne point se destiner aux études. Quel mal une
y a-t-il cependant, qu'un jeune homme apprenne un peu de latin, quand il n'en auroit
pas besoin pour le reste de sa vie ? Ne lui devra-t-il pas une connoissance plus profonde
de sa langue et une meilleure orthographe ? »
ABOLITION DES ÉCOLES CENTRALES 437

il est essentiel qu'un maître soit compris de ses élèves, nous croyons
devoir observer, qu'au moins pour les écoles primaires et les écoles
secondaires inférieures l'enseignement dans les deux langues sera
absolument nécessaire dans les deux départemens du Rhin.
« En supposant, que le gouvernement veuille établir des écoles
supérieures en plus d'un endroit, nous croyons devoir remarquer
que, pour l'avantage des sciences, il seroit infiniment important de
donner, autant que le local semblera l'exiger, à chacune de ces
écoles une physionomie particulière.
« Il faudroit se garder de cette triste idée d'uniformité absolue.
Une école située sur les frontières, dont les professeurs par consé-
quent peuvent et doivent mettre à profit les trésors littéraires de
l'étranger, ne doit pas ressembler entierement dans ses loix orga-
niques à une école de l'intérieur.
« Les considérations suivantes serviront à démontrer l'utilité et
l'importance d'un pareil établissement à Strasbourg.
« Cette ville située au centre de l'Europe et aux confins de deux
grands empires, est le premier endroit où viennent aborder les
étrangers des différens pays de l'Allemagne, de la Suisse, et de tout
le Nord. Sa position avantageuse, ses relations commerciales, la
bonté du climat, l'exercice de trois cultes, la facilité d'y étudier la
science militaire, des maîtres habiles dans tous les genres d'instruc-
tion, l'usage de la langue Françoise et Allemande, y ont attiré cons-
tamment une nombreuse jeunesse de toutes les parties de l'Europe.
La paix une fois rétablie, il y a lieu d'espérer que les étrangers
viendront affluer de nouveau dans ses murs, pourvû qu'ils y trouvent
les mêmes moyens d'instruction, qui leur avoient rendu ce séjour si
recommendable.
« Une circonstance, qui a contribué surtout à attirer de tout
tems à Strasbourg une foule de jeunes étrangers, c'est que l'en-
seignement s'y faisoit dans les trois langues, latine, françoise et
allemande ; sans cette précaution et si l'on s'avisoit, pour l'amour
de l'uniformité, à faire donner uniquement les leçons en françois, on
écarteroit par-la même la plûpart des étrangers.
« On se tromperoit en se persuadant, que dans
le fond il est peu
important, qu'il y ait dans une ville quelques étrangers de plus ou
de moins ; que sous ce rapport l'établissement d'une école supé-
rieure à Strasbourg, ainsi que l'enseignement dans les différentes
langues, sont très-inutiles. Un gouvernement vraiment paternel ne
peut point être indifférent à tout ce qui peut contribuer à une plus
grande aisance des citoyens, puisque c'est sur elle que repose la
richesse et la prospérité d'un état. Les jeunes étrangers, qui venoient
438 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

faire leurs études à Strasbourg avant la révolution, y ont dépensé


annuellement près d'un million, somme qui a reflué sur toutes les
classes des citoyens, et qui a vivifié en mille et mille manieres les
bras de l'industrie. Peut-être que l'on trouvera ce calcul exagéré,
mais il n'en est pas moins fondé dans la plus exacte vérité.
« On devroit ne pas oublier, que dans un
établissement littéraire
sur les bords du Rhin, il seroit également utile et nécessaire de
donner une partie de l'enseignement dans la langue du pays.
« Utile. Strasbourg offre un avantage, qui n'est commun à aucune
autre ville de l'interieur, et dont on pourroit tirer parti pour le bien
des lettres en général. Elle peut servir en quelque sorte d'entrepôt
pour transmettre à l'étranger les richesses littéraires de la France ;
et pour communiquer réciproquement à la France les productions
de la littérature étrangere, surtout celle de l'Allemagne et des pays
du Nord. On a commencé à traduire quelques ouvrages allemands
en françois ; mais c'est bien peu de chose, en comparoison de ce
qui mériteroit réellement d'être plus connu. Plus les bibliotheques
germaniques et de littérature étrangere, qui commencent à paroître,
seront bien écrites, plus elles prouveront l'utilité d'une connois-
sance et d'un usage plus étendu de la littérature allemande.
« Nécessaire. Déjà l'inconvénient se fait sentir, que les leçons de
l'école de médecine sont données exclusivement en françois. Un
nombre assez considérable d'éleves en médecine et surtout en chi-
rurgie affluans, soit de la Suisse, soit des bourgs et des petites
villes des départemens allemands, ne peuvent plus profiter de cette
instruction publique, faute d'être assez versés dans la langue fran-
çoise. Il se verroient privés de toute instruction, si les anciens pro-
fesseurs de l'université ne leur donnoient quelques cours dans la
langue qu'ils entendent. Qu'ils apprennent le françois, dira-t-on.
Cela ne va pas si vite comme on le pense. Il y a 150 ans, que l'Al-
sace est réunie à la France, et cependant la langue française est
pour la grande majorité de ses habitans une langue étrangere. Cela
ne les a pas empêché cependant de servir leur patrie avec autant de
zèle, que s'ils avoient sû le françois dans la plus grande perfection.
Il en est de même du plat-pays du Languedoc réuni depuis tant de
siecles à la France, dont les habitans conservent encore de
nos
jours leur ancien langage.
« Nous ne croyons pas même, qu'il seroit désirable, que les Alsa-
ciens, ainsi que les habitans des nouveaux départemens,
renonças-
sent à leur langue naturelle. Oter à un peuple sa langue, c'est lui
ôter en même tems son caractère. Ce seroit aller contre la nature,
et la nature n'a point voulu que sur les bords du Rhin et sur ceux
ABOLITION DES ÉCOLES CENTRALES 439

de la Seine il y eut une même manière de sentir et d'exprimer les


objets.
« Il en est des langues comme des plantes. Chacune a son sol, qui
lui est particulier, et dans lequel seul elle puisse véritablement
prospérer » (p. 11-13).
La République consulaire ne pouvait pas s'accommoder mieux
du régionalisme que la République jacobine ne s'était accommodée
du fédéralisme, et pareilles propositions n'avaient aucune chance
d'être prises en considération1.

1. Toutefois à Strasbourg, au Gymnase, les tolérances continuèrent. Le 25 germinal


an VIII(15 avril 1800), à la fête scolaire, Werner harangua les familles en allemand
(Reuss, Gymn. prot., p. 219).
Le 30 mars 1802, on avait invité le préfet Laumond. L'un des élèves récita du La
Fontaine, un autre du Gellert. « Convenez, dit le préfet, que c'est une bonne chose que
d'apprendre les deux langues de bonne heure ensemble » (Id., Ib., p. 228). Ce n'est
qu'en 1825 que le Gymnase cessera d'enseigner en allemand.
CHAPITRE III

L'INTOLÉRANCE LATINE

CARACTÈRES GÉNÉRAUX DU NOUVEAU SYSTÈME D'INSTRUCTION SECONDAIRE.

— On sait ce que fut la loi nouvelle. Elle abandonnait en fait l'ins-


truction primaire aux communes.
Elle instituait des Lycées clairsemés avec des Écoles communales 1

et des Pensionnats destinés à tenir lieu des Collèges 2.


Pour les programmes, il parut en vérité impossible de revenir
complètement à ceux de l'ancien régime. Fourcroy y insista avec
force : « Ce n'est plus à sept années péniblement usées dans l'étude
unique du latin, disait-il, que doit etre bornée l'instruction de ces
écoles secondaires. Emanation des anciennes écoles centrales, dont
il est nécessaire de conserver au moins l'esprit, ces institutions
réformées doivent offrir... avec l'étude des langues anciennes plus
approfondies... celle de la géographie, de l'histoire, des sciences
physiques et mathématiques » 3.
Seulement il faut bien prendre garde de distinguer entre les
sciences et les lettres. Le magnifique épanouissement des sciences,
qui avaient tant contribué à sauver l'État, et qui étaient représen-
tées par des hommes tels qu'aucune époque n'en avait vu réunis,
mettait la chimie, la physique, à l'abri des suppressions, voire des
réductions brutales. Les lettres françaises ne trouvèrent pas la même
protection. L'arrêté des consuls du 19 frimaire an XI (10 décembre

premier fut celui de Moulins, inauguré le 27 prairial an XI (16 juin 1803) par
1. Le
une messe du Saint-Esprit.
2. Un règlement général du 27 messidor IX (16 juil. 1801) avait divisé le
an
Prytanée en Collèges (Paris, St-Cyr, St-Germain, Compiègne, puis Bruxelles).
litre IV art. 5 : dans la 1re sect. on apprendra à lire, à écrire, à chiffrer et les
, «
premiers élémens de la grammaire;
« Dans la seconde les quatre premières règles de l'arithmétique, l'orthographe et les
principes de la langue latine ;
« Dans la 3e les principes de la langue latine appliqués à l'explication des auteurs

les plus faciles » ;

Art. 14. Dans la première classe d'humanités les élémens du


«
mai 1802; Rec. des lois..., t. II, p. 236.
3. Disc. au Corps Législ.. 20 floréal X-10 grec »
an
L'INTOLÉRANCE LATINE 44 i
1802), porte : Art. I. On enseignera essentiellement dans les lycées
le latin et les mathématiques.
Je ne suis aucunement porté à défendre ici cette détestable for-
mule, une des plus fâcheuses qui pût être adoptée après le grand
effort fait par la Révolution pour rapprocher l'éducation de la réalité
et de la vie. Il ne faudrait pourtant pas s'y méprendre et considérer
que tout autre enseignement était exclu. Le texte dit essentielle-
ment, il ne dit pas exclusivement. Laissons de côté ce qui concerne
l'histoire et la géographie, auxquelles on a fait une place.
Le français n'est pas prohibé, mais il s'enseigne par le latin, à
l'aide des thèmes et des versions : « Dans toutes ces classes (les quatre
dernières) les professeurs formeront leurs élèves à l'art d'écrire,
en leur dictant des morceaux à traduire par écrit de français en
latin et de latin en français... Il y aura un professeur de belles-
lettres latines et françaises qui fera deux classes par jour. Chaque
classe durera un an, de manière qu'en deux ans, le cours de belles-
lettres latines et françaises soit terminé ».
Pour achever de bien marquer la hiérarchie des langues, l'ar-
ticle 6 précise avec une redoutable clarté ce que le génie français
est appelé à fournir à la culture. « Dans les quatre dernières classes
de latin, on exercera la mémoire des élèves en leur faisant appren-
dre par coeur, et réciter avec soin, les plus beaux endroits des
auteurs qu'ils auront expliqués, ainsi que les passages des bons
auteurs français qui auront traduit ou imité ces mêmes morceaux » 1.
Une commission fut nommée pour le choix des livres classiques
des lycées, dans les classes de latin et de belles-lettres. Elle était
composée de Fontanes, Champagne et Domairon. A première vue
le rapport qu'elle fit le 25 floréal an XI (15 mai 1803) est effrayant.
Voici le programme d'ensemble :

SÉRIE LITTÉRAIRE. OBJETS D'ENSEIGNEMENT.



Première année.
6e classe. — Latin. Chiffrer.
5e classe. — Latin. Les quatre règles.

Deuxième année.

4e classe. — Latin. Géographie.


3e classe. — Latin. Géographie. Éléments de chronologie. Histoire
ancienne.

1. Rec. des lois.... t. II, p. 306.


442 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Troisième année.
2eclasse. — Latin. Géographie. Histoire jusqu'à l'Empire français.
Mythologie.
1re classe. — Latin. Géographie. Histoire de France.

Quatrième et cinquième années.


Belles-lettres latines et françaises.

ON SACRIFIE LE FRANÇAIS. Il faut ensuite lire le rapport lui-



même. Sur la préférence — le mot suffit-il? — accordée à l'an-
tiquité les premières lignes ne laissent aucun doute : « Les prin-
cipes des belles-lettres ne sont pas sujets aux mêmes révolutions
que ceux des sciences ;
ils sont puisés dans l'imitation d'un modèle
qui ne change point... Il serait ridicule aujourd'hui de citer à l'as-
tronomie et à la physique l'autorité de Ptolémée et d'Epicure : mais
les principes d'Aristote et d'Horace n'ont point changé; l'éloquence
et la poésie les suivent encore... Les vrais principes sont publiés
d'avance par la voix de vingt siècles, des doctrines éprouvées ont
déjà formé plusieurs générations d'hommes illustres, et dès lors on
n'a plus besoin que de rétablir les bonnes traditions et de rendre
hommage à l'expérience. Il faut imiter en tout la sagesse du gou-
vernement : c'est dans les ruines des anciennes écoles qu'il a
retrouvé les matériaux des nouvelles ».
Il était impossible de dire plus clairement qu'on retournait au
pur humanisme, jadis condamné avec tant de force, comme nous
l'avons vu, et qu'on entendait restaurer la tradition des vieux col-
lèges. Au reste la Commission ne songe pas à dissimuler, et elle
lance, en faveur du latin et de sa suprématie, des phrases qui méri-
tent d'être rapportées, car elles eussent fait scandale non seu-
lement en France, mais en Europe vingt ans auparavant. Les voici :
« La
connaissance de la langue latine fera toujours la principale
partie de l'enseignement : c'est d'après les plus importantes consi-
dérations que cet usage est maintenu. Nulle langue en effet ne
réunit autant d'avantages ; elle a donné naissance au plus grand
nombre des idiomes modernes ; les Romains qui la parlaient ne
sont plus; elle leur survit encore, et semble éternelle comme
leur nom. Plusieurs sciences la choisissent pour leur interprète, et
se propagent avec elle d'un bout du monde à l'autre; la jurispru-
dence la réclame, la médecine ne l'abandonnera pas, et la religion
la consacre dans ses temples. Les philosophes ont quelquefois agité
la question d'une langue universelle ; mais cette question était
résolue d'avance : Rome antique ne réunit-elle pas en quelque sorte,
L'INTOLÉRANCE LATINE 443

sous la domination de sa langue, tous les empires de l'Europe, qui


ne sont que les débris du sien ? »1
Ainsi on fait bon marché des titres du français, qui semblaient
pourtant reconnus même sous l'Ancien Régime ; on abandonne
sans discussion ni réserve la place que notre idiome semblait avoir
conquise dans le monde, la primatie dont depuis cinquante ans
tous s'étaient félicités en France, Rivarol comme Grégoire, les
salons royalistes comme les Clubs Jacobins!

LE PARALLÉLISME.
— Pourtant tout le terrain gagné par le bon sens
n'est pas reperdu. On convient que l'opinion de Rollin est fondée,
que l'élève « doit d'abord connaître les principes généraux de sa
propre langue, que donc l'étude de la grammaire française doit pré-
céder la grammaire latine ». Et voilà le français réintroduit dans les
basses classes. Avec Lhomond, deux mois, pense-t-on, suffiront En !

cinquième, on traduira Phèdre, et ici se mesure déjà la place faite


au français : « On comparera leur élégante briéveté (des fables de
Phèdre) aux grâces de La Fontaine, on apprendra par coeur les
fables françaises imitées de Phèdre ; et ce double exercice formera
le goût et la mémoire ». Ce serait peu de chose, on en conviendra,
si les réformateurs n'avaient pas eu la générosité d'ajouter un livre
de lectures françaises : les Moeurs des Israélites de Fleury En !

quatrième, on fera réciter à voix haute la « fable touchante »


d'Aristonoüs par Fénelon, quelques uns de ses dialogues pour le
duc de Bourgogne, et des portraits de La Bruyère. Il est bien
difficile de dire quel auteur latin La Bruyère a imité. Le français
empiète donc. Dans la troisième classe « l'instruction prendra
encore plus d'intérêt ». On mettra en parallèle le Charles XII de
Voltaire et l' Alexandre de Quinte-Curce. En outre on mettra dans
les mains des élèves Télémaque. Ne faisant pas de grec, ils n'auront
jamais touché à l'Odyssée. N'importe Les rédacteurs de ce plan
!

se croient autorisés à conclure avec satisfaction : « On voit que


les écoles modernes ne mériteront pas les reproches faits quelquefois
aux anciennes universités ; on ne dira plus que l'étude du français
est sacrifiée à celle du latin ; les chefs-d'oeuvre français, dans ce
nouveau plan, se trouvent à chaque instant rapprochés des chefs-
d'oeuvre antiques, et l'honneur de la langue maternelle est bien
vengé » (Rec. des lois..., p. 387).
Il est vrai que nous ne sommes pas au bout ; il faut suivre le pro-
gramme des « humanités ». En seconde et en première on donnera,

1. Rec. des lois..., t. II, p. 378-380.


444 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

en face de Salluste et de Tite-Live, la Conspiration de Venise


de
St-Réal et les Révolutions romaines de Vertot; en première l'Histoire
universelle de Bossuet « plus majestueux que Tite-Live lui-même ».
Rousseau (le lyrique) fera pendant à Horace, et Madame de Sévi-
gné à Pline le Jeune. Dans la classe de Belles-Lettres on a été plus
hardi encore, « on a voulu réunir tous les genres d'attraits et
d'instruction ». « On a mis l'Andrienne à côté du Misanthrope de
Molière, l'Art poétique d'Horace avec celui de Boileau, Tacite auprès
de Montesquieu, le septième chant de la Henriade, vis-à-vis du
sixième de l'Enéide ; les Géorgiques de Delille comparées à celles
de Virgile. Le Petit Carême de Massillon et les Oraisons funèbres de
Bossuet, feront pendant aux plus belles Harangues de l'Orateur
romain ». On n'a pas même voulu supprimer les auteurs « d'un
goût moins pur, quand des beautés réelles se mêlent à leurs défauts ».
Ainsi des fragments de Sénèque et de Lucain seront lus tour à tour
avec quelques morceaux choisis de Fontenelle et de Thomas. C'est
dans cette classe de belles-lettres que le talent des élèves doit briller
de tout son éclat. Les narrations, les vers latins et même français,
les compositions oratoires, tout sera mis en usage pour former le
style, en donnant de la justesse à l'imagination et de l'abondance à
la pensée. On conseille pour cette classe le Traité des Etudes par
Rollin, et les Principes généraux des belles-lettres par Domairon.
La Commission s'est risquée plus encore, sans le dire. Elle a
inscrit dans la liste des auteurs Esther et Athalie, qui n'ayant pas
de pendants, ne pouvaient figurer dans le rapport 1.
Son oeuvre est donc, à tout prendre, d'un esprit assez libéral.
Enfermée par l'arrêté du 19 frimaire an XI dans un parallélisme
rigide, elle semble avoir fait effort pour tirer le meilleur parti pos-
sible d'une conception humiliante qui méconnaissait par principe
tout ce qui fait l'originalité de notre génie. Il n'en est pas moins

1. Rec. des lois..., t. II, p. 397. Cf. Aul., Napol. et le Mon., p. 101, et 110-111. On
comparera des arrêtés secondaires : Arrêté du 19 vendém. an XII (12 oct. 1803), relatif
aux écoles secondaires communales :
Art. 29. Dans la sixième, on enseignera les elémens de la grammaire latine et
française.
Dans la cinquième, on continuera l'explication des auteurs latins et français; on y
joindra la lecture de quelques auteurs français les plus à la portée des jeunes gens, et
analogues aux auteurs latins qu'on aura mis entre leurs mains ; on leur fera apprendre
par coeur les morceaux les plus intéressans ; on exercera les élèves à pratiquer les
4 règles de l'arithmétique.
Dans la 4e on continuera l'étude des langues française et latine.
Dans la 3e on expliquera les poètes latins les plus faciles à traduire et
; on ne lira ou
apprendra que les poètes français du même genre.
Dans la 2e on poursuivra l'étude des langues latine et française.
Dans la 1re on complétera l'étude du latin. Là, plus question de français (Rec. des
lois..., t. III, p. 110).
L'INTOLÉRANCE LATINE 445
vrai que le français, loin d'être l'objet principal des études, en
devenait l'accessoire. On lui donnait des fleurs, non la place émi-
1

nente à laquelle il avait droit. Il était à la discrétion de ses ennemis.


Et c'était là un dessein prémédité. Le discours prononcé au Tri-
bunat, le 6 floréal an X (26 avril 1802) ne laisse aucun doute à cet
égard. « J'ai entendu de bons esprits former le voeu d'ajouter à cette
nomenclature l'étude de la langue française... J'avoue que... je ne
puis partager leur opinion. Il serait utile sans doute, de créer une
chaire de langue française dans les lycées, si les langues anciennes
n'avaient pas besoin du concours des langues vivantes pour être
étudiées, et si on ne les comparait sans cesse avec la langue
nationale ; enfin, si de cette comparaison il ne résultait pas un
avantage facile à reconnaître dans les expressions de ceux qui ont
suivi cette double étude. Il serait en outre bien extraordinaire
aujourd'hui que de bons professeurs recourussent seulement aux
auteurs anciens pour trouver la richesse des pensées et les grâces
du style, lorsque notre langue a étendu son domaine chez toutes
les nations, et qu'ils enseignassent la rhétorique sans faire con-
naître les chefs d'oeuvre que nous possédons dans tous les genres » 2.
On voit s'étaler ici la détestable doctrine qui a fait si longtemps
fortune. Le français ne s'enseigne pas. Nul besoin d'en mettre au
programme une étude systématique. Quelques remarques judi-
cieuses, jetées par un professeur à propos de traductions, suffisent.
Certes je ne nie pas les résultats que cette méthode a donnés.
Entre les mains d'un maître exercé et qui n'était pas décidé par
avance à sacrifier l'une des langues à l'autre, elle pouvait convenir.
Les maîtres font les méthodes. Michelet avait gardé d'excellents
souvenirs des leçons de Villemain. Mais maniée par des médiocres,
cette pédagogie n'est qu'une machine à abrutir. Des mots, des
règles, de la grammaire, de la prosodie, jamais une idée ou un
sentiment sous la forme où ils jaillissent dans l'âme des enfants.
Tout est donné au latin, le temps, l'attention et l'effort. Au lieu
d'être un moyen, il devient un but, le seul. Les études servent à
empêcher de penser.

1. Roederer, orateur du gouvernement,avait dit : « A la suite de l'instruction prélimi-


naire dans les écoles secondairesl'enseignement comprend : 1° la langue de son pays qu'il
importe tant de savoir, et pour savoir ce qu'on pense, et pour savoir ce qu'on dit et pour
savoir ce qu'on fait » (Disc, au Corps Législat., 24 flor. an X).
2. Rec. des lois..., t. II, p. 121.
CHAPITRE IV

LE LATIN ET LES HAUTES ÉTUDES

ÉCOLES SUPÉRIEURES. Le latin fut exigé à l'entrée des Écoles



supérieures : à l'École de Médecine, à l'École de Droit, à l'Ecole
Polytechnique. Les candidats durent être en état d'expliquer les
Offices de Cicéron.
Les cours de ces établissements avaient lieu en français 1. Toute-
fois il n'en fut pas de même des examens. « Toutes les descriptions
se feront en français », disait le réglement du 14 messidor an IV
(2 juillet 1796), ch. III, p. 10. La loi du 19 ventôse an XI (10 mars
1803, tit. II, art. 6) le modifia. Elle contenait les dispositions sui-
vantes : « Les examens (de médecine) seront publics ; deux d'entre
eux seront nécessairement en latin. Après les examens, l'aspirant sera
tenu de soutenir une thèse qu'il aura écrite en latin ou en français ».
L'exposé des motifs de Fourcroy essayait de justifier ce retour :
« On a senti la nécessité d'exiger que la langue latine fût familière
aux aspirans. Les ouvrages des grands maîtres dans l'art de guérir
sont écrits pour la plupart en latin, et sont les sources auxquelles
les élèves ont dû puiser les véritables principes de l'art, comment
pourraient-ils profiter de ces trésors, et les avoir en quelque sorte
à leur disposition, s'ils n'avaient en leurs mains la clef qui peut les
leur ouvrir? » En conséquence, des cinq examens que l'aspirant sera
obligé de soutenir, deux au moins seront soutenus en latin 2.

— Dans cette déroute, Duhamel, l'ancien


RARES PROTESTATAIRES.
professeur de l'Ecole Centrale, essaya bravement de trouver un

1. Liard, Enseign. sup., t. II, p. 61. Il se trouva cependant un professeur de méde-


cine, en réaction sur Molière, pour demander l'autorisation de faire son cours en latin !
(Aul., Napol. et le Mon., p. 279-280).
2. Rec. des lois..., t. I, p. 11, 333, 338, 342.
Le titre III, qui concerne les officiers de santé, stipule au contraire leurs examens
que
auront lieu en français. Le contraste est instructif. On voit s'affirmer l'idée hiérar-
chique, en haut ceux qui ont fait du latin, en bas ceux qui l'ignorent. Au sommet,
Polytechnique, en bas, les Arts et Métiers (Loi du 6 vent, an XI—25 fév 1803, Rec.
des lois..., t. II, p. 322).
LE LATIN ET LES HAUTES ÉTUDES 447

refuge au Collège de France et d'y faire créer une chaire de langue


française 1. Jamais peut-être les bienfaits qu'une connaissance solide
de la langue peut apporter aux citoyens, à la politique, et même à
l'enseignement des plus modestes métiers, n'avaient été plus forte-
ment et plus sobrement mis en lumière. Jamais non plus on n'avait
mieux réfuté le sophisme qu'on apprend le français en faisant du
grec et du latin 2. Mais il n'advint rien, que je sache, de sa coura-
geuse initiative. Le temps était à l'obéissance.

1. Le Mémoire a été imprimé. Il est de germinal an X. Arch. N., coll. Rondonneau,


ADVIII 26.
2. Ce que Duhamel voudrait, c'est une étude raisonnée, fondée sur les « analogies »
à l'aide desquelles on se rend maître du lexique, de la syntaxe, voire de l'orthographe.
Il est fidèle à la croyance que l'art de bien parler et de bien écrire notre langue est la
même que l'art de penser et de raisonner, et que c'est le plus grand avantage qu'on
puisse retirer de l'instruction et de l'éducation. « Une langue grammaticale mieux
faite régulariserait l'enseignement, perfectionnerait la langue usuelle et commune : ce
qui est un des plus grands avantages que la société puisse attendre du progrès des
lumières » (Mém., p. 23).
A l'Ecole Polymathique de Butet, « les exercices de la huitième classe ont pour
objet le Mécanisme simultané de la Lecture et de l'Ecriture, la Pratique interlocu-
toire des Conjugaisons françaises...
« Les exercices de la septième sont relatifs à la distinction des parties du Discours,
à l'orthographe usuelle des mots dans leurs formes constantes, à l'usage des
Dictionnaires... Et ainsi de suite » (Voir le Progr. de l'an XI. Paris. Imp. de l'Ec.
Polymath., an XI, in-8°, p. 24 et suiv. Arch. N., ADVIII, 29).
CHAPITRE V

QUELQUES DONNÉES SUR L'ÉTAT DES ÉTUDES

UNE ENQUÊTE. On n'aurait qu'une idée bien insuffisante des



résultats qu'eurent dans la pratique les institutions scolaires de
l'époque, si on ne considérait que les Lycées. Heureusement on a
conservé des dossiers qui permettent de se faire une idée de ce qui
s'enseignait dans les petites villes et les bourgs.
Ce sont d'abord les réponses concernant les écoles secondaires
communales, auxquelles l'administration avait demandé, par une
circulaire du 30 ventôse an XIII, des renseignements sur les matières
qui étaient enseignées. Le programme comportait français, latin,
mathématiques, on le suivait. Ce qui serait nécessaire, ce serait de
savoir combien d'élèves optaient pour le latin, combien pour les
mathématiques, on ne nous le dit pas exactement.
D'autres dossiers ont été conservés. Ce sont les états fournis
par les préfets en réponse à une circulaire du 21 prairial an XIII
(26 juin 1805).
Il s'agissait de savoir, parmi les maisons d'éducation qui aspi-
raient à être élevées au rang d'institutions secondaires, quelles
étaient celles qui méritaient cet honneur. On voulait connaître les
maîtres, l'installation, le nombre des élèves, le prix de l'écolage et
les programmes.
Presque tous les préfets ont répondu, mais quelques-uns l'ont
fait sommairement, se bornant à mettre en tète de l'état fourni :
Maisons où on enseigne les langues française et latine et les mathé-
matiques 1.
Parfois même le titre porte : « ou les mathématiques », si bien
que nous ne sommes pas sûrs si la bifurcation pouvait se faire par-
tout. Quoi qu'il en soit, il m'a paru intéressant de recueillir les

1. En ce cas je mets dans la colonne Observations T (titre) qui signifie


: ce que l'état
ne porte aucune indication relative aux programmes, en dehors du titre.
QUELQUES DONNÉES SUR L'ÉTAT DES ÉTUDES 449

indications fournies par ces dossiers peu connus, et qui contribue-


ront à jeter quelque lumière sur l'enseignement du deuxième
degré à cette époque 1.

1. Voir Arch. Nat., F17 1720. — F 17 19358 (Registre des Écoles Secondaires) est
un simple registre de police concernant Paris seul.
Ajoutons que F 17 3600 contient toutes sortes de renseignements sur les Ecoles secon-
daires, mélangés à des rapports sur l'enseignement primaire.

Histoire de la langue française. IX. 29


ÉCOLES LIBRES EN L'AN XIII.

MAISONS OÙ ON ENSEIGNE

DEPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES LATIN FRANÇAIS LATIN


OBSERVATIONS

ET FRANÇAIS SEUL SEUL

Moulins 5(68) T.
Bourbon 1 (62)

Souvigny — (9) —
Montluçon — (72) —
Cerilly —(12) —
Allier Saint-Pourçain. —(68)
. . .
Ebreuil —(45) Plusieurs de ces écoles reçoivent une
Lapalisse — (40) subvention des communes.
Cusset
Vichy.
......
Varennes-sur-Allier..
.
— (42)
-(21)
—(31)

Puy-de-Saint-Pierre.. 1 (18)
.
Monétier — (8)
Guillestre 2 (140)
Hautes-Alpes.Châteauroux —(17)
Saint-Bonnet — (24)
Orpierre — (22)
Veynes —(10)

Ardèche Le Préfet écrit :« Presque toutes les com-


munes du Département ont des maî-
tres d'école où l'on n'enseigne tant
bien que mal qu'à lire et à écrire ».
Pamiers 1 3 (53) Dans l'école franco-latine, 20 élèves en
français, 5 en latin.
Mirepoix 1 (33) 1 (27) Dans l'école franco-latine, 28 élèves en
Ariège Lezat — (10) latin, 5 en mathématiques.
Sainl-Lizier — (20) Dans certaines communes des institu-
Castilhon — (30) teurs enseignent la lecture, l'écriture
Niaux — (8) et le calcul.

Troyes 3 (116)
Saint-Martin-es-Vignes.. (33)

Aube
Ervy
Bar-sur-Aube..
... -
1
(18)
— (29)
Romilly-sur Seine.
. . — (15)
Bar-sur-Seine — (53) A Bar on enseigne aussi l'anglais et
l'italien.

Aveyron
Saint-Affrique.
La Guiole
Mur-de-Barrès.
... 3 Plusieursécoles du même genre ont fermé
depuis l'organisation des écoles secon-
daires.
. .

Aubagne 2 (123)
La Ciotat 1
Marseille 16(549)
Aix 5(113) 2(60)
Bouches-du-Rhône. Martigues 2(17)
.
Salon 6(127)
Arles 5(154)
Saint-Rémy 4(92) 2 (30)
Tarascon 3(89)
MAISONS OÙ ON ENSEIGNE

DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES OBSERVATIONS


LATIN FRANÇAIS LATIN
ET FRANÇAIS SEUL SEUL

Bayeux 3 (178) 1 (122) Plusieurs de ces maisons n'ont que quel-


ques élèves en latin et français : 10 sur
50, 27 sur 66. Les autres reçoivent
l'éducation des écoles primaires (lire,
écrire). Prix : 1 fr. 75 par mois.
Caen 7 (196) 3(43) Dans l'une des trois on apprend le latin et
l'anglais, dans l'autre le latin et le
grec. Pas de mention du français.
Calvados Cully 3
Honfleur 2
Pont-l'Evèque.... 1

Lisieux 2 Un petit nombre d'élèves apprend le latin.


Orbec 1
Falaise 3
Campeaux 1

La Landelle 1

Le Gast 1
Sainte-Marie-Laumont. 1
.

Cantal Néant.

Angoulême 7 (116) T.
La Rochefoucauld. 3 (13) —
. .
Charente Châteauneuf 1 (17) —
Barbezieux 1 (9)
Saintes 3(106) T.
Charente-Inférieure. . Pons
La Tremblade.

Allassac
... 1 (25)
1

1
(24)

(45) T.
Brive 7(136) —
Cublac (20)
1 —
Curemonte — (25) —
Juillac — (42) —
-(80)
Larche — (30) —
Corrèze Meyssac —
(40) —
Objat — (20) —
Saint-Julien-Ségur. —
(12) —
. .
Saint-Solve —(15) —
Tulle 2 (28) Elles sont tenues par d'anciens profes-
seurs des Écoles Centrales.
T.
Turenne — (29)
Ussac —(30) —

Chatillon 2 (19) T.
Semur 2 (21) —
Vitteaux 1 ( 34)
Côte-d'Or
Côte-d'Or Dijon
Beaune
10(139)
4(126)
-

Nolay 1 (31) —

Guéret T.
Boussac —
Aubusson 2 (70) —
Bourganeuf —
MAISONS OÙ ON ENSEIGNE

DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES LATIN FRANÇAIS LATIN


OBSERVATIONS

ET FRANÇAIS SEUL SEUL

Nontron 1(46) « Il existe dans le Départementplusieurs


Périgueux 4 (68) 1 (9) autres Écoles où l'on enseigne les élé-
Excideuil 1 (52) ments de la lecture, de l'écriture et du
Lille 1 (34) calcul ».
Dordogne Sarlat —
(14)
Montignac —(62)
Terrasson —(15)
(28)
Villefranche — (4) 1
Mussidan 1 (31)

Besançon 8(182) T.
Morey — (34) —
Etray — (46) —
Doubs Ouvans —(22) —
Clerval —(20) —
Pontarlier 2 (21) —
Ornans 1 (25) —

Crest 1(23) T.
Drôme Romans — (13) —
Valence 2 (56) _
Chartres 2 (50) T.
Dreux 2 (61)
Châteaudun 2 (49)
Eure-et-Loir. Nogent-le-Rotrou. 1 (10)
. . .
La Loupe 1 (35) Prix: 18 francs en primaire; 36 en gram-
maire latine ; 60 en grammaire latine
et mathématiques.

Brest 1 (35)
Lesneven — (50)
Finistère Morlaix — (33)
Sibirill —(72)
Quimperlé —(40)

Alais 1 (3)
Saint-Jean-du-Gard.. 1 (14)
.
Genolhac 1 (5)
Gard Nismes 7(276) Une de ces écoles enseigne l'italien.
Saint-Gilles
Saint-Hippolyte.

Sauve
... 1
1

1
(40)
(50)

(35)
Le directeur est instituteur primaire.
Le directeur a avec lui un professeur de
langue française.

Toulouse 5(509) T.
Haute-Garonne.
. .
Saint-Gaudens.
Castel-Sarrasin.
Revel ...
. . .
1(135)
1 (24)
1 (57)
MAISONS OÙ ON ENSEIGNE

DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES LATIN FRANÇAIS LATIN


OBSERVATIONS

ET FRANÇAIS SEUL SEUL

Condom 4(106) T.
Lauze 1 (31)
Nogaro 1 (59)
Houga 1 (42)
Lectoure 2 (29)
Fleurance 1 (25) 2 (55)
Solomiac 1 (22)
Mauvezin 1 (16)
Terraube 1 (20) Véritable école primaire.
Saint-Clar 1 (35)

Lisle-Bouzon 1 (75)

Bivès 1 (24) —
Tournecoupe 1 (30)

Castelnau 1 (20)

Montastruc 1 (20)
Auch 2 (71)
Gimont. 1(19)
Seissan 2 (51)
Saramon 1 (16)
L'Isle-en-Jourdain. 2 (73) 1 (12)
. .
Noilhan 1 (12)
Barcelonne 1 (40) Quelques enfants seulement apprennent
le latin et la grammaire française.
Marnac 2 (31)
Riscle 1 (12)
Miélan 1 (52) Quelques écoliers apprennent le latin.
Gers (suite). Beaumarchais 1 (4)
. . .
Mirande — (6)
Montesquiou — (6)

Rennes 10(204) T.
Saint-Malo 1 (13)
Vitré 1 (2) 1
La Guerche 1 (4) 1 (17) Enseigne les mathématiqueset non le latin.
Ille-et-Vilaine. . . .
Redon....
1 (74)
Bain 1 (5)
Lou-du-Lac 1 (47) Les externes vivent dans les fermes
voisines.

Tours 5(269) Sur les 5 directeurs, 2 maîtresd'écriture,


qui font enseigner le latin aux élèves
qui veulent l'apprendre.
Indre-et-Loire Château-Renault.. 1 (12)
. . . .
Chinon 1 (82)
Richelieu 1 (18) La maison porte toujours le nom de
Collège de Richelieu.

Dôle 4 (76)
Salins — (64) Dans une des cinq écoles on enseigne les
Jura mathématiques.
Poligny 1 (40)
Saint-Claude 1 (44)
I
Landes Néant.
MAISONS OÙ ON ENSEIGNE

DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES OBSERVATIONS


FRANÇAIS
ET FRANÇAIS SEUL SEUL

Liamone Ajaccio 5(91) Il y a dans quelques communes de l'in-


térieur des écoles primaires où l'on
enseigne... les principes des langues
latine et française et le calcul décimal.
Il y a également quelques autres
écoles particulières dans lesquelles
l'on enseigne une des deux langues
seulement.

Loir-et-Cher. Néant.
. . .

Montbrison 3 (69) T.
Chazelles-sur-Lavieu. 1 (36)
.
Roche 1 (64) Petit séminaire.
Loire Saint-Étienne 3 (58)
Rive-de-Gier 1 (8)
Roanne 7(138)
Charlieu 2 (20)

Pas d'établissement pro-


Haute-Loire. prementdit.

Orléans 13 (473)
Loiret Ferrières 1 (14)
Lorris 1 (60)
Loiret (suite). Pithiviers 1 (56)
. . .
Gien 1 (60)

Montauban 6 (242) T.
Lauzerte 2 (54)
Gourdon 2 (80)
Lot Martel 1 (25)
Salviac 1(15)
Cahors 1 (34)

Agen 6(233)
Beauville 1 (21)
Tonneins 2 (36)
Casteljaloux 1 (44)
Damazan 1 (16)
Nérac 1 (24)
Lot-et-Garonne. Bruch 1 (44)
Monterabeau 1 (20) On y enseigne aussi l'anglais.
Francescas 1 (30)
Sos 1 (24)
Pujols 1 (14)
Penne 1 (24) 1 (16)
Monflanquin 1 (15)

Lozère Néant.

Valognes 2 (52)
Manche Cherbourg 2 (40)
Bricquebecq 1 (16)
MAISONS OÙ ON ENSEIGNE

DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES OBSERVATIONS


LATIN FRANÇAIS LATIN
ET FRANÇAIS SEUL SEUL

Muneville-sur-Mer. 1 (35)
.
Coutances 1 (5)
Mesnil-près-la-Oue. 1 (13)
. .
Pirou 1 (2)
Perrières
Pontorson.
Granville
..... 1 (10)
1 (36)
4 (39) 1 (40) L'École française enseigne les mathéma-
tiques ; c'est une école publique et
gratuite de navigation.
Manche (suite) Avranches 5(227) Une école enseigne le grec.
Saint-James 2(48) Prix : 15 francs pour le français ; 24 francs
pour le latin.
Mortain 2(51) Ces écoles sont divisées en deux sections :
a) latin (19 élèves) ; b) grammaire
Sainl-Lo 3(120) française, géographie, histoire,mathé-
Carentan 1 (17) matiques (32 élèves).
Thorigny 2 (24) Prix: latin 2 francs, écriture 1 franc,
lecture 0 fr. 75.

Reims.
Châlons
Avize.
......
......
3(107)
2 (82)
(9)
T.

Marne Montmirail
Auve
1
1 (7)
(15)
-

Vitry
1
1 (25) -

Haute-Marne.
Joinville
Montier-en-Der.
Chaumont
Langres
... 1
1
1
(36)
(11)
(6)
2 (33)
T.


. . . —
Montigny 1 (8)

Pouilly 1 (17) Le Directeur Moniot enseigne depuis
41 ans.

Laval 5(105) 2 (206)

Mayenne
Ernée
Château-Gontier.
Craon
... 1
1
1
(50)
(59)
(20) On paie dans cette école 450 francs pour
le latin et 390 francs pour le français.

Thiaucourt 1 (12)
Nancy 6 (86) Une des écoles est particulièrement des-
tinéeà l'enseignementdes belles-lettres
Meurthe Château-Salins. 1(18) et de la grammaire générale.
. . .
Vic 1 (33)
Lunéville 2 (16)
Blamont 1 (12)
Vézelize 1 (3)

Bar-sur-Ornain.
.
Montmédy 1 (30) 4 (184)
Meuse ;
Verdun 5 (92) Dans l'une on apprend l'allemand; les
élèves de deux autres fréquentent
Étain 2(104) l'école secondaire.
Clermont 1 (19)
MAISONS OÙ ON ENSEIGNE

DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES


LATIN LATIN
OBSERVATIONS
FRANÇAIS
ET FRANÇAIS SEUL SEUL

Mont-Blanc.... Conflans 1 (42) Les élèves des écoles de Conflans et


Chambéry 1 (36) de Chambéry (petit séminaire) suivent
l'école secondaire communale.

Napoléonville 1 (29)
Cléquères 1 (20)
Faouët 1 (30) Il existe dans différentes communes des
maîtres d'école qui apprennent à lire
Guéméné —(20) et à écrire aux enfants; quelques-
Morbihan Locminé —(34) uns y ajoutent les quatre premières
Gourin —(12) règles de l'arithmétique.
Lorient —(20) On y enseigne aussi l'anglais.
Hennebon 1 (35) 12 apprennent le latin, les autres, le
Vannes.. 5(165) 4(119) français et les mathématiques.
La Roche-Bernard. 1 (40) Lire, écrire et le calcul.
. .

Moselle Metz 4 (73)


3
Briey (32)

Cassel 1 (11) T.
Lille 11(453) —
Nord Haubourdin 1 (25) —
Esquermes 1 (36) —
Cambrai 6(156) —
Nord (suite)
(suite). . . .
Avesnes
Quesnoy
Douai
Valenciennes
Bouchain
Seclin

Beauvais
Breteuil
Bury
Chantilly
Gerberoy
1

1
241)
(6)
2 (26)
5(
8(227)
(25)
3 (70)

2(101)
(30)
—(15)
—(54)
—(11)
-
T.



T.




Grandvilliers-aux-Bois. —(16) —
.
La Morlaye —(26) —
Oise Marissel —(10) —
Nanteuil —(21)
Noailles —(5) —
Plessis-Longueau. —(53) Dans l'hiver.
. .
Rhuis —(20) —
Saint-Just —(50) —
Senlis 2 (64)

Verneuil 1 (56) —

Alençon 7(209) 2 (27) Les deux écoles de français ont le pro-


gramme primaire.
Argentan 2 (30) Lire, écrire, éléments de latinité.
Orne Mortagne 1 (50)
Boissi-Maugis 1 (35)
Laigle 2 (41)
Moulins 1 (8)
MAISONS OÙ ON ENSEIGNE

DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES LATIN FRANÇAIS LATIN


OBSERVATIONS

ET FRANÇAIS SEUL SEUL

Arras 5 (68) T.
Béthune 3(106)
Lens 1 (26)
Lillers 2 (46) Ces chiffres sont ceux de l'hiver.
Hersin 2 (11)
Montreuil 1 (36)
Pas-de-Calais. Capelle 1 (16)
. . .
Frevent 5 (60-75)
Boulogne 4(236-134)
Saint-Martin-Choquel. 1
.
Audinghen 1 (18)
Samer 1 (8)

Riom 10(297)
Pionsat 1 (48)
Charensat 1 (40)
Menat 1 (35)
Arlanc 1 (25)
Cunlhac 1 (13)
Puy-de-Dôme. Saint-Germain-l'Herm. 2 (12)
. . . .
Saint-Gervais-s.-Maymont. 1 (20)
Clermont 15 (302) 1 1 primaire. Le programme des diverses
Billom 5 (72) écoles est indiqué, mais peu nettement.
Ardes 2 (21) Il semble qu'on enseigne la langue
Latour 2 (45) latine seulement dans 3 écoles.
Tauves 1 (20)
Pau 4 (95)
Oloron 2 (39)
Arudy 1 (18)
Mauléon 2 (17)
Basses-Pyrénées. Parris 1 (4) C'est le desservant qui montre gratui-
tement.
Bayonne 2 (39)
Orthez 1 (29)
Salies 1 (7)
Navarrenx 2 (37)

Tarbes 3 (30)
Maubourguet 1 (15)
Hautes-Pyrénées. Lourdes 1 (filles) (30)
. .
Beaucens 1 (4) M. Ragette reçoit ce que lui offre la
reconnaissance.

Pyrénées-Orientales. Perpignan 1 (30)


.

Strasbourg 3(54) 1(20) On enseigne l'allemand dans les 4 écoles.


Bas-Rhin Landau 1 (19)

Haut-Rhin Néant.

Rhône
Lyon
Saint-Rambert.
Oulins ...
Saint-Genis-Laval...
58(2065)
2 (41)
6 (90)
2 (40)
T.

Condrieu 1(150)
Colonges 1 (21)
MAISONS OÙ ON ENSEIGNE

DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES LATIN FRANÇAIS LATIN


OBSERVATIONS

ET FRANÇAIS SEUL SEUL

Gy 1 (27) Tous les maîtres enseignent la langue


Gray 3(140) française, un peu moins mall'arithmé-
Bucey 1 (70) tique selon les principes du calcul
Champlitte 1 (80) décimal.
Velesmes 1 (31)
Vesoul 3 (60) 4(125)

Haute-Saône.
. . .
Jussey
Port-sur-Saône.
Lure
Vauvillers
... 1
1
1
1
(20)
(38)
(20)
(18)
Saint-Loup 1 (28)
Villersexel 1 (32)
Melisey 1 (30)
Luxeuil 1 (23)
Saulx 1 (23)
Héricourt 1 (20)

Le Mans 9(185) Une autre école, sans programme indi-


qué, enseigne les mathématiques.
Beaumont-sur-Sarthe. 1 (30)
.
Sarthe Cherré 1 (42)
Mamers 2 (60)
Bonnétable 2 (76)
La Ferté-Bernard. . .
1 (55)
Ballon 1 (25)
La Suze 1 (58)
La Flèche 3(73)
Sarthe (suite). Sablé 1 (10)
. . .
Pressigné 1 (40) Peu d'élèves étudient la langue latine.
On enseigne particulièrement à lire et
à écrire.

Seine Paris et environs.. 73(2068) 2(33) Beaucoup d'écoles n'ont pas envoyé le
. .
nombre de leurs élèves.
Une n'enseigneque l'allemand.

Eu 2 (39) T.
Montivilliers 1 (25-31) —
Seine-Inférieure. . Harfleur 1 (14) —
Bolbec 1 (55) —

Brie 1 (97) T.

Seine-et-Marne.
. .
Dammartin
Fontainebleau.
Le Mée..
Meaux
... 1 (47)
2 (70)
1
1
(10)
(40)


Saint-Cyr 1 (30)

Guitrancourt 1 (22) Plan des lycées.


Seine-et-Oise. Magny 2 (27)
. . .
Saint-Gervais 1 (20) —
MAISONS OÙ ON ENSEIGNE
DÉPARTEMENTS LATIN
SIÈGE DES ÉCOLES OBSERVATIONS
FRANÇAIS
ET FRANÇAIS SEUL SEUL

Villiers-le-Bel 2 (41)
Gonesse 2 (38)
Beaumont 2(167)
Nointel 1 (50)
Marines 1 (19)
Versailles 5(108)
Seine-et-Oise (suite).
.
Saint-Germain.
. . .
3(39)
Marly-l.-M 1 (35)
Meulan 1 (36)
Montfort 1 (21)
Poissy 1

Corbeil 4(176)
Étampes Néant

Deux-Sèvres. Niort 2 (68)


. . .

Amiens 4(194)
Flixecourt 1 (14)
Cardonnette 1 (18)
Abbeville 2 (58)
Somme Saint-Valery 2(103)
Doullens 1 (20)
Péronne 1 (17)
Nesle 1 (16)
Albert 1 (45)
Mondidier 1
Somme (suite).. Roye 2 (63)
. .
Moreuil 1 (40)

Albi 4(103) T.
Gaillac 2 (49)
Tarn Lavaur 2(118)
Grauliet 1 (44)

Brignoles 1 (23)
Carcés 1 (6)
Entrecasteaux 1 (10)
Cotignac 3 (67)
Tourves 1 (9)
Roquebrune. 3 (58)
. . .
Néoulles 1 (20)
Pignans 3 (51)
Forcalquier 1 (10)
Gonfaron 2 (27)
Var Vidauban 2 (24)
Callas 2 (33)
Salernes 2 (28)
Saint-Tropez 5(157)
Grimaud 1 (15)
Le Luc 6(197)
Fayance 2 (42)
Les Arcs 1 (30)
Bargemont 5 (59)
Aups 4 (52)
MAISONS OÙ ON ENSEIGNE

Il
LATIN OBSERVATIONS
DÉPARTEMENTS SIÈGE DES ÉCOLES
FRANÇAIS
ET FRANÇAIS SEUL SEUL

Grasse 2 (31) L'abondance de ces écoles ne signifie-


Antibes 2(30) t-elle pas que le Préfet a compté toutes
Vence 1 (14) les écoles où, suivant la mode du Midi,
Carros 1 (15) on commençait des études de latinité?
Cannes 1 (2) dit en effet qu'il a donné la liste des
Châteauneuf 1 (23) maisons autres que les écoles secon-
Mougins 1 (12) daires communales et particulières
Cagnes 1 (45) où on enseigne latin et français.

Var (suite)
Tourrettes
Auribeau.
Toulon
Ollioules
.... 1
1
(12)
(6)
16(722)
3(122)
Le Puget 3 (92)
La Valette 2(40)
Le Beausset 1 (6)
Sollies 2 (51)
Pierrefeu 1 (20)
Signes
Le Revest.
Bandol
..... 1
1
1
(21)
(8)
(12)

T.
Vaucluse. .... Avignon
Lisle
Cavaillon
Carpentras
...... 6 (67)
2(61)
1 (3 6)
7 (95)
Vaucluse (suite).

Vendée
.
. Aubignan

Vaison

Les Sables
Beaumes.....

Chavagne-de Montaigu..
3
2 (51)
(37)
2 (21)

1 (70)
Séminaire(5) Le but paraît être de former partout des
élèves pour l'état ecclésiastique.
Fontenay 5 (50)

Poitiers 4 (52) T.
Loudun 2 (44)
Vienne Mauprevoir 1 (6)
Civray 1 (4)
Chatellerault 3 (80)
Montmorillon 1 (13)

Haute-Vienne. Néant
. .

Vosges 3 maîtres (Saint-Dié, Mirecourt, Ram-


bervillers. Pas de maisons).

Auxerre 4(121) T.
Avallon 3 (66)
Vézelay 1 (11)
Sens 2 (44)
Villeneuve-s.-Y. 1(25-30)
. . .
Précy 1 (20)
472 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

D'autres états, de 1807, complètent ceux que je viens de résu-


mer 1. Ils contiennent, sur le sujet qui nous occupe, quelques ren-
seignements.
On pourrait glaner ailleurs. Ainsi le 18 novembre 1811, le Rec-
teur de Rennes envoie un tableau, très court du reste, des Maîtres
qui enseignent « les langues vivantes » à Nantes. Il y en a deux de
langue anglaise et trois... de langue française 2.
Il y a lieu, avant de terminer ce chapitre, de rappeler que l'Uni-
versité impériale, si puissamment appuyée qu'elle fût par le maître,
ne parvint pas à vaincre l'opposition cléricale. De tous côtés et de
toutes façons, on tourna la loi, et le décret rigoureux de 1811, qui
tendait à instituer le blocus universitaire, resta à peu près lettre
morte. Les petits séminaires, sortant de leur rôle, faisaient une âpre
concurrence aux lycées, collèges et écoles secondaires, dont la vie
en beaucoup d'endroits était chétive. Or ces maisons accordaient au
latin une place encore plus avantageuse que l'Université.
Je n'insisterai pas plus qu'il ne convient sur ces choses, qui n'ont
pas une importance capitale. Sans doute, il n'était pas indifférent
que la langue eût désormais l'enseignement public avec elle ou
contre elle. Mais au point où elle en était parvenue, elle avait moins
besoin des hommes de robe longue. Qui sait même si tout ce retour
de pédantisme ne l'a pas servie, en préparant de nouvelles révoltes.
On se rappelle les reproches que Lamartine faisait à l'éducation
qu'il avait reçue. Le souvenir que Hugo avait gardé de la sienne
le mettait dans une véritable colère, qui a influé sur ses théories :
« Marchands de grec, marchands de latin, cuistres, dogues,
Philistins, magisters, je vous hais, pédagogues... »

1.Arch. Nat., F17 1721.


2. Arch. N., F17 6301.
CHAPITRE VI

L'UNIVERSITÉ IMPÉRIALE

— La création de l'Université impé-


LE JOUG DU LATIN S'APPESANTIT.
riale en 1806-1808 ne fit qu'aggraver le latinisme de l'an X. Aux
1

outranciers de la réaction, l'Administration répondait bien avec des


airs résolus qu'à la fin de l'Ancien Régime « on se plaignait qu'on
ne s'occupât pas assez de la langue et de la littérature française » 2.
Mais ces dispositions modernistes ne se traduisaient guère dans les
réglements et les programmes, et d'année en année le joug du latin
se fit plus pesant.
Le 19 septembre 1809, la bifurcation établie par la loi du 11 flo-
réal an X (1er mai 1802) fut abolie. Au lieu de deux sections : latin
d'une part, mathématiques de l'autre, les élèves des lycées reçurent
une instruction commune : 1° Deux années de grammaire (français,
latin; dans la seconde année, grec); 2° deux années d'humanités
(mêmes matières avec étude des meilleurs auteurs français) ; 3° rhéto-
rique ; 4° mathématiques spéciales. Le français n'était toujours
étudié que par le latin et on pourrait dire pour le latin. L'explica-
tion, écrite ou orale, des textes latins devait exercer les élèves à
l'écrire et parler.
à le
On saluait sa résurrection de cris joyeux. « Ergo renascitur lin-
gua Romanorum », s'écriait Burnouf, dans un transport, à la dis-
tribution du Concours général en 1812. Et ceci veut dire que les
thèmes, les versions, les discours et les vers latins remplaçaient des
disciplines devenues d'autant plus suspectes qu'elles avaient fait
leurs preuves. C'était sur leur succès en ces matières qu'on jugeait
les maîtres. La classe d'histoire seule demeurait un peu gênante,
Tite-Live et Cornelius Nepos n'ayant pas prévu la 4e dynastie. Mais
si le régime eût duré, la servilité y eût pourvu. Un courtisan ne pro-
posait-il pas une histoire latine de l'époque contemporaine !3
1. Le projet fut adopté au Conseil d'État le 4 juillet 1806 et promulgué le 7 mars
1808. Voir Rec. des lois..., t. III, p. 158.
2. Weil, Hist. de l'enseign. sec. en Fr., p. 35-37.
3. Schmidt, Réf. Univ. Imp., p. 94.
474 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Assurément bien des gens comprenaient qu'on se fourvoyait, peu


se hasardaient à le dire. Un modeste grammairien, Vanier, osait
cependant annoncer l'avenir : « Il viendra peut-être un temps où
nous apprendrons le français par le français, et non par le latin.
Ce sera alors que nous saurons réellement notre langue, et que
nous ne nous trouverons plus, comme par le passé, dans la dure
nécessité de recommencer nos études au sortir des collèges. Ce tems
viendra quand nous aurons des grammaires et des écoles vraiment
françaises »'. Dans son for intérieur, Fontanes lui-même voyait
probablement très bien les dangers de cette éducation dont la rhé-
torique occupait le sommet, où les élèves rapetassaient des centons
d'antiquité, et dont les maîtres considéraient comme une gloire
suprême d'avoir donné une nouvelle traduction d'Horace 2. Il savait
bien que dans ses lycées, où les études grecques étaient à peu près
nulles, on n'étudiait qu'une antiquité de convention, un monde
verbal et vide. Mais l'intérêt politique lui commandait son attitude.
Quelques historiens ont supposé que Bonaparte, devenu Napoléon,
était obsédé à la fois du souvenir de Charlemagne et de César.
Poussa-t-il jusqu'à vouloir renouer la tradition de l'Empire d'Occi-
dent et substituer au Saint-Empire romain germanique le Saint-
Empire latin des Français ? 3 En tous cas, en 1810, « pour célébrer
solennellement » l'alliance auguste qui se fonde pour le repos des
générations futures, « et rétablir l'usage de la langue latine...
qu'il sied peut-être de parler quand nos lois et nos armes s'étendent
au loin », les professeurs de rhétorique furent invités à prononcer,
le 1er jeudi du mois de juin, un discours latin sur le mariage de
S. M. L'Empereur et Roi avec S. A. I. et R. l'Archiduchesse
Marie-Louise. Luce de Lancival eut le prix. C'était justice. Quand
il n'était encore que le citoyen Luce, n'avait-il pas prononcé un dis-
cours « très analogue » sur l'utilité des langues grecque et romaine?4
« On les appelle des langues mortes, s'écriait-il, elles sont mortes
pour les autres nations, mais les Grecs et les Romains vivent pour
les Français ». Heureux Français!
Que quelques-uns aient songé à rétablir la classe en latin, cela
ne paraît pas douteux. Ils n'y réussirent cependant pas. Des gens
qui avaient alors une" autorité considérable dans les Conseils d'Ins-
truction publique, comme Cuvier, avaient dit avec trop de force le
dommage qui en résulterait, et « l'impossibilité de se servir désor-

1. Clef des partic., p. 8-9.


2. Schmidt, Réf. Univ. Imp., p. 94.
3. Lavisse, Journal des Débats, 11 juillet et 22 août 1890.
4. Aulard, Paris..., 13 fructidor an VIII (1er sept. 1800).
L'UNIVERSITÉ IMPÉRIALE 475
mais d'une langue dont les auteurs avaient ignoré les faits et les
idées découvertes par les sciences ». La philosophie logique elle-
même resta française. Il y eut bien quelques demandes en faveur
du latin. Des pères de famille — on connaît l'usage que les pédago-
gues rétrogrades font, à l'occasion, des pères de famille — sollici-
tèrent, dès 1805, la création d'un cours de philosophie professé
en latin. Le Conseil Général de la Gironde émit un voeu analogue.
Mais le Conseil de l'Université se borna, en 1809, à laisser les pro-
fesseurs libres de choisir 1. Il s'en trouva pour essayer du latin, ainsi
le professeur Poirrier, de Nantes. Mais dans des essais comme ceux-
là, il faut, pour réussir, le consentement des élèves et on devine
que, malgré leur passivité ordinaire, ceux du temps, quelqu'habi-
tués qu'ils fussent à marcher comme des soldats, mirent peu d'em-
pressement à ajouter à leur peine, sans que le résultat utile leur
apparût.
A la Faculté de Droit, règles analogues. Le décret du IVe jour
complre de l'an XII (21 septembre 1804) prescrit: « A la licence
et au doctorat, l'un des examens portera sur le droit romain et
sera fait en latin » (art. 43).
On pense bien que, dans les ombres de Facultés des Lettres qui
furent instituées pour donner les grades, les décrets n'oublièrent
pas de faire au latin sa place. Le décret portant organisation de
l'Université dit, au Titre III, art. 20, § 2 : « Pour subir l'examen de
la licence il faudra... 2° composer en latin et en français sur un su-
jet et dans un temps donné... § 21 : Le doctorat dans la Faculté des
Lettres, ne pourra être obtenu qu'en présentant son titre de licen-
cié, et en soutenant deux thèses, l'une sur la rhétorique et sur la
logique, l'autre sur la littérature ancienne ; la première devra être
écrite et soutenue en latin » 2.

1. Aul., Nap. et le Mon., p. 111. On abolit la faculté du choix en 1822, lors de


la suppression de l'École Normale. En 1828, M. de Vatimesnil la rétablit. C'est
Victor Cousin, sous Louis-Philippe, qui mil définitivement fin à cet anachronisme.
2. Rec. des Lois..., t. III, p. 93.
CHAPITRE VII

L'ÉCOLE NORMALE D'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

FORMATION DE L'ÉCOLE. Le retour à l'idée d'Écoles Normales était



fatal. Chassiron l'avait reprise dans son discours du 6 floréal an
X (26 avril 1802). L'article 110 du titre XIV de la loi du 17 mars
1808 porte : « Il sera établi à Paris un pensionnat normal, destiné
à recevoir jusqu'à trois cents jeunes gens, qui y seront formés à
l'art d'enseigner les lettres et les sciences »1. Le décret concernant
règlement pour l'Université Impériale (17 septembre 1808, tit. VIII,
art. 17), ajoute : « Le pensionnat normal sera mis en activité dans le
cours de l'année 1809 ; le nombre des élèves pourra n'être porté qu'à
cent la première année, à deux cents la seconde, et ne sera com-
plété que la troisième année » 2. Les chiffres seuls indiquent qu'on
ne savait pas encore au juste ce qu'on voulait faire. On avait seule-
ment résolu de pourvoir l'Instruction publique de fonctionnaires
formés.
L'École Normale s'ouvrit en 1809, au Collège d'Harcourt, puis
dans la maison dite du St-Esprit. Guéroult en était directeur. Basset
était directeur des études 3. Le règlement avait été arrêté le 30 mars
1810. Un décret du 29 juillet 1811 exemptait les élèves du service
militaire 4. C'étaient des jeunes gens de 17 ans au moins, qui avaient
lait au minimum deux ans dans les hautes classes d'un lycée.

— Le latin ne régnait pas en maître absolu à


LA PLACE DU LATIN.
l'École Normale. Un règlement du 17 mars 1808 se bornait à avertir
les élèves que « devant composer en latin pour la licence et soutenir

1. Rec. des Lois..., t. III, p. 4.


2. Ib., p. 187.
3. Tous les mémoires relatifs à l'installation se trouvent Arch. N., F 11 7403-7404.
Ils vont de 1809 à 1814.
Une liste complète des élèves de l'origine à 1821 se trouve dans F 17 7409
; une liste
des candidats, Ib., 7406.
4. On trouvera quelques indications dans P. Dupuy, art. cit. dans Centen. de l'Ec.
Norm., p. 211. Le discours prononcé à l'inauguration par Fontanes est dans le Moniteur
du 19 avril 1811.
L'ÉCOLE NORMALE D'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE 477

des thèses en latin pour le doctorat, ils devaient faire un fréquent


usage de la langue latine dans leurs discussions et leurs compo-
sitions ». Tous les trois mois, en présence du chef de l'École,
avaient lieu des exercices où on traitait soit en latin, soit en fran-
çais, des questions de philosophie et d'histoire 1.
Villemain nous a laissé dans ses Souvenirs contemporains d'his-
toire et de littérature 2 le récit d'une visite faite dans cette maison en
1812, alors que « créée magnifiquement sur le papier », elle n'occu-
pait qu'un réduit dans les combles de Louis-le-Grand. Guéroult,
Conseiller à vie de l'Université Impériale, voulait l'École « inflexi-
blement classique, sans distraction et même sans diversité d'études,
par la seule méditation de l'antique et de l'excellent » (p. 138).
Le jour où M. de Narbonne y entra, on y faisait « l'analyse rapide
et la critique incidente des meilleurs passages du Marc-Aurèle de
Thomas, rapprochés de quelques grands traits de l'original antique.
Ensuite on lut et on discuta sans pitié quelques Considérations
écrites par un élève sur Fénelon et Vauvenargues ».
Le maître qui commandait tout, et qui avait installé « tant de
gens d'esprit dans un grenier », avait l'ambition que son règne fût
marqué par des oeuvres éclatantes, et, ne réussissant pas à les sus-
citer par ses prix décennaux, il reprenait l'oeuvre par la base. L'ensei-
gnement des lycées devait être régénéré par une laborieuse milice
de jeunes maîtres. Napoléon, confia M. de Calonne à Villemain,
« y veut des études fortement classiques,
l'antiquité et le siècle de
Louis XIV » (p. 146). « Je tiens beaucoup à mon École normale...
c'est ma création, une création nécessaire. Mettons la jeunesse
au régime des saines et fortes lectures. Corneille, Bossuet, voilà les
maîtres qu'il lui faut. Cela est grand, sublime, et en même temps
régulier, paisible, subordonné. Ah ! ceux-là ne font pas de révolu-
tion ; ils n'en inspirent pas ; ils entrent, à pleines voiles d'obéissance,
dans l'ordre établi de leur temps ; ils le fortifient, ils le décorent »
(p. 157).

1. Aul., Napol. et le Mon., p. 347-348. Le latin payait toutes ces faveurs en latineries,
car on n'ose pas appeler poèmes ces pièces dithyrambiques dont les thuriféraires assom-
maient le maître à chaque occasion. Napoleoni.... Lutetiam reduci (1807) ; Augus-
tissimes conjugibus Napoleoni et Mariae (Marron, pasteur) ; Ludovicae epithalamium
(Cauchy, 1810); De nuncupata honoris titulo legione (du même). Ce Cauchy, secrétaire-
archiviste du Sénat, est un des maîtres flagorneurs du régime.
2. T. I, p. 137, ch. XIII.
LIVRE II
LE NOUVEAU RÉGIME ET LES PARLERS

CHAPITRE PREMIER

LA TRADITION RÉPUBLICAINE

L'ESPRIT DE FRANCISATION ET
LES AUTORITÉS. — Cet esprit n'est
jamais mort ni dans la nation ni dans l'Administration. A plus forte
raison s'affirmait-il au lendemain de la Révolution. Ne nous attar-
dons point à citer des grammairiens ; on peut les soupçonner de
vouloir prôner leur marchandise 1, mais voici des faits, qui révèlent
la façon de penser des Assemblées, des Administrateurs, des simples
citoyens et qui montrent qu'elle ne changea pas brusquement
après brumaire. Je mêle à dessein les pays à idiomes et les pays à
dialectes.
A plusieurs occasions, les préfets ont continué à marquer de diverses
façons leur mépris et leur répulsion pour les idiomes. Ainsi, dans sa
Statistique du Nord, Dieudonné signale l' « incursion » d'une
troupe d'acteurs patoisants à Lille et dans les environs : « Les
confrairies dramatiques parcourent encore les campagnes voisines,
dit-il, y donnant le spectacle de pieuses farces débitées dans le
patois du pays d'une manière bouffonne et quelquefois peu décente.

1. Un seul exemple. J. B. Maudru écrit à l'Institut « Il faut que victorieuse à son


:
tour, notre langue étende son aimable empire partout où nos succès militaires nous
ont acquis de nouveaux frères ; que devant elle tombent cette foule de barrières qui,
sous le nom de jargons, isolant entr'eux les membres de la grande famille, opposent
une foule d'entraves à la libre communication des pensées, et qu'enfin sous un régime
représentatif, dans une République qui est une, la langue également une, resserre,
par cette unité, le lien si nécessaire des relations réciproques. Mais pour obtenir que
sans porter atteinte aux différons idiômes qui ont cours, la langue nationale, ainsi que
notre ère, ainsi que nos poids, nos mesures et nos monnoies, soit universellement
répandue sur tous les points de la République ; et que par celte universalité, elle
puisse, par-tout et sans effort, ouvrir l'entrée à tous les genres d'enseignement... »
(Nouv. syst. de lecture, p. 4-5). L'auteur était Professeur à l'Ecole normale du dépt de
la Seine.
480 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

« Ces grotesques acteurs ont fait, il y a peu de teins, une excur-


sion à Lille, appelés par le directeur du Cirque qui espérait attirer
par ce moyen, beaucoup de monde dans son établissement. On
désertait en effet la salle des spectacles de Lille pour aller voir
l' rene d' Norweg in chun morciau, et eune biel comédi pou rire,
par les comédiins d' Tuscoix, d' Rouboi, d' Wacqua et d' Waterlo,
tertou in sanc (La reine de Norwège, en cinq morceaux, ou cinq
actes, et une belle comédie pour rire, par les comédiens de Tour-
coing, de Roubaix, de Wasquehal et de Watrelos, tous ensemble).
Le directeur du grand spectacle s'est plaint, et persuadé que l'au-
torité ne doit autoriser et protéger les spectacles que quand ils
sont des écoles de goût et de moeurs, j'ai défendu aux comédiens de
Tourcoing et de Roubaix de continuer leurs représentations » 1.
Simple dédain ? Non. Les préfets ont en haine tout ce qui fait
obstacle au développement du pays et à la bonne gestion des affaires.
Et de ce point de vue, ils se plaignent des patois et des difficultés
qu'ils leur occasionnent. Il n'est que de lire une lettre adressée par
le préfet du département de la Haute-Vienne au Ministre de l'Inté-
rieur, le 3 thermidor an X. « De toutes les causes, dit-elle, qui dans
les Communes Rurales de divers Départemens, s'opposent à la
prompte Exécution des Lois et des mesures du Gouvernement, il
n'en est peut être pas de plus sensible que la différence du langage
Écrit avec le langage Parlé.
« Appellé successivement à Administrer deux Départemens où le
patois est, pour Beaucoup de Communes, le seul moyen de se faire
entendre de ceux qui les habitent, j'ai Eû occasion de me convaincre
que dans ces Communes l'Exécution des Lois est beaucoup plus
lente, et bien plus difficultueuse. L'habitant y est naturellement plus
défiant et plus soupçonneux; il croit toujours qu'on veut le trom-
per; et toutes ses idées se Rapportant à cette crainte, on n'en obtient
jamais que des Renseignemens trompeurs et inexacts.
« Il seroit bien à désirer que la Langue françoise devint le moyen
général de Communication entre l'administration et les administrés ;
mais ce ne peut être l'ouvrage d'un Jour, et il faudra Encore bien
des années pour y parvenir.
« La Révolution cependant dans quelques départemens, et sur-
tout dans Ceux qui sont frontière, et où les armées ont séjourné, a
hâté la Généralisation de l'Emploi de la Langue.
« Sous ce Rapport, le Département des basses Alpes, que je

1. Statist. du Dép! du Nord. Douai, Morlier, an XII (1804), t. III, 101, n. 1. Cf.
p.
p. 122. Le préfet se refuse à citer les oeuvres patoises.
LA TRADITION RÉPUBLICAINE 481

viens de quitter, Est bien plus avancé que Celui de la haute Vienne.
L'idiome Limousin n'a Presque rien perdu de sa force et de sa pré-
domination ; et il est telle Commune où la Langue françoise est
entiérement ignorée. Les legers progrés que le françois a fait depuis
quelques années vont disparoitre, si le Gouvernement ne lui prête
son appuy, et ne cherche dans sa sagesse les moyens d'En Étendre
l'usage » 1.

RÉGION BASQUE.
— A Mauléon, l'arrondissement sollicitait avec
instance le rétablissement d'un collège ; il en donnait pour raison
qu'outre les avantages généraux qu'offrent les collèges, celui-ci
acquerrait un nouveau degré d'utilité, en rendant la langue française
plus familière à la partie des Pays Basques qui forme cet arrondis-
sement, où elle parait étrangère (Arch. S., cart. XXVII, p. 468.
Pau, 5 thermidor an IX-24 juillet 1801). Le dossier de cette affaire
est aux Archives (F 17 13178, doss. 42). Il est des plus intéressants 2.
Le 12 fructidor an X(30 août 1802), le sous-préfet de Mauléon
écrit au préfet : « Nulle portion de ce département où le besoin de
l'instruction soit plus généralement reconnu nécessaire que dans
le 3e arrondissement » en raison des « difficultés presqu'invincibles,
résultantes de la bisarrerie de l'idiome du pays » (Arch. N., F 17
7028).
Le document le plus circonstancié est la requête du maire de
St-Palais, qu'envoie le secrétaire général de la préfecture (ther-
midor an X). Après avoir rappelé les services rendus par les Basques
et déploré leur profonde ignorance, il ajoute : « La singularité de
la langue des Basques semble une barrière elevée pour leur inter-
dire à jamais l'accès de toutes les connaissances, et les isoler du
reste des hommes. Aussi les loix, les arrêtés du gouvernement leur
sont inintelligibles, et tant de sages instructions et de découvertes
précieuses, que les autorités propagent à l'envi, sont irrévocable-
ment perdues pour eux.
« Aucuns moyens
preparatoires pour ceux qui se destinent à l'art
de guérir, au Commerce, à la Marine, et l'idiome Basque, qui n'a
de connexité avec aucune langue connue, s'oppose à une théorie
saine par rapport à tous ceux qui n'ont pas les facultés nécessaires
pour vaincre cet obstacle...

1. Signé Tester Olivier. Arch. N., F 11 7030.


2. Les Basses-Pyrénées avaient de nombreux collèges, dont un très important à
Sainte-Marie, près d'Oloron (ancienne Soule). On espère que le rétablissement de
ce dernier y attirera à nouveau les jeunes gens que l'Espagne y envoyait avant la
Révolution.
Histoire de la langue française. IX. 31
482 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

« La masse entière d'une population de 120 000 ames est plus


isolée du reste de l'empire par la différence de language, qu'elle ne-
serait par de vastes mers.
« ... Le moyen
unique [de ne pas la laisser croupir] est l'établis-
sement d'une école secondaire au coeur du pays basque, destinée
spécialement à enseigner la langue française et à la propager parmi
le peuple...
« Il se
formera en peu de temps un nombre quelconque de sujets...
et parmi eux il s'en trouvera de propres à être instituteurs pri-
maires, ceux-ci seront à proprement parler les fondateurs de l'ins-
truction publique, familiarisés avec les méthodes ingénieuses qui
existent... ils apprendront enfin à lire et à écrire correctement le
français, ce qu'on attendrait inutilement des maîtres actuels, et
assujettissant leurs élèves à parler français dans leurs classes, et en
faisant usage de petits livres propres à amuser l'enfance, on peut
espérer que la langue française se répandra, et qu'elle sera le véhi-
cule des bons principes, et des vérités de toute espèce...
« On peut enfin
calculer l'époque à laquelle le peuple Basque
entendra, sans intermédiaire et sans interprette la Voix de ses pre-
miers magistrats et de ses législateurs, et leur transmettra à son
tour, le tableau de ses besoins comme l'expression de sa reconnais-
sance » 1.
Or ces instances se renouvellerontjusqu'en l'an XIII 2. Admettons
qu'elles fussent surtout dictées par le désir d'obtenir un collège.
Les motifs allégués n'en sont pas pour cela moins intéressants à
retenir.

RÉGION BRETONNE. L'École Centrale de Pontivy


— MORBIHAN. —
estime de celles qui avaient le plus tristement échoué. Le Conseil
n'en demande pas moins des établissements d'instruction qui pro-
pagent le français : « L'on ne doit pas cependant se dissimuler que
c'est dans ces départements qui forment la ci-devant Basse-Bretagne,

1. Le préfet appuie fortement ces demandes. Il y revient, le 4 brumaire an XI-


16 oct. 1802 (Arch. N., F 11 7028). De son côté Servien, général de brigade, membre
du Corps législatif, fait des démarches. Nous avons de lui une lettre du 11 germinal
an XI (1er avr. 1803) : « les motifs... vous paraitroient plus convainquants si vous êtiés

7028).
sur les lieux et si vous voyiés par vous-même combien les Basques sont étrangers
parmi nous » (Ib.).
2. Lettre au Ministre de l'Intérieur adressée au nom du Conseil Municipal
:
« Le Conseil Municipal de la ville de Mauléon, chef-lieu du 3e arrondissement des
Basse Pyrennées, vous expose que sa situation dans un pays où l'on parle pas la
ne
langue française, exige impérieusement l'établissement d'une école secondaire, où les
jeunes gens puissent se familiariser avec la langue qui est celle des loix, et qui leur
est désormais d'une indispensable nécessité » (10 frim. an XIII-1er déc 1804 Arch N
F17
LA TRADITION RÉPUBLICAINE 483

que l'on doit multiplier les moyens d'instruction pour faire dispa-
raître l'idiome du bas-breton, la seule langue usuelle des habitants
des campagnes de cet arrondissement qui les rend, pour ainsi dire,
étrangers au milieu de leurs concitoyens dont ils ne peuvent se faire
entendre et qu'ils ne peuvent comprendre ». « Il est naturel, dit
encore un Breton, le 4 thermidor an XI (23 juillet 1803), de penser
quele gouvernement désire, en propageant l'instruction, rendre aussi
la langue française familière et d'un usage général en Basse-Bre-
tagne. On n'y parviendra qu'en instituant d'autorité des maîtres
d'écoles salariés aux dépens des pères de famille jusqu'à un âge
déterminé. Si cela n'était pas établi pour toutes les communes,
au moins pourrait-on le faire dans les plus considérables et y ad-
joindre les petites communes. Signé : J. Garnier » 1.
ILLE-ET-VILAINE. — Un citoyen de Rennes, nommé Lebus,
qui n'est pas un apologiste aveugle de l'instruction, tant s'en faut,
écrit de son côté pour demander au moins une école par district.
Les enfants y étudieront les droits de l'homme, l'histoire de leur
nation, la topographie du Royaume, et les principes de leur langue
maternelle 2.

RÉGION ALLEMANDE.
— MEURTHE. — Au lendemain du coup d'Etat
de brumaire, Saulnier le jeune, qui n'a pas encore été remplacé
comme directeur de l'administration départementale de la Meurthe,
tient le même langage qu'il tenait en l'an VI. Il déclare au délégué
des Consuls envoyé dans le département, que « si le royalisme
conserve encore quelques faibles racines dans le département,
c'est parce que... des prêtres déportés et séditieux parcourent...
quelques cantons de ce département, notamment ceux où l'idiome
allemand est en usage » 3.
MOSELLE. — Bitche, nous l'avons vu, avait été une des localités
les plus fermées à la langue française. La situation s'améliorait peu
à peu, grâce à d'anciens soldats qui s'établissaient dans le pays.
Cependant on se plaint que les écoles restent tout allemandes.
Avant la Révolution il existait un Collège, on y faisait des études
jusqu'à la Rhétorique. « Ces moines Allemands ne pouvoient en-
seigner correctement la Langue française qu'ils ignoroient Eux-

1. Decap, Not., Inv. et Docam., p. 111. Cf. l'avis du s. prêt' de Lorient, du 12


1

therm. an XI (Ann. Réres, IX, 129).


Il a paru une Grammaire de la Jeunesse ou Principes de la langue française par un pro-
fesseur de l'École communale de St-Brieuc. St-Brieuc, 1807, in-8°.
2. Decap, o. c.. p. 130. Arch. N., F17 1320, doss. 2.
3. Arch. N., Fle III, Meurthe, dans May, o. c, p. 66.
484 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

mêmes et ne mettoient entre les mains de leurs Élèves, aucun des


bons Auteurs classiques Latins, mais seulement des ouvrages sur
cette Langue.
« Le citoyen
Muller, âgé de 54 ans, ex-Augustin, un des plus
anciens Régens de cette maison, a réuni vingt six Écoliers dont
l'instruction étoit négligée depuis 12 années, ne connaissant d'autre
Langage qu'un Allemand grossier ».
Il serait d'autant plus besoin de veiller à répandre le français que
« Bitche est environnée de Communes populeuses dont la Réunion à
la République n'a eu lieu que depuis Environ Dix Ans et dans
lesquelles l'Instruction a été négligée jusqu'à ce Jour. La Langue
française n'y est que très peu Connue, de là cet Eloignement pour
leur nouveau Concitoyen... de la cette incertitude dans l'Exécution
des ordres des autorités dont ils ne comprennent pas le Langage » 1.
BAS-RHIN. — Quand, en l'an X, se forma à Strasbourg la Société
des Sciences, de l'Agriculture et des Arts du Bas-Rhin, l'une des
premières questions mises au concours fut la suivante : « Quels sont
les moyens de propager la connaissance et l'usage de la langue
française parmi les habitants de toutes les classes dans les dépar-
tements de la République où la langue vulgaire est l'allemande ? »
En 1805 la même question fut remise au concours 2.

RÉGION CATALANE.
— On trouvera aux Archives (F17A 1718) une
longue lettre du Cn Escalaïs, instituteur à la Cne de Claira, datée
du 1er vendémiaire an XIII (23 septembre 1804). Ruiné par les
assignats, il exhale ses plaintes et demande une place. Pour l'obtenir
il commence par résumer le rapport de Grégoire.
Il insiste sur les différences qui de village à village séparent les
jargons. « Rozier observe que d'un village à l'autre les cultivateurs
ne s'entendent point, que le même cep de vigne a vingt noms diffé-
rens; il en est de même des instrumens ruraux, grains, et spécia-
lement des plantes et végétaux ». Le langage d'une nation doit être
uniforme... etc..
Il demande d'ordonner : 1° que toutes les communes admettent
dans toutes leurs discussions et délibérations l'usage exclusif de la
langue française.
2° qu'il soit établi des instituteurs dans toutes les communes des
départemens méridionaux, et principalement dans celui des Py-

1. Thermidor an XI. Arch. N., F17 7026.


2. Sur les résultats négatifs de cette enquête, voir D. Goldschmitt, Inlrod. de la lanq
fr. en Als.-Lorraine, dans Rev. péd., Nouv. Sér., 4905, t. XLVII, p. 560.
LA TRADITION RÉPUBLICAINE 485

rénées-Orientales comme étant le plus reculé tant pour la connois-


sance de la langue que pour la civilité française.
3° que les instituteurs soient examinés par des hommes suffisam-
ment instruits et ayant l'accent d'un vrai français.
4° qu'on enseigne « les élémens de la langue française soit parlée
soit écrite... l'idiome du pays ne pourroit être employé, attendu la
nécessité d'anéantir les patois... ».
5° qu'il soit « enjoint aux Curés, vicaires, desservans des par-
roisses de ne prêcher et s'énoncer à l'avenir au peuple qu'en fran-
çais ». Mais c'était là une lettre privée et rien ne permet de penser
qu'une suite quelconque fut donnée aux propositions de ce citoyen
CHAPITRE II

SOUS L'EMPIRE

NAPOLÉON ET LE FRANÇAIS. Napoléon Bonaparte n'avait pas



pour le français la tendresse filiale de ceux qui l'ont sucé avec le
lait : ce n'était pas sa langue maternelle. Il cherchera à le répandre
au dehors, dans les pays qu'il annexait à son monstrueux empire,
nous le verrons. Il y avait là un moyen d'action. Mais au dedans,
une connaissance un peu plus générale du français n'avait rien
qui pût servir ses desseins ni renforcer son autorité. La Révo-
lution lui avait fourni une nation et une armée suffisamment homo-
gènes. De quoi lui eût servi une augmentation des forces de cohésion
déjà toutes puissantes ? Le mot qu'on lui a prêté n'est sans doute
pas authentique ; il n'en correspond pas moins à sa pensée : « Laissez
à ces braves gens leur dialecte alsacien; ils sabrent toujours en
français ».
On ne songea à aucun moment à mettre au service du français la
nouvelle tyrannie comme les Jacobins avaient mis la leur. Le gou-
vernement de l'Empire laissait vivre la liberté des parlers, une des
seules qui ne coûtât rien à son absolutisme.
Il n'y a pas lieu d'en tirer grande conséquence. En effet la Muse
patoise ne s'était jamais tue pendant la Révolution, malgré le dis-
crédit où étaient tombés les idiomes. On avait même imprimé ou
réimprimé des pièces qui n'avaient rien de politique 1. Aucun fait
après 1804, n'autorise à parler d'un renouveau. L'âge du réveil
n'était pas venu.
De temps en temps, un patoisant embouchait sa clarinette pour
célébrer la IVe dynastie. Le passage de Napoléon à Metz le 26 sep-
tembre 1806 fut salué d'une chanson en patois messin. Vesoul,
1. Duclos, après avoir cité des chansons politiques en idiome local, dont
une de
Taschereau de Fargues, donne une pièce intitulée : Enterromen del calendrié républicain
(Hist. des Ariégeois, p. 308-310).
Pour le Midi, se reporter à la Bibliographie de Noulet. Cf. Millin, dans Mag. En-
cycl., 1811, t. III, p. 274.
Pour les autres régions, on peut citer quelques Noëls, exemple les Noëls Mâconnais-
Pont-de-Vaux, 1797, in-8°. par
SOUS L'EMPIRE 487
Géromé (Gérardmer) y allèrent de leurs couplets 1. Il n'est pas
impossible que les préfets, les ministres même aient accueilli avec
quelque plaisir ces paysanneries, comme des marques naïves d'atta-
chement au régime. Je n'ai du moins trouvé nulle part la preuve
qu'on eût voulu les voir se multiplier, ni qu'on ait pris aux parlers
dissidents un intérêt véritable.
On trouvera plus loin les résultats d'une vaste enquête menée par
le Ministère sur les parlers en usage. Elle n'implique pas qu'on
ait éprouvé pour eux autre chose que de la curiosité. Même en
admettant que ce soit le ministre qui ait eu l'idée de cette
enquête — et il n'en est probablement rien, —du moment qu'elle,
portait aussi bien sur des langues dont sûrement on ne voyait pas
avec faveur la survie, et qu'on ne désirait pas perpétuer dans les
départements réunis, la preuve est faite que ce n'est pas par sym-
pathie qu'on s'informait des parlers de la vieille France.

L'AVIS DES ÉRUDITS.


— Les patois sont considérés comme une
matière d'étude. Ils n'ont point d'autre valeur aux yeux même de ceux
qui s'en occupent 2. Rien n'est plus significatif à cet égard que la
notice donnée par Dupin à l'Académie Celtique. Celte Académie, fon-
dée en germinal au XIII (30 mars 1805), qui devait devenir la société
des Antiquaires de France, était l'âme des recherches érudites dans
notre pays. Elle avait une commission des patois. Dupin dit à ce
sujet : « Il y a des personnes qui voient avec chagrin l'altération
progressive de nos patois locaux et leur tendance à se fondre dans
la langue nationale. Je crois, comme elles, qu'une étude sage et
une comparaison judicieuse de ces dialectes pourront offrir au
grammairien, et plus encore peut-être à l'historien, une mine
féconde, beaucoup trop négligée jusqu'à ce jour; et s'ils venaient
à disparaître tout-à-fait avant qu'une main savante eût mis en oeuvre
les matériaux altérés, mais précieux, qu'ils renferment encore, j'en
partagerais sincèrement le regret. Mais lorsque la Société royale
aura recueilli ces fragments épars de nos antiquités, je serai le pre-
mier à désirer de voir disparaître et s'effacer entièrement ces diffé-
rences d'idiomes qui isolent encore quelques membres de la grande
famille française. Si l'envie du savoir a ses écueils, il en existe un
plus grand nombre pour l'homme ignorant.

1. B. N., ms., Nouv. acq. fr., 5912, f° 175 v°. Couplets pour la fête de l'Empereur.
15 août 1810. Cf. Arch. N., F17 13092. Adresse des gens de Géromé. Voir aussi
Martin, Fables, contes et poésies patoises. Montpellier, 1805, in-8°.
2. Voir un Mémoire sur le patois picard par M. L. A. J. Grég. d'Essigny fils, de
Roye, dans Mag. Encycl., 1811, t. V, p. 116, 241.
488 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

« Plus d'une fois j'ai entendu des paysans se plaindre d'avoir été
surpris par des gens astucieux, comme il y en a partout, qui,
abusant de leur ignorance, leur faisaient signer des écrits dont ils
ne comprenaient ni le sens ni les expressions. Ces hommes simples
se trouvaient dépouillés de leur patrimoine pour n'avoir connu que
leur patois. Or, je crois qu'il est plus aisé de guérir l'ignorance des
uns que la mauvaise foi des autres » 1. Ceci était écrit le 19 décembre
1814. Faut-il supposer que les terribles événements de l'année
avaient ravivé le sentiment national? Peut-être. Mais l'idée que les
patois devaient disparaître n'avait pas besoin de ce stimulant.

1. Mém. de la Soc. roy. des Antiq. de Fr., t. I, p. 222.


CHAPITRE III
RÈGLES ET PRATIQUES ADMINISTRATIVES

LES ÉTATS FINANCIERS.


— De temps à autre, comme sous l'Ancien
Régime, peut-être avec un peu plus de vigueur, des ordres vinrent
rappeler aux administrations qu'il était de leur devoir de se servir
du français. Ainsi les fonctionnaires de l'administration des finances
furent invités à y veiller. En voici un exemple :
Le Sous-Préfet de l'Arrondissement communal de Selèstatt, aux
Maires des Communes de son ressort.
Selèstatt, le 12 Janvier 1807.
« J'ai remarqué, Messieurs, que presque la totalité des percep-
teurs des communes de mon arrondissement, continuent de rédiger
leurs comptes en langue allemande, non obstant l'arrêté du premier
Consul, en date du 24 Prairial an XI, qui dit, article premier :
« Dans un an, à compter de la publication du présent arrêté, les
« actes publics dans les départemens de la Belgique, dans ceux
de
« la rive gauche du Rhin, etc., et tous autres où l'usage de dresser
« lesdits actes dans la langue de ces pays se serait maintenu, devront
« être écrits en langue française ».
« Je vous rappelle en conséquence les dispositions
ci-dessus, en
vous priant, Messieurs, de les faire connaître aux percepteurs de
vos communes respectives ; en les prévenant, que tous les comptes
non encore dressés, à quelqu'exercice qu'ils appartiennent, ne seront
plus admis, s'ils ne le sont en langue française. Je renverrai en
conséquence tous ceux rédigés en langue allemande pour être recom-
mencés aux frais des percepteurs; néanmoins ceux déjà dressés et
qui existent dans mes bureaux (les comptes de l'an XIII exceptés)
pourront encore subsister en langue allemande ». Signé : Cunier
(Bulln offic. de l'Arrt de Sélestat).

LES PIÈCES JUDICIAIRES ET ADMINISTRATIVES.— En fait les tolérances


se perpétuaient. En 1801, Meiners, de Goettingue, visite Strasbourg.
Dans sa Relation de voyage, il dit : « On se plaint surtout, à ce que
490 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

j'entends, dans les nouveaux départements de l'administration pré-


sente de la justice. On a nommé ici des juges, qui ne comprennent
pas l'allemand, et de pareils juges donnent raison aux parties qui
plaident en français » (p. 155). C'est là chose à vérifier, car si on
feuillette les pièces amoncelées dans les Archives, on ne s'aperçoit
guère de cet exclusivisme prétendu. Les documents allemands y
foisonnent.
Il en est de même des papiers administratifs. On y constate un
progrès du français, mais pas un seul de ces sauts brusques qu'au-
rait fait faire une administration qui savait commander.
Je reconnais que certaines interventions mériteraient d'être exa-
minées. On voit par exemple le gouvernement exiger une édition
française d'un journal, ainsi de la Strassburger Weltbote, devenu
le Niederrlieinischer Kurier. En 1809, il est enjoint à Saltzmann de
publier aussi son journal en langue française et le 5 novembre paraît
le Courrier de Strasbourg1. Quels étaient les motifs qui faisaient
agir l'administration ? Seuls les érudits qui disposent des archives
départementales pourront recueillir et expliquer les faits de ce
genre.
1. Le 9 novembre 1815, le titre devient, par ordre : Courrier du département du
Bas-Rhin, transformé le 4 déc. 1823, en : Courrier du Bas-Rhin.
CHAPITRE IV
LE FRANÇAIS, L'ÉTAT ET L'ÉGLISE CONCORDATAIRE

LA VIE RELIGIEUSE ET LES PARLERS.


— C'est dans la vie religieuse
— rattachée alors en partie à la vie administrative qu'il serait le

plus intéressant de suivre la politique impériale. L'Église concor-
dataire était à la fois indépendante et soumise. On la servait pour
s'en servir. Ne pouvant la commander ouvertement, on tâchait au
moins de la diriger, avec ménagement.
Or, dans les campagnes, curés et desservants avaient repris l'habi-
tude d'user des idiomes et des patois. Je ne pense pas qu'il y eût là de la
part du clergé un parti pris de réagir contre des tendances qu'on
pouvait taxer de révolutionnaires. Nous avons vu, en pays d'idiome
allemand, un évêque qui ignorait cet idiome. Ailleurs, au contraire,
en Flandre, on nommera un homme instruit du flamand 1. Il n'y
avait point de règle ; le choix des prélats était déterminé par d'autres
motifs.
Il est probable que les desservants de villages revenaient sans
dessein et pour des raisons de pure commodité, à des usages un
moment menacés. « Dans toutes [les communes], sans exception,
le paisan y comprend le français, aussi MM. les Curés n'y font-ils
leurs prônes que dans cette langue, au lieu que dans le centre du
Limousin et du Perigord, où les habitans de la campagne entendent
moins le français, on y prêche en patois » 2. Tel est le tableau qu'on
nous fait, et il est probablement exact.

OBSERVATIONS DES PRÉFETS.


— Les préfets, comme les adminis-
trateurs qui les avaient précédés, se préoccupaient cependant de ces
pratiques. « Parmi ces moyens [de répandre la langue], disait l'un
d'eux, il en est un, que tous les hommes jaloux de voir disparoitre les

1. Dans une lettre de Lille, du 29 oct. 1801, signée Nolf, curé, prést du presb. du
Nord, on lit : « On nous assure que M. Schelles, vû sa connaissance parfaite de la
langue flamande, est destiné pour un diocèse flamand » (Corr. Grég., Bibl. de la Soc.
des Amis de P.-R., Nord).
2. Le juge de paix du canton de Montbron (Charente), au Ministre, 14 mai 1810.
B. N., ms. Nouv. acq. franc., 5910, f° 221.
492 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

différens Ydiomes qui deshonorent notre Langue désirent vivement


de voir adopter. Ce serait que les Ministres du Culte Catholique
ne pussent faire leurs instructions et le Catéchisme, qu'en françois.
Les Enfans qui sont Bien plus propres à Recevoir les impressions
qu'on veut leur donner, s'accoutumeroient insensiblement à Entendre
et à parler le françois ; Et la Génération Naissante en auroit au
moins une Teinture, qui s'aggrandissant par la suite, finirait par
rendre son usage Général.
« Les Ecclésiastiques de la haute vienne ont contracté depuis
longtemps l'habitude de ne parler, dans leurs instructions, que le
Patois ; et c'est peut être à l'insouciance de l'ancien Gouverne-
ment à cet Egard, qu'on doit la prolongation de l'Ydiome. Il est
digne du gouvernement, qui s'occupe de tous les genres de prospé-
rité, de veiller à l'accroissement de la langue maternelle et je ne
doute pas qu'il ne cherche à vaincre, par une prescription authen-
tique, la Répugnance, qu'un Zéle outré pour les intérêts De la Reli-
gion, fait éprouver à beaucoup d'Ecclésiastiques, à abbandonner
l'Ydiome dans lequel ils ont Contracté l'usage d'instruire la Jeu-
nesse à la Pratique de la Morale. Salut et respect. Texier Olivier »1.
La minute de la réponse a été conservée ; elle est datée de ther-
midor an X. Le gouvernement ne se désintéresse pas de la question.
Mais il s'en rapporte à l'évèque ; c'est à lui que le ministre renvoie
le préfet : « Vous vous plaignez, Citoyen préfet, de ce que dans la
plus grande partie de votre département la Langue française est
presque entièrement ignorée, et de ce que le peuple ne connoit
d'autre idiome que le patois... Vous pensez que le moyen le plus
efficace de détruire une telle habitude seroit que les Instructions
religieuses particulierement le catéchisme fussent faites en français
et non dans le langage vulgaire... une pareille mesure doit être
l'effet de la persuasion plutot que de l'autorité, ou s'il y en avoit
une qui put être employée avec quelque succès, ce seroit celle de
l'Evêque de votre département, c'est donc à lui que je vous invite
à vous adresser pour cet objet. Lui seul par l'ascendant que lui
donne sa place, paroît pouvoir déterminer les ecclésiastiques qui lui
sont subordonnés à répondre à la sagesse de vos vues. J. v. s. ».
— Plusieurs fois, soit qu'ils envoyassent au bureau
Sous L'EMPIRE.
de Statistique les renseignements qu'il demandait, soit à d'autres
propos, les préfets ont continué à noter cet usage assez répandu
chez les curés de campagne de se servir des idiomes, et ils
en
indiquent les fâcheuses conséquences :

1. Arch. N., F17 7030.


LE FRANÇAIS, L'ÉTAT ET L'ÉGLISE CONCORDATAIRE 493

« Une des causes, qui doit nécessairement contribuer à conser-


ver, principalement dans les communes qui avoisinent la Corrèze
et le Puy-de-Dôme l'usage d'un dialecte grossier, écrit le préfet
de la Creuse, c'est que les desservants des succursales y font toutes
leurs instructions religieuses en patois. Cet usage est immémorial,
aussi n'emploie-t-on dans ces communes que des ecclésiastiques du
pays »1.

ATTITUDE DU MINISTÈRE.
— Sans attacher à ces questions une
grande importance, le gouvernement essayait de faire cesser peu
à peu les anciennes pratiques. Dans une correspondance dont nous
parlerons plus loin, le préfet de la Moselle, Vaublanc, demandait
instamment qu'on envoyât à ce sujet des instructions au clergé
(17 novembre 1806). Le Secrétaire d'État lui répond : « Je vous
préviens... que je vais écrire à S. E. le Ministre des Cultes pour le
prier d'obliger les curés et des servans à faire leurs prônes et Caté-
chismes en français ou tout au moins dans les deux langues »
(16 décembre 1806) 2.
A la suite se trouve en effet la minute d'une lettre adressée à
S. E. le Ministre des Cultes, l'informant et le priant de donner les
ordres nécessaires au clergé.
Le 30 décembre, le Ministre des Cultes, Portalis, répondait au
Ministre de l'Intérieur « J'ai reçu la lettre que Votre Excellence
:

m'a fait l'honneur de m'écrire, concernant l'usage établi dans le


Séminaire de Metz, de faire toutes les instructions en langue alle-
mande. Je ne puis que partager votre sentiment sur les incouvé-
niens qui naissent de cet usage; et je vais m'occuper des mesures
à prendre pour les faire changer »3.
Toutefois il est visible que l'Autorité n'ose pas insister, de peur de
mécontenterle clergé et de paraître gêner son action : « Il serait sans
doute à desirer que le langage pût, dès ce moment, être uniforme
dans toute l'Étendue de l'Empire, et je ne doute pas que ce prélat
(l'évêque de Metz) n'invite les Curés et desservans de son Diocèse,
à faire leurs prônes et leurs catéchismes en français, mais je pense
qu'on ne pourra obtenir que du temps un changement complet à cet
égard, attendu que dans plusieurs paroisses les fidèles seraient dans
le cas d'être privés de toute instruction religieuse, si l'on obligeait
tout à coup les divers ministres du Culte à faire usage de la langue
française dans l'exercice de leurs fonctions ».

1. B. N. ms., Nouv. acq. fr., 3910, f° 263.


2. Arch. N., F17 1718. Minute. Cf. p. 522.
3. Ib.
494 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

En 1811, c'est le tour du préfet des Côtes-du-Nord. Dans un rap


port daté de St-Brieuc (28 janvier), il signale la création par l'évêque,
d'une nouvelle école à Tréguier : « Une autre considération sur
laquelle s'appuie M. l'Évêque, dit-il, c'est la nécessité d'une école
en faveur des jeunes gens qui aspirent au sacerdoce, et à qui la
différence de l'idiome qu'on parle dans cette partie du diocèse (le
bas-breton) et l'éloignement, ne permettent que très difficilement
de profiter des bienfaits de l'instruction qu'on trouve dans la ville:
épiscopale ».
Le préfet est peu enclin à céder : « On peut faire observer à cet
égard, d'un côté, que la différence de l'idiome doit d'autant moins
motiver la nécessité d'une école de ce genre à Tréguier, qu'on sait
très bien que loin que l'enseignement doive se faire en langue bre-
tonne, il est souvent utile d'éloigner les élèves de leur pays natal,
pour les deshabituer de parler cet idiôme et les obliger à parler
français ; D'un autre côté que, fût-il utile à certains élèves de
conserver l'usage de la langue bretonne concurremment avec l'étude
du français et du latin, ces conditions se rencontraient déjà sans,
nouvel établissement 1° à Tréguier... 2° à Lannion... 3° à Guin-
gamp » 1.
Le ton de cette lettre l'indique assez clairement : sans empêcher
l'Église de faire sa prédication dans l'idiome vulgaire du pays, le
préfet n'entend pas qu'on aille jusqu'à l'abus. Je n'ai malheureuse-
ment pas trouvé la réponse faite à son rapport.
On ne peut s'empêcher de juger favorablement la politique que
révèlent ces diverses interventions. L'État se garde d'une pression
déplacée ; il fait des remontrances, et essaye d'obtenir des évêques
de discrètes mais efficaces admonestations qui peu à peu amène-
ront le changement des vieilles coutumes. Ce serait parfait, si cette
politique s'était soutenue jusqu'au bout ; mais, dans l'affaire du
Catéchisme unique, elle fut totalement abandonnée.

1. Arch. N., F 17 6302. Un peu plus loin le préfet reproche au Sr Richard de sacrifier-
dans son établissement le français au latin.
CHAPITRE V

L'AFFAIRE DU CATÉCHISME DNIQDE

ON AUTORISE LES IDIOMES. — Ce devait être un des bénéfices du


Concordat que d'employer l'Église à l'affermissement du régime, et,
dans ces vues un, moyen un peu grossier, mais puissant, était d'intro-
duire la foi à la IVe dynastie dans le catéchisme lui-même. Le pré-
texte de l'unification était bon. On arrangea le catéchisme de Bossuet
et l'ouvrage, adopté par l'autorité ecclésiastique, fut imposé par
tout l'Empire, malgré quelques observations de certains évêques,
comme Saurine, l'ancien évêque constitutionnel (4 avril 1806) 1.
La langue de la rédaction authentique était le français, mais on
n'eut garde de s'en tenir à lui, c'eût été manquer le but. L'évêque
de Nice rappela qu'il y avait dans l'ancien diocèse un catéchisme en
patois du 13 septembre 1711, « pour le plus grand nombre des Enfans
qui ne connaissent d'autre langue que celle du pays. Aujourd'hui les
Catéchistes sont obligés de traduire. Une traduction uniforme et
soignée éviterait les inconveniens de toutes ces versions particu-
lières, souvent inexactes et incomplètes ; des Curés et Desservans la
réclament ». L'évêque voulait donc être autorisé à faire imprimer
à Nice un catéchisme en français et en patois. On lui répondit
le 19, qu'on n'y voyait point d'inconvénient, pourvu que cette tra-
duction se fit sous ses yeux 2. Il suffisait que l'Administration sût à
qui s'en prendre des altérations que pourrait subir le texte 3.
L'évêque de Nice reçut même mission d'examiner toutes les traduc-
tions faites pour les diocèses d'au-delà des Alpes. Et elles furent
assez nombreuses. A Rome, le cardinal Caprara en vérifia une qui
fut adoptée à Turin 4.
II était presque nécessaire que ces mesures fussent prises pour
l'Italie. Mais on les étendit aux pays bretons. L'évêque de Quimper
1. Arch. N., F19 5438.
2. Arch. N., F 19 5439. La traduction est au dossier.
3. Voir dans Ib., F 19 5438 des observations sur la version italienne.
4. L'évêque de Noli, qui n'avait que 9 paroisses, se suffit avec celle de Milan.
L'évêque de Savone, celui du Trasimène prirent celle de Gênes.
496 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

l'avait demandé (26 août 1806) 1. On le lui accorda sans peine :


« Il se présente, disait-il, de grandes difficultés locales. La presque
totalité de mon diocèse n'entend et ne parle que le breton. Jusqu'à
ce moment le catéchisme était imprimé dans cette langue ; il est
impossible de changer brusquement cette méthode, il faut donc
que je m'occupe d'abord de faire traduire le catéchisme universel
dans la langue bretonne; cet ouvrage, pour être fait avec exacti-
tude, exigera du tems. Les imprimeurs de paris auront-ils les
moyens de graver des caractères pour une langue qu'ils ne con-
noissent pas et de l'imprimer avec exactitude ? Nos imprimeurs
auront-ils les fonds nécessaires pour l'achat des planches? »
Le 23 février, nouvelle lettre : « Je dois publier le catéchisme
dans la langue française et la langue bretone ; il a donc fallu le
traduire dans cette dernière langue. Cet ouvrage a exigé un travail
difficile, parce qu'il a fallu adopter un breton qui put être entendu
dans toutes les parties de mon diocèse, et dans celui de St-Brieuc,
car il existe dans mon diocèse seul deux ou trois espèces de bre-
ton ».
L'évêque de Quimper n'eut qu'à s'arranger avec son collègue de
St-Brieuc, qui fournissait, lui, l'édition française. Le prélat écrivait :
" Il faut tout observer
dans des pays où les innovations éprouvent
toujours quelque résistance. Si j'eusse publié le catéchisme français
avant le breton, les peuples des campagnes se seroient plaint que
l'on préféroient (sic) les villes et qu'on ne s'occupoient (sic) pas
d'eux avec la même sollicitude » 2. Personne ne lui fit observer que
le français avait droit à une certaine primauté, et qu'il était d'intérêt
public de le répandre.
On ne fit pas plus de difficultés à l'évêque de Strasbourg. Son
vicaire général le 19 septembre 1806, expose : 1° que « la Langue
allemande est la seule usitée dans la très grande partie de ce dio-
cèse où le peuple ne comprend pas le françois ». Il en est de même
des diocèses voisins de Mayence, de Trèves, d'Aix la Chapelle, et
d'une partie des diocèses de Nancy et de Metz : ce qui rend une
traduction allemande de ce catéchisme absolument nécessaire.
2° Que cette traduction doit être une.
3° Que l'allemand usité dans un diocèse diffère beaucoup de l'alle-
mand usité dans un autre, et que la traduction doit donc être
examinée dans les divers diocèses, de façon à ne présenter que des
mots communs et partout usités.

1.Arch. N., F19 5439.


2. Ib.
L'AFFAIRE DU CATÉCHISME UNIQUE 497

Une lettre de l'évêque (30 septembre), confirme ces observations.


Comme l'évêque ne sait pas personnellement l'allemand, on pourra
avoir recours au vicaire général, qui offre ses services. Le 6 octobre,
le consentement est donné. La traduction est exécutée et imprimée
chez Levrault 1. De la sorte les petits Alsaciens apprendront sans
difficulté leurs devoirs envers l'Empereur. Tant pis pour la langue
française.

1. On la trouvera aux Arch. N., F19 5439.

Histoire de la langue française. IX. 32


CHAPITRE VI

LES ÉCOLES PRIMAIRES APRÈS LA LOI DE L'AN X

L'ABANDON DES ÉCOLES D'ÉTAT.


— Le 30 germinal an X (20 avril
1802), Fourcroy, orateur du gouvernement, avait abandonné les
Écoles primaires aux initiatives des communes : « Le Gouverne-
ment, en recherchant les causes qui ont empêché jusqu'à présent
l'organisation de ces écoles, malgré les efforts de plusieurs assem-
blées, et malgré les dispositions de la loi du 3 brumaire an IV
(23 octobre 1795), les a reconnues dans une trop grande uniformité
de mesures, et dans la véritable impossibilité de payer les maîtres
sur les fonds publics. L'expérience de ce qui se faisoit autrefois l'a
convaincu qu'il faut en confier le soin aux administrations locales,
qui y ont un intérêt direct, et qui en feront, dans chaque commune,
une affaire de famille » (I. N., floréal an X, p. 7) 1.
Il y a là des mots qui méritent l'attention. On rappelle « ce qui se
faisait autrefois » ; l'école de la commune va devenir « une affaire
de famille » au lieu d'être une affaire d'État. Comment, dans ces
conditions, eût-on prétendu la faire servir à l'unification linguistique ?
C'était là une chimère, condamnée comme tant d'autres. Par un de
ces paradoxes que l'histoire présente en foule, le régime qui avait
fondé la liberté, avait imaginé de soumettre le langage de tout le
pays à l'unité; le régime qui instituait le despotisme lui rendait la
liberté !

RECONSTITUTION LENTE ET INCOMPLÈTE DU PREMIER ENSEIGNEMENT.



Nous avons assez dit, dans les chapitres qui précèdent, comment
et pourquoi les écoles primaires décrétées par les lois révolution-
naires avaient été rares et peu fréquentées. Il n'était pas possible
que celles que les communes devaient organiser trouvassent, dans la
bonne volonté des autorités locales ou la générosité des habitants, les
1. « La loi du 11 floréal an XI (1er mai 1802) ordonna dans toutes les
com-
munes l'établissement d'écoles primaires ; mais ses dispositions ne furent pas mieux
exécutées que ne l'avaient été les décrets de la Convention, et l'instruction primaire
demeura à peu près dans le même état » (Guizot, Ess. sur l'Instr. publ.,
p. 65)
LES ÉCOLES PRIMAIRES APRÈS LA LOI DE L'AN X 499

ressources indispensables à une vie véritable. La nécessité, l'utilité


même d'une instruction un peu étendue n'apparaissait guère à la
masse rurale, et beaucoup de ceux qui mettaient jadis leur espoir
dans les « lumières » se fussent volontiers employés maintenant à les
éteindre 1. Au reste un arrêté de thermidor an X défendit d'établir
des surimpositions pour dépenses ordinaires. On ne pouvait avoir
recours qu'à des contributions volontaires. C'était couper court aux
générosités des municipalités qui auraient gardé la foi. Le « maître
d'école » — je me sers à dessein de ce mot qui aurait dû être ana-
chronique — privé souvent même du logement qu'on lui devait, mais
qu'on n'avait pas pu lui donner 2, parce que les propriétés saisies
étaient aliénées et les cures rendues aux curés, retournait à son an-
cienne condition. Pauvre marchand d'une denrée peu estimée, il était
rejeté en proie à la charité.
Je n'ai point l'intention d'exposer en détail l'état des écoles à
cette époque. Je dirai brièvement, après avoir pris connaissance
des dossiers conservés aux Archives Nationales, et qui, pour incom-
plets qu'ils soient, fournissent des données statistiques suffisantes
pour une grande partie des départements 3, que le nombre des écoles
resta longtemps tout à fait inférieur aux besoins.
En l'an XI, beaucoup de communes n'avaient pas encore de
maîtres 4. Le Cantal, les Côtes-du-Nord, le Lot-et-Garonne, le Vau-
cluse, le Var manquaient d'écoles. Un exemple : dans l'arrondis-
sement de Brignoles, sur 62 communes, 9 avaient un instituteur 5.
En Moselle, en frimaire an XII, sur 931 municipalités dont le dépar-
tement est composé, 369 seulement ont des instituteurs, 562 en sont
dépourvues. Le nombre des élèves est de 24 318. Ils forment à peu

1. Il y avait des exceptions. Ainsi,- dans l'Aveyron, on voulait des enfants « au


courant ».
« Les grands événemens dont cette génération a été témoin,
écrit le préfet, ont
étendu la sphère des idées du paisible cultivateur, excité son ambition, augmenté sa
curiosité. Pour satisfaire l'une et l'autre, il fallait savoir lire, écrire, et dez l'Etablis-
sement des Écoles primaires les habitans de nos campagnes s'y sont précipités en foule.
L'incertitude où se trouvent les jeunes gens sur leur destination, l'idée d'être appelés
à servir sous les drapeaux, augmente encore leur désir d'apprendre. Les Aveironnais
connaissant presque tous l'utilité du savoir envoient leurs enfants à l'école ». Etat de
Sit., fin an 1806, Arch.N., F17 1716.
2. Certains départements s'empressaient à les fournir. Dans la Meurthe, les parents
se cotisaient pour fournir le logement ou la
rétribution.
3. Voir particulièrement F17A 17(6-1719, 6300 et suiv. On voudrait connaître la
situation dans le Nord, les Basses-Pyrénées, le Haut-Rhin, le Bas-Rhin. Les papiers
manquent.
4. Il faut se garder des généralisations. La situation était bien différente d'un
département à l'autre, comme il devait arriver avec une organisation où tout dépendait
du bon vouloir des pouvoirs locaux, du zèle du préfet, du tempérament de l'évêque,
et de l'esprit des habitants. Le Bas-Rhin est bien pourvu. Sarrebourg, pays contigu, n's.
rien ou presque. 18 mess. (7 juil. 1803). Arch. N., F17a 1718.
5. Arch. N.,F17A 1719.
500 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

près les 61/100 des enfans en âge de fréquenter les écoles. 39


sur 100 restent sans instruction 1.
Le préfet de l'Ain est résigné: «Conserver ce qui est, c'est-à-dire
68 écoles, plus ou moins fréquentées en hyvert; presque désertes en
été, c'est tout ce qu'on peut espérer » 2.
La situation s'améliora-t-elle ? Par endroits, oui. « Depuis trois
ans le nombre des écoles est plus que doublé », mande un préfet,
en l'an XII. C'était là un beau résultat et qui promettait, mais qui
ne doit pas éblouir. Il était la récompense du zèle d'un fonction-
naire tout dévoué à cette oeuvre, à la fermeté duquel on dut de
grands progrès, comme nous le verrons par la suite.
La grande majorité des communes de la Côte-d'Or et de la
Hte-Marne ont des instituteurs, dit le recteur 3. Il n'en est pas de
même en Saône-et-Loire. Il faut lire entre les lignes. En réalité,
même dans la Côte-d'Or, il reste encore bien des communes dépour-
vues, ainsi que le montre le tableau ci-dessous.

ONT UN
DEPARTEMENTS ARRONDISSEMENTS COMMUNES NENONTPAS
INSTITUTEUR

SOUS-PRÉFECTURES

Côte-d'Or. Beaune 204 126 78


. .
Châtillon-sur-Seine. 116 95 21
.
Dijon 271 203 68
Semur 147 98 49
Saône-et-Loire. Aulun 86 20 66
Chalon-sur-Saône.. 160 82 78
.
Charolles 144 30 114
Louhans 82 55 27
Mâcon 136 32 104

Ailleurs, c'était bien pis. En 1808, la moitié des villages de Vaucluse


manquaient encore d'écoles. Le préfet de l'Ain écrit dans sa Statis-
tique: «Le nombre des écoles primaires a diminué depuis 1801,
trente dans le département! »*
1. Arch. N., F17A 1718.
2. Let. du préf. au Cons. d'Etat, chargé de la direction et de la surveillance de l'I. P.
21 thorm. an XI (9 août 1803). Arch. N., F17A 1716.
3. Let. du Rect., 5 mars 1812. Arch. N., F17 6301.
4. Il ajoute des détails:
« Dans la plupart des communes on n'auroit pu trouver des hommes sachant assez
lire et écrire pour enseigner les premiers élémens ; il y a même plusieurs villages où
il faut absolument avoir recours au curé pour savoir ce que contient la lettre d'un
conscrit qui écrit à sa famille. L'insouciance des gens de la campagne, par rapport a
LES ÉCOLES PRIMAIRES APRÈS LA LOI DE L'AN X 501

Le département le plus arriéré était probablement la Vienne. En


1810, 122 communes avaient un instituteur; 114 n'en avaient pas 1.
Il n'est que juste de signaler ici une mesure fiscale libérale, qui
fut prise en faveur des écoles où on n'enseignait que la langue
française (22 février 1811). Une rétribution était due au profit de
l'Université par les pensions, institutions, collèges, lycées, et sémi-
naires, c'est-à-dire par les écoles où l'on ne se bornait pas exclusi-
vement à l'enseignement de la lecture, de l'écriture, et aux pre-
mières notions de calcul. « Cette mesure, dit une circulaire, paraît
susceptible de quelques modifications dans votre Académie. Je dé-
sire y favoriser de tout mon pouvoir l'étude de la langue française.
J'ai décidé en conséquence que les écoles consacrées spécialement à
l'enseignement de cette langue seraient considérées comme écoles
primaires ; que les chefs seraient dispensés du droit de diplôme dé-
cennal et du droit annuel, et les élèves de la rétribution » 2.

l'instruction à donner à leurs enfans, a toujours été portée dans cette contrée à un point
étonnant. Elle est aujourd'hui dans un état encore plus affligeant ».
L'instruction élémentaire est presque nulle dans le département. « A Perronnas,
commune distante de Bourg d'un kil. et peuplée de 304 habitans, qui pourroient aisé-
ment profiter de l'enseignement de la ville, on ne compte que deux individus sachant
lire et écrire» (Statist. de l'Ain, in-4°, p. 377).
1. Arch. N., F17 6301.
2. Circul.... relat. à l'instruction publ. Paris, Delal., 1863, p. 106, n° 59.
CHAPITRE VII

RÔLE ET CARACTÈRE DES ÉCOLES

LE RECRUTEMENT DES MAÎTRES.



L'école, là où elle existait, n'avait
plus rien de commun avec l'école idéale que les révolutionnaires
avaient rêvée. Elle retournait à sa destination d'autrefois. Elle
redevenait un catéchisme. Des communes eussent voulu un bon
maître, elles n'avaient qu'un bon chantre 1.
Comme il fallait vraiment, pour se faire instituteur, ou une irré-
sistible vocation, ou une impossibilité complète de faire mieux, le
personnel n'abondait point. J'en donnerai une preuve typique. Le
Briançonnais, vieille pépinière, ne fournissait plus assez de replants.
On trouve aux Archives Nationales une statistique des Hautes-Alpes
du 15 septembre 1808, donnant le nombre des immigrants et des
émigrants 2.
Il est venu du Pô et des Basses-Alpes 10 maîtres d'école. Il en
est parti 601, 6 seulement de plus que de colporteurs 3. Le préfet
observe : « Parmi les Instituteurs, il en est d'âgés seulement de 15 à
18 ans, qui ne rapportent que 50 à 100 f. Ceux qui ont plus d'expé-
rience et de lumières rentrent avec 400 et au delà». Il ajoute : « Le
nombre des Instituteurs va en décroissant depuis 20 ans. La seule
Vallouise qui en fournissait 240, n'en voit plus partir que 70. La
cessation des écoles pendant les troubles révolutionnaires en est une
cause principale... Les jeunes gens s'adonnent plutôt au colportage,
qui offre plus de gains, de vanité, une conduite moins morale.

1. Dans la Révol. fr., 1898, t. XXXIV, p. 237, on a rapporté les procès-verbaux de


nomination d'un maître d'école à Jaulgonnc (Aisne) en 1763, d'un autre à Bruyères,
en 1808. On dirait que rien n'est changé. L'instituteur est un simple sacristain. Cf.
Arch. N., F17A 1710.
2. Arch. N., F 20 434.
3. Le tableau s'établit de la façon suivante :
Lagrave 58 instituteurs, 130 colporteurs.
Monestier 184 315
Briançon 163

— 38 — —
Largentière 114 — 64 —
Aiguilles 82 46
— —
RÔLE ET CARACTÈRE DES ÉCOLES 503
Des colporteurs arrivent à 1 200 f. de bénéfice, quoique le nombre
de ces favorisés soit très petit ».
Voici du reste un tableau par communes :

Orcières a fourni 4 instituteurs, 51 colp.


Chorges 14
Dans — —
l'arrondissement Embrun 24 44
— — —
d'Embrun. (en outre 6 port, de marmottes)
Savines 8 instituteurs, 47 colp.

Guillestre 33 48
— — —
Saint-Bonnet a fourni 25 instituteurs, 39 colp.
Saint-Firmin 10 36 —
Saint-Étienne-en — —
Gap. -
Dévoluy 197
— —
Veynes 12
— —
(en outre 230 peign. de chanvre).
Serres — —
SINGULIER PERSONNEL.
— On prenait les maîtres où on pouvait. Dans
l'arrondissementde Mirande, une statistique (s. d.,mais postérieure
à 1808) indique parmi les instituteurs : 25 instituteurs de profes-
sion, 1 professeur de mathématiques, un commerçant, trois mili-
taires, 1 officier d'infanterie. A Lombez, on trouve un officier, deux
maîtres d'écriture, 3 militaires réformés, 1 arpenteur.
A Agen, le tableau est plus varié encore : un tailleur, deux mili-
taires, un artiste, un fondeur en suif, un cordonnier, un ancien
curé, un huissier, un maître de pension 1.
Souvent les malheureux n'avaient pas renoncé à leur ancien
métier, qui les aidait à vivre. Dans l'Académie de Poitiers, à Corps,
arrondissement de Fontenay, un nommé Leynard, adjoint au
Maire, cumulait les fonctions d'instituteur et de sacristain, et était en
même temps cabaretier (1810) 2. A Savinien (St-Jean-d'Angély,
Char.-Infre), l'un des instituteurs est notaire, un autre chantre à
l'église, un 3e marchand, un 4e cordonnier et un 5e cafetier. Le
préfet est d'avis de les conserver, sauf le premier et le dernier
(1810) 3.
Dans le canton de Bayeux exerce un nommé Jullienne. Celui-là
est un imposteur, se disant « sorcier » (1809) 4.
De pareils maîtres, on le comprend, ne donnaient pas toute
satisfaction. Le notaire cité plus haut, était obligé à de fréquentes

1. Arch.N., F17 6300.


2. Ib., F17 6301.
3. Ib.
4. Ib.
504 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

absences. Mais c'était bien pis quand ils exerçaient leurs divers
métiers dans le même local. En septembre 1811, le recteur de
l'Académie d'Orléans signale à Montargis « un ex-capucin, ex-curé
constitutionnel, marié, cafetier billardier » qui tient son école dans
sa maison 1.
On pense bien que les capacités professionnelles d'un corps ainsi
composé étaient modestes. Il comprenait des hommes convenables,
nous dit-on, dans le Puy-de-Dôme, la Haute-Loire, le Cantal, etc.
Mais ailleurs ! Au reste mieux vaut feuilleter les témoignages.
AISNE. — « Il n'existe dans chaque commune que des Ecoles
tenues par des particuliers qui sont loin d'avoir la capacité que vous
semblez exiger... Ils ignorent le système des poids et mesures... Ils
ont en général si peu de talens qu'il faudrait les remplacer tous si
l'on pouvait espérer de leur trouver des successeurs... Ils ont pour
la plupart, comme avant la révolution, une fonction quelconque dans
l'église du lieu » 2. A Bechancourt, un berger s'est fait instituteur
(Let. jointe)3.
ARDÈCHE.
— On a vu plus haut (p. 450) ce qu'en dit le préfet, à
la date du 27 messidor an XIII — 16 juillet 1805.
DRÔME. L'instruction du peuple est livrée à des hommes dont
— «
le moindre inconvénient est leur incapacité » (Préfet, 31 juillet
1806). « La concurrence à bas prix des écoles libres tue l'école
publique » 5.
LOIRET. — « Les instituteurs savent à peine lire et écrire... les
écoles sont presque désertes » (10 février 1806)5, etc.
Dans les tableaux où, je dois le dire, on estime en général très
sommairement — mais assez attentivement — les connaissances,
la note qui domine c'est : « capacités suffisantes ». Il y a des notes
«
nulles » en quantité appréciable, moins pourtant qu'on ne croirait.
Il faut dire que tout ce qui est demandé à ce personnel, c'est de
montrer à lire, écrire et compter. Il importe surtout qu'il pense
bien. Si un maître est coté comme peu instruit, mais de bonne
conduite, sa situation est assurée 6.
Ce que ni Recteurs, ni Préfets, ni Évêques ne pardonnent, c'est
de n'avoir point de principes religieux. Les anciens prêtres ma-

1. Arch. N., F 17 6301.


2. Let. du préf., 11 therm. an XI (30 juil. 1803).
3. En 1810, à St-Clémentin, arrondissement de Bressuire (D.-Sèvres), on trouve
un Perrot d'Ablancour " descendant du traducteur des Belles infidelles » ; il n'a que la
note « suffisante » (Arch. X., F 17 6301).
4. Arch. N., F17A 1716.
5. Ib., F17A 1717.
6. Cf. Schmidt, o. c, p. 105
RÔLE ET CARACTÈRES DES ÉCOLES 505

riés, et qui n'ont pas fait bénir leur mariage, sont plus sévèrement
jugés que les ivrognes (Voir en particulier le rapport de l'évêque
d'Agen, 1809) 1.
1. Le rapport de Rennes (non signé) 16 avril 1809, avoue que l'état de l'instruction
est pitoyable. Il se plaint des bonnes soeurs des campagnes qui enseignent uniquement
le catéchisme, mais « connoissent peu le sens et le prix des maximes évangéliques, et
y substituent souvent des maximes et des pratiques superstitieuses, ou tout au moins
inutiles pour le chrétien » (Arch. N., F 17 6301).
CHAPITRE VIII

RETOUR A L'IDÉE D'ÉCOLES NORMALES

BESOINS ET DEMANDES. —Pour remédier à ces vices, il n'y avait


qu'un moyen : instituer non plus seulement une école normale à
Paris, mais des écoles normales départementales. L'idée devait néces-
sairement s'imposer. Dès l'an XII, S. Ours fils, qui était à Grenoble,
après avoir montré la « nullité des écoles primaires dans les com-
munes rurales, suggère que là est le remède. « Bien des personnes
dont l'opinion est d'un grand poids, voudroient rétablir l'école nor-
male ». Il propose d'y employer les ministres du culte. S. Ours est
de ceux qui n'ont pas oublié « les miracles de la Révolution ».
Il y fait courageusement allusion 1.
Le 16 août 1806, Chazal, préfet des Hautes-Pyrénées, s'appuyant
sans doute sur ce qu'il sait de la loi votée pour la Constitution de
l'Université impériale, demande qu'on songe à ce moyen pour tirer
de leur misère les écoles de son département 2.
Un double encouragement vint aux novateurs. D'abord une orga-
nisation de ce genre était prévue par l'art. 108 du décret du 17 mars
1808. En outre l'idée avait été réalisée en Alsace. C'était l'oeuvre de
Lezay-Marnésia qui, après avoir créé l'école de Rhin et Moselle,
avait institué celle de Strasbourg. Il s'y intéressait au point de
l'inspecter lui-même et d'assister souvent aux leçons.
On a conservé aux Archives Nationales un rapport sans date
adressé à ce sujet au Ministère de l'Intérieur. D'après ce rapport
optimiste 3, il y a 40 000 écoles dont les maîtres ont été examinés par
les Recteurs et les Inspecteurs d'Académie. Mais, ajoute l'auteur,
« dans les départements nouvellement réunis, surtout dans les
communes où la langue française n'est point encor populaire, il a
1. 28 pluviôse (18 fév. 1804). Arch. N., F17 5947. Rapport au Consr d'État...
2. « J'ai pensé qu'un moyen qui remédierait à ces inconvéniens obtiendrait votre
approbation.
« Ce moyen consiste dans l'établissement d'une espèce d'école normale dans le chef
lieu du département » (Let. du 16 août 1806. S. Chazal).
Du Ministère on demande des renseignements, mais je trouve aucune pièce
relative à la suite donnée (Arch. N., F 17 1718). ne
3. Arch. N., F 17 5941.
RETOUR A L'IDÉE D'ÉCOLES NORMALES 507
été difficile d'exercer une exacte surveillance ou plutôt de l'exercer
avec succès.
« Quant aux classes normales à établir en vertu de l'art. 108 du
décret du 17 mars 1808, ces sortes d'institutions ne sont encore en
activité que dans les villes de Trèves, Strasbourg et Coblentz.
«... Leur établissement... a été favorisé par un concours de cir-
constances et des efforts de zèle qui ne se sont point trouvés ailleurs ».
Ces trois écoles « ne sont point tout à fait dans le véritable esprit
de la loi qui veut qu'on ouvre une ou plusieurs classes normales dans
les Lycées et les Collèges, mais qui n'a institué qu'une seule école
normale, celle qui existe à Paris ». Elles imposent de grands sacri-
fices. D'un autre côté, en chargeant un professeur de Lycée ou de
collège d'ouvrir un cours normal, attirerait-on un nombre suffisant
d'aspirants ?
Ces questions, annonce le rapport, vont être discutées par le Con-
seil de l'Université. Elles ne le furent jamais. On remarquera du
reste combien les conclusions présentées étaient peu faites pour
stimuler. On interprétait la loi dans le sens le plus étroit. L'école
normale était unique. Ailleurs il ne devait exister que des classes
normales.

QUELQUES ESSAIS. — En fait, on ne vit guère apparaître que des


écoles normales privées, modestes essais que l'administration se
contentait d'approuver 1. Dans l'Ardèche, dès 1795, s'était établi à
Thueys, Sous la direction de Mlle Rivier, une sorte de petite école
normale d'institutrices. L'examen comprenait la grammaire. Le pré-
fet et l'administration l'autorisèrent.
Tout près de Paris, M. Pain, Directeur d'École française à
Versailles, avait créé une méthode par laquelle les enfants appre-
naient à la fois à mettre l'orthographe et à bien lire. On la soumit
à Fourcroy, et dans l'exposé des motifs, on indiqua l'importance
qu'il y a, même pour les plus pauvres, à écrire correctement. On
défigure les mots. « C'est un vrai malheur pour tous les ouvriers,
et le sujet d'un reproche grave que les étrangers font à notre nation,
à notre langue et à nos écoles ». Le rapport proposait que M. Pain
fût chargé de faire une sorte d'École Normale. Le journal du dépar-
tement de Seine-et-Oise fit une grande réclame et à la méthode et
à cette idée d'une École Normale (30 janvier 1806, 31 juillet 1806,
14 août 1806. Versailles, Imp. Jalabert). Je ne sais pas si on a
poussé les choses plus loin.

1. Arch. N., F17A 1716.


508 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

Dans l'Oise, les instituteurs furent appelés, dès 1810, à des leçons
normales, et ensuite examinés par un jury (Schmidt, o. c, p. 97).

PERSISTANCE DES RÉCLAMATIONS. Pourtant les réclamations con-



tinuaient. « Une école normale primaire bien organisée, par les
soins de l'Université et sur laquelle je compte vous faire un prochain
rapport, peut seule parvenir à nous donner de bons maîtres d'éc le »
écrivait le recteur de Montbrison au Grand Maître le 7 fév. 1811.
Son collègue de Nîmes, vers le même temps, opinait dans le même
sens.
« Il ne reste plus que l'établissement d'une école normale auprès
des lycées, pour former des instituteurs qui puissent suppléer aux
frères de la doctrine... Les diplomes ne devraient être délivrés aux
instituteurs, qu'après un examen devant un jury nommé ad hoc,
dans chaque arrondissement, ceux qui seroient refusés pourroient
être envoyés à l'École Normale, supposé qu'on leur reconnût du
talent. On pourroit exiger que les nouveaux instituteurs qui se
presenteroient eussent étudié quelques mois à l'Ecole Normale
avant d'être admis, ce seroit pour eux un (une a été corrigé)
espèce de séminaire et l'on n'admettroit à enseigner que ceux qui
auroient donné quelques preuves de talent et de capacité...
« Il faut que la mesure soit générale, car si
elle n'est pas mise
en pratique dans les autres Académies, les instituteurs primaires
qu'on voudra y assujettir à Nismes diront avec quelque fondement,
à Montpellier de pareilles mesures n'ont pas lieu, donc nous pouvons
nous en dispenser » 1.
Dans le Haut-Rhin, l'exemple du département voisin faillit entraî-
ner une organisation régulière. Le recteur transmet, le 13 septembre
1813, une lettre de Colmar du 20 mai, signée de la Vieuville et
transcrite par le Secrétaire de l'Académie, où il est dit : « il est cer-
tain qu'on ne parviendra à en trouver (des instituteurs) de réellement
capables que lorsqu'on aura pris le soin de les former d'avance
dans des classes normales. Je regarde donc, M. le Recteur, l'éta-
blissement de ce genre que vous avez déjà créé près du lycée de
Strasbourg, comme la base essentielle de toute amélioration dans
le système d'institution primaire, et je vous dois de sincères remer-
ciemens pour les facilités que vous m'offrez, afin que je puisse en
faire jouir mon département ». Il était question de former 15 élèves
pendant 3 ans sur le programme de Strasbourg. Après cela, on

1. Fédenat, Recteur de Nismes, Let. (s. d mais postérieure à une première lettre
du 31 août 181-1). Arch. N., F17 6302. ,
RETOUR A L'IDÉE D'ÉCOLES NORMALES 509

astreindrait les anciens instituteurs les moins instruits à passer par


la même école 1.
En fait, l'Administration préférait certainement rappeler les
Frères. C'était là une mesure depuis longtemps préparée. L'enquête
où j'ai puisé le montre. Une circulaire du 24 frimaire an XIII (15
décembre 1804) demandait à tous les préfets si les Frères avaient
encore des maisons et combien d'entre eux survivaient 2.
Je ne crois pas que l'idée d'écoles normales fût pour cela écartée,
ni même reçue avec défaveur. Mais c'était là une grosse affaire, qui
entraînait de grandes dépenses, car elle devait s'étendre à tout l'Em-
pire 3. On n'eut ni le temps ni les ressources nécessaires. C'est au
reste ce qui manqua pour organiser l'instruction primaire tout entière.
On enquêtait, non seulement pour surveiller, mais avec l'idée d'amé-
liorer et de compléter l'organisation. D'irréparables désastres l'em-
pêchèrent. In extremis, Carnot obtint pendant les Cent-Jours un
décret dont l'article 2 portait :
" Il sera ouvert à Paris une école d'essai d'éducation primaire,
organisée de manière à pouvoir servir de modèle et à devenir école
normale, pour former des instituteurs primaires » 4.

1. Arch. N., F 17 5941.


2. Voir les réponses de l'Aude, des Deux-Sèvres, du Tarn, de la Haute-Vienne, du
Var, des Vosges. L'effectif était extrêmement réduit. Mais certains préfets, comme celui
de la Meurthe, espéraient qu'il « se formerait une maison de probation » à Nancy
(6 fév. 1807. Arch. N., F17A 1718).
3. Il est question aussi des classes normales dans un rapport du recteur de Pise, s. d.
(Arch. N., F17 6303).
4. H. Carnot, Mém. s. Laz Carnot, t. II, p. 476.
CHAPITRE IX

LE FRANÇAIS ET LES ÉCOLES DE L'EMPIRE

CONSÉQUENCES POUR LE FRANÇAIS DE LA MISÈRE DES ÉCOLES.


— Pour
qu'on puisse juger du tort que firent à l'enseignement du français
ces atermoiements et cette carence, je voudrais mettre sous les yeux
un Mémoire sur les Ecoles Normales à Etablir dans l'Académie de
Cahors, rédigé par l'inspecteur d'Académie, le 11 février 1812 :
« Afin de mettre
de l'ordre dans la recherche des moyens que
nous avons à proposer, nous croyons devoir considérer les institu-
teurs, pour l'instruction desquels sont établies les Écoles Normales,
sous deux points de vue différents, suivant qu'ils sont déjà reconnus
et autorisés par M. le Grand Maître ou qu'ils aspirent à obtenir
cette institution en remplissant les formalités requises : ce qui les
divise en instituteurs primaires déjà en fonction, et en instituteurs
à former pour être placés. On peut encore subdiviser chaque classe
en instituteurs de ville ou de campagne; en instituteurs communaux
ou particuliers; en simples abécédaires; en maîtres d'écriture et
d'arithmétique; et en instituteurs élémentaires, qui enseignent
encore un peu de grammaire française, d'ortographe, de mytho-
logie, de géographie, etc..
«
Quoique la Grammaire française ne soit pas nominativement
comprise parmi les objets dont se compose l'instruction primaire,
il est néanmoins indispensable d'en donner au moins quelques
notions superficielles dans notre cours normal; et en suite dans les
petites Écoles des contrées méridionales; attendu que les enfans
qui doivent la fréquenter ne connaissent ordinairement que le patois
grossier de leurs familles, pour qui la langue nationale est un idiôme
étranger.
« Il
suffira que l'instituteur puisse faire connaître la valeur et les
différentes transformations des parties du discours; les lois
que
suivent les mots dont l'ortographe est variable suivant les fonctions
qu'ils remplissent dans la phrase; les genres et les nombres dans
LE FRANÇAIS ET LES ÉCOLES DE L'EMPIRE 511

les noms; les temps et les personnes dans les verbes; les principales
irrégularités de la langue écrite ou parlée; enfin une explication
sommaire de la ponctuation »1.
Un texte comme celui-là en dit long et supplée aux témoignages
qui, il faut le reconnaître, sont très insuffisants, car le gouver-
nement n'a jamais clairement demandé aux préfets ou aux rec-
teurs si les maîtres enseignaient le français. On s'inquiétait s'ils
enseignaient le calcul décimal et le système métrique. C'était là
la grosse affaire. Je n'ai même trouvé à peu près nulle part d'indi-
cations sur la langue qu'on employait à l'école pour enseigner 2.

DANS LES PAYS A IDIOMES.


— BAS-RHIN ET HAUT-RHIN. — Je citerais
volontiers comme un modèle l'arrêté du préfet du Bas-Rhin, Lau-
mond (29 nivôse an IX-15 janvier 1801). Il ordonnait quant à la lan-
gue tout ce qu'on pouvait alors ordonner :
ART. Ier.
— L'organisation des écoles primaires par arrondisse-
ment est rapportée.
ART. II.
— Il y aura dans chaque commune du département au
moins un instituteur.
ART. III. — L'instituteur enseignera à lire, à écrire, à calculer,
et les élémens de la morale républicaine.
ART. IV.
— Les instituteurs seront nommés de la manière ci-
après. Le conseil municipal de chaque commune choisira, à la
prochaine réunion, à la pluralité des suffrages, un candidat ayant
l'intelligence et la moralité nécessaires pour remplir avec succès
les fonctions d'instituteur; il choisira, autant que les localités le
permettront, un citoyen sachant la langue française. Le maire
enverra le candidat, muni du procès-verbal de son élection, au jury
d'instruction de l'arrondissement, pour y être examiné; celui-ci
adressera son attestation d'examen, avec ledit procès-verbal d'élec-
tion, au Sous-Préfet de l'arrondissement, lequel enverra les dites
pièces avec son avis au Préfet, pour être la nomination approuvée,
s'il y a lieu.
ART. VII. — Les conseils municipaux fixeront, sous l'approba-
tion du Préfet, les traitemens desdits instituteurs...

1. Arch. N., F 17 5947.


2. Une exception pour l'Isère, qui a envoyé en l'an XIV une statistique minutieuse,
où on fait deux séries de tableaux : a) des communes qui ont des écoles ; b) des communes
qui n'en ont pas (Arch. N., F 17 1717). On enseigne le français à St-Marcellin, Chirens,
St-Victor-de-Morestel, Vertrieu, Corps, Entre-Deux-Guiers-le-Bas, Huez, St-Ismier,
St-Pierre-d'Allevard, Champier, Chonas, Meiziac, Le Peage ; le latin à Tullins,
Crémieu, Paladru, Passins, Vignieu, Allevard.
512 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

ART. IX. — Au moyen des dispositions ci-dessus, tout père de


famille sera invité à envoyer ses enfans, depuis l'âge de sept ans
jusqu'à celui de douze, à l'école...
ART. XL — L'instituteur sera en même temps chargé de remplir
les fonctions de secrétaire de la Mairie. Sont cependant exceptées
de cette disposition les communes dont la population exige...
d'établir ou de conserver une place distincte de secrétaire de la
Mairie...
Il semble bien qu'un effort a répondu aux voeux du préfet, mais
nous n'avons pas le moyen de vérifier en détail les résultats obtenus.
Quand on met la main sur quelque dossier, on a l'impression
qu'il s'agit d'affaires où se heurtent toutes sortes de passions, et
où les intéressés se couvrent, comme souvent en pareil cas, de pré-
textes. Ainsi, le 28 mai 1810, arrive à Paris une Lettre au Gd Maître
de l'U. Impérial (sic) signée du curé cantonal de Weyer, et contre-
signée par l'évêque Saurine : 1

« Une commune entière ose élever la voix


jusqu'à votre Excel-
lence. C'est la commune de Weyer, la plus considérable et la plus
populeuse du Canton de Drulingen, arrt de Saverne (B.-Rhin),
faisant jadis partie du comté de Nassau-Saarbruck, où la langue
allemande est le seul idiome.
« Il existe dans cette Commune mixte deux
Écoles primaires,
l'une luthérienne... l'autre catholique dont l'instituteur, Sébastien
Joseph Steubel, est un idiot. Sans principes, n'ayant ni méthode
ni caractère ni gout pour l'enseignement, teinturier de profession,
tenant cabaret et tripot, favorisant le libertinage et la débauche et
négligeant l'instruction dont il est chargé au point qu'il ne sort de
son Ecole aucun Eleve qui sache bien écrire son nom.
« L'ayant, en ma qualité de pasteur, plusieurs fois charitablement
averti de se défaire de son cabaret et tripot et de se livrer avec
plus de Zèle et d'Exactitude aux soins de l'instruction, il osa m'in-
vectiver grossièrement, me menacer même, de porter la main sur
moi, sur quoi j'ai crû devoir cesser de mettre les pieds dans son
École...
« Pour détruire le dégoût que les habitans pour la plupart pro-
testant (sic) montraient pour la langue française, je me suis donné
la peine de l'enseigner gratuitement, dans mes moments libres, à
quelques enfans; leurs progrès rapides triomphèrent du préjugé et
porterent les parents tant luthériens que catholiques à prier avec
instance le Maire du lieu de leur donner un instituteur capable

1. Arch. N., F 17 5941.


LE FRANÇAIS ET LES ÉCOLES DE L'EMPIRE 513
d'enseigner la langue française à leurs Enfans; mais sans avoir
égard à leurs prières, il rengagea de concert... le susdit Seb. Jos.
Steubel dont il est l'oncle, sans consulter le pasteur.
« Les Peres de famille au désespoir vinrent me prier de vouloir
bien être leur organe... préférant les voir (leurs enfans) ignorans
que démoralisés et gatés.
« Votre excellence sentira combien il est essentiel, que la langue
française soit enseignée dans un pays nouvellement conquis où le
peuple regrettant encore ses anciens coutumes et princes n'est que
foiblement porté pour notre gouvernement. Mes confrères les Curés
de mon arrondissement et moi y contribuerons de notre mieux,
mais à quoi aboutirons nos efforts tant que la nomination... appar-
tiendra à des Maires pour la plupart ignorants et insouciants ? »
On croirait entendre un défenseur de la langue française. Or
quelle est la conclusion ? Le curé propose George Strauch, dont il
reconnaît qu'il la « possède faiblement ». L'affaire était donc d'ordre
confessionnel et privé. Il n'y a dans un semblable document qu'une
chose intéressante, si elle est vraie, c'est que l'enseignement du
français entrait dans les préoccupations d'une partie des habitants,
et qu'en l'enseignant on pouvait attirer une clientèle.
Il n'est pas douteux en effet que des maires désiraient que les
enfants apprissent le français. La municipalité de Heuchelheim (canton
de Bergzabern, B.-Rh.), le 28 juin 1810, demande au recteur la nomi-
nation de Jean Valentin Hoffmann, natif d'Offenbach, arrondisse-
ment de Spire (dépt du Mont-Tonnerre), qui sait le français : « Nous
sentons très bien, disent les signataires (dont toutes les signa-
tures sont en caractères allemands), l'urgente nécessité, que chaque
Français doit comprendre la langue de sa patrie » (Arch. N., F 11 5941).
Dans le Haut-Rhin, les dispositions étaient bonnes. Sans doute,
là comme ailleurs, les maîtres avaient plus de bonne volonté
que de compétence'. Tandis que l'enseignement secondaire était
assez avancé et qu'il y avait des collèges à peu près francisés 2 à
côté d'autres tout allemands où le français était étudié comme
une langue étrangère 3, dans les petites écoles, l'allemand régnait
en maître, presque partout. Il fallait que des citoyens de bonne
volonté se missent à la besogne. Mais on en trouvait. Le Maire
1. et Le maître d'école de Seppois le Haut et de Seppois le bas écrit quelque peu le
français » (Let. du Rect. de Strasb., 14 mars 1812. Arch. N., F 17 5941).
2. Ainsi à Altkirch, à l'école secondaire, les élèves de 1re année étudient la grammaire
française de Meidinger, ceux de 2de continuent (Arch. N., F17 7028).
3. A Bouxviller, par exemple. Toutefois un prospectus du maire Schnabel annonce
qui parle allemand, donne l'enseignement du
que M. Flagnieu, Français de naissance,
français dans toutes les classes; et un soin particulier sera donné en vue d'exercer la
pratique de cette langue.
Histoire de la langue française. IX. 33
514 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

de Lalaye et Charbes, le 5 février 1806, avertit M. le Sous-Préfet


de l'Arrondissement de Barr de ses intentions : « J'ai l'honneur...
de vous annoncer, que le 26 Janvier dernier, j'ai commencé une
école gratis, conjointement avec l'instituteur de ma commune,
pour les jeunes gens dudit lieu, non-mariés, qui ont fait leurs
pâques, tous les dimanches et fêtes, depuis midi jusqu'à trois heures
de relevée, dans laquelle on apprend à lire, écrire en français et
l'arithmétique. J'ai vu avec plaisir que déjà le premier dimanche
nous avons reçu 41 élèves et le second dimanche 53. J'apprends
avec un plus grand plaisir encore, que toute la jeunesse de ma
commune se prépare à venir recevoir nos leçons ; même les jeunes
gens des communes voisines, que nous recevons avec intérêt,
pourvu qu'ils ne viennent pas en trop grand nombre pour gêner
ceux de la commune ».
Des primes ont été établies : « J'ai promis à cette jeunesse dési-
reuse d'apprendre, un prix de douze mouchoirs, pour les six
garçons et les six filles qui profiteront le mieux des instructions
pendant la première année. Ils seront donnés par nous en pré-
sence de M. le Curé de la commune, le jour de la fête patronale du
lieu. Cette distribution sera renouvelée d'année en année aussi
longtemps que ladite école existera. Le prix desdits mouchoirs sera
pris sur les fonds pour les dépenses imprévues qui seront accordées
au budget de la présente année, si Monsieur le Sous-Préfet veut
bien nous l'accorder. Signé : Quiporte, Maire ».
Et le sous-préfet prend un arrêté (le 7 février) : « Vu la lettre
ci-dessus; Le Sous-Préfet, en applaudissant aux vues d'utilité
publique qui y sont développées, et au zèle louable qui distingue
le Sieur Quiporte, Maire de Lalaye, et l'instituteur de ladite
commune, Arrête : que mention honorable en sera faite au Bulletin
officiel de Correspondance de la Sous-Préfecture, dans lequel la
lettre précitée sera insérée avec le présent, pour être adressés aux
Maires du ressort. Copie en sera transmise à M. le Conseiller
d'État, Préfet. Signé : Cunier ». Il est vraisemblable que l'exemple
ainsi récompensé donna quelques fruits.
MEURTHE1.
— Les instituteurs les plus instruits joignaient à leur
enseignement les principes de la Grammaire française 2. Mais nous
ne savons rien des efforts qu'on pouvait faire dans la partie alle-
mande du département.
FINISTÈRE.
— Le préfet renonce pour ainsi dire à avoir des

1. Pour la Moselle, voir plus loin, ch. x.


2. Lct. du Sre Génl, 23 therm. an XI (11 août 1803). Arch. N., F17 1708. N.
LE FRANÇAIS ET LES ÉCOLES DE L'EMPIRE 515
écoles : « Il n'y a guèrres que 36 communes qui soient suscepti-
bles de recevoir cet établissement ; celles de campagne ne sont
composées que d'habitations éparses où personne ne parle français,
il n'a jamais existé d'École de la langue Brétonne, et je ne pense pas
que l'intention du gouvernement soit d'en établir »1.
GOLO. — Les obstacles sont grands, « la difficulté est de trouver
des Instituteurs qui connaissent la langue française, le calcul déci-
mal, et les nouvelles dénominations des Poids et Mesures » 2.

DANS LES PAYS À DIALECTES.


— Pour le reste de la France, je ne
me flatte pas de posséder les documents qui seraient nécessaires. Il
y a visiblement des endroits où les parents désirent que leurs
enfants sachent le français et le sachent bien. A Orange, un régle-
ment de l'an XI décide que le français sera seul en usage dans
l'école. L'adjoint exercera ses élèves à la prononciation française
et corrigera les locutions vicieuses. Il fera des questions simples
et exigera une réponse en français. Ce pays était gagné. L'article 37
du plan d'études de l'école secondaire, créée en 1803, était en effet
ainsi conçu : « Le directeur et les professeurs sont particulièrement
chargés de veiller à ce que les élèves externes ou pensionnaires ne
se servent jamais de l'idiome local dans leurs conversations habi-
tuelles ni pendant leurs exercices de récréation » 3.
On trouve dans le diocèse d'Autun des maîtres qui non seulement
montrent à lire et à écrire, mais qui enseignent la grammaire: J.
Ant. Chapuy à St-Dezert (Givry) ; Théodore Miard à Mâcon ; Gau-
thier à St-André-le-Désert (Cluny) ; Et. Longepierre à Mont Bellet
(Montbellet) ; J. P. Mich. Ribou à St-Alban ; Morizot à Nevers ;
Sunce à Château-Chinon ; Guillemet à Luzy ; Marchal à Moulins-
Engilbert; Pierre Bernay à Tannay; Marille (P. Guil.) à Pouilly ;
Godart (Nicolas) à Prémery 4.

PRÉFETS PURISTES.
— Les choses paraissent être allées un peu sui-
vant l'impulsion que le préfet, assez libre alors, leur donnait5. Or
il se trouvait que plusieurs, nous l'avons dit, avaient du français un
souci poussé jusqu'au purisme. On en surprend qui voudraient

1. Let. du préf., 17 flor. an XI (7 mai 1803). Arch. Nat., F17A 1717.


2. Arch. N., F17 1717.
3. Yrondelle, Hist. du Coll. d'Orange, p. 362.
4. 10 juin 1809. Arch. N., F17 6301.
5. L'abbé Allain dit : « Les statistiques publiées en l'an IX et X par les préfets
signalent le mauvais état des écoles dans l'Ardèche ; on gémit de voir, dans les communes
les plus considérables, l'enfance livrée, en général, à l'impéritie de maîtres d'école dont la
totalité n'entend rien aux premiers éléments de la langue française » (OEuv. scol. de la
Rév., p. 322).
516 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

faire extirper du pays les locutions locales 1. Ils éprouvent une vraie
tristesse en se voyant réduits à choisir des sous-ordres parmi des
illettrés, et en recevant au lieu d'actes et de correspondances
d'inintelligibles grimoires. « Ce département, écrit le préfet des
Hautes-Pyrénées, est extrêmement pauvre en instituteurs ; on y est
tellement ignorant qu'on ne désire pas même s'instruire » (1er mes-
sidor an XI— 20 juin 1803).
« Les registres, quoique avec le secours des formules, sont rédi-
gés d'une manière inintelligible, parce que les rédacteurs n'entendant
pas le français, ne comprennent pas le sens de ces formules : il me
faut deviner celui des délibérations des conseils municipaux, qui
offrent un mélange confus de français et de patois du pays » 2.
Si seulement on savait « mettre l'orthographe »3 ! Les maîtres
sont signalés, quand ils forment la jeunesse à cet art précieux 4. Ils
ont du reste des émules dans l'enseignement privé 5.

IMPRESSION GÉNÉRALE.
— Malgré tout cela, je ne crains pas de
l'affirmer, dans le Midi surtout, on trouve inscrits sur les listes
plus de maîtres de latin que de maîtres de français 6. Rien ne
donne, je ne dis pas l'impression d'une organisation systématique,
mais même celle d'un effort. J'inclinerais même à croire que bien
des instituteurs devaient ignorer ou à peu près le français. A propos
d'un périodique du grammairien Domergue, le Journal des Sciences
et des Arts des Bouches-du-Rhône (t. II, p. 5) dit en 1805 : « En
renouvelant cette annonce, nous croyons devoir ajouter une invi-
tation à MM. les Maires d'en donner connaissance à tous les insti-
tuteurs dont la plupart ignorent la langue française » 7. Était-on
trop exigeant au Journal? Peut-être, car on ne voit pas en quoi
1. En l'an XII, le préfet de l'Eure dit: « Les instituteurs actuels, au nombre d'environ
400, sont pour la moitié des gens de la campagne, dont l'éducation peu soignée entre-
tient l'usage d'un accent et d'expressions vicieuses... il n'y a pas plus de 50 instituteurs
qui soient en état de former leurs élèves aux principes raisonnés de l'orthographe et de
la grammaire » (Aul., Nap. et le Mon., p. 15-16).
2. Arch. N., F17A 1718.
3. Dans l'Oise, le préfet Belderbusch adresse un traité d'orthographe qui fait partie
du Cours Elémentaire qu'il fait rédiger pour les Écoles primaires (9 avril 1806). Il
institué un prix d'orthographe (Arch. N., F17A 1718). a
4. « Le citoyen Claude ci-devant me à la pension de St-Yon, près Rouen, enseigne
la lecture, l'écriture, l'orthographe » (Arch. N., F 171 1716).
5. Dans la Maison d'éducation de Madame Gontier et Cie (pensionnat) à Aix,
apprend à lire avec ponctuation, à écrire avec ortographe » (Arch. N., Imprimé. « on
F17A 1716).
6. En 1809, d'après un rapport de l'évêque de Cahors, une assez grande quantité est
portée comme enseignant le latin, personne comme enseignant le français (Arch N..
F17 6301).
7. Brun, Mém. ms., p. 89. Au commencement du XIXe siècle, dans les Hautes-Alpes,
on trouve encore le français difficile à apprendre et inutile à savoir (Ladoucette, Hist.
topogr. ant. des Htes-Alpes, p. 611).
LE FRANÇAIS ET LES ÉCOLES DE L'EMPIRE 517

un périodique de Domergue eût pu intéresser des gens qui n'au-


raient pas su la langue. Ignorer doit être traduit : ne pas connaître
les règles et les finesses. Mais il y a d'autres textes. Du Calvados,
le cn Cheradame, membre du Conseil Municipal de N.-D. de Cour-
son, arrivant de Lisieux, écrit le Ier floréal an XII (21 avril 1804) :
« les
Écoles Primaires sont tenues par des femmes ou autres per-
sonnes qui à peine scavent lire pour leurs affaires domestiques, et
qui pour l'Ecriture ne scavent ni français ni « hortographe " 1.
Comment écrivaient les maîtres, pour que cet homme en fût
choqué ?
1. Arch. N., F17A 1716.
CHAPITRE X

ON DÉPARTEMENT MODÈLE

EN MOSELLE.
— Si dans les départements de la vieille France, la
diffusion de la langue par l'école n'a pas été l'objet d'une action
suivie et concertée, c'est une raison de plus de signaler les dépar-
tements où on a montré du zèle et de la clairvoyance. Metz a été
favorisée. Déjà Colchen s'est employé à remédier à ce qu'il considé-
rait comme un mal national : la classe en idiome. Le 11 fructidor
an XI (29 août 1803), il s'informe et renvoie un tableau fourni par
le sous-préfet de Thionville avec un questionnaire. Il veut savoir
en effet si les instituteurs enseignent essentiellement la langue fran-
çaise et le calcul décimal.
D'après le tableau du 4e Arrondissement, possédaient le français
les maîtres de :
Achen (écrit passablement en Forbach.
français). Freybouse.
Altzing (connait assés bien Grosbliderstroff.
la langue française). Gros-Rederchin.
Altwiller (écrit passablement Gros-Tenquin.
en français). Guéblange.
Altrippe. Guesseling.
Baronville. Hambach.
Bezig. Hanwiller.
Biding. Heckenranschbach.
Bistroff. Hellering.
Bitche. Hellimer.
Bousseweiller. Holving.
Brulange. Hombourg-Bas.
Cocheren. Hoste.
Destry. Hottewiller.
Diebling. Ippling.
Eincheville. Kappelkingert.
Folswiller. Kerbach.
1. Il sera traité dans un autre volume des départements la France venait
d'acquérir, en particulier des Alpes-Maritimes. que
UN DÉPARTEMENT MODÈLE 519
Landroff. Sarinsming.
Launing. Sarreguemines.
Lengelsheim. Saimbouze.
Leywiller. Soucht.
Lixing. Schpikeren.
Lhopital. Tenteling.
Macheren. Tleving.
Maxstadt. Uberkingert.
Meysenthal. Vallerange.
Morhange. Valmont.
Nelling. Wahl-Ebersing.
Neufgrange. Villers.
Petersbechel. Villerwaldt.
Remering. Valsbronn (si on l'exige).
Rorbach. Velferding.
St Avold. Viswiller.
St J. Rorbach. Vitring.
Sarralbe. Vousterwiller.
C'était une belle proportion. 59 écoles seulement n'enseignaient
pas le français. On ne s'étonne pas que le préfet écrive avec
quelque fierté : « Je dois observer en terminant que la Langue
française devient actuellement familière dans des villages où, il y a
dix ans, elle était absolument ignorée. Cette révolution est due
principalement aux soins que l'on a pris de faire admettre par les
communes allemandes des instituteurs qui possédassent les deux
langues et je ne néglige rien pour y en augmenter le nombre »1.

LES EFFORTS REDOUBLENT.


— En vendémiaire an XIII (septembre-
octobre 1804), on n'est pas encore satisfait à Metz. On imagine
d'instituer des sortes de classes préparatoires où les enfants appren-
dront le français avant toute étude : « Les professeurs de l'École de
Saralbe sont obligés d'Enseigner à leurs Élèves trois langues à la
fois, l'Allemande pour l'intelligence de la française, qui dans ces
contrées est encore bien peu usitée, et cette dernière, afin qu'ils
puissent suivre le cours de latinité, ce mode d'Instruction devenant
aussi pénible pour les uns que compliqué pour les autres.
« Le Sous Préfet propose afin de remedier à cet inconvenient, de
creer une 7e classe ou l'on apprendrait le français aux jeunes Gens
qui ne savent que l'Allemand. Cette classe qui seroit en quelque

1. Let. du préf., 15 frim. an XII (7 déc. 1803). Arch. N., F17A 1718. Voir dans
cette pièce toutes sortes de détails sur les écoles de Metz et les moyens de donner à
chacun une instruction en rapport avec ses aptitudes. Cf. une lettre du 2 frim. an XIII
signée du Cr de Préfre Leclerc (23 nov. 1804).
520 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

sorte préparatoire, ne peut etre suppléée par les Écoles primaires


dont les Maîtres ignorent generalement les principes de cette Langue
et auroit l'avantage de la rendre plus familiere » 1. C'était une idée
géniale ; mais je ne sache pas qu'elle ait reçu même un commence-
ment d'application.
Le 22 thermidor an XIII (10 août 1805), le nouveau préfet, Viénot
de Vaublanc aborde l'ensemble de la question 2 et propose des
moyens... «jacobins »: « J'ai l'honneur de vous prévenir que, dans
plus de 400 communes de ce Département on a conservé l'usage de
faire l'enseignement en langue allemande, malgré l'obligation impo-
sée par mon prédécesseur au jury des Écoles Primaires, de n'admettre
pour Instituteurs que des hommes sachant les deux langues ; je me
suis convaincu de cet abus dans la tournée que je viens de faire
dans la partie allemande de mon département, par exemple dans
l'école primaire de Bitche ; sur une vingtaine d'enfants, à peine si
trois ou quatre parloient français.
« Plusieurs causes contribuent à maintenir cette coutume. 1° La
force qu'a sur la pluspart des hommes une ancienne habitude ;
2° l'obstination des parens à ne mettre que des livres allemands entre
les mains des Enfans; 3° les Instructions Religieuses toujours faites
en allemand dans plusieurs Villes telles que Bitche, Sarralbe, Put-
telange et Faulquemont, où cependant le français est en usage.
« Pour introduire peu à peu cette derniere langue et en rendre la
pratique plus familière, je pense qu'il est essentiel de contraindre
les maîtres d'École à se conformer au mode d'enseignement qui
leur est prescrit, et pour cet effet, je demande, M. le Cr d'État, que
vous m'autorisiez à destituer les Instituteurs qui n'enseigneront pas
dans les deux idiômes et à defendre de se servir dans les Écoles de
livres Élementaires allemands. Je vous prie aussi de vouloir bien
vous Concerter avec son Excellence le Mre des Cultes pour obliger
les curés et desservans de ces contrées à faire leurs prônes et caté-
chismes en français ou au moins dans les deux langues.
« J'ai lieu d'espérer que vous adopterez les mesures que je viens
de vous proposer. J'ai l'honneur... Vaublanc ».

APPROBATION GOUVERNEMENTALE.
— Ces mesures rappelaient l'an II.
Cependant Fourcroy, dans un rapport au Ministre, daté du 12 fri-
maire an XIV (3 décembre 1805), les approuva. Il répondit le
10 janvier 1806, c'est-à-dire cinq mois après avoir reçu les
propo-

1. Le Préf. de la Moselle à Fourcroy. Sien. Vivitre. Secre génal. Arch. N. F 17 7026


2. Arch. N., F17A 1718.
UN DÉPARTEMENT MODÈLE 521

sitions du préfet : « S. E..... vous autorise à destituer les insti-


tuteurs des Écoles primaires qui ne donneront pas leur enseigne-
ment en français ou au moins dans les deux langues française et
allemande, et à défendre de se servir dans les Écoles des livres
élémentaires allemands. Je vous invite en conséquence à faire
connaître cette décision à tous les instituteurs primaires de votre
département » 1.
Vaublanc profita sans tarder de la permission. Le 18 janvier, il
prit un arrêté qui soumettait à un nouvel examen à subir dans le
délai de trois mois tous les instituteurs. Ceux qui n'obtiendraient
pas le certificat étaient prévenus qu'ils perdraient leur place. Ils ne
devaient ni faire usage de livres en allemand, ni en tolérer aux
mains de leurs élèves (art. IV). L'arrêté, communiqué à Paris le
5 février, reçut l'approbation du Ministre. Vaublanc terminait sa
lettre en exposant qu'il était nécessaire, pour réussir, d'obtenir de
l'évêque qu'il interdît de son côté, catéchismes et prônes en alle-
mand.
Il serait intéressant de savoir si les menaces eurent quelque effet.
On ne voit pas bien comment les maîtres s'y seraient pris pour se
mettre en mesure d'obéir. En tous cas, à la rentrée, l'affaire reprit.
Le 30 octobre 1806, le préfet écrit au Ministre de l'Intérieur...
« Votre Excellence a remarqué que plusieurs des signataires de
l'information de commodo et incommodo ont signé leurs noms en
caractères allemands, et vous ajoutez combien il est à désirer que je
parvienne à rendre l'usage de la langue française général dans mon
département 2.
« Lorsque j'y ai fait une première tournée en l'an 13, j'ai vu avec
peine que dans les deux tiers de ce département, les instituteurs se
servoient dans les écoles primaires de livres élémentaires allemands.
J'en ai témoigné mon étonnement ; mais on m'a répondu qu'ils
avoient été autorisés jusqu'alors à se servir de ces livres. J'en ai
écrit à M. Fourcroy qui m'a répondu dix mois après, que le Gou-
vernement vouloit que les seuls livres élémentaires françois fussent
enseignés dans les écoles primaires.
« Je n'ai rien négligé pour
faire exécuter cette décision que
j'avois provoquée et dernièrement encore, ne trouvant point dans le
Maire de St-Avold les dispositions que je désirois, fatigué des objec-
tions qu'il me présentoit, je me suis rendu à sept heures du matin
dans l'école primaire. J'ai examiné touts les livres dont se ser-
voient les enfants. Les deux tiers étoient allemands. Je les ai déchi-
1. Arch. N., F 17 1718. Minute.
2. Cette lettre, qui serait curieuse, n'est pas au dossier.
522 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

rés sur le champ, j'ai donné de l'argent pour qu'on en achetât d'au-
tres en françois et j'ai déclaré à l'instituteur que je ferois une
nouvelle visite à l'instant qu'il s'y attendroit le moins, et qu'il per-
droit sa place, s'il se servoit encore de livres élémentaires allemands.
« Il me sera
possible de faire exécuter cette disposition dans les
villes, mais dans les villages où l'on parle allemand, on ne trouve
que très rarement des instituteurs qui parlent les deux langues ; pour
en avoir il faudroit ajouter une petite somme aux foibles appointe-
ments que donnent les communes ; peut etre seroit-il digne de l'ac-
tive sagesse de Votre Excellence de prendre cet objet en grande
considération, il est certain que la langue fait la Patrie, et qu'il est
bien difficile d'être françois dans toute l'étendue du mot, quand on
ne parle qu'allemand. En outre cette ignorance de la langue fran-
çoise rend l'administration extrêmement difficile et lente ».
Le préfet va plus loin et aborde la question la plus délicate :
« Il est une chose qui contribue beaucoup à entretenir l'usage de
la seule langue allemande dans un grand nombre de communes,
c'est d'y envoyer des prêtres qui parlent cette langue, et qui souvent
même ignorent le françois ; les sermons et le catéchisme faits en
allemand entretiennent les habitants dans l'usage de cette langue,
et dans la fausse idée qu'ils n'ont pas besoin d'en apprendre une
autre.
« Votre Excellence peut être persuadée que pendant toute mon
administration, je m'occuperai avec une persévérance constante à
étendre la langue françoise dans mon département. Je trouve hon-
teux de voir des familles, françoises depuis des siècles, ignorer la
langue de leur Patrie, et rester indifférentes aux grandes choses qui
signalent le règne de l'Empereur, elles ne peuvent partager l'enthou-
siasme de la Nation, puisqu'elles ne comprennent pas les expressions
par lesquelles nous manifestons notre admiration... Vaublanc ».
Ainsi un homme, qui était et avait toujours été de droite, parlait
le langage de François Ier et de Grégoire, et il semble avoir
réussi à galvaniser les bureaux, malgré leur crainte, héréditaire
des « affaires ». Les idées de la Révolution n'étaient pas mortes.
CHAPITRE XI

LA LANGUE ET LA VIE GÉNÉRALE

LA CENTRALISATION.
— Pour terminer, je voudrais indiquer briève-
ment ce qui, dans le régime napoléonien, a fait faire à la langue
nationale de nouveaux progrès. Il faut considérer d'abord comment
s'est poursuivie l'oeuvre de centralisation. Rien, ou à peu près rien
ne resta de ce qui faisait l'originalité des divers pays. Leurs insti-
tutions propres abattues ne furent remplacées par rien qui sentît
de près ou de loin « la localité ».
Il n'y a désormais en France qu'une administration uniforme, toute
semblable de Strasbourg à Bordeaux, dont les fonctionnaires,
appartenant tous à un cadre unique, sont envoyés au hasard des
places disponibles de poste en poste, qu'ils soient préfets, magis-
trats, percepteurs, gendarmes ou agents-voyers. Naturellement ils
n'administrent, ne paperassent qu'en français; leurs guichets, déjà
peu avenants pour quiconque s'y présente, se fermeraient impitoya-
blement au malheureux incapable de s'expliquer. Il peut arriver
qu'un séjour prolongé les acclimate et accoutume certains d'entre
eux à comprendre quelques bribes du parler de l'endroit où leur
carrière les a jetés, mais c'est là un accident qui dépend de com-
plaisances personnelles, et sur lequel ceux qui ont affaire à l'Admi-
nistration n'ont pas à compter.
Or le rôle de l'État a été immensément augmenté. Il intervient
désormais dans tout, au moins pour contrôler, souvent pour gérer,
au lieu et place soit des particuliers, soit des autorités locales. Il
ne s'agit pas encore de le faire producteur, mais il est déjà mar-
chand. Les habitants ont perpétuellement affaire à lui.

forme nouvelle qu'avait prise la vie


LA GUERRE. — En outre, la
nationale, la guerre à perpétuité, n'était pas pour effacer l'effet des
récents événements, mais bien plutôt pour l'augmenter. Fondus
dans une France militaire et guerrière, au long de ces dures années
passées à grogner, à souffrir, à vaincre, les paysans prenaient
524 HISTOIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE

bon gré mal gré un sentiment national dont l'orgueil soutenait les
élans. L'école de français d'alors, c'était le régiment. Sans doute,
les « pays », qui s'y rencontraient, échangeaient avec plaisir mots
et quolibets dans le langage du cru 1. Mais dans son cours ordinaire,
la vie de gloire et de servitude était toute française 2. Une absence
aussi prolongée de toute la population mâle ne s'était jamais pro-
duite. Les conséquences devaient en être fatales pour les patois.
Quand les congés rendaient les hommes à la vie civile — et il
en revenait, malgré tout, des vainqueurs d'Austerlitz et des vaincus
de Leipzig —, ils prenaient femme, et ce n'était pas nécessairement
dans leur pays. En ce cas, ils n'allaient pas apprendre le patois du
village où ils se fixaient, et la femme n'apprenait pas celui de son
mari 3. C'était un ménage gagné pour le français. Mais, même s'il
revenait dans son lieu d'origine, le vieux soldat n'était plus le
même homme. Se remettait-il au patois, quelque plaisir qu'il y pût
prendre, il ne le parlait plus avec la même pureté. Il avait en outre
trop de souvenirs qui se prêtaient mal à cette forme de langage.
Un observateur qui écrit presque au lendemain de Waterloo l'a
bien vu : « Depuis vingt-cinq ans, dit-il, il (le patois poitevin) a
subi des altérations sensibles ; on ne le parle plus dans les villes ;
et les déplacemens multipliés qu'ont subis les villageois, leurs
rapports forcés et si fréquens avec les gens d'affaires, les enrô-
lemens, les flux et reflux des levées en masse, ont tendu sans
cesse à effacer toutes les nuances et à donner une teinte uniforme
aux habitudes et au langage de toutes nos provinces » 4.

1. Millin, qui publia en 1808 dans le Magazin encyclopédique un article où il rapporte


des locutionscurieuses mêlées à leur français parles Provençaux, ajoute : « Ces locutions
ne sont pas une suite de l'ignorance des règles de la langue française, elles viennent de
l'habitude de parler la langue du pays. Le peuple de la Provence ou du Languedoc sait
presque généralement le français ; mais il se plaît à parler le provençal ou le languedo-
cien : les enfans l'apprennent dès le berceau comme leur langue maternelle ; ils le parlent
avec tous ceux qui les entourent ; et les hommes que les circonstances ont conduits dans
des contrées éloignées, aiment à employer un idiome qui leur rappelle leurs premiers
plaisirs et le lieu qui les a vus naître; souvenirs qui ne s'effacent jamais. Qu'un habi-
tant du midi de la France en rencontre un autre à Paris, à Londres, à Petersbourg, à
la Chine, aussitôt vous entendrez, qu'es aqueou ? etc. vous les verrez se chercher, et se
livrer au plaisir de parler la langue de leur pays » (t. II, p. 256).
2. Il faut néanmoins être très réservé. On m'a cité une famille alsacienne où
l'aïeul, caporal de la Grande Armée, récitait imperturbablement sa théorie et ne savait
pas parler français. Le cas n'est sûrement pas unique.
3. Vaublanc, le préfet de la Moselle, constate, dans un rapport du 28 avril 1811 au
Ministre de l'Intérieur, que les militaires se marient et prennent leur retraite dans le
département, et la langue en bénéficie. « Dans beaucoup de communes où il y a vingt ans
on n'entendait jamais prononcer un mot de français, cette langue se parle maintenant »
(Arch. N., Fic III, Mos., 14, dans May, o. c, p. 71).
4. Mém. de la Société des Antiquaires de France, 1817, t. 1, p. 198.
APPENDICE
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE
SOUS LE PREMIER EMPIRE

I. — L'ENQUÊTE.

Autour de 1806, l'Administration impériale poussait dans tous


les sens des recherches minutieuses. Il est difficile, quand on n'a
pas manié les documents eux-mêmes, de se représenter avec quelle
intelligence et quelle curiosité ces recherches étaient conduites.
Elles ne portaient pas seulement, comme on pourrait le croire, sur
des objets d'utilité, mais sur toutes sortes de matières. On dirait
aussi bien par endroits d'une enquête de savant que d'une infor-
mation de ministre.
Il est vraisemblable que, cependant, le Bureau de Statistique ne
se fût pas livré à de si longues et si minutieuses enquêtes concer-
nant les langues parlées dans l'Empire, s'il ne s'était pas trouvé là
un homme pour qui ces questions présentaient un intérêt tout par-
ticulier. C'était Coquebert de Montbret. En tous cas, la direction
venait de lui : les accusés de réception, les lettres de rappel sont de
sa main.
Ch. Coquebert de Montbret, dit M. Gallois, était fils d'un
conseiller à la Cour des Comptes. Il avait débuté dans la diplomatie
comme consul à Hambourg, puis avait exercé à Dublin. Rentré à
Paris, en 1793, il trouva, grâce à ses connaissances dans les sciences
physiques et naturelles, un appui auprès de Fourcroy, de Monge,
de Berthollet, qui le firent mettre en réquisition par le Comité de
Salut Public pour l'établissement du système métrique et le service
des poudres. Il professait la géographie physique au Lycée répu-
blicain ; il fit également, en 1796-97, un cours sur la géographie
physique et les gîtes minéraux à l'École des Mines. Rentré, après le
526 APPENDICE

18 brumaire, dans l'administration des Affaires Étrangères, il va à


Amsterdam, à Londres, et quitte ce poste après la rupture du
traité d'Amiens, pour être appelé au Conseil d'État, puis au
Ministère de l'Intérieur, où il est chargé, en même temps que des
services de l'Agriculture, du Commerce, des Manufactures, de la
direction de la statistique. En 1805, il fut envoyé en Hollande pour
mettre à exécution le traité conclu à propos de l'octroi de la navi-
gation du Rhin. Il devint ensuite directeur des douanes de Hollande,
après la réunion de ce pays à la France. Nous le retrouverons
en 1812 à Paris, comme secrétaire général du Ministère du Com-
merce. Il prit sa retraite, en 1815, et se consacra tout entier à un
grand ouvrage sur la géographie physique et économique de
l'Europe, dont il continua, en voyageant, à amasser les matériaux,
et qu'il n'a pas eu le temps d'achever 1.
Déjà le livre anonyme, qui a pour titre Mélanges sur les langues
(Paris, Bureau de l'Almanach du Commerce, 1831, 8°), donne de
précieux renseignements sur les intentions de l'Administration
impériale (V. p. 432, Matériaux pour servir à l'histoire des dia-
lectes). Le travail dont nous consignons ici quelques échantillons, y
est-il dit, fut entrepris vers l'année 1807, au bureau chargé de la
statistique au Ministère de l'Intérieur. Après la suppression de ce
bureau, il a été poursuivi par la Société Royale des Antiquaires de
France 2.
Mais nous avons des indications plus précises dans les papiers de
Coquebert de Montbret. C'est d'abord un mémoire adressé au
Ministre, où se trouvent exposés le plan, le but, et les résultats
généraux de l'enquête 3. Il est ainsi conçu :

« Monseigneur,

« Des hommes instruits, sentant l'utilité dont la Connaissance


des Langues peut être pour l'Histoire des peuples qui les parlent,
témoignaient depuis longtemps le Désir qu'il fût entrepris en
France sur cet objet intéressant des recherches analogues à celles

1. Voir sa notice biographique par le baron Sylvestre, dans les Mémoires publiés
la Société royale et centrale d'Agriculture, 1832, 63-84 (Gallois, Régions naturellespar
et
noms de pays, Paris, 1908, 12-14).
2. On comparera les Mémoires de la Société des Antiquaires, 1824, t. VI.
3. B. N., N. Acq. fr., 20080, 1re pièce. C'est une minute. Un titre
en marge porte :
Proposition pour que Eug. Coquebert de Montbret soit chargé de la continuation de ce
travail dans le second Bureau de la section d'Agriculture. Le Bureau de Statistique est
donc dissous. Nous sommes après 1812.
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 527

auxquelles on s'est livré avec succès dans différents pays étran-


gers.
« M. de Champagny,
alors ministre de l'Intérieur, jugea conve-
nable d'ouvrir à ce sujet, en 1807, une Correspondance avec MM. les
Préfets ; on commença d'abord par ceux de ces fonctionnaires que
leur genre d'instruction et leurs occupations antérieures faisaient
présumer être les plus en état de donner des notions précises et
authentiques ; ensuite on écrivit successivement à leurs collègues à
mesure que ces derniers, ayant notablement avancé les différentes
parties de leurs Travaux statistiques relatives à la Population, à
l'Agriculture et à l'Industrie, pouvaient sans inconvénient donner
quelques-uns de leurs momens à un article de Recherches que les
grands Intérêts de l'Administration n'ont jamais permis d'envisager
autrement que comme un objet secondaire qu'on a même cherché à
restreindre le plus possible. Cette correspondance continuée pendant
cinq ans avec ménagement, mais avec suite et persévérance a déjà
produit une Masse considérable de Matériaux précieux, qui bien
qu'encore incomplets ont fait connaître plusieurs résultats neufs et
donné l'occasion de remarquer des rectifications essentielles à faire
dans les ouvrages historiques et philologiques imprimés jusqu'à ce
moment 1.
« Pour
donner à Votre Excellence une idée de ce qui a été fait à
cet égard, on entrera d'abord dans quelques détails sur la manière
dont le travail dont il s'agit a été conçu et on s'attachera ensuite à
lui présenter la classification la plus exacte qu'il soit encore pos-
sible d'établir des divers langages parlés dans l'étendue de l'Empire.
« On a pensé que le premier pas à faire devait consister à déter-
miner avec précision les limites de l'étendue de Pays dans laquelle
se parle chacun des idiomes principaux que l'on peut considérer
comme des langues mères.
« 2° A tâcher
pareillement de reconnaître les principaux points
qui circonscrivent à peu près le Territoire qu'occupe chaque
dialecte secondaire de ces divers langages principaux. Le premier
de ces deux articles était facile à exécuter et l'on s'est mis en état
des notions recueillies à cet égard par MM. les Préfets
au moyen
de porter sur une grande carte de l'Empire les lignes délimitatives
qui séparent la langue française de chacun des autres langages diffé-

1. Les lettres ministérielles adressées, soit aux préfets, soit à des savants comme
Legodinec, sont très nombreuses ; il en existe, dans les papiers que nous allons analyser,
vingt ou trente en minutes, presque identiques de forme, ou ne différant que par des
variantes sans importance. Celle à Legodinec (26 janvier 1808) a été imprimée dans les
Mémoires de l'Académie Celtique (II, 125).
528 APPENDICE

rents parlés dans l'Empire, tels que l'allemand, le flamand, le bas-


breton, le basque, etc. 1.
« Ce travail entièrement neuf et qu'aucun des auteurs qui ont
approfondi ces matières n'a présenté avec précision, est encore
susceptible de plusieurs rectifications et additions essentielles. »
Le rapport concluait : « Si le travail peut être continué, on
donnera un aperçu plus exact des limites de chaque dialecte, on
étudiera son origine », les « variations qu'il a éprouvées de mémoire
d'homme », on transcrira des morceaux sur plusieurs colonnes, de
façon à apercevoir les variétés.
On espère ainsi remarquer quels sont les divers langages qui ont
contribué à le former ; 2° comment se sont modifiés les mots de la
langue mère ; les affinités qu'il présente à cet égard avec les dialectes
analogues ; 3° les idiotismes ; 4° les ouvrages en vers ou en prose
en les recherchant dans les bibliothèques publiques et privées.
« Le travail servira la Grammaire générale, l'histoire étymolo-
gique des langues, l'histoire des migrations de peuples, la géogra-
phie ancienne et du Moyen-Age. »
Une note présente enfin Eugène Coquebert de Montbret comme
capable et désireux d'utiliser les matériaux accumulés sous la direc-
tion de son père. C'est lui qui a rédigé la notice. Il prend un
intérêt très vif à ces études. Il est apte à les continuer 2.
A la suite a été transcrit le commencement d'un mémoire mis au
point, où Coquebert de Montbret s'était visiblement proposé de
consigner les renseignements qu'il s'était procurés, après les avoir
mis en ordre. Ce mémoire commence ainsi : « Je crois devoir placer
ici le détail, département par département, des renseignements que
j'ai été à même de recueillir sur la ligne de démarcation de la
langue française en 1806 et 1807. »
Le premier chapitre concerne le département du Nord ; on le trou-
vera cité dans ce qui suit, mais l'exposé s'arrête presque aussitôt.

II. — L'ETAT LINGUISTIQUE DE LA FRANCE


ENTRE 1806 ET 1812.

Les préfets sollicités, au besoin rappelés à leur devoir, ont répondu


avec zèle. Ils ont consulté diverses personnes, particulièrement les
1. Il m'a malheureusement été impossible de retrouver cette carte générale, soit
Archives, soit dans les Bibliothèques, soit au Ministère de l'Intérieur.. aux
2. Eug. Coquebert de Montbret était né à Hambourg, 1785. Il est mort à Rouen,
en
en 1849. Il fit don à la ville de Rouen de sa bibliothèque composée d'environ 60 000 vo-
lumes et de plus de 100 manuscrits.
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 529
sous-préfets et les juges de paix, qui s'informaient sur place. Au
reste, l'Administration centrale ne manquait pas de réclamer des
suppléments ou des rectifications, si les indications fournies parais-
saient insuffisantes ou erronées.
Les renseignements reçus sont conservés dans deux séries de
documents :
I. Un carton des Archives Nationales, malheureusement unique :
F. 17A 1209.
II. Des manuscrits de la B. N., savoir :
a) Nouv. Acquis. Franc., 5910, 5911, 5912, 5913. Je les désignerai
simplement par leur numéro. Dans les trois premiers recueils, les
renseignements sont groupés par ordre de départements. 5913 est
un recueil de cartes, auxquelles on a joint quelques lettres et un
petit nombre de documents.
b) Un manuscrit Nouv. Acquis. Franç., 20080, auquel nous avons
renvoyé plus haut.
Ce ms. n'est souvent qu'une mise au net de notes contenues dans
le ms. 721 de la Bibliothèque de Rouen (Fonds Coquebert de
Montbret), dont nous allons parler.
III. Des notes prises par Coquebert de Montbret et réunies dans
deux recueils appartenant à la Bibliothèque de Rouen (Fonds
Coquebert de Montbret, n°s 721 et 191). Je les désignerai par Rouen,
721 et 191.
Il arrive assez souvent que les documents réunis dans ces diverses
séries font double emploi. Dans une même série, les indications se
répètent aussi; ainsi 721 copie parfois 191. Mais aucun de ces
recueils ne peut être négligé. Il arrive que l'un indique la source
où ont été puisés les renseignements contenus dans l'autre. En par-
ticulier, les listes des communes-limites offrent un grand intérêt ;
elles permettent de reconstituer des cartes disparues, sur lesquelles
Coquebert de Montbret avait travaillé.
Les dialectologues ont déjà bien souvent utilisé les textes patois
réunis dans l'enquête du premier Empire. Nul d'entre eux, à ma
connaissance, n'a songé même à indiquer l'existence des cartes qui
ont servi à notre étude, si bien que je les ai cherchées pendant fort
longtemps. Le précieux Atlas qu'elles composent permet, si on le
combine avec les notes de Coquebert de Montbret, de tracer la
limite de la langue française autour de 1806, soit sur les confins de
la France, soit à l'intérieur du pays. En Suisse, où il n'y avait pas de
préfets français, on n'a pu que compiler des renseignements chez
divers auteurs. J'aurais voulu donner une reproduction de ces cartes.
Nous avons, les éditeurs et moi, été retenus par la crainte d'élever
Histoire de la langue française. IX. 34
530 APPENDICE

démesurément le prix de ce volume. Un certain nombre d'entre


elles ont du reste été jointes à l'étude que j'ai publiée dans les
Mémoires de l'Académie Royale de Langue et Littérature françaises
de Belgique (nov. 1924). Des croquis permettront du moins de se
faire une idée de la direction des limites 1.

1. Qu'il me soit permis de remercier ici l'Administration du département des mss.


de la Bibliothèque Nationale, et M. Prou, Directeur de l'Ecole des Chartes, qui m'ont
aidé dans ma recherche des documents, M. H. Labrosse, Directeur de la Bibliothèque
de Rouen, qui a bien voulu envoyer à Paris les précieuses notes de Coquebert de
Montbret, enfin mon ami et collègue M. L. Gallois, qui a mis toute sa compétence et
sa complaisance à mon service, quand il s'est agi d'identifier des localités infimes,
ignorées des cartes ordinaires.
LIMITES DU FRANÇAIS AU SUD-OUEST 1

Communes de langue française. Communes de langue basque.


Biarits (Biarritz) 2. Bidart.
Anglet, 1. Arbonne, 55.
Monerau (Monréjau?), 2. Arcangues, 56.
Bayonne. Bassussarry, 57.
Saint-Pierre Dirubé, 3. Arrauntz, 58.
Villefranque, 59.
Ici l'Adour sert de limite. Petit Mouguerre, 60.
Saint-Jean le vieux Mouguerre, 61.
Urt, 4. La Ronce, 62.
La Bastide Clerence (Clairence). Urcuit, 63.
Guiche, 5. Briscous, 64.
Bidache. Hanan; 65.
Came, 6. Ayherre, 66.
Arancon (Arancou), 7. Isturits, 67.
La Bastide de Béarn. Bardos, 68.

1. La carte est celle de l'Atlas National de Dumez. Elle a été envoyée par le préfet
Castellanne en 1806, elle se trouve dans B. N., Nouv. Acq. fr., 5913.
2. Nous suivons, dans cette liste, l'orthographe de la carte, sauf à mettre entre
parenthèses, quand cela est nécessaire, l'orthographe actuelle.
532 APPENDICE

Communes de langue française. Communes de langue basque.

Escos, 8. Oregue, 69.


Oras (Oraas), 9. Arraute, 70.
Abitain, 10. Charvillé, 71.
Athos, 11. Bergoney, 72.
Notivos, 12. Viellenave, 73.
Hte Vielle (Autevielle), 13. Biscay, 74.
Bideren, 14. Ilharre, 75.
Guinarthe, 15 Arbouet, 76.
Parenties, 16. Camou, 77.
St Gladie, 17. Osserin, 78.
Munein, 18. Gestas, 79.
Arrive, 19. Arberats, 80.
Tabaille, 20. Silleque, 81.
Espinte, 21. Domenzain (Domezain), 82.
Campagne, 22. Etcharry, 83.
Usquain, 23. Aroue, 84.
Monfort, 24. Olhaybi, 85.
Nabas, 25. Charitte Inférieure, 86.
Charre, 26. Andurem (Undurein), 87.
Lichos, 27. Araste (Arrast), 88.
Angous, 28. Larebieu, 89.
Sus, 29. Larrey, 90.
Gurs, 30. Moncayolle, 91.
Dognen, 31. Mendibien (Mendibieu), 92.
Orognen, 32. Lhopital, 93.
Prechacq de Navarreins, 33. Les Arembeaux, 94.
Préchacq de Josbaig, 34. Esquieulle (Esquiule), 95.
Geus, 35. Barcux (Barcus), 96.
Saint-Goen, 36. Paradis, 97.
Geronce, 37. Roquiague, 98.
Dous, 38. Saint-Etienne, 99.
Orin, 39. Sauguis, 100.
Moumour, 40. Trois-Ville, 101.
Leguignon (Legugnon), 41. Tardets.
Saint-Pé, 42. Restoue, 102
Féas, 43. Laguinge, 103.
Ance, 44. Montor, 104.
Lanne, 45. Haux, 105.
Aramits. Etchabar (Etchebar), 106.
Arrête (Arette), 46. Larrau, 107.
Issor, 47. Sainte Engrace, 108.
Lourdios, 48.
Sarrance, 49.
Notre-Dame-de-Sarrance, 50.
Osse, 51.
Atas, 52.
Lées, 53.
Lescun, 54.
534 APPENDICE

NOTES. I. Le pays basque renferme : 1° Tout l'arrondissement de


— —
Bayonne, excepté Bayonne, Anglet, Biarits, Monerau, Saint-Pierre Dirubé,
Urt, La Bastide de Clerence, Guiche, Comté, Bidache.
2° Tout l'arrondissement de Mauléon, excepté Sams, Arthous, Ordios,
Came, Arancon.
3° Esqieulles, qui est de l'arrondissement d'Oloron (Castellanne, 1806).
II. La ligne se termine au mont Arias, sur la Frontière d'Espagne

(Coq. de Mont., Ms. 721.255).
III. — Bayonne. — 1° On ne parle pas basque à Bayonne, on n'y entend
même pas cet idiome ; mais à Saint-Jean de Luz, le basque est la langue
vulgaire (Coq. de Montb., 721.250).
2° A une demi-lieue de Bayonne on parle basque, la plupart des habi-
tants ne comprennent pas le français.
3° Martori.
— Ce village parle
indifféremment basque et béarnois, mais
appartient au district basque (De Candolle, 1807, Coq. de Montb., 721.250).
4° On parle basque à Esquiule qui appartenait au Béarn et qui fait partie
de l'arrondissement d'Oloron. L'idiome béarnais n'est presque pas usité dans
cette commune.
5° Dans les communes de Montory, Rivareite, et Gestas, qui sont de
l'arrondissement de Mauléon et faisaient autrefois partie de la Soule, on
parle indistinctement béarnais et basque ; on croit que La Bastide de Clai-
rence a été formée par une colonie venue de Bigorre et que c'est par cette
raison que le gascon y est la langue dominante. Le basque n'est entendu
que par un petit nombre d'habitants de cette commune qui est cependant
fort avancée dans le pays basque.
6° Dans beaucoup de communes de langue française une partie des habi-
tants entend le basque (Coq. de Montb., 721, 254-256).
Pour donner à mon lecteur une idée de la manière dont Coquebert de
Montbret interprétait les documents qui lui étaient envoyés, je reproduirai
ici intégralement la lettre, adressée par le Général de Brigade Préfet des
Basses-Pyrénées, en même temps que la carte :
« Mgr. J'ai reçu la lettre que Votre Excellence m'a fait l'honneur de
m'écrire le 7 de ce mois pour me charger de lui faire connaître la ligne qui
sépare la langue basque de la langue française. Je me suis empressé de
faire tracer sur la carte ci-jointe cette séparation par une ligne brune qui
commence à Handaye, et se termine au mont Arlas sur la frontière
d'Espagne.
« V. E. remarquera que la commune d'Esquiule qui appartenait au Béarn
et fait aujourd'hui partie de l'arrondissement d'Oloron, a été portée en
dedans de la ligne. On y parle en effet la langue basque, et le béarnais n'y
est presque pas en usage. On ne pourrait guère indiquer les motifs de cette
singularité et il n'est pas plus possible d'expliquer pourquoi dans les com-
munes de Montoy, Rivareile et Gestas qui dépendent de l'arrondissement de
Mauléon et fesaient autrefois partie de la Soule,
on parle indistinctement
l'idiome Béarnais et la langue basque. Mais
on pense généralement que
c'est parce que Labastide de Clairence a été formée colonie venue de
la Bigorre que le gascon est la langue dominante et
par une
que le basque n'y est
seu que d'un petit nombre d'habitans, quoique cette commune soit fort
avancée dansle pays.
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 535

« Je n'ai pas besoin de faire remarquer à V. E. que l'extrême voisinage


ou des rapports d'intérêt font, que dans beaucoup de communes de la langue
française une grande partie d'habitans savent le basque. C'est là un effet
naturel des relations qu'ont entre eux des peuples voisins et qu'on apperçoit
dans toutes les frontières.
« Veuillez agréer... »
Une autre carte, jointe à celle que nous donnons indique la limite du
basque et de l'espagnol au delà des Pyrénées.
LIMITES DU FRANÇAIS A L'OUEST

MORBIHAN 1.

La ligne de division des deux langues commence aux salines d'Herbignac


le territoire du département de la Loire-Inférieure, traverse la Vilaine
sur
au-dessous de La Roche-Bernard. Elle suit le tracé suivant :
Communes de langue française. Communes de langue bretonne.

Herbignac, 1. Penestin, 21.


La Roche-Bernard. Camoil (Camoel).
Nivilliac (Nivillac), 2. Férel (Feret), 22.
Béganne, 3. Arzal, 23.
Caden, 4. Marzan, 24.
Limerzel, 5. Peaule.
Pluherlin, 6. Le Guerne, Trève (Le Guerno), 25.
Ploucadeuc (Pleucadeuc). Noyai Muzillac, 26.
Bohal, 7. Questembert.
Saint-Maurice 2, 8. Molac, 27.
Brignac, 9. Larré, 28.
Saint-Nicolas, 10. Elven.
Plumelec. Monterblanc, 29.
Billo, 11. Plaudren, 30.
Gueheno, 12. Saint-Jean de Brevelay, 31.
La Chapelle es Brieres (La Chapelle Saint-Alloueste (Saint-Allouestre), 32.
des Brières), 13. Moreac, 33.
Buleon, Trève, 14. Naizin, 34.
Radenac, 15. Ker Fourne, Trève, 35.
Reguiny. Noyal-Pontivy, 36.
Credin (Crédin), 16. Saint-Corand, Trève, 37.
Rohan. Croissanvec, 38.
Saint-Gauvry, 17.
Saint-Samson, 18.
Gueltas, 19.
Saint-Gonnory (Saint-Gonnery), 20.
Ici, la ligne entre dans le département des Côtes-du-Nord.
NOTES. — I.
— Les deux tiers du département sont bretons;
la partie
française comprend une partie des arrondissementsde Vannes et de Ploermel
plus la commune de Saint-Gonnery, qui est de l'arrondissement de Pontivy
(Lettre signée Julien, Préfet, 16 Juillet 1906).
1. La carte n'est pas dans le manuscrit de la Bibliothèque Nationale. N. Acq. fr.,
5913. J'ai fait photographier une carte d'un Allas conservé aux Archives Nationales.
C'est l'exemplaire que Napoléon avait dans ses bagages à Waterloo. J'y ai reporté les
indications que Coq. de Montbret avait transcrites d'après la carte fournie par le Préfet
Julien en 1806.
2. Entre Bohal et Brignac la liste porte Saint-Maurice qui ne se trouve pas sur la
carte que j'ai fait photographier, laquelle donne Saint-Guiomard. La carte de Gassini
indique La Chapelle-de-Bois.
538 APPENDICE

II. — Le Préfet, rectifiant la carte qu'il avait envoyée en Juillet, écrit le


31 octobre 1806. Il reconnaît « que le cours de là Vilaine sert effectivement
de séparation aux deux langues, mais il dit que, quoiqu'en effet la langue
française soit dominante à Penestin, Camoel et Servet, situés au sud de la
rivière, cependant on y parle aussi le breton, ce qui l'a déterminé à prendre
son point de départ des Salines d'Herbignac afin de n'omettre aucun des
lieux où le breton est connu » (Rouen, 721).

CÔTES-DU-NORD1.

Communes de langue française. Communes de langue bretonne.


Saint-Maudon, 1. Hemonstoir, 29.
Loudéac. Saint-Caradec.
Cadelac, 2. Saint-Connec, Trève, 30.
Trevé, 3. Saint-Guén, Trève, 31.
Grâces, Trève, 4. Vieux Marché, Trève, 32.
Saint-Thélo, 5. Merléac, 33.
Le Quillio, Trève, 6. Saint-Martin des Prés, 34.
Uzel. Corlay.
Allineuc, 7. Haut-Corlay, 35.
Le Bodéo, 8. Canihuel, Trève, 36.
Le Harmoet (La Harmoy), 9. Kerper, Trève, 37.
Lanfains, 10. Saint-Gilles Pligeaux, 38.
Saint-Bihy, Trève, 11. Coet-Maloen (Coat-Malaouen), 39.
Le Vieux Bourg, 12. Saint-Conan, Trève, 40.
Quintin. Senvenlehar (Senven Léhart), Trève,
Saint-Thurian, 13. 41.
Saint-Gildas, Trève, 14. Saint-Fiacre, Trève, 42.
Lezlay, Trève, 15. Saint-Pever, 43.
Cohiniac, 16. Lanrodec, 44.
Boqueho, 17. Plouagat, 45.
Plouvara, 18. Saint-Jean de Kerdaniel, 46.
Plerneuf, 19. Bringolo, 47.
Tremuson, 20. Goudelin, 48.
Chateau Laudren (Chatelaudren). Trezignau (Tressignaux), 49.
Plelo, 21. Treguidel, 50.
Trégomeur, 22. Kerstang, 51.
Lentie, 23. Plegnien (Pleguien), 52.
Benie, 24. Lanvollon.
Etables, 25. Lannebert, 53.
Plourhan, 26. Pludual, 54.
Saint-Quay, 27. Saint-Laurent, 55.
Trevenec (Treveneuc), 28. Plouha, 56.
Saint-Jean, 57.
Ici, la ligne aboutit à la mer. La partie bretonne renferme les arrondisse-
ments de Lannion et Guingamp, une partie de Saint-Brieuc et de Loudéac.
1. Cette carie se trouve dans le manuscrit B. N., Nouv. Acq., 5913. Elle est tirée de
l'Atlas National de Dumez. La partie française est coloriée bleu, la partie bretonne
en
en rouge. La carte a été envoyée par le préfet Boullé en 1806. C'est d'après elle que
Coquebert de Montbret a dressé la liste qui suit.
540 APPENDICE

NOTES. I. (Annuaire de l'an XIII). On parle breton dans les arron-


— —
dissements de Lannion et de Guingamp, dans la partie occidentale de celui
de Saint-Brieuc et dans quelques endroits de celui de Loudéac (Rouen, 721).
Le même manuscrit contient deux notes concernant l'une le Finistère,
l'autre la Loire-Inférieure. La première est peu importante; la voici: Dans
toutes les communes du département on parle les deux langues ; mais le fran-
çais domine dans les villes et le breton dans les campagnes (M. Derrien,
conseiller de préfecture, 1806).
La seconde concerne Batz et les environs : On ne parle breton que dans la
commune de Batz et quelques hameaux voisins, encore n'est-ce que parce
que leur commerce de sel avec la côte du Morbihan qui le reçoit leur a rendu
son usage en quelque sorte nécessaire, car d'ailleurs la langue françoise va
jusqu'à la Vilaine. Voilà ce que les commis de la Préfecture de Nantes ont
dit à Candolle. Depuis il y alla lui-même et trouva qu'à Pouliguen et au
bourg de Batz on parle français, mais que dans tous les villages voisins tels
que Rofia, Kergall, Kermoillon, etc., on parle breton et meme les enfans
savent à peine le français, les personnes faites parlent toutes les deux langues
et leur breton est à peine entendu de ceux de Brest et de Vannes (Can-
dolle, ms.).
LIMITES DU FRANÇAIS AU NORD ET A L'EST

DÉPARTEMENT DU NORD 1.

NOTES 2.
— 1° Dans l'arrondissement de Dunkerque, et dans celui d'Haze-
brouck, toutes les communes sont de langue flamande, à l'exception de trois
communes de l'arrondissement de Dunkerque, qui sont exclusivement de
langue francaise, savoir Gravelines (1), Loon (2) et Mardick (3), et de dix
communes de l'arrondissement de Hazebrouck qui sont pareillement uni-
quement de langue française, savoir Blaringhem (4), Boeseghem (5), Thien-
nes (6), Haverskerque (7), Merville (8), La Gorgue (9), Estaires, (10) Neuf-
Berquin(11), Steemverck (12) et Nieppe (13) (Rouen, 721, p. 31 ; cf. Bottin,
1806, Rouen, 721, 37).
A Holque et S. Momelin on parle aussi français, mais à ce qu'il paraît,
en concurrence avec le flamand
(Ib.).
2° La ligne de séparation des
deux idiomes commence sur le
bord de la mer, entre Gravelines
et Dunkerque 3 et elle contourne
(à peu d'exceptions près, que
nous venons d'indiquer) l'ancienne
province de la Flandre maritime
ou flamingante soumise à la
France.
La forêt de Nieppe près Armen-
tières est considérée comme for-
mant la séparation des deux
idiomes.
Dans l'arrondissement de Lille, il n'y a que la seule commune de Wer-
wick-Sud qui soit de langue flamande.
3° D'après une lettre du préfet du 13 septembre 1806, sur 671 com-
munes, 99 sont flamandes, 572 françaises (Rouen, 191. 152 v° ; cf. Bottin
1806).

1. La carte est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale sus-indiqué. Elle a été


dressée par Drappier, Ingénieur des Ponts et Ch. Des points intéressants y sont
marqués en rouge. Des noms de communes ont été ajoutés à la main sur la carte.
2. Ces notes sont tirées de B. N., 20080, et de Rouen, 721. L'auteur s'est servi
d'une lettre du préfet en date du 13 septembre 1806.
3. A Dunkerque et Gravelines, le français est presque la seule langue usitée
(De Halloy, Rouen, 721, 60).
542 APPENDICE

4° Le langage flamand commence à la sortie d'Armentières (Rouen,


721, 41).
5° L'arrondissement de Bergues comprend 59 communes; 4 seulement
ne sont pas de langue flamande : Gravelines, Holque, Mardick, S. Momelin
(Bottin, Rouen, 721, 9).
6° La langue flamande est d'usage depuis la rivière de l'Aa, dans les deux
districts de Bergues et de Hazebrouck, qui forment la Flandre maritime de
la France. A la campagne, on ne parle que flamand ; à Dunkerque, flamand
et français, on n'y imprime pas en flamand (Rouen, 721, 4).

DÉPARTEMENT DU PAS-DE-CALAIS.

NOTE.
— Les habitants des communes de Clairmarais, Ruminghem, des
fanbourgs de St-Omer... continuent de parler leur flamand corrompu. Ils
s'en servent avec le français qu'ils pratiquent plutôt que leur flamand (sic)
(Lettre du sous-préfet du 19 février 1807; Rouen, 721, 48).

DÉPARTEMENT DE LA LYS.

NOTES 1.
— L'idiome du pays est ce qu'on appelle vulgairement le flamand,
dénomination fort impropre, puisqu'on parle ce langage dans la presque
totalité des Pays-Bas. Cependant la langue française n'est ignorée que dans
les campagnes, encore la connaissance de cette langue fait-elle tous les jours
des progrès sensibles (De Viry, Préfet, Statist, in-f° 54; Rouen, 721, 32).
2° Le département est en entier de langue flamande, à l'exception de six
communesde l'arrondissementde Courtrai, savoir Dottignies(1), Espierres(2),
Herseaux (3), Luingne (4), Mouscron (5) et Reckem (6), dans lesquelles on
ne parle que français 2.
Les communes du même arrondissement de Courtrai où l'on parle concur-
remment flamand et français, sont Aelbeke (7), Autryve (8), Avelghem (9),
Bavichove (10), Belleghem (11), Beveren (12), Bisseghem (13), Bossuyt(14),
Caster (15), Coyghem (16), Courtrai, Dadizeele (17), Desselghem (18),
Gulleghem (19), Haerlebeke, Helchin (20), Heule (21), Ingelmunster (22),
Iseghem (23), Kerkhove (24), Lauwe (25), Marcke (26), Menin, Moorseele
(27), Rolleghem (28), Roulers, St-Genois (29), Sweveghem (30), Tieghem

(31), Vive-St-Eloi (32), Wacken (33), Waermaerde (34), Wevelgbem (35).

1. Ces notes sont tirées de B. N., 20080. Cf. Rouen, 721, 31-32. L'orthographe des
noms de lieux n'est pas, dans les notes des manuscrits, strictement conforme à l'ortho-
graphe des cartes. Devais-je l'y rapporter ? Ici il m'a paru plus expédient de remettre
ces noms sous la forme qu'ils ont actuellement d'après le Dictionnaire des Communes...
de Guyot frères, Bruxelles, 8°. Mes lecteurs pourront toujours retrouver dans les cartes
les anciennes façons d'écrire.
Pour les noms qui manquent au recueil de Guyot, j'ai suivi les cartes, et marqué les
noms d'un point en haut.
2. Une lettre du préfet Chauvelin, du 19 août 1806, disait : Reckem, Mouscron,
Luingne, Herseaux, et Dottignies (ms. 721, 38). Coquebert de Montbret préféré
suivre une note d'Hénissart (Ib., 36). a
La carte est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale. N. acq. fr. 5913. La partie
française y est teintée en rouge.
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 543

Les communes du même arrondissement de Courtrai où l'on parle exclu-


sivement flamand et où le français n'est compris que d'un petit nombre
d'hommes instruits, sont : Aerseele (36), Anseghem (37), Cachtem (38),
Caeneghem (39), Ceurne (40), Deerlyck (41), Denterghem (42), Hemelgem
(43), Gyselbrechteghem (44), Heestert (45), Hulste (46), Ingoyghem (47),
Ledeghem (48), Lendelede (49), Marckeghem (50), Meulebeke (51), Moen
(52), Oesselghem (53), Oostroosebeke (54), Ooteghem (55), Oyghem (56),
Rolleghemcappelle (57), Rumbeke (58), Vichte (59), Vive-St-Bavon (60),
Wielsbeke (61), Winkel-St-Eloi (62).
3° Dans l'arrondissement, 52000 habitants parlent français, soit exclu-
sivement, soit concurremment avec le flamand; 121 à 122 000 ne parlent
que flamand.
4° En venant de Lille, c'est à Menin que commence le flamand.

5° C'est la Lys qui sépare les deux idiomes. Dans l'arrondissement


d'Ypres, il se trouve quelques communes, où le français est plus usité que
le flamand : Messines, Neuve-Eglise (63), Warneton, Wytschaete (64), Bas-
Warneton (65), Commines, Hollebeke (66), Houthem-lez-Ypres (67), Zant-
voorde (68), Werwiq (B. N., 20080, 33; cf. Rouen, 721, 33. (Le rensei-
gnement vient de Henissart).
6° On parle flamand à Courtrai et à Menin, mais français à Tournai,
flamand à Enghien, Grammont... On trouve aussi cette langue pour la
première fois sur la route de Bruxelles à Hal.
7° Dans le canton d'Avelghem (Lys), on ne parle que flamand ; mais de
544 APPENDICE

l'autre côté de l'Escaut, on ne parle que français à Escanaffles (Jemmapes).


Il en est de même à Espierres sur la rive gauche de la même rivière (Van
Tieghem, juge de paix à Avelghem, 1807; Rouen, 721, 54).

DÉPARTEMENT DE JEMMAPPES.
(Actuellement province de Hainaut) 1.

1° Ce département est en totalité de langue française, à l'exception de


huit communes des cantons d'Enghien, de Lessines et d'Ellezelles, situés à
son extrême lisière, tout près du département de l'Escaut, qui est du pays
flamand.
2° A Enghien, les habitants sont flamands, mais les trois quarts parlent
les deux langues.
A Marcq, les cinq sixièmes sont flamands.
A Petit-Enghien, les deux tiers sont flamands.
A Hoves de même.
A St-Pierre Cappelle de même.
A Bievene, les cinq sixièmes sont flamands.
A Acren-St-Martin et St-Gérion réunies 2, les deux tiers sont flamands
(mais cependant le français domine) (?).
A Everbecq, la moitié est flamande (De Coninck, Autryve, 1896, B. N.,
5913).
3° A Ellezelles, on parle exclusivement français ; cependant, il s'y trouve
deux petits hameaux sur la frontière du département de l'Escaut, vers
Audenaerde, dont les habitants ont l'idiome flamand.
4° A Flobecq, on parle aussi exclusivement français, mais il s'y trouve un
hameau où l'on ne parle que flamand. Ce hameau est soumis pour la juri-
diction spirituelle à la commune d'Opbrakel, département de l'Escaut.
5° À Everbecq, l'idiome flamand est le plus usité, mais les gens instruits
savent le français.
6° A Wodecq, on ne connaît que la langue française (Lettre de M. Des-
mottes, juge de paix, 1807 ; Rouen, 721, 27).
Les autres communes voisines, où l'on ne parle que français, sont Wodecq,
Bassilly, Silly, Thoricourt, Steenkerque et Petit-Roeulx (B. N., 20080, 35).
Escanaffles. On n'y parle que français. La commune se trouve vis-à-vis le
canton d'Avelghem (Lys), qui est de langue flamande. De l'autre côté de
l'Escaut, c'est cette rivière qui sépare de ce côté les deux idiomes (B. N.,
20080, 33). Ces renseignements sont conformes à une note de Bricoult, juge
de paix (1807), qui, toutefois, ne mentionne pas Wodecq (Rouen, 721, 55).

DÉPARTEMENT DE L'ESCAUT 3.
(Actuellement province de la Flandre Orientale).
département est en entier de langue flamande, à l'exception de trois
1° Ce
communes de l'arrondissement d'Audenarde, limitrophes du département
1. Cette mention fait voir que Coquebert de Montbret travaille après 1815. Voir
ms. B. N., 20080, 35. Cf. 5913, 28.
2. Cette commune s'appelle en français les Acrennes (B. N., 20080).
3. Le département a 628 964 habitants, plus 7 464 militaires.
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 545

de Jemmapes, dans lesquelles on parle exclusivement français ou presque,


savoir : Orroir, Amougies et Russeignies.
Il y a très peu d'individus de langue flamande dans ces trois communes,
qui sont du canton de Renaix.
2° A Renaix même, le flamand domine ; une moitié seulement des habi-
tants parle exclusivement français. Un tiers parle les deux langues 1.
3° A Quaremont et Ruyen, le flamand est le plus usité. Un dixième seu-
lement des habitants de ces deux villages parle un peu français.
4° 11 est à remarquer que la Flandre hollandaise annexée par le gouver-
nement français au département de l'Escaut pour former l'arrondissement
d'Eecloo, en a été séparée par le gouvernement des Pays-Bas pour être unie
à la province de Zélande.

LISTE DES COMMUNES-LIMITES2.

DÉPARTEMENT DE LA DYLE 3.

Communes françaises. Communes flamandes.


*Stocquois, 1. *Warelles, 67.
Lestocou, 2. Petit Enghien, 68.
La bruier de Wisbecq, 3. *Staleeldriesch, 69.
Pont à Wisbeq, 4. *Ham, 70.
*le Sarliau, 5. *Mussain, 71.
*Bierghes, 6. Honsocht, 72.
* Saintes, 7. Lembecq, 73,
Ernelle, 8. *Wogerberg, 74.
Ophain, 9. Malay (Hal).
*Tubize, 10. Rodenem, 75.
Glabbeek, 11. Schembeck, 76.
*Plasmar au flasment, 12.
Landuit, 13.
Courte au bois, 14.

Ensuite, la ligne de division traverse le bois de Hal et la forêt de Soigne.

1. Les notes 1 et 2 sont données d'après les renseignements de M. Fostier,


juge de paix. Elles ont été transmises par Beyens, sous-préfet, en 1807 (Rouen, 721,
17 et 57).
2. Un astérisque remplace un signe placé par Coquebert de Montbret pour indiquer
les communes les plus voisines de la limite. Je rappelle que le point en haut à la suite
du nom indique la forme donnée par les cartes. M. le professeur Haust, de Liège, qui a
bien voulu revoir les épreuves de ce travail, m'a fourni un certain nombre d'identifi-
cations qui sont ajoutées entre crochets, ainsi que les autres renseignements que je lui
dois.
3. La carte est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale. Elle a été gravée à
Bruxelles par Maillart et Soeur (an VIII). La limite y a été tracée à la main.
Aucune lettre d'envoi n'accompagne la carte, mais une note en marge nous avertit
qu'elle a été envoyée par le préfet Chaban, le 17 juillet 1806, et qu'il en garantit l'exac-
titude Une « ligne à l'encre rouge laisse au Sud les communes où la langue française
est seule en usage » (Cf. Rouen, 721, 69-72 et B. N., 20080, 36).
Histoire de la langue française. IX. 33
546 APPENDICE

Communes françaises. Communes flamandes.

Basse noucelle, 15. Tourneppe, 77.


Andegin, 16. *Rieler, 78.
Sartmoulin, 17. * Prieuré de 7 fontaines, 79.
*l'Ermite, 18. Alsemberg, 80.
Le Straye, 19. Rhode, 81.
Le Chenoi ou Revelinge, 20. Den Hondt, 82.
Le Mesnil, 21. Grand Espinette, 83.
*Waterloo, 22. Lausrode, 84.
Joli bois, 23. Bregtenbroek, 85.
Le Roussart, 24. Prieuré de Groenendael, 86.
*Gaillemarde, 25. Hoeylaert, 87.
Annonsart, 26. Terheyden, 88.
*Longue queue, 27. Vlierbeek, 89.
*La Hulpe, 28. *Malaise, 90.
*Ter Holst, 29. Overyssche ou Isque, 91.
*Rosières cense du hat, 30. Derdeck [Terdek], 92.
*Rosières, 31. Tombeek, 93.
Rixensart, 32. * Cense du templier, 94.
*Chambre [Champles], 33. Byland [Bilande], 95.
Bierges, 34. *Ottenbourg, 96.
Wavre.
La Bawete, 35.
Stadt, 36.
N. D. de bas Wavre, 37.
Gastuche, 38. * Cense ,
rouge 97.
*Laurensart, 39. *Clabeek, 98.
*Del Motte [La Motte], 40. *Abbaie de Florival, 99.
* Archennes, 41. Neipoten [Neerpoorten], 100.
*Malaise, 42. Terlaen [Terlaenen], 101.
*La Chaussée, 43. Wolfshoven [Wohlshagen], 102.
*Pecrot, 44. *Tweenberg, 103.
*Nethen, 45. *Rhode-Ste-Agathe (St Achtenrode),
*Wez, 46. 104.
*Hamme, 47. Beaumont, 105.
*Abbaye de Valduc, 48. Weert, 106.
*Mille, 49. forêt de Molendael (en entier).
*Beauvechain, 50. Denolm [lire den Olm ?], 107.
*Les (trois) Burettes, 51. Soet Waeter [Eaux douces], 108.
* L'Ecluse, 52. Maria Magdalena Vaelbeek, 109.
La Tourette, 53. Blanden, 110.
Sclimpré, 54. Roode Cappel [Chapelle Rouge] 111.
Wahenges, 55. Molendael, 112.
Saint-Remy Geest, 56. *Durdu, 113.
Geest Sainte-Marie, 57. Opvelp, 114.
Geest Saint-Jean, 58. Houxem- [Honsem], 115.
*Zetrud-Lumay, 59. Babelom, 116.
Meldert, 117.
Hatem [Hautem-S.-Catherine],118.
548 APPENDICE

Communes françaises. Communes flamandes.


Nerm, 119.
*Hougaerde, 120.
*Pietremal [Piétremeau], 60. Bellikom 121.
,
Pietrain, 61. Overlaer, 122.
Herbais, 62. Tirlemont.
Noduwez, 63. Rommersom, 123.
*Hampteau, 64. Angaerde [Autgaerden], 124.
Libertange, 65. Ast, 125.
Linsmeau, 66. Goidsenhove ou Gossoncourt, 126.
*Chapeauveau, 127.
Op-Heylissem, 128.
Abbaye d'Heylissem, 129.
Neer-Heylissem, 130.
Ici, la ligne entre dans le département de l'Ourthe.
environ deux tiers de langue
NOTES.
— 1° Ce département est pour
flamande et un tiers de langue française.
Dans l'arrondissement de Bruxelles, la moitié des communes parle flamand
et l'autre français. Dans celui de Louvain, la très grande majorité des com-
munes est du pays flamand.
Dans celui de Nivelles (anciennement Brabant Wallon), presque toutes
parlent français.
2° L'arrondissement de Nivelles est tout wallon, excepté les environs de
Perinnes et de Vollezeel et les deux endroits de la cense du Templier. La
route de Hal à Enghien fait la limite entre Bierghes et Ham.
3° Dans Bruxelles même, on parle plus français que flamand, dans la rue
haute et ses contours, la ville haute et les marchés, tandis que le flamand
domine vers le canal, la porte de Schaerbeek, celle de Louvain 1.
4° Laeken. — Au village de Saint-Gille, on ne parle que le flamand, et,
à deux lieux de là, en suivant la même route, à Waterloo, on ne parle que
français. Boschwort [Boits fort], Den Ren (?) qui ne sont qu'à une heure de
Waterloo, sont de langue flamande. La forêt de Soignes ne fait-elle pas la
séparation ? (Coquebert de Montbret, 721, 21).
5° Le dictionnaire des départements réunis dit :
« La langue flamande est la seule usitée dans les arrondissements de
Bruxelles et de Louvain, à l'exception de la ville de Bruxelles, où l'on est en
quelque sorte plus familiarisé avec la langue française. Dans l'arrondissement
de Nivelles, au contraire, le langage ordinaire est le wallon.
« L'arrondissement de la sous-préfecture de Nivelles comprend Braine-
l'Alleud, Genappe, Herinnes, Jauche, Jodoigne, Mellery, Nil-Saint-Martin,
Perwez, Tubize, Wavre ».

DÉPARTEMENT DES DEUX-NÈTHES.

Ce département est tout entier de langue flamande, sans aucune exception.


1. Le manuscrit 20080 ajoute : " Les classes supérieures de la Société de cette ville
affectionnent l'usage du français, tandis que le flamand est le langage de celles qui
se
livrent à l'industrie et au commerce ».
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 549

DÉPARTEMENT DE
LA MEUSE INFÉRIEURE.
(Actuellement province de Limbourg) 1.

NOTES.
— 1° Ce département est en entier de langue flamande, à l'exception
de quelques communesde la lisière méridionale qui sont françaises wallonnes
(B. N., 20080, 38).
Les communes de Lanaye (1), Emale (2), Eben (3), Wonck (4), Bassenge
(5), *Herstappe(6), et *Otrange(7), Roclenge (8), sont les seules où l'on
parle exclusivement wallon. Dans celle de *Heur-le-Tiexhe, *Lowaige (9),
*Russon (10), on parle concurremment wallon et flamand, et aussi, à
ce qu'il
paraît, dans celle de Hallembaye 2.
2° Le canton de Tongres est composé de vingt-six communes toutes fla-
mandes (excepté les deux de Herstappe et d'Otrange sus-dénommées 3).

3° La commune d'Urmond, située sur la Meuse, dépendait du départe-


ment de la Roer. Van Alpen l'avait indiquée comme wallonne, c'est une
erreur, écrit le préfet, Alexandre Lameth, le 5 août 1806. Il n'y a que sept
ou huit familles de bateliers liégeois qui s'y sont établies il y a plusieurs
années, qui parlent encore wallon entre eux, et sont du reste obligés de
parler le flamand avec les autres habitants, dont c'est l'unique langue
(Rouen, 721, 10; cf. B. N., 5912, 124).

DÉPARTEMENT DE SAMBRE-ET-MEUSE.

Il est entier et sans exception de langue française (B. N., 20080, 40).

1. La carte est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale. Elle est de A. Limozin. La


partie française a été colorée en jaune. La mention qui suit entre parenthèses marque
après quelle date se place la rédaction des notes.
2. Roggieri, en 1807, disait que dans les communes marquées * on parle exclusive-
ment wallon (Rouen, 721, 52).
3. D'après une note de Vanderlinden, 1807. Rouen, 721, 53.
550 APPENDICE

DÉPARTEMENT DE L'OURTHE.

Une première carte avait été envoyée par le préfet. Nous ne l'avons plus.
En effet, le 16 juillet 1806, le Secrétariat du Bureau de Statistique envoyait
au Ministre de l'Intérieur, sous la signature du préfet de l' « Ourte », une
lettre où il était dit :
« J'ai l'honneur d'adresser à votre
Excellence, conformément à sa lettre
du 30 juin, la carte de ce département, sur laquelle j'ai fait tracer la ligne
qui sépare les langues allemande et flamande de la langue françoise ».
Comme la carte n'indiquait pas les limites du département, le préfet les
marquait.
Cette carte n'est pas dans le dossier. Mais nous savons :
1° Qu'on y avait tiré une ligne AB, se dirigeant de l'Ouest à l'Est, et
passant de Pellaines à Houtain. Elle « sépare, disait-on, la langue flamande
de la langue françoise dans la partie de ce Département qui touche à ceux
de la Dyle et de la Meuse inferieure. Landen est un chef-lieu d'un canton
dans lequel on ne parle que la langue flamande ».
2° La « ligne brisée CDE, allant du Nord vers le Sud-Est, passant par
Fouron, Henri-Chapelle, Baelen et Membach, qui sépare, dans cette partie,
la langue allemande (mauvais dialecte d'Aix-la-Chapelle et de Cologne) de
la langue française ».
3° Enfin la ligne « EFG, passant à Schophem, Deidenberg, Recht, et
Aldringen (Audrange), qui sépare la langue allemande de la langue fran-
çaise ».
Ainsi, « à l'exception de la seule commune de Rosoux, où l'on ne parle
que flamand, la langue françoise, disait-on, est la seule qui soit parlée et
écrite dans l'arrondissement de Liège ».
4° « Dans la moitié de l'arrondissement de Malmédy, comprise entre la
ligne brisée CDEFG et la limite des deux autres arrondissemens, l'on ne
connoit que la langue françoise et, dans l'autre moitié comprise entre la
ligne CDEFG et les limites des Départemens de la Meuse inférieure, de la
Roer, de la Sarre et des Forêts, on ne connoit que la langue allemande ».
5° « Enfin, dans l'arrondissement de Huy, il n'y a que la partie du canton
de Landen, bornée par la ligne AB, où la langue flamande soit la seule
connue ».
Le Ministre répondit le 4 août 1806 qu'on n'avait pas bien compris ses
désirs : « La ligne de démarcation comprend des parties droites. Par la
nature des choses, elle ne peut être que sinueuse, même sur l'espace le plus
court. Il veut un tracé qui laisse d'un côté toutes les communes de langue
française et de l'autre celles où les dialectes allemands sont le plus en usage ».
Et il renvoie la carte au préfet 1.
Une nouvelle carte fut dressée. C'est celle qui est conservée dans le
ms. 5913. Nous n'avons pas la lettre qui l'accompagnait, mais nous savons
qu'elle a été envoyée le 28 novembre 1806 (Rouen, 721, 78). C'est une carte
de Ph. J. Maillart et Soeur, datée de l'an XII.
Les difficultés n'étaient pas toutes résolues par là. En effet, la carte
ne
concordait pas absolument avec les renseignements fournis
par le sous-préfet
1. Arch. N., F17 A (1209-1211).
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 551

de Malmédy. Elle porte au dos une note de Coquebert de Montbret ainsi


conçue : « La ligne noire est tracée par le préfet, la ligne rouge est prise
d'une carte envoyée par le sous-préfet de Malmédy, qui en garantit l'exacti-
tude, et donne la liste des communes ».
Je rapporterai successivement les indications du préfet (1) et du sous-
préfet (II).

Communes françaises. Communes flamandes.


Petit-Hallet, 1. Pellaines 1, 105.
Grand-Hallet, 2. Lincent, 106.
Avernas-le-Bauduin, 3. Racour (Raedtshoven), 107.
Bertrée, 4. Wamont, 108.
Cras-Avernas, 5. Wezerein, 109.

Trognée, 6. Houtain-l'Eveque, 110.


Boëlhe, 7. Montenaeken(Meuse Inférieure), 111.
Crenwick, 8. Corthys » » , 112.
Berloz, 9. Verrea » » , 113.
Bettincourt, 10.
Oleye, 11. Fresin » , 114.
»
Lantremange, 12. Rosoux , 115.
Bergilers, 13. Corswarem (Meuse Inférieure), 116.
Grandville, 14. Hasselbroeck » » , 117.
Lens-sur-Geer, 15. Roclenge » » , 118.
Oreye, 16. Neer-Heers » » , 119.
Otrange (Wouteringen), 17. Op-Heers » »
, 120.
Herstappe (Meuse Inférieure), 18. Tongres » »
Heur-le-Tiexhe
Hallembaye
» »
19.
Fouron-le-Comte, 121.
Schophem, 122.
» » ,

1. [Pellaines, Lincent, Rocour sont aujourd'hui communes wallonnes.]


552 APPENDICE

Communes françaises. Communes flamandes.

Loen, 20. Fouron-Saint-Martin, 123.


Lixhe, 21. Ulvend, 124.
Navagne, 22. Rrutzenberg., 125.
Mouland, 23. Fouron-Saint-Pierre, 126.
Merchault (Meuse Inférieure), 24.
Visé.
Berneau, 25.
Bombaye, 26.
Warsage, 27.
Neufchateau.
Conincks Heyde 28. , Planck, 127.
Knuppelstok, 29. Teuven, 128.
Saint-Jean-Sart, 30. Hugelstein 2 (Bois du Roi) 129. ,
Abbaye de Val Dieu, 31. Sinnich, 130.
Altena 32. Op-Sinnich, 131.
Remersdael, 132.
Donsart 33., Riesbrugge , 133.
Kruten Straete 34. , Aubel, 134.
Gorhez, 35. Densuellen 135.,
Krutz Beuck 36., Roebroeck, 136.
Tergreete, 37. Slaegboom, 137.
Messitert, 38. Le Welde [Velden (Aubel)], 138.
Hesselle, 39. Morshoff [Maashoff], 139.
Renoupré, 40. Ondort, 140.
Hell, 41. Neuve-cour, 141.
Roisleux, 42. Florence (Clermont), 142.
Froidthier, 43. Bruyères, 143.
Mignerie [Minerie], 44. Alaubhay 3, 144.
Blockhouse, 45. ,
Delvoye 145.
Crawliez, 46. Birven, 146.
Clermont (sur-Berwinne), 47. Henri-Chapelle, 147.
Boishainam 48. , ,
Couton 148.
Lohirville, 49. Hockelbach, 149.
Grinho [forêt de Grunhault], Lantzenberg, 150.
Le Sode [La Saute], 51. Welkenraedt, 151.
Villers, 52. Heggen, 152.
Houjoux [Hoyoux (Bilstain)], 53. Honthen, 153.
,
Herve 54. Nereth, 154.
Limbourg. Baelen (lez-Limbourg), 155.
Runschen, 55. Mazarinen, 156.

1. [Voyez, dans le Bulletin de la Soc. liég. de Litt. wallonne (1864), t. 7, 2ç fasc.,


pp. 1-8, une étude sur la frontière linguistique passant par la commune d'Aubel. Une
carte y mentionne Altena, Donsart et Crutsbeuck comme dépendances d'Aubel. Kruten
Straete n'y figure pas, non plus que Hell ; mais on y trouve un Moulin d'Iffiel (lire ifiè,
altéré du wallon archaïque èfié " enfer »), qui est sans doute le même lieu dit Hell
(= nécrl. hel « enfer »).]
2. [Lire Hagelstein, dépendance d'Aubel.]
3. [En wallon a l'aub'hê
route ».]
= « à l'arbrisseau ». Delvoye est le wallon
dèl vôye de la
«
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 553

Communes françaises. Communes allemandes.


Goé, 56. Hunnange, 157.
Blanche Fontaine, 57. St-Vith.

Cartouville. Rodt, 158.


Neuville, 58. Hindershausen, 159.
Crombach, 160.
Weisten, 161.
Ici la ligne entre dans le département des Forêts.
554 APPENDICE.

Communes françaises. Communes allemandes.


Commanster, 59. Braunlauf, 162.
Rogery, 60. Maldange, 163.
St-Martin, 61. Audrange, 164.
Bochholtz ou Behault, 62. Deiffen, 165.
Hourth, 63. Lengeler, 166.
Gouvy, 64.

II

Le 18 novembre 1806, le sous-préfet de Malmédy écrit au Ministre. Il


envoie la carte où il a tracé « avec l'exactitude mathématique la ligne de
séparation des idiomes wallon, allemand et flamand ». Voici la liste qu'il
donne des communes limites.

Communes françaises. Communes flamandes.

Merchault (Meuse Inférieure), 24. Fouron-le-Comte, 120.


Visé. Schophem, 121.
Berneau, 25. Warsage, 27.
Bombaye, 26. Conincks Heyde 28. ,
Dalhem, 66. Knuppelstock, 29.
Nuborg, 67. St-Jean Sart, 30.
Elbane, 68. Abbaye de Val-Dieu, 31.
Mortroux, 69. Altena, 32.
Neufchateau. ,
Donsart 33.
Wademont, 70. Goirhez, 35.
La Heusière, 71. Krutz Beuck 36. ,
Mouhain, 72. Tergreete, 37.
Morshoff, 138.

76.
Asse, 73.
Lombrone, 74. ,
Sur le Trieux 167.
Wideleux, 75.
Cerfontaine,
Messitert, 38.
Hesselle, 39.
Renoupré, 40.
Hell, 41.
Roisleux, 42.
Froidthier, 43.
Blockhouse, 45. ,
Florence 142.
Crawhez, 46. Bruyères, 143.
Clermont, 47. ,
Alaubhay 144.
Boishainam 48. , ,
Delvoye 145.
Lohirville, 49. Henri Chapelle, 147.
Le Sode 51. , Hockelbach, 149.
Villers, 52. Wilcourt-Heyde, 168.
,
Herve 54. ,
Grinho 50.
Limbourg. Houjoux 53. ,
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 555

Communes françaises. Communes flamandes.


Goé, 56. Lentzenberg, 150.
Pierresse, 77. Honthen 153.
,
Bois de Goé. Heggen, 152.
Bois de Jalhay. Baelen (lez-Limbourg), 155.
Jalhay, 78.
Espiester [Herbiester], 79. Runschen, 55.

Charneux, 80.
Communes allemandes.
Solwaster, 81.
Passe, 82. Membach, 169.
Coque en Fagne [Cokaifange], 83. Forêt de Hertogenwald.
Baron Haye [Baronheid], 84. Bois Claysberg.
Ster, 85. Bois de Monta.
Burnenville, 86. Bois de Calbour.
Sur le Tier 87. Sourbrodt 1, 170.
Bevercé, 88.
,
,
Andrifosse 171.
Mont. 89. Bois de Weversée.
Xhoffraix, 90.
Longfaye, 91.
Theine 92.
,
Ovifat, 93.
Robertville, 94.
Champagne, 95. Weywertz (Weversée), 172.
Faymonville, 96. Butgenbach ou Bullenge, 173.
Reimonval 97. , Schoppen, 174.
Stembach [Steinbach], 98. Möderscheid, 175.
Oudenval, ,99. Mirfeld, 176.
Ligneuville, 100. Eibertingen (Ebertange), 177.
Le Pont 101. Iveldingen (Iveldange), 178.
,
Montenau, 179.
Deidenberg, 180.
Born, 181.
Laidevaud , 102. Recht, 182.
Petit-Hier [Petit-Thier], 103. ,
Obert Emmels 183.
Blanche fontaine, 57. Rodt, 158.
Burtonville, 104. Hindershausen, 159.
Neuville, 58. Weisten, 161.

Département des Forêts


Commanster, 59. Braunlaut, 162.
Rogery, 60. Maldange, 163.
Cierreux, 65. Aldringen (Audrange), 164.
St-Martin, 61. Bochholtz ou Beho, 62.
Gouvy, 64. Hourth, 63.
Deiffen, 165.
Lengeler, 166.

1. [Aujourd'hui commune wallonne. |


556 APPENDICE

A cette carte était joint un état nominatif des 84 communes de l'arrondis-


sement, réparties par langues 1.
Cet état est conservé dans le manuscrit 5913. Le voici :

Noms des communes. Français. Allemand. Flamand.


Amel fr. a. —
Andrimont fr. — —
Arbrefontaine fr. — —
Aubel fr. —

......

Baelen fl.
— —
Basse-Bodeux. fr. —

Beho fr. — —
Bellevaux fr. — —
Bilstain fr. — —
Bovigny. fr. — —
Bra fr. — —

Call
Bullenge a.
— —
Butgenbach a.
— —
— a. —
Chevron fr. — —
Clermont fr. — —
Cornesse fr. — —
Crombach a. —

Cronenborg — a. —
Dalheim a.
— —
Dison fr. — —
Ensival fr. — —
Eupen fl.
— —
Eynatten — fl.

Fosse fr. — —
Fouron-St-Martin — fl.

Fouron-St-Pierre — fl.

Francorchamps fr. — —
Gemmenich fl.
— —
Gleize fr.
. — —
Goé fr. — —
Grand-Halleux fr.
Grand-Rechain — —
fr. —
Halschlag —
— a.
Hellenthal a.

Henri-Chapelle fl.
Hergenrath — —
— — fl.
Hodimont fr.
Hombourg —
— — fl.
Jalhay fr.
Julémont fr.
Kettenis fl
...

1. Arch. N., F17A 1209. Le présent tableau été dépouillé


par Coquebert de Mont-
bret (voir ms. 20080, qui reproduit la lettre dea M. de Périgny).
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 557

Noms des communes. Français. Allemand. Flamand.


Lambermont fr.
— —
Lierneux fr. — —
Limbourg fr. — —
Lommersweiler — a. —
Lontzen — — fl.
Malmedy fr. — —
Membach — fl.

Meyerode
Montzen
Moresnet

— — a.
fl.
fl.
— —
Neufchâteau fr. — —
Olne fr. — —
Petit-Rechain fr. — —
Raeren — — fl.
Rallier fr. — —
Recht — a. —
Reid(La) fr. — —
Reuland .1 — a. —
Sart fr. — —
St-Vith — a. —
Schleyden — a. —
Soiron fr. — —
Spa fr. — —
Staumont [Stoumont]. fr. — —
Stavelot fr. — —
Steffler — a.
Stembert
Teuven.
Theux
Thommen
.... ... fr.

fr.




a.

11.



Undenbredt — a. —
Verviers fr. — —
Viel Salm fr. — —
Wane [Wanne] fr. — —
Wegnez fr. — —
Welkenraedt fl.
— —
Waimes fr. — —
Wolfsheide — a. —
Xhendelesse fr. —
Fait à Malmédy le 17 novembre an 1806. — PÉRIGNY.

1. [Aujourd'hui dépendance d'Aubel].


558 APPENDICE

DÉPARTEMENT DES FORÊTS 1. COMMUNES-LIMITES.



Communes françaises. Communes allemandes.

Gouvy, 1. Nieder-Besslingen ou Bas Bellain, 39.


Limerlé, 2. Hachiville, 40.
Rettigny, 3. Asselborn, 41.
Sommerain, 4. Boegen (Boevange), 42.
Taverneux, 5. Brachtenbach, 43.
Houffalize. Oberwampach, 44.
Cowan, 6. Eschweiler ou Gelborn, 45.
Tavigny, 7. Winseler, 46.
Boeur, 8. Doncols, 47.
Hardigny, 9.
Wicourt, 10.
Neuf Moulin.
Mabompré, 11.
Vellereux, 12.
Compogne, 13.
Noville, 14.
Longvilly. 15.
Harzy, 16.
Wardin, 17. Tarchamps, 48.
Assenois, 18. Harlange, 49.
Hompré, 19.
Villers-la-bonne-eau, 20. Surre (Syr).
Sainles, 21. Boulaide, 50.
Hollange, 22. Tintange, 51.
Warnach, 52.
Strainchamps, 23. Bondorf ou Bigonville, 53.
Menufontaine, 24. Bodange, 54.
Hotte, 25. Fauvillers 2.
Witry, 26. Wisembach, 55.
Anlier, 27. Martelange, 56.
Habay-Ia-Neuve, 28. Volwelange, 57.
Habay-la-Vieille, 29. Holtz, 58.
Villers-sur-Semoy, 30. Obercolpach, 59.
Ste-Marie, 31. Attert, 60.
Etale. Schodeck, 61.
Vance,32. Nobressart, 62.

1. Le 30 août 1806, le préfet avait envoyé la carte demandée le 30 juin et réclamée


le 23 août. Le ministre en a accusé réception le 15 septembre (A. N., F17A, 1209).
Mais Coquebert de Montbret nous avertit qu'elle a été distraite pour être mise dans le
Carton des Vignes. Elle ne s'y trouve plus.
M. Funck, archiviste à Luxembourg, sur la prière de M. Esch, professeur à
l'Athénée, — je les remercie ici tous deux — a bien voulu en rechercher la minute,
mais ne l'a pas retrouvée. Les croquis sont faits d'après la carte donnée par l'Atlas,
auquel j'ai déjà eu recours plus haut. Voir p. 536.
2. [Fauvillers est wallon, mais il a des sections de langue allemande (Bodange et
Wisempach)].
560 APPENDICE

Communes françaises. Communes allemandes.


Châtillon, 33. Thiaumont, 63.
St-Léger, 34. Hachy, 64.
Bleid, 35. Fouché, 65.
Signoulx, 36. Arlon.
Mussy-la-Ville, 37. Toernich, 66.
Musson, 38. Habergy, 67.
Meix-le-Tige.
Rachecourt, 68.
Halanzy 1, 69.
NOTES. 1° La partie allemande, dit La Coste en 1806, comprend les

arrondissements de Luxembourg, Diekirch et Bitbourg en entier et une
petite partie de celui de Neufchâteau, savoir : les communes de Rachamp,
Tarchamps, Harling, Surret, Boulaide, Tintange, Bondorf ou Bigonville,
Varnach, Bodange, Fauxvillers, Wisembach, Martelange, Volwelange,
Hachy. Il annonce avoir écrit au sous-préfet de Neufchâteau pour connaître
la démarcation dans son arrondissement. Le ministre remercie. Il demande
la traduction de l'Enfant prodigue en wallon des environs et en allemand
d'Eupen. Il a à coeur de connaître et de comparer tous les dialectes de l'Em-
pire. Il a fait reporter les indications fournies sur la grande carte de Ferraris.
Le 24 juin 1807, le sous-préfet envoie le tableau que nous donnons ci-après.
Le ministre accuse réception le 13 juillet.

ARRONDISSEMENT DE NEUFCHÂTEAU.

Tableau des communes où l'on parle allemand et de celles où la langue


française est d'un usage général 2.

Noms des communes où l'on parle


Canton. Mairie. allemand. français.
Bastogne Bastogne Bastogne

Isle-de-Pré
Hemroulle
Savy
Lusery
Bizori
Nette
Mont
Marvie

Bertogne Bertogne

Bethomont
Rahimont

1. Les trois dernières sont aujourd'hui wallonnes.]


2. Ce travail a été sinon fait, du moins transcrit extrême négligence. Nous
avec une
avons dû y faire de nombreuses corrections. Ainsi de Fays-les-Veneurs on avait fait
trois localités !
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 561

Noms des communes où Von parle :


Canton. Mairie. allemand. français.
Bastogne Boeur Boeur

(suite) Buret
Vandebourcy

Compogne — Compogne

Givry — Givry

Givroulle — Givroulle
Trois Monts
Gives
Frenet
Berhain

Harzy — Harzy
Benonchamps
Mageret
Longchamps —
Longchamps
Monaville
Witbimont
Rollé
Champs
Flamisoulle
Menil-Fays

Longvilly —
Longvilly

Mabompré — Mabompré

Mande-St-Etienne — Mande-St-Etienne

Noville — Noville
Cobru
Bourcy
Recogne
Vaux

Rachamps — Rachamps
Hardigny
Wicourt

Wardin —
Wardin
Bras

Vellereux — Vellereux
Engreux
Bonnerue

Histoire de la langue française. IX.


562 APPENDICE

Noms des communes où l'on parle :


Canton. Mairie. allemand. français.
Etalle Anlier — Anlier
Vlessart
Louftémont
Behême

Bellefontaine — Bellefontaine
La Hage
St-Vincent

Chatillon — Chatillon

Etalle — Etalle
Lenclos
Sivry
Buzenol
Nantimont
Habay-la-Neuve — Habay-la-Neuve
Châtelet
Bologne

Habay-la-Vieille — Habay-la-Vieille

Hachy Hachy

Fouche
Sampont
Rossignol — Rossignol

Rulles — Rulles
Marbehan
Houdemont
Sle-Marie — Ste-Marie
Fratin
Tintigny — Tintigny
Breuvanne
Ansart
Poncelle
Le Menil

Vancc Vance

Chantemelle

Villers-sur-Semois Villers-sur-Semois

Mortinsart
Orsainfaing
Harinsart
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 563

Noms des communes où l'on parle :


Canton. Mairie. allemand. français.
Fauvillers
Bigonville Bigonville

Romeldange

Boulaide Boulaide
Ebly
- Ebly
Chêne
Vaux-lez-Chêne
Maisoncelle
Fauvillers Bodange Fauvillers 1

Wisembach Hotte
Menufontaine
Hollange Hollange

Honville
Lescheret Lescheret

Martelange Martelange —
Perlé
Radelange
Gremelange
Neufperlé
Remoiville — Remoiville
Chaumont
Strainchamps — Strainchamps
Burnon

Surre Surre (Syr) —


Tintange Tintange —
Cel 2

Witry — Witry
Traimont
Volaiville
Winville

Wolwelange Wolwelange —
Parette
Warnach Warnach —

1. Dans la liste des communes-limites, cette localité est portée comme allemande.
[Voir p. 558, n°2.]
2. [Lire OEil, dépendance de Tintange].
564 APPENDICE

Noms des communes où l'on parle :


Canton. Mairie. allemand. français.
Florenville Les Bulles Les Bulles

Ste-Cécile Ste-Cécile

Conques
Chassepierre — Chassepierre
Laiche
Mesnil
Azy

Chiny — Chiny

Lacuisine —
Lacuisine

Fontenoille —
Fontenoille
Florenville —
Florenville
Jamoigne —
Jamoigne
Prouvy
Romponcel
Valansart

Izel Izel

Pin
Martué

Martué

Moyen Moyen

Muno Muno

Lambermont
Watrinsart
Suxy Suxy

Tennes Tennes

Frenois

Villers-devant-

Villers-devant-
Orval Orval

Houffalize Bihain Bihain



Fraiture
Régniez
Petites-Tailles

Chérain Chérain

Slerpigny
Brisy
Vaux
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 565

Noms des communes où l'on parle :


Canton. Mairie. allemand. français.
Houffalize Cowan Cowan

(suite) Vissoule
Alhoumont

Gouvy Gouvy

Houffalize Houffalize

Limerlé — Limerlé
Steinbach
Liherain
Rouverois

Mont — Mont
Dinez
Wilogne

Mont-Le-Ban Mont-Le-Ban

Lomré
Baclain
Langlière

Ollomont Ollomont

Nadrin
Tilly

Ottré Oltré

Hébronval

Rettigny Rettigny

Sommerain Sommerain

Tailles (Les) Tailles (Les)

Fond
Chabreheid
Pisserotte

Taverneux Taverneux
— Fontenaille

Tavigny Tavigny

Cetturu
Goniprez

Wibrin Wibrin

Mormont
Achouffe
566 APPENDICE

Noms des communes où l'on parle :


Canton. Mairie. allemand. français.
Neufchâteau Assenois Assenois

Bernimont
Sart
Cousteumont
Fossés (Les) — Fossés (Les)
Habaru
La vaux
Nivelet
Naleumont
Hamipré — Hamipré
Offaing
Nanmoussart
Marbay
Léglise Léglise

Gennevaux
Narcimont
Wittimont

Longlier Longlier

Laherie
Massul
Molinfaing

Ste-Marie Ste-Marie

Ourt
Laneuville
Wideumont
Bernimont

St-Médard — St-Médard
Gribomont

Mellier — Mellier
Thibessart
Rancimont

Mont-Plainchamps — Mont-Plainchamps
Grapfontaine
Hosseuse
Nolinfaing

Neufchâteau — Neufchâteau

Orgeo
- Orgeo
Sanpont
Biourge
Nevraumont
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 567

Noms des communes où l'on parle :


Canton. Mairie. allemand. français.
Neufchâteau Recogne — Recogne
(suite) Neuvillers

St-Pierre — St-Pierre
Libramont
Presseux
Flohimont
Sberchamps
Lamouline
Straimont — Straimont
Martilly
Tournay — Tournay
Petit-Voir
Grand-Voir
Fineuse
Verlaine
Tronquoy — Tronquoy
Respelt
Semel
Morival
Gerimont
Warmifontaine — Warmifontaine
Harfontaine
Menugoutte

Paliseul Bertrix —
Bertrix

Cugnon Cugnon

Auby
Géripont (La)
Fays-les-Veneurs Fays-les-Veneurs

Nollevaux
Plainevaux

Framont — Framont
Anloy
La Rochelle

Herbeumont Herbeumont

Jehonville Jehonville

Sart
Acremont

Mortehan Mortehan

568 APPENDICE

Noms des communes où l'on parle :


Canton. Mairie. allemand. français.
Paliseul Oflagne — Offagne
(suite) Assenois
Glaumont
Opont — Opont
Frêne
Beth
Our
Paliseul
- Paliseul
Launoy
— Merny
Carlsbourg
Sibret Amberloup Amberloup

Menil
Héropont
Fosse t
Oreux
Sprimont
Wachiboux
Herbaimont
Aviscourt

Assenois Assenois

Glaumont
Flamierge Flamierge

Tronle
Bercheux Bercheux

Hompré
- Juseret
Hompré
Grandrue
Salvacourt
Houmont Houmont

Brul
Magerotte
Magery
Pinsamont
Harlange Harlange —
Mande-Ste-Marie Mande-Ste-Marie
— Chenogne
Lavatelle
Senonchamps
Morhet
- Morhet
Remience
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 569

Noms des communes où l'on parle :


Canton. Mairie. allemand. français.
Sibret Nives Nives
(suite) —
Vaux-les-Rosières
Cobreville
Sure
Rechrival Rechrival

Hubermont
Rechimont
Renaumonl
Milliomont
Laval

Remichampagne Remichampagne

Rosières Rosières

Rosière-la - Grande

Roumont — Roumont
Vigny
Prelle
Sainlez — Sainlez

Sibret — Sibret
Velleroux
Jodenville
Poisson-Moulin
Flohamont
Renapré

Tarchamps Tarchamps —

Tillet — Tillet
Tompré
Chisogne
Acul
Gérimont

Villers-la-Bonne- — Villers-la-Bonne-
Eau Eau
La Baraque
La Tannerie
Lutrebois
Livarchamps
Chiversous
Losange

Virton Bleid Bleid



Gomery
570 APPENDICE

Noms des communes où l'on parle :


Canton. Mairie. allemand. français.
Virton Dampicourt Dampicourt

(suite) Mathon

Belmont —
Ethe
Belmont
Gérouville Gérouville

Limes

Harnoncourt —
Harnoncourt
Lamorteau

Latour — Latour
Chenois

Meix Meix

Montquintin Montquintin

Couvreux

St-Léger — St-Léger

St-Mard St-Mard
— Vieux-Virton

Mussy-la-Ville Mussy-la-Ville

Musson Musson
— Baranzy
Gennevaux
Willancourt
Robelmont Robelmont
— Harpigny

Ruette Ruette

Grandcourt
Signeulx Signeulx

St-Remy

Sommethonne —
Sommethonne

Torgny —
Torgny
Villers-La-Loue Villers-La-Loue

Houdrigny

Virton —
Virton

Neufchâteau, le 24 juin 1807. Le sous-préfet, COLLAND.


LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 571

2° Majeret, près de Bastogne, est le premier village où l'on parle un


patois français, mais le patois n'est pas le patois lorrain du canton de Neuf-
château et de Gedinne; au contraire, il ressemble à celui des environs de
Liège (De Halloy ; Rouen, 721, 160).
3° A Habay commence un patois français analogue à celui du canton de
Gedinne, mais cependant un peu plus éloigné du français (Id., Ib., 154).
4° Suivant le Dictionnaire des départements réunis, l'arrondissement de
Neufchâteau est le seul français : il comprend les justices de paix de Bastogne,
Etalle, Fauvillers, Florenville, Houffalize, Neufchâteau, Paliseul, Sibret,
Virton (Ib., 155).
5° Quartier allemand: Luxembourg, Arlon, Bitburg, Echternach, Diekirch,
Grevenmacher, Remich.
Quartier wallon : Durbuy, Bastogne, Chiny, Houffalize, Marche, Neuf-
château, Laroche, Virton.
Ces quinze villes sont celles qui avaient le droit de députer aux États de la
province (Mém. hist. des Pays-Bas autrichiens par le comte de Nenny. Bruxelles,
1785, II, 62; Ib., 156).
On ajoute: « Une ligne passant par Fouron, Henri-Chapelle, Baelen,
Membach, sépare français et allemand. Elle continue par Schoppen, Diedem-
berg, Recht et Aldringen.
« La ligne passe par la forêt d'Hertogenwald, par le bois de Weversée et
par le bois de Taiffen. Buttgembach, autrement Bullenge, est le dernier
endroit allemand ; près de là est Bulligen. »
Il n'est pas besoin de montrer comment les premières indications de cette
note sont en contradiction avec celles du sous-préfet.

Voici quelques autres observations qui m'ont paru présenter un certain


intérêt.
1° Limbourg. — M. Monge m'a dit, en 1805, que cette petite ville d'environ
2 000 habitants, est seule de langue française, tandis que ses environs sont
de langue allemande, notamment Verviers(!) et Eupen, ce qu'il attribue au
gouvernement des Princes de la Maison de Bourgogne (Rouen, 721, 80).
2° Le canton d'Otterberg, de l'arrondissement de Kaiserslautern, habité en
grande partie par des descendants des Wallons réfugiés, qui ont conservé
leur langue, peut être considéré comme formant une enclave de langue
française au milieu d'un pays de langue allemande (Annuaire statistique du
départ, du Mont-Tonnerre ; Rouen, 721, 85).
3° L'arrondissement de Huy est tout entier habité par des Wallons, sauf
quelques communes du canton de Landen, qui sont de langue flamande,
savoir : Lincent, Peliaines, Wamont, Racour ou Raetshoven, Wezeren, Hou-
tain-l'Evêque, Landen, Neerwinden, Overwinden, Neerheylissem, Wanghe,
Neerhespen, Overhespen, Elixem, Neerlanden, Rumsdorp, Attenhoven, Laer,
Wals betz.
L'arrondissement de Liège est en entier wallon, excepté la seule commune
de Rosoux (fl.).
LIMITES DU FRANÇAIS A L'EST

DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE 1.

Communes de langue française. Communes de langue allemande.


Ottange, 1. Volmerange (Wolmerange), 57.
Hirps (Cne d'Audun le Tiche), 2. Molvange, 58.
Ametz (Aumetz), 3. Bouch (ferme, Cne Escherange), 59.
Rur (Bure, Cne de Tressange), 4 Nandekay (Nondkail, Cne Ottange),
Rochonvillers, 5. 60.
Angevillers(P.: alld) 2, 6. Escherange, 61.
Algrange, 7. Entrange (P.: alld), 62.
Fontoy (P. : fr.), 8. Saint-Michel (Chapelle, Cne Volk-
Ste Geneviève (P. : fr.) 3.
range, 63.
Lommerange (P. : fr.), 9. Batzendal (Batzenthal), 64.
Hemeviller (Hameviller), 10. Beuvange, 65.
Ersange (Erzange), 11. Wolkrange (Volkrange) (P. : alld),
Longe Cote (Bellevue dit, ferme, 66.

Cne de Ranguevaux) (manque sur Konaker (Konacker), 67.
la carte). Nilvange (Hilvange), 68.
Morlange (Cne de Bionville), 12. Knutange.
Rangevaux (Ranguevaux), 13. Hayange (P. : alld et fr.), 69,
Justemont(Cne de Vitry sur Orne), 14. Haute-Rémelange ) (Cne de Fameck),
Budange, 15. Basse-Rémelange ) 70.
Sainte Anne (Chapelle, Cne de Fa- Fameck (P. : fr.), 72.
meck), 16. Brouck (Bouck, ferme, Cne de Uc-
Richemond(P. : fr.), 17. kange), 73.
Ici la ligne traverse la Moselle.
Bletange (Blettange, Cne de Bousse), Bousse, 74.
18. Landrevange, 75.
Logne (P. : fr.) (Chateau, Cne de Burange (Rurange), 76.
Rurange), 19. Montrequienne4, 77.
Tremery (Trémery), 20. Luttange (P. : alld et fr.).
1. Une carte, envoyée par le Préfet Vaublanc, en 1806, est passée dans le « Carton
des Vignes ». Ce carton existe aux Archives Nat. ; mais la carte n'y est pas.
2. P. renvoie au Pouillé des Bénédictins, qui fait partie des anciens pouillés du
Diocèse de Metz, publié par M. Dorvcaux, Nancy, 1902. Les mentions all. et fr.
signifient que l'endroit y est porté comme étant soit de langue allemande, soit de
langue française.
3. Ste-Geneviève, ancienne chapelle, dépendant de la commune de Fontoy, figure
sur la carte de Cassini. C'est un indice que la carte envoyée par le Préfet était cette
dernière.
4. Des cartes portent Montcrken. La véritable orthographe est Montrequienne (Cne
de Rurange).
574 APPENDICE

Communes de langue française. Communes de langue allemande.


Mancy, 21. Altroff, 78.
Bettlainville(P.: fr. et alld), 22. Budange, 79.
Neudelange, 23. Hombourg, 80.
Aboncourt (P. : fr.), 24. Eberswiller (Ehersviller) (P. :
alld),
Abb. de Villers (Villers-Bettnach), 81.
25. Saint-Bernard, 82.
Rabas (manque sur la carte).
Béfey (manque sur la carte). Bertoncourt (Burtoncourt, moulin,
Saint-Humbert (St Hubert, Villers- Cne de Charléville, P. : fr.).
Bettnach), 26. Rénange, 83.
Nidange, 27. Charléville (P. : fr.), 84.
Epange (ferme, Cne de Charléville),
28.
Ici une lacune du manuscrit 721,
Haut Frene (Le Fresne, Cne de Vry), qui ne permet pas de tracer sur la
29.
carte la ligne de langue allde jusqu'à
Belle Fontaine (ferme, Cne de Vry), Warize.
30.
Mariveaux (Cne de Hayes), 31.
Mussy l'Evèque, 32.
St Christophe (ancien Ermitage, Cne
de Condé Northen). 33.
Haye (Hayes) (P. : fr.), 34.
Luc (Lue, Cne de Hayes), 35.
Pontigny, 36.
Ladouviller (Landonvillers), 37. Warise (Varize) (P. : alld et fr.), 85.
Léauville (Lcoviller, Cne de Vau- Banay (Bannay), 86.
doncourt), 38. Morlange, 87.
Vaudancourt (Vaudoncourt), 39.
Itzing (ferme, Cne de Bannay), 40.
Courcelles Chaussy (P. : fr.), 41. Bionville (P. : fr.), 88.
Plapecour (Cne de Vaudoncourt), 42. Chevalain (Chevaling, Cne de Fouli-
gny), 89.
Raville (P.: fr. et alld), 43. Helfedange, 90.
Foligny (Fouligny), 44. Guinglange (P. : fr. et alld), 91.
Vitrange, 45. Ivreling (Yverling).
Hemilly, 46. Elvange(P.: alld), 92.
Aevry (Aoury, Cne de Villers-Ston- Douville (Dorviller), 93.
court), 47.
Chanville, 48. Fletrange (P. : alld et fr.), 94.
Faux-en-Forêt (Cne de Vittoncourt),
49. Créange (P.:
alld Créhange), 95.
Ariance (P. : fr.), 50. Faulquemont (P. : alld et fr.).
Many (P.: fr.), 51. Mcre Eglise.
Armanville 1, 52. Adlange (Adelange), 96.
Ticour (Thicourt) (P.: fr.), 53. Boustrofî (P. : alld), 97.
Touville (Thonville), 54. Chemerie (Chémery), 98.
1. Cette localité, qui figure
avec le même nom sur la carte de Cassini, est probable-
ment Mainvillcrs.
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 575
Brulange (P. : fr.), 55. Viller, 99.
Araincourt (Arraincourt), 56. Encheviller (Einchwifler). 100.
Landdorff (Landroff), 101.
Haute-Suisse, 102.
Basse-Suisse, 103.
Districh (Destry), 104.
Baronville(P.: fr.), 105.
Morhange.
Rode, 106.

de Fouligny cesse la langue allemande (Rouen,


— I. — A la porte
NOTES.
721, p. 146)
II. — Ottange, village en avant de Thionville, est le premier endroit où
l'on parle allemand. Là aussi commence une différence dans le costume des
576 APPENDICE

Quoi Thionville soit entouré de villages où l'on parle allemand,


paysans... que
le français y est actuellement la langue la plus usitée. Il est même des
nées à Thionville qui ne savent pas l'allemand (de Hallay,
personnes
Rouen, 721, p. 140).
II. Après Metz et avant Saint-Avold, sur la route de Saarbruck, mais

plus près de Saint-Avold, commence la langue allemande.
Metz même a du côté de la partie orientale une rue dite des Allemands où
toutes les enseignes sont en allemand. Celte rue est principalement habitée
par des Juifs allemands. M. Bonnard me l'a dit en 1805 1 (Rouen, 721,
p. 135).
DÉPARTEMENT DE LA MEURTHE 2.

Communes de langue française. Communes de langue allemande.


Achain, 1. Racrange (P. : alld et fr.), 40.
Bellange(P.: fr.), 2. Bermering, 41.
Haboudange (P. : fr.), 3. Besseviller (Besviller, ferme, Cne de
Bénestroff), 42.
Riche (P. : alld), 4. Rodalbe (P. : alld et fr.), 43.
Metzing (Cne de Riche), 5. Bénestroff, 44.
Conthil (P.: fr.),6. Wahl (P. : alld et fr.), 45.
Zarbeling, 7. Nebing(P. : alld), 46.
Lidrekin (Lidrequin), 8. Torcheville(P. alld et fr.), 47.
Lidrezing(P.: alld et fr.), 9. Lhor, 48.
Dordal (ferme, Cne de Lidrezing), 10. Molring, 49.
Recling (doit être Köcking, Cne de Guinseling (Guinzeling), 50.
Wuisse), 11.
Bourgaltrofr, 12. Inswiller, 51.
Marimont-la-Basse, 13. Roderhoff(Rölherhofl), 52.
Bédestroff (P.: fr.), 14. Mittersheim (P. : alld et fr.), 53.
Bassing, 15. Fénétrange (P. : alld et fr.).
Domnon, 16. Romelfing (P. : alld), 54.
Lostroff(P. : alld et fr.), 17. Bcrthelming (P. : alld), 55.
Loudrefing (P. : alld et fr.), 18. Saint-Jean de Bassel (P. : alld), 56.
Angwiller (P. : fr.), 19. Gosselming (P. : alld), 57.
Bisping (P. : fr.), 20. Dolving(P. :alld), 58.
1. La rue des Allemands est ainsi nommée parce qu'elle conduit à la vieille porto
des Allemands qui existe encore. Mais ce nom n'est qu'un abrégé de « Porte des Sei-
gneurs allemands » ou « Porte des Chevaliers allemands », du nom d'un établissement
voisin de l'Ordre teutonique, qui disparut en 1552 (voir J. B. Keune, Précis de
l'Histoire de la Ville de Metz, Metz, 1910, p. 43 ; Keune était, à cette époque, direc-
teur des Musées municipaux).
Le renseignement que donne ici Coquebert de Montbret paraît en effet des plus
douteux. On a naturellement été amené à attribuer ces noms de « Porte des Alle-
mands », « rue des Allemands ", à ce qu'il y aurait eu là des Allemands. Je ne
vois aucune preuve, dans les documents du début du XIXe siècle, de la présence de
juifs allemands. Les juifs, à Metz, habitaient un quartier spécial. On ne parlait pas
allemand dans le quartier en question, et des enseignes en allemand eussent été
inutiles. Qu'il y en ait eu une ou deux dans les rues où pouvaient se trouver des
Lorrains allemands, c'est possible. Mais il est certainement faux que toutes les ensei-
gnes aient été en allemand.
2. La carie est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale, 5913. Elle est de Vi-
gneulles (J. R.). La ligne limite des langues a été tracée en rouge à la main.
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 577
Communes de langue française. Communes de langue allemande.
Rhode (Rhodes) (P. : fr. et alld), 21. Langatte (P. : alld), 59.
Etang de Stock. Haut Clocher (P. : alld), 60.
Fribourg (P. : fr.), 22.
Languimberg (P. : fr.), 23.
Diane-Capelle (P. : alld et fr.), 24.
Rerprik-aux-Bois (P. : fr.), 25.
Sarrebourg (P. alld et fr.). Hoff(P.: alld), 61.

Imeling (Imling) (P. fr.), 26. Eich, 62.


Hesse(P. : fr.), 27. Bihl(Bühl),63.
Hermelange, 28. Schneckenbusch, 64.
Nitting(P. : fr. et alld), 29. Brouderdorff (P. : alld), 65.
Barville (Haute et Basse, Cne de Nit- Plaindewalsch (Plain de Valsch), 66.
ting), 30.
Voyer, 31. Archeviller (Arscheviller)(P. : alld),
67.
Biberkirich (Biberskirich) (P : alld Homert (Hommert) (P. : alld), 68.
et fr.), 32.
Trois-Fontaines, 33. Harberg (Harreberg), 69.
Abrecheviller (Abreschviller) (P. : Walscheid (P. : alld), 70.
alld et fr.), 34.
Vasperviller, 35. Enthal (Ententhal, Cne de Dabo), 71.
Histoire de la langue française. IX. 37
578 APPENDICE

Communes de langue française. Communes de langue allemande.


Saint-Quirin (P. : alld et fr.), 36. Lottenbacb(Lettenbach, Cne de Saint-
Métairies de Saint-Quirin, 37. Quirin), 72.
Turquestein, 38. Dabo, 73.
Raon-les-Leau, 39.
NOTES. I. La partie allemande comprend le canton d'Albestroff
— —
(excepté Marimont-la-Basse,Lostroff et Loudrefing ; le canton de Fénétrange
(excepté Angwiller et Bisping), le canton de Phalsbourg en entier ; le canton
de Sarrebourg (excepté Sarrebourg, Rerprik-au-Bois, Diane-Capelle, Reinting,
Bebing, Barchain, Xouaquesange, Imeling, Hesse, Biber-kirch et Trois-
Fontaines) ; les communes d'Enthal et Lottenbach, qui sont du canton de
Lorquin.
II. Suivant Camus, dans son Voyage, la langue allemande commence

à Heming, sur la route de Strasbourg (Rouen, 721, p. 134).
III. — L'arrondissementde Sarrebourg et trois cantons de celui de Château-
Salins sont allemands.
L'Erquel. — On y parle patois français corrompu. Trois villages sont alle-
mands : Perle ou Bieterlen, Montmeigni ou Meimiberg et Reiben.
IV. — Dans le bailliage de Schoenbourg, le français est presque inconnu
(Environs de Tholey).
V. — Un vingtième environ des habitants parle allemand (Lamoureux,
Rouen, 721, p. 133).

DÉPARTEMENT DES VOSGES ET DU BAS-RHIN 1.

Communes de languefrançaise. Communes de langue allemande 2.


Lutzelhausen 3, 1. Ober-Haslach, 21.
Viche, 2. Nider-Haslach, 22.

1. La carte est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale, 5913. C'est une carte en
deux couleurs dressée après la création du Département. La limite y a été tracée à la
plume.
Pour la partie qui concerne la vallée de la Bruche, des confusions se sont produites
dans les notes de Coquebert de Montbret, elles sont toutes naturelles. Le préfet du
Bas-Rhin, Shée, en 1806, écrit que les communes de Valdersbach, Rothau, Nasviller,
Schirmeck, Barenbach, Russ et Viche « paraissent » être du département des Vosges.
Il n'est pas fixé ! En examinant la carte qu'il envoie, on voit que la limite sud-ouest
du département du Bas-Rhin est marquée par une limite de croix *****, un peu au nord
de Saint-Blaise-la-Roche,dans la vallée de la Bruche, laissant aux Vosges le canton de
Saales et des localités de la Haute-Bruche. Mais une autre limite est indiquée par une
même ligne de croix *****, plus au Nord, entre Viche et Lutzelhausen. C'était là en
effet que passait réellement la limite nord du département des Vosges avant 1870.
La carte présente en outre une troisième ligne qui semble mettre à part une « partie
de la principauté de Salm », laquelle avait été annexée au département des Vosges, avec
Senones, sa capitale. Malgré ces difficultés, une main inconnnue a, par une ligne de
traits, noté fort exactement la limite des langues. A vrai dire, cette ligne ne part pas
de Raon-les-Leau, où s'arrêtent les indications relatives à la Meurthe. Elle part — et
cela est observé très justement — d'un point situé plus au Nord. J'ajoute donc, en
suivant la ligne limite, et en me fondant sur les renseignements fournis par le sous-
préfet de Saint-Dié, la liste des premières localités de langue française jusqu'à
Solbach, où commence la liste dressée par Coquebert de Montbret.
2. D'après les notes sur le département du Bas-Rhin.
3. Cette localité est en réalité de langue allemande, cependant en 1806 le préfet Shee
affirme le contraire.
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 579

Communes de languefrançaise. Communes de langue allemande.


Russ, 3. Urmatt, 23.
Barenbach, 4. Mulbach, 24.
Schirmeck. Grenddellbrouch (Grendelbruch), 25.
Rothau, 5. Nasviller (Natzweiler), 26.
Solbach1, 6. Breittenbach (Breitenbach), 27.
Blanchaurupt (Blancherupt), 8. Erlenbach, 28.
Fouday. 7. Trimbach (Trienbach), 29.
Bellefosse, 9. Tanville (Thanvillé), 30.

Belmont, 10. Saint-Maurice, 31.


Le Bambois, 11. Hachenbach(Wagenbach), 32.
Steige, 12. Diflembach (Dieffenbach), 33.
Meisengott, 13. Neufbois (Neubois), 34.
Saint-Martin, 14. Châtenois.
Bussenberg (Bassenberg), 15. Kintzheim, 35.
Ville. Orschweiller, 36.
Neuve Eglise, 16.
Brettenau (Breitenau), 17.
Fouchy, 18.
Lallay (Lalaye), 19.
Orbeis, 20.
NOTES. —I. —Saint-Dié.— De toutes les communes de l'Alsace comprises
dans le département des Vosges, celle de Natzwiller, de Shirmeck
canton

1. Rouen, 721, p. 122. La liste est donnée en sens inverse dans ces notes.
580 APPENDICE

(Schirmeck), est la seule où la langue allemande soit plus généralement


usitée que la langue française.
Dans les autres communes qui sont Shirmeck, Russ, Barembach, Wische,
Neuviller, Rothau, Wildsbach, Waldsbach, la langue française a toujours été
en usage; on y entend l'allemand, mais tous les habitants ne parlent que
français. Dans la principauté de Salm, la langue allemande n'a jamais été
usitée et n'était connue que des officiers du Prince.
Quant aux communes de l'Alsace comprises dans le canton de Saales,
Colroy-la-Roche, Ranrupt, Bourg-Brusch, et Saint-Blaise-la Roche, la langue
française y a toujours été usitée exclusivement (M. Bizot, le Sous-Préfet,
Lett. du 23 août 1806 ; Rouen, 721, p. 131).
II. — Ban de la Roche. — Le roman s'y est conservé fort pur à cause du
peu de communication.
III. — La langue allemande, ou plutôt un allemand corrompu, est encore
l'idiome des habitans du Bas-Rhin, à l'exception de dix à douze communes,
comprises dans les cantons de Ville et Rosheim, qui parlent le patois lorrain,
qui est une espèce de dialecte romance. La langue française y est cependant
la langue ordinaire de tous les citoyens qui ont pu recevoir une éducation
un peu soignée, surtout dans les grandes communes. Depuis la guerre de la
liberté, le séjour des corps armés dans les cantonnemens, et les nombreux
établissemens formés par des militaires retirés qui ont épousé des habitantes
du pays, ont beaucoup contribué à étendre l'usage du français. On peut éva-
luer le nombre des habitans qui le parlent à un quart de la population
(Bottin, Annuaire politique et économique du Département du Bas-Rhin, p. 4.
Strasbourg, chez l'auteur, VIIIe ann. Arch. Munic... Strasb. 0.5286) (799).
IV. — Canton de Bar. Le langage est allemand (Bottin, Id., p. 29).

Benfeld (Id., p. 32). Bouxwiller(Id., p. 42).


Bergzabern (Id., p. 35) Brumath (Id., p. 45).
Billigheim (Id., p. 37) Candel(Id., p. 48).
Bischwiller(Id., p. 40). Dahn(Id.,p. 50).
Dans tous les cantons, c'est la langue allemande qui est indiquée.
V. — Canton de Rosheim.
— Le langage est allemand pour 7 communes ;
dans les 7 autres, on parle le patois lorrain. Ces communes, situées dans la
montagne, sont Belmont, Bellefosse, Solbach, Fouday, Blancherupt ; il est à
remarquer que le français leur est également familier (Bottin, Ann. pol. et
écon. du département du Bas-Rhin, p. 102).
V. — Canton de Strasbourg. — Le langage est en partie allemand, en
partie français (Bottin, Id., p. 122).
VI. — Plus d'un tiers des habilants parle français. La moitié entend
cette langue (Bottin ; Rouen, 721, p. 115).
VII. — Grandidier dit qu'on parle roman dans 176 endroits de la Haute
et Basse Alsace.
De 1530 bourgs et villages de l'Alsace 176 parlent le romance, savoir dans
la préfecture de Befort 66, de Datenried, 65, de Rougemont 6, de Thann 4,
dans la vallée d'Orbé 14, de Ville 9, du Ban de la Roche 9. Les habitans
anciens s'y sont réfugiés à l'arrivée des Allemands (Schoepflin. On
remar-
quera que certaines de ces indications sont relatives au Haut-Rhin).
VIII. — L'Annuaire du Bas-Rhin pour l'an VIII signale
comme parlant
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 581

patois lorrain 6 communes du canton de Villé: Breitenau, Fouchy, Lallay,


Steige, Urbeis, Villé;
5 du canton de Rosheim: Belmont, Bellefosse, Solbach, Fouday, Blancherupt.

DÉPARTEMENT
DU HAUT-RHIN 1.
A. — Partie Nord.

Communes de languefrançaise. Communes de langue allemande.


Liepvre, 1. L'Allemand Rombach, 18.
Musloch (Cne de Liepvre), 2. Lannenkirch (Thannenkirch), 19.
Grand et Petit Rombach (Commune Roderen, 20.
de Sainte-Croix aux-Mines), 3. Roschwyr (Rohrschwyr), 21.
Sainte-Croix, 4. Oberberckeim (Oberbergheim, act 1

Saint-Blaise, 5. Bergheim), 22.


Fertru, 6. Ribauviller (Ribeauvillé).

Sainte-Marie-aux-Mines. Hunnaweyr (Hunawihr), 23.


Briosse2, 7. Ehrlach (Erlach, Cne de Riquewihr),
Echery (Eschéry, Cne de Ste-Marie), 8. 24.
Saint-Pierre sur l'Hate, 9. Richenveir (Riquewihr), 25.
Petite Liepvre(Cne de Ste-Marie), 10. Kayserberg, 26.
Aubur (Aubure), 11. Ammerschwir, 27.
Freland, 12, Saint-Sébastien(Cne de Dambach), 28.

1 La carte est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale 3913. Elle a été envoyée le
23 juillet 1806 par le préfet Fél. Desportes. Elle est analogue à celle du Bas-Rhin. La
limite est tracée à la plume.
2. La carte de Cassini porte Brifosse. Brifosse, comme Liepvre, Saint-Pierre-sur-
l'Hate, Eschery, sont des hameaux de la commune de Sainte-Marie.
582 APPENDICE

Communes de langue française. Communes de langue allemande.


Bonhomme (Le), 13. Katzenthal, 29.
La Poutroye, 14. Nider-Morschweyer (Niedermorsch-
Orbé(Orbey),15. wihr), 30.
La Baroche, 16. Notre-Dame des Trois-Epis, 31.
Pairis (Abbaye), 17. Turkeim (Turckheim), 32.
Zimmerbach, 33.
Walbach, 34.
Wihr, 35.
Gunsbach (Günsbach), 36.
Munster.
Hohenrodt (Hohroth), 37.
Stossveyer (Stosswihr), 38.
Sultzern (Sultzeren), 39.

NOTES.
— I. — Il paroit qu'il y a une élévation qui sépare les idiomes
(carte de Cassini, n° 163, f° 59). Orbey, La Poutroye et La Baroche sont d'un
côté, de l'autre Notre-Dame-des-Trois Epis, Ammerschwir, Turckheim.
Le bois de Driteil, près Ribauviller, sépare les deux langues.
Le val de Liepvre est séparé du reste de l'Alsace par une crête qui finit près
d'Orschweiler aux environs de Schelestat. Le haut de cette vallée est clairement
de langue française ; en descendant, les lieux français et allemands sont mêlés.
Villages français d'Alsace : La Petite Liepvre, Echery, Saint-Pierre-sur
l'Hate, Montregné, Saint-Philippe, Sainte-Marie-aux-Mines, qui est partie
en Alsace et en Lorraine.
Cette vallée est de Lorraine depuis Sainte-Marie-aux-Mines pour la rive
gauche du Liepvre et depuis Saint-Blaise pour la rive droite ; cette partie
lorraine finit à Bois l'abbesse et comprend des lieux de noms allemands, tels
que le Timbach, Schimbach, Montenbach, L'Allemand Rombach, Grand
Rombach, Petit Rombach et des noms français : Liepvre, etc.
II. — Avant la Révolution, la ville de Sainte-Marie était mixte et partagée
par une petite rivière appelée la Levrette. La Partie à gauche qui comprend
la moitié de la ville s'appelle Sainte-Marie Lorraine. La partie à droite de
la rivière qui comprend l'autre moitié de la ville, les petits hameaux de
Saint-Biaise, en partie Fertrux, Echery, La petite Liepvre, Faunoux, et Sur
l'Hâte s'appelait Sainte-Marie Alsace. Tous ces endroits réunis composent
aujourd'hui la commune de Sainte Marie aux Mines, chef lieu de canton,
avec une population de 7860 âmes.
Une demie environ de cette population parle indifféremment le français et
l'allemand.
Un quart environ ne connaît que la langue française ; un quart environ ne
connaît que l'allemand.
Aubur. — 300 âmes environ, dont deux tiers parlent les deux langues
et un tiers l'allemand seulement.
Sainte-Croix aux Mines. 2238 âmes environ, y compris les hameaux de

Grand et Petit Rombach, le reste de celui de Saint-Biaise et les maisons
éparses dans la montagne.
Liepvre.
— 1 446 âmes environ, y compris le hameau de Misloch et les
maisons éparses.
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 583
L'Allemand-Rombach. 1385 âmes environ, y compris le hameau de la

Hingrie et les maisons éparses.
Dans ces trois dernières communes, la langue française est la seule usitée,
mais beaucoup de personnes y parlent aussi l'allemand, ayant des relations
continuelles avec ceux des départements du Haut et du Bas-Rhin dont le
canton est frontière 1.

B. — Partie Sud.
Au ballon d'Alsace limite du département.
Communes de langue française. Communes de langue allemande.
La Madelaine (La Madeleine), 1. Oberbruck, 44.
Estueffond, 2. Kirchberg, 45.
Estueffond-le-Bas (Etueffont Haul- Nider Brucken (Niederbruck)., 46.
et Bas), 3.
Anjouté (Anjoutey), 4. Masvaux (Massevaux).
Bourg, 5. Lauw, 47.
Saint-Germain, 6. Rougemont, 48.
Félon, 7. Remagny (Romagny), 49.
Angeot, 8. Le Val (Levai), 50.
La Chapelle (— sous Rougemont), 9. Petite Fontaine, 51.
Bretten, 10. Morstwiller (Mortzwiller), 52.
Belmagny (Bellemagny), 11. Soppe-le-Haut (Soppois le Haut), 53.
Etimbe (Eteimbes), 12. Soppe-le-Bas (Soppois le Bas), 54.
Vautiermont (Vauthiermont), 13. Dieffmatt(Dieffmatten), 55.
Saint-Cosme, 14. Recken (Hecken), 56.
Brechaumont, 15. Sternneberg(Sternenberg), 57.
Reppe, 16. Guebenatt (Guevenatten), 58.
Voussemagne (Foussemagne), 17. Traubach-le-Haut, 59.
Chavanne (Chavannes-sur-l'Etang), Traubach-le-Bas, 60.
18.
Valdieu, 19. Elbach (Ellbach), 61.
Lutranc (Lutran), 20. Volferstorff (Wolfersdon), 62.
Romagny, 21. Dannemarie.
Magny, 22. Retzwiller (Retzweiler), 63.
Chavannes-les-Grandes, 23. Manspach (Mansbach), 64.
Chavanotte (Chavanatte), 24. Saint-Léger (Cne de Mansbach), 65.
Suerse (Suarce), 25. Altenach, 66.
Le Puy (Lepuix), 26. Saint-Ulrich, 67.
Courtelevant, 27. Mertzen(Merzen), 68.
Rechesy (Réchésy), 28. Struette (Strüth), 69.
Beurnevesein (Beurnevesain), 29. Hindlingen, 70.
Bonfols (Bonfol), 30. Petit Fetteraussen (Fetterhausen),71.
Courtavont (Courtavon), 31. Nider Largue (Nieder Larg), 72.
Levoncourt, 32. Mos (Moos), 73.
Charmoille, 33. Durlinstorff (Durlinsdorf), 74.
Miserey (Miserez), 34. Liebdorff (Liebsdorf), 75.

1. Munier, juge de paix, 1809 ; Rouen, 721, p. 110.


584 APPENDICE

Communes de langue française. Communes de langue allemande.


Miecourt, 35. Ligstorff (Lüxdorf), 76.
Fregiecourt, 36. Winckel (Winkel), 77.
Pleujouse (Cne de Fregiecourt), 37. Largue (Ober Larg), 78.
Bourrignon, 38. Lucelle (Lützel), 79.
Pleigne, 39. Leuwembourg (Löwenburg), 80.
Movelier, 40. Edensveiller (Ederswiler), 81.
Kuffis (Riffis), 82.
Wolschwiller (Wolschweiler), 83.
Roggenbourg, 41. Rechentz (Röschenz), 84.
Soihière (Sovhière), 42. Lauffon (Laufen).
Riedes (Riederwald, Ober-et-Nieder), Liesperg (Liesberg), 85.
43.

La ligne traverse la Birse au-dessus de Lauffon.

NOTES.
— I. — La partie française comprend la moitié de l'arrondisse-
ment de Belfort, l'arrondissement de Porrentruy en totalité, une très petite
portion de l'arrondissement d'Altkirch, l'arrondissement de Delémont
presque entier, Le val de diepvre dans l'arrondissement de Colmar (Rouen,
721, p. 118).
II. — Le seuil qui détermine le versant des eaux entre les deux mers déter-
mine aussi à peu près les limites des deux langues (M. Roudouin, 1801.
Est-ce exact? demande Coquebert de Montbret, Rouen, 721, p. 117).
III. — Le bois de Gerschweiller paroit faire la séparation des deux langues ;
il a au moins trois lieues de long ; d'un côté les eaux vont dans la Largue
qui se jette dans l'III. De l'autre elles vont dans la Loutre et la Cauvat qui
se jette dans la Savoureuse, qui tombe elle-même dans le Doubs.
IV. — En réponse à une lettre du 11 août 1806, le préfet du Haut-Rhin
répond le 27 : « Je dois observer que dans les communes rurales des cantons
français le langage généralement en usage est le patois, quelques individus
parlent l'allemand et le français, mais ce n'est pas le grand nombre. Les
communes parlant allemand sont au nombre de 79 ». Le préfet en donne
une longue liste (Rouen, 191) :
Brehaumont(Cne de Fontaine). — « La majeure partie des habitants parlent
le patois de France » ; la commune est tout de même comptée comme alle-
mande (signé du Sous-Préfet de Belfort, Mengaud).
V. — Suit une autre lettre contenant la liste des communes parlant fran-
çais, au nombre de 119.
Chavanotte, Chavannes-les-Grandes, Lutranc, Magny, Romagny, Suerse,
et Valdieu sont comptées comme françaises, mais avec celte observation: Une
grande partie des habitants parlent l'allemand et le patois.
VI.
— Dans la partie française le langage généralement en usage est le
patois; quelques individus parlent l'allemand et le français, mais ce n'est pas
le plus grand nombre.
Les quatre communes de Leval, Petite Fontaine, Romagny et Rougemont
(Con de Masvaux) sont exclusivement de langue française et
non de langue
allemande, comme le dit le Préfet.
Dans le canton de Dannemarie, les communes de Chavannatte, Chavannes-
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 585
les-Grandes, Lutranc, Magny, Romagny, Suerse, Valdieusont françaises, mais
une grande partie des habitants parlent l'allemand et le patois. A Bréhau-
mont (Canton de Fontaine) la langue allemande est usitée, mais la majeure
partie des habitants parle un patois français (Lettre de M. Mengaud, Sous-
Préfet, 25 août 1806; Rouen, 721, p. 108).

C.
— Partie ayant cessé d'appartenir à la France, et qui
avait d'abord formé le Mont-Terrible.
I. — PORRENTRUY.
— Le 26 août 1806, le Sous-Préfet de Porrentruy
(4e arrondissement du Haut-Rhin) répond à une lettre du ministre datée du
11 : « La langue française est en usage dans toutes les communes de cette

Sous-Préfecture ; les villes de Porrentruy et de Montbéliard sont les deux


seules où un grand nombre des habitants joignent à la connaissance de la
langue française celle de la langue allemande.
Dans les communes rurales on parle un patois formé de mots celles, fran-
586 APPENDICE

çais et allemands ; on y remarque des variétés d'un canton à un autre, notam-


ment entre la partie de l'arrondissement qui dépendoit de la principauté de
Montbéliard et celle qui était du ressort de Porrentruy.
Le défaut de sintaxe et de locution grammaticale prouve que ce dialecte n'a
jamais pu être considéré comme une langue régulière. »
Et le Sous-Préfet (Daubert) renvoie à l'Annuaire du Haut-Rhin pour l'an
XIV, p. 106, 107, 223 ; Rouen, 191 p. 7 ; cf. 721, p. 208.

DELEMONT.

Communes. Idiomes usités. Idiome dominant.


Vigneul (Vingelz) 1, 86.
Bienne. Allemand. (Les personnes
Boujean (Bözingen), 87. de la classe aisée sont
Perles (Pieterlen), 88. Allemand, Français.
les seules qui parlent
Montménil(Meinisberg), 89 français.)
Reiben, 90.
Orvin, 91.
Evilard, 92.
La Hutte, 93. Patois. (Les habitants par-
Péri, 94. Français, Patois. lent français, mais entre
Plagne, 95. eux ils ne parlent que
Vauffelin, 96. patois.)
Romont, 97.
Neuville. Allemand, Français,
Patois. Patois.
Lamboing, 98.
Nods, 99. Patois. (Il diffère de celui
Diesse, 100. Français, Patois. qui est usité dans d'au-
Prêles, 101. tres communes.)
Corgémont, 102.
Cormoret, 103.
Cortébert, 104.
Courtelary. Français, Patois. Patois.
La Ferrière, 105.
Saint-Imier, 106.
Renens (Renan), 107.
Sonceboz, 108.
Souvillier (Sonvilier), 109.
Trameland-Dessus, 110. Français, Patois. Patois.
Trameland-Dessous, 111.
Villeret, 112.
Dans tout le canton de Courtelary l'allemand n'est usité dans quelques
fermes situées sur les montagnes et que
par quelques individus résidant dans les

1. Vigneul, en allemand Vingelz, la rive gauche du lac de Bienne, au voisinage


sur
immédiat de cette ville, fait partie depuis 1898 de la
commune de Bienne.
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 587
communes. Ce patois a plus d'analogie avec le français que celui de Bienne ;
il diffère cependant de celui de Delémont.

Communes. Idiomes usités. Idiome dominant.


Bassecourt, 103.
Boécourt, 104.
Bourrignon, 38.
Chatillon, 115.
Corbau, 116.
Courchapoix, 117.
Courfaivre, 118. Français, Patois. Patois.
Courrendlin, 119.
Courroux, 121.
Courtételle, 121.
Delémont.
Develier, 122.
Elay (Seehof), 123. Allemand, Patois. Allemand.
Glovilier (Glovelier), 124. Français, Patois. Patois.
Mervelier, 125. Patois. (Dans ces trois
Mettenberg (Mettemberg), Français, Patois, communes, l'allemand
126. Allemand. est seul en usage dans
Montsevelier, 127. les métairies.)
Movelier, 40. Français, Patois. Patois.
Patois. (L'Allemand et le
Pleigne, 39. Français, Patois. patois sont en usage
dans les métairies.)
Rebevelier(Rebévelier) ,128 Français, Patois. Patois.
Rebeuvelier, 129. Français, Patois. Patois.
Roggenburg, 41. Allemand, Patois. Allemand.
Rossemaison, 130.
Saulcy, 131. Français, Patois. Patois.
oceux, 132.
La Scheulte, 133. Allemand, Patois. Allemand.
Soyhière (Sovhières), 42.
Soulce, 134. Français, Patois. Patois.
Undervilier (Undervelier),
135.
Patois. (L'allemand est
Français, Patois,
Verme, 136.
Allemand. en usage dans les mé-
tairies.)
Viques (Vicques), 137. Patois.
Français, Patois.
Vellerat, 138.

NOTES. I. La prévôté de Moutiers Grandval ou Munsterthal est de


— —
langue française, à l'exception des hameaux Peslay et de la Scheulte et de
quelques maisons éparses sur les frontières du Canton de Soleure.
Le patois de cette prévôté ressemble beaucoup au franc-comtois ; il est
dur, traînant et inintelligible non seulement à un français, mais à un fribour-
geois, à un valaisan, à un habitant de la Gruière (Rouen, 721, p. 206 v°).
588 APPENDICE
II. Dans le canton de Moutier on parle français, patois, et allemand.

Le patois domine, l'allemand n'est en usage que dans les métairies. Les
du canton sont: Belpraon, Bevilard, Champoz, Chételat, Cor-
communes
celle, Court, Cremine, Echert, Grandval, Loveresse, Malleray, Montblé,
Moutier, Perrefitte, Ponsenet, Recouvillier, Roches, Saicourt, Saule, Sorne-
tan, Sorvelier, Souboz, Tavannes (M. Holtz, Sous-Préfet, 1806 ; Rouen,
721, p. 212).
III. — Toutes les communes du canton de Lauffon sont de langue alle-
mande, savoir : Aesch, Allschwiller, Arlesheim, Blanen, Labourg, Brislach,
Duggingen, Ettingen, Grellingen, Lauffon, Lierberg, Neutzlingen, Oberwiller,
Pfeffingen, Reinach, Röschentz, Schoenenbuch, Terwiller, Sittingen, Vallen,
Zwingen.
A Arlesheim et à Lauffon les gens aisés et quelques artisans qui ont voyagé
en France parlent français (Id., Ib.)
IV. — L'allemand finit en venant de Basle à Laufen sur la Birse à une
heure et demie de Basle. On parle français dans le reste de l'évêché de Basle
jusqu'à Bienne où la langue allemande recommence. On parle français
entre autres dans levai d'Imier et le Munsterthal(Rouen, 721, p. 106).

EN SUISSE 1.

Sur la limite du français et de l'allemand en Suisse, les renseignements


fournis par Coquebert de Montbret sont beaucoup moins précis. Ils ne pro-
viennent pas d'enquêtes directes, mais ont été puisés surtout dans les documents
publiés. On a reproduit seulement ici celles de ses notes qui présentent
quelque intérêt.
La limite entre langue française et allemande est indiquée par une ligne
qui commencerait au-dessus de Bienne. Depuis Bienne, le long du lac, on
parle allemand jusqu'à la Neuveville ; le village de Glaresse (Liggers) est
mixte. Sur la route de Diesse, on parle français ; la ligne continue au
midi par Morat, Fribourg, par les montagnes qui séparent le Gessenai d'avec
le Rougemont et par Martigny en Valais ; c'est donc une partie de l'évêché
de Bâle, les principautés de Neuchâtel et Valengin, le pays de Vaud, le bas-
Valais, Genève, le pays de Gex et la Savoie.
On parle allemand dans les villes de Mulhouse et de Bienne. On parle
français dans la majeure partie du canton de Fribourg, dans le pays de
Vaud, dans le Comté de Neuchâtel, à Genève, dans tout le bas-Vallais et dans
quelques dizains du Haut-Vallais, L'accent national a beaucoup d'affinité avec
celui des Savoyards ; le peuple parle un jargon ou patois dans lequel il entre
quantité de mots de l'ancien gaulois. Ce patois est assez semblable à celui des
Francs-comtois et des Savoyards. Dans les villes de Berne, Fribourg et
Soleure, parmi les gens élevés ou d'un certain rang, la langue française est
plus usitée que l'allemand (Rouen, 721, p. 286).

1. Une carte se trouve dans le ms. de la Bibliothèque Nationale, 5913. Elle n'a
naturellement pas été envoyée par des autorités françaises. On n°
langues fort approximative, p. ex. pour Fribourg. y a tracé une limite de
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 589
ÉVÉCHÉ
DE BALE 1. I. PAYS ALLEMANDS2. 1. Bailliage de
Schliengen en Souabe; — — —
2. Voile et Château de
Porentruy;
3. Bailliage d'Elsgau 3;
4. Seigneurie de Bir-
seck;
5. Bailliage de Pfefin-
gen (Pfeffingen) ;
6. Bailliage de Zwin-
gen ;
Les vallons de l'évêché
de Bâle commencent à
Lauffen. C'est ici que finit
la langue allemande. On
parle français dans le
reste de l'évêché jusqu'à
Bienne, où la langue alle-
mande recommence.
7. Ville de Bienne.
L'allemand y est la langue
dominante, mais le ro-
man y est en usage depuis
plusieurs siècles; aussi y
a-t-on établi une église
française.

II—PAYS ROMANS.
— 1. Bailliage de Saint-
Ursanne ;
2. Baillage de Delé-
mont;
3. Prévôté de Moutier
Grand Val ou Munster-
thal ;
4. Prévôté de L'Er-
guel 4;

1. Cf. Le Haut-Rhin.
2. Les bailliages allemands étaient Lauffen (cascade); Pfeffingen et Byrseck (Birse)
(canton de la Byrse) ; le village de Sohière (en allemand Saugern) est sur la limite.
Sur toute la lisière du Jura, dans les vallées écartées et solitaires, principalement
dans le val de Chaluet, aux frontières de Soleure, sont répandues une centaine de
familles anabaptistes de langue allemande expulsées du canton de Berne au XVIIe siècle
(Rouen, 721, p. 206 r°). C'est le Val de Chaluet, commune de Court, district de Mou-
tiers, Con de Berne. Ce vallon débouche sur la Birse, à l'entrée du village de Court. Il
dépendait, comme dit la note, de l'évêché de Bâle.
3. L'Elsgau comprenait les communes de Saint-Ursanne, Courtavon, Ocourt.
4. L'Erguel, ainsi nommé du Château d'Erguel, commune de Sonvilier, district de
Courtelary, canton de Berne, comprenait, comme on le verra plus loin, un certain
nombre de communes situées au nord et à l'ouest de Bienne.
590 APPENDICE

5. Prévôté de Freyenberg 1 ou Mont du Bois;


6. Mairie de la Bonne ville ou Neuveville ;
7. Montagne de Diesse 2 ou Tessenberg (Zurlauben, Tableau de la Suisse ;
Rouen, 721, p. 209).
Bâle. — Dans la principauté de Bâle, le petit peuple a un jargon que l'on
nomme gaelon. C'est en quelque manière le patois de Franche-Comté, mais
dans plusieurs districts de cette principauté on parle un allemand assez
approchant de celui de Bâle ou du Sundgau (Rouen, 721, p. 184-190).
Dans les cantons de Berne, Soleure et Bâle, la langue française n'est prati-
quée que par les personnes qui ont reçu de l'éducation, les gens de service
des maisons riches, et les agents subalternes du commerce. Elle est encore
moins générale dans le reste de la Suisse allemande (Vial, 1807; Rouen,
721, f° 168).
Erguel. — La mairie ou paroisse de Pieterlen est la seule où l'on
prêche en allemand (Büsching ; Rouen, 721, p. 200; Cf. Leu et Faesi, Ib.,
p. 202).
Il est à remarquer que presque tous les villages ont à la fois deux noms :
Pieterlen-Perle ; Traumlingen-Tramelan ; Vöglistahl-Vauffelin ; Pflentsch-
Plagne (Wildermet ; Ib., p. 203).
Le patois français des villages ressemble assez à celui des Menses de Neuf-
chatel(Ib., p. 204).
On parle aussi allemand à Montmeigni (Meinisberg) et Reiben (Faesi, Id.,
Ib., p. 205).
Bienne. — L'allemand est la langue dominante, mais le romand y est en
usage depuis plusieurs siècles. Aussi y a-t-on établi une église française
(Rouen, 721, p. 184-190).
Ligerz. — On y prêche alternativement en allemand et en français, parce
que les habitants se servent de ces deux langues dans l'usage ordinaire (Faesi,
I, 692; Rouen, 721, p. 181 ; cf. 184-190).
Bailliage de Saanen ou de Gessenay. — Il se divise en deux parties diffé-
rentes de langue, de moeurs, de Loix, de Privilèges.
1° Partie allemande : 4 Paroisses : Sanen (Saanen), Gsteig, Lauwinnen
(Lauenen), Afflentshen ou Ablentschen.
2° Partie romande : 4 Paroisses : Rougemont ou Rothberg, ou Rotsch-
mund, le château d'Oex ou Oesch, L'Etivaz, Rossinière.
Gouvernement d'Aigle. — Ancien démembrement du Pays de Vaud;
compris aujourd'hui dans la classe des bailliages allemands, quoiqu'on y
parle généralement un français corrompu.
Meyri (Meyriez).
— Bailliage de Morat. C'est là qu'on commence à parler
un mauvais patois français.
Bailliage de Schwarzenbourg.
— Les habitants parlent tous allemand
(Rouen, 721, p. 288-290).
La rivière de Thiele, qui se décharge du lac de Neuchatel dans celui de
Bienne, fait limite. Pont à péage.

1. Freyenberg, ou Mont du Bois, désigne les Franches Montagnes. C'est


aujourd'hui un district du canton de Berne, chef-lieu Saignelegier. Il est encore
partie
contigu à la frontière française. en
2. Montagne de Diesse ou Tessenberg, plateau situé
au nord du lac de Bienne, entre
la première chaîne du Jura (Chaîne de Macolin
ou du Lac) et le Chasseral.
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 591

Du côté Berne allemand. De l'autre la langue générale du peuple neucha-


telois est un patois français (Zurlauben ; Rouen, 721 p. 182).
Bailliage de Morat. — On s'y sert indifféremment des deux langues, alle-
mande et française. La plupart des villages ont par cette raison deux noms.
Autrefois la langue française l'emportait de beaucoup sur l'allemande et dans
la ville et dans le bailliage, mais depuis soixante-dix ans environ les Bernois
ont travaillé à y faire prévaloir l'allemand. Ils ont même obligé quelques
villages romans au nord et à l'orient de Morat de recevoir celte langue, et
dans tous les tribunaux tout se traite en allemand.
Il y a deux églises, l'une française et l'autre allemande. Dans la partie du
bailliage de Morat qui est au nord et à l'orient de cette ville on parle alle-
mand, et dans la partie qui est au midi et à l'occident, même dans le vil-
lage de Meiry ou Merlach, qui est aux portes de la ville, on parle français
roman (Rouen, 721, p. 288-290).
Morat. — A Morat, les habitants parlent également mal le français et
l'allemand. La ligne de séparation traverse Fribourg où la Basse ville n'entend
1

pas la Haute. Dans les valées de Sane les deux langues sont séparées par la
montagne de Vaunel, dans le Valais. Dans le village de Twan, qui est au
pied du mont Dura, vis-à-vis de l'isle de Saint-Pierre, dans le lac de Bienne,
un ruisseau fait la division (Rouen, 721, p. 165) 2.
VALAIS.
— La langue allemande est exclusivement parlée par les dixains
de Conche, Brègue, Viège, Rarogne et Loeche. Ces dixains forment entre eux
une étendue de seize lieues de longueur, depuis Oberwald, village du dixain
de Conche le plus voisin de la montagne de la Fourche (La Furka), jusqu'au
torrent de la Raspille qui sépare le dixain de Loeche de celui de Sierre. La
population de ces cinq dixains d'après le dénombrement fait en 1802 est de
17 951 âmes.
La langue française est par contre seule en usage dans les dixains de
Monthey, Saint-Maurice Entremont et Martigny, qui n'ont que treize lieues
de longueur depuis Saint-Gingoux (Saint-Gingolph)jusqu'au torrent de la
Lizerne, mais qui ont, pris ensemble, un population de 23 429 âmes.
Elle est de même exclusivement parlée dans le dixain d'Hermance. Ce
dixain, démembré en 1802, de celui de Sion, s'étend au midi de cette ville
l'espace de six lieues dans une vallée arrosée par la rivière de Borgne. La
population est de 3 661 âmes.
Quant aux dixains de Sion et de Sierre, la langue allemande est la domi-
nante dans les deux chefs lieux, et toutes les familles indigènes de ces deux
endroits parlent habituellement cette langue. Leur population est quant à
Sion de 2 246 et à Sierre de 724 âmes.
Le dixain de Sierre a encore les communes de Miège, de Ventône (Ven-
thône) et de Sainl-Léonard, où une partie des habitans parle la langue alle-
mande. Le reste du dixain parle français.
Celui de Sion a la commune de Bramois où plus de la moitié des habitans
parle allemand. Les autres communes de ce dixain parlent aussi français.
Il est à remarquer que la langue du pays change en sortant du dixain de

1. A Fribourg, dans la Basse-Ville, qui est le quartier du peuple, on ne parle qu'alle-


mand et dans la Haute que françois (Rouen, 721, p. 184-190).
2. Cf. A Twan on parle allemand d'un côté de l'eau et français de l'autre (Haber le
jeune, t. I, 268).
592 APPENDICE

Loèche pour entrer dans celui de Sierre, où l'on commence à parler un patois
corrompu du français; cependant dans toutes les parties du Vallais, surtout
dans les principaux lieux, on s'applique beaucoup à savoir l'allemand, le
français, l'italien et le latin, à cause du voisinage des peuples qui usent de
ces langues, au moins des trois dernières et, ce, qui fait l'éloge des Vallaisans,
on y voit des gens du commun qui savent parler également ces quatre langues 1.
Le dixain de Leuk comprend les paroisses de Leuk, Laden, Turtmann,
Sahlgesch, Albinen, Gresch, Embs, et Gampél, avec un grand nombre de
villes et d hameaux qui en dépendent. La petite rivière de Rappelli sépare
les deux dixains de Sierre et Leuk.
La Vallée d'Einfisch sur la gauche du Rhône, vis-à-vis du bourg de Sierre 2
paroit être de langue française, à en juger par les noms de ses villages :
VissoyeParoisse,Saint-Jean,Gremenz, Luc, Ayer, Mission, Chaudolin, Painsey
(Rouen, 721, p. 184-190).
Dans le Bas Vallais, on parle un français corrompu ou patois que les
habitans nomment le roman ou langue romaine. Il doit son origine au voisi-
nage de la Savoie (Rouen, 721, p. 184-190).
— D'après ces données, si on veut calculer quelle est
APERÇU NUMÉRIQUE.
la proportion existante entre l'usage du français et celui de l'allemand, on
pourra l'établir de la manière suivante :
Les cinq dixains orientaux parlant allemand ont
une population de 17 951 17951
La ville de Sion, dont il paraît qu'il faut déduire
un quart d'étrangers parlant français 1685
Les deux tiers à peu près de Cne de Bramois (387
habitants) 258
Le chef-lieu de Sierre où je suppose aussi un quart
parlant français 543
Le tiers à peu près de Ventone (365) 122
Le tiers à peu près de Miège (282) 94
Le tiers à peu près de Saint-Léonard dont la popu-
lation a été omise dans le dénombrement de 1802,
et que je suppose s'élever à 200 âmes 66
Total des individus qui parlent la langue alle-
mande. 20 719
. .
Le français par contre est parlé dans les quatre dixains occidentaux,
[Habitants] 23 429
Dans celui d'Hérmance (Heremence) 3 661
Dans les cantons ci-après du dixain de Sion
:
Contey (Conthey) 1 78O
Savièse 1 098
Grimisua (Grimisuat) 430
Ayent 1 022
Nenda (Nendaz) 1013

1. Rodolph, fondateur du Royaume de Bourgogne, résidoit ordinairement dans


le
Vallais, et contribua sans doute à y propager la langue (Fuesslin).
2. A Sierre même, on parle plus allemand français. Dans les villages, au
contraire, on parle français savoyard (Fuesslin). que
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 593
Salins Veysonnaz 333
Le tiers de Bramois 129
Un quart de Sion 561
Plus dans les communes ci-après des dixains de
Sierre :
Un quart de Sierre 181
Aniviers (Anniviers) 1 765
Vercorins, Chalex (Chalais) 485
Grône 210
Granges. 150
Lens 1213
Saint-Maurice de Laques et Veyras 398
Les deux tiers de Ventone (Venthône) 243
— Miège 188
— Saint Léonard 132
Total des individus qui parlent la langue fran-
çaise 38 421
Quand on dit que ces derniers parlent la langue française, ce n'est que par
opposition avec l'usage de la langue allemande, car d'ailleurs les gens de la
campagne ne parlent qu'un patois dérivé du français ; celui-ci n'est parlé
que par les personnes qui ont reçu quelque instruction.
La langue française était autrefois beaucoup plus étendue en Valais.

DÉPARTEMENT DU Pô 1.
L'Atlas de la Bibliothèque Nationale contient, pour la région, une petite
carte, datée de 1807, qui indique par un astérisque les localités des vallées
de la Doire, du Cluson et du Pellice où l'on parle français. Les portions
hautes de ces vallées faisaient partie, comme on le sait, de l'ancien Brian-
çonnais et n'en avaient été séparées que par les traités d'Utrecht. Les commu-
nications de ces vallées du versant oriental des Alpes avec Briançon se fai-
saient très facilement par le col du Mont Genèvre, le plus bas des cols des
Alpes Occidentales (1 854 m.). De la haute vallée de la Doire Ripaire, on pas-
sait sans grande difficulté dans celle du Cluson par le col de Sestrières (2 030
m.). La présence de Vaudois dans la vallée du Cluson était un lien de plus
avec le Briançonnais resté français.
La petite carte indique comme étant de langue française: 1° dans la vallée
de la Doire, toutes les localités jusqu'à Suse exclusivement; toutefois, au voi-
sinage de celle ville, sont encore portées comme étant de langue française
Mattie (1), de Meana (2); — 2° dans la vallée du Cluson, toutes les localités
jusqu'à Pignerol inclusivement ; — 3° dans la vallée du Pellice, les localités
de Bobbi (Bobbio), Villar Pellis (Villar Pellice), Tour (Torre Pellice), Luserne
(Luserna), Lusernetta, Rora, Angrogne (Angrogna) et Saint-Jean (S.
Giovanni).
Les renseignements qui se trouvent dans les notes manuscrites de Coque-
bert de Montbret ne concordent pas absolument avec les données de la carte.
1. Celte carte se trouve dans le ms. 5913. C'est un extrait de la carte de Borgognio,
rectifié, dressé par la Ramée Pertinchamps, Ingénieur des Ponts.
Les communes françaises y sont marquées d'une étoile rouge.
Histoire de la langue française. IX . 38
594 APPENDICE

Il commence par énumérer les treize communes dites « vaudoises » ou protes-


tantes. Les Vaudois, dit-il, parlent françois et le jargon vaudois, et les catho-
liques romains qui se sont introduits dans presque toutes les communes par-
lent le jargon piémontois. Du tems des rois de Sardaigne, les Vaudois faisoient
tous les actes publics en Italien Vulgaire » 1.
Les treize communes qui forment ce premier groupe sont les suivantes :
Angrogne (3) (Angrogna), Boby (4) (Bobbio), Saint-Germain (5) (San-Ger-
mano Chisone), Saint-Jean (6) (San Giovanni), Inverse Pinache (Inverso
Pinasca), Inverse Portes (7) (Inverso Porte), Pomaret (8) (Pomaretto),
Pramol (9) (Pramollo), Prarustin (10) (Prarostino) ; Rora, La Tour (Torre
Pellice), Vallée de Balville (Balsiglia) 2, Villar-Pellis (11) (Pellice).
Viennent ensuite six communes qui forment la vallée de Pragelas 3 où
« l'on ne
parle que français » : Fénestrelles (Fenestrelle), Méan (12)
(Meano), Mentoulles(13), Pragelas (14) (Pragelato),Roure(15), Usseaux (16).
Dans les trente-huit autres communes de l'arrondissement de Pignerol
qu'on appelle « communes de la plaine », le jargon piémontois est seul en
usage. Coquebert de Montbret fait observer cependant que plusieurs de ces
communes ne sont pas à proprement parler dans la plaine.
Il en cite cinq « qui sont censées faire partie des vallées vaudoises, quoi-
qu'il n'y existe plus un seul protestant ». Ces localités sont : Luserne (Luserna),
Lusernette (Lusernetta), Campion (Campiglione), Fenil (Fenile) et Bibiane
(Bibiana). En réalité les deux premières sont seules dans la partie monta-
gneuse de la vallée du Pellice, les trois autres sont déjà dans la plaine. Ces cinq
localités font partie du groupe des trente-huit communes de langue italienne.
On remarquera que, sur la carte, Luserne et Lusernette sont portées
comme étant de langue française, ainsi que Pignerol, et la localité voisine de
Saint-Second (San Secondo-Pinerolo).

DÉPARTEMENT DE LA DOIRE 4.

NOTES.
— I. — Dans le canton de Fontainemore (arrondissementd'Aoste),
les communes de Perloz, Lillianes et Fontaine More sont les seules où on
parle communément le français. A Issime, l'on commence à se servir de la
langue allemande, qui est d'autant plus en usage que l'on s'éloigne de ce
1. « Les vallées des Vaudois, dit une note empruntée au document envoyé de
Pignerol, le 24 septembre 1807, document signé P. Geymet, sont la vallée de Pelis
(Pellice), ci-devant Luzère, la valle (sic) du Cluson, ci-devant Pérouse, la vallée
Balsille, ci-devant Saint-Martin »
2. La carte porte Perrier ou Valbalsille. Perrier est Perrero, sur la Germanasca, qui
rejoint le Cluson à Pérouse. Ce Val Balsille de la localité de ce nom (Balsiglia), est donc
la vallée de la Germanasca. On disait aussi Val Saint-Martin, du nom de la localité de
Saint-Martin (San Martino di Perrero) qui s'y trouve. Voir la note précédente.
3. Ce nom de la vallée de Pragelas qu'on donnait à la partie amont de la vallée du
Cluson était pris au sens large. On ne l'applique aujourd'hui qu'au bassin tout à fait
supérieur dont Pragelas est la localité principale.
4. La carte est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale 5913. Elle a été faite à la
main très grossièrement.
La division du pays où la langue française est en usage d'avec où l'on se sert de
ceux
la langue italienne est marquée par la ligne, qui fait la séparation des arrondissements.
d'Aoste et d'Ivrée.
Cette ligne ponctuée dans toute sa longeur (sic) est marquée par un filet de
encore
couleur plus chargée que les lignes qui séparent les cantons. La ligne est marquée
deux bouts A. B.
aux
et
596 APPENDICE

pays pour s'approcher du fond de la Vallée où se trouve le village de la Tri-


nité (Gressoney-La Trinité).
II. — Le Sous-Préfet a envoyé un Etat nominatif des communes ou 1 on

parle français et un patois analogue au français (20 février 1807) (B. N.,
ms. 5 910, f° 297). J'ai jugé inutile de le reproduire.
ALPES MARITIMES 1.
Pour les Alpes Maritimes, l'Atlas de la Bibliothèque Nationale ne contient

qu'une petite carie où est tracée la limite entre les


communes de langue fran-
1. La carte est dans le ms. de la Bibliothèque Nationale
main. Lu limite y est marquée par 5913. Elle a été faite à la
une ligne.
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 597

çaise et celles de langue italienne, il serait plus exact de dire de patois niçois.
Cette ligne coïncide avec le cours du Var depuis la mer jusqu'au confluent
de la Vésubie, laisse en territoire de langue italienne Malaussène et Villars,
rejoint de nouveau le Var, et le suit jusqu'au confluent du Cians. De là elle
remonte la vallée de ce torrent jusqu'à l'endroit où la gorge s'élargit en face
de Rigaud, puis s'en écarte à l'Est pour suivre les sommets qui servent de
ligne de partage entre les eaux qui vont au Sud, vers le Var, et celles qui
vont au Nord vers la Vésubie. Elle aboutit aux sources du Var.
STATISTIQUE NUMÉRIQUE

Je terminerai en reproduisant quelques renseignements statis-


tiques auxquels il ne faut bien entendu, attribuer qu'une valeur
approximative.
Dans le volume paru en 1831, et intitulé Mélanges sur les langues,
dialectes et patois 1, a été inséré un article fort remarquable et qui
m'a mis sur la trace des documents que je viens de présenter au pu-
blic. Il est signé C. M. (Coquebert Montbret). P. 13-16 on lit :
En 1806, nous avions reçu à la direction de la statistique du
Ministère de l'Intérieur l'indication, par communes, de toutes les
parties de la France où d'autres idiomes que le français formaient
la langue maternelle des habitans. En prenant la population
indiquée à la même époque pour chacune de ces communes, nous
étions parvenus à connaître combien le territoire français d'alors
renfermait d'habitans de chacune des langues qui y étaient parlées.
C'était au moyen de ces renseignemens recueillis avec soin et notés
avec scrupule que l'on a marqué sur des cartes particulières des
départemens, et par suite sur une carte générale de la France, les
limites géographiques des différens idiomes, et qu'on avait donné
dans l'Annuaire des Longitudes le tableau qui y a figuré en 1809 et
années suivantes, tableau qu'il ne sera pas inutile peut-être de
reproduire ici. Il est intitulé : Relevé général de la population de
l'empire (français) selon les différentes langues que parlent ses
habitans, énoncé en nombres ronds et sans y comprendre les mili-
taires. Il se composait de six articles seulement, et c'était à ce
degré de brièveté que l'on avait réduit un travail qui avait exigé des
recherches fort considérables. Voici ces articles :
Langue française 27 926 000
Langue italienne 4079000
Langue allemande 2 705 000
Langue flamande 2277000
Langue bretonne 967 000
Langue basque 108000
.
TOTAL général. 38 062 000
. . .
1. Paris, Delaunay, in-8.
LIMITE DE LA LANGUE FRANÇAISE SOUS LE PREMIER EMPIRE 599
C'était là, ainsi que Coquebert de Montbret le remarque, l'état
des choses, alors que les frontières de l'Empire englobaient des
populations qui ont cessé après les événements de 1814 et 1815,
d'appartenir à la France. Aussi Coquebert de Montbret a-t-il essayé
de corriger ses chiffres pour les accommoder à l'année 1830. Nous
ne le suivrons pas dans ce travail, fondé sur des calculs qui n'ont rien
de rigoureux.
Je donnerai par contre un extrait de ses papiers, où il essaie
d'évaluer le nombre des habitants qui parlaient ou le français ou
d'autres langues et dialectes en 1806, en défalquant les habitants des
territoires qui ont cessé de nous appartenir après la chute de
l'Empire.
En 1806, les parties du département du Nord parlant flamand,
comprenaient 155 712 habitants.
La partie du Pas-de-Calais, environs de Saint-Omer, comprenait
1261 habitants.
Dans la MoselIe, il paraîtrait y avoir eu, en 1806, 218 662 personnes
de langue allemande, dans la Meurthe 41 795.
Une seule commune de langue allemande, dans les Vosges, avait
609 habitants.
Le Bas-Rhin avait, de langue allemande, 493 432 habitants, le
Haut-Rhin, 282 000. Ensemble pour l'Alsace : 775 432. Total de la
population allemande en 1806, dans les départements qui font encore
aujourd'hui (en 1831) partie du territoire français : 1 036 498.
Quant à la population de langue bretonne, elle était, dans les
parties de la Bretagne où cette langue est en usage, de 985 558, sur
une population de 1 385 936 qu'on comptait dans les trois départe-
ments de la Basse-Bretagne ; c'était un peu plus des sept dixièmes
de leur population totale.
La partie basque de la population était, en 1806, de 109 306 habi-
tans sur 383 502 (nombre des habitants du département des Basses-
Pyrénées).
La Corse à la même date comptait 185 079 habitants.
TABLE DES MATIÈRES

BIBLIOGRAPHIE, V.
INTRODUCTION, 1.

PREMIÈRE PÉRIODE
DE LA RÉUNION DES ÉTATS GÉNÉRAUX
A LA RÉUNION DE LA CONVENTION

LIVRE PREMIER

NATION ET LANGUE NATIONALE


CHAPITRE PREMIER
L'INFLUENCE DE LA RÉVOLUTION

— L'élan spontané, 4. — La patrie et son culte, ib.


Les diverses phases, 3.
— L'unité de langue et l'unité des coeurs, 3. — L'unité de langage lien
politique, 6. — Accord des intérêts et des sentiments, 7. — L'unité de
langue et le principe des nationalités, 9. — Autres mobiles, 10.

CHAPITRE II
UNE POLITIQUE DE LA LANGUE

Grégoire, 12. — Déclarations de Talleyrand, 13.

LIVRE II
LES ÉVÉNEMENTS ET LA LANGUE
CHAPITRE PREMIER
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

Impossibilité de généraliser, 13.

CHAPITRE II
LA FRANCE ENTIÈRE EST REMUÉE
602 TABLE DES MATIÈRES

LIVRE III

LA TRADUCTION DES DÉCRETS

CHAPITRE PREMIER

NÉCESSITÉ DE SE TENIR EN RAPPORT AVEC LE PEUPLE

CHAPITRE II

ON DÉCIDE LA TRADUCTION DES DÉCRETS

Décret du 14 janvier 1790, 23. — Avis des intéressés, ib.

CHAPITRE III

RÉSISTANCES ET DIFFICULTÉS

Le veto, 30. — Besogne épineuse, ib.

CHAPITRE IV

LES TRADUCTEURS

Bonnes volontés, 33.

CHAPITRE V

EXAMEN DES TRADUCTIONS COMMANDÉES

Les observations, 35.

CHAPITRE VI

TRADUCTION SUR PLACE

— Point d'organisation définitive, 38.


Bureaux départementaux, 37.

LIVRE IV
LA BATAILLE DES ÉCRITS

CHAPITRE PREMIER

PUBLICATIONS EN DIALECTES

Petit nombre de ces publications, 41.


TABLE DES MATIÈRES 60,3

CHAPITRE II

PUBLICATIONS EN IDIOMES

En Bretagne, 44. — En Flandre maritime, 45. —En Lorraine allemande,


46. — Le cas particulier de l'Alsace. Observations générales, ib. Les
sociétés populaires, 47. —

Les journaux, 49.

CHAPITRE III

RÔLE DU FRANÇAIS

Déluge de papiers, 51.

LIVRE V

LA BATAILLE DES PAROLES

CHAPITRE PREMIER

LES FÊTES

Les Fédérations, 55.


— Rôle du langage local, ib. — Projets d'organi-
sation, 57.

CHAPITRE II
RÔLE DU CLERGÉ

Le clergé et la politique, 59.


— Usage des patois et idiomes, ib. —
Prônes et lectures, 60. — Commentateurs bénévoles, 61. — Lecteurs
officiels, 62.

CHAPITRE III

LES SOCIÉTÉS POPULAIRES

Les Clubs et la langue, 64. — Le peuple entre dans les Sociétés, ib. —
Le patois est admis, 65. — Dans les pays à idiome, 66. — La société
populaire de Strasbourg, ib. — La Société de Colmar, 68. — Autres
villes, 69.

CHAPITRE IV

COUPLETS ET CHANSONS

La Marseillaise, 71.
604 TABLE DES MATIÈRES

LIVRE VI

LES MESURES DE TOUT ORDRE


ET LA LANGUE

CHAPITRE PREMIER

LA NOUVELLE DIVISION DU TERRITOIRE

Départements et langages, 75.

CHAPITRE II

LE FRANÇAIS ET LES ACTES

On en prend à son aise avec les Ordonnances, 79. — Inquiétudes et pro-


testations en Alsace, ib. — Un pamphlet, 83. — Tolérance, 87.

LIVRE VII

ACHEMINEMENT A UNE POLITIQUE


LINGUISTIQUE
CHAPITRE PREMIER

L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET L'ÉCOLE

Silence relatif des Cahiers, 91.


— L'Instruction Publique cl l'opinion, 92.

CHAPITRE II

LES PLANS D'INSTRUCTION ET LA LANGUE

CHAPITRE III

OUBLIS SINGULIERS

Dom Ferlus, 95.


— Les Oratoriens, ib.

CHAPITRE IV
LE RAPPORT DE TALLEYRAND

Une politique de la langue, 97.


TABLE DES MATIÈRES 605

CHAPITRE V

LA LÉGISLATIVE

Le Comité d'Instruction Publique. Plans et systèmes, 99.

CHAPITRE VI

LE RAPPORT DE CONDORCET

Obscurités, 101. — Les idées véritables de Condorcet, ib. Rapproche-



ments nécessaires, 102. — L'École française et le pays, 105. — Résultats,
106.

LIVRE VIII
LA RÉVOLUTION ET LE LATIN
CHAPITRE PREMIER

L'ENSEIGNEMENT EN FRANÇAIS

Les Cahiers et la Réforme, 109. — La classe en français et les plans d'ins-


truction, 110. — La classe en français et les Assemblées, ib.

CHAPITRE II

L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS

Imprécations contre le latinisme, 112. — Propositions en faveur du fran-


çais, 113.

CHAPITRE III
RÉSISTANCES

CHAPITRE IV
LES DÉPUTÉS ET LE LATIN

L'empreinte, 120. — Condorcet, 121.

CHAPITRE V
PROGRÈS DANS LA PRATIQUE

Lenteur à s'émouvoir, 123. — Manifestations scolaires, ib. — On ouvre


des cours de français, 124. — A Strasbourg, ib. — Un projet original,
120. Le Collège de France, ib. — A mi-route, ib.

606 TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE VI

LE FRANÇAIS COMME LANGUE RELIGIEUSE

Les Cahiers, 128. — Pétitions à la Constituante, 129. - L'idée se-


répand, 131. — Le gouvernement prend parti, 133.

DEUXIEME PERIODE

DE LA RÉUNION DE LA CONVENTION AU IX THERMIDOR

LIVRE PREMIER
L'ÉCOLE ET LA LANGUE

CHAPITRE PREMIER

LE RAPPORT LANTHENAS

CHAPITTE II

ON RÉCLAME UNE « INSTRUCTION PUBLIQUE »

CHAPITRE III

LES PLANS D'INSTRUCTION ET LA LANGUE

Confusion, 140. — Les débats de juillet 1793, 141. — Intervention de


Grégoire, 142. — Daunou, ib. — Michel-Edme Petit, 143. — Deleyre,
144. — Wandelaincourt, ib. — Dans l'opinion publique, 145.

CHAPITRE IV

LA LOI DE VENDÉMIAIRE

CHAPITRE V

REVISION DE LA LOI. UN NOUVEAU SYSTÈME

CHAPITRE VI

LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES

Origine de l'idée, 150.


— Institution d'un concours, 151. — La Gram-
maire nationale, 152.
TABLE DES MATIÈRES 607

LIVRE II

LA PROPAGANDE
ET LES DIVERS LANGAGES

CHAPITRE PREMIER
LA TRADUCTION DES DÉCRETS

La Convention continue la tradition des précédentes Assemblées, 155. —


Intervention de Rühl et de Dentzel, 156. — Le décret et l'opinion, 159. —
Nouvelles mesures, 162.
CHAPITRE II
LA PROPAGANDE, LES PATOIS ET LES IDIOMES

Les pays à dialecte, 164. — Les pays à idiome, 165.

CHAPITRE III
EN ALSACE

L'allemand toujours reconnu, 168. — Journaux et publications, 171.

LIVRE III
RUPTURE AVEC LES IDIOMES
ET LES PATOIS
CHAPITRE PREMIER

LES IDIOMES DEVIENNENT UN DANGER

Embarras des Représentants en mission, 173. — Le double péril, 175.


Les idiomes déclarés suspects, 176. — Dans l'Est, 178.

CHAPITRE II

LA GUERRE AUX IDIOMES

L'école de français, 180. — Offensive de Barère, ib. — Barère et


Domergue, 181.
CHAPITRE III

LE DÉCRET DU 8 PLUVIÔSE

La discussion du décret, 183. — Les instituteurs de langue française, ib.


608 TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE IV

LES ACTES EN FRANÇAIS

CHAPITRE V

LA TERREUR LINGUISTIQUE EN ALSACE

Premiers arrêtés des Représentants, 188. — Les responsables, 189.


La proscription de l'allemand, 190. — On propose des mesures de violence,
191.

CHAPITRE VI

LES PATOIS ET LA POLITIQUE

Représentants patoisants, 196. — Gêne ou obstacle? 197. — Le patois et


les contre-révolutionnaires, 200. — On s'accommode des embarras linguis-
tiques, 201.

CHAPITRE VII

L'INTERVENTION DE GRÉGOIRE

Le rapport du 16 prairial, 204.

CHAPITRE VIII
CONCLUSION BÉNIGNE

Adresse aux Français, 215.

LIVRE IV

EFFETS DU DÉCRET DU 8 PLUVIÔSE

CHAPITRE PREMIER

IMPRESSION CAUSÉE

Approbations, 217.
CHAPITRE II

ESSAIS D'APPLICATION

En Flandre, 223. — En Alsace, ib.


— En Moselle, 229. — Dans la
Meurthe, 230. — Dans le Mont-Terrible, 232. Dans les Alpes-Mari-

times, ib.
TABLE DES MATIÈRES 609

CHAPITRE III

OBSTACLES IMPRÉVUS

La francisation et les finances, 233.


— La francisation et les armées, 235.

CHAPITRE IV

A LA RECHERCHE DE MÉTHODES ET D'HOMMES.


PREMIERS PROJETS D'ÉCOLES NORMALES

Les méthodes, 237. —Origine de l'idée d'écoles normales, 240. — L'idée


se précise, 241. — Le projet de Bergues, 243. — Suggestions du Bas-Rhin,
246. — Ajournement, 247.

CHAPITRE V

EFFET MÉDIOCRE DE LA POLITIQUE DE LA LANGUE


SUR L'USAGE LINGUISTIQUE

Les velléités et les faits, 249. — Les administrations, les sociétés, 250. —
Résultats de la terreur exercée en Alsace, 252. — Protestations : Allemands
de langue, patriotes de coeur, 255.

CHAPITRE VI
L'ÉDUCATION DES ADULTES

Le théâtre, 259. — Fêtes et réunions, 260.

LIVRE V

ABOLITION DE L'ÉDUCATION LATINE


CHAPITRE PREMIER

AGONIE DES COLLÈGES

Sévères condamnations, 267. — La pétition du département de Paris, 269.

CHAPITRE II

DERNIERS ESSAIS DE TRANSFORMATION

CHAPITRE III

FIN DES COLLÈGES ET DES UNIVERSITÉS


Histoire de la langue française. IX. 39
610 TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE IV

LES INSCRIPTIONS LATINES

TROISIÈME PÉRIODE

DU IX THERMIDOR AU COUP D'ÉTAT DE BRUMAIRE

LIVRE PREMIER
NOUVELLE POLITIQUE
CHAPITRE PREMIER
ON CONTINUE A ACCUSER LES IDIOMES

Après la Terreur, 281. — Les idiomes et les Chouans, 282. — En Alsace,


284. — En Lorraine allemande, ib. — Dans le Nord, 285.

CHAPITRE II
DISPOSITION DES ESPRITS

A la Convention, 286. — Dans le pays, 287. — Projets envoyés au Comité


d'Instruction publique, 289.
CHAPITRE III
PREMIER RECUL. LE FRANÇAIS ET LES ACTES

Observations, 291.—On revient aux tolérances, ib. —Persistance des vieux


usages, ib. — La traduction des actes du pouvoir central, 292.

LIVRE II
LE FRANÇAIS ET L'ENSEIGNEMENT
CHAPITRE PREMIER
INSUCCÈS DES ÉCOLES PRIMAIRES

Causes et effets, 299. — Une première statistique, 301.

CHAPITRE II
L'ÉCOLE NORMALE

Formation et recrutement, 304.


— La grammaire française à l'École, 305.
— Discussions, 308. — L'échec, 309.
TABLE DES MATIÈRES 611

CHAPITRE III
INFIDÉLITÉS A LA POLITIQUE SCOLAIRE

La porte entrebâillée aux patois, 311.


— L'effet dans le pays, 313.

CHAPITRE IV

LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES

Ajournements, 315. — Les chefs-d'oeuvre tardent à venir, ib.

CHAPITRE V

DERNIER RECUL. ABANDON DE LA POLITIQUE SCOLAIRE

Toujours peu d'écoles, 317. — La loi de brumaire an IV, 318.

CHAPITRE VI

COMPENSATIONS. LE FRANÇAIS PREND POSSESSION


DU HAUT ET DU MOYEN ENSEIGNEMENT

Magnifiques créations, 320. — Le français et les Ecoles centrales, ib.

CHAPITRE VII

LE DIRECTOIRE. INDIFFÉRENCE ET VEULERIE

Des avertissements continuent à arriver, 323. — Actes et paroles, 324. —


Vitesse acquise, 325.

CHAPITRE VIII

GRAMMAIRE GÉNÉRALE ET GRAMMAIRE FRANÇAISE

Faveur dont jouit la Grammaire générale, 327. — La Grammaire géné-


rale et les plans d'études, 328. — Les maîtres, 330. — Indécisions, 332. —
Répugnance des élèves et des familles. On ne tient qu'au français, 334.
La Grammaire française substituée à la Grammaire générale, 335. —

Avantages que la Grammaire française tirait de l'enseignement de la Gram-
maire générale, 338. — Observations de l'Administration, 339. —Les Résul-
tats, 340.
CHAPITRE IX
DÉVELOPPEMENT DES ÉCOLES CENTRALES

Faits et légendes, 343. — Statistique des élèves des cours de Grammaire


générale, 345.
612 TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE X

L'ÉCOLE PRIMAIRE SOUS LE DIRECTOIRE

Etat misérable des écoles. Témoignages, 349. — Rôle plus que modeste
du français, 350.

CHAPITRE XI

NOUVEAUX PROJETS D'ÉCOLES NORMALES

Velléités sans effet, 353.

CHAPITRE XII

LES LIVRES ÉLÉMENTAIRES

Fermeture du concours. Lhomond primé, 355. — Récriminations, 357.

CHAPITRE XIII
RÉSULTATS INDIRECTS.
LES ÉCOLES PRIVÉES S'ADAPTENT AUX NOUVEAUX BESOINS

Transformation générale des écoles et des livres, 359. — Dans les départe-
ments, 361. — Les petites écoles, 362.

LIVRE IV

LES FÊTES, LES CULTES ET LE FRANÇAIS

CHAPITRE PREMIER

ORGANISATION OFFICIELLE

Aboutissement tardif, 365. — La théophilanthropie, 366.


— Les fêtes
décadaires, 367.
— Triomphe du dimanche, 368.

LIVRE V

LE CULTE CATHOLIQUE ET LE FRANÇAIS

CHAPITRE PREMIER
EN FAVEUR DE LA LANGUE NATIONALE

La série des protestations contre le latin continue, 371,


TABLE DES MATIÈRES 613

CHAPITRE II

LE CONCILE NATIONAL

Avant la réunion, 374.


— La question est posée, 375. — Le décret, 376.

Oppositions, 378.

CHAPITRE III

L'EXÉCUTION DU DÉCRET

Le Sacramentaire français, 380.


— Autres livres, ib. — Les Sacrements
en français en Seine-et-Oise, 382.

CHAPITRE IV

LA QUERELLE DU SACRAMENTAIRE

Vive opposition, 386. — Réponse de l'auteur, 388. — Intervention de


Brugière, 390. — Riposte aux Versaillais, 391. — Grégoire donne, 393.

CHAPITRE V

DANS LA PRATIQUE

Hardies initiatives, 399. — Rareté des témoignages, 400. — Répugnance


générale de l'Eglise, 401. — Le second concile, 403.

LIVRE VI

LES RÉSULTATS DE LA RÉVOLUTION

CHAPITRE PREMIER

PROGRÈS CONSTATÉS

L'idéal des Révolutionnaires, 407. — Les Statistiques, 409. — Renseigne-


ments insuffisants, 410. — Progrès attestés du français. Dans les pays de
langue d'oui et de langue franco-provençale, 412. — Dans les pays de
langue allemande, 413. — Dans les pays de langue d'oc, 417. — Change-
ments dans l'esprit public. La langue partie intégrante de la nation
moderne, 420.
614 TABLE DES MATIERES

QUATRIÈME PÉRIODE

L'EMPIRE
APRÈS BRUMAIRE.
— LE CONSULAT ET

LIVRE PREMIER

LA RÉACTION LATINE

CHAPITRE PREMIER

LA CAMPAGNE CONTRE LES ÉCOLES CENTRALES

Observation générale, 423. — Défauts graves des Ecoles, ib. — Haute


valeur de l'institution, 425. — Quelques opinions, ib. — Remèdes pos-
sibles, 427. — Campagne violente, 428. — Le salut par le latin, 429. —
Fidèles du français, 431.

CHAPITRE II

ABOLITION DES ÉCOLES CENTRALES. PROPOSITIONS


DÉCENTRALISATRICES

CHAPITRE III
L'INTOLÉRANCE LATINE

Caractères généraux du nouveau système d'instruction secondaire, 440.



On sacrifie le français, 442.
— Le parallélisme, 443.

CHAPITRE IV

LE LATIN ET LES HAUTES ÉTUDES

Ecoles supérieures, 446.


— Rares protestataires, ib.

CHAPITRE V

QUELQUES DONNÉES SUR L'ÉTAT DES ÉTUDES

Une enquête, 448. Écoles libres en l'an XIII, 450.


CHAPITRE VI
L'UNIVERSITÉ IMPÉRIALE

Le joug du latin s'appesantit, 473.


TABLE DES MATIÈRES 615

CHAPITRE VII
L'ÉCOLE NORMALE D'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

Formation de l'École, 476. — La place du latin, ib.

LIVRE II
LE NOUVEAU RÉGIME ET LES PARLERS

CHAPITRE PREMIER

LA TRADITION RÉPUBLICAINE

L'esprit de francisation et les autorités, 479. — Région basque, 481. —


Région bretonne, 482. — Région allemande, 483. — Région catalane, 484.

CHAPITRE II

SOUS L'EMPIRE

Napoléon et le français, 486. — L'avis des érudits, 487.

CHAPITRE III
RÈGLES ET PRATIQUES ADMINISTRATIVES

Les états financiers, 489. — Les pièces judiciaires et administratives, ib.

CHAPITRE IV

LE FRANÇAIS, L'ÉTAT ET L'ÉGLISE CONCORDATAIRE

La vie religieuse et les parlers, 491. — Observations des Préfets, ib. —


Sous l'Empire, 492. — Attitude du ministère, 493.

CHAPITRE V

L'AFFAIRE DU CATÉCHISME UNIQUE

On autorise les idiomes, 495.

CHAPITRE VI

LES ÉCOLES PRIMAIRES APRÈS LA LOI DE L'AN X

L'abandon des Écoles d'État, 498. — Reconstitution lente et incomplète du


premier enseignement, ib.
616 TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE VII

RÔLE ET CARACTÈRE DES ÉCOLES

Le recrutement des maîtres, 502. — Singulier personnel, 503.

CHAPITRE VIII

RETOUR A L'IDÉE D'ÉCOLES NORMALES

Besoins et demandes, 506. — Quelques essais, 507. — Persistance des


l'éclamations, 508.

CHAPITRE IX

LE FRANÇAIS ET LES ÉCOLES DE L'EMPIRE

Conséquences pour le français de la misère des écoles, 510. — Dans les


pays à idiomes, 511. — Dans les pays à dialectes, 515. — Préfets puristes, ib.
— Impression générale, 516.

CHAPITRE X

UN DÉPARTEMENT MODÈLE

En Moselle, 518. — Les efforts redoublent, 519. — Approbation gouver-


nementale, 520.

CHAPITRE XI

LA LANGUE ET LA VIE GÉNÉRALE

La centralisation, 523. — La guerre, ib.

APPENDICE

CHARTRES. — IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT (3-1927).

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