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Le texte que nous étudions aujourd'hui est extrait de l'œuvre "Aurore" de Friedrich Nietzsche,

philosophe allemand du XIXe siècle. Le texte soulève des questions fondamentales sur la nature du
génie, ses origines et sa relation avec le travail acharné : Quelle est la nature du génie artistique, et
comment devrions-nous le comprendre ? Le texte remet en question l'idée traditionnelle du génie en
tant que don divin ou miracle, mais comment devrions-nous plutôt le concevoir ? Quelle est la
relation entre l'artiste et l'inventeur/scientifique ? Nietzsche compare l'activité du génie artistique à
celle de l'inventeur en mécanique et du savant. Quelles sont les similitudes et les différences
fondamentales entre ces activités créatives ? Comment la perception de l'art et de la créativité
évolue-t-elle en fonction du processus de création ? Le texte aborde l'idée que le travail
d'achèvement de l'artiste suscite l'étonnement, tandis que le processus de création est moins
valorisé. Comment cette perception affecte-t-elle notre appréciation de l'art et du génie ?

Pour répondre à cela, Nietzsche nous offre un raisonnement en trois temps, il remet en question la
perception commune du génie artistique et de l'inspiration créative. L'auteur se penche sur la notion
de génie, souvent associée à l'idée d'un don divin ou d'un miracle, et il propose une réflexion critique
sur la manière dont la société glorifie les artistes et les penseurs créatifs. Nietzsche remet en cause
l'idée d'un génie en tant que miracle, mettant en lumière des similitudes entre l'activité du génie
artistique et d'autres professions créatives. Enfin, il explore la différence de perception entre l'œuvre
achevée et le processus de création, notant que les œuvres finies suscitent l'étonnement tandis que
le processus de création est souvent négligé. Cette analyse nous invite à réfléchir sur les conceptions
traditionnelles du génie, les perceptions de l'art et de la créativité, sur la manière dont nous
appréhendons le talent exceptionnel et sur la valeur que nous attribuons à l'art et à la création.

Nietzsche commence par remettre en question la perception traditionnelle du génie


artistique en tant que don divin ou miracle. Platon a introduit la notion de "daimon" dans son
dialogue intitulé "Le Banquet". Selon Platon, le "daimon" est une entité divine ou un esprit
intermédiaire qui agit comme un intermédiaire entre les dieux et les hommes. Les "daimones" sont
associés à l'inspiration, à la créativité artistique et à la capacité de transcender la condition humaine
pour accéder à des vérités supérieures. Dans cette perspective, les artistes, les poètes et les penseurs
peuvent être inspirés par leur "daimon" pour atteindre des niveaux de connaissance et de création
qui dépassent le commun des mortels. Ainsi, la théorie du "daimon" de Platon suggère une
inspiration divine, tandis que Nietzsche remet en question cette idée et propose une perspective plus
terre-à-terre sur la créativité et le génie. Le lien réside dans le fait que Nietzsche cherche à
démythifier le génie, à le rendre plus accessible et à souligner le rôle actif de l'individu dans le
processus créatif, en opposition à une conception qui attribuerait le génie à une influence extérieure
ou divine.

En outre, il entame une analyse profonde de la perception commune du génie artistique, remettant
en question l'idée largement répandue selon laquelle le génie artistique serait un don divin ou un
miracle. Il suggère que cette conception est largement entretenue par la vanité et l'amour-propre
des individus. Nietzsche écrit : "Pensant du bien de nous, mais n'attendant pourtant pas du tout de
nous de pouvoir former seulement l'ébauche d'un tableau de Raphaël ou une scène pareille à celles
d'un drame de Shakespeare, nous nous persuadons que le talent de ces choses est un miracle tout à
fait démesuré, un hasard fort rare, ou, si nous avons encore des sentiments religieux, une grâce d'en
haut." Ici, Friedrich Nietzsche met en évidence le rôle de la vanité dans la glorification du génie
artistique. Lorsque les gens considèrent les réalisations extraordinaires d'artistes tels que Raphaël ou
Shakespeare, ils ont tendance à percevoir ces talents comme des miracles incommensurables, des
événements fortuits rares, voire comme des grâces divines provenant d'en haut. L’auteur soulève la
question de savoir pourquoi l'humanité a tendance à préférer cette vision élevée et mystique du
génie, plutôt que d'accepter la réalité de ses propres capacités limitées. Il nous invite à nous mettre à
la place de ces individus qui, malgré leur reconnaissance de leurs propres limites en matière de talent
artistique, ne s'attendent pas à pouvoir créer ne serait-ce que l'ébauche d'une œuvre comparable à
celles de ces maîtres. Cet écart entre notre conscience de nos propres limites et la grandeur des
œuvres de génie crée un terrain fertile pour l'idée du miracle ou de la grâce divine. Ainsi, Nietzsche
met en lumière le rôle de la vanité et de l'amour-propre dans la perpétuation du mythe du génie en
tant que don divin. Il soulève des questions sur la manière dont l'ego individuel et la quête d'estime
de soi influencent notre perception du génie, et comment cette perception est influencée par nos
désirs de maintenir une distance entre les créateurs exceptionnels et le commun des mortels. Cette
première étape de son raisonnement nous incite à réfléchir aux motivations psychologiques et
sociales qui provoquent la glorification du génie artistique.

Nietzsche poursuit sa critique de l'idée du génie en tant que miracle ou don divin,
en éclairant l'activité créative du génie à travers une lentille plus large et moins mystique. Il avance
l'idée que l'acte créatif n'est pas un phénomène miraculeux réservé à une élite d'artistes et de
penseurs exceptionnels, mais qu'il partage des similitudes essentielles avec d'autres formes de
création, telles que l'invention mécanique, la recherche scientifique et l'écriture historique.

Lorsque Nietzsche affirme que "Toute activité de l'homme est compliquée à miracle, non pas
seulement celle du génie : mais aucune n'est un 'miracle'," il est loin de considérer le génie comme
une entité transcendante, Nietzsche suggère que la créativité découle de la condition humaine elle-
même. Cette perspective philosophique renvoie à l'idée que l'existence précède l'essence, selon
laquelle les individus sont jetés dans le monde et c'est par leurs actions et leurs choix qu'ils
définissent leur essence. De même, la créativité émerge des efforts, de la réflexion et de la pratique,
et elle n'est pas le résultat d'une grâce divine. Cette idée met l'accent sur la responsabilité
individuelle dans la création.

Kant a développé l'idée que l'art, en particulier l'art génial, joue un rôle exemplaire dans la mesure
où il offre des exemples de la capacité humaine à créer et à produire des œuvres d'une beauté et
d'une originalité exceptionnelles. Pour Kant, les œuvres d'art géniales servent d'exemples pour les
autres, démontrant ce que la créativité humaine peut accomplir. Nietzsche, dans son texte, remet en
question l'idée que le génie artistique est un miracle, soulignant que l'activité du génie n'est pas
fondamentalement différente de celle d'autres professionnels créatifs. Il suggère que tous les
individus peuvent être actifs dans des domaines créatifs, et que la créativité est une activité
complexe partagée par de nombreux individus, pas seulement réservée à quelques élus. Ainsi, en
mettant en corrélation l'idée de Nietzsche avec le concept kantien de l'exemplarité, on peut voir que
Nietzsche rejette l'idée d'un génie comme étant réservé à une élite exceptionnelle. Au lieu de cela, il
soutient que la créativité et le génie peuvent être exemplaires dans le sens où ils illustrent la capacité
humaine à créer, sans nécessairement relever du miracle ou de la grâce divine. Cela rejoint la
perspective kantienne selon laquelle l'art exemplaire montre ce que l'humanité peut accomplir par le
biais de la créativité, mais sans nécessairement attribuer cette capacité à des dons divins ou à des
miracles.
Dans cette troisième et dernière étape de son raisonnement, Nietzsche explore
de manière plus approfondie la différence entre l'œuvre achevée et le processus de création. Il fait
remarquer que la société accorde une attention particulière et un émerveillement à l'égard des
œuvres d'art finies, les considérant comme des chefs-d'œuvre accomplis. Cependant, il souligne
également que le processus de création, le cheminement suivi par l'artiste pour parvenir à cette
réalisation, est souvent négligé, voir ignoré. La notion que "Personne ne peut voir dans l'œuvre de
l'artiste comment elle s'est faite ; c'est son avantage, car partout où l'on peut assister à la formation,
on est un peu refroidi". Nietzsche souligne que le génie artistique est également lié à ce processus
créatif, souvent invisible aux yeux du public. L'artiste incarne cette démarche créative en
transformant des idées, des émotions et des inspirations en une œuvre d'art achevée. Cette vision
met en évidence la complexité et la richesse du génie, non seulement dans le résultat final, mais
aussi dans le voyage artistique qui y mène. Nietzsche nous invite à repenser notre conception de l'art
et de la créativité en intégrant le processus de création dans notre appréciation. Il met en avant
l'idée que le génie réside non seulement dans le produit fini, mais aussi dans le cheminement créatif,
souvent obscur et difficile, qui y a conduit. Cette perspective nous incite à voir l'art comme un
processus dynamique et évolutif, où la valeur se trouve à la fois dans l'œuvre achevée et dans l'effort
créatif qui l'a rendue possible.

Il suggère que cette préférence pour le produit fini découle en partie du fait que l'œuvre achevée se
présente comme une perfection actuelle, capturée dans une forme définitive qui peut être
contemplée et appréciée. En revanche, le processus de création, qui est plus fluide, chaotique et
difficile à observer, est souvent éclipsé par le produit fini. L'idée des surréalistes comme : André
Breton, Salvador Dalí, Giorgio de Chirico ou encore René Magritte, selon laquelle "Ce qui constitue la
création artistique échappe même au créateur, il crée par nécessité" résonne avec la perspective de
Nietzsche. Elle suggère que le processus créatif est parfois un acte instinctif et nécessaire, dans
lequel l'artiste est poussé à créer sans toujours comprendre pleinement le processus lui-même. Cette
idée va à l'encontre de la vision traditionnelle de l'artiste en tant que contrôlant entièrement son
œuvre et son processus créatif. En mettant en relation ces deux perspectives, on peut voir que
l'œuvre d'art achevée peut sembler émaner d'une nécessité intérieure ou d'une force créatrice
profonde, échappant parfois à la compréhension consciente de l'artiste. Cela renforce l'idée que la
créativité artistique est souvent plus complexe et mystérieuse qu'il n'y paraît, et que le processus de
création mérite une attention et une appréciation plus grandes de la part de la société.

En conclusion, Nietzsche remet en question la conception traditionnelle du génie artistique en


soulignant le rôle de la vanité, en critiquant l'idée du génie comme miracle et en explorant la
différence entre l'œuvre achevée et le processus de création. Son raisonnement invite à repenser
notre perception du génie, de l'art et de la créativité, en mettant en avant la complexité de l'activité
créative et en remettant en question les conceptions conventionnelles du talent exceptionnel.

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