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Le sport est-il
une science exacte ?
La science est entrée dans le sport et y nourrit le fantasme d’une
performance prévisible et quantifiable. Avec encore quelques limites.
t s’il existait un système de jeu basé reposant sur des éléments objectifs. C’est la sont après trois passes ou moins, que la fré-
EXPÉRIENCES EN TOUS GENRES différents tests, elle observe «toutes les zones
physiologiques que sollicite un sportif pendant
Des universitaires anglais ont trouvé pourquoi une équipe de football obtient de son effort» afin de proposer un programme de
meilleurs résultats lorsqu’elle évolue à domicile, un phénomène commun à tous les préparation rationnel, et donc de planifier pré-
cisément les performances futures. La méthode
sports collectifs. Des tests menés sur 40 arbitres anglais par le professeur Alan Nevil,
semble porter ses fruits puisque la Kényane
de l’université de Wolverhampton, ont mis en évidence l’influence de l’environne- Isabella Ochichi, médaillée d’argent sur 5000 m
ment sonore, qui a pour effet de faire sanctionner moins souvent les joueurs locaux aux Jeux Olympiques d’Athènes, ou encore le
(environ 15% de fautes oubliées). En clair, consciemment ou pas, l’homme en noir couple de biathlètes Raphaël et Liv Poirée,
bénéficient de ses conseils (lire entretien page
n’a pas envie de déclencher la colère du public. Une autre étude britannique a mon-
12). Seul bémol, il s’agit de disciplines dans les-
tré que le taux de testostérone des footballeurs pouvait monter de 40 à 67% lors- quelles l’adversité n’est pas directe, au sens où
qu’ils évoluent devant leur public, alors qu’il reste stable à l’extérieur. D’autres chaque athlète fait sa course, alors que dans un
recherches ont montré qu’en tennis de table, le fait de servir ne procurait aucun avan- sport d’opposition (football, rugby, tennis,
boxe), la performance dépend aussi de l’adver-
tage. Enfin, à l’Insep, l’utilisation d’un simulateur-analyseur du mouvement en
saire.
temps réel, un appareil capable de visualiser un athlète en trois dimensions et sous Quoi qu’il en soit, un mouvement de fond allant
tous les angles, a permis aux jeunes tennismen de constater que le relanceur sait, dans le sens d’une intensification du recours à
avant même que la balle de son adversaire n’atteigne son zénith, s’il devra utiliser la science se dessine. L’Institut de recherche bio-
médicale et d’épidémiologie du sport (Irmes),
son coup droit ou son revers.
installé à l’Insep depuis novembre dernier, y par-
ticipe. «L’Irmes est une réponse à des attentes d’efforts, l’oxygène consommé est mesuré. Ces concernant les différents parcours afin de faire
manifestées dans de nombreuses disciplines résultats, comparés à des valeurs standard, travailler en amont leurs athlètes sur le tracé
sportives pour mieux connaître les traumatismes offrent la possibilité au coach de mettre en le plus efficace.
et les problèmes physiologiques liés à la pratique lumière certaines carences de son élève et Sur le plan tactique, dans les sports d’opposi-
du haut niveau, explique Hubert Comis, le direc- d’adapter ainsi son entraînement. Toujours dans tion (sports de combat, sports collectifs, sports
teur de l’Insep. C’est un projet à moyen et à long la même logique: comprendre les mécanismes de raquette), les logiciels d’analyse vidéo per-
terme qui permettra, quand on possédera une de l’effort. mettent non seulement d’intervenir dans la
meilleure connaissance de ces problèmes, d’en préparation, mais aussi dans le jeu. La
VIDÉO ET STATISTIQUES
tirer des conclusions pour les entraînements ou Fédération française de volley-ball a ainsi mis
les matériels utilisés». Le but est de recueillir La vidéo et les statistiques sont également par- au point un logiciel qui établit différentes sta-
un ensemble de données (biologiques, héma- ties intégrantes de l’entraînement du sportif de tistiques pendant le match: pourcentages de
tologiques, endocriniennes, pathologiques, haut niveau. Dans tous les sports collectifs, la smashs gagnants et perdants pour chaque
traumatologiques) et d’observer l’évolution de vidéo est désormais l’outil de base de la pré- joueur, zones d’attaques préférentielles des
ces paramètres au cours des olympiades suc- paration tactique des matchs. En outre, les pro- joueurs adverses, etc. Ces éléments peuvent
cessives pour trouver des explications à leurs grès technologiques (miniaturisation des conduire à décider d’un changement de joueur
variations. caméras, meilleure qualité d’image et de son, ou d’une nouvelle stratégie en cours de set,
Le plateau technique du Team Lagardère – qui caméras à haute vitesse) offrent aujourd’hui une puisqu’un adjoint équipé d’un ordinateur por-
compte parmi ses protégés Richard Gasquet et analyse très fine et très détaillée des mouve- table se trouve en constante relation avec l’en-
Gaël Monfils – bénéficie aussi de moyens ultra- ments. Les entraîneurs de patinage artistique traîneur. Enfin, en gymnastique ou en natation
modernes qui permettent par exemple d’évaluer se sont ainsi rendu compte que pour réaliser un synchronisée, des logiciels vidéo permettent
les capacités d’un joueur de tennis à tenir sur triple axel, il était préférable de laisser légère- d’imaginer des mouvements inédits.
la durée du match ou à supporter la répétition ment déraper le patin et non de le bloquer
COMMENT FAIRE LE TRI?
des rencontres. Pour cela, Christian Miller, spé- avant le saut. De même, Amélie Mauresmo a uti-
cialiste de biomécanique et de physiologie, a mis lisé ce type d’images quand elle a voulu modi- Mais, face à cette foule d’informations et d’op-
en place avec son équipe des tests sur tapis rou- fier son service avec son entraîneur Loïc tions, comment faire le tri ? Faut-il faire
lant, rameur, vélo ou sur piste. Le tennisman Courteau. L’idée est de se rapprocher du geste confiance aux probabilités ou bien tenter de
est équipé d’un masque qui permet d’analyser parfait et, dans les sports à trajectoire (ski, sla- surprendre l’adversaire en faisant preuve de
les échanges gazeux respiratoires au fil d’une lom en canoë-kayak, voile, course automobile), créativité ? Epineux débat. En football par
procédure standardisée où, à chaque palier les entraîneurs se créent des bases de données exemple, tous les entraîneurs ont recours à la
à travers des mesures objectives ». Pour nouveaux outils comme l’imagerie mentale. (1) JC Lattès, 2006, 19 € (l’illustration de la page 9 repro-
Chantalle Mathieu, chef du département des Couvert de capteurs qui détectent la tempé- duit le schéma présenté en couverture de l’ouvrage).
(2) Un système de jeu en 4-4-2 signifie qu’une équipe joue
sciences du sport de l’Insep, « l’idée fonda- rature de la peau, le débit sanguin ou le rythme
avec 4 défenseurs, 4 milieux de terrains et 2 attaquants (le
mentale est qu’il faut s’entraîner plus juste. Au cardiaque, l’athlète cobaye doit imaginer ses gardien de but n’étant pas pris en compte). D’autres variantes
niveau du temps passé sur les pistes ou dans mouvements en fermant les yeux mais aussi fréquemment utilisées sont le 4-5-1 (plus défensif, avec
les salles, on a atteint un maximum et il ne ser- penser au public ou aux juges. Pour s’appro- cinq milieux de terrain et un seul attaquant) ou le 4-3-3 (avec
trois attaquants).
virait à rien d’en rajouter une couche. » Se cher du geste parfait tout en maîtrisant le
(3) L’Homme en mouvement, histoire et anthropologie
pose au passage le problème du surentraîne- contexte. Le but ultime de tout sportif. ● des techniques sportives. Chroniqué dans En jeu n°401,
ment. Avec la question suivante : que peut- BAPTISTE BLANCHET octobre 2006.
on imposer à un organisme sans qu’il ne
craque ?
LA SCIENCE A SES LIMITES
Le dopage peut d’ailleurs s’analyser comme
la volonté de transformer le sport en science A LA RECHERCHE DE L’INTELLIGENCE COLLECTIVE
exacte en créant « l’athlète parfait ». Dans
Mais quelle est donc cette alchimie
France 5
cette optique, on augmente artificiellement
la masse musculaire, l’oxygénation des collective qui fait que le niveau d’une
muscles, la capacité à supporter des doses équipe est supérieur à la somme de
d’entraînement plus élevées et à mieux récu- ses individualités ? C’est à cette
pérer. À terme, le clonage humain ou le pré-
recherche d’un « supplément d’âme »
lèvement de cellules souches stockées puis
réinjectées dans la partie endommagée de footballistique que travaille quoti-
l’organisme – un genou ou un muscle par diennement Christian Gourcuff,
exemple – pourraient ouvrir de nombreuses entraîneur du FC Lorient. « L’intelligence collective », remarquable documentaire
possibilités… et poser de sérieux problèmes
signé par Jean-Christophe Ribot et diffusé en juin dernier sur France 5, permet
éthiques.
Mais pour le moment, ce rêve d’un sport pla- d’en saisir les mécanismes.
nifiable, quantifiable ou prévisible trouve La méthode Gourcuff, basée sur la vidéo et l’informatique, se fonde sur plusieurs prin-
encore ses limites. « La médecine elle-même cipes collectifs: «Quand on défend, le bloc-équipe doit se resserrer pour créer une forte
n’est pas une science exacte, même si elle
densité puis s’élargir pour s’octroyer de l’espace en situation offensive. » La capacité
s’appuie sur des sciences exactes, estime Eric
Jousselin, médecin à l’Insep. Dans le sport, d’une équipe à passer au plus vite d’une situation offensive à défensive, et vice-versa,
on peut tenter de tout mettre en équation constitue selon Gourcuff l’une des clés du foot moderne. Mais à cette approche quasi-
comme l’ont fait les pays de l’Est, en mesurant scientifique viennent s’ajouter d’autres variables : « Dans une société très indivi-
tout : le poids, la taille, la taille des membres
dualiste, il est difficile de faire passer aux joueurs l’intérêt d’un fonctionnement
inférieurs, supérieurs. On le fait encore pour
détecter les jeunes qui possèdent un mor- collectif et l’idée que se faire plaisir individuellement ne mène jamais très loin. » Pour
photype de champions dans telle ou telle dis- cela, l’entraîneur doit faire comprendre à ses joueurs la perception globale du jeu.
cipline. Mais, par exemple, on ne peut pas « Chacun doit saisir son rôle, se situer dans le système et comprendre comment il est
réellement travailler le temps de réaction car
relié aux autres, confirme Antonio Damasio, professeur de neurosciences à l’université
il est lié à des circuits neuronaux complexes.
La science ne permet pas d’obtenir tous les de Californie du Sud. Il faut donc une conscience de son environnement pour y trou-
résultats souhaités. » ver des solutions. Quand la situation devient plus complexe (notamment lorsqu’il s’agit
Affirmer que le sport est une science exacte de surprendre une défense bien organisée), on arrive dans un espace non-conscient.
reviendrait enfin à oublier sa dimension psy-
Le choix est alors dicté par ce que l’on a travaillé à l’entraînement et par la manière
chologique. Or, là encore, l’état de la connais-
sance ne permet pas d’en tirer des recettes dont on associe une émotion à une action. Il y a un travail d’auto-éducation à faire
infaillibles pour se forger un mental de cham- dans la manière dont on se décide. » Ce que Christian Gourcuff résume de la manière
pion. « On peut simplement relever des suivante : « L’intérêt des automatismes, c’est de libérer l’esprit pour des choses plus
constantes chez les sportifs qui réussissent,
fines, plus individualisées. »
comme la stabilité émotionnelle dans les
moments importants, une attitude de com- Reste donc le plus complexe : déchiffrer le jeu en action. Que veut dire mon adver-
bativité ou une forme d’intensité dans ce que saire ? Que veut-il me faire croire ? Comment communiquer avec mes coéquipiers ?
l’on fait, estime le préparateur mental Hervé « Il y a des signes verbaux mais aussi des signes corporels avec les pieds, les mains,
Le Deuff. Ce sont juste des indicateurs favo-
la tête, l’allure, indique Pierre Parlebas, professeur en Sorbonne. On en produit
rables à la performance. Pas plus. Le mental
se travaille, mais il existe aussi une part et on en reçoit. Ce qui se joue est complexe car le footballeur prend une décision
d’inné, combinée à l’influence des facteurs (par exemple centrer en retrait, y aller tout seul ou temporiser), parmi plusieurs
culturels, sociaux ou éducatifs ». Néanmoins, choix possibles. » ● B.B.
même dans ce secteur, la science propose de
VÉRONIQUE BILLAT :
V
éronique Billat, le
LEPHE
sport est-il une science Véronique Billat (à gauche) reconnait d’optimiser son potentiel
une marge d’erreur de 2 %.
exacte ? énergétique par une perfor-
Les sciences qui intervien- mance. Rappelons que le
nent dans le sport sont celles mot performance vient de
qui interviennent aussi dans l’ancien français « parfor-
les activités humaines. Donc, mer », qui signifie accom-
dans les sports dits « énergé- plir. Pour en revenir à
tiques » (course à pied, nata- l’aspect psychologique, il
tion, vélo, triathlon), où la faut savoir que quand on
performance se matérialise court un 3000 m en dix
par un temps sur une distance minutes, il se passe des
donnée, on peut mesurer les choses dans l’organisme
choses avec précision grâce à d’un point de vue physiolo-
la biomécanique ou la phy- gique, biomécanique mais
siologie. aussi mental. Face à ces exi-
Grâce à toute une série de gences, on note un stress
mesures, de tests, on peut physiologique, lui-même
évaluer comment l’énergie dépendant d’aptitudes phy-
stockée chez l’être humain siques, biologiques, biomé-
va se transformer en vitesse. caniques et psychiques, tout
Je dirais donc que, dans une ça dans un environnement
tranche de distances qui va donné. Le but de l’entraî-
du 400 mètres au marathon nement scientifique est de
– car sur 100 ou 200 m on mesurer ces facteurs, puis
peut rater son départ, tan- d’en tenir compte pour arri-
dis que sur un marathon ver à du « sur-mesure », à de
peuvent se poser des pro- la « haute couture » spor-
blèmes de ravitaillement ou tive qui permet d’améliorer
de sommeil –, avec un sys- les performances.
tème rationnel d’entraînement, on peut permet ainsi au psychique de s’exprimer
évaluer la performance avec précision, à en ayant déjà acquis la certitude que le Pour affirmez également qu’un entraî-
plus ou moins 2 %. Mais on ne peut pas pré- travail physiologique a été bien réalisé. nement rationnel, c’est de « l’anti-
voir le classement de l’athlète, bien évi- C’est pourquoi je prétends pouvoir résoudre dopage »…
demment. pas mal de problèmes. Car dans notre labo- J’estime que le dopage dans le sport n’est pas
ratoire, nous avons tous un passé de spor- un excès de science mais un défaut de
Cette variation de plus ou moins 2 % tifs d’assez bon niveau. Notre vocation est science. Je veux montrer que l’on peut battre
s’explique-t-elle par le facteur psycho- venue du terrain et notre métier est de des records sans se doper. Trop souvent, l’en-
logique ? répondre à des questions précises pour arri- traînement relève de l’empirisme et du bri-
Oui, d’une certaine manière, même si on ver à des principes d’entraînement, à des colage car les entraîneurs ne sont pas formés.
part du pré-requis que l’athlète va aller au solutions précises. Avec nos recherches sur C’est pourquoi, à Evry, nous avons mis en
bout de lui-même, tenter d’exprimer son les animaux, je dirais même qu’on va de la place un Master destiné à former les entraî-
potentiel au maximum. Mais en France, dès molécule à l’entraînement. neurs, même sans diplôme préalable. Mais,
qu’un champion échoue, on évoque l’as- s’il l’a décidé, on ne peut pas empêcher un
pect psychologique ! La « psycho » a bon Vous défendez donc l’idée d’un entraîne- sportif de cumuler méthodes scientifiques et
dos… En revanche, notre approche scien- ment « scientifique » ? dopage. ●
tifique optimise le potentiel énergétique et Oui, car le sport de compétition est une RECUEILLI PAR B.B.