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DOSSIER 1
TEXTE 1 : ARISTOTE
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DOSSIER 1 – Economie et morale
C'est pourquoi les gens pensent que la côté, il semble que toute richesse ait une
chrématistique a principalement rapport limite, alors que, d'un autre côté, nous
avec la monnaie, et que sa fonction est voyons le contraire se produire dans les
d'avoir les moyens de faire connaître d'où faits, car tous ceux qui pratiquent la
l'on peut tirer une grande quantité de chrématistique augmentent sans limite
valeurs : elle semble, en effet, produire de leurs avoirs en argent.
la richesse et des valeurs. Car on pense
souvent que la richesse c'est une masse de La cause de cette confusion c'est la
numéraire, parce que c'est au numéraire proximité de ces deux arts, car les emplois
qu'on rapporte la chrématistique sous sa des deux formes de l'art d'acquérir ont un
forme commerciale. point commun, étant emploi de la même
chose : la propriété est également utilisée
Parfois à l'inverse, on considère la monnaie par ces deux arts, mais pas de la même
comme bagatelle et pure convention en manière, l'une s'en servant en vue d'autre
rien naturelle, du fait que si ceux qui s'en chose, l'autre en vue de son pur et simple
servent changent leurs accords, elle n'a accroissement. Voilà pourquoi certains ont
plus ni valeur ni utilité pour se procurer l'impression que la pure et simple
aucun des biens indispensables, et tel qui augmentation du patrimoine est l'objet de
sera riche de numéraire manquera souvent l'administration familiale, et ils s'acharnent
de la nourriture indispensable. Et c'est une à penser qu'il faut préserver ou augmenter
étrange richesse que celle dont le sans limite son patrimoine en numéraire.
propriétaire meurt de faim, comme mourut
le fameux Midas, homme insatiable, dont la La raison de cette attitudes c'est qu'on fait
fable nous dit que, selon sa prière, tout ce effort pour vivre et non pour mener une vie
qu'on lui présentait était changé en or. heureuse, et comme le désir de vivre n'a
pas de limite, les moyens eux aussi on les
C'est pourquoi on cherche, et c'est à juste désire sans limite. Et même ceux qui
titre qu'on le cherche, une conception s'efforcent de mener une vie heureuse
différente de la richesse et de la recherchent ce qui procure les jouissances
chrématistique. Car la chrématistique physiques, de sorte que, comme celles-ci
diffère de la richesse naturelle : celle-ci semblent dépendre de ce qu'on possède,
concerne l'administration familiale, celle-là toute leur vie ils la passent occupés par
le commerce qui n'est pas créateur de l'acquisition de richesses, et c'est ainsi
valeurs absolument, mais par échange de qu'on en est arrivé à cette autre forme de
valeurs. Et elle semble concerner la l'art d'acquérir : la chrématistique.
monnaie, car la monnaie est principe et fin
de l'échange. Et cette richesse, qui provient Car la jouissance résidant dans un excès,
de la chrématistique ainsi comprise, les gens cherchent ce qui produit cet excès
est sans limite. De même en médecine il n'y qui donne la jouissance. Et s'ils ne peuvent
a pas de limite dans la recherche de la pas y parvenir par la chrématistique, ils s'y
santé, et chacun des arts poursuit sans efforcent par d'autres moyens, faisant de
limite son but, car c'est avant tout lui qu'ils chacune de leurs facultés un usage
veulent atteindre, par contre pour ce qui est contraire à la nature. Le but du courage, en
des moyens mis en œuvre pour atteindre la effet, n'est pas de faire de l'argent mais de
fin, ils ne sont pas sans limite, car la fin leur rendre hardi, de même pour la stratégie et
est à tous une limite. Il en est de même pour la médecine, dont le but n'est pas de faire
la chrématistique ainsi comprise : elle n'a de l'argent mais de donner la victoire et la
pas de but qui puisse la limiter, car son but santé. Pourtant ces gens-là rendent tout
c'est la richesse et la possession de cela objets de spéculation, dans l'idée que
valeurs. c'est cela le but et qu'il faut tout diriger vers
ce but.
L'administration familiale, par contre, à
l'inverse de la chrématistique, a une limite, Nous avons donc parlé de l'art d'acquérir
car ce genre de richesse n'est pas l'objet de non nécessaire, la chrématistique, en
l'administration familiale. C'est que, d'un
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disant ce qu'elle est et pour quelle cause indispensables. Puisque, d'un certain point
nous en avons besoin ; quant à la forme de vue, il appartient au chef de famille et au
nécessaire de l'art d'acquérir nous avons gouvernant de veiller aussi sur la santé, et
montré qu'elle est différente de la première, que, d'un autre point de vue, c'est l'affaire
qu'elle concerne l'administration familiale du médecin, il en est de même pour les
naturelle relativement au ravitaillement en biens : d'un certain point de vue c'est au
nourriture, et qu'elle n'est pas, comme chef de famille de s'en occuper, et d'un
l'autre, sans limite, mais qu'elle a une autre point de vue ce n'est pas son affaire
borne. mais celle d'un art subordonné.
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Synonyme ancien de « taux ».
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des revenus réels d’un royaume. Ces faux dédommagera, puisqu’il le peut, par
revenus eux-mêmes n’auraient donc pas l’emploi de cet argent même, de la rente
de base ; ils dévasteraient le territoire. Il est qu’il se charge de payer annuellement et à
donc très essentiel qu’il y ait un contrepoids perpétuité, s’il n’éteint pas cette rente par le
qui en modère les progrès, autrement les remboursement volontaire du capital.
terres tomberaient à vil prix et dans le
dépérissement : l’argent ne serait employé Mais le prêteur ne peut présumer avec
qu’en acquisition de rentes ; mais bientôt raison, pour décider lui-même
l’argent manquerait aussi, parce qu’un arbitrairement du taux de l’intérêt de son
royaume qui n’a pas de mines ne peut argent, que l’emprunteur pourra loyalement
acquérir de l’argent que par les productions se dédommager par un plus grand revenu
du territoire ; les propriétaires, les revenus que celui que les terres produisent,
des biens, les rentiers, les rentes, les puisqu’il n’y a que les terres qui produisent
capitaux tomberaient dans le même réellement un revenu, et qu’il n’y a que ce
précipice. revenu qui puisse servir de prétexte au prêt
de l’argent, en constitution de rentes
Rien ne peut réellement produire de revenu perpétuelles. Car il ne saurait y avoir de loi
que la terre et les eaux. On peut dire positive, constante, qui puisse fixer
simplement la terre car sans terre les eaux équitablement le taux de l’intérêt de
ne produiraient rien. Ainsi le prétexte du l’argent, qui n’admet d’autre loi que la loi
prêt de l’argent à intérêt ne peut donc être naturelle ; c’est-à-dire l’état réel des
fondé dans l’ordre naturel et dans l’ordre de revenus produits par la nature, et qui
la justice que sur le rapport de conformité peuvent être acquis avec de l’argent : la loi
de cet intérêt avec le revenu que l’on peut du prince peut seulement assigner des
acquérir avec de l’argent par l’achat des limites que le prêteur, qui pourrait abuser
terres : car il est impossible de concevoir du besoin de l’emprunteur, ne peut passer,
d’autre revenu réel qu’on puisse acquérir en laissant d’ailleurs les contractants libres
avec de l’argent sans le prendre de traiter à un moindre intérêt ; mais elle
injustement sur ce qui appartient à autrui. n’en est pas moins préjudiciable au
débiteur dans les cas litigieux où le juge a
Je n’ignore pas que les fausses idées de à décider lui-même sur le taux de l’intérêt
richesses que l’on croit que le commerce de l’argent, qui alors n’est jamais plus bas
produit, fourniront une multitude pour le créancier que celui qui est marqué
d’objections captieuses qui viendront par la loi, quoiqu’en différents temps ce
échouer contre ce principe inébranlable ; taux soit exorbitant.
nous ne les préviendrons pas, pour éviter
ici une discussion prématurée et superflue Cependant il est nécessaire que le juge ait
; nous parlerons seulement dans la suite en tout temps un renseignement certain
des emprunts passagers usités dans le pour asseoir ses décisions ; mais il serait
commerce, qui sont d’un autre ordre que bien plus équitable de suivre une règle
les emprunts contractés à constitution de authentique qui serait renouvelée au moins
rentes perpétuelles. tous les dix ans, et qui ne serait que
déclaratoire du rapport actuel et le plus
On sait assez que l’argent considéré en lui- commun du prix des terres avec leur
même est une richesse stérile, qui ne revenu. Telle serait à chaque
produit rien, et que dans les achats il n’est renouvellement, par exemple, l’estimation
reçu que pour un prix égal à celui de la unanime des notaires du district de
chose que l’on achète. Ainsi l’argent ne chacune des villes principales de chaque
peut procurer de revenu que par l’achat province, qu’ils seraient engagés de
d’un bien qui en produit, ou en l’aliénant à remettre aux greffes des juridictions de leur
un emprunteur qui peut en faire le même ville pour y être confirmée ; et d’où il serait
emploi, parce que effectivement l’argent envoyé des extraits aux greffes des cours
peut servir à cet emploi, et que celui qui le souveraines de la province.
prête à constitution de rente peut présumer
avec raison que l’emprunteur le
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qui sont, privativement à toute autre, du sourde et générale qui devient d’autant plus
ressort du commerce ; en sorte que la funeste qu’on est peu attentif à en arrêter le
jurisprudence propre du commerce n’influe progrès.
point sur les affaires contentieuses des
autres classes des citoyens, et que la Cette surcharge du taux de l’intérêt de
jurisprudence contentieuse de ceux-ci l’argent au-delà du rapport de la conformité
n’influe point non plus sur les affaires de où il doit être au plus haut, comme le prix
pur commerce exercé entre marchands. des terres est avec le revenu qu’elles
produisent, cette surcharge, dis-je, est
Ainsi les prêteurs d’argent à intérêt, qui ne nécessairement imposée sur ce qui
sont pas marchands par état et qui prêtent appartient aux citoyens et à l’État : parce
à constitution de rentes perpétuelles, n’ont qu’elle excède dans la réalité le revenu que
aucun droit d’invoquer le commerce pour l’on peut acquérir avec de l’argent par
jeter de la confusion dans l’ordre naturel du l’achat des terres qui, seules, peuvent
taux de l’intérêt de l’argent prêté à produire des revenus ; ainsi il n’y a plus de
constitution de rentes perpétuelles et pour proportion entre cet emploi de l’argent et
soutenir, sous le prétexte des avantages du celui du prêt à intérêt démesuré ; car cet
commerce, que le taux de l’intérêt de intérêt qui excède l’ordre naturel des
l’argent prêté à constitution de rentes revenus relativement au prix de leur
perpétuelles, doit hausser ou baisser à acquisition, est une déprédation qui
raison de la concurrence du nombre plus retombe injustement sur toute la nation et
ou moins grand de prêteurs ou sur l’État ; mais elle est bien plus
d’emprunteurs, d’où résulterait la ruine de redoutable encore lorsque l’État est lui-
la nation ; car dans les temps malheureux même le principal débiteur des rentiers, qui
le nombre des emprunteurs surpasserait de ont abusé des besoins pressants de
beaucoup celui des prêteurs : l’intérêt de l’emprunt dans des temps malheureux ou
l’argent monterait à un taux extrême ; les qui du moins ont ignoré que l’appât d’un
rentes enfin absorberaient les revenus des intérêt trop fort rend cet intérêt dangereux
biens-fonds ; la culture des terres dépérirait pour eux-mêmes, par la raison qu’il est
de plus en plus ; les besoins d’emprunter funeste à l’État et à la nation. Car l’État
deviendraient encore plus pressants ; à n’est alors que la nation elle-même
mesure que les revenus diminueraient, le surchargée d’un fardeau qui excède les
taux de l’intérêt de l’argent augmenterait forces et qui menace aussi d’accabler ceux
sans bornes ; les hypothèques qui le rendent plus pesant qu’il ne doit être
expulseraient les propriétaires de leur naturellement.
patrimoine, les terres dégradées et
tombées en friches seraient l’unique Les différents moyens que l’on pourrait
ressource des rentiers qui, eux-mêmes, tenter pour parvenir indirectement à
seraient ruinés par la défection de ceux l’alléger, pourraient n’avoir pas dans un état
qu’ils auraient ruinés. d’épuisement le succès que l’on en
espérerait. Il y a alors tant de circonstances
D’ailleurs, lorsque l’intérêt monte plus haut qui s’y opposent dans un royaume agricole
que son taux naturel, la surcharge s’étend et tant de besoins qui en dérangent les
sur tous les citoyens ; les commerçants, qui effets, qu’il est beaucoup plus sûr de
ne calculent que par l’argent et par les revenir à la règle prescrite par la loi
intérêts qu’il rapporte, augmentent les frais naturelle et par la voix de l’équité pour
de leur commerce à raison du prix du taux rétablir l’ordre ; car un faux revenu qui
excessif de l’intérêt courant de l’argent, qui excède l’ordre du revenu réel est une
fait baisser le prix des ventes des excroissance parasite dans une nation et
productions en première main et qui un dérèglement désastreux dans
augmente celui des reventes faites par les l’économie générale d’un royaume
marchands ; ce qui établit une contribution agricole.
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