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2020-2021 Cours d’histoire de la pensee economique – christelle mougeot

Chapitre 2 – Comment se détermine la valeur ?

Pourquoi certains biens ont-ils plus de valeurs que d’autres ? Très tôt, cette question taraude
intellectuels et économistes. Y répondre suppose d’identifier les déterminants de la valeur. Pour
certains, la valeur dépend du coût de production : plus le coût de production d’un bien est élevé, plus sa
valeur le sera. Cette approche correspond à celle des économistes classiques qui relient la valeur du
bien à une quantité de travail. Pour d’autres, la valeur repose sur le degré d’utilité et de rareté du bien.
Cette approche correspond à celle des économistes marginalistes (également appelés néo-classiques).
C’est précisément sur cette dernière approche que s’est construite la microéconomie au XXème siècle.

Section 1 / La valeur fondée sur le travail : l’approche des classiques anglais

§1 / La conception de Adam Smith : la théorie de la valeur « travail commandé »

Comme Aristote l’avait déjà noté, les biens sont en fait dotés de deux types de valeurs
- la valeur d’usage qui exprime l’utilité d’un bien
- la valeur d’échange qui exprime le nombre d’unité d’autres biens que permet d’acheter un
objet donné.
Une première idée pourrait consister à fonder la valeur d’échange sur la valeur d’usage. Mais Smith
rejette cette idée au nom du paradoxe de l’eau et du diamant. Ce contre exemple lui suffit donc pour
rejeter l’explication de la valeur d’échange par la valeur d’usage. Tout au plus le fait qu’un bien ait une
certaine valeur d’usage est une condition nécessaire pour qu’il ait une valeur d’échange mais cette
valeur d’échange n’est absolument pas proportionnelle à cette valeur d’usage.

Contrairement à ce que soutiendront les économistes de la fin du XIXème siècle ( les marginalistes), ce
paradoxe n’a pas pour origine la non prise en compte par Smith de l’influence de la rareté sur la valeur
d’échange. En fait, le raisonnement de Smith repose sur la nature même de l’économie de marché.
Dans une société fondée sur l’échange, l’individu n’est plus identifié par le stock de biens qu’il possède
mais par sa capacité à les acheter sur un marché. Cette caractéristique est ce qu’on appelle la richesse.
Cette richesse tient donc dans la capacité d’acheter des marchandises produites par d’autres, c’est-à-
dire à acheter leur travail ou comme le dit Smith à le commander

« Un homme est riche ou pauvre, suivant les moyens qu’il a de se procurer les besoins, les
commodités et les agréments de la vie. Mais la division une fois établie dans toutes les branches du
travail, il n’y a qu’une partie extrêmement petite de toutes ces choses qu’un homme puisse obtenir
directement par son travail ; c’est du travail d’autrui qu’il lui faut attendre la plus grande partie de ses
jouissances ; ainsi il sera riche ou pauvre, selon la quantité de travail qu’il pourra commander ou qu’il
sera en état d’acheter »
Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des Nations, 1776, p. 99

Le principe qui fonde la valeur d’échange d’une marchandise s’en déduit donc immédiatement : c’est le
travail commandé. La valeur d’une chose pour celui qui la possède et veut l’échanger est égale à la
quantité de travail que cette chose le met en état d’acheter. On a donc là une théorie de la valeur
« travail commandé ».
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§2 / La conception de David Ricardo : la théorie de la valeur « travail incorporé »

Le problème de la conception d’Adam Smith est qu’un bien n’a de valeur qu’à partir du moment où il est
échangé. Plus précisément, l’échange est la condition nécessaire à l’expression de la valeur du bien
négocié. Ce n’est que par l’échange que l’on peut connaître la quantité de travail que le bien permet de
commander. Mais comment connaître la valeur d’un bien que l’on possède sans passer par l’échange ?

Face à ce problème, David Ricardo propose une autre approche de la valeur travail. Selon lui, puisque
les biens ont été produits par le travail, leur valeur dépend donc de la quantité de travail nécessaire à
leur production. Cette quantité est l’addition du travail directement consacré à la fabrication du bien (le
travail du boulanger pour le pain, par exemple) et du travail indirect requis avant pour produire la
matière première et les outils (farine et four). Cette théorie de la valeur travail incorporé est celle
retenue par l’école classique anglaise et va s’imposer jusqu’à la fin du XIXème siècle.

Reprenons la logique du passage de la théorie de la valeur travail commandé à la théorie de la valeur


travail incorporé. En simplifiant, on est passé de l’une à l’autre parce que la première ne permettait pas
de connaître la valeur d’un bien s’il n’était pas échangé. Ricardo a résolu le problème en fondant la
valeur sur son coût de production (exprimé en quantité de travail). Mais dans ce cadre, comment
connaître la valeur d’un bien s’il n’est pas produit par le travail humain ? Répondre à cette question
supposait d’abandonner la théorie de la valeur travail, ce que les économistes ont fait avec l’émergence
d’une nouvelle école de pensé : l’école marginaliste (ou néo-classique).

Section 2 / La valeur fondée sur l’utilité marginale : l’approche marginaliste

Rappelons que l’idée que la valeur d’un bien soit liée à son utilité avait été rejetée par Adam Smith
compte tenu de ce qu’il appelait le paradoxe de l’eau et du diamant. Mais pour les marginalistes, ce
paradoxe s’explique par le fait qu’Adam Smith ne tient pas compte de l’influence de la rareté sur la
valeur. Arrêtons-nous sur ces notions d’utilité et de rareté. Carl Menger est le marginaliste qui a été le
plus loin dans l’analyse de ces concepts.

Le point de départ de Carl Menger est la définition du bien économique : est bien toute chose dotée
d’une utilité reconnue par l’homme. Mais toute chose utile n’est pas un bien économique : le besoin
exprimé doit en plus excéder la quantité disponible. Cette limitation de la quantité par rapport au besoin,
qui donne à un bien son caractère économique, est à l’origine à la fois du calcul que fait l’individu et de
la valeur qu’il attache à ce bien. Menger insiste beaucoup sur un point : la caractère subjectif de la
valeur. Puisqu’elle résulte de la conscience qu’a l’homme de la capacité qu’a un bien de satisfaire un
besoin, cette valeur n’existe pas en dehors de ce rapport subjectif entre lui et le bien économique.

« Ainsi, la valeur n’est pas inhérente aux biens ; elle n’en est pas une propriété ; elle n’est pas
une chose indépendante qui existe en soi ».
Carl Menger, Grundzätse der VolkswirtschaftsLehre, 1871

Maintenant qu‘on sait ce qui fait qu’un bien a de la valeur, une question se pose : pourquoi un bien a-t-il
plus de valeur qu’un autre ? La réponse passe par l‘élaboration de la notion d’utilité marginale. L’idée
consista à relier la notion d’utilité d’un bien à la quantité consommée de ce bien. L’idée centrale est que
l’utilité d’un bien n’est pas une valeur absolue mais qu’elle doit être évaluée au regard de la quantité
consommée. Le calcul économique de l’agent porte donc sur l’utilité marginale du bien, c’est-à-dire
l’utilité associée à la dernière unité consommée. Ainsi l’utilité marginale d’un bien est-elle le supplément
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d’utilité attendu de l’acquisition d’une unité supplémentaire de ce bien. Celle-ci est supposée décroître
avec la quantité consommée (ex d’un individu assoiffé).

La loi de la décroissance de l’utilité marginale est alors érigée en principe central de la théorie
économique :
« La variation de la fonction exprimant le degré final d’utilité est le point le plus important dans
les problèmes économiques. Nous pouvons établir comme loi générale que le degré d’utilité
varie avec la quantité de la marchandise et décroît finalement avec l’augmentation de cette
quantité ».
William Stanley Jevons, The Theory of Political Economy, 1871

Conclusion

Le succès du marginalisme vint de ce qu’il proposait une théorie de la valeur plus générale que celle
fondée sur le coût de production puisqu’elle expliquait également la valeur des biens non produits.
Aujourd’hui seuls les économistes néo marxistes continuent de raisonner en termes de valeur travail.

La valeur d’un bien, telle que nous l’avons définie, est également appelée « prix naturel ». Ce prix
naturel peut différer du prix de marché qui, lui, dépend exclusivement de la confrontation entre offre et
demande.

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