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Conception et
construction
des ponts
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Michel Virlogeux
Chapitre 14
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Ponts à poutres préfabriquées sous chaussée
précontraintes par post-tension
Année 2016-2017
1. Généralités
1.1.1. Les ponts à poutres préfabriquées sous chaussées constituent l'une des premières
applications du béton précontraint.
Le principe de construction de ces ouvrages est simple. Il s'agit de préfabriquer, généralement à
terre, des poutres précontraintes, puis de les mettre en place sur leurs appuis définitifs avec des
moyens de levage et de manutention adaptés. Ces poutres sont ensuite reliées entre elles, dans
le sens transversal, par un hourdis en béton armé ou précontraint et par des entretoises. On peut
réaliser ainsi une succession de travées indépendantes.
Ce mode de construction permet d'économiser l'utilisation souvent onéreuse d'un cintre,
objectif principal des premières applications de la précontrainte.
Bien entendu, le transport et la manutention des poutres sont d'autant plus aisés, et l'économie
du projet d'autant mieux assurée que les poutres sont plus légères. La forme des poutres doit
donc être étudiée de façon à en limiter le poids, et à faire travailler la matière au maximum.
Cela conduit à des formes de coffrages relativement complexes (figure 1) qui vont exiger une
grande qualité d'exécution.
Nous nous limiterons ici aux poutres précontraintes par post-tension, et non par fils adhérents,
car les différentes technologies de mise en œuvre de la précontrainte conduisent à des ouvrages
très différents.
1.1.2. Le principe de construction a des conséquences importantes sur les phases de
construction et sur l’organisation de la précontrainte. Les câbles de précontrainte sont divisés
en deux familles (figure 2) et les étapes de construction sont les suivantes, pour une travée
(figure 3).
1. Fabrication des poutres.
2. Mise en tension de quelques câbles de précontrainte, le plus tôt possible, pour éviter une
fissuration de retrait du béton bloqué par le frottement dans son moule, mais aussi pour
permettre le décoffrage des poutres et leur éventuelle manutention; la précontrainte doit donc
être suffisante pour reprendre le poids propre de la poutre.
3. Mise en tension des autres câbles de précontrainte dits "de la première famille", qui sont en
général tous ancrés à l'about de la poutre. Les phases 2 et 3 peuvent être regroupées en une
seule si la résistance du béton est suffisante.
4. Mise en place des poutres.
5. Coulage des entretoises éventuelles.
6. Mise en tension des câbles d'entretoise éventuels.
7. Coulage du hourdis.
8. Mise en tension des câbles de précontrainte transversaux s'il y en a.
9. Mise en tension des câbles de précontrainte dits "de la seconde famille", qui sont tous ancrés
en travée.
10. Cachetage des ancrages des câbles de précontrainte, et en particulier des encoches des
câbles ancrés en travée.
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Figure 1 : Schéma de principe d’un
pont classique à poutres sous
chaussée.
Figure 2 : Les deux familles de câbles de précontrainte d’un principe de câblage classique.
Projet du pont de Casamosa. Câbles 12 Ø 8.
- hourdis intermédiaires,
- et hourdis général monolithique.
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11. Mise en place des superstructures une fois construit l'ensemble de l'ouvrage.
La première famille de câbles de précontrainte doit donc permettre de reprendre le poids propre
total, hourdis compris, et les éventuels efforts de construction. On a cependant intérêt à tendre
le maximum de câbles dès cette phase car, comme nous le verrons plus loin, ils sont plus
efficaces. Mais, pour ne pas comprimer le talon de la poutre au-delà de la limite admissible, il
est nécessaire de ne mettre en tension la deuxième famille – en général le tiers des câbles –
qu'après coulage du hourdis.
1.2.1. Portée.
Ce type d'ouvrage est utilisé pour des portées de l'ordre de 25 à 50 mètres. Au dessous de 25
mètres, en effet, d'autres types d'ouvrages sont plus compétitifs car demandant moins de
matériel (dalles et dalles nervurées coulées en place, ou poutres préfabriquées précontraintes
par fils adhérents, ce qui est une extension logique des grandes poutres précontraintes par post-
tension). Au dessus de 50 mètres, le poids des poutres dépasserait 120 à 140 tonnes, ce qui
obligerait à recourir à des moyens de manutention exceptionnels et non économiques. On peut
citer, toutefois, plusieurs ouvrages qui ont dépassé les 50 mètres : le pont de Douvrin avec 55
mètres, le pont de Saint-Waast à Valenciennes, de 65 mètres de portée, et le pont de
l'Hippodrome à Lille, de 68 mètres de portée, construit en 1951.
A l'âge d'or des ponts à poutres précontraintes sous chaussée, entre 1960 et 1970, on considérait
que le domaine "économique" de ces ouvrages se situe entre 30 et 33 mètres lorsque les
fondations sont faciles et que les appuis ne sont pas trop hauts. De très nombreux viaducs
peuvent illustrer cette tendance : Roberval, Toutry… Lorsque les fondations sont plus
coûteuses et que des piles deviennent hautes, on a intérêt à augmenter les portées, pour
diminuer le coût total de l'ouvrage. C'est ainsi que de très nombreux viaducs d'accès à des
grands ponts ont été réalisés avec des travées de 50 mètres. On peut citer le viaduc d'accès au
pont de Tancarville en 1957 et le viaduc d'accès au pont de Saint-Nazaire en 1974.
1.2.2. Répétitivité.
La construction de ces ouvrages nécessite un matériel important (essentiellement les matériels
de levage et de manutention des poutres, et une poutre de lancement) et, ce qui n'est pas non
plus à négliger, une aire de préfabrication et de stockage suffisamment vaste.
Il est donc évident que ces ouvrages ne seront pleinement économiques que si le matériel peut
être rentabilisé sur un certain nombre de poutres.
On considère généralement que cette solution n'est économique que si l'ouvrage comporte au
moins douze poutres. Néanmoins, elle peut aussi être intéressante en dessous de cette limite
dans le cas d'une travée unique, isostatique.
Le nombre des poutres à réaliser va avoir une incidence considérable sur le matériel
d'exécution, et, par contrecoup, sur la conception de l'ouvrage. S'il n'y a que peu de poutres,
moins de 40 pour fixer les idées, on emploiera un coffrage en bois. La vibration se fera alors
généralement par pervibration au moyen d'aiguilles de 50 millimètres de diamètre, ce qui
conduira à des âmes épaisses. Au contraire, s'il y a un très grand nombre de poutres, on utilisera
des coffrages métalliques, et la vibration se fera par le fond de moule. Cela permettra de
réaliser des âmes beaucoup plus minces.
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Dans le cas de très grands chantiers, il peut devenir nécessaire d'accélérer la cadence de
fabrication en étuvant le béton. On arrive ainsi à une véritable usine de préfabrication. On peut
citer de nombreux exemples, comme celui du viaduc de Roberval avec 156 poutres.
1.2.3. Standardisation.
Un tel type de structure, qui permet quelques variantes comme nous le verrons, permet une
grande standardisation.
C'est ce qui est à l'origine de l'intérêt considérable de cette technique dans des pays en
développement qui n'ont pas les moyens d'adapter simultanément plusieurs méthodes de
construction, et dont le marché ne permettrait pas l'existence de plusieurs entreprises
suréquipées. C'est ainsi que pendant longtemps en Afrique du Nord et toujours aujourd'hui en
Afrique noire, de nombreux projets sont établis en fonction du matériel existant, quelquefois
unique.
La standardisation a souvent été étendue aux fondations, des pieux métalliques battus
permettant, avec un matériel léger et lui aussi très standard, de résoudre à peu près tous les
problèmes rencontrés.
1.2.4. Tendance actuelle.
Nous avons signalé que l'âge d'or des ponts à poutres sous chaussée se situait en France entre
1960 et 1970 En effet, depuis cette date, pour la réalisation des grands viaducs les ponts à
poutres sous chaussée ont subi une forte concurrence des ponts construits par encorbellements
successifs, des ponts construits sur cintre autolanceur, des ponts poussés, et aujourd'hui des
ponts en ossature mixte acier-béton.
Ces ouvrages, continus, présentent un certain nombre d'avantages mécaniques et permettent de
franchir des portées plus importantes. Mais les ouvrages en béton précontraint ont subi les
conséquences de la continuité (redistribution des efforts par fluage, gradient thermique…) qui
ont rendu nécessaire l'établissement de règles plus sévères. Les ponts à poutres sous chaussées
restent donc, aujourd'hui, particulièrement économiques, mais on en construit beaucoup moins
car on préfère les ponts en caisson qui sont jugés beaucoup plus esthétiques.
1.2.5. Biais et courbure.
Sur le plan strictement géométrique, le biais ne présente pas des difficultés apparentes. Mais il
complique considérablement l'exécution de l'ouvrage Les amorces d'entretoise doivent être
biaises ce qui complique le coffrage. Si l'ouvrage est précontraint transversalement, il y a des
interférences considérables entre les câbles transversaux et les ancrages des câbles relevés en
travée.
On essaye donc de limiter au maximum le biais de l'ouvrage, éventuellement en utilisant des
piles marteau. On considère que la limite admissible du biais est de l'ordre de 60 à 70 grades.
Il est par contre évident que ce type d'ouvrage, fait de poutres rectilignes, se prête mal aux
ouvrages très courbes. On parvient cependant à réaliser des viaducs courbes, à condition que le
rayon en plan soit supérieur à 300 mètres, en remplaçant la courbe par un polygone dont
chaque travée forme un coté, et en jouant sur le hourdis supérieur pour rattraper les écarts
(figure 4).
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1.3. Ratios classiques.
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2. Fonctionnement transversal
C'est au niveau du schéma statique transversal que le projecteur dispose des plus grandes
libertés pour la conception de ce type d'ouvrage. Il doit faire quatre choix fondamentaux :
– le choix du nombre de poutres,
– le choix du type de liaison par le hourdis : hourdis intermédiaire ou hourdis général,
– le choix du mode de fonctionnement transversal : béton armé ou béton précontraint,
– et enfin, il décide s'il doit ou non mettre des entretoises intermédiaires.
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Figure 4 : adaptation de la conception à une courbure en plan limitée.
(vue en plan coupée au niveau du talon des poutres)
Figure 8 : pont à hourdis intermédiaires, avec des poutres à tables larges, sans éléments de
hourdis en console.
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Dans le cas des ouvrages dits à hourdis intermédiaire, il parait préférable de précontraindre
l'ouvrage transversalement, car cela restaure le monolithisme transversal ce que ne permet pas
une liaison en béton armé.
Mais alors que la précontrainte transversale était pratiquement systématique il y a une
quarantaine d'années, elle est de moins en moins fréquemment utilisée aujourd'hui, car
beaucoup trop coûteuse. Nous verrons en effet qu'elle exige une épaisseur de hourdis
supérieure à celle nécessaire en béton armé, et surtout le coût des ancrages devient prohibitif
pour les ouvrages étroits.
On constate donc un choix quasi systématique des entreprises en faveur du béton armé, choix
qui n'est pas le plus satisfaisant sur le plan mécanique. Il apparaît fréquemment des fissures de
retrait à la jonction entre les éléments de hourdis intermédiaire et les poutres.
2.1.2. Hourdis général.
Le bétonnage d'un hourdis général permet de réaliser des hourdis monolithiques en béton armé.
On préfabrique alors des poutres qui ne comportent qu'une mince table de compression
supérieure.
L'utilisation de poutres à larges tables (figure 9) permet à la fois d'assurer la stabilité au
déversement en cours de manutention, de placer des poutres en rive dans la plupart des cas sans
élément de hourdis à couler en console, et de réduire au maximum la zone à coffrer entre
poutres ce qui rend possible l'utilisation de coffrages perdus (dallettes préfabriquées ou dalles
de fibrociment), particulièrement économiques.
Cette solution rend par contre nécessaire une bonne préparation de la surface de reprise
constituée par la face supérieure des poutres, et la mise en place d'aciers de couture importants,
capables de résister aux efforts de glissement différentiel. L'appui des dallettes ou des dalles de
fibrociment jouant le rôle de coffrage perdu conditionne l'épaisseur des poutres (figure 10).
2.1.3. Première conclusion.
La comparaison entre ces deux types de structure – pont à hourdis intermédiaire et ponts à
hourdis général monolithique – montre immédiatement que la seconde solution conduit à une
consommation de matière supérieure de 10 à 15% (béton et acier de précontrainte). Mais son
exécution est nettement plus facile, et son fonctionnement mécanique est totalement satisfaisant
en béton armé, seule solution envisageable aujourd'hui sur le plan économique, sauf cas
particulier.
Il est donc normal que les maîtres d'œuvre et les entreprises s'orientent de plus en plus vers
cette conception, et abandonnent progressivement les structures de pont à hourdis
intermédiaire.
Il est toutefois possible d'utiliser une solution un peu intermédiaire, consistant à engager
légèrement les tables de compression des poutres dans le hourdis général coulé en seconde
phase (figure 11). Si les poutres préfabriquées ont une table supérieure de largeur réduite, il est
difficile d'utiliser des prédalles non participantes jouant le rôle de coffrage perdu. Le hourdis
doit alors être coulé de façon traditionnelle, sur un coffrage-tiroir par exemple.
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Photo 1 : premier exemple de coffrage tiroir en l’absence d’entretoise.
10
Figure 9 : pont à hourdis général monolithique, coulé sur prédalles non participante.
11
Figure 10 : détails des plans de coffrage et de ferraillage d’un pont à hourdis général
monolithique.
12
2.1.4. Autre types d'ouvrages à hourdis général.
Bien entendu, il existe des variantes de la solution à hourdis général monolithique que nous
venons de décrire.
Prédalles participantes.
La première de ces variantes consiste à placer, entre les ailes des poutres, des prédalles
participantes. Il est alors possible d'utiliser des prédalles plus épaisses que dans le cas des
prédalles non participantes, et donc d'augmenter la portée entre ailes des poutres. Les poutres
ont alors une table supérieure mince, et de largeur réduite (figure 12).
Pour assurer un fonctionnement convenable de l'ouvrage en flexion transversale, il faut que les
aciers de flexion transversale de la prédalle soient ancrés dans le hourdis de seconde phase, et
que des aciers de connexion assurent le transfert des cisaillements entre la prédalle et le hourdis
coulé au dessus (figure 13). Certaines entreprises considèrent, sur la base d'essais effectués
dans les années quatre-vingts, que ces aciers de couture ne sont pas nécessaires. Ce n'est pas
notre avis, les effets du retrait différentiel s'ajoutant à ceux des efforts de glissement produits
par les charges. En outre, en cas de défaut d'exécution, rien ne s'opposerait à une
désolidarisation du béton de seconde phase.
Il ne faut pas oublier non plus que les aciers inférieurs longitudinaux, sollicités par des
moments fléchissants locaux positifs dans le sens longitudinal, ne peuvent être situés qu'au
dessus de la prédalle, et ont donc un bras de levier réduit.
Bien entendu, on peut envisager d'engager légèrement la prédalle dans l'épaisseur de la table de
compression des poutres. Mais, à moins que la portée transversale de la prédalle ne soit très
grande, cela complique l'exécution des poutres sans apporter d'avantages notables (figure 14).
Eléments de hourdis préfabriqués.
La tentation est évidemment grande de passer des prédalles participantes à l'utilisation
d'éléments de hourdis préfabriqués.
On peut poser entre les poutres, en s'appuyant sur leurs ailes, des éléments de hourdis
intermédiaire qu'il suffira de réunir, dans le sens longitudinal, par une série de clavages. On
préfabrique des éléments spéciaux à placer à cheval sur une poutre de rive, et reposant sur l'aile
de la poutre adjacente, en ne laissant que des réservations de bétonnage au dessus de la table de
la poutre de rive, de façon à préfabriquer entièrement le hourdis en console (figure 15).
Il ne reste plus qu'à assurer le bétonnage du hourdis entre les éléments préfabriqués :
– tous les clavages longitudinaux,
– les éléments de hourdis au dessus des poutres centrales,
– et les réservations au dessus des poutres de rive.
Bien entendu, un soin particulier doit être apporté à la conception du ferraillage passif. Et les
bétonnages en place doivent être faits avec du béton de qualité, convenablement mis en place.
Il est bien certain, toutefois, que cette solution est de bien moins bonne conception que les
ponts à hourdis général monolithique. Quelle que soit la qualité de l'étanchéité, la multitude des
reprises de bétonnage, longitudinales et transversales, ne peut que favoriser des migrations
d'eau néfastes à la durabilité de l'ouvrage. Elle exige en outre un respect rigoureux des
tolérances géométriques
13
Figure 11 : pont à hourdis général monolithique, avec des poutres engagées dans le hourdis.
14
Il faut en effet s'attendre à ce que toutes les poutres n'aient pas exactement les mêmes flèches
pour de multiples raisons :
– les poutres de rive reçoivent en général des charges différentes de celles reprises par les
poutres centrales ; elles peuvent avoir, pour cette raison, un câblage de précontrainte différent ;
– les flèches des poutres varient dans le temps du fait des déformation de fluage et des pertes de
précontrainte (par fluage et retrait du béton, et par relaxation des armatures de précontrainte) .
Elles dépendent donc de la variabilité des propriétés du béton (qui dépendent des conditions
climatiques dans la période qui précède le coulage du hourdis) et de l'âge des poutres,
forcément différent d'une poutre à l'autre dans une travée.
Il peut y avoir des flèches différentielles entre les poutres d'une travée, qui sont
automatiquement compensées lorsqu'on coule un hourdis général monolithique.
Cette solution ne nous parait donc pas très séduisante.
Hourdis général préfabriqué.
Une solution qui doit être rejetée, dans tous les cas, est celle de la préfabrication d'éléments de
hourdis supérieur de pleine largeur. Ces éléments sont liés à la table de compression des
poutres par des réservations de bétonnage (figure 16). Il est bien certain que les tolérances de
géométrie des poutres ne peuvent pas permettre d'espérer obtenir un alignement parfait des
poutres – trois, quatre ou plus – formant la section transversale. Les éléments de hourdis
préfabriqués ne porteront donc pas sur toutes les poutres. Et l'exécution d'un tel ouvrage ne
peut être que médiocre.
2.1.5. Autres types d'ouvrages à hourdis intermédiaire.
Bien entendu, des solutions variantes ont aussi été imaginées dans le cas des ponts à hourdis
intermédiaire.
On a tout d'abord cherché à réaliser des poutres à large table de compression, pour pouvoir
placer des poutres en rives et éviter le bétonnage d'éléments de hourdis en console. Cette
solution permet aussi de réduire la portée entre poutres, et d'envisager l'utilisation de coffrages
perdus suspendus aux ailes des poutres.
Sans parler de l'aspect peu esthétique des coffrages perdus suspendus par en dessous, cette
solution est assez critiquable. En effet, comme nous l'avons déjà noté, la préfabrication des
poutres ne peut se faire qu'avec une certaine imprécision : tension réelle des câbles un peu
différente d'une poutre à l'autre, module de déformation instantanée et déformations de fluage
différentes d'une poutre à l'autre… Il est donc inévitable de voir apparaître de petites
dénivellations entre les poutres, qui ne peuvent pas être rattrapées sur une trop faible largeur de
hourdis entre poutres. Une structure de ce type ne pourra que conduire à un reprofilage en
enrobés relativement important.
On peut aussi songer à mettre en place des prédalles non participantes entre les ailes des
poutres. Mais l'examen de l'épaisseur de la table de compression des poutres à laquelle une telle
conception conduirait impose de l'écarter. Et le recours à des prédalles participantes est exclu
puisqu'on ne pourrait assurer aucune continuité d'armatures.
15
Figure 15 : utilisation d’éléments préfabriqués de hourdis.
16
Figure 17 : bétonnage des éléments de hourdis intermédiaires sur des prédalles formant
coffrage perdu suspendu.
Figure 18 : bétonnage des éléments de hourdis intermédiaires sur les prédalles formant
coffrage perdu engagé dans les ailes des poutres.
17
2.2. Entretoisement.
18
Figure 19 : exemples d’entretoises intermédiaires en béton armé.
19
⎛ D⎞
E2 = 2 ⎜e + d + d ' + a + ⎟
⎝ 2⎠
où d' est le diamètre des étriers, ce qui conduit dans les mêmes conditions à une épaisseur de 29
centimètres.
b. Ouvrages sans entretoises intermédiaires.
Les entretoises intermédiaires ont pour intérêt de lier transversalement les poutres avec une
rigidité suffisante pour que la section tourne dans son ensemble, pratiquement comme un solide
indéformable, sous l'effet de charges excentrées (figure 23). Le calcul de l'ouvrage est fait sur
la base de l'hypothèse des entretoises rigides. Les poutres extérieures sont les plus chargées car
elles subissent une flexion majorée de l'effet de la torsion d'ensemble.
Mais comme nous l'avons vu, la présence de ces entretoises est une sujétion très importante
pour l'exécution des ouvrages. D'une part il faut créer des amorces d'entretoise, qui
compliquent le coffrage et le ferraillage des poutres ; d'autre part il faut bétonner en place une
partie des entretoises, ce qui est toujours une contrainte importante pour le chantier; et enfin la
présence des amorces d'entretoise sur le coffrage de la poutre limite ses possibilités de réemploi
sur d'autres chantiers (la portée ne peut pratiquement plus être modifiée sans complications
extrêmes).
Il était donc tentant pour les entreprises de supprimer les entretoises intermédiaires. Le
comportement de l'ouvrage en devient très différent : les poutres ne sont plus reliées que par le
hourdis, qui est très souple. De ce fait, la poutre chargée a tendance à s'enfoncer sous la charge,
les poutres voisines reprenant des efforts plus faibles, transmis par le hourdis, et les poutres les
plus éloignées n'étant pratiquement pas affectées (figure 24). Les calculs, faits selon la méthode
de Cart Fauchart, ou à l'aide de programmes de calcul généraux (programmes à barres de type
Strudl ou autres), montrent que les poutres centrales sont alors les plus sollicitées parce que les
charges routières sont concentrées au-dessus des poutres centrales.
Pratiquement tous les ouvrages sont maintenant réalisés sans entretoises intermédiaires.
2.2.2. Entretoises d'appui.
Les entretoises d'appui ont pour but d'assurer un encastrement à la torsion des poutres,
particulièrement dans le cas où il n'y a pas d'entretoises intermédiaires.
On a aussi été tenté de les supprimer, toujours dans le but de faciliter l'exécution comme pour
le pont de Melun sur la Seine (photo …). Mais cette fois cela complique considérablement le
calcul de l'ouvrage sans apporter d'avantage décisif. En outre, la suppression des entretoises
d'appui rendrait nécessaire de prévoir des dispositifs spéciaux pour la mise sur vérins de
l'ouvrage, lors de l'éventuel remplacement des appareils d'appui.
On conserve donc, dans presque tous les cas, les entretoises d'appui, dont la forme est définie
de façon à permettre l'accès aux abouts des poutres et aux appareils d'appui (figure 25).
Bien entendu, lorsqu'on utilise un coffrage tiroir pour le bétonnage du hourdis, toutes les
entretoises des figures 19, 20, 21 et 25 doivent être modifiées pour permettre leur passage (voir
la figure 7).
Le choix du nombre de poutres résulte presque toujours d'une comparaison entre différentes
solutions et ne peut pas être fixé a priori à partir de règles générales, sauf dans des cas
20
Figure 23 : mode de fonctionnement transversal des ponts à entretoises intermédiaires.
Hypothèse des entretoises rigides.
21
Photo 7 : viaduc sur le Loing à Nemours.
22
Photo 8 et 9 : un ouvrage sans entretoises d’appui.
Le Pont de Melun sur la Seine
23
exceptionnels. Nous allons donc ne donner dans ce paragraphe que des indications générales,
permettant de définir les solutions envisageables dont le dimensionnement sera précisé par les
paragraphes suivants et permettra de fixer le choix définitif.
2.3.1. Incidence des superstructures.
Les superstructures de l'ouvrage ont une importance particulière pour le choix du schéma
statique transversal de l'ouvrage.
La première chose que le projeteur doit faire est le plan des superstructures : place de la
chaussée, de la bande dérasée gauche et de la bande d'arrêt d'urgence éventuelles, trottoirs,
caniveaux, corniches, appareils de sécurité (glissières et barrières).
C'est l'évacuation des eaux qui a les conséquences les plus importantes. En effet il ne faut pas
que les gargouilles tombent au droit d'une poutre (figure 26). Lorsqu'il y a un trottoir assez
large, on a intérêt à placer la gargouille entre deux poutres (cas b), car les salissures inévitables
ne seront pas visibles. En outre cela permet de placer une poutre directement en rive.
Lorsque le trottoir est étroit, ou qu'il n'y en a pas ce qui est le cas des autoroutes, on est obligé
de placer le fil d'eau des gargouilles à l'extérieur de la poutre de rive (cas a et c). Il est alors
nécessaire de prévoir une table de compression large ou un morceau de hourdis en
encorbellement, de façon à ce que les descentes d'eau ne se trouvent pas au niveau des âmes
(cas d).
Certains ingénieurs n'aiment pas placer des poutres directement en rive, craignant que les
poutres ne soient abîmées en cas de choc de véhicule sur les appareils de sécurité, barrières ou
garde-corps. En effet, les aciers permettant l'ancrage de ces systèmes viennent nécessairement
jusqu'aux poutres et, si la distance est faible, le choc risque d'être concentré. Cependant
certaines barrières de sécurité comportent des boulons calibrés pour rompre à une certaine
charge, si bien que le hourdis peut être dimensionné pour résister à des chocs correspondant à
cette charge. Et les avantages constructifs de la suppression des éléments de hourdis à couler en
encorbellement sont tels qu'il est préférable de placer les poutres en rive chaque fois qu'on le
peut.
Rappelons aussi que l'ancrage des barrières de sécurité exige une épaisseur minimale du
hourdis.
2.3.2. Espacement des poutres.
Comme nous l'avons déjà dit, l'espacement entre les axes des poutres est plutôt un résultat
qu'une donnée. En général l'espacement est voisin de trois mètres. Il varie couramment de 2,50
à 3,50 mètres, mais il peut aller jusqu'à quatre mètres.
Comme la place des poutres en rive est à peu près fixée par les conditions que nous venons
d'analyser, il ne reste généralement qu'une ou deux solutions possibles. Il faut alors les
comparer pour voir laquelle est la plus satisfaisante ou la plus économique.
La multiplication du nombre des poutres – et la diminution de leur entraxe – permet une
réduction de l'épaisseur du hourdis et un allègement de chaque poutre, par réduction de la taille
du talon. Mais, si le volume total des talons, qui est fixé par des conditions mécaniques, varie
peu lorsqu'on fait varier le nombre des poutres, le volume total des âmes, qui est fixé par des
conditions constructives comme nous allons le voir, augmente proportionnellement au nombre
des poutres. La multiplication des poutres ne peut donc être intéressante que lorsque les âmes
sont minces.
Au contraire, l'augmentation de l'entraxe des poutres conduit à un alourdissement des poutres
(augmentation de la taille du talon), et à une augmentation de l'épaisseur du hourdis. Mais le
24
Figure 26 : différentes dispositions classiques, mettant en évidence les interférences entre la
position des poutres et les équipements.
25
gain sur les âmes peut malgré tout rendre cette solution intéressante lorsque les âmes sont
épaisses, c'est-à-dire, comme nous le verrons, dans le cas où l'on utilise des coffrages en bois,
ou dans les atmosphères agressives rendant nécessaire le recours à des enrobages importants.
2.3.3. Epaisseur du hourdis.
L'épaisseur du hourdis va dépendre de très nombreux facteurs :
– du fait qu'il travaille en béton armé ou en béton précontraint,
– de l'existence ou non d'entretoises intermédiaires,
– de la portée transversale, c'est-à-dire de la distance entre les axes des poutres et donc du
nombre de poutres.
Il est tout d'abord nécessaire de bien définir la portée transversale du hourdis. La figure 27 met
clairement en évidence la définition conventionnelle de cette distance, selon les prescriptions
réglementaires.
Le second point important concerne la conception du câblage transversal, dans le cas des
ouvrages précontraints transversalement. On pourrait être tenté de faire suivre aux câbles un
tracé sinueux, permettant de comprimer la fibre supérieure du hourdis au niveau des poutres, où
les moments transversaux sont essentiellement négatifs, et sa fibre inférieure entre les poutres,
là où les moments transversaux déterminants sont positifs. Mais, outre le fait qu'une telle
solution introduit des moments de flexion transversale hyperstatiques et des réactions
hyperstatiques sur les poutres dont il faudrait tenir compte dans le calcul de leur flexion
longitudinale, il parait irréaliste de compter sur des effets aussi favorables alors que
l'imprécision sur la position réelle du câble est de l'ordre de plusieurs centimètres et qu'une
erreur dans le sens défavorable entraînerait des écarts énormes sur les contraintes. On adopte
donc, en principe, un câblage transversal rectiligne, bien moins favorable, mais plus facile à
mettre en place, et plus sûr.
Bien entendu il faut qu’en rive l’épaisseur du hourdis permette l’ancrage des câbles de
précontrainte transversale (figure 28).
A titre d'ordre de grandeur, on peut admettre que l'épaisseur du hourdis peut être estimée à
partir du tableau ci-dessous, en fonction de la portée transversale.
Fonctionnement en Fonctionnement en
béton armé béton précontraint
Avec entretoises
L/16 L/14
intermédiaires
Sans entretoises
L/15 1/13
intermédiaires
26
3. Poutraison
27
Figure 29 : dispositions permettant le bétonnage des âmes
des poutres dans de bonnes conditions.
Figure 30 : Schéma de
principe d'une variation
d'épaisseur d'âme au
voisinage des appuis.
Pont sans entretoises
intermédiaires.
Figure 31 : disposition de principe permettant une variation de l'épaisseur des âmes dans le cas
d'un pont à entretoises intermédiaires.
28
où e est l'épaisseur de l'enrobage des armatures, d et d' les diamètres des armatures passives
(respectivement les filants longitudinaux et les étriers) et a la largeur du passage à ménager
entre les filants longitudinaux et la gaine de précontrainte pour laisser passer les granulats.
Cette distance doit être en principe vérifier la relation :
⎛ cg ⎞
a ≥ 7 ou 8 ⎜⎜ ⎟⎟
⎝ 5 ⎠
où cg est le diamètre du plus gros granulat du béton. Avec des données classiques (e = 30 mm;
d = d' = 10 mm ; D = 50 mm et cg = 20 mm) on trouve ainsi :
⎛ 7 ⎞
b ≥ 2 ⎜ 30 + 10 + 10 + × 20 ⎟ + 50 = 206 mm
⎝ 5 ⎠
Pour les mêmes raisons que tout à l'heure (préfabrication soignée à terre), on réduit quelquefois
la distance a à une valeur égale à cg, ce qui nous parait un peu faible. Cela donne :
b ≥ 2 (30 + 10 + 10 + 20) + 50 = 190 mm
Si l'on place les filants longitudinaux à l'extérieur, on doit avoir, de la même façon :
b = 2 (e + d + a) + D
ce qui donne :
⎛ 7 ⎞
b ≥ 2 ⎜ 30 + 10 + × 20 ⎟ + 50 = 186 mm
⎝ 5 ⎠
7
si l'on adopte pour a la valeur c g , et :
5
29
De façon générale, il faut se méfier d'un éventuel blocage des granulats par les filants
longitudinaux ; il peut être judicieux d'augmenter l'enrobage de façon à garantir le passage des
plus gros granulats, en adoptant une valeur donnée par :
⎛ cg ⎞
e ≥ 7 ou 8 ⎜⎜ ⎟⎟
⎝ 5⎠
ce qui peut réduire l'intérêt de la mise en place des filants longitudinaux à l'extérieur des
cadres-étriers (ce que nous déconseillons de toutes façons). Sans cette augmentation de
l'enrobage, on risque de voir apparaitre une ligne de nids de cailloux le long de certains filants
longitudinaux (photo …).
Le respect de ces règles – qui s'appliquent évidemment de la même façon aux âmes des ponts
en caisson, généralement plutôt fixées par des critères de résistance mécanique aux efforts
tranchants et de torsion – est absolument impératif. Dans le cas contraire les risques de mauvais
bétonnage sont considérables ; on peut avoir, au minimum, des nids de cailloux, mais on risque
aussi de créer de véritables lacunes de bétonnage imposant la mise au rebut de la poutre. Les
photos … sont celles d'un ouvrage pour la construction duquel on a utilisé des coffrages en bois
avec une vibration par des aiguilles, alors que l'épaisseur des âmes (20 centimètres)
correspondait à des coffrages métalliques et à une vibration par fond de moule.
30
On a donc systématiquement un épaississement de l'âme aux extrémités de la poutre lorsque les
âmes sont minces en section courante (coffrages métalliques). On peut quelquefois s'en
dispenser, pour les portées faibles et moyennes, si les âmes sont épaisses en section courante
(coffrages en bois). Lorsqu'il y en a un, l'épaississement est progressif, et règne sur environ
cinq mètres.
Lorsque l'ouvrage comporte des entretoises intermédiaires, il est préférable de faire régner
l'épaississement entre l'entretoise d'appui et la première entretoise intermédiaire, généralement
située au quart de la portée. On pourrait en profiter pour éviter d'avoir un élargissement
progressif, qui complique le coffrage et qui donne un faux alignement de l'arête de liaison entre
l'âme et le pan incliné du talon..
31
On peut utiliser des câbles de 550 à 600 kN de force utile (jadis des câbles de 12 Ø 8 Freyssinet
ou 14 Ø 7 BBR, aujourd'hui des câbles 4 T15), dont les gaines ont un diamètre de 50
millimètres et qu'il est possible de regrouper en paquets de trois ou quatre câbles.
Il est beaucoup logique aujourd'hui d'utiliser des câbles un peu plus puissants des câbles 6T15,
voire 7T15.
On peut enfin utiliser des câbles très puissants à l'échelle de ces ouvrages, de 1100 à 1200 kN
de force utile (jadis des câbles 12 T 13 Freyssinet ou 30 Ø 7 BBR, et aujourd'hui des câbles
9T15), dont les gaines ont un diamètre de l'ordre de 70 millimètres et dont les paquets doivent
être limités à deux câbles.
32
Le choix de la puissance des câbles est important. Il ne faut pas utiliser des câbles de trop faible
puissance, de façon à ce que le nombre des câbles ne dépasse pas 12 à 14. Au-delà le câblage
deviendrait trop compliqué, et il n'est jamais économique de multiplier les câbles. Mais – bien
que cela aille dans le sens de l'économie – il ne faut pas non plus utiliser des câbles trop
puissants. Des poutres de ce type deviennent difficiles à câbler si le nombre de câbles descend
en dessous de 8 ou 10 comme le souhaitent aujourd'hui la plupart des entreprises : on ne
dispose plus alors que de deux câbles relevés en travée, ce qui ne permet guère de mettre en
œuvre une réduction d'effort tranchant suffisante (le cisaillement d'effort tranchant ne doit pas
trop dépasser 1,5 MPa pour laisser une réserve pour la torsion). Il ne faut pas oublier non plus
l'incidence du diamètre des gaines sur l'épaisseur des âmes et, par conséquent, sur le poids des
poutres. En conclusion, on utilisera des câbles de faible puissance pour les poutres de petite
portée (25 à 30 mètres), avec un faible entraxe, et des câbles de relativement forte puissance
pour les poutres de grande portée (plus de 45 mètres) fortement espacées.
Il faut que la disposition des câbles conduise à des proportions harmonieuses du talon et
respecte les conditions réglementaires d'enrobage (figure 33).
– Table de compression.
La table de compression des poutres va totalement dépendre du choix qui a été fait au niveau
du hourdis : hourdis intermédiaire, hourdis général, utilisation de prédalles, etc…
Dans le cas des tabliers à hourdis intermédiaire, la table de compression de la poutre devra
avoir la forme donnée par la figure 34.
L'épaisseur de la table doit être, à ses extrémités, égale à celle du hourdis intermédiaire. Pour
améliorer la rigidité de l'encastrement du hourdis sur la poutre, on fait légèrement varier
l'épaisseur du hourdis. Un gousset, généralement de 15 centimètres sur 15, assure un bon
bétonnage et renforce la rigidité de l'encastrement.
La largeur de la table de compression est réduite au minimum de façon à alléger le plus
possible les poutres. Le rôle de cette table, en phase provisoire, est essentiellement d'assurer
une rigidité suffisante de la poutre vis-à-vis du déversement. Elle est de l'ordre de 60 à 70 pour
cent de la hauteur de la poutre et varie, de façon courante, de 1,00 à 1,50 mètre. Mais on peut
concevoir des tables plus larges, qui vont limiter les parties de hourdis à couler en place, si l'on
dispose d'un matériel de pose suffisamment puissant.
Dans le cas des tabliers à hourdis général, la table de compression de la poutre a un schéma très
différent (figure 35). L'épaisseur de la table de compression est la plus faible possible : huit
centimètres à l'extrémité, et une douzaine au niveau de l'encastrement. En effet, le hourdis
général coulé par-dessus suffit pratiquement à assurer la résistance à la flexion transversale. Un
gousset permet d'encastrer solidement cette table sur l'âme et facilite le bétonnage. A
l'extrémité des ailes des poutres, des encoches sont réservées pour permettre de mettre en place
des dalles de béton ou de fibrociment qui vont servir de coffrage perdu au hourdis.
La largeur de la table de compression est, au contraire du cas précédent, assez importante
(figure 36). On doit avoir, si l'on place les poutres extrêmes en rives :
B = n b + (n − 1) d
où B est la largeur totale du tablier, b la largeur des tables, d la portée du hourdis à coffrer entre
poutres et n le nombre de poutres. On aura donc :
B − (n − 1) d
b =
n
33
On adopte en général pour la distance d une valeur assez faible, de l'ordre de 60 à 80
centimètres, de façon à ce qu'il soit possible d'utiliser des dalles très minces pour former le
coffrage perdu. Cela conduit à des tables de compression dont la largeur peut atteindre 2,50 à
3,00 mètres. Cette grande largeur permet d'obtenir une rigidité suffisante vis-à-vis du
déversement, malgré la minceur de la table, à condition de placer des armatures filantes
importantes aux extrémités des tables pour assurer la résistance en cas de fissuration.
3.2. Câblage.
34
3.2.2. Disposition constructives.
About de poutre.
Les câbles ancrés à l'about doivent, selon l'expression consacrée, arroser l'appareil d'appui
(figure 38). Cela exige qu'un ou deux câbles soient ancrés très bas à l'about, avec un angle de
relevage quasi nul.
L'angle de relevage des câbles ancrés à l'about varie, en général, de 3 à 20 degrés, ce qui donne
un angle moyen de relevage de l'ordre de 11 à 12 degrés. La réduction d'effort tranchant ainsi
apportée est de l'ordre de 20% de la force de précontrainte totale des câbles ancrés à l'about
(figure 39).
Encoches et câbles relevés en travée.
Les câbles relevés en travée sont ancrés dans des encoches (figure 40). L'existence de ces
encoches est une des raisons de l'existence des goussets reliant le hourdis à l'âme des poutres.
Sans leur présence, il y aurait une zone faible à la jonction entre le hourdis et les poutres, au
droit des câbles ancrés dans le hourdis.
Les câbles relevés en travée sortent en faisant un angle relativement important avec
l'horizontale, de l'ordre de 25 à 30 degrés en général. Cet angle doit être élevé d'une part pour
créer une réduction d'effort tranchant importante et, d'autre part, pour limiter la longueur de
l'encoche.
La place relative de ces encoches et des éventuels câbles de précontrainte transversale doit être
soigneusement étudiée, de façon à éviter les "télescopages".
Principe du tracé des câbles.
Tout d'abord, les câbles doivent rester dans l'axe de la poutre lorsqu'ils sont dans les âmes (sans
cela on ne respecterait plus les conditions de bétonnage).
Les câbles doivent être relevés isolément, et non pas par paquets, et il faut éviter les "sifflets"
qui rendent le bétonnage difficile, voire impossible. Il faut donc maintenir une distance
minimale entre le début des paraboles correspondant au relevage de chacun des câbles (figure
41).
Il existe deux méthodes principales pour définir le tracé des câbles.
La première, qui exige plus de maîtrise, consiste à ne déplacer les câbles que dans des plans
verticaux et horizontaux. Les câbles sont alors relevés "de l'intérieur vers l'extérieur". Selon ce
principe, les câbles relevés en travée doivent être placés au centre en section médiane (câbles
11, 10, 9, 8, 7 de la figure 42). Ils sont alors relevés directement, dans le plan médian de la
poutre : le câble 11 d'abord, le 10 ensuite, puis le 9, le 8 et le 7. Il n'y a, transversalement, qu'un
petit décalage d'un demi-diamètre à opérer. Ces câbles doivent être dégagés du talon le plus
rapidement possible. Et, au fur et à mesure de leur départ, on va ramener au centre du talon les
câbles ancrés à l'about (câbles 6 à 1 de la figure 42). Une fois ces câbles au centre, ils pourront
à leur tour être relevés, dans l'ordre des cotes décroissantes de leurs ancrages à l'about. Dans le
cas de cette poutre, une partie des câbles ancrés en fibre supérieure faisaient partie de la
"première famille".
L'autre méthode consiste, au contraire, à relever tous les câbles dans des plans obliques situés
dans le talon. Mais, dès qu'un câble pénètre dans l'âme, il doit impérativement être dans le plan
médian de l'âme (faute de quoi on aurait de sérieuses difficultés de bétonnage). C'est le principe
de câblage du programme de calcul automatique VIPP du SETRA.
35
Figure 37 : principe de câblage classique d'un pont à poutres sous chaussée. Projet du pont de
Casamosa. Relevage gauche. Câbles 12 Ø 8.
36
Figure 40 : dispositions classiques d'ancrage dans une encoche en fibre supérieure. Les
dimensions correspondent à l'ancrage d'un câble de 12 Ø 8.
;
Figure 41 : disposition à prendre pour éviter la création de "sifflets" préjudices aux conditions
de bétonnage.
Figure 42 : principe de câblage classique avec rele-vage "de l'intérieur vers l'extérieur". Les
câbles sont dans des plans tantôt verticaux, tantôt horizontaux. Projet de base du pont de
Calais. Câbles 18 Ø 7.
37
Figure 43 : principe de câblage gauche du dossier pilote VIPP. Les câbles extérieurs sont
relevés parallèlement à la face inclinée du talon.
Figure 44 : un câblage plus moderne, avec seulement 8 câbles par poutre. Relevage "de
l'intérieur vers l'extérieur". Pont de la Dumbea.
Figure 45 : principe de câblage avec tous les câbles ancrés aux abouts.
38
Figure 46 : principe de câblage avec tous les câbles ancrés aux abouts, avec des tracés assurant
un relevage d'effort tranchant régulier.
39
Les câbles relevés en travée (7,8 et 9 de la figure 43) sont alors disposés en partie supérieure.
Le câble 9 est relevé directement dans le plan vertical. Les câbles 8 et 7 sont ensuite relevés
dans des plans obliques jusqu'à ce qu'ils arrivent dans l'axe de la poutre. Les câbles 6, 5 et 4
sont ensuite relevés de la même façon, puis les câbles 3, 2 et 1.
Cette seconde méthode, qui permet de relever simultanément des câbles à gauche, à droite et au
milieu, permet bien plus facilement d'éviter les "sifflets". Mais, sur chantier, il est plus difficile
d'obtenir un tracé correct dans un plan oblique.
Tendances récentes.
Nous avons déjà signalé que les entreprises tendent à réduire le nombre des câbles de
précontrainte en utilisant des câbles de forte puissance. La figure 44 en donne un exemple.
Pour être complet, signalons que des entreprises ont proposé de tendre tous les câbles dès la
préfabrication, et de les ancrer tous à l'about. L'absence de câbles relevés en travée conduit
alors à des cisaillements d'effort tranchant voisins de 2,5 MPa, qui sont excessifs compte tenu
de l'existence d'importants efforts de torsion dans les ponts à poutres sans entretoises
intermédiaires (figure 45).
Mais cette solution présente l'avantage d'éliminer les ancrages en fibre supérieure, qui posent
des problèmes bien connus sur les plans de l'exécution (encoches remplies d'eau, mauvaise
mise en place des armatures en attente, remplissage avec du béton médiocre…) et de la
durabilité (point faible de l'ouvrage vis-à-vis des entrées d'eau). Il est possible de conserver cet
avantage tout en concevant un câblage assurant une réduction d'effort tranchant importante et
régulière, en donnant un tracé particulier à quelques câbles jouant le même rôle que les câbles
relevés en travée. Cependant, la nécessité de tendre tous les câbles dès le stade de la
préfabrication (puisqu'ils sont ancrés aux abouts qui sont inaccessibles après la mise en place
des poutres) pose d'importants problèmes. Il faut considérablement alourdir les poutres pour
éviter des compressions excessives en fibre inférieure et des tractions trop élevées en fibre
supérieure à la mise en tension (figure 46).
La meilleure solution consiste donc à conserver le principe des câblages classiques, avec des
câbles relevés en travée. Mais pour empêcher la corrosion de ces câbles par les circulations
d'eau inévitables générées par la présence des encoches, il faut concevoir une précontrainte de
type off shore : utilisation de tubes métalliques soudés à la lace des gaines ; soudage du tube
sur la trompette d'ancrage, de la trompette d'ancrage sur la plaque d'ancrage, et protection de la
tête d'ancrage par un capot métallique, soudé ou vissé sur la plaque. Le câble de précontrainte,
ainsi totalement isolé de l'extérieur, ne peut plus subir d'attaque.
Il faut en outre réaliser avec un soin particulier le cachetage des encoches des câbles relevés en
travée, en utilisant du béton à retrait compensé ou du béton de fibres soigneusement mis en
œuvre et vibré.
Interférence avec les câbles transversaux.
Il faut pour terminer signaler l'importance des interférences entre le câblage longitudinal et le
câblage transversal éventuel.
Lorsque l'ouvrage est droit, il est assez facile de s'en tirer, quitte à écarter un peu les câbles de
précontrainte transversaux au niveau des encoches lorsque leur longueur est supérieure à
l'entraxe des câbles transversaux (figure 47).
Bien entendu, il devient indispensable, dans ce cas, que les encoches de toutes les poutres
soient situées au même niveau.
40
Les choses sont beaucoup plus compliquées lorsque l'ouvrage est biais. On a alors le choix
entre deux solutions : réaliser une précontrainte transversale droite ou biaise.
Si la précontrainte transversale est biaise, il n'y a pas de difficulté particulière pour placer les
encoches des câbles relevés : entre deux câbles transversaux quelconques si leur espacement est
suffisamment important, ou entre deux câbles écartés à dessein dans le cas contraire (figure
48).
Si la précontrainte transversale est droite, les choses se compliquent considérablement. Il faut
loger les encoches entre les câbles. Les poutres auront donc toutes des câblages différents, ce
qui interdit toute erreur de préfabrication et tout échange entre différentes poutres. De plus,
l'abscisse des câbles transversaux sera différente dans toutes les poutres, ce qui est une source
d'erreurs. Enfin, il reste près des appuis une zone qui ne pourra pas être précontrainte
transversalement, et qu'il faudra armer (figure 49). Tous ces éléments militent donc en faveur
du câblage transversal biais… et surtout du fonctionnement transversal en béton armé.
41
4. Liaison entre les travées
Le dernier aspect de la conception de ces ouvrages qu'il convient d'évoquer est la liaison entre
les travées.
Les ponts à poutres préfabriquées sous chaussée étaient initialement conçus comme une
succession de travées indépendantes, avec des joints de chaussée entre les travées successives.
Mais cette conception avait trois inconvénients : le coût des joints de chaussée, l'inconfort du
passage des joints successifs pour les usagers, et l'importance des désordres dans les joints
conduisant à de fréquentes réparations.
Par ailleurs, certains ingénieurs ont pensé que cette structure isostatique pouvait être améliorée,
l'hyperstaticité permettant à leur avis de répartir les efforts de façon plus favorable.
42
Figure 50 : principe de câblage du pont du lac à Bordeaux, rendu continu
43
Il est donc clair que la continuité mécanique par précontrainte est une mauvaise voie, qui a été
abandonnée
4.1.2. Continuité en béton armé.
L'idée de la continuité a été reprise à l'occasion de la construction de plusieurs ouvrages, en
n'assurant qu'une liaison fonctionnant en béton armé.
Malheureusement ces premières réalisations ont été faites en tenant compte de l'existence sur
piles des moments négatifs dûs aux superstructures et aux charges d'exploitation, mais en
omettant les moments positifs produits par les gradients thermiques et la redistribution des
efforts par fluage. Des désordres de flexion longitudinale ont donc fait leur apparition, qui ont
rendu nécessaire des réparations importantes de ces ouvrages.
On a donc porté un jugement assez négatif sur ces expériences et abandonné l'idée d'une
continuité des ouvrages à poutres isostatiques au moyen d'une liaison fonctionnant en béton
armé. Du moins dans le cas des grandes poutres précontraintes par post-tension, car, au
contraire, l'idée d'une continuité par béton armé s'est largement imposée dans le cas des ponts
constitués à partir de poutres ou de poutrelles précontraintes par fils adhérents comme nous le
verrons dans un autre chapitre.
L'attitude très différente vis-à-vis de ces deux types d'ouvrages – grandes poutres
précontraintes par post-tension laissées isostatiques, et poutres ou poutrelles à fils adhérents
rendues continues par une liaison en béton armé – s'explique par la différence dans
l'importance des efforts.
L'abandon, pour les grandes poutres préfabriquées précontraintes par post-tension, de l'idée
d'une continuité mécanique a donc consacré l'autre voie, celle de l'attelage des travées.
Plusieurs solutions ont été développées, mais la plus classique aujourd'hui consiste à assurer la
continuité du hourdis supérieur entre deux travées adjacentes, avec une désolidarisation entre
l'about des poutres et le hourdis entre les entretoises d'extrémités. Cette désolidarisation a pour
but de donner une certaine souplesse à la dallette de continuité, qui doit subir les rotations
imposées par les deux travées dans lesquelles elle est encastrée, rotations dues aux
superstructures et aux charges d'exploitation, d'une part, et aux effets antagonistes du gradient
thermique et du fluage du béton d'autre part. Cette désolidarisation s'obtient par interposition
d'une mince couche de polystyrène (deux ou trois centimètres).
Les travées adjacentes restent ainsi isostatiques dans le comportement général de l'ouvrage, car
le hourdis ne peut transmettre que des efforts réduits.
Compte tenu de l'inévitable fissuration de la dallette de continuité produite par les rotations
imposées par les travées qu'elle lie, elle doit être sérieusement armée, et il est nécessaire de
protéger ses armatures passives contre la corrosion en utilisant soit des armatures galvanisées,
soit des armatures recouvertes de résines époxydiques.
Cette solution d'attelage n'est pas la seule qui ait été utilisée, et des solutions spécifiques ont été
développées pour permettre l'attelage des ouvrages qui avaient au départ été construits avec des
joints de chaussée.
44
Figure 51 : mise en évidence des rotations sur piles que doivent absorber les dallettes de
continuité.
Figure 52 : dispositions classiques pour une dallette de continuité entre deux poutres préfabri-
quées.
45
5. Ferraillage passif
5.1.1. La figure … fait apparaitre les principes généraux du ferraillage passif d'un pont à
poutres préfabriquées sous chaussée, précontraintes par post-tension, correspondant au cas d'un
ouvrage à hourdis général monolithique travaillant en béton armé dans le sens transversal et
bétonné sur des prédalles non-participantes.
5.1.2. Comme c'est le cas en général quelle que soit la nature de l'ouvrage, toutes les armatures
transversales, des poutres et du hourdis, sont au même pas, avec un espacement de l'ordre de 15
à 20 centimètres.
5.1.3. La section et l'espacement des étriers, dans les âmes, sont évidemment définis par la
résistance à l'effort tranchant (et à la torsion), et dépendent par conséquent du tracé donné aux
câbles de précontrainte, dont le relevage en travée vient réduire l'effort tranchant produit par les
charges [1].
Il s'agit en général d'armatures HA14 ou HA16, voire HA12 pour les poutres de très faible
portée (de l'ordre de 25 à 30 mètres).
5.1.4. Des cadres, au même pas que les étriers de l'âme, viennent encadrer le talon pour
confiner les efforts de compression générés par la précontrainte qui y est logée [3].
Ils ne sont pas justifiés par le calcul, sauf éventuellement par des règles de ferraillage minimal,
mais ils doivent être à l'échelle de l'effort de précontrainte et doivent avoir une section voisine
de celle des étriers.
5.1.5. Les aciers de peau des goussets – qui peuvent prendre deux formes différentes évitant les
poussées au vide – ont un rôle secondaire et sont en général des armatures de petit diamètre,
HA12 par exemple [6].
L'armature transversale supérieure de la poutre a pour rôle de reprendre le moment négatif de
flexion produit par le poids des prédalles et du béton frais du hourdis coulé en place [4].
Les demies épingles – des armatures HA12 par exemple, pliées avec un rayon très faible
(inférieur au rayon minimal des règles du béton armé) autour d'un filant longitudinal – ont pour
rôle d'assurer la résistance à l'effort tranchant de l'extrémité de l'aile de la poutre sur laquelle
s'appuie la prédalle [5].
5.1.6. Les poutres sont enfin équipées de cadres de connexion entre la poutre et le hourdis qui
sera bétonné en seconde phase ; ils sont placés de part et d'autre de l'âme. Les étriers jouent ce
rôle dans l'axe de la poutre, sauf au niveau des encoches d'ancrage des câbles de précontrainte
[2].
Ce sont des armatures HA10 ou HA12, avec un pas généralement double de celui des autres
armatures transversales.
5.1.7. Les filants longitudinaux des poutres sont placés de préférence à l'intérieur des cadres et
des étriers. Sauf en fibre inférieure il s'agit d'aciers de faible diamètre, HA10 ou HA12 en
fonction de la taille et de la portée des poutres. Ils doivent évidemment vérifier les règles de
ferraillage minimal et de non-fragilité.
Les filants sur la fibre inférieure doivent en outre permettre de reprendre les contraintes de
traction éventuelles, qui dépendent de la classe de calcul de l'ouvrage, et assurer la résistance à
la flexion dans les conditions des Etats Limites Ultimes. Pour notre part nous considérons
46
Figure 53 : principe de ferraillage d’une poutre préfabriquée en section courante.
47
judicieux de placer une armature HA20 dans chacun des deux angles, et des armatures HA16
entre les deux, à un pas de l'ordre de 20 centimètres.
5.1.8. Les armatures du hourdis supérieur sont évidemment dimensionnées par la flexion
transversale d'une part, et par la flexion longitudinale locale d'autre part.
Comme la direction la plus sollicitée est transversale, les armatures transversales sont à
l'extérieur pour ne pas réduire leur bras de levier. Si la section d'armatures nécessaire en flexion
transversale est très élevée, il arrive qu'on mette en place des armatures au pas de l'ensemble de
la cage d'armatures (leur diamètre ne peut pas dépasser 20 millimètres du fait de la faible
épaisseur du hourdis), et qu'on ajoute des armatures intermédiaires pour compléter.
Les cadres de connexion et les étriers d'âme (sauf au niveau des encoches pour les étriers)
jouent le rôle d'étriers dans le hourdis.
Aux extrémités de la poutre il faut ajouter des armatures assurant la diffusion des efforts de
précontrainte. La figure … donne une idée du ferraillage spécifique qu'il faut ajouter au
ferraillage courant, toujours dans le cas d'un ouvrage à hourdis général monolithique coulé sur
des prédalles non-participantes.
On reconnait :
– des armatures de frettage immédiatement sous la plaque d'ancrage des câbles de précontrainte
[1] ;
– des armatures destinées à reprendre les efforts locaux d'éclatement [2] ;
– des armatures de confinement des efforts de compression [3] et [4] ;
– des armatures de diffusion des efforts de compression dans l'ensemble de la section, vers la
section de régularisation [5] ;
– les aciers de frettage au-dessus des appareils d'appui [8] ;
– les armatures de flexion longitudinale crossées à l'about pour être ancrées au niveau des
appareils d'appui [7] ;
– et l'aménagement local des armatures de la table de compression de la poutre [6].
Ces schémas, qui ne font pas apparaitre le hourdis supérieur, correspondent implicitement au
cas où il n'y a pas de câble de précontrainte de la seconde famille ancré à l'about en fibre
supérieure. Dans le cas où un câble de précontrainte est ancré à ce niveau – comme cela nous
parait préférable –, il faut compléter le ferraillage par des aciers en attente pour assurer la
diffusion des efforts correspondants.
48
6. Formes des piles
6.1. La forme des piles est dictée par la nécessité de donner un appui à chacune des poutres du
tablier, et donc de créer un chevêtre d'appui de grande largeur. Il s'agit d'une contrainte
importante qui va avoir une forte influence sur la forme des piles et l'architecture des ouvrages.
En outre, dans les cas classiques, il faut que chaque pile permette la mise en place de deux
lignes d'appareils d'appui, pour porter les poutres des deux travées isostatiques qui s'y appuient.
6.2.1. Les piles classiques comportent donc un chevêtre assez large pour porter toutes les
poutres, et ont une dimension suffisante, dans le sens longitudinal, pour qu'on puisse disposer
deux lignes d'appareils d'appui.
6.2.2. La forme la plus simple – mais aussi la plus lourde et la plus inélégante – est celle d'une
pile de pleine largeur, constante de bas en haut.
– Il peut d'agir d'un fût plein de forme rectangulaire (ou quasi rectangulaire), suffisamment
large pour porter toutes les poutres, et suffisamment épais pour porter deux lignes d'appareils
d'appui (photo …).
– Mais le fût peut être aminci, et sa largeur légèrement diminuée avec un chevêtre en tête
(photo …).
– Le fût peut aussi avoir une forme en H pour limiter le volume de béton (figure … et photo
…),
– et le fût en H peut avoir une dimension qui diminue linéairement de la base au sommet dans
le sens longitudinal de l'ouvrage, dans le cas de piles de grande hauteur, pour leur donner une
bonne résistance aux efforts longitudinaux, par exemple en zone sismique.
6.2.3. Pour alléger ses formes la pile, peut prendre l'aspect d'un portique constitué de deux fûts
et d'un chevêtre. De multiples variantes sont alors possibles :
– fûts cylindrique ou polygonaux,
– fûts verticaux ou inclinés,
– chevêtres plus ou moins débordants.
Les photos … en donnent de nombreux exemples.
Lorsque les chevêtres ont de grandes portées, il est préférable de les précontraindre ; la reprise
d'efforts de flexion importants par des armatures passives demande la mise en œuvre d'un
ferraillage très dense, ce qui n'empêche pas le développement d'une fissuration normale en
béton armé, mais qu'on peut éviter grâce à une précontrainte.
6.2.4. L'épurement extrême est obtenu avec les piles-marteau (photos …).
Dans ce cas il est nécessaire de reprendre les efforts de flexion du chevêtre par précontrainte.
49
Figure 54 : armatures de diffusion de la précontrainte a l’about d’une poutre préfabriquée.
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6.3. Piles "architecturées".
Pour mémoire nous pouvons aussi citer quelques piles auxquelles on a donné des formes
architecturées, quelquefois très réussies (photo …), mais dans d'autres cas particulièrement
massives et peu élégantes (photo …).
Dans certains pays on crée en tête des piles un chevêtre qui constitue localement un court
tronçon de tablier. Au lieu de s'appuyer sur des chevêtres par l'intermédiaire d'appareils
d'appui, les poutres préfabriquées s'appuient sur des corbeaux à l'extrémité de ces chevêtres ;
l'extrémité de la poutre n'a alors qu'une faible hauteur (de l'ordre de la moitié de la hauteur
courante) pour venir s'appuyer sur le corbeau, à nouveau par l'intermédiaire d'un appareil
d'appui.
Cette disposition ne présente que des inconvénients et doit être évitée :
– doublement du nombre des joints de dilatation (et donc des joints de chaussée) ;
– transmission de l'effort tranchant sur une très faible hauteur, sur la console portée comme sur
la console porteuse, ce qui est la source de désordres structurels ;
– grandes difficultés pour l'inspection des joints de chaussée et des ancrages des câbles de
précontrainte ;
– grandes difficultés pour l'éventuel remplacement des appareils d'appui ;
– comportement dynamique discutable, le trafic tendant à fléchir les piles.
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Pile en H
Figure 56 : pile en I (ou en H)
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Photo 13 : pile en voile avec chevêtre Photo 14 : pile en H avec un voile interrompu et
débordant un chevêtre débordant
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Photo 20 : Pile-marteau à fût polygonal et Photo 19 : Pile-marteau à fût cylindrique
chevêtre courbe
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7. Préfabrication des poutres
En général les poutres sont préfabriquées au sol, à proximité immédiate de l'ouvrage, sur une
aire spécialement aménagée comportant une zone de stockage suffisamment vaste.
L'installation de préfabrication comprend un ou plusieurs fonds de moule et des coffrages
latéraux, qu'on appelle des joues.
La cadence minimale de préfabrication des poutres est de l'ordre de six unités par moule et par
mois, en l'absence de traitement thermique du béton.
L'utilisation de fonds de moule multiples (par exemple deux fonds de moule pour un jeu de
joues) et la préparation des cages d'armature des poutres sur un gabarit permettent d'accélérer la
cadence de préfabrication des poutres et de produire en moyenne une poutre tous les deux
jours. Le principe consiste à couler une première poutre sur le fond de moule, à la décoffrer
lorsque le béton a durci et à mettre en tension quelques câbles de précontrainte. Les joues sont
alors transférées sur l'autre fond de moule pour permettre le bétonnage d'une seconde poutre.
Pendant ce temps la résistance du béton de la première poutre a suffisamment augmenté pour
permettre la mise en œuvre de la précontrainte de la première famille et le dégagement du fond
de moule.
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Photo 23 : coffrage en bois Photo 24 : coffrage métallique
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Pour préfabriquer une poutre par jour et par moule, il est nécessaire de faire appel à un
traitement thermique du béton, et en particulier à un étuvage. Il a pour effet de réduire le délai
de mise en tension de la première série de câbles de précontrainte, qui assure le décoffrage des
poutres et le dégagement du fond de moule.
Un résultat similaire peut être obtenu en utilisant, à chaque extrémité des poutres, des plaques
d'about préfabriquées en béton, disposées dans les coffrages et servant d'éléments de répartition
des efforts de précontrainte.
Les cadences accélérées sont réservées à des chantiers importants et s'obtiennent par une
industrialisation de la préfabrication, dans un atelier ou une usine soustraite aux variations
atmosphériques, permettant d'obtenir des bétons de haute qualité dans des conditions de
rentabilité suffisantes.
Un exemple en a été donné par le viaduc de Roberval, dont l'usine de préfabrication comprenait
un atelier de préfabrication des cages d'armatures et de façonnage des câbles, une centrale à
béton et un parc de stockage. Le cycle complet de préfabrication d'une poutre était de vingt-
quatre heures , dont neuf heures pour la fabrication proprement dite et quinze heures de
durcissement.
Les poutres peuvent également être réalisées par assemblage sur le chantier de tronçons
préfabriqués en usine, dont les dimensions et le poids permettent le transport sur de longues
distances. Ces tronçons sont ensuite réunis par des clavages de façon à reconstituer les poutres.
Les ponts sur l'Oued-Djer, en Algérie, ont été construits selon cette technique par Eugène
Freyssinet avant la seconde guerre mondiale. Les tronçons, ou voussoirs, étaient fabriqués en
usine, à Oued-Fodda, dans des moules métalliques vibrants, et acheminés sur des distances
atteignant 100 kilomètres.
Les poutres du premier pont d'Abidjan, qui ont exceptionnellement une section transversale en
caisson, ont également été constituées de voussoirs assemblés, mais bétonnés sur l'aire du
chantier.
Dans certains cas particuliers (ouvrages de faible longueur à une ou deux travées, ou ouvrages
de grande portée conduisant à des poutres très lourdes qu'il aurait été difficile de transporter) la
préfabrication des poutres peut être réalisée sur une passerelle de bétonnage parallèle à
l'ouvrage ou reposant sur ses appuis ; les poutres préfabriquées sont ensuite ripées
transversalement.
Cette méthode ne diffère guère du bétonnage sur cintre général, sinon par la réduction de la
largeur de l'échafaudage et la forme des poutres. Les coffrages doivent être déplacés d'une
travée à l'autre.
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8. Mise en place des poutres
Si les méthodes de préfabrication sont peu nombreuses, il n'en est pas de même des méthodes
de mise en place des poutres qui varient beaucoup selon les ouvrages.
Les exemples de poutres mises en place par des engins de levage autonomes, terrestres ou
nautiques (grues, derricks, bigues, pontons, etc …) sont nombreux. Nous citerons :
8.2. Mise en place par levage avec déplacement vertical le long des piles.
8.3. Mise en place des poutres par ripage à partir d'une passerelle de bétonnage ou d'une
passerelle de lancement.
Nous venons de voir qu'on peut mettre en place des poutres par ripage à partir d'une passerelle
de bétonnage. On a recours à cette méthode lorsque l'importance du chantier ne permet pas
l'amortissement d'un matériel spécifique de lancement et qu'il est possible d'échafauder à
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moindre frais une passerelle de bétonnage, ou d'utiliser un ouvrage existant comme ce fut le cas
pour la construction du pont sur le Tarn.
Au pont de Lattre de Tassigny, sur le Rhône, à Lyon, les poutres de 52 mètres de portée, pesant
160 tonnes, ont été bétonnées sur une passerelle parallèle à l'axe de l'ouvrage, puis ripées
transversalement par glissement à l'aide de patins en bois sur une tôle graissée.
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Les ripages sont généralement beaucoup plus économiques que les déplacements longitudinaux
et verticaux.
Au Viaduc de la Porte de Versailles, à Paris, les poutres ont été préfabriquées sur parc et
lancées sur une passerelle de lancement longitudinale. Une telle passerelle peut être
déformable, mais doit supporter en toute section la réaction d'appui des poutres.
La passerelle de bétonnage doit être, au contraire, peu déformable, afin d'éviter une fissuration
du béton en cours de durcissement et éviter une décharge seulement partielle, comme dans le
cas des cintres classiques.
8.4. Mise en place des poutres au moyen d'une poutre de lancement autodéplaçable.
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- Blocage u lanceur sur la travée N-1
- Prise en charge de la poutre préfabriquée par les chariots roulant sur la partie superieure
du lanceur.
- Blocage du lanceur
- Déblocage et avancement des chariots portant la poutre
- Pose de la poutre sur ses appuis.
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Une fois que les deux premières files de poutres ont été complètement posées, les autres
poutres seront posées à leur tour, file par file, en utilisant les files de poutres déjà en place.
– Si les portiques automoteurs (chariots) ont une portée transversale suffisante, on met d'abord
en place les poutres de rive qu'on équipe d'un chemin de roulement. Les autres poutres seront
alors mises en place directement à leur place, file par file, en commençant par celles des travées
qui sont les plus éloignées du parc de stockage.
– Dans le cas contraire on place en rive l'une des deux premières files de poutres. On utilise les
deux premières files de poutres, équipées d'un chemin de roulement, pour mettre en place, entre
elles, une troisième file de poutres. Il faut alors riper transversalement deux de ces files de
poutres, en laissant en place celle qui était en rive ; celle qui faisait partie des deux premières
files est ripée sur l'autre rive, tandis que celle qui a été placée entre les deux files initiales prend
sa place. Le chemin de roulement est transféré sur cette nouvelle file de poutre, et le processus
est repris en plaçant une quatrième file de poutres entre les deux files qui portent les chemins
de roulement et les portiques.
Il faut noter que, dans tous les cas, la pose directe d'une poutre en rive demande une opération
spéciale si les chevêtres d'appui ne débordent pas au-delà des poutres de rive. En effet la poutre
de lancement ne peut pas poser la poutre préfabriquée de rive directement à sa place : elle doit
la lancer et la poser dans une position intermédiaire ; puis, une fois la poutre posée, la poutre de
lancement doit la reprendre sous l'un de ses éléments porteurs, et se déplacer transversalement
pour la poser à sa place en rive.
Cette méthode présente l'avantage, par rapport à la précédente, de réduire le temps
d'immobilisation de l'outil de lancement, puisqu'il n'est plus utile dès que les deux premières
files de poutres sont installées. Elle permet aussi de travailler sur plusieurs travées à la fois
(exécution des hourdis et des entretoises) et de réduire ainsi le délai d'exécution.
Bien entendu la solution la plus efficace consiste à utiliser des chariots de portée suffisante
pour permettre de prendre appui sur les deux poutres de rive, car cette solution évite le ripage
transversal des poutres intermédiaires (elles sont directement posées à leur place) et de devoir
équiper successivement toutes les files de poutres d'un chemin de roulement (à l'exception de la
dernière).
Dans cette méthode de lancement continu, la poutre de lancement s'appuie au niveau des
chevêtres des piles, mais le parc de stockage peut être situé, soit au niveau des chevêtres, soit
au niveau supérieur du tablier fini. Cette dernière solution est de loin la meilleure, car elle évite
un transfert de charge à l'entrée de l'ouvrage et permet d'éviter le ballant des poutres pendant
leur transport en les fixant au niveau du talon.
Les poutres de nombreux ouvrages, dont en particulier celles de viaduc de Roberval, ont été
lancées suivant cette méthode.
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9. Stabilité des poutres en phases provisoires
9.1. Comme nous l'avons déjà noté, les poutres préfabriquées précontraintes par post-tension
sont des poutres minces, présentant des caractéristiques mécaniques de flexion transversale
(inertie de flexion par rapport à un axe vertical) et de torsion relativement faibles.
Elles sont donc susceptibles de présenter des risques de déversement latéral – ce qui est une
forme d'instabilité élastique faisant intervenir la flexion transversale et la torsion – entrainant la
rupture et la chute de la poutre, avec toutes les conséquences que cela implique pour les
personnels d'exécution, mais aussi pour les usagers si l'on franchit des voies en service. La
chute d'une poutre par déversement, en touchant d'autres poutres de la même travée, peut même
déclencher un effondrement en chaine.
9.2. L'article de P. Lebelle paru dans les anales de l'ITBTP (bulletin n°141 de septembre 1959)
analyse en détail ce phénomène pour différentes conditions d'encastrement.
Sans entrer dans les détails, nous avons vu au paragraphe 3.1.3 qu'il convient de prévoir une
table de compression suffisamment large pour renforcer l'inertie de flexion transversale des
poutres, et d'armer l'extrémité des ailes des poutres pour éviter une trop forte chute d'inertie
transversale si l'on est proche de la fissuration.
9.3. Mais il faut aussi prévoir des précautions à la manutention des poutres et dans la situation
provisoire de pose.
9.4. En cours de manutention il faut tenir ou maintenir les poutres par le haut pour que le poids
propre de la poutre préfabriquée ait un rôle stabilisateur.
Un appui uniquement par le bas, sous le talon et sans maintien latéral au niveau de la table,
favoriserait un déversement : la moindre inclinaison accidentelle – par exemple au cours d'un
transport au sol par camion ou sur des bardeurs – pourrait générer une flexion transversale,
même modeste, susceptible d'amorcer une fissuration de l'extrémité des ailes et produirait de
toutes façons un risque d'instabilité statique.
9.5. Une fois une poutre posée, il faut immédiatement assurer un butonnage de ses extrémités
de manière à l'encastrer, au moins partiellement, vis-à-vis de la torsion. Ce contreventement est
absolument indispensable avant la réalisation des entretoises et du hourdis qui remplissent
ultérieurement ce rôle.
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Figure 61 : mise en place de la poutre de rive dans le cas d’une pose au portique.
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Photo 29
Photo 30
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Photo 31
Photo 32
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Photo 33
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10. Ferraillage et bétonnage du hourdis
11. Conclusion
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Bibliographie sur les ponts à poutres isostatiques sous chaussée.
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