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SEANCES N° 8-9

LE CONFLIT DE LOIS DANS LE TEMPS

Cas pratique

Après un coup de foudre à un match de volley-ball, Jean et Serge décident de


se marier, à Bègles, le 17 mai 2013, jour de la promulgation de la loi (n° 2013-
404) ouvrant le mariage aux personnes de même sexe.
Après la célébration du mariage, ils embarquent dans une magnifque
limousine couleur camoufage mat en direction de la gare du Nord et prennent
le premier train pour Dunkerque afn d’aller y passer leur lune de Miel.
Malheureusement, leur train déraille et Serge est blessé à la jambe gauche.
Le diagnostic est formel : il ne pourra plus jamais jouer au volley-ball à un
niveau professionnel, fnie cette belle carrière prometteuse.
Serge décide alors, la semaine suivante, d’intenter une action en responsabilité
contre la SNCF afn de voir son préjudice – qui est considérable – indemnisé.
Malheureusement, le 17 juin, afn de protéger les caisses de la SNCF, qui sont
au plus bas, le Parlement adopte une loi limitant la responsabilité de la SNCF,
en cas de préjudice corporel subi par un usager, à la somme forfaitaire de 500
€, qui, au surplus, ne peuvent être versés qu’en chèques-voyages. La loi du 17
juin 2013 précise qu’elle est applicable aux litiges en cours qui n’ont pas été
dénoués par une décision passée en force de chose jugée.
C’est décidément la soupe à la grimace pour Serge qui se retrouve lourdement
handicapé et dont les chances d’indemnisation ont l’air de s’envoler.
Le pire n’étant jamais certain, le lendemain (soit le 18 juin 2013), Jean l’informe
de sa volonté de demander l’annulation du mariage, estimant que la loi sur le
mariage pour tous n’était pas encore en vigueur le jour de leur mariage et que
donc, l’absence de diférence de sexes était encore une cause de nullité.

Questions :

1°) Jean peut-il obtenir l’annulation du mariage en raison de l’absence de


disparité de sexe ?
On supposera, dans un premier temps, que la loi du 17 mai 2013 ne contenait
pas de dispositions transitoires.
On supposera, dans un second temps, que la loi du 17 mai 2013 contient la
disposition suivante : « Le mariage entre personnes de même sexe contracté
avant l'entrée en vigueur de la présente loi est reconnu, dans ses efets à
l'égard des époux et des enfants, en France, sous réserve du respect des
articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162, 163, 180 et 191 du code civil. Il peut
faire l'objet d'une transcription dans les conditions prévues aux articles 171-5
et 171-7 du même code. A compter de la date de transcription, il produit efet
à l'égard des tiers ».
L’étudiant apportera donc deux réponses, selon ces deux variantes.

1 - La loi du 17 mai 2013 sans disposition dérogeant au principe de


non-rétroactivité
Un couple de même sexe se marie le 17 mai 2013, soit le jour de la
promulgation de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013. Le 18 juin 2013, l'un des
conjoints souhaite cependant demander l'annulation du mariage pour cause
d'absence de diférence de sexes.

L'annulation d'un mariage pour cause d'absence de diférence de sexes


peut-elle être prononcée malgré la promulgation d'une loi ouvrant le mariage
aux personnes de même sexe ?

En droit, la loi entre en vigueur à la date qu'elle fxe elle-même ou, en


l'absence de précision, le lendemain de sa publication au JORF (Journal ofciel
de la République française). En efet, l'article 1 du code civil dispose que « Les
lois et, lorsqu'ils sont publiés au Journal ofciel de la République française, les
actes administratifs entrent en vigueur à la date qu'ils fxent ou, à défaut, le
lendemain de leur publication ». La publication d'une loi comprend l'ensemble
des faits qui ont pour objet de porter à la connaissance du public le texte de la
loi, c'est-à-dire son insertion au Journal ofciel et l'écoulement du délai de
publicité (Cass. Civ., 26 janv. 1938: DH 1938, 147. ; Cass. soc., 2 déc. 1948:
Bull. civ. III, n° 987, p. 1101). Si une loi n'est pas publiée au JORF, elle est
dépourvue de force obligatoire. En outre, la diférence de sexe demeurait une
condition de l'existence du mariage dont le non-respect entraîne la nullité du
mariage. S'agissant du mariage entre personnes de même sexe, la Cour de
cassation avait jugé que « selon la loi française, le mariage est l’union d’un
homme et d’une femme » sans que ce principe ne soit contredit ni par la CEDH,
ni par la Charte des droits fondamentaux de l’UE dépourvue de force
obligatoire (Cass. civ. 1ère, 13 mars 2007, n° 05-16.627).)

En l’espèce, la loi nouvelle a été promulguée le 17 mai 2013. Le couple


s’est marié le jour de la promulgation de la loi et non à compter de son entrée
en vigueur qui intervient le jour de sa publication au JORF. La loi n’étant pas
expressément rétroactive, leur mariage est donc régi par les dispositions
anciennes relatives au mariage qui demeurent encore en vigueur.

Jean pourra demander l’annulation du mariage pour cause d’absence de


diférence de sexes puisque la loi nouvelle n’était pas encore publiée au JORF
donc elle n’était pas entrée en vigueur.

2 - La loi du 17 mai 2013 avec une disposition dérogeant au principe


de non-rétroactivité

Un couple de même sexe se marie le 17 mai 2013, soit le jour de la


promulgation de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013. Cette loi contient des
dispositions transitoires. Le 18 juin 2013, l'un des conjoints souhaite toutefois
demander l'annulation du mariage pour cause d'absence de diférence de
sexes.

Dans quelle mesure une loi peut-elle comporter des dispositions


dérogeant au principe de non-rétroactivité ?

En droit, le principe est la non-rétroactivité de la loi, mais le législateur


peut exceptionnellement y déroger. Selon ce principe les conditions et les
efets passés d’une situation juridique, légale ou contractuelle, sont soustraits
à l’application de la loi nouvelle. En efet, l’article 2 du code civil dispose que
« La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'efet rétroactif ».
Cependant, en matière civile, le législateur peut déroger au principe de non-
rétroactivité qui n’a qu’une valeur législative et prévoir exceptionnellement
dans la loi nouvelle sa rétroactivité. Aux termes de l’article 1 du code civil,
« Les lois et, lorsqu'ils sont publiés au Journal ofciel de la République
française, les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu'ils fxent ou,
à défaut, le lendemain de leur publication ». La publication d'une loi comprend
l'ensemble des faits qui ont pour objet de porter à la connaissance du public le
texte de la loi, c'est-à-dire son insertion au Journal ofciel et l'écoulement du
délai de publicité (Cass. Civ., 26 janv. 1938: DH 1938, 147. ; Cass. soc., 2 déc.
1948: Bull. civ. III, n° 987, p. 1101). Une loi qui n'est pas publiée au JORF est
dépourvue de force obligatoire.

En l’espèce, le législateur a prévu une disposition dans la loi nouvelle qui


déroge au principe de non-rétroactivité. Le mariage entre personnes de même
sexe contracté avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle est ainsi reconnu
dans ses efets à l’égard des époux et des enfants, en France conformément
aux conditions prévues par le code civil et peut faire l’objet d’une transcription
à compter de laquelle il produit des efets à l’égard des tiers. A compter de sa
publication au JORF, la loi nouvelle qui comporte cette disposition entrera en
vigueur et aura donc force obligatoire.

Jean ne pourra pas demander l’annulation du mariage pour cause


d’absence de diférence de sexes puisqu’à compter de l’entrée en vigueur de la
loi nouvelle qui contient une disposition à portée rétroactive, le mariage
contracté avec son conjoint n’encourera pas la nullité.

2°) Jean pourra-t-il obtenir réparation de son préjudice ou devra-t-il se


contenter de 500€ en chèques-voyages ?

Un couple prend le train mais un accident se produit. L’un des conjoints


est blessé. Ce dernier décide d’intenter une action en responsabilité contre la
compagnie de transport en vue d’obtenir l’indemnisation de son préjudice.
Cependant, dans le but d’aider fnancièrement la compagnie de transport en
difcultés, l’Assemblée Nationale adopte la loi du 17 juin 2013 limitant la
responsabilité de la compagnie de train en cas de préjudice corporel subi par
un usager à la somme forfaitaire de 500 euros qui ne peuvent être versés
qu’en chèques-voyages. Cette loi précise également qu’elle est applicable aux
litiges en cours qui n’ont pas été dénoués par une décision passée en force de
chose jugée.

Quelle est la portée d’une loi de validation dans le cadre d’une instance
en cours ?

En droit, le principe est la non-rétroactivité de la loi, mais le législateur


peut exceptionnellement y déroger sous conditions. Selon ce principe les
conditions et les efets passés d’une situation juridique, légale ou contractuelle,
sont soustraits à l’application de la loi nouvelle. Ainsi, l’article 2 du code civil
dispose que « La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'efet
rétroactif ». En matière civile, le législateur peut déroger au principe de non-
rétroactivité qui n’a qu’une valeur législative et prévoir exceptionnellement
dans la loi nouvelle sa rétroactivité. Cependant, cette dérogation est encadrée.
En efet, la CEDH a jugé que « si, en principe, le pouvoir législatif n’est pas
empêché de réglementer en matière civile, par de nouvelles dispositions à
portée rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, le principe de la
prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6
s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du
pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’infuer sur le
dénouement judiciaire d’un litige » (CEDH 28 octobre 1999, Zielinski et a. c/
France, n° 24846/94). Dans le même sens, la Cour de cassation a admis que si
l’intervention du législateur est justifée par d’impérieux motifs d’intérêt
général, il peut adopter des dispositions rétroactives (Cass. com., 14 décembre
2004).

En l’espèce, la loi du 17 juin 2013 vise à protéger les caisses de la


compagnie de transport. Cependant, la loi rétroactive ne paraît pas satisfaire
un impérieux motif d’intérêt général dans la mesure où elle n’améliore pas
l’indemnisation des victimes d’accidents en cas de préjudice corporel en fxant
un seuil de 500 euros qui ne peuvent être versés que sous forme d’avoirs
utilisables exclusivement chez la compagnie de transport. En outre, cette loi
porte manifestement une atteinte disproportionnée aux droits des justiciables
en limitant leur droit à voir leur préjudice être indemnisé de manière
raisonnable. La victime de l’accident ne pourra d’ailleurs plus exercer une
activité sportive, ce qui interroge quant au montant de l’indemnisation
forfaitaire et à la forme de son versement prévus par la loi.

L’application de la loi nouvelle à l’instance en cours ne paraît pas


envisageable. Jean pourra donc obtenir réparation de son préjudice.

Hors correction :

- Le cas de la survie de la loi ancienne en matière contractuelle (par exemple,


un contrat de bail et une nouvelle loi qui modife les règles relatives au bail).

La Cour de cassation a jugé que « les efets des contrats conclus


antérieurement à la loi nouvelle, même s’ils continuent à se réaliser
postérieurement à cette loi, demeurent régis par les dispositions sous l’empire
desquelles ils ont été passés » (Cass. civ. 3ème, 3 juillet 1979, n° 77-15.552).

La règle du principe de non-rétroactivité s’applique également ici : la loi


nouvelle s’applique pour l’avenir (art. 2 du code civil).

Les contrats conclus avant la loi nouvelle et qui sont en cours ne peuvent pas
être remis en cause par la loi nouvelle. Ces contrats restent régis par le droit
antérieur.

Ce principe connaît toutefois deux exceptions : lorsque le législateur en a


décidé autrement, ou si la loi nouvelle protège un motif impérieux d’intérêt
général.

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