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Explication

Dans l’extrait d’Emile, livre IV soumis à notre étude, Rousseau se questionne sur l’amour et
sur les rapports que nous entretenons avec les autres. Comment l’amour structure-t-il nos rapports aux
autres et par prolongement nous structure nous-mêmes ? Pour le philosophe c’est de l’amour que
naissent nos rapports sociaux « Toutes ses relations avec son espèce, toutes les affections de son âme
naissent avec celle-là ». Dès lors on peut se demander si c’est l’amour la passion fondamentale de
l’être humain ou bien c’est la passion d’amour-propre, c’est-à-dire l’égoïsme ? Pour développer son
point de vue Rousseau va dans un premier temps parler de l’étude des rapports humains et de la place
de l’amour dans ceux-ci. Ensuite, le philosophe nous expose la rationalité de l’amour (l.10 à l.26).
Enfin, Rousseau propose une ouverture sur la recherche de réciprocité qui mène vers de nouveaux
rapports avec les autres.

Tout d’abord, Rousseau se propose de définir la méthode d’étude convenable à l’homme. Ici,
l’étude dont il est question correspond à la recherche méthodique qui vise à mieux comprendre et à
mieux appréhender l’homme. Lorsque Rousseau utilise le terme homme, il fait à la fois référence à
l’homme en tant qu’individu et à l’humanité, c’est-à-dire à l’ensemble des caractéristiques propre au
genre humain. Or, il affirme que l’être humain est engagé dans des rapports avec ses semblables mais
aussi avec son environnement de façon plus générale. Ces rapports sont des relations ou des
interactions que l’homme entretient avec une personne ou une chose. Ainsi, on comprend que d’après
Rousseau c’est par ces différents rapports que l’homme et l’humanité se défissent.
Ensuite, l’auteur différencie deux stades du développement des rapports chez l’humain. Il
dresse un constat : chaque stade correspond à une période de la vie. Pour Rousseau, l’enfance est une
période dédiée à mieux s’appréhender mais seulement grâce à nos rapports avec les choses du monde
extérieur. En effet, selon lui, les enfants n’ont conscience que de leur être physique. De même, ils ne
peuvent accéder qu’à leur propre point de vue et ne le dissocie pas de celui des autres. Par conséquent,
l’enfant qui est égocentré ne conçoit ses relations et ses affections qu’à travers des choses comme la
nourriture, les jouets, son corps ou à travers ce que ses parents lui donnent. Il est donc naturel que les
enfants conçoivent leur monde et leur personnalité à partir de la seule perceptive qu’ils peuvent
percevoir. Les êtres humains vont donc tout au long de leur enfance essayer de mieux se comprendre
et de mieux s’appréhender au travers des choses physiques qui leur sont données. Mais alors à partir
de quel moment l’humain n’est plus un enfant ? Selon Rousseau, c’est lorsque l’homme commence à
sentir son être moral qu’il sort de l’enfance. Lorsque l’homme prend conscience de lui-même, de ses
pensées, de ses sentiments et de ses actions et qu’il devient capable de les juger alors il n’est plus un
enfant. Dès lors, et durant le reste de sa vie, c’est au travers de ses rapports sociaux avec ses pairs qu’il
pourra mieux se comprendre. La question qui se pose à présent est : comment l’homme développe son
être moral et qu’est-ce qui le pousse à le développer ? Rousseau explique que c’est le besoin d’amour
qui permet à l’homme de se lier avec les autres et de sortir de cette solitude dans laquelle il vivait
« Sitôt que l’homme a besoin d’une compagne, il n'est plus un être isolé, son cœur n’est plus seul ».
Ce serait donc l’amour qui serait à l’origine de son être moral et qui donc lui permettrait de sortir de
l’enfance. Ainsi, Rousseau nous expose sa thèse en affirmant que ce besoin d’amour structure toutes
les relations. L’homme étant une espèce qui vit de façon sociale, des interactions entre les individus
s’établissent : il s’agit de relations que l’on peut observer de l’extérieur et d’affection que chacun
éprouve intérieurement. Or, comme indiqué ultérieurement cette vie sociale n’est pas donnée à
l’individu dès sa naissance. C’est l’apparition de l’amour qui fait naître cette vie sociale. Avec
l’amour, l’individu intériorise ses relations et ses affections, il sent qu’il est le seul à les avoir et il veut
sortir de cette solitude en les partageant avec une autre âme. Pourquoi faire de l’amour la première des
affections ? L’amour est une seconde naissance. Dans la première naissance c’est l’amour des parents
qui donne l’existence à un enfant. Dès lors, l’enfant vivra ses expériences. Puis, l’apparition de
l’amour fait naître dans notre âme une autre existence, une autre âme que la nôtre. Dès lors, toutes nos

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relations et affections dépendront du rapport à cette âme sœur. Donc, c’est l’être aimé qui introduit en
nous la notion de vie sociale et les relations à l’autre « sa première passion fait bientôt fermenter les
autres ».

Dans son deuxième paragraphe, Rousseau affirme la rationalité de l’amour loin de l’opinion
commune qui voit l’amour comme une chose imprévisible ou encore une tendance spontanée
immédiate dont l’objet visé est interminé à l’avance et par là incertain. Tout d’abord, pour appuyer son
propos, Rousseau établit une distinction entre l’attirance et l’amour. Pour lui « le penchant de l’instinct
est indéterminé ». L’instinct dont il est question est l’instinct sexuel. Rousseau soutient que cet instinct
ne repose sur rien de concret puisqu’il est « indéterminé ». Cette inclinaison naturelle ne repose sur
aucun argument qui pourrait mener l’homme à préférer une personne à une autre. L’attirance n’est
donc pas définie par la raison. De même, il renforce son idée en affirmant qu’« un sexe est attiré vers
l’autre » c’est-à-dire que l’homme n’est non pas attiré par une personne spécifique mais par le sexe
opposé. On comprend donc que l’attirance est le résultat du besoin de l’être humain de se reproduire
« voilà le mouvement de la nature ». C’est donc une chose innée et commune à toutes les espèces
sexuées puisqu’elle découle d’un besoin primaire.
Par opposition, Rousseau déclare que l’amour est le résultat d’une mûre réflexion « il faut du
temps et des connaissances pour se rendre capable d’amour ». On voit donc qu’il s’oppose au simple
désir puisqu’il est intelligent et subtil. Cette réflexion que l’on mène nous conduit à faire des choix,
des préférences ou des attachements personnels. Chacun de ces actes est basé respectivement sur
l’usage de la raison (« l’ouvrage des lumières »), de nos préjugés (nos idées préconçues) et de nos
habitudes qu’elles soient culturelles (traditions de notre pays, religion, …) ou personnelles (notre
manière usuelle d'agir ou de se comporter). L’amour est donc basé sur des critères et des valeurs que
l’on définit soi-même afin de procéder à une sélection qui demande du temps. Rousseau continue sa
réflexion et juge qu’« on n'aime qu'après avoir jugé, on ne préfère qu'après avoir comparé. Ces
jugements se font sans qu'on s'en aperçoive, mais ils n'en sont pas moins bien réels ». Ici, il est
question des différents mécanismes qui poussent l’homme à développer des sentiments pour une
chose. On voit que pour Rousseau l’amour n’est pas naturel ou inné puisqu’il découle d’un jugement.
C’est plus particulièrement du jugement de valeur dont il est question, c’est-à-dire de l’appréciation
portée sur la valeur d’une chose, d’une action ou d’une personne. L’homme émet un avis ou une
appréciation qui peut être favorable ou défavorable sur l’objet de ses désirs et sa conclusion le
poussera à aimer ou non l’objet en question. Par ailleurs, ceci implique que l’amour est lié à la raison
puisque la capacité à juger une chose découle de la raison. L’amour se définit donc comme une
conduite rationnelle et raisonnable. Rousseau affirme aussi la distinction à faire entre l’amour et la
préférence. L’amour est un sentiment intense d'affection et d'attachement envers un être ou une chose
qui pousse à rechercher une proximité avec l’objet aimé alors que la préférence est un sentiment par
lequel on donne à une personne ou à une chose la prééminence sur une autre. Pour l’auteur, l’amour
nait d’un jugement lorsque la préférence nait d’une comparaison. Pour préférer une chose à une autre,
l’être humain doit envisager plusieurs possibilités pour en chercher les différences ou les
ressemblances. Il considérera alors une chose comme meilleure, supérieure ou plus importante après
l’avoir confronté à toutes les possibilités qu’ils lui sont donnés. La préférence est donc relative
puisqu’elle dépend des possibilités que l’on a. Elle ne peut être parfaite car elle est limitée. De plus,
Rousseau affirme que ces jugements que nous émettons se font de manière inconsciente, c’est-à-dire
que ce sont des faits psychiques qui échappent à notre conscience. On ne se rend pas compte que l’on
fait ces choix, pourtant on les fait. Puisque l’homme a fait ces choix de manière concrète, ils font donc
partie de notre réalité. Ils ne sont ni une invention, ni une apparence car ils existent « ils n’en sont pas
moins bien réels ». De plus, ces choix engagent aussi la personne que nous sommes réellement. Ils
sont donc révélateurs de notre personnalité et de notre manière de penser.

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Ensuite, Rousseau déclare que peu importe l’époque, le « véritable amour » ne cessera d’être
célébré et glorifié par les hommes. Néanmoins, il ne réfute pas le fait que l’amour est aussi à l’origine
de sentiments négatifs. L’amour produit des « emportements » en d’autres termes des vifs accès de
colère. Cette colère créée par l’amour peut même nous égarer. En effet, lorsque l’être humain est
soumis à cette émotion, il sera plus enclin à se diriger vers le mal et dans certains cas il sera conduit à
faire le mal. De même, l’amour ne peut libérer les hommes de leurs travers et de leurs vices. En effet,
l’amour ne peut pas purifier l’être humain de ses défauts. Ce n’est donc pas à travers lui que l’homme
deviendra meilleur. Ainsi, on voit que l’amour ne peut pas changer notre nature intrinsèque. Toutefois,
dans certaines situations, l’amour peut nous rendre plus mauvais qu’avant d’un point de vue moral «
des qualités odieuses et même qu’il en produise ». Ces « qualités odieuses », pour la plupart contraire
à la morale, proviennent du désir de posséder l’être aimé. Elles peuvent être dirigées vers l’être aimé
mais aussi vers les autres individus. Elles peuvent se manifester à travers différentes formes : jalousie,
agressivité, méfiance. Après avoir exposé ces sentiments négatifs qui naissent avec l’amour, Rousseau
précise que malgré tous les qualités « estimables » que l’amour induit sont plus importante que les
défauts qu’il produit. Toutefois, étant donné que l’amour ne peut nous rendre meilleurs ceci implique
que ces qualités était déjà présente chez l’homme. L’amour agit donc en simple révélateur de ces
qualités qui étaient autrefois cachées. Cependant, on remarque que Rousseau ne révèle pas la nature de
ces qualités. On pourrait croire qu’il s’agit d’incertitudes de la part de Rousseau. Toutefois, il serait
plus juste de voir cette imprécision comme une conséquence de l'impuissance de nos mots. L’amour
est un sentiment qui dépasse l’être humain. Ainsi, les sentiments qui apparaissent avec l’amour ne
peuvent être décrits par des mots de manière précise.
Puis, Rousseau affirme une nouvelle fois que l’amour est issu de la raison contrairement à
l’opinion commune. Il utilise d’ailleurs le terme « ce choix » pour faire allusion à l’amour. Rousseau
insiste sur le fait que ce choix qui est habituellement vu comme l’opposé de la raison, nous vient en
réalité d’elle. L’utilisation de ce terme est très intéressante puisqu’elle indique que l’amour est en
réalité une décision, qui est donc rationnelle, que l’on prend. Rousseau continue son propos en
affirmant qu’« on a fait l’amour aveugle ». Cette affirmation réside sur un paradoxale. Pour l’opinion
commune, l’amour rend « aveugle » c’est-à-dire qu’il nous fait perdre la raison. L'amour est donc vu
comme une illusion. Il nous fait idéaliser l’être aimé, on ne le voit plus tel qu'il est, mais avec des
qualités qu'il n'a pas, et sans les défauts qu'il a. Or, pour Rousseau c’est la raison qui est à l’origine de
l’amour ce qui implique qu’il serait donc une manifestation de notre raison. Rousseau voit donc
l’amour comme un guide et un jugement rationnel. De plus, selon le philosophe, l’amour saisit dans
l'être aimé des qualités tout à fait réelles puisque l’amour « a de meilleurs yeux que nous ». De même,
selon Rousseau l’amour « voit des rapports que nous ne pouvons apercevoir ». Alors que l’homme ne
peut avoir qu’une vue superficielle puisqu’il ne peut qu’apercevoir, l’amour lui peut avoir accès à la
vérité des rapports humains puisqu’il voit. L’amour nous expose des rapports et des liens qui jusque-là
nous étaient caché. Il affirme donc que l’amour est plus clairvoyant et qu’il est marqué par une
certaine lucidité que l’on ne retrouve pas chez les humains. En outre, l’amour nous rend plus attentifs
à certains détails et à certaines choses dont on ne se serait pas rendu compte en temps normal.
L’amour agit donc en tant que guide dans notre quête de l’âme sœur mais pas seulement puisque d’une
manière plus générale il nous guide dans nos rapports avec les autres. Il appuie son propos à l’aide
d’un exemple « pour qui n’aurait nulle idée de mérite ni de beauté, toute femme serait également
bonne, et la première venue serait toujours la plus aimable ». Il prend comme un exemple un homme
qui n’a aucune notion de critère. Cette personne serait donc seulement guidée par son instinct sexuel et
non par la raison. Rousseau affirme que pour cette personne toutes les femmes se vaudraient car elles
auraient toutes la même valeur. En effet, aucune d’elles ne se distingueraient de l’autre. De ce fait,
l’homme prendra la première venue puisque aucun critère ne le pousserait à en choisir une autre. Il
réaffirme ensuite le fait que l’amour et le désir sexuel « la nature » sont deux choses distinctes.
Toutefois, il va plus loin et nous indique que l’amour ne découle pas de ce désir, il est en réalité celui
qui réfrène nos pulsions et les régules. L’amour mène une personne à être attiré par une personne

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spécifique et non par le sexe opposé en général. De même, l’amour refoule notre instinct primaire en
dirigeant notre attention sur un seul objet désir « c’est par lui qu’excepté l’être aimé, un sexe n’est plus
rien pour l’autre ».

Enfin, Rousseau déclare : « La préférence qu’on accorde, on veut l’obtenir ». Il aborde ainsi le
caractère égoïste de l’amour. Lorsque l’homme aime une personne ce n’est pas un acte désintéressé.
En effet, lorsqu’on aime quelqu’un, on veut que nos sentiments soient partagés. De même, on désire
recevoir la même affection que l’on donne. De plus, quand on donne la prééminence à une personne
sur toutes les autres, on souhaite que l’autre fasse de même. On voit donc que de l’amour peut naître
l’égoïsme. L’être humain est constamment à la recherche de réciprocité. Cette recherche de réciprocité
implique que l’homme doit se conformer aux attentes et aux critères de l’être aimé « pour être aimé, il
faut se rendre aimable ». S’il veut prendre la supériorité absolue sur tous les autres dans le cœur de
l’être aimé, alors l’homme devra dépasser tous les individus du point de vue de l’objet aimé. De plus,
Rousseau affirme que cette recherche est à l’origine de nouveaux rapports et de nouveaux sentiments
entre les hommes. Cette recherche de réciprocité induit une nouvelle manière de penser à ses pairs
« De là les premiers regards sur les semblables ». Notre recherche de l’amour réciproque va nous
mener à portée toutes sortes de jugements et de sentiments sur les autres. De même, cette recherche va
faire naître un nouveau type de comparaison. À l’inverse des comparaisons amoureuses, les
comparaisons qui naissent de cette recherche nous implique nous. Ce n’est plus l’être aimé que l’on
compare aux autres mais c’est notre propre personne que l’on compare à nos semblables. En effet, dès
lors que l’humain ressent ce besoin de réciprocité, il sera poussé à adopter un nouveau regard sur ses
pairs et cherchera à se comparer à eux. Il s’examinera personnellement, puis, il examinera les autres
pour estimer sa propre valeur. Il la confrontera ensuite à celles de ses pairs pour pouvoir mieux
s’évaluer. De plus, pour être choisi parmi d’autres, il faut apparaître comme le meilleur. Ainsi, dans sa
recherche de réciprocité et pour atteindre son but, l’homme sera guidé par un sentiment qui l’incitera à
égaler ou à surpasser les autres, c’est l’émulation. Dans certains cas, cette recherche impliquera le fait
que deux personnes souhaitent la même chose. Une situation de compétition et de concurrence se
créera où chacun voudra gagner les avantages auxquels il prétend. Un climat de rivalité sera donc
posé. Enfin, selon Rousseau, cette recherche de réciprocité fera naître chez l’homme un sentiment
fondé sur le désir de posséder la personne ou l’objet aimé et sur la crainte de le perdre au profit d'un
autre.

Rousseau se demande quel est le sentiment fondamental qui permet à l’homme de créer des
relations avec son espèce et de se construire personnellement. Contrairement à Hobbes qui considérait
que l’amour propre était la passion fondamentale de l’humain, Rousseau lui considère que c’est
l’amour qui agit en tant que tel car pour lui il est à l’origine de toutes nos interactions sociales. C’est
grâce à ce sentiment que l’on sort d’une enfance égocentrée pour entrer dans un monde dirigé par les
relations que l’on entretient avec les autres. Ce sentiment, que l’on ne doit pas confondre avec le désir
charnel, découle d’ailleurs de notre raison. Il révèle donc qui nous sommes réellement. De plus,
l’amour nous structure et structure nos relations aux autres à travers certains sentiments qu’il
engendre. De même, ce sentiment qui est plus clairvoyant que l’être humain, nous guide tout au long
de notre vie et agit comme un régulateur de nos pulsions. L’amour fait aussi naître l’égoïsme qui sera
à l’origine de nouveaux buts et de nouvelles recherches pour l’homme. Somme toute, on voit que
l’amour est au centre de nos relations avec tous les autres individus. C’est lui qui structure nos
relations et qui par prolongement nous structure aussi. Cependant, cette vision de l’amour que nous
offre Rousseau est basé sur un point de vue masculin hétérosexuel. Dès lors, on pourrait se demander
si elle est valable pour les femmes et si l’on peut concevoir une vision de l’amour universelle qui
s’appliquerait à toutes et à tous.

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