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Qui dirige l'Allemagne ? | Claire Demesmay, Hans Stark

Geist und Macht : la


question lancinante du
rapport des intellectuels
au politique
Denis Goeldel
p. 81-104

Texte intégral
1 Dans les sociétés occidentales contemporaines, les intellectuels constituent une
catégorie sociale complexe et difficile à cerner : en France, l’Institut national de la
statistique et des études économiques (INSEE) doit procéder périodiquement à sa
réactualisation. Vouloir la saisir dans sa globalité apparaît comme une gageure.
En revanche, il peut paraître judicieux de l’éclairer à partir des débats publics
suscités et alimentés par les « grands » intellectuels – écrivains, universitaires,
artistes, etc. En République fédérale d’Allemagne (RFA), des hebdomadaires
comme Der Spiegel et Die Zeit, ainsi que le quotidien Frankfurter Allgemeine
Zeitung (FAZ), accordent une place de choix à ces débats, tout particulièrement à
travers les interviews et les recensions dont ils se sont faits spécialité. C’est cette
entrée que nous avons choisie pour notre étude qui porte sur les débats de ces
dernières années, bien entendu mis en perspective.
2 En Allemagne, on appelle traditionnellement les intellectuels Dichter und Denker
ou Schriftsteller et, dans la littérature sociologique, die Intellektuellen ou die
Intelligenz. On les regroupe également sous l’appellation Der Geist. En RFA, ils
ont connu des situations très contrastées. Au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale, les intellectuels de droite et d’extrême droite sont disqualifiés. Seule la
voix des intellectuels progressistes se fait entendre, non sans mal : il arrive que les
occupants occidentaux les musèlent, et les gouvernants de l’ère Adenauer les
fustigent systématiquement. Ils constituent en effet la seule force d’opposition
radicale au pouvoir conservateur, surtout depuis le ralliement du SPD
(Sozialdemokratische Partei Deutschlands), en 1959, à l’économie de marché et à
la politique extérieure de Konrad Adenauer : c’est en 1962, à l’occasion de la
Spiegel-Affäre que cette opposition se découvre. Une période faste s’ouvre à eux
avec l’arrivée à la chancellerie de Willy Brandt, l’ami de ces intellectuels libéraux
de gauche. Aussi assiste-t-on, entre 1969 et 1974, à ce que l’on a appelé la nouvelle
alliance de « l’esprit et du pouvoir » (Geist und Macht), quand le chancelier se
trouve entouré et soutenu par des écrivains illustres : Günter Grass, Heinrich Böll,
Siegfried Lenz, Hans Magnus Enzensberger, Martin Walser, etc. C’est un moment
favorable pour les intellectuels de gauche, qui semblent alors assumer une
fonction d’avant-garde intellectuelle et avoir conquis une position hégémonique,
rendue par la fameuse formule : « Der Geist steht links » (« L’esprit se situe à
gauche »).
3 La lune de miel est cependant de courte durée. Non seulement l’accord est moins
parfait avec le pragmatique Helmut Schmidt, mais, dès le milieu des années 1970,
un renversement de tendance (Tendenzwende) s’opère. On assiste à un
éclatement du champ intellectuel. De nouvelles tendances, à la fois conservatrices
et alternatives, source d’hétérogénéité, se font jour (« die neue
Unübersichtlichkeit », Jürgen Habermas). Une « nouvelle droite » intellectuelle se
met en place pendant les années 1980 (Botho Strauss, Ernst Nolte, Heimo
Schwilk, Rainer Zittelmann, Martin Walser « seconde manière », etc.), faisant
perdre à la gauche son hégémonie culturelle : en 1987, le sociologue Claus
Leggewie titre alors l’un de ses ouvrages Der Geist steht rechts (« L’esprit se situe
à droite »)1. La nouvelle tendance intellectuelle dominante se caractérise par un
reflux des préoccupations politiques et sociales et une montée concomitante des
problématiques identitaires, individuelles et/ou collectives, à l’image de la
« nouvelle subjectivité » qui apparaît dans le domaine littéraire – Jürgen
Habermas parle à ce sujet d’une sorte de « cheminement vers l’intériorité »
(« Weg nach innen »). Cette tendance se maintient par-delà l’unification
allemande. Dans ces conditions, les intellectuels qui fréquentent aujourd’hui la
chancellerie sont forcément moins nombreux qu’à l’époque faste de Willy Brandt :
Der Spiegel ne cite plus que deux « grands », Günter Grass et Peter Schneider2,
auxquels on peut ajouter l’historien Heinrich August Winkler, Martin Walser
étant devenu entretemps un habitué des manifestations de la CSU (Christlich-
Soziale Union) bavaroise !

L’effacement des intellectuels de l’ex-RDA après


l’unification
4 Au regard de la complexité croissante qui caractérise l’ancienne RFA jusqu’en
1989, la configuration intellectuelle de la République démocratique allemande
(RDA) paraît au premier abord plus simple : on y distingue généralement les
écrivains fidèles au régime – Hermann Kant en fut l’un des plus inconditionnels –
et les opposants/dissidents, dont le plus célèbre a été le chansonnier Wolf
Biermann, déchu de sa nationalité par les autorités est-allemandes. Mais les
positions ne sont pas toujours aussi tranchées et, là aussi, une certaine
hétérogénéité est de mise.
5 Après 1989, la configuration de l’intelligentsia de l’Allemagne unifiée est marquée
par un effacement des intellectuels est-allemands, dont beaucoup ont été
« limogés » dans le cadre de la « déstatification ». Le phénomène est
particulièrement marqué dans les universités et les instituts ou « académies », où
toute une génération de scientifiques, parmi les plus âgés, s’est trouvée évincée et
remplacée par des Allemands de l’Ouest ; ceux qui ont pu rester ont dû se
contenter de postes subalternes. Dans le domaine littéraire notamment
(Geisteswissenschaftler), de nombreux nouveaux instituts ont été créés sur le
modèle ouest-allemand, en opposition à l’idéologie et au mode de pensée
marxistes (à l’exemple du Hannah-Arendt Institut pour la recherche sur le
totalitarisme à Dresde, du Centre de recherche sur l’histoire contemporaine
[Zentrum für Zeithistorische Forschung] à Potsdam, spécialisé dans la
comparaison des dictatures, ou encore de la section scientifique de l’office chargé
des archives de la Stasi [Gauck-Behörde] avec ses publications propres), tandis
que l’université et la recherche sont réorganisées par les pouvoirs publics de façon
à exclure systématiquement les intellectuels est-allemands. Pour l’historien
Werner Mittenzwei3, tout ce travail de fondation institutionnelle s’est fait avec une
volonté délibérée d’exclusion4 (« der Geist der Ausgrenzung »). Les intellectuels
ouest-allemands eux-mêmes ne se sont pas montrés tendres à l’égard de leurs
homologues est-allemands. Ainsi, dans son étude sur les intellectuels en Europe5,
le sociologue ouest-allemand Wolf Lepenies reproche à ses collègues est-
allemands de s’être éloignés des masses – dont, selon lui, ils n’ont d’ailleurs
jamais partagé les privations –, d’avoir vécu de subventions et de s’être
« arrangés » avec la nomenklatura, ce qu’il considère comme le « drame » des
intellectuels en question6.
6 Les écrivains, quant à eux, sont fortement mis en cause après 1989 par la critique
ouest-allemande, qui leur reproche de s’être compromis, certes à des degrés
divers, avec le régime. Les grandes figures de la littérature est-allemande se
trouvent ainsi condamnées pour des raisons politico-morales, mais cette
condamnation va déborder sur le domaine esthétique. Tel est le sens de la
fameuse « querelle littéraire allemande » (deutscher Literaturstreit) des années
1990-1993 qui, comme le fait remarquer le germaniste Jacques Poumet, aboutit
au rejet des auteurs en question, voire de l’ensemble de la littérature est-
allemande, dont les œuvres sont affectées d’une connotation négative7. Cette
disqualification des écrivains de l’ex-RDA les a poussés à se justifier et à se
prémunir contre les incessantes interprétations malveillantes de leurs
productions, désormais majoritairement autobiographiques. C’est le cas de
Hermann Kant, président de l’Association des écrivains de la RDA de 1978 à 1989,
qui ouvre le bal avec une autobiographie8 et que l’on ne cesse de questionner sur
son rôle dans l’« expatriation » de Wolf Biermann en 1976. C’est encore le cas de
Christa Wolf qui publie successivement Was bleibt (1990), livre d’autojustification
où l’auteur tend à se présenter comme une « victime » du régime, Reden im
Herbst (1990), Auf dem Weg nach Tabou (1996) puis, plus récemment, Ein Tag
im Jahr 1960-2000 (2001) – journal relatant la vie quotidienne d’une sorte de
jour fixe par an, le 27 septembre, et ce, pendant 41 années. Christa Wolf est sans
cesse interrogée sur son engagement politique et ses relations avec le pouvoir en
RDA – on lui reproche d’avoir été une « poétesse d’État » (Staatsdichterin) –, ses
relations ambiguës avec la Stasi et son attitude en novembre 1989 lors de la chute
du Mur. Le procès en justification touche également Volker Braun, mais dans une
moindre mesure, auquel on reproche de ne pas prendre ses distances par rapport
à l’« utopie », ainsi que Monika Maron, Thomas Brussig et Brigitte Burmeister.
Quant à Heiner Müller, Günter de Bruyn et Günter Kunert, ils contribuent eux
aussi à cette production autobiographique qui est une des caractéristiques des
années 1990, et que la critique juge globalement décevante9.
7 Les écrivains de l’ex-RDA sont ainsi amenés à relire leur vie et leur œuvre à la
lumière des accusations lancées contre eux. À cela s’ajoute ce que Jacques
Poumet10 appelle la « perte du contexte de production et de réception », une sorte
de « déracinement » culturel qui explique sans doute la prédominance dans ce
milieu du type d’écrivain « mélancolique », comme le remarque Volker Braun.
Certes les grands anciens ont réussi à garder un lectorat : Christa Wolf connaît
quelques succès, comme avec son récent roman Leibhaftig11, quoique d’une
lecture difficile. De même Christoph Hein, Volker Braun et Günter de Bruyn
continuent d’avoir une certaine audience, contrairement aux plus jeunes comme
Inge Müller, Maxie Wander, Brigitte Reimann ou encore Irmtraud Morgner, qui
peinent à trouver un public. Mais, en tant qu’intellectuels, ils ne comptent plus
dans la « République de Berlin ». En effet, si l’on se réfère à la définition que les
sociologues Raymond Boudon et François Bourricaud12 donnent des intellectuels
– « des individus qui, pourvus d’une certaine expertise ou compétence dans
l’ordre cognitif, manifestent aussi un souci particulier pour les valeurs centrales de
leur société » –, ceux de l’ex-RDA, trop occupés à se défendre, apparaissent très
majoritairement en marge des débats et semblent politiquement neutralisés.
Affaiblis de surcroît par la disparition, dans les années 1990, de quelques-uns de
leurs ténors, tels Stephan Hermlin, Erwin Strittmacher et Heiner Müller, ainsi que
de Stefan Heym en 2001, ils sont devenus étrangement silencieux sur les grands
problèmes de l’heure. Certains jouent néanmoins les Cassandre, comme Christa
Wolf qui, interrogée en 2003 par Der Spiegel sur les solutions qu’elle entrevoit
pour sortir de la crise de l’État social, avoue sa perplexité : elle déclare que le
marxisme, avec la socialisation des moyens de production, ne lui paraît plus offrir
de solution, et ajoute de façon sibylline que tout peut arriver, l’expérience de la
RDA lui ayant appris que les changements peuvent intervenir de manière tout à
fait inattendue13. Même si, en 2004, la jeune génération d’écrivains se montre bien
plus intéressée par les particularités culturelles est-allemandes qui survivent dans
l’Allemagne réunifiée que par un mode de vie panallemand uniforme14, on ne voit
pas pour autant émerger l’intellectuel « organique » des « nouveaux Länder »,
fréquentant les congrès du PDS (Partei des Demokratischen Sozialismus), comme
le fut un temps l’écrivain Stefan Heym !

La RFA des années 1960 à 1970 : une période faste de


l’engagement des intellectuels progressistes
8 Pendant ces deux décennies, la RFA connaît plusieurs vagues de protestation
intellectuelle forte. Une première vague de critique intellectuelle déferle au début
des années 1960 sur l’Allemagne d’Adenauer et fait un « bilan critique » (Hans
Werner Richter) des années 1950 en exigeant une « alternative » (Martin Walser)
à ce que les intellectuels de gauche appelaient alors l’« État-CDU » (Christlich
Demokratische Union). En l’espace de deux ans, en 1961 et 1962, trois ouvrages
collectifs, dirigés respectivement par Martin Walser15, Wolfgang Weyrauch16 et
Hans Werner Richter17, réunissent au total une soixantaine d’intellectuels –
scientifiques, écrivains, publicistes – d’orientation libérale et de gauche : on
trouve parmi eux Golo Mann, Fritz Raddatz, Alexander Mitscherlich, Carl Amery,
Heinrich Böll, Ralf Dahrendorf, Wolfgang Abendroth, Hartmut von Hentig,
Walter Jens, Erich Kuby, Robert Jungk, Paul Schallück, Peter Rühmkorf, Hans
Magnus Enzensberger. Les trois ouvrages font une critique en règle de la RFA telle
qu’elle a été façonnée par la démocratie chrétienne, et ce, dans tous les secteurs de
la société – politique, économie, justice, éducation, médias, armée, Églises, etc. – ;
ils s’achèvent sur la revendication d’une « alternative » progressiste. Une seconde
vague politico-intellectuelle déferle à la fin des années 1960 et au début des
années 1970. Les critiques formulées par la « révolte étudiante » et inspirées par
les intellectuels néomarxistes émigrés ou « rémigrés » – principalement Herbert
Marcuse et Wilhelm Reich – sont devenues plus violentes et dénoncent pêle-mêle
le système universitaire, la société de consommation, l’organisation des médias –
avec le combat mené contre le groupe de presse Springer (« enteignet
Springer ! ») – et la guerre du Vietnam.
9 Une autre vague de critique politique forte peut être située au milieu des années
1970. C’est le moment où les intellectuels libéraux et de gauche ont le sentiment
que l’œuvre réformatrice est compromise – elle est en effet en panne depuis 1973
–, que l’adversaire politique relève la tête – sous la forme de l’extrême droite et du
néoconservatisme –, pire : que la démocratie et la République sont en danger, tout
particulièrement sous les effets de la lutte antiterroriste qui, selon eux, génère un
« État policier ». Une série d’ouvrages collectifs, aux titres alarmistes, naissent de
ce sentiment : Briefe zur Verteidigung der Republik ; Briefe zur Verteidigung der
bürgerlichen Freiheit ; Kämpfen für die sanfte Republik ; Wir Bürger als
Sicherheitsrisiko. Berufsverbot und Lauschangriff. Beiträge zur Verfassung
unserer Republik; Zur Verfassung unserer Demokratie. Vier republikanische
Reden. Ils sont publiés chez Rowohlt, entre 1977 et 1980, respectivement par
Freimut Duve, Heinrich Böll et Klaus Staeck18, par Wolf-Dieter Narr, enfin par
Max Güde, Ludwig Raiser, Helmut Simon et Carl Friedrich von Weizsäcker19. Ces
publications réunissent des dizaines d’intellectuels critiques, beaucoup d’anciens
de la première vague, auxquels se sont ajoutés Jürgen Habermas, Oskar Negt,
Marion Gräfin Dönhoff, Margarethe von Trotta, Günter Grass, Siegfried Lenz,
Hans Erich Nossack, Günter Kunert, Dorothee Sölle, Rolf Hochhuth, Iring
Fetscher, Luise Rinser, Franz Alt, etc. Philosophes, écrivains, publicistes,
cinéastes, universitaires, tout le gotha de l’intelligentsia libérale de gauche se
trouve ici mobilisé pour proclamer la République en danger, menacée par l’« État
policier » en marche. La dramatisation est évidente. Un peu plus tard, en 1979,
Habermas édite chez Suhrkamp un ouvrage collectif, Stichworte zur Geistigen
Situation der Zeit, réunissant 32 contributions de la « gauche pensante »
(nachdenkliche Linke), point d’orgue de ce mouvement de « défense de la
République », bien que la tonalité soit plus apaisée que dans les manifestes
précédents ; mais le danger semble passé.
10 Une dernière manifestation collective d’intellectuels critiques a lieu au début des
années 1980 avec le « mouvement (pour) la paix » (Friedensbewegung) qui
mobilise contre la « double décision » de l’Organisation du traité de l’Atlantique
Nord (OTAN) d’installer des fusées nucléaires en Europe pour faire pièce aux SS-
20 soviétiques. On y rencontre, aux côtés des intellectuels progressistes déjà actifs
dans la période précédente, les écrivains Bernt Engelmann et Dieter Lachmann,
rejoints par le dissident est-allemand Rudolf Bahro, les politologues Ossip K.
Flechtheim et Dieter Senghaas, et bien entendu Heinrich Böll, leader
incontestable de ce mouvement. La nouveauté de la période, c’est l’arrivée sur le
devant de la scène politico-intellectuelle tout à la fois de pasteurs et de
théologiens, majoritairement protestants, spécialistes de morale politique et qui se
prononcent sur la question cruciale de ce réarmement censé rattraper le
surarmement soviétique (Nachrüstung) : Helmut Gollwitzer, Martin Niemöller,
Heinrich Albertz – déjà actifs dans la lutte des années 1950 contre le réarmement
et l’armement atomique –, auxquels se sont joints Dorothee Sölle, Uta Ranke
Heinemann et Erhard Eppler. On voit aussi arriver d’anciens militaires, comme
l’ex-général de la Bundeswehr Gert Bastian, ou encore Alfred Mechtersheimer,
ancien lieutenant-colonel et politologue, tout comme les nombreux collaborateurs
des instituts de recherche et autres groupes de travail œuvrant dans ces nouvelles
spécialités que sont la Friedensforschung (« recherche sur la paix ») ou la
Friedenspädagogik (« pédagogie de la paix »), dont le célèbre Max-Planck Institut
de Starnberg – sans équivalent en France, si ce n’est sous la forme des instituts de
polémologie ! Toujours est-il que la manifestation du 10 octobre 1981, à Bonn, en
faveur du désarmement et de la détente en Europe, qui a rassemblé près de
300 000 personnes, est sans doute le plus grand rassemblement dont les orateurs
ont été exclusivement des intellectuels, aux côtés de responsables d’associations, à
l’exclusion des politiques : le grand moment de la manifestation a été le discours
terminal de Heinrich Böll, un de ses moments de gloire – même si la
manifestation n’a pas empêché le déploiement des fusées Pershing et des missiles
de croisière ! Cette manifestation, pour impressionnante qu’elle ait été, n’en
représente pas moins, à notre sens, le chant du cygne des intellectuels
progressistes.

L’éclatement et l’atonie du débat intellectuel en matière


politique et sociale après 1989 dans l’Allemagne réunifiée
11 La caractéristique majeure de la nouvelle configuration intellectuelle, en germe
dans la Tendenzwende des années 1970 et apparue au grand jour au cours des
années 1980, est la quasi-disparition de la fonction critique exercée
précédemment par les intellectuels : on assiste à un tarissement de la critique
politique et sociale et à une raréfaction des débats et des manifestes qui ont
marqué la période précédente ; le changement qualitatif est indéniable. En effet,
depuis ces années d’affrontement, il n’y a plus eu d’intervention intellectuelle
collective aussi imposante. Certes, les années 1980 ont connu le débat des
historiens sur le nazisme – le fameux Historikerstreit de 1986 –, mais il s’est agi
là d’un débat d’initiés, à caractère très universitaire et à l’issue incertaine. Quant
au débat du début des années 1990 relatif à l’unification allemande, « unification
manquée » selon les intellectuels, il a lui aussi gardé un caractère relativement
académique, portant principalement sur l’identité allemande. Il a réuni des
intellectuels est- et ouest-allemands autour de Günter Grass, opposé à une
Allemagne « une », selon lui inévitablement impérialiste et dangereuse pour ses
voisins, et de Jürgen Habermas, critique face à la fascination des Allemands de
l’Est pour le « deutsche Mark » (DM-Nationalismus). Ce débat a d’ailleurs eu un
caractère décalé, quelque peu irréel, très certainement parce que les jeux étaient
faits et que les solutions de « troisième voie » souhaitées entre autres par Günter
Grass et Christa Wolf – qui voulait « sauver l’utopie » – sont apparues dès lors
comme des causes perdues ; la « belle utopie » (Helga Königsdorf) était devenue
illusoire20.
12 Il n’y a pas davantage de débats de fond en matière de politique extérieure, et plus
particulièrement en ce qui concerne l’engagement militaire de l’Allemagne. Certes,
la critique des intellectuels est unanime face à la guerre du Golfe de 1991, et
l’attitude est également critique, marquée au coin du pacifisme dominant – « Nie
wieder Krieg ! » (« Plus jamais la guerre ! ») –, dans le débat sur l’intervention de
la Bundeswehr dans le conflit yougoslave tout au long des années 1990 – et ce, au
nom du passé allemand, en souvenir du bombardement de Belgrade par la
Wehrmacht. Mais quand, en 1999, le gouvernement Schröder se prononce en
faveur de la participation de la Bundeswehr à l’intervention de l’OTAN au Kosovo,
en rupture avec la tradition pacifiste qui a prévalu jusque-là, les intellectuels, loin
de se rebeller, emboîtent le pas des politiques, comme si ce revirement subit, dont
l’artisan aura été paradoxalement le leader des Verts Joschka Fischer, les avait
pris de court.
13 Toujours est-il qu’après les tirs nourris et groupés des intellectuels progressistes
des années 1960 à 1980, on n’assiste plus par la suite qu’à des escarmouches, des
tirs sporadiques sur des cibles éparses, et que des dissonances commencent à faire
leur apparition. D’ailleurs, dès 1994, Hans Magnus Enzensberger avait amorcé
une réflexion sur ce qu’il appelle la « guerre civile moléculaire21 », où il mettait en
avant le fait que la violence était devenue indépendante des considérations
idéologiques, qu’elle n’était plus le monopole des régimes totalitaires et que la
tendance à l’autodestruction croissait – il parlait d’un autisme de la violence et
d’une érosion des convictions : en tout cas, selon lui, la « barbarisation est en
marche » – ; en cela, Enzensberger allait dans le sens de la « désidéologisation »
des conflits et contribuait ainsi à l’affaiblissement des positions pacifistes ! Quant
à Peter Handke, de retour en 1996 d’un voyage en Bosnie serbe, alors que l’Europe
est frappée d’effroi par le massacre de Srebrenica, il rapporte, à contre-courant de
l’opinion dominante, les souffrances des Serbes et refuse de condamner Milosevic.
14 Mêmes dissonances dans les réactions des intellectuels aux attentats du
11 septembre 2001 et aux guerres qui ont suivi. En mai 2002, en réponse au
manifeste de 60 savants américains déclarant que la guerre contre le terrorisme
était une guerre juste et justifiant l’intervention américaine en Afghanistan, 103
intellectuels allemands publient un contre-manifeste intitulé « Eine Welt der
Gerechtigkeit und des Friedens sieht anders aus » (« Un monde de justice et de
paix présente un autre visage »). On y trouve les noms de Walter Jens, Horst-
Eberhart Richter, Friedrich Schorlemmer, Günter Wallraff, mais pas d’autres
ténors. Or le manifeste passe relativement inaperçu, le seul écho rencontré ayant
été la réplique de Peter Schneider qui, dans la rubrique « débat » du Spiegel22,
dénonce le moralisme des intellectuels de gauche allemands « donneurs de
leçon », ainsi que leur absence de discernement, leur incapacité à distinguer les
actes de terrorisme de « fascistes islamistes » et la réponse « justifiée » des
Américains – Peter Schneider utilise ici le concept de « guerre justifiée »
(gerechtfertigter Krieg), dont il dit qu’il s’applique à la guerre que les Alliés ont
menée contre l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste et qui peut légitimement
s’appliquer ici à l’intervention alliée en Afghanistan.
15 Pour ce qui est de la guerre en Irak, il n’y a pas davantage de front intellectuel uni.
Il existe certes une sorte d’unanimité dans la réprobation, mais des dissonances se
font jour, chacun réagissant à sa manière, en menant une sorte de « combat »
personnel. C’est ainsi que Günter Grass, dans un discours prononcé à Halle, salue
l’attitude du gouvernement allemand qui, dit-il, a eu pour la première fois le
courage de s’opposer à son puissant allié, ce qui le remplit de fierté23. Visiblement
Grass règle ses comptes avec les Américains, accusés de n’avoir tiré aucune leçon
de leur histoire – « Siegen macht dumm ! » (« La victoire rend idiot ! »)24 –, et
tient finalement un discours à tonalité nationale. Pour ce qui est de Jürgen
Habermas, dans un article écrit conjointement avec Jacques Derrida, il accorde
une place centrale à la journée du 15 février 2003, quand eurent lieu à Londres,
Rome, Madrid, Berlin et Paris les grandes manifestations de masse contre
l’intervention américaine en Irak25. Cette date constitue pour lui un moment
historique qui marque la naissance d’une opinion publique européenne
(europäische Öffentlichkeit) : une identité européenne se dessinerait ainsi, en
rupture avec le monde anglo-saxon, pour marquer le début d’une « renaissance
européenne ».
16 Le 11 septembre et la guerre en Irak ont provoqué à la fois une réflexion
philosophique autour de l’universalisme moral et juridique de l’« ancienne
Europe », par opposition à la culture politique américaine, et un réexamen de
l’héritage européen – Habermas, il est vrai, venait de consacrer un article à la
Constitution européenne à la veille du 11 septembre26, dans lequel il insistait déjà
sur la nécessité d’une Constitution, afin de défendre la culture et le mode de vie
européens menacés. Peter Schneider semble finalement être le seul à vouloir
ouvrir, dans un essai paru dans Der Spiegel27, le débat sur la guerre en Irak, mais
sa tentative est restée sans suite, sinon que le même hebdomadaire publiera un
peu plus tard un brûlot du metteur en scène Peter Zadek, où celui-ci compare les
Américains d’aujourd’hui avec les nazis – avec leur volonté de vouloir dominer
toute la terre, dit-il, ils sont encore pires que ces derniers, Bush étant, selon lui,
plus dangereux que Saddam28 ! Enfin, en mai 2004, Martin Walser29 publie,
également dans Der Spiegel, une réflexion sur la guerre en Irak, dans laquelle il
exprime son dégoût face à cette guerre, comme face à toutes les guerres ; mais
l’objet du texte est en fait une réflexion sur la « guerre des images », rendue
possible par l’image numérique. L’auteur conclut en disant que les images sont
devenues elles-mêmes des armes de guerre – dans les deux camps elles servent à
pousser vers l’extrémisme ceux qui doivent tuer – et en proposant que la
Convention de Genève prévoie une condamnation de ceux qui fixent en images
des actes de violence, au même titre que ceux qui les ont perpétrés.
17 Finalement il n’y aura eu ni débat intellectuel, ni action collective à la suite du 11
septembre 2001 et des guerres en Afghanistan et en Irak qui ont suivi. Les
interventions des intellectuels ont été, à une exception près, éclatées, comme si
chacun enfourchait son cheval de bataille favori. Le front progressiste-pacifiste
des années 1950 à 1980 a visiblement vécu. Une constellation identique se
rencontre à propos de la mondialisation.

L’absence de contestation intellectuelle de la


mondialisation
18 La particularité de la discussion allemande de ces dernières années sur ce sujet,
c’est que ce sont les sociologues et les politologues qui donnent le ton. On trouve
certes, ici et là, des articles d’écrivains qui se hasardent sur ce terrain, comme
Peter Schneider30, qui relate la fusion des deux géants de l’industrie automobile
mondiale, Daimler et Chrysler, mais c’est pour raconter avec bienveillance la
manière dont les deux cultures d’entreprise ont réussi à fusionner dans une sorte
de Kulturkampf moderne se terminant par un happy end. Mais finalement, ceux
qui dominent l’édition et sont d’ailleurs largement recensés, tout particulièrement
dans Die Zeit, ce sont les sociologues Ralf Dahrendorf et Ulrich Beck, et le
politologue Claus Leggewie, membre d’Attac-Allemagne31. On peut mentionner
également les auteurs qui se réclament de la « science sociale critique » comme
Albert Scharenberg32 et Oliver Schmidtke. Tous placent le « nouvel ordre
mondial » au cœur de leur réflexion et prennent acte du « changement
structurel » (Strukturwandel) qui a provoqué une crise, ce que certains appellent
la nouvelle « misère » du politique. En l’occurrence, c’est la démocratie et l’État
national qui sont considérés comme en crise. Selon eux, la libéralisation des
marchés des années 1990 a provoqué un changement de paradigme : la
participation politique et le contrôle démocratique, qui s’exerçaient
précédemment dans le cadre de l’État national et concernaient tous les secteurs de
la vie politique, économique et sociale, se trouvent découplés du pouvoir politico-
économique, désormais aux mains des grands groupes organisés de façon
transnationale et qui s’affranchissent de toutes les procédures. La marge de
manœuvre des États nationaux, qui se voulaient jusque-là « souverains », se
réduit comme peau de chagrin, tout comme se réduisent les chances d’une
politique de relance de type keynésien ou encore les possibilités de survie de l’État
providence, puisque les nouveaux pouvoirs tendent vers une
rationalisation/optimisation des moyens, vers plus de privatisation et de
dérégulation, au risque de faire croître les inégalités entre individus comme entre
nations : ainsi, une renaissance de mouvements nationaux d’un nouveau type,
« ethnicisés » et fondamentalistes, devient de plus en plus probable. Ces
constatations semblent largement partagées et les analystes allemands, constatant
l’absence de solutions alternatives – mis à part le renforcement de la démocratie
locale –, semblent s’incliner devant la montée irrésistible du phénomène : ils
recourent d’ailleurs fréquemment au terme de Sachzwang, appliqué au marché
mondial nouvelle manière, présenté comme une « contrainte objective ». Ce qui
est frappant, c’est le ton mesuré et conciliant de ces intellectuels face à ce qui est
ressenti comme irrémédiable, un ton dénué de toute polémique – même de la part
des tenants des « sciences sociales critiques » soutenus par la Fondation Rosa
Luxemburg !
19 La caractéristique majeure de ces écrits est incontestablement leur caractère
descriptif, sinon explicatif ; le phénomène de la mondialisation y est décrit comme
une donnée incontournable. Mais une conséquence semble préoccuper plus
particulièrement ces auteurs : en effet, l’existence d’une nouvelle classe sociale, à
savoir les élites, sur lesquelles la nation n’a aucune prise (« national nicht
gebunden », Dahrendorf), remet finalement en cause la possibilité de politiques
économiques et sociales nationales propres, puisqu’elles sont soustraites par ces
élites à la souveraineté des démocraties. La mondialisation constitue ainsi, aux
yeux de ces auteurs, un défi pour le fonctionnement des démocraties occidentales
et, in fine, un défi pour le politique, subordonné à l’économie. Les conséquences
de la mondialisation pour les pays pauvres sont également recensées, par exemple
par Günter Grass, qui s’en fait le porte-parole dans ses interviews, mais elles ne
constituent visiblement pas le problème central. En tout cas, il n’y a pas d’appel à
la levée en masse : tous ces auteurs semblent très éloignés de la radicalité
manifestée par eux-mêmes ou leurs prédécesseurs dans les luttes anticapitalistes
des années 1960 et 1970.
20 Une des rares contestations radicales du nouvel ordre économique mondial est
fournie par la dernière pièce du dramaturge Rolf Hochhut, fidèle à son
antifascisme des années 1960 – il est l’auteur de la pièce incendiaire Der
Stellvertreter (Le Vicaire, 1963), accusatrice des silences du pape Pie XII au sujet
de l’Holocauste. Dans sa dernière pièce, McKinsey kommt, il fustige la
« dictature » de l’économie mondiale, responsable de tous les dégâts sociaux. Sur
le mode de l’agitprop, Hochhut stigmatise plus particulièrement les entreprises de
conseil, auxquelles il reproche leur dureté, leur manque de scrupule, leur
insensibilité aux conséquences sociales des solutions qu’ils préconisent, au point
d’envisager dans sa pièce l’éventualité du meurtre du porte-parole de la Deutsche
Bank ! Mais c’est là une voix qui détonne dans un environnement plutôt résigné.
21 Comment expliquer ce caractère résolument non polémique, voire académique –
nüchtern (sobre), comme aiment à le dire les Allemands –, de la discussion
allemande, à l’opposé de la tonalité dominante du discours français, tel qu’il
apparaît à travers les publications du Monde diplomatique33 – au demeurant
traduit en allemand –, influencé par les altermondialistes français et leurs appels
à la « résistance » ? Pour l’ancien responsable des jeunes socialistes – les Jusos –,
aujourd’hui secrétaire du PEN-Club allemand, Johano Strasser, cette spécificité
allemande s’expliquerait par le fait que, depuis 1989, les forces conservatrices et
néolibérales en Allemagne ont parfaitement réussi à présenter toute critique de
fond contre le style de vie et l’économie du capitalisme industriel comme
dépassée34. Selon lui, la confiance en la capacité organisatrice de la politique a
diminué de façon spectaculaire du fait de la mondialisation. D’où l’absence de la
question du pouvoir et de la répartition des richesses dans la discussion
intellectuelle en Allemagne aujourd’hui, à la différence de la France qui, selon
Strasser, possède des intellectuels critiques du néolibéralisme, comme Pierre
Bourdieu – décédé entre-temps –, Viviane Forester ou Alain Touraine. Et Strasser
d’ajouter que la France a, par ailleurs, été moins réceptive que l’Allemagne à la
théorie des systèmes de Niklas Luhmann, qui fait apparaître comme absurde toute
tentative de discussion sur les valeurs et libère les intellectuels du devoir de
responsabilité politique, les plongeant dans une sorte de quiétisme politique. Le
« sociologue critique » Oliver Schmidtke propose quant à lui un diagnostic de la
prétendue « absence d’alternative » à la globalisation, considérée comme
inéluctable (Sachzwang Globalisierung), qui semble s’être imposée en Allemagne.
Selon lui, les Allemands ont intégré le fait qu’il n’y a pas pour le moment de
mouvement révolutionnaire massif susceptible de provoquer la fin imminente du
capitalisme global. Et il ajoute que ce n’est pas par hasard que le cri de triomphe
de la « fin de l’Histoire » a retenti au début des années 1990, à un moment où la
révolte étudiante d’inspiration marxiste dirigée contre la « modernité capitaliste »
a cessé d’exercer son influence sur les jeunes générations et où le socialisme d’État
d’obédience soviétique a cessé de constituer une alternative crédible au
capitalisme occidental35. Pour Schmidtke, cet état de fait a conduit les
organisations de gauche à s’accommoder du statu quo d’une société fondée sur
une économie privée et obéissant aux lois d’un marché global, posture que rend le
slogan de « Neue Mitte » et son équivalent anglais, le « New Labour ».
22 Dans ce secteur majeur de la politique économique à l’ère de la mondialisation, la
posture des intellectuels allemands semble ainsi marquée par un scepticisme
encore plus grand qu’en matière de politique extérieure. Il n’est donc pas étonnant
de voir certains parler désormais couramment du désarroi ou du silence des
intellectuels en place, dont on dit que la plupart font partie de la « génération
épuisée36 » des anciens soixante-huitards (Der Spiegel) et qu’ils se comportent
comme s’ils avaient « peur de l’utopie37 » – en l’occurrence la recherche d’un
« ordre mondial juste » (Die Zeit) –, à l’image du chancelier Schröder, dont on
relève le « pragmatisme post-idéologique38 ». La « fin de l’utopie » est une idée
chère à Marcuse et reprise par Habermas qui, dès 1984, note un certain
« tarissement des énergies utopiques ». En tout cas, l’absence de critique politique
et sociale de leur part est patente : aucun débat du type de ceux qui ont enflammé
la RFA des années 1960 et 1970 n’a eu lieu ces dernières années. Cela étant, alors
que le champ politique paraît délaissé, un engouement pour d’autres types de
préoccupations apparaît chez les intellectuels allemands.

Les problématiques identitaires et le rapport au passé


comme nouveaux champs thématiques des intellectuels
allemands
23 Depuis les années 1980, les intellectuels allemands affichent une préférence
marquée pour les questions identitaires. C’est en effet à cette époque que nombre
d’entre eux, toutes tendances politiques confondues, se sont mis à exprimer la
souffrance occasionnée par la division de l’Allemagne et la séparation des
Allemands. Stefan Heym, Peter Schneider, Wolf Biermann, Martin Walser, Adolf
Muschg et Botho Strauss ont ainsi donné forme à cette blessure existentielle
occasionnée par la division de l’Allemagne et se sont mis en quête d’une identité
allemande pleine et entière : la quête désespérée de l’identité (« verzweifelte
Identitätssucher », Botho Strauss) sera le thème littéraire par excellence de la
décennie 198039. Après la réunification, une quête identitaire d’un autre ordre a vu
le jour : il s’agit de la quête du passé allemand, de la réappropriation de celui-ci
comme fondement de l’identité de la nation réunifiée et garant de son avenir –
selon la formule de Günter Grass, qui propose quant à lui d’avancer à la manière
du crabe : « Rückwärts krebsen, um voranzukommen ! »
24 Un premier débat porte sur la question controversée de la prétendue
« normalité » de l’Allemagne réunifiée et, question centrale, le rôle que doit y
jouer la mémoire d’Auschwitz. Les intellectuels libéraux et de gauche, comme
Günter Grass et Jürgen Habermas, ne cessent de répéter que « l’Allemagne n’est
pas un pays normal » (Grass) ou que l’affirmation « wir sind wieder normal »
constitue un « mensonge vital » pour la RFA (« die zweite Lebenslüge der
Bundesrepublik », Habermas). En revanche, pour les intellectuels conservateurs
mais aussi sociaux-démocrates, il est temps d’en finir avec la référence obsédante
au passé allemand et son « instrumentalisation » : en 1998, Martin Walser
déclenche une polémique quand il dénonce la « routine de la culpabilisation » et
l’« instrumentalisation de l’Holocauste ». Moins provocateur, l’historien proche
du SPD Heinrich August Winkler s’oppose à l’idée que l’Allemagne doive assumer
une plus grande responsabilité comme membre des Nations unies, qu’elle doive
être plus « pacifiste » que les autres en raison des crimes contre l’humanité
perpétrés par le national-socialisme40.
25 Plus récemment, à la suite d’auteurs jusqu’alors peu connus comme W. G. Sebald,
Jörg Friedrich ou Dieter Forte, des intellectuels, soucieux de rendre justice aux
souffrances endurées par les Allemands durant la guerre, ont débattu de la
question politiquement délicate des bombardements alliés (Bombenkrieg) et de
l’exode, ou de l’expulsion des Allemands des provinces de l’Est (Flucht und
Vertreibung). C’est en 2002 que le thème identitaire de l’exode des Allemands des
territoires orientaux du Reich vient au premier plan – on évalue à environ 12,5
millions le nombre d’Allemands qui ont fui devant les progrès de l’Armée rouge ou
qui ont été expulsés des territoires orientaux du Reich, les deux thèmes de la fuite
devant l’avancée de l’Armée rouge (Flucht) et de l’expulsion par les nouvelles
autorités (Vertreibung) se trouvant liés. Dans sa nouvelle intitulée Im Krebsgang
[En crabe41], qui évoque un chapitre de cet exode allemand, Günter Grass met en
scène le torpillage du paquebot Wilhelm Gustloff et ses 9 000 morts,
majoritairement des victimes civiles, évacuées de la Prusse orientale. Le débat sur
la Vertreibung est lancé à la fois dans Die Zeit42 et Der Spiegel43, où une série de
quatre articles intitulés « Flucht-Spiegel-Serie », avec force documents
iconographiques hyperréalistes, traite successivement de l’expulsion, de la
« chasse aux Allemands » après la victoire de l’Armée rouge, du travail forcé des
Allemands et de l’intégration difficile des réfugiés dans l’Allemagne de l’après-
guerre. D’autres ouvrages suivront. Peter Glotz, l’ancien intellectuel-théoricien du
SPD des années 1970, originaire des provinces de l’Est, publie en 2003 un livre sur
l’expulsion des Allemands de Tchécoslovaquie44, tout comme le journaliste Guido
Kopp qui, la même année, publie un ouvrage sur les prisonniers de guerre
allemands45. En 2004, Christoph Hein, ancienne gloire de la littérature de la RDA,
lui aussi enfant de réfugié et devenu l’auteur-phare de la maison d’édition
Suhrkamp, apporte sa contribution au sujet avec son roman Landnahme (« Rapt
de terres ») qui relate les souffrances de réfugiés de Silésie arrivés en RDA en
1950, officiellement en tant que « Umsiedler » (« personne déplacée ») – ce qui ne
les empêche pas d’être traités de « Polacks » –, et dans lequel il décrit par le menu
le sort de ces familles spoliées. Pourquoi les Allemands n’ont-ils abordé que très
tardivement cette question des réfugiés et des expulsés ? L’historien Hans-Ulrich
Wehler répond que les Allemands ont à juste titre commencé par affronter leurs
propres crimes, et les historiens ont effectivement connu un blocage sur ce terrain
miné. L’impulsion est venue, selon lui, de l’extérieur, en particulier des historiens
anglais qui, dès la fin des années 1970, ont abordé la question des « transferts » de
population, et ce sont finalement les épurations ethniques des années 1990 en ex-
Yougoslavie qui ont contribué à briser le tabou du silence46.
26 L’année suivante, en 2003, un second thème identitaire vient se greffer sur le
précédent : la guerre aérienne. Il s’agit des bombardements alliés sur les villes
allemandes opérés par les Britanniques et les Américains entre 1943 et 1945. Der
Spiegel, dans ses premiers numéros de 2003, lui consacre une série d’articles d’un
réalisme tout aussi marqué que pour le thème précédent. Des débats ont lieu
(Bombenkriegsdebatte), lancés par les ouvrages de W. G. Sebald et Jörg Friedrich.
Le premier, écrivain allemand installé en Angleterre (où il est décédé en 2001), a
publié un essai intitulé Luftkrieg und Literatur, dans lequel il se demande
pourquoi les Allemands ont si peu écrit sur ces terribles destructions – près de 3,5
millions d’habitations détruites et environ 600 000 civils tués – et avance des
hypothèses de nature variée : phénomènes psychiques – refoulement, refus du
travail de deuil, etc. – ou problèmes de création littéraire – difficulté à décrire la
réalité d’une destruction aussi totale. Sebald a été traduit en français et a été
évoqué dans Le Monde47. En Allemagne, un Sebald-Debatte a eu lieu, qui a trouvé
son chroniqueur en la personne de Volker Hage48. Un autre historien, Jörg
Friedrich49, publie en 2002 un livre à succès consacré aux bombardements de
l’Allemagne, qui figurera longtemps dans les 10 meilleures ventes du classement
du Spiegel et suscitera un nouveau débat : un débat d’historiens, cette fois, sur
l’opportunité des bombardements en question, attribués selon Friedrich à la seule
volonté de revanche des Britanniques. Là aussi Hans-Ulrich Wehler intervient,
mettant les Allemands en garde contre les dangers d’une comparaison entre le
nombre de victimes provoquées par les bombardements alliés et celui de
l’Holocauste (Aufrechnung) ; ces comparaisons risquent de susciter, selon lui,
l’autocompassion et la « victimisation » des Allemands. Et Wehler de faire
remarquer la grande retenue des historiens de l’immédiat après-guerre, qui n’ont
pas voulu donner dans ce type de comparaison50.
27 Dans les deux cas de figure, les intellectuels ont interrogé le passé de souffrance
allemand, répondant à une attente certaine du public, tout particulièrement du
jeune public des « petits-enfants » (die Enkel), dont l’engouement pour ce type de
livres a été remarqué à la foire du livre de Leipzig de 200351 et qui veulent savoir
ce que leurs grands-parents ont enduré pendant la guerre et au lendemain de
celle-ci, comme si, 60 ans plus tard, ils voulaient mettre un terme au black-out de
l’après-guerre – un oubli « volontaire », selon Grass, qui ajoute que, pour
Adenauer et Brandt, l’évocation de ces souffrances aurait été alors politiquement
impossible à l’époque, voire contre-productive52.
28 Les réflexions sur l’identité nationale sont marquées par une convergence
remarquable. On l’a vu, ce sont principalement les intellectuels de droite qui ont
donné le ton dans les années 1980 et, dans les années 1990, la « nouvelle droite »
poursuit sur la lancée, organisant colloque sur colloque et publiant force ouvrages
collectifs dont, en 1994, Die selbstbewusste Nation, de Heimo Schwilk et Ulrich
Schacht (Ullstein), qui s’ouvre sur le fameux texte de Botho Strauss de 1993, « Der
anschwellende Bockgesang », et donc sur la tragédie qui se prépare. L’auteur y
exprime précisément la nouvelle revendication identitaire consistant à privilégier
« das Unsere » ou encore « das Deutsche », selon la formulation straussienne53.
Curieusement, sur ces thèmes identitaires, ils sont rejoints dans les années 2000
par les intellectuels de gauche, Günter Grass, Peter Glotz, Christoph Hein, etc. !

La montée des préoccupations éthiques chez les


intellectuels allemands depuis les années 1980
29 L’éthique constitue un autre nouveau champ thématique, depuis qu’une sorte de
« tournant éthique » a été amorcé en RFA où, dans les années 1980, influencé par
la philosophie du langage, Habermas prolonge la « théorie critique » de ses
maîtres de l’École de Francfort en élaborant une grande philosophie de la
communication, considérée dans ses dimensions épistémologiques et éthiques.
Cette éthique dite « communicationnelle », appelée aussi « éthique de la
discussion », sert à légitimer le régime démocratique, car, par le débat argumenté
et public, se produit un consensus auquel Habermas donne le nom d’« entente
communicationnelle ». Or, dans les années 1990, avec Faktizität und Geltung
(Droit et démocratie : entre faits et normes), Habermas prolonge sa réflexion
éthique en l’appliquant au droit, à la norme juridique, en l’occurrence à l’État de
droit : là encore, en opposant legitimes Recht (le droit légitime) à Legalität (la
légalité), il place la source de la légitimité du droit dans la procédure
démocratique de son élaboration. Le droit est ainsi le fruit de l’éthique du discours
ou de la discussion, avec son caractère formel et sa rationalité procédurale, et ne
relève pas de normes morales surplombantes. Le débat éthique se poursuit en
RFA au début des années 2000, avec la discussion autour du livre de Judith
Butler, Kritik der ethischen Gewalt (2003), ainsi que les nombreuses publications
consacrées à la justice et aux inégalités « légitimes » (Angela Krebs, Axel Honneth,
Wifried Hinsch), qui portent souvent la marque du philosophe américain John
Rawls, auteur de la célèbre Théorie de la justice, avec son mélange pondéré de
libéralisme et de distributionnisme ; la Deutsche Zeitschrift für Philosophie
consacre ainsi un numéro de 2003 au débat autour de la « véritable justice ».
30 Ces débats semblent très apaisés, à cent lieues de la dureté des affrontements de la
« critique idéologique » des années 1960 d’inspiration néomarxiste. Le parcours
du philosophe Oskar Negt rend manifeste ce changement54 : ancien responsable
des jeunesses socialistes (SDS) de Francfort, influencé par Max Horkheimer et
Theodor W. Adorno, recruté comme assistant par Habermas, il a une réputation
de « révolutionnaire » quand il est nommé professeur à Hanovre en 1970 – avec le
soutien du Kultusminister socialiste de gauche Peter von Oertzen – et il sera de
tous les combats intellectuels, souvent associé au cinéaste Alexander Kluge. Or il
vient de publier sa leçon terminale, sous le titre Kant und Marx (« Kant et
Marx »), prononcée en présence de son « ami » Gerhard Schröder. Il y rend
hommage à Kant et à sa philosophie morale tournant autour de la liberté, de
l’autonomie et de la dignité – il se réfère également à Eduard Bernstein, théoricien
de la social-démocratie influencé par le néokantisme, ainsi qu’au philosophe Hans
Jonas qui a reformulé l’impératif moral de Kant en liaison avec l’écologie. Le
tournant éthique kantien est donc patent chez cet « intellectuel politique » – c’est
ainsi qu’il se qualifie – qui était connu pour sa radicalité, dont il s’est ici
étonnamment départi ! On peut en dire autant de Habermas que Der Spiegel,
dans son numéro consacré au 200e anniversaire de la mort de Kant, présente
comme étant le « continuateur de Kant55 ». La montée des préoccupations
éthiques marque le déclin de la pensée marxiste ou néomarxiste : la constellation
jusque-là dominante des inspirateurs Marx/Freud/Durkheim cède d’ailleurs
symboliquement la place au nouveau duo Marx/Kant – encore convient-il de dire
qu’il s’agit d’un Marx préalablement épuré des dérives léninistes et staliniennes56 !
Régis Debray57 ne s’y est pas trompé quand, dans un article récent, il stigmatise la
« culture du débat » chère à Habermas et fait de celui-ci « le plus insensé des
gourous que se donne l’individualisme démocratique » : Habermas y apparaît
comme un renégat ayant renié son ancienne « culture de combat ». Il est vrai que
le Habermas du tournant du siècle a bien changé par rapport au jeune philosophe
marxiste, très marqué par Georg Lukacs, tel qu’il a été accueilli au milieu des
années 1950 à l’Institut de recherches sociales (Institut für Sozialforschung) de
Francfort, par un Horkheimer sceptique. À notre sens, la posture actuelle de
Habermas peut effectivement être qualifiée de libérale de gauche ou de libérale
démocrate, ce qui ne l’empêche pas de rester un intellectuel critique.
31 Les nouvelles préoccupations éthiques connaissent d’autres prolongements et
prennent parfois la forme d’une sorte de « philosophie appliquée ». C’est ainsi que
l’on assiste à une floraison d’écrits sur ce que l’on appelle l’« éthique de la paix »
(Friedensethik) ou encore l’« éthique du droit » (Rechtsethik) : des philosophes,
des théologiens protestants et catholiques ; dont Eugen Drewermann, marqués
par la Friedensbewegung des années 1980, mais aussi des responsables de
l’aumônerie militaire, s’interrogent sur l’utilisation de la force militaire face au
terrorisme et débattent de la guerre « juste » ou « préventive » et des
interventions humanitaires. André Glücksmann trouve un écho chez les
intellectuels allemands avec sa réflexion sur les interventions de l’Organisation
des Nations unies (ONU)58 et son homologue allemand Horst Brunkhorst59
s’interroge sur le droit d’ingérence humanitaire. Les publications concernant la
« construction de la paix » (Frieden schaffen) sont également abondantes, la
réflexion « théologico-éthique » étant devenue particulièrement intense après
l’engagement de la Bundeswehr au Kosovo en 199960. On peut souligner à ce sujet
l’intérêt croissant que Habermas porte à la religion : il a eu une discussion avec le
cardinal Ratzinger début 2004 sur la complémentarité de la philosophie et de la
religion et l’on prête à Habermas l’idée selon laquelle, depuis la chute du
communisme, la religion pourrait être une sorte de substitut du socialisme,
pourvoyeuse de visions éthiques !
32 Mais c’est surtout la bioéthique qui mobilise les intellectuels, et non des moindres.
C’est le « philosophe télévisuel » – c’est ainsi que Der Spiegel le dénomme – Peter
Sloterdijk qui, avec ses « Règles pour le parc humain », titre d’une conférence
prononcée en 1999 et publiée dans Die Zeit, puis chez Suhrkamp61, jette un pavé
dans la mare en se faisant le chantre de la manipulation génétique et d’un
eugénisme que certains qualifient de « fascisant ». Sloterdijk constate en effet que
l’on s’achemine vers « une réforme génétique des propriétés de l’espèce » et vers
« une planification explicite de ses caractéristiques » ; et, dans un rapprochement
avec Platon, il semble esquisser une sorte de modèle social où le surhomme serait
l’« éleveur » du « troupeau humain ». Le scandale est immédiat62 : Sloterdijk est
taxé de « social-darwiniste » (Die Zeit) et son discours traité de « rhétorique
fasciste » (Der Spiegel). Une polémique avec Habermas s’ensuit, ce dernier se
trouvant accusé d’avoir suscité ces critiques assassines. Sloterdijk s’en prend à
l’École de Francfort telle qu’elle est représentée aujourd’hui par Habermas,
accusée d’exercer « une dictature de la vertu sociale-libérale ». Au final, on peut
penser avec Marcel Tambarin63 que les considérations de Sloterdijk sur la
génétique sont moins une réflexion éthique qu’une provocation – tout comme son
essai d’« onto-anthropologie » et d’« anthropotechnique » de 2001 d’après
Heidegger, une réflexion tout aussi ambiguë – dont le but est de briser la position
hégémonique de la gauche libérale et de mettre fin à « l’ère des fils hypermoraux
issus de pères nazis ».
33 Cet éclat n’en aura pas moins constitué le début d’une série de publications et d’un
débat intellectuel ininterrompu sur les manipulations génétiques dans lesquels
s’affrontent partisans et adversaires, indépendamment des clivages politiques. Le
débat atteint son point culminant au début de l’année 2002, lors de la discussion
au Bundestag de la législation concernant l’utilisation de l’embryon humain64.
L’opinion intellectuelle est très majoritairement opposée aux manipulations
génétiques – ce qui n’empêche pas la rédaction de Die Zeit de se diviser face au
« cas » Sloterdijk65 ! C’est ainsi que le néoconservateur Robert Spaemann dit
s’opposer au clonage thérapeutique parce qu’il constitue une atteinte à la dignité
humaine et relève de cette illusion progressiste de la « faisabilité » de toute chose
(Machbarkeitswahn). Quant à Habermas, dans un ouvrage de 2001, Die Zukunft
der menschlichen Natur66, (« L’avenir de la nature humaine ») consacré à ce
thème, il condamne le recours aux manipulations génétiques dès lors qu’elles ne
sont pas utilisées à des fins thérapeutiques. Selon lui, personne n’a le droit de
disposer de l’origine de la vie d’une personne67 ; si les hommes peuvent se
concevoir comme des êtres libres et égaux, c’est parce que l’origine de la vie est
naturelle (naturwüchsig) et que personne ne peut en disposer (unverfügbar).
Sans oublier Botho Strauss qui, lui aussi, rejette les « interventions dans la
nature » pratiquées par les nouvelles sciences, dont la génétique – « Wollt ihr das
totale Engineering ? » s’interroge-t-il (« Voulez-vous l’ingénierie totale ? »)68. Le
débat a été enrichi par la polémique provoquée par l’ouvrage collectif américain
From Chance to Choice69, dans lequel les auteurs posent la question de l’inégalité
sociale née de la possibilité offerte aux catégories aisées de pouvoir « corriger »
génétiquement leurs enfants, de choisir leur « design » génétique : alors que
l’ouvrage américain interroge les conditions dans lesquelles une optimisation de la
substance génétique de l’homme est permise, Die Zeit, très engagé dans la
discussion, est défavorable à une telle optimisation, tout en étant favorable au
traitement des défaillances génétiques70.

La fin des intellectuels utopistes ou l’avènement des


« nouveaux hérétiques » ?
34 Dans la floraison d’articles parus ces dernières années, tout particulièrement dans
Die Zeit, sur la « situation des intellectuels au tournant du siècle », une évidence
s’impose au lecteur : les analystes s’accordent à proclamer la fin d’un type
d’intellectuel. Tous constatent la disparition de l’intellectuel utopiste, celui qui a
cru dans la « raison historique », dans un « sens de l’Histoire », ou encore dans la
possibilité d’une alternative au capitalisme. En effet, le tournant de 1989 et la
globalisation triomphante qui a suivi ont, selon ces auteurs, fondamentalement
changé la donne du débat intellectuel et de l’engagement au sens philosophique et
artistique. L’intellectuel de gauche Johano Strasser va jusqu’à parler d’un
« crépuscule des intellectuels71 ». Ce qui caractérise en effet le nouveau débat
intellectuel, c’est l’absence de vision d’avenir et d’imagination politique
concernant le devenir de la société et le nouvel ordre mondial. On est entré dans
une sorte d’« ère post-utopique », comme le dit Thomas Assheuer dans Die Zeit72
– il cite Peter Handke affirmant qu’« autrefois les intellectuels rêvaient de
transformer le monde dans lequel ils vivaient, alors qu’aujourd’hui il n’est
question que de le supporter patiemment73 ». Diverses raisons de cette
dépolitisation des intellectuels et de l’épuisement de leur imagination sont
avancées : l’impossibilité de penser une société juste – impossibilité due autant à
la « déconstruction postmoderne » de la justice par les élèves allemands de
Derrida qu’à la polémique conservatrice contre la justice –, et le changement
intervenu dans la perception que nous avons du temps présent qui,
paradoxalement, selon Niklas Luhmann, regorge à ce point de virtualités que la
différence entre le présent et l’avenir tend à s’amenuiser.
35 Une particularité de la situation allemande rend la situation encore plus critique :
l’unification de l’Allemagne est à peine réalisée que le nouvel État national
allemand, la nouvelle « normalité » allemande, se trouvent comme laminés entre
les meules de la mondialisation et sont confrontés au retour de problèmes que l’on
croyait révolus : crise de l’État-providence, désintégration sociale, nouvelles
inégalités, etc. Der Spiegel n’est pas en reste à ce sujet74 : Bernhard Schlink,
reprenant le thème de « l’épuisement des énergies utopiques », parle de
l’épuisement qui affecte la génération des soixante-huitards (Die erschöpfte
Generation), dépourvus de visions d’avenir, et donc incapables de s’engager en
faveur d’une éventuelle alternative. Le désarroi de ces intellectuels fait dire à
l’auteur que la littérature politiquement engagée des ancêtres est morte, puisque
le sujet révolutionnaire a disparu de la scène historique ! En fait, c’est le type de
l’« intellectuel politique » classique qui semble avoir vécu. Pour notre part, nous
ajoutons aux raisons invoquées pour expliquer cet affaiblissement de la force
critique, cet assagissement, perceptible chez les intellectuels étudiés devenus tous
peu ou prou des « réalistes », un aspect générationnel : la plupart des intellectuels
cités précédemment ont plus de 70 ans – Dahrendorf, Habermas, Enzensberger,
Christa Wolf en ont 75 ; Grass et Walser 77 ! – ; les plus « jeunes » d’entre eux ont
près de 60 ans – Peter Schneider 64, Peter Handke 62, Botho Strauss 60 – et
Sloterdijk, le « benjamin » parmi les célébrités, en a 57 ! Parmi cette génération,
rares sont ceux qui ont perpétué la tradition de la critique radicale : seuls l’ont fait
Peter Zadek (76) et Rolf Hochhuht (71). Or les écrivains et les intellectuels des
générations suivantes peinent visiblement à se faire une place dans le
« feuilleton » !
36 Des écrivains, interrogés sur cette aporie, disent qu’ils n’entendent pas néanmoins
abdiquer. C’est ainsi que l’écrivain austro-brésilien Robert Menasse, interrogé par
Die Zeit75, lance un nouveau concept dans le débat : étant donné qu’il n’existe plus
d’utopie ou d’alternative valable, il ne reste d’autre solution à l’intellectuel du
temps présent que de revenir en arrière, en prenant exemple sur le Moyen Âge,
avec ses hérétiques. L’hérétique d’aujourd’hui est, selon Menasse, celui qui
dénonce et fustige inlassablement ceux qui, pour prendre un exemple, détruisent
la planète et s’attaquent aux libertés chèrement conquises – le type même du
nouvel hérétique est en l’occurrence le contempteur de la globalisation. Mais
Menasse s’empresse d’ajouter qu’il ne croit pas que l’on puisse mettre aujourd’hui
la littérature directement au service de la politique. Certes, l’artiste veut marquer
le monde de son empreinte, mais il veut le faire en tant qu’artiste. On peut se
demander si ces « nouveaux hérétiques » ne sont pas en train de faire leur
apparition dans le paysage intellectuel allemand, en particulier dans la littérature,
les médias et l’édition. En effet, des intellectuel (le) s d’un nouveau type y sont à
l’œuvre : des femmes très souvent, jeunes pour la plupart, ces « nouvelles
hérétiques » sont en train de prendre le pouvoir dans le domaine de la culture et
des médias. Les écrivains recensés récemment par le célèbre critique Reich-
Ranicki sont de plus en plus de jeunes écrivains – Undine Gruenter, par exemple
– et à la télévision, fait encore plus marquant, les Maischberger, Heidenreich et
autre Christiansen semblent truster les grandes émissions politiques et littéraires,
tandis qu’un groupe de presse comme Springer et les maisons d’édition comme
Suhrkamp et Bertelsmann viennent de passer sous la coupe des veuves des
anciens patrons décédés : ces nouvelles « patronnes » de presse et d’édition ont
pour nom Friede Springer, Ursula Unseld-Berkewitz, Liz Mohn. Le rédacteur en
chef de la FAZ, Frank Schirrmacher, s’alarme devant cette nouvelle constellation
qui, selon lui, annonce le « crépuscule des hommes » (Männerdämmerung) dans
l’« industrie culturelle », tandis que Der Spiegel renchérit en mettant en garde
contre celles qu’il qualifie de « vipères » (« Warnung vor den Vipern76 ») ! Une
relève intellectuelle est donc bien là !

Notes
1. Cl. Leggewie, Der Geist steht rechts. Ausflüge in die Denkfabriken der Wende, Hambourg,
Rotbuch, 1987.
2. « Macht und Geist », Der Spiegel, 13 mai 2002, p. 202.
3. W. Mittenzwei, Die Intellektuellen. Literatur und Politik in Ostdeutschland von 1945 bis 2000,
Leipzig, Verlag Faber & Faber, 2002, p. 543.
4. Ibid., p. 505 sq.
5. W. Lepenies, Aufstieg und Fall der Intellektuellen in Europa, Francfort, Pandora, 1992, p. 56
sq.
6. Ibid.
7. J. Poumet, « Relire les auteurs de la RDA », Allemagne d’aujourd’hui, n° 163, janvier-mars
2003, p. 100.
8. H. Kant, Abspann. Erinnerung an meine Gegenwart, Berlin, Aufbau-Verlag, 1991.
9. W. Mittenzwei, op. cit. [3], p. 505 sq.
10. J. Poumet, op. cit. [7], p. 100.
11. Ch. Wolf, Leibhaftig, Munich, Luchterhand Literaturverlag, 2002.
12. R. Boudon et F. Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, PUF, 1982.
13. Ch. Wolf, « Wir im Osten haben erlebt, wie unerwartet Veränderungen plötzlich eintreten
können », Der Spiegel, 8 septembre 2003, p. 196.
14. Der Spiegel, 22 mars 2004, p. 184-186.
15. M. Walser (dir.), Die Alternative oder brauchen wir eine neue Regierung?, Hambourg,
Rowohlt, 1961.
16. W. Weyrauch (dir.), Ich lebe in der Bundesrepublik. Fünfzehn Deutsche über Deutschland,
Munich, List, 1961.
17. H. W. Richter, Bestandsaufnahme. Eine deutsche Bilanz 1962, Munich, Desch, 1962.
18. F. Duve, H. Böll et K. Staeck (dir.), Briefe zur Verteidigung der Republik, Reinbeck, Rowohlt,
1980; Kämpfen für die sanfte Republik, Reinbeck, Rowohlt, 1980; Briefe zur Verteidigung der
bürgerlichen Freiheit, Reinbeck, Rowohlt, 1978.
19. M. Güde, L. Raiser et H. Simon, Zur Verfassung unserer Demokratie. Vier republikanische
Reden, Reinbeck, Rowohlt, 1978.
20. D. Goeldel, « La chute du Mur comme rupture culturelle : la question de l’identité de la RDA
dans le discours des intellectuels sur l’unification allemande (1990-1991) », in J. Benay (dir.),
Révolutions culturelles, politiques et sociales dans l’espace germanique. XVIIIe-XXe siècles,
Nancy, Bibliothèque des nouveaux cahiers d’allemand, 1996, p. 173-186.
21. H. M. Enzensberger, Aussichten auf den Bürgerkrieg, Francfort, Suhrkamp, 1994.
22. P. Schneider, « Die falsche Gewissheit », Der Spiegel, 26 août 2002, p. 168-170.
23. Der Spiegel, 23 juin 2003 : « Ich kann sagen, dass mich die Ablehnung des Präventivkrieges
durch die Mehrheit der Bürger meines Landes ein wenig stolz auf Deutschland gemacht hat. Zum
ersten Mal hat die Regierung von dieser (1900 erlangten) Souveränität Gebrauch gemacht, indem
sie den Mut hatte, dem mächtigen Verbündeten zu widersprechen… » [« Je dois dire que le refus
par la majorité de mes concitoyens d’une guerre préventive m’a rendu un petit peu fier de
l’Allemagne. Pour la première fois, le gouvernement a fait usage de cette souveraineté, obtenue en
1900, en ayant eu le courage de contredire le puissant allié… »].
24. G. Grass, « Siegen macht dumm », Der Spiegel, 25 août 2003, p. 140-144.
25. J. Derrida et J. Habermas, « Nach dem Krieg: Die Wiedergeburt Europas », FAZ, 31 mai
2003.
26. J. Habermas, « Verfassung für Europa », Die Zeit, 28 juin 2001.
27. P. Schneider, « Zeit der Rechthaber », Der Spiegel, 23 juin 2003, p. 158-159.
28. P. Zadek, « Kulturkampf? Ich bin dabei », Der Spiegel, 14 juillet 2003.
29. M. Walser, « Das Abbilden von Scheusslichkeiten ist die restlose Ausrottung der
Menschenwürde », Der Spiegel, 17 mai 2004, p. 190-191, et Courrier international, 27 mai 2004.
30. P. Schneider, « Sieg der Sterne », Die Zeit, 30 août 2001, p. 43 et 46.
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neuen Ordnung. Eine Politik der Freiheit für das 21. Jahrhundert, Munich, Beck, 2003; U. Beck,
Freiheit oder Kapitalismus. Die Gesellschaft neu denken, Francfort, Suhrkamp, 2000; Cl.
Leggewie, Die Globalisierung und ihre Gegner, Munich, Beck, 2003.
32. A. Scharenberg et O. Schmidtke (dir.), Das Ende der Politik? Globalisierung und der
Strukturwandel des Politischen, Münster, Westfälisches Dampfboot, 2003.
33. Le Monde diplomatique, Atlas der Globalisierung, Berlin, Taz-Verlag, 2003.
34. J. Strasser, « Crépuscule des intellectuels ? Intellectuels et élites en Allemagne », Allemagne
d’aujourd’hui, n° 152, avril-juin 2000, p. 239.
35. A. Scharenberg et O. Schmidtke, op. cit. [32], p. 13 sq.
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37. T. Assheuer, « Wer hat Angst vor der Utopie? Die Arbeitsgesellschaft ist am Ende, die
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47. Le Monde, 6 février 2004. La traduction française (P. Charbonneau) est parue sous le titre De
la destruction comme élément de l‘histoire naturelle, Arles, Actes Sud, 2004.
48. R. Vogel-Klein, « Guerre aérienne, littérature et mémoire », Allemagne d’aujourd’hui, n° 167,
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49. J. Friedrich, Der Brand: Deutschland im Bombenkrieg 1940-1945, Munich, Propylaen
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50. Spiegel-Gespräch, « Vergleichen - nicht moralisieren. Der Historiker Hans-Ulrich Wehler
über die Bombenkriegsdebatte », Der Spiegel, 6 janvier 2003, p. 51-52.
51. « Die Enkel wollen es wissen », Der Spiegel, 17 mars 2003, p. 170 sq.
52. T. E. Schmidt, op. cit. [42], p. 33.
53. G. Merlio, « La nation se réveille. Les conceptions de la nation dans la “Nouvelle droite”
allemande », in D. Goeldel (dir.), « Débats autour de la nation allemande et de l’identité nationale
dans l’Allemagne unifiée (1989-1995) : la conscience nationale introuvable ? », Revue
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54. O. Negt, Kant und Marx. Ein Epochengespräch, Göttingen, Steidl Verlag, 2003.
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57. R. Debray, Les Cahiers de la Table ronde, printemps 2004.
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62. P. Sloterdijk, Nicht gerettet. Versuche nach Heidegger, Francfort, Suhrkamp, 2001.
63. M. Tambarin, « Les règles pour le parc humain : une “pensée dangereuse” ? », Allemagne
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70. Die Zeit, n° 14, 2002, p. 43.
71. J. Strasser, op. cit. [34], p. 230.
72. Th. Assheuer, « Wer hat Angst vor der Utopie? », Die Zeit, 5 décembre 2002, p. 43.
73. « Früher durften die Intellektuellen davon träumen, ihre Welt zu verändern, heute gelte es,
sie mit Langmut zu ertragen », in Th. Assheuer, op. cit. [72].
74. Der Spiegel, 30 décembre 2002, p. 134.
75. Die Zeit, 4 mars 2004, p. 53-54.
76. Elke Schmitter, « Warnung vor den Vipern », Der Spiegel, 28 juillet 2003, p. 114 sq.

Auteur

Denis Goeldel

Professeur émérite de l’Université de


Strasbourg 2. La présente contribution
s’appuie sur son ouvrage, Le Tournant
occidental de l’Allemagne après 1945.
Transferts culturels, résistances aux
transferts et métissages, paru à l’automne
2004 aux Presses universitaires de
Strasbourg, tout particulièrement sur le
chapitre IV, « L’occidentalisation de la société
et de la culture », qui traite de l’évolution de la
culture politique et des grands débats
politico-intellectuels des années 1950 et 1960.
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence
OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Référence électronique du chapitre


GOELDEL, Denis. Geist und Macht : la question lancinante du rapport des intellectuels au
politique In : Qui dirige l'Allemagne ? [en ligne]. Villeneuve d'Ascq : Presses universitaires du
Septentrion, 2005 (généré le 15 novembre 2023). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/septentrion/16274>. ISBN : 9782757418895. DOI :
https://doi.org/10.4000/books.septentrion.16274.

Référence électronique du livre


DEMESMAY, Claire (dir.) ; STARK, Hans (dir.). Qui dirige l'Allemagne ? Nouvelle édition [en
ligne]. Villeneuve d'Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2005 (généré le 15 novembre
2023). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/septentrion/16259>. ISBN :
9782757418895. DOI : https://doi.org/10.4000/books.septentrion.16259.
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Qui dirige l'Allemagne ?


Ce livre est cité par

Vaillant, Jérôme. Vogel, Wolfram. (2009) L'avenir des partis politiques en France et en
Allemagne. DOI: 10.4000/books.septentrion.15859
Vaillant, Jérôme. (2009) L'Allemagne unifiée 20 ans après la chute du Mur. DOI:
10.4000/books.septentrion.15927
(2008) Unternehmenskommunikation bei Privatisierungen öffentlicher Unternehmen.
DOI: 10.1007/978-3-8349-9885-9_2

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