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Balcet Giovanni, Vitali Giampaolo. Stratégies multinationales et trafic de perfectionnement passif entre l'Italie et les pays
d'Europe centrale et orientale : le cas du textile-habillement. In: Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 32, 2001, n°2.
Dossier: Union européenne: sous-traiter en Europe de l'Est. pp. 51-70;
doi : https://doi.org/10.3406/receo.2001.3086
https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_2001_num_32_2_3086
Résumé
Parmi les changements les plus significatifs de l'investissement direct étranger italien au cours des
années 1990, soulignons le rôle croissant des industries traditionnelles et la réorientation des IDE vers
l'Europe centrale et orientale. En conséquence, l'internationalisation des firmes italiennes tend à
correspondre à la structure des échanges commerciaux, fortement concentrés dans les secteurs
traditionnels et la construction mécanique spécialisée. Des sociétés et des groupes d'entreprises de
taille moyenne en rapide croissance, appartenant généralement à une famille, sont devenus les
nouveaux acteurs de cette phase d'expansion internationale. La branche du textile-habillement est un
bon exemple de cette tendance nouvelle. La relation entre la croissance internationale des firmes
italiennes dans les PECO, reflétée par le chiffre d'affaires et les effectifs employés dans leurs filiales à
l'étranger, est analysée de même que l'effet de création de commerce extérieur et de trafic de
perfectionnement passif dans cette région. L'impact du redéploiement industriel sur l'activité et l'emploi
en Italie, ainsi que les questions de stratégie économique afférentes, sont analysés.
SI
Revue d'études comparatives Est-Ouest, 2001, vol. 32, n° 2, pp. 51-70
abstract : Among the most significant changes in the pattern of Italian foreign
direct investments during the 1990s were : the growing role of traditional industries and
the tendency for such investments to be made in Central and Eastern Europe. As a
consequence, the internationalization of Italian firms tends to correspond to trade
patterns, highly concentrated in traditional sectors and in mechanical engineering. Fast-
growing medium-sized companies and groups, usually family-owned, have become the
new actors in this phase of international expansion. The textile and clothing industry
illustrates this new trend. The relation between the international expansion of Italian
firms in the CEECs, as expressed by turnover and employment in their foreign affiliates,
is analyzed along with the creation of foreign trade and outward processing trade in this
zone. The impact of industrial redeployment on business and employment in Italy, as
well as related policy issues, come under discussion.
* Respectivement, Université de Turin, Département d'économie (Via Po 53, 10124 Turin, Italie ;
e-mail : giovanni.balcet@unito.it) et CERIS-CNR (Via Avogadro 8, 10121 Turin, Italie; e-mail :
g.vitali@ceris.to.cnr.it). Cet article est le résultat du travail commun des auteurs; toutefois la
rédaction finale des sections 1, 2 et de la conclusion est plus particulièrement due à Giovanni Bal-
cet et celle des sections 3 et 4 à Giampaolo Vitali.
52 Giovanni Balcet et Giampaolo Vitali
1. Dans cet article, les PECO pris en considération sont la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la
République tchèque, la Roumanie et la Slovaquie.
Stratégies multinationales et TPP : Italie-PECO 53
2. Le groupe textile Miroglio constitue une exception à la règle, avec des investissements dans les
années 1970 dans des pays du bassin méditerranéen comme la Grèce, la Turquie et la Tunisie.
Pendant la même période, SGS (groupe STET-IRI, appartenant à l'État) a créé des filiales à Singapour
et en Malaisie pour la production de composants électroniques.
Stratégies multinationales et TPP : Italie-PECO 55
2. L'INTERNATIONALISATIONDE L'INDUSTRIE
TEXTILE-HABILLEMENT EN ITALIE
Jusqu'à la fin des années 1980, le TH italien n'était guère engagé dans un
processus de multinationalisation, même s'il se montrait capable de conserver,
au niveau international, d'importantes parts de marché grâce à ses exportations
très compétitives3. On pourrait voir dans cette situation, cohérente avec le
modèle traditionnel que nous avons décrit, une sorte de paradoxe italien :
comment les performances commerciales pouvaient-elles rester excellentes dans un
secteur mûr malgré la pression concurrentielle grandissante de l'Asie et des
3. Au niveau mondial, l'Italie est le second pays exportateur aussi bien de textile que
d'habillement.
58 Giovanni Balcet et Giampaolo Vitali
A la fin des années 1980, la situation évolue rapidement. Les IDE des
entreprises TH italiennes s'envolent pour atteindre un sommet en 1991, tendance
confirmée par les données sur les acquisitions, joint-ventures et accords de
coopération (Osservatorio Acquisizioni e Alleanze, 1994). Cette accélération de
l'expansion internationale des entreprises est due en grande partie à celle de
l'industrie de l'habillement, qui enregistre le nombre le plus élevé de délocali-
4. Benetton est devenu le modèle à succès de l'industrie de l'habillement, illustrant les avantages
concurrentiels dérivés des innovations au niveau de l'organisation (sous-traitance à l'intérieur du
pays, production flexible, réseau de franchisés), des IDE orientés vers le marché en Europe et de
l'introduction massive des techniques informatiques dans la production, la logistique et la
distribution (Balcet, 1995).
Stratégies multinationales et TPP : Italie-PECO 59
5. Entre 1985 et 1988, la part de l'Italie dans la totalité des importations a baissé en France de
32 % à 21 %, en Allemagne de 21 % à 17 % et en Angleterre de 11 % à 9 % (Viesti, 1993).
60 Giovanni Balcet et Giampaolo Vitali
Les PECO ont joué un grand rôle dans le processus d'internationalisation des
entreprises TH italiennes, processus que l'on peut considérer sous deux angles :
commercial ou industriel. S'agissant du premier, l'on constate que les PECO
sont très impliqués dans le commerce de produits TH avec l'UE (et l'Italie), ce
dont atteste le tableau III : les importations de produits TH provenant des pays
candidats (principalement les PECO) ont augmenté entre 1995 (11,01 milliards
d'euros) et 1998 (15,63 milliard d'euros), de même que les exportations de
l'UE, passées de 6,55 milliards d'euros en 1995 à 9,89 milliards d'euros en
1998. Les PECO représentent plus d'un quart aussi bien de la totalité des
importations (27 % en 1998) que des exportations (28 % en 1998) et la balance
commerciale négative de l'UE est due pour 25 % aux flux des PECO.
En comparant le commerce international entre l'UE et les PECO à celui
entre l'Italie et ces mêmes pays, on perçoit les effets des particularités
italiennes. En 1998, les PECO ne représentaient que 13 % de la totalité des
importations italiennes et 6 % des exportations. La différence avec l'UE reflète la
division internationale du travail (la spécialisation de l'industrie italienne dans
le secteur du TH) et la qualité élevée des produits TH italiens (les marchés
auxquels s'adresse la production italienne sont d'abord les pays de l'OCDE). Au
niveau de la division internationale du travail, les PECO remplissent la fonction
d'une zone de sous-traitance pour la production TH italienne. Notons en tout
cas le dynamisme du commerce international : les importations italiennes du
secteur TH en provenance des PECO ont augmenté entre 1995 (2,3 milliards
d'euros) et 1998 (3,7 milliards d'euros). Les exportations italiennes vers ces
mêmes pays ont connu une évolution similaire : elles ont cru de 2,3 milliards
d'euros en 1995 à 4,2 milliards d'euros en 1998.
En ce qui concerne la production internationale, les PECO jouent un rôle
considérable : s'ils accueillent 17 % de toutes les filiales italiennes à l'étranger,
62 Giovanni Balcet et Giampaolo Vitali
Importations
1995 1996 1997 1998
Monde 45 47 55 58
Pays candidats 11 12 14 16
% pays candidats / monde 24 25 25 27
Exportations
1995 1996 1997 1998
Monde 29 32 35 35
Pays candidats 7 8 9 10
% pays candidats / monde 22 24 26 28
Balance commerciale
1995 1996 1997 1998
Monde -16 -16 -21 -23
Pays candidats -4 -4 -5 -6
% pays candidats / monde 28 27 23 25
Source : Eurostat.
6. En ce qui concerne le TPP de l'Union européenne avec les PECO, nous ne disposons pas de
chiffres complets au-delà de 1993.
64 Giovanni Balcet et Giampaolo Vitali
tions TH car, durant toute la période considérée, elle s'est maintenue à 1 1-12 %
de l'ensemble des exportations italiennes. Le poids de l'industrie TH dans les
flux totaux de TPP a donc connu une augmentation en flèche pendant la période
1991-1998.
Pour ce qui est des exportations (Tableau VII), il faut noter que les chiffres
roumains dominent également en 1998, bien que dans une proportion moindre
(42 % du total des exportations italiennes) que celle des importations (55 % du
total). Ceci est dû à l'importance relativement plus grande des exportations
italiennes vers la Pologne qui représentent environ 20 % de la totalité des
exportations (tandis que les importations en provenance de ce pays ne constituent que
6 % de la totalité des importations). Cette différence pourrait s'expliquer par
l'écart entre les revenus par tête de la Pologne (où existe une demande locale de
produits italiens de qualité) et ceux de la Roumanie (un pays à bas revenus).
Celle-ci est généralement considérée par les investisseurs italiens comme une
plate-forme d'exportation à moindre coût. En fait, la Roumanie est aussi très
concernée par les flux de TPP de l'Italie, comme nous le verrons plus loin. Les
flux de TPP représentent 27 % des exportations TH vers la Roumanie, contre
seulement 9 % dans le cas de la Pologne.
Tableau VIII - Exportations italiennes de TH vers les PECO (indice 1992 = 100)
L'examen des effectifs des filiales italiennes dans les PECO fait ressortir
d'autres différences (Tableau XI). On note, en premier lieu, que la Roumanie
regroupe environ 50 % de la totalité de l'emploi engendré par les IDE. En
second lieu, il convient de souligner les variations qui se sont produites ces
dernières années : entre 1995 et 1997, on constate une nette augmentation des
effectifs en Roumanie et leur chute en Hongrie, tandis qu'ils restent plus ou
moins stables dans les autres pays.
Des différences apparaissent également si l'on considère la taille des
entreprises concernées par les IDE italiens dans les PECO (Tableau XII). Celle des
filiales roumaines, qui sont quatre fois plus grandes que les filiales hongroises,
est à relever. Une telle différence peut provenir du modèle de développement
Stratégies multinationales et TPP : Italie-PECO 67
adopté par chaque pays dans sa transition d'une économie planifiée vers une
économie de marché : moins ce modèle de développement est proche de
l'économie de marché, plus la taille des filiales issues d'IDE italiens est grande. Par
exemple, en Pologne (144 employés par filiale en 1998) et, surtout, en Hongrie
(93), les énormes usines de l'ancien régime ont été démantelées et privatisées,
tandis qu'en Roumanie (395), le processus de privatisation n'est pas encore
achevé et les grandes entreprises ne sont pas démantelées avant d'être vendues
à des capitaux privés.
Les disparités sont tout aussi flagrantes quand on analyse la productivité de
la main-d'œuvre des filiales étrangères. Le tableau XIII fait état du montant des
ventes par employé : là où le capitalisme est installé, comme en Pologne, la
productivité par employé est trois fois plus élevée qu'en Roumanie ou en Bulgarie
où l'industrie appartient toujours en grande partie à l'État.
Les chiffres du TPP confirment le rôle dominant de la Roumanie (Tableau
XIV). En 1998, le TPP avec ce pays représentait plus de la moitié du TPP-TH
avec les PECO, contre un cinquième pour la Hongrie, 8 à 9 % environ pour la
Pologne et la Bulgarie et quelque 10 % pour les Républiques tchèque et slo-
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vaque. Ces niveaux variables de TPP trouvent leur origine dans le modèle de
croissance différent de chacun des PECO : en 1992, la Hongrie était le pays le
plus impliqué dans le TPP avec l'Italie mais, durant la période concernée, elle a
cédé le pas à la Roumanie. Cette baisse pourrait être la conséquence de
l'évolution industrielle de la Hongrie, qui remplace les produits traditionnels par des
biens d'un niveau technologique plus sophistiqué (et n'est donc plus une zone
de sous-traitance majeure pour la production de TH européenne et italienne en
particulier).
Hongrie 15 25 46 46 62 71 93 90
Roumanie 1 12 38 77 138 173 258 243
Rép. tchèque et Rép. slovaque 3 9 12 29 39 42 58 48
Pologne 2 5 9 19 25 29 37 36
Bulgarie 0 3 6 7 17 24 37 37
Total 21 52 111 179 280 338 483 455
Dans les sections précédentes, nous avons analysé les données relatives à
l'évolution des flux commerciaux, des IDE et du TPP. Nous avons étudié aussi
bien l'ensemble des PECO que les spécificités de chaque pays afin de décrypter
le processus d'internationalisation de l'industrie italienne du TH. Il convient à
Stratégies multinationales et TPP : Italie-PECO 69
CONCLUSION