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Institut Bordelais de Droit OHADA

QUELLE RESPONSABILITÉ SOCIÉTALE DES ENTREPRISES


DANS L’ESPACE OHADA ?

INTRODUCTION

Tout part d’un constat. Constat selon lequel les entreprises en zone Ohada1 ne sont pas assez
responsabilisées. Pourtant, l’on s’accorde pour dire que l’entreprise a une finalité économique.
Cette finalité économique se traduit par une recherche acharnée de profit. Cela n’est pas
nouveau car le rôle traditionnel reconnu aux gérants de l’entreprise est la promotion des
intérêts des personnes ayant investi dans le capital de la société 2. Et dans la recherche de
bénéfices au profit de ses actionnaires ou de ses associés, l’entreprise est souvent amenée à
poser des actions qui pourraient avoir certaines répercussions sur plusieurs plans tels que le
volet social et environnemental. Ces préoccupations ne sont contemporaines même si ce n’est
qu’à partir du début du XIXe siècle que la question a commencé à se poser avec une certaine
vivacité3. C’est là que la RSE est intervenue afin d’instaurer un certain équilibre. Cet
acronyme « RSE » désigne tout simplement « Responsabilité Sociale des Entreprises »,

1
Désigne l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA). Elle compte aujourd’hui 17
États membres que sont : le Burkina Faso, du Cameroun, le Bénin, la République Centre- Africaine, les Comores, le
Congo, la Côte d’Ivoire, du Gabon, la Guinée Équatoriale, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Tchad, et du Togo. Puis par la
suite, la Guinée Conakry, de la Guinée Bissau et de la République Démocratique du Congo.

2
Voir en ce sens M. Friedman, « The Social Responsibility of Business is to Increase its Profits », New York Times
Magazine, 13 septembre 1970, pp. 32-33; Capitalism and Freedom, Chicago, University of Chicago Press, 1962.

3M. Capron et P. Petit « Responsabilité sociale des entreprises et diversité des capitalismes », Revue de la régulation
2011, n° 9, en ligne http://regulations.revues.org.9142.
également appelée responsabilité sociétale des entreprises. La commission européenne l’a
défini en 2001 comme étant « l'intégration volontaire par les entreprises de préoccupations
sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs
parties prenantes ». La RSE a donc pour objet de raccommoder les objectifs purement
économiques de l’entreprise avec certaines considérations d’ordre éthique, social et
environnemental. Schématiquement, les normes RSE renvoient au paradigme selon lequel, la
firme doit, non pas perdre de vue sa finalité spéculative, mais aller au-delà de cette seule
finalité spéculative et ce, dans l’intérêt de toutes les parties prenantes.

La RSE est très connue aujourd’hui des législations européennes et plus précisément de la
législation française. Elle est même devenue un sujet « à la mode »4. Elle a son histoire et c’est
pourquoi certains auteurs ont pris la peine de préciser que la RSE « n’est pas un concept tombé
du ciel »5. Pour les auteurs tels que Capron et Quairel6 et Pasquero7, le concept de RSE a
émergé aux États-Unis d’Amérique dans les années 1950. Sa diffusion progressive la rendra
par la suite, planétaire. Les écrits littéraires confèrent volontiers la paternité à Howard R.
Bowen et à la publication de son texte emblématique, Social Responsibilities of the
businessman8. Tel que décrit dans cet ouvrage, le concept reflète une vision protestante de
l’éthique où l’entrepreneur est redevable envers la société dans laquelle il mène ses affaires 9.
En ayant comme point de départ, une approche traditionnelle, la RSE qui n’a tout autre but
que d’inciter l’entreprise à avoir un comportement plus responsable, sur le volet social et
environnemental, s’avère être une occasion de conciliation entre elle et le concept de
développement durable. La RSE a contribué à la mise en place d’un système normatif dans
lequel l’on trouve une étroite cohabitation entre la « soft law » encore appelée « droit mou »
et la « hard law » appelée « droit dur ». Concrètement, il s’agit d’une coexistence entre un
droit contraignant et un droit non contraignant. Cela se présente d’une façon très simple. Les
entreprises sont libres de ne pas adopter une politique en matière de RSE. Toutefois, si elles
choisissent de faire une adhésion volontaire, un certain nombre d’obligations seront mises à

4 M-A. Moreau, « Préface », in M-A. Moreau, F. Francioni (dir.), La dimension pluridisciplinaire de la responsabilité
sociale des l’entreprise, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2007, p. 7.

5M. Capron et P. Petit « Responsabilité sociale des entreprises et diversité des capitalismes », Revue de la régulation
2011, n° 9.

6
M. Capron et F. Quairel, La responsabilité sociale d’entreprise, 2010, éd La Découverte
7
J. Pasquero, “La responsabilité sociale de l’entreprise comme objet des sciences de la gestion : un regard
historique » in La responsabilité sociétale de l’organisation : exercices, cas, fondements (dir) M.-F. Turcotte, Presse de
l’Université du Québec, 2013, p. 310-358.

8
H. R. Bowen, Social Responsibilities of the Business Man, New York, Harper & Brothers, 1953.
9
M.-F. Turcotte « Quelle responsabilité sociétale des entreprises pour les TPE-PME ? », in Pour un droit des PME sous
la direction de Véronique Martineau-Bourgninaud. éd. Connaissances et savoirs, 2018. P. 120.
leur charge. Ainsi, l’entreprise qui décide d’adhérer volontairement et qui, par la suite ne
respecte pas sa politique de RSE, sera sanctionnée.

Les états membres de l’Ohada ont pu observer de loin cette sorte de responsabilité des
entreprises. Ils l’ont apprécié et se demandent sans doute dans quelle mesure ils pourraient
l’adapter aux entreprises africaines. En effet, étant donné que le contexte est assez différent,
un besoin d’adaptation va se poser avant qu’il n’y ait une possibilité normative de rencontre
entre la RSE et le droit harmonisé des États africains. L’étude que l’on s’apprête à mener se
veut dans un premier temps théorique. Tel « un éclaireur », il nous appartient de partir à la
source et de voir si le droit Ohada se veut favorable à la RSE. Pour cela, il faudra effectuer
une véritable analyse préalable car des résultats de cette analyse, pourront être jeter les
nouvelles bases de la RSE dans le droit de l’espace Ohada. Dans cet article, l’on s’intéressera
à l’intérêt que pourrait avoir le droit Ohada à responsabiliser les entreprises au sein de son
espace (I). Ce n’est qu’après avoir relevé tous les mérites de cette première étude, que l’on
pourra voir dans quelle mesure la RSE telle que connue aujourd’hui dans certaines
législations, pourra être réceptionnée en droit Ohada (II).

I- LA NECESSITE D’UNE RSE DANS L’ESPACE OHADA

À l’air de la mondialisation et des nouveaux enjeux climatiques, le continent africain


notamment les pays de l’espace Ohada, éprouvent de plus en plus un besoin d’avoir une
économie plus saine et donc une amélioration de la prise en compte des enjeux
environnementaux, sociaux et sociétaux dans la politique des différentes entreprises. Ce n’est
pas être trop optimisme que de dire que le monde a besoin de bâtir ensemble une politique de
responsabilisation des entreprises et cela passe par une interrogation des interactions entre
l’entreprise et son environnement social, éthique et écologique. Nous allons donc partir de
l’hypothèse selon laquelle le droit Ohada ne doit pas rester en marge, pour ensuite examiner
de plus près si l’intégration dans le droit Ohada, des normes fondées sur la RSE peut être une
« bonne affaire » pour le droit des affaires des États membres de l’organisation, et par ricochet,
pour toutes les parties prenantes10.

La promotion de l’intérêt des parties prenantes internes

10
Les parties prenantes (stakeholders en anglais) désignent les agents économiques, individus et organisations dont les
intérêts sont liés à une entreprise ou à un projet.
La théorie des parties prenantes11 voudrait que dans la prise de décision, l’entreprise tiennent
compte de plusieurs intérêts qui peuvent souvent se révéler divergents. Sans être exhaustif,
ces intérêts sont ceux des actionnaires, des salariés, de l’État, des consommateurs etc. On peut
faire une distinction entre les parties prenantes internes et externes. La RSE permettrait dans
un premier temps de prendre en compte l’intérêt des parties prenantes internes que sont par
exemple les décideurs, les salariés et les syndicats. Il est permis de constater que les entreprises
qui mettent en place une démarche RSE peuvent en retirer de nombreux avantages. La RSE
par son concept de politique sociétale et managériale, constitue une attractivité de l’entreprise
sur le marché du travail. Des expériences le démontrent parfaitement : « Des salariés fiers de
leur entreprise et du rôle qu’elle assume sont par expérience plus loyaux et s’investissent avec
beaucoup plus de force et donc de réussite »12. En effet, la démarche RSE permettra aux
entrepreneurs situés dans l’espace Ohada, de rassurer leurs employés qui se retrouveront dans
un climat de travail assez protecteur et serein. La démarche RSE vise à aller au-delà de la
réglementation pour favoriser les relations et les ambiances sereines au travail. Elle a pour but
de fédérer et d'ouvrir le dialogue avec les salariés afin de les motiver dans leur travail. Insérer
la RSE dans le droit Ohada permettra également de créer un système juridique fiable dans
lequel les salariés pourront travailler en toute sécurité. De ce fait, l’entreprise située dans
l’espace Ohada en tire des bénéfices économiques directs.

La RSE permettrait également de mieux protéger les intérêts des actionnaires. En effet, il est
clair qu’il existe une relation étroite entre les entreprises et les personnes physiques qui y
participent. Ainsi, il ressort des dispositions de l’article 4 de l’Acte uniforme relatif au droit
des sociétés commerciales et groupement d’intérêt économique 13 que « la société commerciale
est créée par les associées dans le but de partager le bénéfice ou l’économie qui pourrait
résulter de son exploitation ». Par conséquent, il est assigné à ses gérants une mission de
promotion de l’intérêt des membres investisseurs, que ceux-ci soient actionnaires ou associés.
Ainsi, la responsabilité sociale des entreprises est un parfait moyen pour atteindre cet objectif
dans le sens où chaque société intégrant le mécanisme de la RSE dans sa politique managériale
et sociale partagera mieux et équitablement ses bénéfices.

Il est important de rappeler qu’à l’état actuel des choses, la législation Ohada n’impose et ne
recommande nullement aux entreprises l’intégration des considérations d’ordre sociale, ou
environnementale dans leur gestion. Néanmoins, la plupart des législations nationales

11
R.E. Freeman, Strategic Management : A Stakeholder Approach, Boston, Pitman, 1984.

12
Les Échos entrepreuneurs.fr.

13L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et groupement d’intérêt économique (AUSCGIE) a été
adopté le 30/01/2014 à Ouagadougou (BURKINA FASO). Il est entré en vigueur le 05/05/2014.
imposent une étude d’impact environnementale pour certains projets ayant un impact direct
sur l’environnement. Ce cadre juridique reste très insuffisant malgré le fait que certains pays
tels que le Cameroun, le Sénégal et le Congo ont commencé à intégrer dans leur culture la
politique de la RSE. Une législation plus globale et plus pesante s’impose alors.
La nécessité d’une législation Ohada sur la RSE s’appuie notamment sur le fait que les
populations africaines plus particulièrement la classe moyenne commence de plus en plus à
s’intéresser aux questions environnementales et sociales; les bailleurs de fonds exigent
également la prise en compte de ces questions et le contexte international qui fait que les
multinationales sont tenues de communiquer leurs actions sociales et environnementales
conformément aux principes directeurs de l’OCDE14.

La promotion de l’intérêt des parties prenantes externes

Selon les experts, la RSE a pour finalité le développement durable des entreprises. Toutefois,
s’agissant de la démonstration que l’on s’apprête à faire dans cette partie, l’on se penchera
surtout sur les relations entre l’entreprise et l’extérieur. C’est-à dire les parties prenantes
externes. Ces acteurs sont beaucoup plus variés que les acteurs internes. Ce sont notamment
les clients, les distributeurs, les fournisseurs, les banques, les intermédiaires, les pouvoirs
publics et les médias. Il est actuellement connu qu’en Afrique, beaucoup d’entreprises ont une
mauvaise image aux yeux de nombreux consommateurs. La RSE contribuerait donc à instaurer
une relation de confiance entre l’entreprise et le client. En effet, il arrive que des
consommateurs doutent sérieusement de la qualité et de l’origine des produits qui leur sont
proposés.

Par ailleurs, la RSE augmenterait les performances commerciales de l’entreprise par une
meilleure prise en compte des attentes des clients et en innovant régulièrement. Ce qui
favoriserait un intéressement de la part des clients envers les produits commercialisés. De
manière unanime, tous les auteurs et les entreprises appliquant la démarche RSE affirment
qu’elle serait non seulement très utile mais aussi incontournable pour le progrès économique.
Pour eux, cinq raisons justifient cette affirmation. Ils évoquent le fait que la RSE construit le
capital de la marque, permet d’attirer et de fidéliser les clients, a du sens au plan financier
mais surtout est l’une des réponses à la crise économique.
À titre d’exemple, penchons-nous sur la politique RSE de la Compagnie Ivoirienne
d’Électricité. La Côte d’Ivoire connaît une forte croissance économique et démographique qui
augmente les besoins en électricité. Les enjeux du changement climatique appellent à produire
plus d’électricité, avec moins de ressources, tout en préservant l’environnement. Dans cette

14
Organisation de coopération et de développement économiques.
optique, la Compagnie d'Électricité Ivoirienne (CIE) a renforcé sa politique de mission de
service public de production d’électricité, par la prise en compte des principes de
responsabilités sociétales des organisations (RSO). En effet, cette politique lui a permis
« d'améliorer l’accès à l’électricité et le bien-être des populations ; de garantir la continuité
de service et la qualité de ses prestations ; développer le capital humain de l’entreprise ;
soutenir le développement des communautés locales ; préserver l’environnement et les
ressources naturelles ; renforcer ses règles d’éthique et de gouvernance ; adopter des
systèmes intelligents favorisant une production et une consommation durable »15. De fait, les
retours d’une telle démarche au sein de la CIE sont positifs et les statistiques le prouvent. Le
président du conseil d'administration, lors du rapport développement durable 2019 de la
Compagnie, l’a souligné en ces termes : « l’année 2019 a confirmé l’excellence des
performances techniques et financières par notre compagnie, malgré un contexte d’exigences
croissantes de nos partenaires ».

Le développement durable conduit par la RSE est ainsi une opportunité de mettre à profit
l’accomplissement du but recherché par le droit Ohada qui est de faire de l’Afrique « un pôle
de développement » dans un climat de sécurité juridique et judiciaire. Par conséquent, il en va
dans l’intérêt du droit Ohada d’inciter les différents acteurs économiques et institutionnels
œuvrant sur cet espace, d’intégrer la démarche RSE dans leurs activités.

II- LA RECEPTION DE LA RSE DANS L’ESPACE OHADA

Le concept de RSE ayant été appréhendé, il convient à présent de s’intéresser à une étude
pratique. Celle d’une possibilité de rencontre entre les normes relatives à la RSE et le droit
Ohada. Il faudra pour ce faire, vérifier qu’il n’y a pas une incompatibilité avant que ne soit
envisagé les modalités de cette rencontre. Ce serait l’occasion d’examiner si le système
normatif Ohada a besoin d’être aménagé de façon particulière avant toute incorporation. Mais
il ne faut pas croire que l’on se limitera là. Il faudra aller au-delà en recherchant les instruments
normatifs susceptibles d’être inclus dans l’ordonnancement juridique de cet espace ohadien.

La complémentarité entre les objectifs de la RSE et ceux de l’OHADA

L’Ohada est un outil juridique imaginé et réalisé par l’Afrique pour servir l’intégration
Économique et la croissance. Ainsi, il apparaît que le droit Ohada a été créé dans un souci de
maintenir et de renforcer l’économie de ses États membres. L’objectif de l’Ohada est
essentiellement économique et tend à créer un climat juridique favorable afin d’inciter les

15
Éthique et management, notre politique Managériale RSE, CIE. /2016.
investisseurs étrangers à investir au sein d’un espace sécurisé. Cet objectif est clairement
visible à l’article 3 du Préambule du traité. Il est également confirmé par la doctrine. Pour
reprendre les mots du célèbre auteur Kéba M’baye, « l’Ohada est un outil juridique imaginé
et réalisé par l’Afrique pour servir l’intégration économique et la croissance »16.

À ce stade de notre réflexion, la question que l’on se pose est celle de savoir si l’on pourrait
obtenir un cadre juridique prenant en compte la dimension RSE et faisant par la même
occasion la promotion d’un espace séduisant en termes d’investissement. Ces deux objectifs
ne semblent pas inconciliables dans la mesure où la prise en compte des considérations d’ordre
éthique, social et environnemental permettra au droit des États africains de se moderniser mais
aussi de s’adapter au contexte actuel. En effet, l’une a pour objectif de garantir son activité
économique dans son espace juridique, l’autre constitue un formidable levier pour travailler
et optimiser la réputation de l’entreprise avec un penchant pour l’environnement et le social.
Cette RSE représente donc un nid d’intérêts pour le continent africain qui regorge d’énormes
potentiels et opportunités. De plus, depuis le début du XXIe siècle, la RSE est vue à l’échelle
internationale comme étant un concept pouvant favoriser non seulement un développement
social mais aussi un développement économique.

L’application des normes relatives à la RSE dans l’espace Ohada commande toutefois de
prendre en considération certains besoins des États africains qui sont pour la plupart, des pays
en voie de développement. La RSE devra donc mettre l’accent sur les besoins primaires 17 à
savoir l’alimentation, l’accès à l’eau courante, l’accès aux services sociaux etc. De plus, elle
devra insister sur la lutte contre la corruption, la préservation du patrimoine socioculturel, la
prise en compte des besoins spécifiques des communautés locales etc.

L’intégration de la RSE par le truchement du traité OHADA révisé

À travers la loi PACTE18, le législateur français a récemment modifié l’article 1835 du code
civil français en ajoutant que « les statuts peuvent préciser une raison d'être constituée des

16
K. Mbaye, préface, in J. Issa-Sayegh (dir.), OHADA : traité et actes uniformes commentés et annotés, Futuroscope
(France), Juriscope, 2012, p. 9.

17
K. Diawara, S. Lavallé, La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) dans l’espace ohada : pour une ouverture aux
considérations non économiques, Revue internationale de droit économique, 2014/4 (t XXVIII) p. 445, En ligne :
https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit- economique-2014-4-page-431.htm.

18 Loi PACTE « plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises » : loi n° 2019-486 du 22 mai 2019
relative à la croissance et la transformation des entreprises.
principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens
dans la réalisation de son activité ». Cette loi est donc venue inclure la philosophie de la
responsabilité sociale de l’entreprise au sein du code civil19. Elle s’insère dans une logique de
judiciarisation de la RSE initiée par la loi Sapin II et la loi de 2018 relative au devoir de
vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Si l’intégration de la RSE
dans la législation française n’a pas été comparable aux « douze travaux d’Hercule »20, il ne
faut pas croire qu’il en sera de même pour le droit Ohada. En effet, s’agissant du droit Ohada,
la question va se poser de savoir s’il existe un cadre juridique rendant possible la réception de
la RSE et plus précisément s’il existe des instruments normatifs adéquats. Cette question
trouve toute sa pertinence car elle est aussi théorique que pragmatique. Deux réponses
semblent s’imposer de prime abord. L’on pourrait songer à l’adoption d’un certain nombre de
textes de loi sur la RSE. Cela revient à introduire dans le droit Ohada, des normes
internationales privées. Toutefois, il demeure possible d’intégrer les normes RSE dans la
législation Ohada sans pour autant aboutir à un bouleversement des textes antérieurs. Cela
pourrait se faire par l’adoption d’une Charte Ohada sur la RSE. L’on pense par exemple à la
Charte UEMOA communautaire en faveur des PME. Cependant, cette Charte ne s’étend pas
l’ensemble de la zone Ohada. Elle ne concerne que les 8 états membres de l’UEMOA 21. Il
faudra donc espérer que l’idée d’une éventuelle charte sur la RSE soit approuvée par tous les
17 États membres.

S’agissant maintenant du fondement de l’insertion des dispositions afférentes à la RSE, il est


possible de faire appel au paragraphe 3 de l’article 27 du traité révisé22. En son alinéa 1er, il
indique que la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement « statue sur toute question
relative au traité ». Il est regrettable que le traité soit très vague sur les missions assignées à
la Conférence23. Toutefois, il reste possible d’estimer que cet organe a sans doute les
compétences nécessaires pour édicter des normes relatives à la RSE. L’article 2 du traité fixe
le domaine du droit des affaires mais il ne fait pas une énumération exhaustive. En effet, cet

19
Loi Pacte et « raison d’être » : une réforme nullement symbolique, Le mot de la semaine par Valérie Lafarge-Sarkozy,
LexisNexis SA, la semaine juridique, édition générale, n° 46, 11 novembre 2019.
20
Expression désignant une « œuvre dont l’accomplissement suscite des efforts exceptionnels ». Voir Larousse,
Dictionnaire français [en ligne], [consulté le 06 décembre 2020]. https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais.

21
Les 8 États membres de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), signataires de la Charte
communautaire de 2015 en faveur des PME sont : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali,
du Niger, le Sénégal et le Togo.
22
Le Traité Ohada a été signé le 17 Octobre 1993 à Port-Louis. Il a été révisé le 17 Octobre 2008 à Québec. Le traité
révisé est entré en vigueur le 21 Mars 2010.
23
G. Ngoumtsa Anou, Fasc. 170 : Organisation pour l'harmonisation en afrique du droit des affaires (OHADA). –
Présentation générale, Date du fascicule : 23 Janvier 2018, LexisNexis,
article poursuit en indiquant que l’harmonisation peut concerner « toute autre matière que le
Conseil des ministres déciderait, à l’unanimité, d’y inclure ». On estime donc que la RSE peut
être facilement intégrée dans la catégorie des autres matières.

CONCLUSION

Au terme de cette analyse, il semble possible de retenir que le droit Ohada, au regard de sa
flexibilité, ne s’opposerait pas à l’intégration en son sein, des normes relatives à la RSE. De
toute façon, l’issue de cette étude n’aurait pu être autrement car la RSE elle-même, se
caractérise par son aptitude à se conformer aux différents systèmes normatifs aussi divergents
qu’ils soient. Son historique nous le démontre. En effet, c’est eu égard à cette malléabilité
qu’elle a pu facilement gagner du terrain après qu’elle ait fait ses premiers pas aux États-Unis.
La jonction entre les normes fondées sur la RSE et le droit Ohada ne met pas en péril les
objectifs des États signataires du traité de Port-Louis du 17 Octobre 1993. Cet objectif n’est
tout autre que la réussite de l’intégration économique et l’assainissement des affaires. Au
contraire, ce nouveau dispositif fondé sur la RSE devra favoriser une sorte de moralisation du
droit des affaires dans l’espace Ohada. S’il faut retenir une chose fondamentale, c’est bien
celle-là. Il ne reste plus qu’à espérer que le législateur Ohada se laissera convaincre par
l’opportunité de légiférer dans ce domaine en adoptant une charte Ohada sur la RSE. Cette
charte devra répondre aux aspirations des citoyens africains24 que sont l’accès aux produits de
premières nécessités, la gestion optimale des ressources naturelles, l’amélioration des
conditions sociales des populations locales.

Mots clés : Droit Ohada, responsabilité sociale de l’entreprise, intégration de normes,


développement durable.

- Mariatou DIALLO, Titulaire d’un Master 2 juriste conseil d’entreprise


- Ginette KOUASSI, Étudiante en Master 2 Droit fiscal des affaires et fiscalité appliquée
- Clément Philippe SENOU, Doctorant en droit privé

24K. Diawara, S. Lavallé, La responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) dans l’espace ohada : pour une ouverture aux
considérations non économiques, Revue internationale de droit économique, préc. p. 451.

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