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51
DE L’ARCHÉOLOGIE
1
temples qui ont été bâtis pendant plus de trois siècles
– et les informations qu’elles offrent sont souvent
très lacunaires. Le progrès de la connaissance sur le
passé de Vientiane repose en fait entièrement sur le
développement de la recherche archéologique. Dans
cette perspective, la transformation du tissu urbain
1. Cet article, rédigé tés par des lettrés (elles sont conservées Vientiane (il pourrait être
après « Vientiane et déplacés – religieux ou aujourd’hui à la Biblio- un fragment de la tradi- – arrêtée en 1975 et reprise avec une accélération
le Mékong : situation laïcs. Quelque deux mille thèque nationale de tion historiographique croissante il y a une vingtaine d’années – ne peut
de la ville dans l’espace textes copiés dans la Bangkok) – attestent de la ville) est le Chot-
régional et la longue ville entre le XVIe siècle l’importance de l’écrit may Het Yo Vieng Chan, évidemment qu’intéresser l’historien. À défaut de pou-
durée » (cf. le présent et le premier quart du pour la gestion des appelé aussi « Chronique voir entreprendre lui-même, pour l’instant, des pro-
volume), complète cette XIXe siècle ont été identi- affaires du Lan Xang courte de Vientiane ».
première contribution. fiés récemment dans la pendant plus de trois Quoique d’une forme grammes de recherche sur des sites choisis, il lui faut
bibliothèque d’un temple siècles. Il est possible peu conventionnelle accorder la plus grande attention aux chantiers qui
2. À la suite de la révolte
de Yasothorn, dans le que des fonds d’archives – il s’agit d’une liste
de Chao Anou contre bouleversent aujourd’hui la ville – tant ceux-ci sont
nord-est de la Thaïlande. thaïlandais abritent d’années auxquelles
la suzeraineté siamoise
Ils faisaient partie des encore des textes his- sont associées de façon susceptibles de mettre au jour, de façon malheureuse-
en 1828, Vientiane fut
fonds de grands monas- toriques qui auraient sèche et souvent énigma-
totalement détruite et sa ment fugace, des vestiges qui nous renseignent sur
tères et ils nous ren- été saisis à Vientiane tique des événements –
population fut en grande
seignent surtout sur le par des officiers siamois il est une source à pren- les configurations anciennes.
partie déportée sur la
niveau local de la culture entre 1779 et 1828 dre en compte pour la
rive droite du Mékong. connaissance du passé
religieuse, particulière- (c’est une idée très
En 1867, Francis Garnier ment sur la connaissance
(cf. infra) fait état de
répandue chez les lettrés de la ville. Cf. M. Lorril- L’objet de la présente contribution est d’aider à mieux
du corpus pâli. Les lao). Il faut cependant lard, Les chroniques
« quelques livres sacrés collections de textes souligner que les annales royales du Laos, thèse cerner, dans ses dimensions temporelle et physique,
[qui] gisaient çà et là »,
restes de la collection
« ordinaires » (littérature relatives à d’autres doctorale, EPHE, Paris, l’identité de cet espace où se sont manifestement
classique et religieuse régions du Laos ont été 1995 ; M. & Ph. Ngaosy-
qui était conservée dans extracanonique) furent éditées en Thaïlande vathn, Paths installées très tôt diverses populations. Il s’agira
la très grande armoire
de la bibliothèque du
reconstituées au XXe siè- dès le début du XXe siè- to Conflagrations, SEAP, d’abord de rappeler un certain nombre d’observations
cle à partir de versions cle. La destruction pure Cornell, 1998.
Vat Sisaket. Si un certain conservées dans diffé- et simple de tous les qui ont été faites au moment où la ville renaissait de
nombre de manuscrits rents endroits du Laos. anciens insignes du pou- ses cendres, en particulier dans les premières années
ont dû disparaître dans Des ordonnances royales voir royal de Vientiane
les incendies (plusieurs – originaires pour la plu- (dont faisaient partie du XXe siècle ; de mettre ensuite en évidence des don-
dizaines d’images en part de Vientiane, mais les chroniques et les nées qui n’ont pas toujours retenu l’attention des spé-
bronze du Buddha saisies par les troupes archives administratives)
témoignent des ravages siamoises dans la région est plus probable. cialistes ; d’esquisser enfin un état du savoir actuel sur
occasionnés par le feu), septentrionale des Hua Le seul texte à contenu le passé de la ville à partir des études les plus récentes,
d’autres ont été empor- Phan autour de 1880 historique relatif à
notamment celles qui ont été faites à l’occasion des
travaux de réhabilitation de la route no 1. Si cette présen-
tation succincte permettait d’éveiller les consciences
52 Vientiane au regard de l’archéologie
3. « Voyage d’exploration
en Indo-Chine », Le Tour
du monde, 1871-1872 ;
Voyage d’exploration en
Indo-Chine effectué par
une commission fran-
çaise, Hachette, 1885.
Une description rapide
de la ville a également
été publiée par un autre
membre de la Commis-
sion d’exploration du
Mékong, Louis de Carné,
Voyage en Indo-Chine
et dans l’Empire chinois,
E. Dentu, Paris, 1872.
4. Des indications (impar-
faites) sur l’histoire régio-
nale sont données dans
le Voyage d’exploration
(op. cit., 1871-72, p. 54
et pp. 388-394 ; 1885,
pp. 102-103 et 246-256).
5. En plus des écrits sur les richesses qu’offre encore le sol de la ville pour restait extrêmement vivace5. Elle parcourt par ailleurs
européens qui faisaient
référence aux événe-
la connaissance de l’histoire régionale et nationale, un lieu qui n’est pas entièrement déserté et où elle
ments de 1828-1829 son objectif serait parfaitement atteint. peut facilement être guidée6. Le séjour est bref (de
(par exemple le témoi-
gnage de Mgr Pallegoix,
l’après-midi du 2 avril à la matinée du 4), mais il est
1854), la mission Gar- bien employé. Il est vrai que certains des membres de
nier avait pu être rensei-
gnée par des informateurs
la mission sont déjà bien rompus aux descriptions de
au Vietnam, au Cambodge monuments anciens de par leur expérience à Angkor,
et tout le long de sa
remontée du Mékong. La
et que chacun s’acquitte sans hésitation des tâches
destruction de Vientiane La redécouverte d’un site : qui lui avaient été fixées au départ. Les commentaires
et la déportation de sa
de Fr. Garnier, précis mais forcément courts, n’ont pas
population avaient en premiers témoignages
effet entraîné de profonds connu la même postérité que les dessins de Louis
bouleversements dans
tout le bassin inférieur
Delaporte – qui constituent les premières véritables
du fleuve. Un certain L’archéologie de Vientiane naît avec la première descrip- reproductions graphiques du patrimoine artistique et
nombre d’œuvres littérai-
res lao du XIXe siècle
tion que donne Francis Garnier de la ville, au cours du architectural lao7. Son dessin du That Luang (doc. no 1)
révèlent le traumatisme voyage qui le mène de la Cochinchine au Yunnan par ne fut peut-être pas le modèle unique qui permit au
qu’avaient engendré ces
événements. Avant même
la voie du Mékong3. Le site n’est alors pas véritable- début des années 1930 de restituer la flèche du stûpa,
d’atteindre la ville, ment l’objet d’une découverte : il ne s’agit pas d’une détruite en 1872 par les pirates chinois (d’autres monu-
Fr. Garnier (op. cit., 1870-
71, p. 383 ; 1885, p. 241)
de ces capitales dont le souvenir avait été oublié, suite ments s’étaient déjà inspiré dans leur architecture du
formule cet avis : « Un à un long abandon par sa population ou en raison d’un prestigieux reliquaire), mais ses proportions étaient
grand intérêt de curiosité
s’attachait à l’étude de
isolement prolongé. Lorsque la mission conduite par rendues avec rigueur : l’œuvre était alors autant celle
ces ruines. Nous n’allions Ernest Doudart de Lagrée pénètre dans la cité en avril d’un artiste que d’un scientifique, préoccupé de restituer
certes pas y trouver
les merveilles d’art du
1867, elle en connaît à l’avance l’existence et avant tout des données réelles 8. Le même souci
Cambodge ; nous allions l’importance sur le plan historique4. Elle possède déjà d’exactitude commandait sans doute les travaux de
y lire couramment une
page d’histoire moderne,
une première traduction du récit du marchand hollandais relevés qu’effectuèrent E. Doudart de Lagrée sur la
au lieu de nous trouver Gerrit van Wuysthoff qui visita Vientiane en 1641. Elle partie ouest de l’enceinte de la ville, de même que ceux
en présence d’un indé-
chiffrable problème
a également connaissance des évènements qui se sont du docteur Joubert sur les statues de cuivre. Ceux-ci
d’archéologie ». déroulés quatre décennies plus tôt, car la mémoire en ne furent malheureusement jamais publiés.
Michel Lorrillard 53
6. Fr. Garnier insiste sur les croquis aient été plus mination de la Mission
le silence et la solitude conformes à la réalité archéologique d’Indo-
qui entourent l’ancien que les « dessins d’après Chine en École française
quartier royal, où la nature nature », où l’imagination d’Extrême-Orient.
a repris ses droits. Le fait de l’artiste reprenait
qu’il identifie rapidement peut-être le dessus. Ainsi 10. « Vieng-Chan (la
par leur nom les plus cette illustration légen- ville et les pagodes) »,
grands monuments de dée « Tour et pagode en BEFEO I, 1901, pp.
la ville montre qu’il était ruines dans la forêt (Vien 99-118. L’auteur rap-
accompagné par de bons Chan) » (1871-72, p. 389, porte qu’« Au moment
informateurs. On sait absente dans l’édition précis où commence
d’ailleurs que durant de 1885), qui montre cette ère nouvelle, il
la visite, le capitaine de un sanctuaire avec une nous a paru intéressant
frégate Doudart de Lagrée profusion de grands stûpa, de fixer l’image de la à l’endroit où « Une porte voûtée, d’une construction doc. 2. Détail d’un plan
interrogea les vieillards lieu qui ne peut être iden- de Vientiane en 1900.
sur les traditions histo- tifié. Les réinterprétations
vieille ville et surtout solide, permet de déboucher dans la campagne (… ) » (source : E. Lunet
d’étudier avec quelque
riques du royaume de sont particulièrement détail les nombreuses
– et signalait qu’il avait effectué le relevé de la partie est de Lajonquière, « Vieng-
Vientiane. évidentes lorsqu’il s’agit Chan, la ville et les pago-
de vues paysagères
pagodes qui en font de cette enceinte, alors qu’E. Doudart de Lagrée des », BEFEO I, 1901)
7. L’une des illustrations l’ornement et que des
du Voyage d’exploration
(l’illustration qui, dans le
restaurations malhabiles
s’occupait de la partie ouest11. Le capitaine Lunet de doc. 3. Plan de Vientiane
même ouvrage, montre
– un « dessin de E. Thérond,
le temple de Vat Phu
ne tarderont sans Lajonquière, qui présente en partie liminaire de son article levé et dressé par
d’après un dessin de doute pas à déformer » l’enseigne de vaisseau
M. Delaporte » du porte- posé sur le sommet de le plan général de la ville, évoque quant à lui de façon Le Blévec (Mission
(p. 100). Pour la recon-
la montagne en est un
cierge du Vat Sisaket struction de Vientiane au relativement précise ce mur qui entoure la ville « propre- hydrographique du Haut-
–comparée à l’objet ori- exemple très significatif). Mékong, 1895-98).
ginal, prouve la grande
début du XXe siècle, cf. ment dite », où sont situés également les quelques bâti-
9. « Arrêté portant règle- S. Clément-Charpentier,
précision des « croquis »
ment pour la Mission « Les débuts de Vien- ments de la nouvelle administration. Il le perçoit comme
exécutés par l’artiste en
un temps aussi limité.
archéologique d’Indo- tiane, capitale colo- étant divisé en trois sections, correspondant en gros
Chine », BEFEO I, p. 67. niale », Recherches
8. D’une façon para- Un arrêté du 20 janvier nouvelles sur le Laos,
à trois côtés, qui enferment sur quelque 5 kilomètres un
doxale, il semble que 1900 change la déno- pp. 287-337. espace où la rive du Mékong forme un arc de cercle.
54 Vientiane au regard de l’archéologie
doc. 5. Détail du plan parcellaire de Vientiane levé par le géomètre Quilici en 1912.
14. Il s’agissait de struc- 0 m 40 » (op. cit. p. 101). 16. BEFEO XII, p. 192. section au départ de la porte du That-Luang. Selon le
tures monumentales La première porte devait Il ajoute qu’on détruisit
capitaine, celle-ci ne présentait plus rien de particulier :
comme le laissent croire se trouver dans la zone « avec une méthode
ces détails donnés par de l’intersection de la rue aussi rigoureuse les le mur d’enceinte y était presque complètement écroulé
Lunet de Lajonquière : Khoun-Bolom avec les murs d’enceinte du Prah et il était couvert de terre et de gros arbres.
« Ces portes étaient for- deux rues Khua-Luang et Keo, qui se trouvaient
mées de bastions hexa- Thong-Khan-Kham, peut- cependant hors du tracé
gonaux appuyés par un être sur l’emplacement des routes nouvelles, Le capitaine Lunet de Lajonquière et H. Parmentier
de leurs côtés au mur du petit terre-plein qui pour en extraire les
d’enceinte. Les murs de marque le nœud entre dalles ajourées et en présentent Vientiane en s’attachant plus spécialement
ces bastions, hauts de ces trois routes. La sec- orner – et de quelle heu- à la description de ses temples. Il serait vain et fasti-
8 mètres, sont encore onde porte devait se reuse façon ! – l’étrange
assez bien conservés. trouver à l’intersection bâtisse pseudo-Renais- dieux de résumer ici leur travail, d’autant plus que nous
Ils sont couronnés d’une actuelle de la rue Kou- sance qu’on destinait aurons à revenir sur certaines de leurs observations à
sorte d’ornement en Vieng (prolongement à l’Ambulance ».
forme de fer de lance de la rue Khoun-Bolom) 17. Ce plan, signé par
propos des découvertes qui ont été faites récemment
d’une épaisseur de avec la rue Mahosot le géomètre Quilici, est dans la ville. Nous nous contenterons de rappeler une
80 centimètres environ, qui remonte depuis le signalé comme étant
avec 1 mètre de dia- Mékong vers les villages « vu » par le commissaire
remarque faite par H. Parmentier, à savoir que les monu-
mètre et 1 mètre 50 de de Nong Bone et de du gouvernement nommé ments les plus importants de la ville (temples et palais)
hauteur. Ces ornements Si Sangvone (ancienne Klein et « approuvé » par
sont séparés l’un de route du That Luang). le Résident supérieur
étaient concentrés dans sa partie amont (au départ du
l’autre entre les points 15. L’art du Laos, du Laos. Il devait donc confluent de la Nam Passak) et sur les bords du Mékong
extrêmes de leur grand PEFEO, 1954, p. 90 s’agir d’une proposition
diamètre horizontal par (nous utilisons la réédi- d’urbanisme qui a été
– ce qui nous amènera à réfléchir sur la façon dont le
un intervalle d’environ tion enrichie de 1988). retenue. reste de l’espace cerné par l’enceinte était occupé.
56 Vientiane au regard de l’archéologie
offert gracieusement à
l’antenne laotienne de
l’EFEO une copie digitale
de la cinquantaine de
clichés qui concernent
Vientiane.
22. M. Déricourt, « Obser-
vations archéologiques
aériennes », BEFEO L-2,
1962, pp. 519-527. Les
couvertures aériennes
furent effectuées en
1952-53 et 1958. Le
pilote et rédacteur pré-
cise qu’il a été aidé par
H. Deydier, P.-B. Lafont
et M. Giteau. Vientiane
n’est évoqué qu’à pro-
pos d’une route qui aurait
mené de Phon Pixai
(rive droite du fleuve) au
That Luang, la dernière
section venant du nord
sur une distance de
près de 8 kilomètres (!).
L’article ne comporte
aucune reproduction
photographique.
23. Cf. également
B. Sisoulath, Vientiane,
stratégies du développe-
ment urbain, thèse pour
le doctorat de géogra-
phie, 2003, doc. hors-
texte, ch. 1.12. L’origine
de cette photo n’est pas
connue, mais il s’agit
d’un document français.
Il se peut qu’elle ait été
prise par M. Déricourt.
24. Ibid, doc. hors-texte,
ch. 1.11 et ch. 2.13-14.
N
doc. 7. Photographie aérienne de l’actuelle zone du km 3 (collection Williams-Hunt, cliché du 13 avril 1946).
Une photographie aérienne de la ville datée de 1952 1977 –qui cite pour la première fois l’extension de la
(doc. no 8) révèle pourtant une configuration de l’espace première enceinte – il est précisé que la muraille a déjà
qui aurait tout de suite intéressé un spécialiste23. Sur été remplacée par la route, en particulier entre le Vat
une carte de 1953, la route de Sok Pa Luang n’est pas Sok Pa Luang et le Vat Si Amphone, où rien ne subsiste
encore indiquée ; elle ne commence à apparaître qu’à des premiers aménagements. La première enceinte
partir de 1958 et de 1961, sur un tronçon limité qui va – les photographies aériennes le prouvent – trouvait
jusqu’au temple qui lui donne son nom24. Il semble que également une prolongation sur la rive droite du Mékong,
ce soit en fait seulement à partir de la fin des années entourant l’actuelle ville thaïlandaise de Si Chiang Mai.
1960 que cette partie ancienne de la ville fut véritable- Une étude prochaine mettra en évidence le caractère
ment redécouverte, à l’occasion d’un nouveau dével- uniquement défensif de cette dernière, doublant la bar-
oppement de l’urbanisation. Dans le rapport daté de rière naturelle que constituait le fleuve.
58 Vientiane au regard de l’archéologie
doc. 8. Photographie aérienne de Vientiane, 1952 (source inconnue). doc. 9. Photographie aérienne de Vientiane et de la zone péri-urbaine.
(collection Williams-Hunt, cliché du 26 novembre 1947).
25. BEFEO XXXVII, 1938, L’enceinte du 3e niveau, ou enceinte extérieure, avait déjà Les recherches ont été commencées sur une partie de
chronique “Laos”, p. 678.
Le rédacteur de la chroni-
été mentionnée brièvement en 1938 par Jean-Marie la route menant à Phone Thong, à proximité de la jonc-
que évoque dans la syn- Claeys, après un survol aérien de la région de Vientiane tion du canal Hong Seng avec la Nam Passak, qui était
thèse qu’il fait du rapport
de J.-Y. Claeys « une vaste
avec un appareil militaire 25. Il semble qu’au sol apparemment le point de départ de cette enceinte à
enceinte polygonale dont l’archéologue se consacra davantage à l’étude des tem- quelque 3 kilomètres, donc, de la berge du Mékong.
les traces très nettes
sont délimitées par des
ples (en particulier le Vat Phra Kaeo) qu’à des prospections De cette route jusqu’à un pont franchissant le canal
haies vives ». Deux pho- liées à la configuration ancienne de la ville –et plus aucune Hong Seng, à la hauteur d’un village peuplé par des Tai
tographies aériennes
annotées accompagnent
information n’est publiée sur le sujet avant le rapport sur Dam, fut mesurée une longueur de 515 m, dont 145
le texte et renforcent les enquêtes de terrain de 1977. La distance qui éloigne montraient encore une partie de la muraille sous la
son intérêt.
cette importance structure du cours du Mékong, de même forme d’une digue (« ku »), haute d’environ 1,50 m. Du
26. P.-M. Gagneux
(“Notes… ”, op. cit.) que le fait qu’elle soit restée longtemps en dehors de la pont jusqu’aux rizières dépendantes de Phone Kheng,
signale à propos de la zone urbanisée, expliquent peut-être son « oubli ». La lon- cette digue s’étendait en 1977 sur une distance de
région de Phone Kheng
qu’« à l’ouest de la RN 13 gueur de son tracé –elle s’étend sur plus de 14 kilomètres 997 m. La mise en culture des terres ainsi que la
des débris sont encore – et des différences importantes en ce qui concerne son construction de maisons avaient cependant endommagé
visibles et dominent
légèrement la rizière. état de conservation ont pu également gêner la compréhen- la structure. Le tracé est parallèle à celui du canal Hong
À quelques dizaines de sion de sa fonction. Parmi les photographies aériennes Seng (extérieur à la digue), dont il n’était séparé que
mètres de la route, on
voit en particulier les du XXe siècle qui sont maintenant à notre disposition, par une distance de 7 à 9 m. Des rizières de Phone
traces du soubassement l’enceinte extérieure n’apparaît dans toute sa longueur Kheng au pont de ce même ban, sur la grande route
d’un petit édifice de plan
carré d’environ 2,50 m que sur des clichés pris en 1947 (doc. no 9). Elle forme (no 13) qui mène à Done Noun, la digue était encore
de côté (petit bastion ? alors véritablement une ligne continue, dont l’épaisseur visible sur une distance de 250 m (sur 400 m de tracé).
porte ?) ».
toutefois est variable. Le rapport de 1977 du département À proximité du pont, sur une longueur de 80 m perturbée
des Bibliothèques, des Musées et de l’Archéologie lui est par les travaux de riverains, des briques avaient été
en grande partie consacré, car elle est divisée en sections trouvées, révélant l’existence d’une muraille haute de
de directions différentes qu’il fallait d’abord reconnaître 2 m 26. Du pont de Phone Kheng en direction du beung
et décrire, en fonction de ce qui subsistait à l’époque. (étang de) That Luang jusqu’à Ban Thong Ton, sur une
Michel Lorrillard 59
35. Les vestiges les de la domination birmane qui avait pesé pendant plu- des Siamois. Enfin, parce que la construction de la
plus importants étaient
concentrés au début
sieurs décennies sur lui, il est de toute façon douteux muraille extérieure était un projet à long terme que l’on
du XXe siècle dans les que la muraille intérieure ait déjà atteint les dimensions ne peut attribuer simplement au désir de vengeance
premières sections de
l’enceinte intérieure
qui furent relevées par le capitaine Lunet de Lajonquière de Chao Anou. Celui-ci ne compta d’ailleurs pas sur sa
(cf. supra). Il n’est pas en 190035. Il est encore plus difficile de préciser les ville pour le défendre : à deux reprises il la fuit – et sa
sûr que la partie située
en aval ait comporté
dates de construction de son extension, qui rejoignait rebellion était d’ailleurs une opération offensive (qui
des portes, ni même le Mékong un peu plus loin en aval. Rien ne prouve par manqua son but) calculée pour être courte, plutôt qu’une
qu’elle ait été véritable-
ment achevée.
ailleurs que cette seconde ligne ait eu le même rôle que longue campagne de résistance basée sur des moyens
36. Les sources la première : aucune structure défensive n’y a été relevée de défense organisés. La construction de cette enceinte
épigraphiques montrent –et il n’est même pas sûr que des briques y aient été dût être étalée sur plusieurs décennies et l’on peut
que les temples dispo-
saient d’un territoire retrouvées. Nous savons qu’elle entourait un quartier penser que ce n’est pas uniquement contre l’ennemi
dont la surface, bien où de nombreux fours à céramique ont été mis au jour siamois qu’elle fut originellement prévue. Tout au long
délimitée, pouvait être
très importante. (cf. infra) et il est possible qu’elle ait eu pour rôle de des XVIe et XVIIe siècles, les menaces birmanes et
37. L’inscription du Vat protéger ou de délimiter une zone où étaient concentrées vietnamiennes furent importantes. À celles-ci s’ajoutèrent
Nong Bone, datée du
12 septembre 1567,
les activités artisanales – voire des îlots d’habitat qui au début du XVIIIe siècle le danger que représentait la
rapporte que la limite ne pouvaient se trouver à proximité immédiate des capitale rivale, Luang Prabang, contre laquelle plusieurs
orientale des terres
affectées au That Luang
grands temples et de leur domaine36. guerres furent menées. C’est probablement au cours
est le ku khamphaeng. du XVIe siècle qu’il faut dater le début des travaux37,
Il ne peut s’agir ici que
de l’enceinte extérieure.
L’enceinte extérieure, quant à elle, fut probablement qui auraient alors pu durer jusqu’à l’intervention et à
Cf. M. Lorrillard, « Les construite pour pallier les insuffisances de l’enceinte la victoire siamoises de 1778. À cette époque, les
inscriptions du That Luang
de Vientiane : données
intérieure. Pas plus que celle-là, elle n’empêcha cepen- murailles extérieures auraient ainsi pu être l’objet de
nouvelles sur l’histoire dant une conquête de la ville à chaque fois qu’une premières destructions – auxquelles s’ajoutèrent celles
d’un stûpa lao », BEFE0,
90-91, 2003-2004,
attaque se produisit. Il n’est pas certain, de toute façon, qui furent orchestrées en 1828.
pp. 289-348. qu’elle ait jamais été achevée. Les parties massives
ont été retrouvées sur des tronçons totalisant une lon- L’enceinte intermédiaire, que nous considèrerons d’abord
gueur d’environ 6 kilomètres – et l’on peut douter que dans sa partie nettement délimitée – c’est-à-dire dans
les huit kilomètres restants aient disparu uniquement son tracé purement rectangulaire – pose un problème
à cause des pillages de matériaux, des constructions beaucoup plus important pour l’historien. La géométrisa-
de routes et des bouleversement apportés par les tion de l’espace ainsi que la nature matérielle de cette
mises en culture des terres. Il est plus vraisemblable structure (il s’agit de levées de terre, aucune structure
que les constituants, les dimensions et la solidité de en brique n’ayant été identifiée) a conduit les auteurs
cette enceinte n’aient pas été partout les mêmes, et du rapport de 1977 à la différencier nettement des
que sur une partie de sa longueur elle ait ressemblé enceintes intérieure et extérieure, tant pour la datation
davantage à une digue ou à une levée de terre qu’à que pour la fonction. Deux hypothèses sont alors avan-
une véritable muraille. cées : soit il s’agit d’une simple digue de la période du
Lan Xang, destinée à canaliser l’eau ; soit, et c’est la
Les rédacteurs du rapport de 1977 attribuent la respon- thèse qui domine, il s’agit d’un ouvrage attribuable aux
sabilité de la construction de cette enceinte à Chao Khmers. Dans ce dernier cas, cependant, le rôle de la
Anou, considéré par l’historiographie nationale comme structure n’est pas explicité. La solution proviendra peut-
le héros de la lutte pour l’indépendance du pays. Cette être d’une étude attentive du terrain, et surtout de la
thèse est cependant peu défendable. D’abord parce prise en compte de cet élément essentiel qu’est le
que Chao Anou – investi roi de Vientiane par le pouvoir positionnement du rectangle par rapport à l’édifice sacré
siamois autour de 1804 – était un prince étroitement le plus important du Laos, le That Luang.
surveillé qui n’aurait pu impunément fortifier sa ville.
Ensuite parce qu’il semble avoir prouvé sa fidélité envers L’idée selon laquelle il faudrait réduire cette structure à
Bangkok au moins jusqu’à la mort de Rama II, en 1824, un ouvrage purement hydraulique ne résiste pas à
en conduisant des opérations militaires pour le compte l’examen sommaire de l’espace : l’intérieur du rectangle
Michel Lorrillard 63
n’est pas une surface plane où l’eau pouvait s’écouler également expliquer la présence dans les musées de 38. Le coin nord-est
du rectangle est situé
de façon régulière et égale, mais un terrain dont tout le la ville d’un petit nombre de sculptures de facture à l’endroit où a été bâtie
côté oriental s’étend précisément sur la ligne la plus khmère, dont certaines peuvent avoir été produites l’une des deux réserves
d’eau de la ville, sur la
élevée de la ville (l’esplanade du That Luang est située localement. Il faut à ce sujet considérer d’un œil tout hauteur de Phone Kheng.
à la cote 177) et dont l’alimentation en eau était ainsi à fait nouveau le That Luang qui, bien qu’extérieur à 39. Découverte en 1951
empêchée38. Il ne fait pas de doute, ainsi, que les angles l’enceinte rectangulaire, est positionné sur l’axe central (H. Deydier, Introduction
à la connaissance du
nord-est et sud-est, distants l’un de l’autre de quelque de cette dernière et dans sa proximité immédiate, Laos, Saïgon, 1952,
1 300 m, aient été choisis précisément en fonction de comme s’il dominait l’ensemble. Des objets de facture p. 13) – apparemment
dans les environs immé-
leur position élevée. Les deux autres angles sont éloi- mône et khmère de diverses provenances (situées dans diats du That Luang –
gnés de quelque 1 850 m (2 300 m quand il s’agit de la plaine de Vientiane) sont aujourd’hui conservés dans cette statue a été
longtemps conservée au
l’angle opposé) et sont situés dans une zone basse dont la galerie ouest de l’édifice – mais il apparaît que parmi Vat That Luang Neua,
les limites s’expliquent plus difficilement. Les photogra- ceux qui relèvent de la seconde catégorie, le lieu de avant d’être finalement
déposée dans la galerie
phies aériennes des années 1940 aux années 1960 mon- découverte fut tout proche. C’est le cas en particulier ouest du grand stûpa.
trent toutefois que l’angle sud-ouest était cerné par un d’une grande statue en pierre de Buddha en méditation M. Giteau (Art et archéol-
ogie du Laos, 2001,
grand arc de cercle qui démarrait exactement sur le côté (doc no 13), que les spécialistes d’histoire de l’art p. 66) se prononce nette-
sud du rectangle, à la hauteur de Phone Say (une autre présentent comme un exemple retravaillé – à une ment pour une identifica-
tion avec Jayavarman VII
éminence), mais qui coupait de façon perpendiculaire époque imprécise – de la série des grandes effigies et admet la possibilité de
le côté ouest pour se prolonger jusqu’à la Nam Passak présumées de Jayavarman VII (± 1182 / ± 1220)39. Ce retouches sur plusieurs
parties de l’image. Celle-
(cf. par exemple doc. no 12). La zone inscrite dans un type d’image étant nécessairement associé à une struc- ci serait alors la seule,
arc de cercle dont le centre serait situé à proximité du ture architecturale, il faut alors peut-être remettre en parmi toutes les effigies
présumées du roi khmer,
Patu Xay est délimitée de façon très nette et s’oppose question notre perception de l’espace concerné. Si le dont les bras ont été
au croissant de rizières (Hnong Bone, Si Boun Huang) That Luang est un stûpa lao qui a connu plusieurs entièrement conservés.
40. Cf. M. Lorrillard,
qui l’entourait. En 1946, ces dernières apparaissent stades de construction depuis au moins le début du « Pour une géographie
comme des parcelles aux formes géométriques et la XVIe siècle, il n’est pas du tout improbable, par exemple, historique du boud-
dhisme au Laos »,
rupture avec l’espace formé par le quart de cercle de qu’il couvre un monument nettement plus ancien, dont Recherches nouvelles
l’angle sud-ouest est alors nettement apparente. Comme la fonction aurait pu être différente. C’est même ce sur le Laos (Y. Goudi-
neau & M. Lorrillard,
le processus d’urbanisation a suivi un mouvement dif- que paraît attester une allée rectiligne formée de blocs éd.), Études thématiques
férent, on ne peut expliquer cette singularité que par de latérite – matériau dont les Khmers firent grand 18, EFEO, 2008, p. 127.
l’existence d’un peuplement de la zone plus ancien que usage – qui a été mise au jour en 1976 dans sa cour, 41. Plusieurs vestiges
khmers sculptés dans
celui de la ville bordant le Mékong. On pourrait alors, à l’occasion de travaux pour l’aménagement d’un sys- le grès, dont une triade
entre les enceintes intérieure et extérieure de la capitale tème antifoudre 40. La présence à proximité, au Vat bouddhique typique du
règne de Jayavarman VII,
du Lan Xang, avoir les limites de deux espaces Phon Pa Nao, d’une autre pièce d’architecture khmère ont été identifiés à Ban
d’occupation antérieurs qui se chevauchaient – l’un de – un antéfixe d’angle avec tête de naga – pourrait-elle Na Kathang (province de
Savannakhet). La photo-
forme ovale dont une partie aurait pu disparaître par les aussi attester du caractère historiquement très marqué graphie satellitaire mon-
mises en culture, l’autre de forme rectangulaire. de cette zone. Dans ce cas, l’enceinte rectangulaire tre que le lieu de décou-
verte était cerné par une
de Vientiane serait alors à rapprocher de structures très large enceinte en
Ce schéma n’est pas sans nous rappeler le plan des semblables qui ont existé dans les provinces thaïlan- levée de terre de forme
carrée. Deux temples
fameuses villes « rondes » et de plan rectangulaire que daises proches d’Udon Thani et de Sakorn Nakhon – angkoriens d’époque
la photographie aérienne a permis de repérer dans le ainsi que dans la province lao de Savannakhet, comme tardive se trouvent dans
la même région.
nord-est de la Thaïlande. Les premières sont associées l’ont montré des découvertes récentes 41. 42. Cf. M. Lorrillard, “Les
aux sociétés organisées et hindouisées les plus inscriptions… ”, op. cit.
anciennes (début du premier millénaire), formées en Cet espace rectangulaire que dominait le That Luang
particulier par des populations mônes. Les secondes pourrait toutefois avoir une explication toute différente :
indiquent une influence (voire une occupation) khmère. les stèles qui commémorent les donations au monu-
Cette hypothèse n’a rien de surprenant au vu des ves- ment font état de terres dont l’identification n’est pas
tiges môns retrouvés in situ dans toute la plaine de toujours aisée ; il se peut alors que l’enceinte intermé-
Vientiane, y compris dans la capitale. Elle pourrait diaire ait correspondu à leur délimitation physique42.
64 Vientiane au regard de l’archéologie
doc. 13. Statue parurent toutefois décevants, car on ne trouva dans cet
de Jayavarman VII (?),
musée du That Luang
espace, qui touchait directement aux domaines du Vat
(fin XIIe – début XIIIe s.) Ho Phra Kaeo et du Vat Sisaket, aucune trace de struc-
ture monumentale. Dans le quartier aval de Vat Nak –
dont nous avons déjà mentionné la spécificité (il était
entouré par l’extension de l’enceinte intérieure) – les
travaux de fondation préludant à la construction de divers
bâtiments avaient déjà révélé, à partir du début des
années 1950, une grande concentration d’objets en
céramique, ainsi que la présence de fours 43. Ce n’est
cependant qu’en 1989 que la zone fut étudiée avec
des méthodes scientifiques : il s’agissait alors de la
première campagne de fouilles professionnelles menée
au Laos, grâce à une coopération entre le département
43. Henri Deydier (op. Le site de Vientiane – jusqu’à récemment – pourrait des Musées et de l’Archéologie du ministère de
cit., p. 92) signale déjà
« l’existence d’un site
donc avoir conservé les traces d’occupations organi- l’Information et de la Culture de la RDP Lao et l’Université
à poterie ancienne (… ) sées de l’espace, antérieures de plusieurs siècles à de Sydney44. La découverte plus récente d’un four dans
à proximité du km 4 ». Il
se base peut-être sur les
l’émergence de la capitale lao. Le développement de le quartier de Ban Naxai, à proximité du That Luang, a
observations de H. Mar- l’urbanisation à partir des années 1960 – phénomème montré que d’autres parties de la ville pouvaient contenir
chal –faites semble-t-il
dans les années 1930 –
interrompu pendant les premières années de la RDP des zones artisanales.
mais publiées seulement Lao, mais repris de façon exponentielle depuis le début
en 1959 (« Notes sur quel-
ques pipes en céramique des années 1990 – tend aujourd’hui à brouiller l’histoire
trouvées au Laos et en de la ville, tout en faisant réapparaître, de façon régu-
Birmanie », BSEI XXXIV
– 4, pp. 395-401). La lière, des vestiges qui en éclairent certains pans.
construction du Collège
technique lao-allemand
amena de nouvelles Les découvertes récentes :
découvertes (cf. C. Velder,
« La poterie du Wat Sisat- le patrimoine enfoui
thanak, Vientiane (Laos) »,
South East Asian Studies, sous la route no 1
1965), en particulier
celles de plusieurs fours, Des enquêtes de surface
au cours de l’extension Un pas important pour la connaissance du passé de
des bâtiments en 1970. à une archéologie du sous-sol
44. D. Hein, M. Barbetti,
la ville a été franchi très récemment avec les fouilles
Th. Sayavongkhamdy, An qui ont été menées – au cours de trois campagnes
Excavation at the Sisat-
tanak Kiln Site, Vientiane,
Les travaux du capitaine Lunet de Lajonquière et de successives (2004, 2005, 2006-2007) – à l’occasion
Lao PDR, 1989, Sydney, H. Parmentier, menés à Vientiane au début du XX e des travaux de rénovation de la route no 1 financés par
1992. Cette campagne a
permis de mettre au jour
siècle, étaient basés sur des relevés effectués en sur- la coopération japonaise45.
quelque 42 000 objets face. L’approche était alors davantage celle d’architectes
ou fragments, dont une
grande partie de pipes, et d’historiens de l’art que celle d’archéologues. Les Jusqu’à ces dernières années, l’axe routier principal
jarres et bols. premières fouilles dans la ville encadrées par une auto- qui traverse Vientiane dans sa longueur – divisé en deux
45. Pour toute cette rité spécialisée – le département des Monuments his- rues à sens unique dans sa partie centrale – avait donné
partie, nous tenons à
remercier chaleureuse- toriques du ministère des Cultes – semblent avoir été lieu à un certain nombre de réparations de surface,
ment Mme Naho Shimizu
celles qui furent conduites en 1974 à l’occasion de la toujours sommaires et hâtivement menées. En 2003,
et MM. Thongsa Saya-
vongkhamdy, Viengkeo construction d’un Centre pédagogique national, au un accord a été signé entre les gouvernements lao et
Souksavatdy et Haru-
nobu Kobiki pour leurs
croisement des rues Setthathirat, Mahosot et Sam-Saen- japonais pour un projet de réhabilitation complète de
précieuses indications, Thai. Encore s’agissait-il d’une opération de sauvetage, la « route no 1 », entre l’aéroport de Wattai et le pont
ainsi que pour la mise à
disposition d’un certain
menée rapidement et sans grands moyens. Si quelques international de l’Amitié – soit une longueur d’environ
nombre de documents. objets importants furent mis au jour, les résultats 27 km46. Une attention particulière a été portée par les
Michel Lorrillard 65
auteurs du projet à la portion de route située dans la les travaux de réhabilitation de la route no 1. La décision
partie historique de la ville, protégée par un décret prési- fut prise d’effectuer des recherches archéologiques sur
dentiel sur le patrimoine culturel. L’Agence de coopé- la quasi-totalité de la zone qui avait été concernée par les
ration internationale japonaise (JICA) a ainsi demandé sondages, soit près de 7 km – en ajoutant à la longueur
à la principale entreprise engagée dans le projet de de la rue Sam-Saen-Thai celle que compte la rue Set-
réaliser une étude pilote destinée à évaluer l’impact thathirat entre les deux jonctions 52. La campagne de
des travaux sur les vestiges archéologiques enfouis. fouilles a démarré en février 2006 et s’est achevée en
Au cours de l’année 2004, 32 sondages furent réalisés avril 2007. S’il est encore trop tôt aujourd’hui pour tirer
sur le tracé des rues Setthathirat et Sam-Saen-Thai47 les conclusions de cette opération – le rapport de fouilles
par une équipe d’archéologues japonais, en coopération étant toujours en cours de rédaction53 – un certain nombre
avec le département de l’Archéologie et des Musées 48. d’éléments peuvent toutefois être déjà signalés 54.
Les résultats de ces fouilles dépassèrent les prévisions,
puisque quelque 13 779 « artefacts » (fragments d’objets La première phase de la campagne de fouilles a été
manufacturés) furent mis au jour, réunissant de la consacrée à deux portions de la route no 1 : celle occupée
céramique (locale et d’importation), des objets en métal, par la rue Sam-Saen-Thai, depuis la fourche en amont
en pierre, en verre et en bois, ainsi que des éléments située en face du Novotel (à une station à laquelle on
d’architecture (briques, tuiles, etc.)49. a donné la référence « 0000 » = 0,000 km) jusqu’à la
fourche du Vat Si Muang (station 3 200 = 3,200 km),
La diversité et la richesse quantitative de ces objets et celle qui la prolonge en aval jusqu’au croisement de
conduisirent l’année suivante à la réalisation de 15 nou- That Khao (station 7 200). La phase no 2 a concerné
veaux sondages dans la zone en amont située directe- plus particulièrement la rue Setthathirat55.
ment à l’extérieur de la première enceinte (ou tout au
moins de son emplacement présumé), afin de vérifier si 46. Cf. Le chapitre de khamdy et Viengkeo tions des rues Settha- des informations essen-
B. Sisoulath et C. Gold- Souksavatdy. thirat et Sam-Saen-Thai tielles sur les résultats des
les témoignages archéologiques ne débordaient pas les blum dans la quatrième avec la rue Khoun-Bolom. fouilles de 2006-2007.
49. Les résultats de
limites assignées à la ville de ce côté50. Un total de 705 partie de cet ouvrage. cette première cam- Les excavations mesu- 54. Les interprétations qui
raient 2 × 2 m en surface
artefacts seulement furent retrouvés dans 9 des 15 47. Les sondages furent pagne sont consignés suivent n’engagent que
effectués dans l’espace dans un rapport bilingue et 1,50 m en profondeur. l’auteur de cet article. La
points de fouilles, dont la nature et la fréquence corres- enfermé par l’enceinte japonais-anglais (pp. 63 51. Les points de son- publication du rapport de
pondent en gros à celles qui avaient été notées pour la intérieure, depuis son à 108 pour l’anglais) : dage les plus riches fouilles devra bien entendu
emplacement présumé, Buried Cultural Proper- en fragments – TPB06 conduire à la révision de
première campagne. Ils étaient concentrés essentielle- à proximité de la Nam ties – Pilot Survey in (306 artefacts) et TPB15 certains points de vue.
ment dans la mince bande de terre qui borde la rive Passak, jusqu’à la jonc- Vientiane No. 1 Road – sont situés sur la rue 55. La portion occupée
tion de la rue Kou-Vieng (sous la direction de Setthathirat de part et
gauche de la Nam Passak, c’est-à-dire à proximité immé- par la rue Setthathirat
avec la route de Tha H. Kobiki), JICA / Koku- d’autre du tracé présumé
depuis la fourche du
Deua. Un des critères de sai Kogyo Co. Ltd, 2004. de l’enceinte.
diate de l’ancienne muraille (qui n’avait d’ailleurs pas sélection fut la proximité Novotel jusqu’à celle du
50. Les résultats de 52. La portion de la route
pu être retrouvée à cette occasion)51. La carte de 1905 supposée ou connue cette campagne sont
Vat Si Muang forme le
no 1 comprise entre le tracé qui se situe entre
d’anciens temples. Les
–rappellent les archéologues – montre que la plupart des portions séparées des
consignés dans The croisement de That Khao les cotes 3200 et 6900.
Buried Cultural Property et la jonction de la rue
habitations qui étaient à cette époque situées à l’extérieur rues Sam-Saen-Thai et Survey Report for the
Ainsi la première fourche,
Setthathirat donnèrent Kou-Vieng n’a pas été considérée dans tous
du mur étaient riveraines du Mékong, et que la zone respectivement lieu à
Detail Design Study
fouillée, en dehors des les cas comme un point
on the Project for the
étudiée était alors surtout occupée par des rizières et 12 et 13 sondages. Les sondages opérés pendant de départ, est associée
Improvement of the Vien-
excavations pouvaient la première campagne. – selon la rue dans
des marécages. Ceci explique le peu de découvertes qui atteindre, dans le meil-
tiane No. 1 Road in Lao
53. Les fouilles ont laquelle on s’engage –
People’s Democratic
ont été faites. Il est en effet difficile de croire que cette leur des cas, 5 m de Republic, (sous la direc- cependant été suivies en aux cotes 0000 (Sam-
longueur pour 3 m de tion de H. Kobiki), JICA / 2007 par la production du Saen-Thai) et 3200 (Set-
partie ait été urbanisée durant la période du Lan Xang, largeur et 3 m de profon- thathirat) – alors que la
Katahira Engineering Co. Preliminary Report on the
puis convertie en zones humides par la suite. deur. Les dimensions Ltd, 2005 (53 pages). Buried Cultural Properties seconde fourche, consi-
furent adaptées aux Les travaux ont été effec- Salvage Works for the dérée comme un point
situations. tués du 15 au 26 août Project for Improvement d’arrivée, est respective-
Les travaux de sondages effectués en 2004 et 2005 48. Ces fouilles, comme 2005, dans la zone trian- of Vientiane Road No. 1 ment associée aux cotes
celles qui suivirent, gulaire comprise entre le (Consultant Team for 3200 et 6900. C’est à
apportèrent un certain nombre de repères, mais firent éga- furent réalisées sous la début de l’avenue Sou- Archaelogical Works), partir de cette dernière
lement prendre conscience de l’importance qu’il y avait à responsabilité et la direc- phanouvong (parc avec sous la direction de cote qu’est calculée la
tion conjointe de Mes- les statues de Fa Ngum H. Kobiki. Ce document distance qui s’étend
organiser des fouilles de sauvetage dans la ville ancienne, sieurs Harunobu Kobiki, et de l’éléphant tricé- de 41 pages, abondam- jusqu’au croisement
avant les destructions irrémédiables occasionnées par Thongsa Sayavong- phale) et les intersec- ment illustré, donne déjà de That Khao.
66 Vientiane au regard de l’archéologie
In Peng possède encore – bien qu’en ruines – de nom- 59. Sur le plan de 1905
et sur celui de Parmen-
breuses structures architecturales qui sont qualifiées tier daté de 1912, ce
par l’architecte de vat (A, B), bibliothèque (C), chapelle stûpa est situé à l’est
d’un temple en ruine qui
(D), that (E, F, G, H), porte (I) et enceinte (doc. no 16). s’appelle le Vat Phom
Les deux vat étaient construits parallèlement au Mékong A Kham. L’architecte
déclare ce dernier « dis-
et orientés vers l’est, avec un léger retrait vers l’ouest paru en 1927 » (note
de l’édifice sud par rapport à l’édifice nord. H. Parmentier actualisant son premier
texte), et rapporte que le
ne dit rien de leur fonction respective, mais il pouvait stûpa est un « that consi-
s’agir en fait d’un vihan – pour le plus grand bâtiment – dérable octogonal, mais
tout masqué de végéta-
et d’un uposatha, ce qui aurait alors traduit soit une tion » (L’art du Laos,
influence ancienne venant du nord (Lan Na), soit une p. 114). Certains habi-
tants de Vientiane gar-
influence plus récente originaire du Siam. Le second dent la mémoire que
bâtiment, qui était complètement ruiné, dut être rasé le That Dam s’appelait
autrefois le That Kham.
pour laisser la place à des habitations bordant la nou-
60. Il est visible sur la
velle rue –et le côté nord de l’enceinte fut ramené à la carte de Quilici, mais pas
hauteur de la bibliothèque, que la rue actuelle longe sur celle de Parmentier.
doc. 15. Quartier du Vat In Peng (détail du plan de 1905).
dans sa longueur. Le plan du sanctuaire de Parmentier
indique qu’il n’existait pas de bâtiment entre la biblio-
thèque et le petit vat, mais les fouilles récentes menées
sur cette portion de la route no 1 ont tout de même révélé
les restes de structures en brique, dont un important
parvis au-dessus duquel devait s’élever l’ancienne porte
principale (doc. no 17).
petite structure ronde qui aurait pu servir, sinon de doc. 20. Portion
de l’ancienne enceinte
puits, au moins de réserve d’eau. Le Vat Ong Teu avait du Vat Ong Teu.
face à lui, au nord, le Vat Hai Sok. Sa position était
toutefois en retrait et aucun élément pouvant lui être
rattaché n’a été identifié62.
69. H. Parmentier, Il semble avoir été situé sur l’emplacement actuel de une longueur d’environ 150 m, c’est-à-dire dans l’axe
op. cit. p. 113 ; L. de
Carné, op. cit., p. 176.
la place du Nam-Phou, qui aurait été déjà prévu pour de la rue Setthathirat elle-même, qui a été construite
70. M. Lorrillard, Les l’installation d’un marché en 1912 (carte de Quilici). par dessus (doc. no 22). Le lien entre cette muraille qui
chroniques royales du longe le Vat Ho Phra Kaeo et les deux murs découverts
Laos, op. cit., pp. 307-
308 ; Chot May Het À la hauteur de l’actuel ministère de l’Information et de devant le ministère de l’Information et de la Culture n’est
Rachakan Thi 3, Lem 3, la Culture, les travaux ont permis la mise au jour de deux pas évident, mais il apparaît que les trois structures ont
Bangkok, 1987, p. 139.
71. Quelques mots qui
portions de murs en brique aux tracés parallèles (direc- en gros des orientations semblables et qu’elles pour-
semblent pouvoir être tion NO –SE) – distants d’une vingtaine de mètres environ raient toutes trois faire partie de l’enceinte du domaine
lus « Pa(la) Sa Vang »
(c’est-à-dire « palais »
– qui pourraient être identifiés avec une double enceinte, proprement royal. Tout cet espace paraît en fait recéler
en lao) sont ajoutés. dont l’un des angles semble avoir été également retrouvé encore un riche potentiel : lors des travaux d’aména-
(doc. no 21). On observe en tout cas que l’orientation de gement de l’avenue Lan-Xang, au début des années
ces deux murs est sensiblement différente par rapport 2000, une portion de muraille avait également été mise
à celle de la rue Setthathirat, mais qu’elle correspond au jour, à l’angle du Vat Sisaket, face au palais prési-
approximativement à l’orientation du chemin qui longeait dentiel. À deux ou trois mètres à peine devant la grande
le côté nord-est du terrain de la Résidence supérieure muraille qui longeait le Vat Ho Phra Kaeo, et légèrement
au début du XXe siècle, avant les créations de la rue du asymétriques par rapport à celle-ci, ont été mises au
Maréchal-Joffre et de la place Sisavang. Toute cette zone jour, par ailleurs, trois rangées de bases de colonne
semble donc avoir appartenu à l’ancien palais. Des (doc. no 23), qui s’étendaient sur plusieurs dizaines de
murets perpendiculaires aux deux murs pourraient être mètres. H. Parmentier, qui s’appuie sur le témoignage
identifiés avec les fondations d’anciennes habitations. de L. de Carné, rappelle qu’au passage à Vientiane de
Passée la jonction de la rue Setthathirat avec l’avenue la Mission d’exploration du Mékong, en 1867, le palais
Lan-Xang, on trouve, à la hauteur de l’angle sud-ouest n’était « déjà plus qu’un amas de ruines couvrant encore
du Vat Sisaket, une nouvelle muraille qui s’étend sur une superficie considérable… Le plan de cet édifice ne
Michel Lorrillard 71
doc. 25. Détail du plan Nous aurions ainsi la plus ancienne stèle inscrite trouvée
de 1895-1898.
à Vientiane75. Cette donnée, ajoutée à la concentration
sur le site des bai-sema et à la proximité du Vat Si Muang
(où se trouve le fameux mégalithe que la tradition consi-
dère comme étant le pilier fondateur de la ville76), ont
conduit les autorités culturelles et politiques
à accorder une importance toute particulière au lieu de
Emplacement découverte. La célébration des 450 ans de Vientiane
de l’actuelle
ambassade approchant, la décision a été prise d’élever rapidement
de France à cet endroit un « pavillon des piliers de la ville
ancienne » 77. Quelque 90 nouveaux bai-sema (doc. no 28)
ont été mis au jour à l’occasion des travaux de fonda-
tion de cet édifice, en janvier 2010, et parmi ceux-ci une
doc. 26. Structure
stèle inscrite de 4 lignes où il est fait référence à une
carrée mise au jour des limites du domaine sacré. Une distance de 367 [vâ]
à l’angle sud de
l’ambassade de France.
jusqu’à la rive du Mékong est mentionnée, ce qui semble
© H. Kobiki, 2007 indiquer que la pierre a bien été retrouvée sur le lieu où
elle a été originellement placée78.
mentions de ruines qui apparaissent sur la carte de 72. Op. cit., p. 113. et Lagna qui se trouvent – avec un linga datant
respectivement dans de l’époque angkorienne.
1905. Le premier est trop éloigné de la rue Setthathirat 73. Les « bai-sema »,
le Bélier et le Scorpion.
en contexte lao, sont 77. C’est le nom que les
pour que des vestiges relevant de son domaine aient des bornes en pierre qui Le rük porte le chiffre 6. journaux Le Rénovateur
sont placées autour du Nous remercions J.- C.
pu être retrouvés. Ceux-ci ont d’ailleurs dû disparaître Eade, auteur d’un logiciel
et Vientiane Times don-
sanctuaire. Celles qui nent à cet édifice, dont
depuis longtemps, car toute cette zone a été urbanisée ont été retrouvées entre de conversion pour les l’inauguration est prévue
le Vat Kao Yot et le Vat différents systèmes
à partir des années 1920. Le second semble être, vu calendaires thaïs, de
en novembre 2010.
Si Muang, au nombre de
78. L’unité de longueur
sa position sur les deux cartes, ce Vat Mano (… ) men- 193, sont relativement nous avoir précisé la
qui est utilisée pour déli-
petites et de formes date. Il est à noter toute-
tionné précédemment, dont des travaux d’adduction diverses. Si plusieurs fois que certaines don- miter le domaine des
temples est toujours
d’eau ont rappelé l’existence, en 2006, par la mise au d’entre-elles ont été nées inscrites dans
le vâ (la brasse), qui
assez bien sculptées la pierre apparaissent
jour d’une stèle datant apparemment du XVIe siècle. (côtés droits et sommet incorrectes. correspond environ à
1,80 m. Nous aurions
Il est difficile de savoir si c’est à ce temple qu’il faut en ogive), la plupart 75. Jusqu’à cette décou-
donc ici une distance
ont tout de même des verte, la stèle inscrite la
rattacher la découverte en 2007 de structures en brique, formes naturelles (il plus ancienne de la ville
de 660 mètres. Aujour-
d’hui, la rive est située
de blocs de latérite et de plus de cent petits bai-sema y a un certain nombre était celle trouvée au Vat
à 500 m environ, mais
de gros galets). Phya Vat – c’est-à-dire le
(doc. no 27)73 sur la rue Setthathirat, un peu après le Vat temple directement adja- peut être reportée à
74. On trouve associés plus de 900 m, si l’on
Kao Yot – ou si c’est au Vat Si Muang, à une distance Mars aux Poissons, le cent au Vat Mano(… ) –
est en saison sèche
Soleil au Verseau, la Lune datant de 1551/52.
équivalente (une centaine de mètres). L’une des pierres et que l’on prend en
et Vénus au Capricorne, 76. H. Deydier (op. cit.
compte la plage de
porte un disque horoscopique avec la position dans les Saturne à la Balance, p. 91) pense pouvoir
sable découverte.
Jupiter au Cancer et Mer- identifier ce pilier – un
douze signes du zodiaque des six planètes et du soleil, cure aux Gémeaux. Sont prisme de latérite de 2 m 79. Op. cit., p. 114-115.
ce qui permet de dater l’inscription du 6 février 154174. en outre indiqués Rahu de haut et 60 cm de côté 80. Ibid., p. 114.
Michel Lorrillard 73
81. Naho Shimizu, Une première étude de cette répartition des vestiges Ming) 83, ainsi qu’un nombre d’objets japonais de
« Trade Ceramics Reco-
vered from the Old City
a été faite par Mme Naho Shimizu – spécialiste en l’époque Hizen plus élevé qu’ailleurs. Il est utile
of Vientiane : Preliminary céramique ancienne, qui a participé à toutes les cam- d’observer par ailleurs que toute la portion de la rue
Report on the Artefacts
Unearthed in the Buried
pagnes de fouilles sur la route no 1 – à propos des Sam-Saen-Thai qui s’étend de l’emplacement de
Cultural Property Survey objets d’importation retrouvés essentiellement sous l’ancien Vat Yot Kaeo au Vat Si Muang, soit 820 mètres
Accompanying the Pro-
ject for the Improvement
la rue Sam-Saen-Thai, sur une distance de 3,7 km (sta- (stations 2400 à 3220) a révélé beaucoup d’objets
of the Vientiane No. 1 tions 0300 à 3600 et 6760 à 7160)81. Au cours des manufacturés d’importation. Comme le souligne
Road (Phase One) in Lao
PDR”, Journal of South-
travaux menés dans le cadre de cette « première phase » Mme Shimizu, il est probable que toute cette zone, où
east Asian Archaelogy (mars 2006 – février 2007), 48 660 artefacts ont été aucune structure en brique n’a été retrouvée, a pu être
27, 2007, pp. 85-99.
mis au jour, dont une majeure partie d’objets en à l’époque du Lan Xang le centre où avaient lieu les
82. Les objets sont dif-
férenciés selon leur céramique appartenant à différents types82. Parmi ceux-ci, opérations commerciales.
degré de cuisson et les 5 833 fragments (4 459 pièces résultant d’assemblages)
matières qui ont été
ajoutées pour améliorer attestent une importation étrangère. Quelques rares Ce rapide aperçu sur le patrimoine archéologique de
leur solidité et leur étan- objets (0,8 % des découvertes) pourraient être anté- Vientiane tend à montrer que la capitale de la RDP Lao
chéité. Pour ce qui est
de la production locale, rieurs au XVe siècle et provenir du Cambodge et/ou de a été le théâtre d’activités humaines depuis fort
les objets les mieux la Chine. Le plus grand nombre de fragments (36 %) longtemps. Il est certain, comme cela a été le cas pour
manufacturés (stone-
ware : 22 557 fragments) sont cependant issus de productions modernes qui bien d’autres sites de la vallée moyenne du Mékong,
sont plus nombreux que datent au plus tôt de la fin du XIXesiècle, et consistent que différentes cultures s’y sont succédé. Si le décalage
les céramiques de qua-
lité inférieure (earthen- en céramiques chinoises, vietnamiennes, japonaises entre les différents témoignages archéologiques montre
ware : 8 913 fragments). et européennes. De la Chine proviennent également que l’histoire de la ville a connu de profondes ruptures,
Il faut ajouter à ces
artefacts des fragments des productions qui sont datées du XVIe au milieu du il est toutefois impossible, dans l’état actuel des con-
de tuiles, de stuc, de XVIIe siècle (8,6 %) et de la seconde moitié du XVIIe au naissances, de procéder à une périodisation précise
briques et d’os, ainsi
que des fragments début du XIX e siècle (22,1 %). Un certain nombre de cette histoire. On pourra éventuellement évoquer
d’objets en verre, en d’artefacts mis au jour sont en outre originaires du une « période du Lan Xang », mais on prendra garde de
métal et en pierre. Pour
la rue Sam-Saen-Thai, Vietnam (3,9 %), de la Thaïlande (26,4 %) et d’une façon lui donner des limites bien définies, puisque selon les
le nombre de fragments plus étonnante du Japon (2,3 %) de l’époque Hizen points de vue elle commence au premier millénaire, au
retrouvés s’est élevé à
50 000 pièces environ, (milieu du XVIIe s. – milieu du XVIIIe siècle). Les décou- milieu du XIVe siècle (règne de Fa Ngum), ou au XVIe
et à 90 000 pour la rue vertes qui ont été faites entre les stations 0300 et siècle (règnes de Phothisarat et de Setthathirat) – et
Setthathirat.
83. À propos des objets
0960, c’est-à-dire à l’extérieur de l’enceinte, sont très s’achève selon des avis tout aussi divergents au début
d’origine chinoise, Mme peu nombreuses et relèvent pratiquement toutes de du XVIIIe siècle (éclatement du royaume en principautés
Shimizu (op. cit., p. 89)
souligne qu’entre 50 et
l’époque moderne ou coloniale. Une concentration distinctes), en son milieu (contrôle par le Siam de ces
60 fragments de porce- assez importante a été relevée sur 200 mètres de principautés), en 1828 (destruction de Vientiane), ou
laine du type « Bencha-
long » ont été retrouvés.
route environ (stations 1840 à 2040), autour de la avec l’intervention de la France à la fin du XIXe siècle.
Il s’agit de productions jonction des rues Sam-Saen-Thai et Chanthakoumane. On préfèrera parler ici de période « lao » – avec toutes
qui étaient exportées
exclusivement vers
Il est intéressant de constater que dans cette zone se les réserves qu’inspire cet ethnonyme – sachant que
Ayuthya, et dont l’utili- trouvaient en 1895/98 les habitations de Vientiane la limite haute de cet espace chronologique peut cer-
sation était limitée aux
cérémonies bouddhiques
les plus en retrait par rapport au fleuve. La jonction, tainement être repoussée au plus tard à la fin du XIIIe
et royales. Ceci confirme au lieu de former un carrefour comme aujourd’hui, siècle, à une époque où la domination des groupes t’ai
les observations qu’avait
faites G. van Wuysthoff
constituait l’angle d’un chemin qui venait du Mékong avait déjà largement dépassé le bassin du Mékong.
en 1641, à savoir à la hauteur du palais royal, passait derrière le Vat
l’importation depuis
Ayuthya d’objets de luxe
Sisaket et allait croiser la route du That Luang, non En ce qui concerne la ville de Vientiane, les seuls
réservés aux grands loin du Vat Yot Kaeo. C’est précisément sur le terrain témoignages que l’on puisse restituer avec quelque
seigneurs.
de ce sanctuaire, sur 40 mètres de longueur (entre les assurance dans un contexte historique sont ceux qui
stations 2360 et 2400), que la plus grande concentra- relèvent de cette période lao. Nous avons vu que celle-
tion de céramiques importées a été retrouvée. Celles-ci ci fut en particulier marquée par l’édification de deux
comprenaient plusieurs types de porcelaine chinoise enceintes, dont la première, cernant la vieille capitale
de haute qualité (datant notamment de la dynastie des du Lan Xang, a survécu jusqu’au début de la période
Michel Lorrillard 75
coloniale française. Nous avons toutefois remarqué Chiang, etc.) des témoignages de civilisations encore
que l’établis sement de populations lao s’était fait sur plus anciennes.
un site qui, selon toute évidence, avait été occupé plus
tôt par des groupes dont l’organisation territoriale était La question de l’ancienneté de l’occupation du site de
différente. Il est trop tôt pour tirer à ce sujet des con- Vientiane ne saurait être résolue uniquement par les
clusions définitives. Par comparaison avec des sites historiens et les archéologues. Elle nécessite l’attention
du nord-est de la Thaïlande qui ont donné lieu à d’autres spécialistes – de géographes en particulier –,
quelques études, nous avons constaté à partir de car elle passe par l’analyse de la configuration du sol
l’observation de photographies aériennes – mais égale- et de l’emploi qui en était fait, en dépit des perturba-
ment à travers la prise en compte de différents vestiges tions massives que l’urbanisation a entraînées. La
matériels dont la présence ne saurait s’expliquer autre- responsabilité des pouvoirs publics lao est ici forte-
ment – les traces signifi catives de deux modes de ment engagée. Alors que Vientiane est l’une des villes
gestion de l’espace qui sont habituellement associées les plus anciennes du bassin inférieur du Mékong, ou
à des populations austro-asiatiques touchées par tout au moins un site dont on peut cerner l’occupation
l’influence culturelle indienne : les Khmers, au début sur près de deux millénaires, les traces de ce passé
du second millénaire, et les Môns, durant le premier tendent à disparaître, le plus souvent par ignorance.
millénaire. Rien ne permet aujourd’hui de remonter Les fouilles de sauvetage ont pourtant montré récem-
plus loin dans le passé, mais il apparaît à peu près ment le gros potentiel archéologique que recèle encore
certain que le site de Vientiane a été fréquenté par les le sol de la capitale pour la reconnaissance et la mise
populations qui ont laissé à proximité (Lao Pako, Ban en valeur de l’identité lao.