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LE LANGAGE DE L’ART : POUR UNE SEMIOTIQUE DE L’OSTENSION

Gilles Lévêque, ULCO

Article publié dans la revue de l’Université Catholique de Lille Culture Com’, n° 1 (décembre
2017).

La sémiotique des images, et plus encore celle des arts visuels, ne suscite plus
aujourd’hui autant d’engouement que lors des années 1960, quand on assistait à son
épanouissement. Certes, on lui doit quelques belles réalisations 1, mais on lui a reproché une
certaine stérilité en vertu de son inadéquation à l’objet d’étude, pour autant qu’il ne serait pas
vraiment possible, sinon de manière très artificielle, de ramener l’image, en particulier
l’image artistique, aux éléments simples d’un code 2. La sémiotique se heurte ici à la
spécificité de la peinture d’être un art autographique et non pas allographique, pour reprendre
la distinction de N. Goodman. De fait, la peinture n’utilise pas une notation et par conséquent
un code constitué d’éléments signifiants discrets en nombre fini (comme la musique avec le
solfège et les partitions), elle est au contraire un art au sein duquel le moindre changement
visuel s’accompagne d’un changement sémantique 3. À suivre la pensée de N. Goodman, et on
voit mal qu’on ne soit pas condamné à le faire du moins ici, il n’est pas possible de codifier la
peinture et partant d’en ramener le fonctionnement signifiant à celui du langage verbal : la
richesse infinie de la peinture nous interdirait de la penser à partir de l’articulation, serait-elle
double, d’éléments simples qui seraient équivalents aux phonèmes et aux morphèmes.
Il est pourtant difficile de renoncer à l’idée que la peinture et au-delà l’art soient un
langage, ne serait-ce qu’en raison du fait que l’art véhicule du sens, en suscitant une
compréhension et pas simplement une délectation. L’œuvre d’art n’est pas seulement une
source de plaisir, elle nous parle. Et nous aimerions bien souvent disposer des règles de son
langage, de manière à mieux comprendre ce que nous présumons être son sens, notamment,
1
On peut penser en particulier au Traité du signe visuel, Pour une rhétorique de l’image du Groupe µ (Francis
Édeline, Jean-Marie Klinkenberg, et Philippe Minguet), Paris, Seuil, 1992, ou aux œuvres de Louis Marin, de
Jean-Marie Floch et de Félix Thürlemann.
2
C’est une thèse désormais très largement partagée, que l’on trouve exprimée avec toute la clarté voulue par
Anne Cauquelin : « le langage pictural […] ne peut s’appuyer, comme c’est le cas pour la langue, sur les unités
de base que sont les phonèmes. Ces unités de base sont introuvables […] en peinture – la forme revêt tout de
suite une signification, la couleur est liée au symbolisme en vigueur dans une culture donnée, formes et couleurs
sont immédiatement interprétées […]. De plus ces unités si on essaie de les distinguer sont en nombre illimité et
donc inaptes à former un « corpus ». » (Les théories de l’art, Paris, PUF, Que sais-je ?, 2010, p. 85). On aboutit
alors « à la conclusion raisonnable qu’il est vain de vouloir « transposer mécaniquement » les concepts
linguistiques à d’autres domaines. Seules les analogies fonctionnelles sont éclairantes, mais elles se placent à un
niveau de généralité trop élevé pour être instructives. » (Jean-Pierre Cometti, Jacques Morizot et Roger Pouivet,
Questions d’esthétique, Paris, PUF, 2000, p. 59).
3
Cf. Langages de l’art, Nîmes, Éditions Jacqueline Chambon, 1990, chap. III.

1
bien entendu, quand nous avons le sentiment que celui-ci nous échappe. Nous aimerions donc
disposer de quelque chose comme d’une herméneutique à même de nous permettre de
déterminer avec sûreté le sens des œuvres. Or, c’est bien ce que nous promettait la sémiotique
des arts visuels et plus largement des images, à laquelle nous avons dès lors du mal à
renoncer.
Sommes-nous cependant condamnés à devoir nous en priver ? Il le semble bien, s’il
est vrai que la spécificité des arts visuels tient à ce qu’ils se réfèrent au réel sur le mode de la
dépiction et non pas de la description4. Les arts visuels ne disent pas les choses, ils ne les
décrivent pas et ne les expliquent pas davantage, ils se contentent de les montrer. Mais dans
cet acte de montrer il y a indiscutablement une intention, comme le souligne à juste titre
Gérard Wajcman :

« Le seul fait de se trouver devant une œuvre d’art et de se dire « c’est quoi ce
machin ? », c’est déjà supposer un sujet à cette œuvre. Ce n’est là rien qu’un détail,
impalpable, mais capital : supposer un sujet, c’est supposer simplement que
quelqu’un nous montre quelque chose. Qu’il y a quelqu’un qui veut nous montrer
quelque chose5. »

Mais pourquoi l’artiste d’abord, le galeriste ensuite, le musée enfin et même l’acheteur
veulent-ils montrer l’œuvre, l’exposer, la donner à voir 6 ? Naturellement parce qu’ils estiment
qu’elle consiste en un objet digne d’être regardé, observé, scruté, admiré, bref qu’elle est
digne de considération7. Or, nous pouvons présumer que si l’œuvre d’art est digne de
considération, à l’inverse du prodige ou du bibelot, ce n’est pas simplement parce qu’elle est
étonnante ou belle, mais bien parce qu’elle porte du sens8. En conséquence, l’œuvre d’art
relève d’un « vouloir-montrer », que nous appellerons désormais une ostension, qui est en
même temps un vouloir-dire. Il y a donc là un geste d’ostension qui fait sens.
4
Je reprends ici une distinction de Nelson Goodman, mais sans le suivre dans ses analyses ; cf. à nouveau
Langages de l’art, op. cit., chap. I, § 9 « Description et dépiction ». Il faut entendre la dépiction comme l’acte de
dépeindre.
5
L’objet du siècle, Paris, Verdier, 2012, p. 69. Le sujet dont parle ici un peu maladroitement G. Wajcman n’est
pas le contenu de l’œuvre, son thème, son « objet », mais son auteur entendu comme sujet conscient.
6
On peut certes dire que l’acheteur soustrait l’œuvre aux regards du public, mais il est bien rare de voir un
collectionneur qui ne soit pas heureux d’exhiber les œuvres qu’il possède, ne serait-ce qu’à son cercle d’amis.
7
Ce que Rémy Zaugg exprime fort justement en ces termes : « Exposer peut se résumer à dire : « Regardez
ceci ». Exposer est un acte qui force les objets à être contemplés et qui commande à l’œil de regarder ces
objets. » (Coll., L’exposition imaginaire : the Art of Exhibiting in the Eighties, La Haye, SDU Uitgeverij
Rijksdienst Beeldende Kunst, 1989, p. 362).
8
Une telle affirmation, passablement mise à mal depuis les années 1970 pour ne pas remonter à la décennie
antérieure, exigerait d’être justifiée. Mais voilà qui dépasse les cadres de ce travail, et qui ne peut donc ici
qu’être postulé.

2
Voilà qui permet d’esquisser notre projet : rendre raison du caractère non verbal, non
linguistique, et a priori non codé de l’art, donc faire droit à sa spécificité, mais sans renoncer
pour autant, du moins autant que faire se peut, aux avantages que nous promettait une
sémiotique des œuvres d’art, à partir de cette constatation que si l’art ne relève pas du langage
verbal il relève à tout le moins d’un langage gestuel qui a sa logique propre 9. Les limites du
présent travail ne nous permettent naturellement pas d’exposer dans toute son extension la
sémiotique de l’ostension que nous appelons de nos vœux. Il nous suffira, pour l’heure, d’en
montrer la pertinence et les grandes articulations dans une perspective pour l’essentiel
programmatique.
Le domaine que nous tentons d’explorer est quasiment vierge. Certes, la linguistique
s’est largement préoccupée des déictiques, soit de ces termes qui, comme « je », « tu »,
« ici », « maintenant », auxquels il convient bien entendu d’ajouter les démonstratifs, se
réfèrent à un élément du contexte du locuteur 10. Mais les préoccupations des linguistes portent
évidemment sur les éléments de langage et non pas sur les gestes en tant qu’ils font sens,
lesquels ne sont pris en considération que dès lors qu’ils accompagnent certains déictiques
pour les rapporter à leur référent. Ce n’est pas là que nous trouverons de quoi nourrir une
sémiotique de l’ostension muette. On retiendra seulement que le geste ostensif permet de
déterminer précisément ce à quoi on se réfère dans le contexte d’énonciation, en venant tout
simplement le pointer. Il semble en conséquence que le geste d’ostension ne puisse pas avoir
d’existence autonome, et qu’il doive nécessairement accompagner une verbalisation ; il serait
sinon condamné à être inintelligible parce que par lui-même bien trop indéterminé.
Wittgenstein, qui est un des rares philosophes à s’en être préoccupé, a souligné le
caractère principiellement ambigu du geste ostensif, et ce même lorsqu’il accompagne l’usage
de déictiques, en l’occurrence lorsque le geste ostensif est utilisé comme manière de définir
un nom (de le rapporter à son référent) 11. Pour reprendre son exemple, si je montre un groupe
de deux noix sur une table en disant « ceci s’appelle “deux” », la personne à qui je m’adresse
peut comprendre que « l’on nomme “deux” ce groupe de noix12 », et l’on peut ajouter qu’elle
peut également comprendre que ce qui est désigné par “deux” c’est la forme, ou bien la
9
Il n’est pas inutile de préciser à cet égard que dans les traductions de Peirce le mot français « indice » traduit le
mot anglais « index », qui désigne l’un des trois types fondamentaux de signes à côté du symbole et de l’icône,
tandis que cet index/indice est défini comme ce qui « montre du doigt la chose ou l’événement même qui se
présente » (Lettre à Lady Welby du 14 décembre 1908, in Charles S. Peirce, Écrits sur le signe, Paris, Seuil,
1978, p. 40-41).
10
Sur les déictiques on se référera utilement à la mise au point de Georges Kleiber dans son article « Déictiques,
embrayeurs, « token-reflexives », symboles indexicaux, etc. : comment les définir ? », L’information
grammaticale, n° 30, 1986, p. 3-22.
11
Cf. en particulier les Recherches philosophiques, § 28.
12
Ibid.

3
couleur, ou encore le genre de fruits dont les deux noix constitueraient une exemplification.
« Ce qui veut dire que dans chaque cas, la désignation ostensive peut être interprétée de
diverses façons13. » Il en est ainsi lorsque le geste d’ostension accompagne une énonciation,
on voit mal dans ces conditions comment, sans énonciation préalable, l’indétermination
sémantique du geste pourrait ne pas être conduite à son paroxysme.
L’ostension de l’œuvre d’art (son exposition) ne nous laisse pourtant pas
inévitablement hébétés d’incompréhension, et nous prétendons sinon toujours au moins
souvent comprendre ne serait-ce qu’un tant soit peu les œuvres exposées. Cela veut dire que
l’ostension est a priori en mesure de nous faire voir et partant de nous faire comprendre ce
qu’il y a à voir et à comprendre, cela veut dire par conséquent qu’elle est en mesure de lever
au moins en partie l’indétermination qui semble l’affecter fondamentalement. Si nous voulons
élaborer une sémiotique de l’ostension, c’est dans la détermination de la manière dont le geste
ostensif peut faire sens en l’absence de tout énoncé préalable (ou presque, on va le voir) que
nous devons d’abord la chercher.

Une œuvre d’art, avons-nous dit, est signalée à l’attention comme si un index était
pointé sur elle qui intimait cet ordre : « regardez cet objet ! » Pourtant, à moins de bénéficier
des lumières de quelque conférencier, on ne verra aucun index réel se diriger vers les œuvres
d’art. En fait, le contexte y suffit : l’œuvre est exposée sinon dans un lieu dont la fonction est
précisément de donner à voir les objets qui y sont présentés (musée, galerie, lieu d’exposition
consacré à l’art), elle est de toute façon (même chez un particulier) disposée de sorte à attirer
la vue et à faciliter l’observation14. Pour le dire simplement, l’œuvre d’art requiert d’être mise
en évidence, et d’être disposée de manière à s’offrir manifestement, étant donné les usages en
vigueur, à l’observation attentive. Le contexte d’exposition (au sens large) relève donc
proprement d’une ostension de l’œuvre d’art15.
En toute rigueur, il est inexact d’affirmer que cette ostension, du moins selon les
usages ayant actuellement cours, est indépendante de toute production verbale. De fait, les
œuvres exposées sont accompagnées d’un paratexte, sous la forme tout d’abord du cartel qui
donne un certain nombre d’indications sur l’œuvre, mais également sous la forme de
13
Ibid.
14
Certes, une œuvre d’art peut être remisée dans des réserves, mais il s’agit alors d’un véritable déclassement de
l’œuvre, jugée, ne serait-ce que provisoirement, comme n’étant plus (proprement) digne d’être portée à
l’attention des visiteurs.
15
L’ostension ne désigne pas ici, bien sûr, l’exhibition exceptionnelle d’une œuvre lors d’une procession dans le
cadre d’une fête religieuse, mais sa simple exposition. Le terme d’« ostension » a l’avantage, sur celui
d’« exposition », de rendre manifeste l’idée d’un signe (le geste d’ostension) attirant l’attention sur l’objet
exposé.

4
l’appareil de médiation déployé à l’occasion de toute exposition, sans parler de ce qui a pu
être écrit ou dit dans les médias au sujet de ladite exposition. On admettra cependant
volontiers que cet appareil discursif ne nous donne que des indications très limitées sur la
manière dont il convient de regarder l’œuvre. Or, quand on cherche à comprendre un geste
ostensif, les questions que l’on se pose sont celles-ci : que montre-t-il (précisément), comment
montre-t-il (comment convient-il de regarder en conséquence ce qui est montré), et pourquoi
le montre-t-il (dans quelle intention) ? Dès lors, si l’ostension de l’œuvre d’art parvient à
satisfaire le public, au moins le public éclairé, alors même qu’elle ne s’accompagne pas d’un
discours suffisant pour le comprendre, c’est bien entendu parce que ce discours, nécessaire
donc, est bel et bien présent, mais de manière seulement implicite.
Cela veut dire que l’identification de l’œuvre d’art comme telle vient l’inscrire dans un
horizon tout aussi bien intellectuel (celui des connaissances) que pratique (celui des
comportements) de sorte que la familiarité tant intellectuelle que pratique à l’égard des
œuvres d’art nous permette de nous y retrouver. De manière à articuler cet horizon en ses
éléments les plus fondamentaux, nous allons nous appuyer sur ce que maint sémioticien
appelle l’« encyclopédie », qui nous permet de catégoriser ce que nous percevons de telle
sorte que nous soyons en mesure de savoir à quoi nous avons affaire, à quoi nous attendre, et
comment nous devons nous comporter16. Certes, une telle encyclopédie qui, pour faire simple,
rassemble pour chacun l’ensemble des connaissances acquises de quelque manière que ce soit
au cours de sa vie, est fort loin d’être rigoureusement structurée, mais on peut néanmoins y
déceler une certaine arborescence (du genre le plus élevé aux espèces dernières) et partant
plusieurs niveaux fondamentaux. Il nous suffira ici de pointer les plus décisifs d’entre eux.
1. La catégorie la plus élevée sous laquelle l’œuvre d’art est subsumée en étant identifiée
comme telle est bien entendu celle d’œuvre d’art. Nous avons tous une certaine idée de
l’œuvre d’art17, au moins acquise par familiarité à l’égard de ce que notre communauté
linguistique appelle « œuvre d’art ». Nous savons également tous de quelle manière il
convient de se comporter devant une œuvre d’art dans le principe, nous savons ce qu’il
convient de faire avec les œuvres d’art, nous connaissons tout simplement les usages. Nous

16
Sur la notion sémiotique d’« encyclopédie », cf. p. ex. U. Eco, Kant et l’ornithorynque, 4 (« L’ornithorynque
entre dictionnaire et encyclopédie »).
17
À vrai dire, par le passé, ce que nous Occidentaux appelons œuvre d’art (soit un objet produit en vue de
susciter une contemplation esthétique) n’existait pas, puisque ces objets que nous identifions comme œuvres
d’art n’étaient pas destinés à une contemplation esthétique – ils avaient une fonction religieuse. Il n’en demeure
pas moins que ceux qui y étaient confrontés avaient une certaine idée de ces objets, catégorisés et identifiés
comme les autres. On nous pardonnera dès lors de maintenir le terme d’« œuvre d’art » même s’il s’avère en
toute rigueur inadapté dans bien des cas, sachant que la désignation ne change rien au travail de sémiose ici
décrit.

5
savons plus précisément pour l’essentiel dans quelle intention (pourquoi) des œuvres d’art
sont produites et exposées, comment il convient de les regarder, ce qu’il convient d’y voir :
l’œuvre d’art, pour s’en tenir à l’ancienne tradition occidentale qui sert encore de référence ne
serait-ce qu’au titre de repoussoir, est produite et exposée afin de « porter à la conscience et
exprimer le divin, les intérêts humains les plus profonds, les vérités les plus englobantes de
l’esprit18 », il convient seulement de la regarder attentivement et ce en tant qu’elle montre
autre chose qu’elle-même en sa matérialité et partant d’y porter un regard esthétique, il
convient enfin d’y saisir, au-delà de l’imitation idéalisée de la nature, la conception du monde
qui s’y exprime. Assurément, avec l’idée de l’œuvre d’art nous disposons des informations
qui nous permettent de savoir quoi faire, pour l’essentiel, avec une œuvre d’art.
Naturellement, compréhension et comportement se répondent : la compréhension de
l’œuvre d’art, quand bien même elle n’aurait jamais été réfléchie ni même verbalisée,
s’incarne dans la manière dont nous nous comportons à son égard. C’est dire qu’il n’est pas
nécessaire d’être philosophe pour disposer d’une telle idée : la simple familiarité avec ces
objets que nous nommons « œuvres d’art » et avec les usages en vigueur relativement à ces
objets nous permet d’intégrer à la fois ces usages et l’idée de l’art qui les motive. En
conséquence tout être humain, qu’il le sache ou non, dispose d’une certaine conception de
l’art, de ce qu’est une œuvre d’art, idée du reste le plus souvent ininterrogée et même non
réfléchie, voire pas même énoncée – elle est alors présente dans l’esprit sous la forme d’une
(pseudo-)évidence, pour résider finalement davantage dans les comportements qui la
trahissent que dans l’esprit lui-même.
Il convient cependant de remarquer que la définition de l’œuvre d’art n’a cessé de
varier au cours de l’histoire de l’art, singulièrement depuis la fin du XIX e siècle, si bien que ce
qui était susceptible d’être identifié en tant qu’œuvre d’art a connu les mêmes variations. Que
l’on songe, à titre d’exemple, qu’avant le XX e siècle jamais une peinture abstraite n’aurait pu
être identifiée comme de l’art. C’est la peinture symboliste de la fin du XIX e siècle qui a
permis au public de s’acclimater progressivement d’une part à l’idée que l’œuvre d’art devait
davantage servir l’expression des sentiments intérieurs, en particulier spirituels, que
l’imitation fidèle de la réalité extérieure, et d’autre part à l’idée que les lignes, les formes et
les couleurs signifiaient quelque chose par elles-mêmes indépendamment de la réalité qu’elles
pouvaient figurer. C’est évidemment cet apport de la peinture symboliste qui a rendu possible,
dans les années 1910, l’émergence d’une peinture affranchie de la figuration. Muni de cette
nouvelle théorie, selon laquelle l’œuvre d’art devait exprimer d’abord et avant tout les
18
G. W.F. Hegel, Cours d’esthétique, Paris, Aubier, 1995, T. 1, p. 13 et passim.

6
sentiments de l’artiste, et qu’elle pouvait y parvenir uniquement par des harmonies de lignes,
de formes et de couleurs dans une sorte de musicalité picturale, le public était désormais à
même de pouvoir percevoir une peinture abstraite comme une authentique œuvre d’art – et
non pas comme le produit d’un enfant, d’un fou ou d’un plaisantin.
A. Danto, qui a défendu avec toute la netteté souhaitable cette thèse, en vient donc
logiquement à cette conclusion : « On ne peut voir quelque chose comme une œuvre d’art que
dans l’atmosphère d’une théorie artistique et d’un savoir concernant l’histoire de l’art. L’art,
dans son existence même, dépend toujours d’une théorie19 ». En ce qui nous concerne, dans la
mesure où notre propos n’est pas de savoir comment s’élabore l’idée de l’art qui est la nôtre,
mais seulement de comprendre que c’est toujours à partir d’une telle idée que nous pouvons
percevoir certains objets (et d’autres non) en tant qu’œuvres d’art, nous ne parlerons pas de
théorie de l’art, mais bien d’idée sur l’art – étant entendu que cette idée n’a même pas besoin
d’être réfléchie ni même verbalisée pour être opérante, en l’occurrence au sein des
comportements que nous adoptons à l’égard des œuvres d’art conformément aux usages en
vigueur. L’idée de l’art est ce qui, pour chaque culture, à chaque époque, détermine d’abord et
avant tout comment nous comprenons ces objets que nous appelons « œuvres d’art », et
comment en conséquence nous nous y rapportons. À tout le moins, c’est inévitablement à
partir d’une telle idée que nous percevons l’œuvre d’art comme ce qui requiert notre attention,
et ce de telle ou telle manière, par exemple pour y admirer l’imitation idéalisée de la nature ou
pour y lire l’expression des sentiments de l’artiste – selon la conception de l’art alors
dominante. Ce qu’il convient de voir dans une œuvre d’art, comment il convient de la
percevoir, et pourquoi elle sollicite notre attention, voilà qui est fondamentalement déterminé
par l’idée de l’art qui est la nôtre, de telle sorte que l’ostension de l’œuvre d’art, faisant fond
sur ce savoir implicite, est un geste signifiant aux yeux du public ainsi en mesure de le
comprendre.
2. Le fait de disposer d’une certaine idée de l’art de notre culture et de notre époque n’est
pourtant pas suffisant pour que nous sachions quoi regarder et comment dans les œuvres d’art,
dès lors à tout le moins qu’elles ne sont pas de notre culture et/ou de notre époque. Nous
l’avons du reste déjà signalé à la suite d’A. Danto : sachant que l’idée de l’art ne cesse de
varier au cours du temps, surtout depuis la fin du XIX e siècle, on « ne peut voir quelque chose
comme une œuvre d’art que dans l’atmosphère […] d’un savoir concernant l’histoire de
19
La transfiguration du banal, Paris, Seuil, 1989, p. 217-18. La première expression de cette thèse se trouve dans
le célèbre article « Le monde de l’art » de 1964, que l’on trouve en français notamment dans l’ouvrage
Philosophie analytique et esthétique, textes présentés par Danielle Lories, Paris, Klincksieck, 2004. On peut y
lire en particulier ceci : « Voir quelque chose comme de l’art requiert quelque chose que l’œil ne peut apercevoir
– une atmosphère de théorie artistique, une connaissance de l’histoire de l’art : un monde de l’art. » (P. 193).

7
l’art. » Il en est de même, naturellement, en ce qui concerne les diverses conceptions de l’art
dans les cultures différentes. Concrètement, si nous ne disposons pas des conceptions de l’art
qui avaient cours dans les siècles passés, et qui ont ou qui avaient cours dans les différentes
cultures, nous sommes condamnés à manquer radicalement l’intention des artistes et partant le
sens que les œuvres pouvaient avoir à ces différentes époques ou dans ces différentes cultures.
L’altérité de ces œuvres s’en trouve alors complètement écrasée et recouverte, tandis que nous
n’y lirons jamais que ce que nous y avons mis nous-mêmes. Dans ces conditions, tout
dialogue avec des époques ou des cultures différentes de la nôtre nous est interdit, et nous
nous condamnons à un véritable aveuglement à l’égard de ces œuvres.
Ainsi, pour pouvoir comprendre de quoi il retourne avec les œuvres du passé ou
d’autres cultures, et ne serait-ce que pour pouvoir savoir ce à quoi il convient d’être attentif
dans ces œuvres et comment il convient de les regarder, il est nécessaire d’avoir une
connaissance des différentes conceptions de l’art régnant dans les différentes cultures et ayant
régné par le passé. Du point de vue historique, pour une même culture, il est également
nécessaire de savoir comment les différentes conceptions de l’art successives s’articulent les
unes aux autres, comment elles se sont progressivement déployées les unes par rapport aux
autres. Il s’agit ici du déploiement historique et, pourrait-on dire, géographique de l’idée de
l’art. À défaut de connaissances dans ce domaine, nous n’avons aucun accès authentique
possible aux œuvres des autres cultures et des autres époques, ce qui veut dire tout aussi bien
que la compréhension des œuvres de notre culture et de notre époque est condamnée à
manquer singulièrement de profondeur et d’intelligence. De fait, si je crois que l’art de ma
culture et de mon époque est le seul art possible, si je ne soupçonne même pas que l’idée de
l’art sur laquelle il s’appuie est le fruit d’une longue histoire, faite notamment d’influences
diverses, il est difficile de prétendre que je comprenne proprement l’art de ma culture et de
mon époque, si ce n’est de manière très superficielle.
3. À un étage en dessous dans l’arborescence de la catégorisation de l’œuvre d’art, nous
trouvons les différents genres qui articulent de fait le concept d’art. On en fait le constat, les
arts sont multiples, dans toutes les cultures – musique, chant, poésie, littérature, théâtre,
peinture, sculpture, architecture, à présent image animée (cinéma et vidéo), qu’ils soient
séparés ou mêlés, dans des constellations à chaque fois différentes selon les cultures et les
époques. H. R. Jauss, dans son « esthétique de la réception », accorde la première place à cette
connaissance des genres pour une culture donnée à une époque donnée. Voilà ce que l’on peut
notamment lire sous la plume de l’historien de la littérature : « L’analyse de l’expérience
littéraire du lecteur échappera au psychologisme dont elle est menacée si, pour décrire la

8
réception de l’œuvre et l’effet produit par celle-ci, elle reconstitue l’horizon d’attente de son
premier public, c’est-à-dire le système de référence objectivement formulable qui, pour
chaque œuvre au moment de l’histoire où elle apparaît, résulte de trois facteurs 20 » ; et Jauss
de citer aussitôt, au titre du premier de ces trois facteurs, « l’expérience préalable que le
public a du genre dont elle relève ». Jauss fait ici référence aux différents genres littéraires, et
à la forme qu’ils peuvent prendre à chaque époque, mais il est bien évident que l’on peut
élargir ses analyses aux autres arts, en pensant par exemple, pour ce qui est des arts plastiques,
à la distinction traditionnelle entre peinture, dessin, gravure ou sculpture et, pour ce qui est de
la peinture, à la justement nommée hiérarchie des genres (du tableau d’histoire à la nature
morte). Quel que soit l’art considéré, il s’articule en effet selon des genres factuellement
déterminés dans lesquels le public inscrit les œuvres auxquelles il a affaire, et à partir
desquels en conséquence il donne sens aux œuvres dans le cadre défini par ces genres.
Assurément, en apparaissant comme relevant de tel ou tel genre déterminé, l’œuvre va
être catégorisée dans une des espèces voire des sous-espèces de l’art, dans une catégorisation
en cascade : il s’agit de peinture, du genre de la nature morte, et de l’espèce, si l’on peut dire,
de la nature morte flamande du XVII e siècle par exemple, voire de la sous-espèce de la
peinture de bouquets de fleurs. Les catégorisations, au moins chez les spécialistes, peuvent
être extrêmement fines et complexes. La catégorisation à laquelle on procède détermine ce à
quoi l’on peut s’attendre avec une œuvre relevant de tel ou tel genre, et partant va susciter
l’ennui, si l’œuvre est d’un conformisme désespérant, ou la surprise si elle déjoue les attentes
de son public. Ce qui importe surtout à Jauss c’est de pouvoir déterminer l’écart entre une
œuvre et l’horizon d’attente de son premier public afin de pouvoir mesurer sa singularité (la
créativité de son auteur, ses audaces) et par suite l’effet qu’elle était destinée à produire sur ce
public21. Notre préoccupation est un peu différente, qui ne vise qu’à déterminer les conditions
de la compréhension des œuvres, que ces dernières soient bonnes ou mauvaises,
révolutionnaires ou conformistes. Il nous suffit donc de remarquer que la catégorisation des
œuvres au moyen des genres et des espèces est essentielle pour une telle compréhension,
même, on l’aura compris à la suite de Jauss, quand les œuvres résistent à de telles
classifications par leurs audaces et en appellent à une redéfinition des genres.
4. Le deuxième facteur constitutif de l’horizon d’attente selon Jauss, comme il le précise à la
suite du texte que nous venons de citer, est « la forme et la thématique d’œuvres antérieures
dont elle [l’œuvre] présuppose la connaissance ». Nous descendons encore d’un palier dans
20
H. R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, NRF, collection Tel, 1978, p. 54 ; les italiques sont de
l’auteur.
21
Sur ce point, cf. ibid. p. 58-60 notamment.

9
l’arborescence de la catégorisation des œuvres d’art, puisqu’il s’agit désormais des thèmes
traités au sein même des genres (ou des espèces) dont il était question dans les considérations
précédentes. De fait, comment peut-on prétendre véritablement comprendre une annonciation
d’un maître italien de la fin du XVIe siècle si on ne connaît pas le traitement apporté à ce
thème par ses prédécesseurs ? Sans cette connaissance préalable, ce qu’il y a de propre à
l’œuvre échappe inévitablement au regard qui n’en comprend donc pas la spécificité. C’est à
ce niveau, le plus fin, que nous accédons à la singularité des artistes et au-delà de leurs
œuvres. Cette connaissance fine de l’histoire de l’art est requise par l’ostension de l’œuvre
d’art, faute de quoi le spectateur ne sait pas précisément ce qu’il doit regarder, ou si l’on
préfère ce vers quoi précisément l’ostension souhaite attirer ses regards.

On pourrait assurément raffiner la description des grands niveaux de la catégorisation


de l’œuvre d’art permettant une compréhension fine de l’ostension des œuvres, mais notre
objectif était seulement d’esquisser la manière dont s’articule fondamentalement le savoir
implicite sur lequel l’ostension de l’œuvre d’art doit faire fond afin de pouvoir être
intelligible.
Ces analyses appellent, en dernier lieu, deux remarques essentielles. La première porte
sur les difficultés d’accès aux œuvres d’art, bien connues depuis les travaux de Bourdieu 22,
dont il convient de réaffirmer la pertinence. Indiscutablement, étant donné l’indétermination
inhérente à l’ostension, celle-ci présuppose nécessairement tout un ensemble de
connaissances, ne serait-ce que sur le mode de la familiarité, sans lequel le spectateur ne peut
rien comprendre à ce qu’on lui montre. Plus précisément, la connaissance des théories de l’art
et de leur évolution au cours de l’histoire est indispensable pour savoir comment il convient de
regarder une œuvre d’art, de quelle manière elle sollicite l’attention. Et certes, un dripping de
Pollock ne se regarde pas de la même façon qu’un tableau de Poussin, un ready-made de
Duchamp ne s’offre pas aux regards de la même façon qu’une sculpture de Donatello, et les
travaux de Claude Closky appellent un tout autre mode d’appréhension que les tableaux de
Raphaël. La distinction, ici, ne porte pas d’abord sur ce qu’il y a à voir, mais bien sur la
manière dont il convient de regarder ces différentes œuvres, manière de regarder gouvernée
par la conception de l’art dont chacune est tributaire. Au-delà, nous l’avons vu, une
connaissance de l’histoire de l’art, voire des différentes cultures dès lors qu’il s’agit d’œuvres
produites sur d’autres continents, est nécessaire si nous voulons comprendre ce qui nous est

22
Ses deux ouvrages essentiels sur le sujet sont L’amour de l’art, Paris, Editions de Minuit, 1966, ouvrage écrit
en collaboration avec Alain Darbel, et La distinction, Paris, Editions de Minuit, 1979.

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donné à voir. Ceux qui, faute d’une familiarité avec les œuvres d’une part, et d’une instruction
suffisante en histoire de l’art d’autre part, ne peuvent tabler sur les connaissances nécessaires
pour lever l’indétermination de l’ostension de l’œuvre d’art sont condamnés à la cécité, ou du
moins à un aveuglement plus ou moins étendu à la mesure de leur ignorance.
La deuxième remarque essentielle que nos analyses appellent porte sur la nature de la
sémiotique dont il s’agit ici, que nous avons appelée « sémiotique de l’ostension ». Certes, on
peut bien dire avec Bourdieu que « l’appréhension adéquate de l’œuvre culturelle, et en
particulier de l’œuvre de culture savante, suppose, au titre d’acte de déchiffrement, la
possession du chiffre selon lequel l’œuvre est codée 23. » Mais il ne faut pas se méprendre sur
la nature de ce « code ». De fait, la « lecture » de l’œuvre d’art ne consiste pas dans
l’appréhension d’une réalité arbitrairement codée. Ici, rien qui se rapproche de près ou de loin
de la structure du langage verbal. Avec ce « code » dont parle Bourdieu, il s’agit en vérité de
conventions certes, mais relatives à des usages, et en l’espèce à des usages du regard
corrélatifs aux différentes manières dont les œuvres d’art peuvent être conçues et
« pratiquées » selon les époques et les cultures ; il ne s’agit donc pas d’un système de signes
arbitraires. En d’autres termes, il n’est pas question de lire, mais de voir, étant entendu qu’on
ne peut comprendre ce qui est donné à voir dans l’ostension que si l’on sait ce qu’il convient
de regarder, comment il convient de le regarder, et en définitive pourquoi il convient de le
regarder. C’est là que résident les conventions, variables selon les cultures et les époques, qui
déterminent un usage à chaque fois différent des œuvres et tout aussi bien du regard qui se
porte sur elles.
Il en résulte que la sémiotique de l’ostension que nous appelons de nos vœux n’entend
pas rabattre le langage de l’art sur le langage verbal, et compte au contraire le préserver dans
toute sa spécificité. Quant au savoir nécessaire à une appréhension satisfaisante des œuvres
d’art, il n’est pas ce qui donne arbitrairement sens à des éléments sinon inintelligibles,
puisqu’il permet seulement d’être au fait sur ce qu’une culture, une époque, et au-delà un
courant artistique, un artiste, une œuvre entend nous faire voir et sur la manière dont il
convient d’appréhender ce qui est ainsi donné à voir. Au fond, bien plus que la linguistique
c’est l’herméneutique phénoménologique qui pourrait nous être ici d’un grand secours, pour
autant que cette dernière conçoit la compréhension comme une vue (Sicht) et l’énoncé comme
une mise en évidence (Aufzeigung)24. Or, c’est bien de cela qu’il s’agit avec le savoir
préalable nécessaire à la compréhension des œuvres d’art, pour autant que ce savoir doit être
23
L’amour de l’art, op. cit., p. 108.
24
Cf. Heidegger, Sein und Zeit, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1984, respectivement § 31 p. 146 et § 33 p.
154.

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entendu comme une précompréhension de prime abord et le plus souvent implicite de l’œuvre
d’art comme telle, précompréhension à partir de laquelle l’œuvre d’art peut seulement se
montrer en tant que telle. Cette précompréhension, même lorsqu’elle s’explicite en venant du
même coup s’élaborer, n’est pas un code venant faire écran au réel, mais seulement un
horizon de visibilité d’abord et le plus souvent passablement creux (simples opinions,
préjugés…), en attente d’une mise en lumière phénoménale seule à même d’en remplir ou
d’en contester les attentes et par suite, en toute probabilité, d’en rectifier les vues 25. Manières
de voir donc, non pas gouvernées cependant par une ouverture de l’être pour le moins
hypothétique, mais par la manière dont l’œuvre d’art est à chaque fois conçue et « pratiquée »
selon les époques et les cultures, manières de voir qu’il convient par conséquent de déterminer
en fonction du contexte historique et culturel. Avec une sémiologie de l’ostension, c’est donc
une histoire et une géographie culturelles du regard esthétique, et tout aussi bien de l’œuvre
d’art entendue comme dispositif visuel engageant à chaque fois des manières spécifiques de
(se) montrer, que nous appelons de nos vœux 26.

25
On se référera sur ce point à la manière dont Heidegger entend résoudre phénoménologiquement le problème
du cercle herméneutique ; cf. Sein und Zeit, § 63.
26
Signalons qu’une telle histoire de la vision peut déjà s’enorgueillir de quelques réalisations, même si elle
manque encore d’un fondement théorique vraiment satisfaisant. Nous pensons en particulier à l’œuvre
d’Heinrich Wölfflin, dès le tout début du XX e siècle, et plus récemment bien sûr au travail de Régis Debray, Vie
et mort de l’image, Une histoire du regard en occident, Paris, NRF, 1992. Mais on peut citer également
l’ouvrage de Jonathan Crary, Techniques of the Observer, On Vision and Modernity in the Nineteenth Century,
Cambridge, MIT Press, 1990, ou celui de M. J. T. Mitchell, Iconology : Image, Text, Ideology, Chicago,
University of Chicago Press, 1987.

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