Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Poésie et peinture
Author(s): Michael Edwards
Source: Esprit, No. 362 (2) (Février 2010), pp. 69-77
Published by: Editions Esprit
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/24269502
Accessed: 15-12-2022 16:36 UTC
JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide
range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and
facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org.
Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at
https://about.jstor.org/terms
Editions Esprit is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Esprit
This content downloaded from 193.50.45.191 on Thu, 15 Dec 2022 16:36:42 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Poésie et peinture
Michael Edwards*
This content downloaded from 193.50.45.191 on Thu, 15 Dec 2022 16:36:42 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Poésie et peinture
70
Poésie et peinture
L'acte de perception
71
Poésie et peinture
ment des mots, mais des mondes entiers sont présents. Le peintre
dans son théâtre, devant la chose vue à recommencer et devant la
toile qui s'élabore, voit par des couleurs et des lignes, comme le poète
voit avec des mots, et cela indépendamment de la présence ou de
l'absence d'un « sujet » aisément identifiable. Un Braque ou un
Rothko sont aussi accessibles, et aussi inaccessibles, à une descrip
tion verbale qu'un paysage ou qu'une crucifixion, et l'on passe à côté
de ce qui est proprement pictural, même dans les œuvres qui parais
sent s'effacer devant un phénomène visible à faire voir, si l'on ne
trace pas, dans la nature et l'agencement des couleurs, dans la qua
lité et le travail formateur des lignes et dans l'exécution matérielle du
tableau, la façon dont le peintre montre comment il voit et, en le
découvrant par ses gestes et en le créant aussi, ce qu'il voit. Les cou
leurs, les lignes et les formes qu'elles font apparaître sont à la fois
une manière picturale de voir, dont seuls les peintres ont une
connaissance intime et pratique et que nous devons apprendre à dis
tance, et une recréation du réel, que l'on considère celle-ci comme
une modification de notre perception des choses ou comme une neuve
et juste découverte du réel et de notre propre capacité à le rencontrer.
La valeur d'un bleu, la légèreté d'une courbe, des tons qui se
répondent, des formes qui se cherchent, traduisent une vision, et le
visible et l'invisible que cette vision vise et change. En le regardant,
la peinture rend le monde silencieux, comme si, en éteignant le bruit,
elle faisait découvrir un état du monde plus secret et prêt à se révéler.
On dirait que le peintre peint le silence, et que, même quand il colore
et dessine des sons, il les transpose dans un milieu fictif qui les
renouvelle. Devant un tableau, nous interrogeons le silence.
Si la peinture nous rend sensibles au silence, la poésie nous attire,
au contraire, dans un monde sonore, dans les sons, non pas, en pre
mier lieu, du monde, mais des mots. La conclusion simple, que la
peinture opère sans mots et que la poésie n'est pas visible, reste
pourtant hâtive, car elle ne tient pas compte de la façon dont nous
voyons. Les spécialistes nous informent que la partie du cerveau
concernant la vision est plus vieille, de millions d'années, que celle
concernant le langage. Mais si le langage est une invention récente, il
ne manque pas nécessairement d'efficacité et ses antennes, les
moyens dont il dispose pour se mettre en contact avec tout ce que
remarque la conscience, seraient logiquement plus développées. Au
niveau zéro de la reconnaissance, de l'identification d'une personne
ou d'un objet, il est certain qu'une photographie médiocre vaut mieux
qu'une belle description. Avant même l'intervention de la poésie,
cependant, le langage est capable de nous donner le monde visible et
ce que le visible évoque, en nous en offrant une image, en invitant à
la fois le visible et notre conscience du visible dans l'entre-deux
inévitable et salutaire de l'imagination, laquelle, dans toute connais
72
This content downloaded from 193.50.45.191 on Thu, 15 Dec 2022 16:36:42 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Poésie et peinture
73
This content downloaded from 193.50.45.191 on Thu, 15 Dec 2022 16:36:42 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Poésie et peinture
74
This content downloaded from 193.50.45.191 on Thu, 15 Dec 2022 16:36:42 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Poésie et peinture
(non pas une toile, mais l'ensemble de son œuvre) dans un des qua
trains bien connus des « Phares » :
Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges,
Ombragé par un bois de sapins toujours vert,
Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges
Passent, comme un soupir étouffé de Weber [...]
Nous voyons en esprit (comme devant un tableau), mais aussi, pour
ainsi dire, avec l'oreille, le lac, le bois, le ciel, un mot comme « cha
grin » servant, tout simplement, à définir le fond émotif du paysage.
En commentant ces vers — en traduisant sa traduction - dans l'essai
sur les œuvres de Delacroix à l'Exposition universelle de 1855, Bau
delaire souligne, par les mots: «Lac de sang: le rouge [...] un bois
toujours vert: le vert, complémentaire du rouge», le travail propre
ment pictural du coloriste, tout en révélant, sans le dire, le heurt entre
la mort et la vie, la vie devenant, en quelque sorte, complémentaire de
la mort. Et c'est peut-être pour souligner la présence auditive du
visible que Baudelaire écoute aussi, dans une œuvre de peintre, des
« fanfares étranges » et purement métaphoriques, le « soupir étouffé »
de la musique de Weber. Plus on la compare avec la peinture, plus on
peut se persuader que la poésie possède, en dehors de toute question
de synesthésie, une capacité à la fois d'audition et de vision.
75
This content downloaded from 193.50.45.191 on Thu, 15 Dec 2022 16:36:42 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Poésie et peinture
76
This content downloaded from 193.50.45.191 on Thu, 15 Dec 2022 16:36:42 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms
Poésie et peinture
77
This content downloaded from 193.50.45.191 on Thu, 15 Dec 2022 16:36:42 UTC
All use subject to https://about.jstor.org/terms