Vous êtes sur la page 1sur 192

Mathevet Frédéric

Manuel d’arts plastiques

Tome I
Déplacer la ligne d'horizon
À la mémoire du Groupe En Cours.
3 Avant-propos

Avant-propos

L’atelier centrifuge

« C’est pourquoi l’analyse non créatrice mutile , parce qu’elle réduit une œuvre à des démarches finies, formées ;
elle considère l’œuvre comme une somme de forces en équilibre où l’invention est enclose. Elle considère que
l’invention appartient à ces forces et ne peut leur échapper ; elle n’admet pas qu’elles puissent être centrifuges ;
elle les renvoie à l’intérieur d’une œuvre, à l’intérieur d’une période historique déterminée. »
Pierre Boulez, Leçons de musique, Christian Bourgois éditeur, Paris, 2005, p.74.

Avant que vous ne les lisiez, j’aimerais apporter quelques éclaircissements


concernant l’écriture de ce présent ouvrage et du manuel d’arts plastiques
tome deux, son double (quoiqu’il ne soit pas seulement l’ombre de ce premier
livre,).Je ne voudrais pas que mon projet soit mal interprété, dans la mesure où
4 Manuel d'arts plastiques tome 1

s’inscrit a priori entre ces deux objets un manque apparent, le lieu d’où je
parle, le lieu où ont été écrits ces deux livres et où ils retournent pour en
devenir une partie essentielle de ce qui s’y trame ― l’atelier !

J’insisterai sur cette absence « apparente » parce que, paradoxalement,


vous pouvez être convaincus de sa présence. En effet, on retrouve tout entier
l’atelier dans le projet, l’écriture « multiple » et l’intention de ces deux
ouvrages. Mais l’atelier, ou « mon » atelier, devrais-je dire, est « centrifuge ».
Il est à l’image de la plasticité soutenue dans ces deux textes, parce que c’est
elle-même qui est centrifuge : elle est toujours tournée vers l’extérieur… parce
qu’elle est généreuse.

En effet, ma pratique est doublement présente dans ces deux livres.


D’une part, le fil du texte s’appuie sur des exemples qui sont des reproductions
de mes travaux personnels (plus particulièrement dans le second tome). Son
écriture est le précipité d’un double mouvement – un va-et-vient – entre le
5 Avant-propos

retour réflexif sur mon travail et la projection vers le travail à venir. D’autre
part, mais c’est une conséquence logique de notre remarque précédente, c’est
aussi la gymnastique plastique qui s’intrigue à l’atelier centrifugé qui a rendu
possible ces deux livres : ils sont le résultat de la plasticité, parce que c’est
mon atelier qui motive la forme et les liens qu’entretiennent ces recueils. Mon
atelier est à la fois « dedans » et « entre ». Dedans, parce que l’écriture s’y
précipite en s’y appuyant, et entre, parce que l’écriture plastique scrute ces
formes locales et leurs rapprochements, leurs confrontations, leurs montages,
ainsi que l’image globale que représentent ces deux tomes.

L’atelier dont il est question dans ces deux livres est donc le mien. Ce
lieu mi-fictif mi-réel où se joue l’essentiel de ma « gymnastique » plastique
quotidienne. Cet espace aux bords flous qui se déplace avec moi, qui est
parfois à ciel ouvert, parfois borné. Ce lieu sans séjour, pour paraphraser
Daniel Charles, qui est aussi un séjour sans lieu. Un absolu chantier d’images,
de dessins, de notes, de sons, de plans vidéo, qui se rapprochent, s’éloignent,
6 Manuel d'arts plastiques tome 1

mais aussi se contaminent, se confrontent et se mêlent. C’est ici que les deux
manuels transpirent. Et les œuvres redessinées, celles des autres et les
miennes, les analyses, les métaphores, les jeux, les liens et les passages entre
chacun de ces deux livres rendent compte de l’atelier singulier qui les a vu
naître. Ces deux manuels sont comme le résultat d’une centrifugation.

Alors, dans leur forme distanciée, ils donnent, je l’espère, une image
juste de cette pensée d’atelier qui ne souhaite pas regarder seulement son
nombril. Ces deux livres sont et rendent compte de ce bricolage perpétuel, où
se côtoient sur les rayons de la bibliothèque les catalogues d’art contemporain,
les textes philosophiques, les partitions, mais aussi les bandes dessinées et les
livres de cuisine… qui plus est lorsque cet humble savoir folié se glisse entre
les dessins, l’ordinateur, les instruments de musique et dans la mesure où son
but reste, comme priorité, la pratique : retourner à l’atelier dès demain, malgré
l’arrêt théorique momentané que représente l’écriture de ces deux manuels.
7 Avant-propos

Ces recueils essaient d’être au plus proche, c’est-à-dire qu’ils tentent


d'examiner objectivement les phénomènes réels d’élaboration des œuvres au
sein de mon atelier1 et ils en constituent le produit. Ce serait une erreur que de
penser que ces deux recueils ne reposent sur rien et qu’ils ne livrent qu’une
fiction du travail artistique, qu’une métaphysique. Au contraire, l’atelier
centrifuge exige une écriture complexe faite de passages, de rapprochements et
de confrontations. Ces recueils sont des tapis. C’est une pensée sur le chantier
qui l’exige : quelques prises de vue fugitives du sol de l’atelier où l’on aurait
cherché à rapprocher des fragments de journal intime, des œuvres, des croquis,
des sons... et ausculter le sens entre les coutures : les figures de la gymnastique
engagée dans l’atelier sont toutes entières prises dans le texte, dans les images
et dans leurs liens. Il ne s’agit pas bien sûr de fixer une fois pour toutes une
pratique artistique, mais d’épingler ce moment jusqu’à une prochaine fouille
entre ses coutures.
1
Ce texte est poïétique dans la tradition du sens définit par Paul Valéry.
8 Manuel d'arts plastiques tome 1

Par là même, nos deux textes sont ambigus.

J’ai souhaité le premier livre qui constitue cette image de mon atelier
comme un texte agissant. C’est un livre de recettes ou de bricolages, destiné à
ceux qui souhaitent se consacrer aux arts plastiques contemporains. Le langage
est simple, la pratique artistique simplifiée et épluchée. Le premier manuel
comme principe d’écriture a été pour moi une mise à distance de la plasticité.
L’idée d’auteur empirique a été repoussée jusque dans ses derniers
retranchements. Il ne s’agissait pas de filtrer subjectivement l’activité
artistique mais d’approcher objectivement le travail plastique. Le nœud de ce
livre, son chapitre central : « l’observation ». D’une part, ce manuel livre
certaines techniques nécessaires afin de parvenir à une pratique artistique que
je souhaite rigoureuse (et nous savons à quel point la pratique du « manuel »
est peu courante dans la culture « plastique ») ; d’autre part, il s’engage et
défend une certaine conception de la plasticité, il réclame une pratique en prise
9 Avant-propos

avec le réel dans ce qu’il a de plus trivial : notre réalité postindustrielle et sa


marche vers sa mondialisation. C’est pourquoi, même s’il n’en prend pas la
forme directement, ce manuel est aussi un manifeste. Pour autant, il ne
réclame pas une pratique « réaliste », au sens où nous pouvons l’entendre dans
l’histoire, mais une pratique concrète dans toutes ses dimensions : les
matériaux, les modes de visibilité de l’œuvre, le temps...c’est-à-dire toutes les
corrélations à prendre en compte dans la réalisation d’une œuvre. De plus, si
les exigences de l'analyse excluent l’auteur subjectif, ce manuel n’en porte pas
moins toute ma pratique personnelle, comme nous l’avons déjà évoqué. Pour
certains, ce manuel ne dit rien de fondamentalement nouveau, pourtant le
chemin qu’il trace à l’intérieur du travail plastique est singulier. Il présente
toutes les œuvres que je me suis approprié, il fait des connexions qui sont
celles de mon esprit, il m’est adressé autant qu’à « vous ». Alors, il est une
poétique aussi.
10 Manuel d'arts plastiques tome 1

Ce premier livre s’est réalisé de cette triple écriture : manuel, manifeste


et poétique. Un exercice de style multidirectionnel qui fait de ce texte un geste.
Le second livre semble être le miroir du premier. Il est tout aussi
engagé et rejoue la triple écriture mise en œuvre dans l’ouvrage précédent. Il
est une application à la musique de l’épure de la plasticité décrite dans le
premier tome. Il ne propose pas des passages de notions entre arts plastiques et
musique, ni une synesthésie subjective, mais il considère plutôt le travail
compositionnel musical comme un cas particulier de la plasticité2. La
rencontre entre arts plastiques et musique a lieu dans l’atelier. Encore une fois,
un texte polémique qui va faire bondir plus d’un musicien ! (Il faut dire que le
rapport des plasticiens et des musiciens à l’égard de leur histoire est
radicalement différent). Dans celui-ci la plupart des exemples sont empruntés
à ma pratique. C’est un livre qui est une analyse globale de celle-ci et qui
s’engage également dans la pratique musicale contemporaine. Ce second
2
Comme la peinture est un cas particulier de la plasticité, le cinéma, la vidéo, la photographie...ou le
dessin qui devrait constituer prochainement le sujet d’un manuel d’arts plastiques tome III.
11 Avant-propos

manuel reprend (joue/rejoue) la grande tradition du texte pédagogique et


l’analyse, des structures profondes aux structures superficielles, de la fabrique
de l’œuvre musicale.

N’en doutez pas, ces deux livres sont écrits au cœur même du travail
artistique, sans pour autant sombrer dans le discours ésotérique et subjectif sur
l’intérieur de la création. Car notre atelier centrifuge et centrifugé,
conséquence ultime de sa gymnastique étendue à l’écriture, sollicite l’autre. Il
se divulgue, et il y a une urgence à le faire, il ouvre une porte : celle d’une
conversation entre artistes qui refusent les discours prêt-à-porter sur la
création, débarrassés enfin du génie, du talent, de l’inspiration divine et des
théories fumeuses psycho-philosophico-esthétisantes. Il s’agit bien de décrire
ce moment où l’on retrousse ses manches et où l’on se rend à l’atelier, puis on
y travaille, on y cherche et recherche, on y trouve des solutions, on y pose des
problèmes et on constate la sueur de son front. Parce qu’il est essentiel que
12 Manuel d'arts plastiques tome 1

l’artiste reprenne aujourd’hui sa position de spécialiste à l’intérieur du


sensible.
13 Avant-propos

« (...) Par le travail/production artistique même, nous avons, tout au


long de l’art, le signalement de l’existence de certains problèmes. Cette
connaissance exacte de ces problèmes sera appelée la théorie (à ne
pas confondre avec toutes les « théories » esthétiques que l’histoire de
l’art nous a léguées.)
(...) Non seulement la théorie est/sera indissociable de sa propre
pratique, mais encore peut/pourra susciter d’autres pratiques
originales. (...) ou, comme le définit Althusser : « Théorie : une forme
spécifique de la pratique. » »

Daniel Buren, « mise en garde » in Konzeption/conception, Stadtisches


Museum, Leverkusen, 1969.
14 Manuel d'arts plastiques tome 1

Introduction

V ous avez étendu une bâche entre le pouf et la télévision pour faire un
peu de peinture*3. De temps en temps, vous vous rendez à la campagne,
chevalet et châssis sous le bras, si le temps est clément. Vous rêvez de faire
bonne figure sur les boîtes de chocolat, comme les impressionnistes. Parfois,
vous vous contentez simplement d’un carnet à dessin, pour esquisser
seulement votre futur chef-d’œuvre, sur le motif. Les arts plastiques sont le
hobby de vos week-ends, parce qu’évidemment, il faut bien exercer un travail
plus sérieux, ne serait-ce que pour payer les couleurs à l’huile. De toute façon,
vos contemporains ne sont pas prêts de reconnaître votre travail, les
« artistes», vous le savez bien, sont tous logés à la même enseigne et ne sont
3
Les mots suivis d’un astérisque sont définis dans le lexique en fin d’ouvrage à partir de la page 98.
15 Introduction

reconnus qu’après leur mort. Pourtant, vous avez épousé l’Art et, sans
concession, vous continuez à vous répandre sur votre toile, à déverser vos
angoisses terre de sienne et vos fantasmes rouge carmin puisque le monde est
insensé et que vous vous considérez comme un voyant, habité d’une
inspiration divine.

Et bien cher(e) ami(e), ce livre est fait pour vous parce que vous vous
faites une très mauvaise idée de ce que sont les arts plastiques. Il est temps de
remettre en cause la fiction* du travail artistique qui vous habite4.

Ce scénario* d’ailleurs commençait à vous peser, si j’en crois la


présence de cet ouvrage entre vos mains, tant il est vrai que l’idée même
d’écrire un manuel d’arts plastiques va à l’encontre de cette
« glamourisation*» de l’art.
4
On me reprochera sans doute d’exagérer. Cependant, il suffit d’allumer la télévision pour constater à
quel point ce cliché reste répandu.
16 Manuel d'arts plastiques tome 1

Maurizio Cattelan, La nona ora, 1999.


Installation ( technique mixte).

Ce n’est pourtant pas de votre faute. Notre société postindustrielle,


tellement préoccupée à canaliser le sensible, manifeste peu d’intérêt pour le
travail artistique. Affairée dans le négoce* généralisé, elle préfère scénariser et
17 Introduction

standardiser les produits culturels au service de la consommation, et répandre


des lieux communs ridicules sur la pratique artistique. Car tel est son intérêt.

Alors rapprochez-vous, que je vous livre l’une des raisons de ce livre,


l’idée forte à glisser dans toutes les oreilles. Car je sais que, déjà, certains ont
dirigé leurs talons en arrière. Voilà, notre société de consommation sait que la
pensée plastique* au travail incorpore les possibilités de sa ruine.

L’avenir que dessinent nos gouvernements pour l’enseignement


artistique n’en est-il pas une preuve suffisante ? « Visuel » va être préféré au
petit encombrement conceptuel que représente « plastique* ». Mais notre
modernité ne s’était-elle pas ouverte sur le refus d’un art seulement rétinien
(M. Duchamp) ? Le but inavoué de ces réformes ne serait-il pas de former des
spectateurs, éclairés mais dociles aux manipulations publicitaires ? La
question pour nous est de savoir ce que le mot « plastique* » implique qu’il
s’agit de sauver.
18 Manuel d'arts plastiques tome 1

Si littéralement « plastique* »
désigne les matières malléables qu’il faut
informer avec les mains, il ne désigne pas des
savoir-faire, mais la matière informée autant
que l’acte même qui a présidé à sa mise en
forme. Par extension, la plasticité désigne la
capacité à recevoir une forme et à la donner.
Elle ne donne pas, non plus, de définition
précise des matériaux « plastiques* », et
l’histoire de l’art nous enseigne que le corps,
les idées, les sons5 sont aussi malléables que
la peinture ou l’argile.

Gabriel Orozco, My hands are


heart, 1991. Bref, « plastique* » abolit l’idée
2 cibachromes de 41X51cm. d’une œuvre artistique qui serait une
5
Le second tome de ce manuel sera consacré au cas particulier de la musique.
19 Introduction

rencontre entre le corps d’un côté et l’esprit de l’autre, entre le sensible et la


raison, mais affirme au contraire la possibilité d’une intelligence sensible où le
geste et la pensée sont deux qualités inséparables d’un même moment, et non
pas deux bords distincts qui se rencontrent de temps à autre.

C’est le projet de cet ouvrage : proposer quelques humbles


échauffements conceptuels avant de se livrer à la gymnastique* plastique, où
les actions et leurs enchaînements sont autant de figures qui rendent compte
d’une logique sensitive. Une corporalité de la pensée (Nietzsche) qui s'énonce
logiquement dans du sensible en acte, à laquelle il faut rendre la possibilité
d’une recherche. Condition nécessaire pour sortir l’expérience esthétique
individuelle du carcan publicitaire qui ne revient à rien d’autre qu’à rendre
inopérants nos sens. Car il est temps aussi de discuter le totalitarisme sournois
des images* de notre occident contemporain.
20 Manuel d'arts plastiques tome 1

« Plastique* » produit une intelligence particulière qu’il faut à chaque fois


inventer et construire. Ce manuel apparaîtra alors comme un livre de
bricolages, affirmant que le travail plastique* est avant tout une série
d’opérations, de manœuvres sensibles. Car, c’est de « penser avec ses mains »
qu’il s’agit de sauver. Il est alors nécessaire de préciser les intentions de
l’auteur : son but n’est pas de faire école mais bien de donner le désir à
d’autres d’écrire à leur tour un manuel, d’ouvrir la possibilité d’une discussion
et de dédramatiser le nœud dans lequel se fourvoie le travail artistique depuis
la mise en place d’un capitalisme global formalisant.
21 Le matériel

Le matériel

Daniel Buren au travail.


22 Manuel d'arts plastiques tome 1

Premiers pas

C hapitre nécessaire à tout bon manuel, il paraît évident de commencer par


une liste des outils indispensables à la pratique artistique. Le jardinage,
par exemple, requiert différents outils, des plus essentiels aux instruments les
plus sophistiqués, qu’un manuel approprié vous proposerait d’acquérir au fur
et à mesure de votre apprentissage.

Or l’histoire de l’art depuis le XXème siècle nous a appris que l’on


pouvait fabriquer de l’art avec tous les outils et tous les ustensiles disponibles,
y compris ceux du jardinage. Parfois même, il s’agit de les inventer. R.
Smithson utilise une pelleteuse, Oppenheim une moissonneuse batteuse6, une

6
Directed Seeding-Cancelled crops, 1969 : un champ de blé moissonné en X.
23 Le matériel

moto7 ou un avion8. D’autres pensent avec leurs pieds et pratiquent la marche


(G. Orozco, R. Long), certains se servent de leur corps comme outil, matériau
et support.

Robert smithson, Spiral jetty, 1970

7
Time line, 1969 : une ligne tracée en dix minutes dans la neige en suivant le fuseau horaire qui
délimite Fort Kent (Maine, Etats-Unis) et Clair (New Brunswick, canada).
8
Voir illustration p. 36.
24 Manuel d'arts plastiques tome 1

Dans de nombreux cas propre à la pratique plastique* contemporaine,


les artistes utilisent toute une série d’outils et de matériel différents. Il ne faut
alors pas perdre de vue que ces combinaisons, ces enchaînements qui
déterminent déjà une suite d’opérations plastiques vont produire du sens. Le
matériel et les outils sont souvent choisis en fonction de l’idée sensible à
réaliser. Depuis le marteau utilisé lors de l’accrochage à l’appareil
photographique qui documente votre intervention ou qui vous permet de
réaliser une image* construite et autonome.
25 Le matériel

R. Long, A line made by walking, 1967.


Document photographique.
26 Manuel d'arts plastiques tome 1

Fusains, pastels, peinture à l’huile, encre de chine, pinceaux de


différentes tailles, en poil de martre sans doute…Pensiez-vous que c’est ce que
j’allais vous proposer ? Ces outils impliquent des techniques précises qui
correspondent à des règles locales* de cas particuliers de la pratique artistique.
Les traditions de l’art ne sont pas des modèles mais des questions, nous
pouvons apprendre à nous en passer. Considérer les « traditions de l’art »
comme des règles à imiter est une aporie qui signifierait que vous vous faites
une idée a priori du beau9, que vous valorisez des savoir-faire qui en aucun cas
ne suffisent à faire l’art, parce que la technique ne pense pas. Même si une
connaissance approfondie de ces traditions n’est cependant pas négligeable.

Retenez que la question du matériel est importante pour celui qui veut
pratiquer les arts plastiques, dans la mesure où elle détermine déjà une
pratique et une recherche. Le choix de matériels que je me propose de vous
9
Rappelons que notre modernité s’est ouverte sur un geste anesthésié : une roue de vélo fixée sur un
tabouret.
27 Le matériel

soumettre est déterminé tout naturellement par ma conception de travail


plastique. Vous le comprendrez au fil de votre lecture. Il ne s’agit, bien
entendu, que d’une proposition, elle n’est pas exhaustive. Vous vous rendrez
compte de sa validité à l’usage, et vous l’augmenterez ou en changerez selon
les besoins propres à votre pratique à venir.
Pour les avoir testés, il me semble que…
28 Manuel d'arts plastiques tome 1

Ceux-ci ont l’avantage de se glisser dans la poche ou dans le sac, et


donc vous donnent la possibilité de vous livrer à la pratique des arts plastiques
à tout moment*. Et nous verrons en quoi cette notion de moment est
importante dans notre conception de la pratique. Il paraît important d’insister
ici sur le fait que cette notion de moment est directement liée aux choix des
outils et ustensiles.
29 Le matériel

Denis Oppenheim au travail. Ligne tracée dans la neige avec une pelle pour Annual Rings, 1968.
30 Manuel d'arts plastiques tome 1

L’appareil photographique et la caméra numérique peuvent apporter un


soutien particulier à votre travail. Ils peuvent servir à documenter vos
interventions plastiques extérieures par exemple. Comme nous le verrons plus
tard, ces images* ne sont pas sans poser problème dans la mesure où l’idée de
document* suppose que le matériel d’enregistrement est une trace objective de
la réalité. Or, il suffit d’examiner avec un peu d’attention comment est
pratiqué le journalisme de nos jours pour constater que cette idée est
discutable. Ces traces deviennent rapidement des fictions, en jouant
sournoisement avec l’écart que constitue tout appareil.

Enfin un système informatique peut être le bienvenu. Il vous permettra de


stocker ou de retravailler les images* produites. L’ordinateur aujourd’hui a, en
effet, trouvé sa place au sein de l’atelier. Il a l’avantage d’avoir une grande
capacité de stockage (images*/vidéos/sons) et propose des outils
d’organisation permettant la mise en place d’une recherche efficace. Vous
pourrez ainsi comparer, classer et diffuser (pourquoi pas ?) vos œuvres. Bon
31 Le matériel

nombre de logiciels multimédias10, particulièrement ceux qui permettent la


retouche d’image, peuvent s’avérer des outils intéressants pour le travail
plastique*, en particulier concernant l’écriture d’œuvres interactives
entrelaçant images* et sons. Mais n’allons pas trop vite.

Le méta-atelier

L a question de l’atelier est tout entière sous-entendue dans la notion de


matériel, dans la mesure où le matériel choisi va déterminer une
pratique, c’est-à-dire un mode opératoire sensible. L’espace du travail
artistique est implicite dans le matériel que vous allez choisir. Or, si le travail
10
L’acquisition de logiciels pose problème à cause de leur prix. Nous vous conseillons de vous
procurer des logiciels libres (voir, par exemple : Framasoft. net).
32 Manuel d'arts plastiques tome 1

artistique traditionnel supposait un lieu spécifique à sa réalisation, la définition


de l’atelier contemporain paraît bien floue. Quel espace serait suffisamment
souple pour accueillir une moissonneuse batteuse, un ordinateur et ses
périphériques numériques, l’arrosoir, la bêche ou le râteau ? Cette souplesse
aujourd’hui essentielle à la pratique artistique contemporaine réclame un lieu
aux limites intérieur/extérieur beaucoup moins précises qu’auparavant,
vaporeuses : un méta- atelier.

Ce méta- atelier constitue avant tout un espace mental. Il tient tout aussi
bien dans la poche ou dans un sac ( le carnet, l’appareil photo, le minidisque,
la caméra, la « patafix »...), que dans le tissu de 0 et de 1 de l’ordinateur. Cet
atelier est, alternativement, la caravane du camping ou la seconde chambre de
votre F3, la maison de campagne ou votre ordinateur portable qui ne vous
quitte plus. C’est un espace nomade qui s’adapte à une pratique plastique*
nomade. C’est une boîte à outils mobile. Vous l’aurez compris, le méta-atelier
33 Le matériel

a tout à voir avec la « plasticité » telle que nous la défendons depuis les
premières pages de ce manuel.

Ce lieu sans séjour, qui est aussi un séjour sans lieu, pour reprendre la
belle formule de Daniel Charles, est la condition de la pensée du geste, où le
raisonnement et le corps ne font qu’un. Nous y trouvons des livres, des films,
de la musique bien entendu, des crayons aussi, des dessins, des photographies
et de la mémoire. Puis la gymnastique*, cette pensée du corps – corps du
pensée. Le bricolage décontracté se fait de ces fragments, de leur
rapprochement inédit qui permet d’engager d’autres figures. Parce que
l’essentiel du méta-atelier se constitue par la pratique, et comme lui, elle est
toujours en cours. La matérialisation dans un objet autonome n’est jamais
qu’une forme actualisée d’un moment particulier de cet espace. Une prise de
vue du sol de l’atelier précise et datée. Mais ne croyons pas que cette
matérialisation est moins importante que le processus de mise en œuvre.
L’œuvre doit prendre une forme juste du méta-atelier.
34 Manuel d'arts plastiques tome 1

La plasticité provoque du sens(ible)11.


Le matériel doit en toute logique être choisi avec la même souplesse, ou
plutôt, être choisi s’il garantit une certaine souplesse : celle d’une pensée
plastique* au travail, perpétuellement en procès.

Les opérations plastiques

En effet, le matériel détermine les opérations plastiques*. Que sont les


opérations plastiques* ? Les figures de votre gymnastique*. Les sauts
périlleux arrière, les équilibres, les roulades, les assauts, revers et parades − de
vos gestes les plus quotidiens (collecter, découper, coller...) aux activités les
plus complexes (jardinage ?). Ces opérations ne sont pas vraiment des objets,

11
Nous aurons l’occasion de retrouver cette formule où le sens et le sensible sont réunis dans un seul
mot. Une manière de rompre avec les dichotomies en vigueur.
35 Le matériel

ni des concepts puisqu’elles procèdent, comme nous l’avons dit, du corps et de


la raison simultanément. Cependant, elles font signe. Ces pratiques sont
directement liées au sens de votre travail. Elles s’incorporent avec les
matériaux et la situation qui les tient.

Nous ne pouvons pas les nommer, juste les approcher. C’est pourquoi,
tout au long de ce texte où nous sommes amenés à les rencontrer, ces
opérations empruntent des mots. Mais ce ne sont que des mots, et non pas des
faits. Chaque mot-opération ne va pas alors désigner un mouvement précis,
mais un réseau d’activités. Vous remarquerez du reste qu’il sera toujours
question d’opérations à partir de quelque chose. Chacune d’elles pouvant être
découpée et provoquer une autre série de figures. D’ailleurs, les mots-
opérations dont nous allons faire usage désigneront plus une direction qu’une
opération définie, de telle sorte que ces mots puissent recueillir une grande
quantité de gestes.
36 Manuel d'arts plastiques tome 1

Erwin Wurm, one minute sculpture, 2000.


38 Manuel d'arts plastiques tome 1

S uite logique du précédent chapitre, les matériaux désignent le niveau


substantiel d’une œuvre, c’est-à-dire les constituants physiques mis en
œuvre dans un travail plastique*. En effet, les arts plastiques sont avant tout
une pratique sensible qui nécessite une attention particulière aux choses et à
leur manipulation.

Jusqu’au début du XXème siècle, les matériaux utilisés dans le travail


artistique étaient prédéfinis par des règles implicites. La sculpture ne
s’envisageait qu’à partir du bronze ou du marbre, modèles de stabilité,
matériaux immuables s’il en est, mais il est vrai qu’il fallait bien ce symbole
d’éternité pour matérialiser les saints et le dieu qui peuplent les églises. Quant
à la peinture, elle se pratiquait à partir de pigments dilués à l’huile sur toile de
lin. Règles locales* de pratiques figées que l’art d’aujourd’hui questionne :
tous les matériaux deviennent alors envisageables et la combinaison de
plusieurs d’entre eux aussi. Parfois même, l’artiste a recours à des objets déjà
fabriqués qui portent avec eux l’histoire de leur production.
39 Le matériau

Il va de soi que cette remise en cause des éléments substantiels du


travail artistique met en place de nouvelles modalités d’approche du matériau
qui sont à prendre en compte durant la pratique. Vous ne devez pas perdre de
vue que :
1. il faut privilégier une attention concrète aux matériaux ;
2. les matériaux en présence dans un travail plastique* sont porteurs de
sens. Choisir un matériau, c’est produire du sens comme choisir un mode de
combinaison (nouer, juxtaposer, mettre en vis-à-vis...) entre différents
matériaux ;
3. les matériaux en jeu dans un travail plastique* ont une relation de
conduction*, dans la mesure où choisir un mode de combinaison, c’est
proposer un passage entre des matériaux hétérogènes. (Bref les matériaux ne
sont pas des accessoires).

Comme vous pouvez le constater, nous ne nous tiendrons pas à la


typologie classique des matériaux telle que vous pourrez la trouver dans
40 Manuel d'arts plastiques tome 1

n’importe quel ouvrage usuel, où les matériaux sont classés en fonction de leur
solidité ou leur fluidité en catégorisant leur degré de malléabilité12. Ce regard
« réduit » s’avère, selon nous, trop abstrait à l’usage. Si cette catégorisation
s’intéresse aux qualités physiques présentes dans une œuvre, elle n’en reste
pas moins une description abstraite qui expulse le sens de ces matériaux. Que
pourrait signifier « faire une sculpture gazeuse » ? Comment le son peut-il être
un matériau « plastique* » disponible pour l’artiste ? Quel sens cela peut-il
avoir ? Comment le plasticien peut-il faire dialoguer une sonorité avec
d’autres matériaux hétérogènes ? En effet, c’est la critique essentielle que nous
ferons de l’approche classique : la juxtaposition et l’assemblage de ces
matériaux, leurs rapprochements, ne sont pas pensés dans les descriptions
figées qu’elle propose. Finalement, elle nous renseigne seulement sur les
progrès des artistes depuis qu’ils se sont débarrassés du marbre comme
matériau unique de l’art.
12
On distingue alors les matériaux semi-malléables (plastique*, fer...) des matériaux stables (pierre,
bois) et des matériaux fluides (eau, gaz...et son).
41 Le matériau

Nous proposerons alors et insisterons sur une approche moins


« pétrifiée » du matériau. Depuis que le travail plastique* se fait
d’assemblages, de combinaisons, les matériaux hétérogènes se rencontrent. Ils
sont solubles, ils glissent les uns dans les autres et leur mutabilité crée du sens.
Nul doute que les sons, les gaz, les liquides ont une vie propre : ils changent
d’état physique et se déploient dans le temps... On oublie souvent de le
préciser, mais les matériaux mis en œuvre dans une réalisation plastique* ont
une relation de conduction*. La conduction* suppose qu’à la différence de
l’œuvre « classique », immuable et incorporée à un matériau stable, ceux
employés aujourd’hui s’inscrivent dans une temporalité et communiquent
entre eux, physiquement (dans ce cas la conduction* n’est pas à entendre dans
son sens métaphorique) ou mentalement, c’est-à-dire que la conduction* est
sémantique (elle procède par association d’idées, pouvons nous dire). De plus,
le geste artistique qui canalise cette rencontre est un autre trajet à considérer. Il
est, comme nous allons le voir déduit des qualités du matériau. Et la somme de
ces trajets, leur précipité, en est le sens.
42 Manuel d'arts plastiques tome 1

Bien sûr, il est aberrant de faire une ligne de partage entre conduction*
physique et conduction* mentale, car elle rejouerait une séparation entre
sensible et raison qui ne serait pas en accord avec notre définition de la pensée
plastique*. Nous allons pourtant nous y livrer pour étayer notre propos.

Conduction physique

P rocédons logiquement tout d’abord, et auscultons les énergies physiques


en présence dans la réunion de matériaux hétérogènes. Nous proposons à
l’élève studieux que vous êtes de réaliser ces expériences à nos côtés.

Vous avez choisi des matériaux hétérogènes qui dialogueront entre eux
objectivement par leur qualité physique (texture, poids, grains…). Imaginons
alors une situation zéro, la plus simple et la plus évidente possible dans
43 Le matériau

laquelle vous pourriez vous trouver. Évoquons le fait que certains matériaux
choisis peuvent être suffisamment isolants pour ne pas communiquer avec
d’autres. Cependant, dans ce cas, il ne faut pas perdre de vue que des énergies
externes rentrent en ligne de compte. Comme la gravitation en particulier et les
forces qui en découlent : équilibre, suspension… De par leur imperméabilité,
si vous voulez les mettre en contact, vous devrez choisir les opérations
plastiques* logiques qui s’imposent : superposer, nouer, envelopper… par
exemple.
44 Manuel d'arts plastiques tome 1

P.Manzoni, Socle du monde, 1961.


Acier : 82X100X100cm.
45 Le matériau

À partir de cette situation zéro nous pouvons concevoir une autre


possibilité, celle où les matériaux sont en relation de conduction* physique.
La conduction* physique peut être directe ou indirecte. Nous
nommerons conduction* directe les situations où un matériau se transforme
lui-même, c’est-à-dire, lorsqu’un matériau change d’état (exemple : Hans
Haacke, box weather), ainsi que les situations où un matériau se répand
physiquement dans un autre (exemple : Joseph Beuys, objet fluxus : de la
graisse sur du carton). Ce dernier cas peut désigner la conduction* au sens
strict, c’est-à-dire telle qu’on l’entend dans les sciences physiques. De ce fait,
nous appellerons conduction* indirecte, les situations où la transformation
d’un matériau entraîne des conséquences sensibles sur un autre matériau
(exemple : G. Anselmo, sculpture qui mange).

Vous avez choisi donc pour une conduction* directe des matériaux qui
vont cohabiter en communiquant physiquement les uns avec les autres ou des
matériaux qui changent de nature. Les matériaux en jeu dans votre travail
46 Manuel d'arts plastiques tome 1

plastique* correspondent par déplacement et diffusion de l’un à l’autre. Ce


sont des éléments qui vivent et se transforment. Parfois, il s’agit de matériaux
qui se décomposent du fait de leur nature périssable ou de matériaux instables
dans leur structure, sensibles à l’environnement. Aujourd’hui, l’acte artistique
peut consister seulement à rendre visible ces changements d’état du matériau.
Hans Haacke propose avec sa Weather Box (1963) une boîte en plastique*
remplie d’eau distillée qui passera de l’état liquide à l’état gazeux. Le gaz
retrouve sa forme liquide par condensation en fonction des conditions
atmosphériques variables auxquelles la sculpture est soumise, puis s’évapore à
nouveau. Hans Haacke précisera à propos de ce travail : « Une sculpture qui
réagit physiquement à son environnement ne peut plus être regardée comme
un objet. » Le spectateur devient le témoin d’un système qui « ne relève pas de
l’imaginaire », mais qui est « de l’ordre du réel (souligner par nous). »
47 Le matériau

Hans Haacke, Weather box, 1963.


Plexiglas et eau.
48 Manuel d'arts plastiques tome 1

Voici un premier point théorique important concernant notre approche


physique du matériau plastique* et de l’objet artistique qui en résulte. Sans
doute vous demandez-vous ce que peut signifier une œuvre qui « relève
du réel » ?

Ecoutons ce que nous dit la déclaration de H.Haacke : cette énergie


déployée qui se transforme en une autre énergie, nous donne une nouvelle
vision de l’objet d’art. Autrefois sacralisé, contenu dans un matériau
immuable, le travail plastique* réintroduit aujourd’hui le vivant en s’inscrivant
dans une temporalité concrète. L’œuvre n’est pas coupée du réel, elle se vit
(du point de vue du spectateur) au présent et par là même, parce qu’elle n’est
plus une illusion, elle rejoint la vie « quotidienne ». Pour vous plasticien
amateur, l’énergie et la durée doivent être prises en compte dans la
combinaison de matériaux car elles font sens. Les opérations plastiques* qui
découlent logiquement d’une telle approche, prennent en considération les
notions de chaleur, d’attraction, de devenir…car il ne s’agit plus de donner
49 Le matériau

une copie la plus exacte possible de la réalité, ni de représenter une


quelconque éternité mais de s’inscrire dans le réel. De penser l’acte artistique
les pieds sur terre13.

13
La notion d’énergie décrite ici, ne doit pas se comprendre dans un sens « mystique », je le rappelle,
car c’est un risque dont nous ne sommes jamais trop à l’abri. Il s’agit bien de description physique ou
chimique.
50 Manuel d'arts plastiques tome 1

G. Anselmo, Sans titre ou sculpture qui mange, 1968.


Granit, fil de cuivre, laitue fraîche, terre ou sciure.
51 Le matériau

Les matériaux naturels et vivants soumis au pourrissement deviennent


disponibles. Dans ce travail d’Anselmo, la salade va pourrir et laisser tomber
le bloc de granit maintenu par un fil de fer. Discussion ironique avec les
œuvres du passé : c’est un socle qui mange de la salade. Chez Francis Alÿs,
c’est un chien aimanté à roulettes, qu’il promène dans les rues de Mexico,
relique des souvenirs ferreux de son parcours. Ces promenades donneront lieu
à des photographies retouchées à la peinture et des vidéos comptes-rendus.
52 Manuel d'arts plastiques tome 1

Francis Alÿs, The collector (Mexico City, October 1991), 1991.


53 Le matériau

J.Beuys, Fat chair I, 1963.


Chaise de bois, graisse et thermomètre.
54 Manuel d'arts plastiques tome 1

Ces matériaux labiles, qui s’inscrivent dans un procès, s’ils changent le statut
de l’objet d’art, n’en modifient pas moins fondamentalement le travail
artistique aussi. La gymnastique* plastique et ses figures, déduite de ces
matériaux, s’inscrit dans une œuvre qui est un moment. Cette manière de
considérer le matériau, comme vous avez pu vous en rendre compte par vous-
même, est complémentaire de notre façon d’aborder la plasticité. Elle apparaît
éminemment concrète, de par les nouvelles modalités du faire artistique
qu’elle induit. Et nous n’en sommes qu’au début.

Conduction Mentale

L a conduction* mentale se distingue des relations physiques d’un


matériau à un autre. Mais prenons garde à cette dénomination, il ne
s’agit pas de la comprendre comme un appel mystique. Comme vous pourrez
55 Le matériau

le constater, « mental » ne désigne pas des états d’âmes ou un quelconque


recours, dans ce qui va suivre, à la télépathie. Au contraire, la conduction*
mentale désigne la prise en considération du sens présent dans chaque
matériau utilisé et mis en relation avec un autre. Un assemblage qui s’avère
donc être aussi un assemblage de sens. La conduction* mentale est
essentiellement liée à la relation entre plusieurs matériaux « scénarisés ». Nous
pouvons dire qu’il y a conduction* mentale quand l’artiste choisit un
rapprochement, une relation construite avec des éléments matériels qu’il
choisit pour l’histoire que chaque matériau et/ou objet raconte(nt). Bref,
lorsque des matériaux hétérogènes dialoguent mentalement chez l’auteur et
chez le spectateur. Mais, est-il utile de le préciser, la conduction* mentale ne
nie en aucun cas les qualités physiques des matériaux choisis. D’ailleurs, il
n’est pas de matériaux qui ne soient pas scénarisés aujourd’hui, y compris les
matériaux les plus simples.
56 Manuel d'arts plastiques tome 1

La conduction* mentale nous fait envisager le sens d’une œuvre comme


une chaleur qui se répand...

Conduction mentale de matériaux scénarisés simples

C hoisir un matériau c’est choisir aussi le scénario* qui l’habite. Nous


pouvons affirmer qu’il n’y a pas de matériaux qui puissent
s’appréhender au premier degré. Ils ont déjà en quelque sorte un sens, de par la
« fiction » qui les traverse.

Choisir le marbre par exemple, c’est profiter de ses qualités physiques


intrinsèques, mais c’est aussi se référer à la sculpture classique et à son usage
dans l’histoire occidentale. Se servir de matériaux naturels (bois, feuilles,
57 Le matériau

plantes, terre...) ne peut s’envisager alors qu’à partir de l’idée contemporaine


que l’on se fait de la nature. L’idée de progrès, l’urbanisation et la disparition
du monde rural ont transformé notre pensée de la nature en lui attribuant un
statut d’ « authenticité », un paradis perdu et menacé (scénario* relayé par la
publicité, la culture bio...). Quant au béton, il est directement impliqué dans
l’histoire de notre société industrielle, et dans la reconstruction qui eut lieu lors
de l’après-guerre…Lorsque Hans Haacke récolte tous les déchets qu’il trouve
sur la plage, puis qu’il les entasse sur cette même plage pour faire une
photographie dénonçant la pollution (Beach pollution, 1970), le sens ne peut
passer que dans la mesure où la plage, en tant que matériau scénarisé (la
nature), et les déchets (la société contemporaine, ces attitudes, son
gaspillage...) se rencontrent.
58 Manuel d'arts plastiques tome 1

Hans Haacke, beach – pollution, 1970.

Parfois c’est le corps lui-même qui peut être utilisé comme matériau14.
Dans ce cas, on choisit de travailler avec toutes les représentations (artistiques

14
Mais les opérations plastiques qui traversent toute œuvre sont toujours la trace d’un corps.
59 Le matériau

et sociales) du corps, conditionnées par notre société : de le libérer de ses


représentations et d’affirmer au contraire un corps physique, fait de chair et de
sang (Gina Pane par exemple), de le questionner, en rejouant les codes de
représentation et les canons de beauté (Cindy Scherman) dans l’esthétique des
films hollywoodiens.

Ainsi Carolee Schneeman, avec meat joy (1964) dénonce la non égalité
des sexes dans l’expression du désir et dans la vie sociale, ainsi que la
violence sexuelle et les représentations récupérées par les mass média du corps
de la femme. Dans ce happening son corps devient le lieu d’une célébration de
sa sexualité. Elle utilise du sang, des carcasses de viandes, des poissons crus,
des saucisses, des poulets pour recouvrir son corps, elle devient elle-même
alors le support d’un collage.
60 Manuel d'arts plastiques tome 1

Intervalle – module 230, pour 2 violoncelles, 2007.15

15
Lorsque le nom de l'auteur n'est pas précisé, il s'agit d'exemples empruntés à mon propre travail.
61 Le matériau

La difficulté pour vous est de délimiter le champ de significations d’un


matériau scénarisé. En effet, le scénario ne doit pas se penser comme un
symbole, comme il ne doit pas renvoyer seulement à une mythologie
personnelle. Le scénario est un réseau complexe de sens (physique, historique,
sociologique...) qui doit s’appréhender objectivement dans votre pratique et
dans votre œuvre.

Une partie de l’histoire de l’art du XXème siècle peut se comprendre


comme la déconstruction rigoureuse de l’objet-scénarisé-tableau. Chacun de
ses constituants objectifs étant soumis à un questionnement : le cadre, le
châssis, la toile, la surface, le motif, l’accrochage... Se faisant, l’illusion, reine
de l’histoire de l’art occidentale, laisse place à une peinture littérale en
affirmant le tableau comme objet. Il n’y a rien d’autre à voir.
62 Manuel d'arts plastiques tome 1

BMPT, Manifestation, 1967.

Mais il va de soi qu’une telle approche trouve ses raisons abstraites du passé16:
16
Un modèle de penser notre rapport à l’histoire de l’art qui est à l’image de l’ « analyse centrifuge »
proposée par Pierre Boulez dans ses leçons de musiques, Christian Bourgois éditeur, 2005, p. 75 : « La
situation la plus séduisante est de créer un labyrinthe [une œuvre] à partir d’un autre labyrinthe, de
superposer son propre labyrinthe à celui du compositeur [analysé] : non pas essayer en vain de
reconstituer sa démarche, mais créer, à partir de l’image incertaine qu’on peut avoir, une autre
63 Le matériau

Edouard Manet, Un bar au Folies Bergère, 1882. Huile sur toile, 96X130cm.

démarche. L’analyse productive est probablement, dans le cas le plus désinvolte, l’analyse fausse,
trouvant dans l’œuvre non pas une vérité générale, mais une vérité particulière, transitoire, et greffant
sa propre imagination sur l’imagination du compositeur analysé. Cette rencontre analytique, cette
détonation soudaine, pour subjective qu’elle soit, n’en est pas moins la seule créatrice. »
64 Manuel d'arts plastiques tome 1

Conduction mentale de matériaux scénarisés complexes

M ais le scénario* d’un matériau peut s’avérer d’autant plus complexe


qu’un artiste a la possibilité aujourd’hui de choisir des objets qu’il
n’aura pas produits lui-même. Dans ce cas, il faut considérer tous les niveaux
de sens dont ces matériaux sont porteurs : usage social*, rapport historique,
fonction, matériaux utilisés, rapport au corps... C’est la pratique de
l’installation qui use le plus de matériaux scénarisés complexes à notre
époque, à la suite de M. Duchamp, qui, en inventant le ready-made, est
l’initiateur de l’usage d’objet « prêt-à-porter » dans le champ artistique. Et, à
l’image de cette roue de vélo fixée sur un tabouret17, c’est le rapprochement de
plusieurs objets, la confrontation des différentes histoires de chacun d’eux qui
va produire du sens. Il ne s’agit pas seulement d’assembler, mais d’organiser
17
Le premier ready made de M. Duchamp. Mais le terme de ready made n’apparaîtra que deux ans
plus tard.
65 Le matériau

cette rencontre d’éléments scénarisés. De ce fait, le geste artistique déduit des


matériaux scénarisés complexes est un geste de « montage ». C’est-à-dire que
le vis-à-vis de ces matériaux hétérogènes fait surgir du sens, comme lorsqu’on
rapproche deux images lointaines.

M. Duchamp, Why not sneeze


Rose Selavy ?, 1921.
Blocs de marbre en forme de
sucre, thermomètre, bois et os de
seiche dans une cage à oiseaux.
66 Manuel d'arts plastiques tome 1

Giueseppe Penone, Sans titre, 1984.


Main d’acier fixée dans un arbre.
67 Le matériau

Vous pouvez donc avoir recours à des matériaux complexes en tant


qu’objets déjà fabriqués par d’autres et directement liés à notre société
moderne. Il s’agit alors de considérer la narration domestique, sociale,
politique, culturelle qu’ils véhiculent. « Un usage social* qui s’ajoute à la pure
matière.18»

18
Ce mode de lecture des objets, des matériaux et des images* peut trouver un parallèle intéressant
avec le système sémiologique second défini par Roland Barthes dans « Le mythe, aujourd’hui »
(Mythologie, coll. Points, Ed. du Seuil, 1970). Selon lui, le système sémiologique second porte son
étude sur un système de signes inscrits dans les images*, les objets, les pratiques, contingent
culturellement et historiquement, mais néanmoins extrêmement fort. Cependant, la schématisation
signifiant/signifié/signe, même doublée et déboîtée pour la parole « mythique », où le signifiant
devient signe à son tour, semble insuffisante à décrire certaines pratiques. La publicité notamment,
dont le signifiant a un sens qui effectivement s’étend au-delà de son simple sens de vente, ne peut
s’interpréter que dans un réseau complexe d’usages, de pratiques, d’activations du cliché...etc que la
dichotomie classique ne suffit plus à appréhender. Pour nous, c’est ce réseau complexe, cette suite
d’opérations, qui fait signe.
68 Manuel d'arts plastiques tome 1

L’action artistique, les matériaux en présence dans l’œuvre manifestée


sont interdépendants. C’est la grande leçon de la conduction*, appliquée aux
éléments constitutifs d’un travail plastique*. D’une part, les opérations
plastiques convoquent un passage, d’autre part, les objets se diffusent. Notre
investigation du niveau substantiel de l’œuvre d’art contemporaine nous
conduit à affirmer que toutes les données de l’œuvre − et le geste apparaît
comme une donnée inévitable − doivent être connectées les unes aux autres.

L’immatériel

V ous pouvez toujours être tentés de jouer avec l’inconsistant,


l’immatériel. Cependant vous ne ferez pas l’impasse de sa
manifestation sensible. Y. Klein en exposant le vide à la Galerie Iris Clair
69 Le matériau

théâtralisera tout le protocole d’exposition afin de rendre sensible l’idée de


vide : les portes de la galerie furent enlevées de leurs gongs, les murs repeints
en blanc avec un médium IKB qui reflète la lumière et lui donne un reflet bleu
particulier. Les spectateurs, lors du vernissage, furent invités à entrer par une
porte de service et ils purent consommer un cocktail au curaçao.

Autant de petites opérations plastiques* qui visaient à rendre sensible le


« vide ». Les notions abstraites irreprésentables ou les idées (art conceptuel)
sont toujours amenées à trouver une forme sensible indirecte. Il n’y a pas de
rencontre possible avec l’immatériel, il y a toujours une manipulation sensible
à réaliser. Et c’est l’intérêt de ce chapitre que de proposer une analyse simple
des matériaux pour éviter les dérives mystiques.

Ce court détour par l’immatériel confirme au contraire ce que nous


avons pu avancer jusqu’ici : les opérations plastiques produisent du sens.
70 Manuel d'arts plastiques tome 1

J.Beuys, capri batterie, 1985, citron et


ampoule.
71 Le matériau

Tableau 1. Tableaux des conductions.


72 Manuel d'arts plastiques tome 1

Int erl ude I :Q uatre équations pour com prendre le

travailplastique.

« Se rendre à l’atelier et s’impliquer dans une activité quelconque.


Parfois, il apparaît que cette activité nécessite la fabrication de quelque
chose, et parfois cette activité constitue l’œuvre. » C’est cette citation de
Bruce Nauman qui nous servira d’axiome. Elle nous paraît tout à fait en
accord avec le méta-atelier que nous avons développé dans le chapitre
premier. Elle rend compte du mouvement dans un premier temps : le corps qui
« se rend à » et qui, dans un deuxième temps, s’engage dans une activité. Cette
gymnastique* s’actualise parfois dans une forme sensible ou se suffit à elle-
même. Rappelons toutefois que l’atelier, tel que nous l’entendons, est un
espace ouvert et mobile.
73 Interlude I : Quatre équations pour comprendre le travail plastique.

Figure 1. Schéma du méta - atelier

Si les équations qui suivent peuvent paraître très abstraites, leur but est
de montrer que le sens se trouve déjà dans les différentes possibilités
d’envisager le travail artistique. Celui-ci et l’objet d’art supposent un réseau de
74 Manuel d'arts plastiques tome 1

significations. Les équations indiquent que tous les éléments sont


interconnectés, ce qui est une condition nécessaire à la production de sens. De
plus, comme la tendance générale est à une « défonctionnalité » de la motricité
artistique, ces petites formules rétablissent la position centrale du corps et
l’activité gestuelle défendue par notre conception de la plasticité19.

Enfin, vous trouverez à la suite de chaque équation, un petit résumé


dont le but est d’éclairer la lecture de ces abstractions et de comprendre le sens
que peut prendre la variation autour du travail artistique. Les exemples
s’appuient sur l’histoire de l’art.

Il ne faut pas perdre de vue que ces équations ne constituent pas des
modèles, puisque le travail artistique est toujours à inventer.

19
Le début des équations (énergieÆ) désigne les gymnastiques* plastiques proprement dites !
75 Interlude I : Quatre équations pour comprendre le travail plastique.

Figure 2. Equation 0.

L’équation 0 présente le travail plastique* dans sa forme classique et


attendue, le travail en atelier sous la forme d’une série d’actions sur un (des)
matériau(x) dans le but de réaliser un objet qui prendra le statut d’œuvre (ex :
peindre Æ peinture à l’huile sur toile de lin Æ pour réaliser un tableau.)
L’atelier est un espace clos et sédentarisé.
76 Manuel d'arts plastiques tome 1

La circonstance* scénarisée dont il est question à la fin de la formule


désigne l’exposition dans son acception traditionnelle. Nous développerons ce
point plus précisément dans le chapitre concernant la circonstance* (en fin
d’ouvrage).

Figure 3. Equation 1.
77 Interlude I : Quatre équations pour comprendre le travail plastique.

Comme nous l’avons vu, le travail artistique a beaucoup évolué au


cours du XXème siècle. Le corps de l’artiste et les actions du corps appliquées
au matériau constituent des moments qui se sont autonomisés au point de
devenir l’œuvre elle-même. Il faut ici préciser que cette autonomie gagnée est
une solution inventée par les artistes pour renouer l’art avec la vie (moment),
et rompre avec l’idée d’un objet d’art sacralisé et matérialisé. La circonstance*
scénarisée n’est plus le lieu de l’exposition, mais l’espace de l’atelier, par
exemple, ou un autre lieu dans lequel l’action va s’actualiser (mais le méta-
atelier coïncide avec l’espace de réalisation).

Il est important de préciser que les « objets » qui peuvent donner suite à
ces œuvres ne seront que des « résidus » : objets témoignant de l’action
réalisée et/ou photographies, vidéos, dessins documentant l’action (voir
l’équation complémentaire plus loin dans ce chapitre). Ils sont un cas
particulier de la forme qui s’actualise dans une matérialisation sensible.
78 Manuel d'arts plastiques tome 1

Exemples : les events et les happenings.

C’est le cas des performances où le corps intervient comme matériau


scénarisé et/ou brut. Dans certaines vidéos de Bruce Nauman, c’est l’activité
dans laquelle l’artiste s’est engagé qui est documentée (voir aussi équation 4).
L’action et l’énergie en jeu peuvent se trouver dans un espace extérieur,
étranger au lieu d’exposition, la scène ou l’atelier.
79 Interlude I : Quatre équations pour comprendre le travail plastique.

Figure 4. Equation 2.

Cette équation concerne les pratiques dites « in situ » dont l’initiateur


est D. Buren. Ces pratiques répondent aux besoins des artistes de quitter
80 Manuel d'arts plastiques tome 1

l’atelier et les lieux institutionnels de l’art, d’aller dans la rue et dans les lieux
du quotidien pour y rencontrer le public. Elles interviennent dans une
circonstance* particulière, une réalité, d’où la pratique va être déduite. Le
matériau (dans le méta – atelier que représente maintenant la situation) peut
être importé (il n’est pas emprunté à la circonstance* (F. Alys, par exemple))
ou issu de la circonstance* elle-même (G. Orozco).

L’ « objet » artistique fait corps avec la circonstance* (lieu, moment...)


Les deux moments, celui de la pratique et celui de sa visibilité, sont différés
mais déterminés dans le temps (sauf quelques contre-exemples du land art : la
spiral jetty (Robert Smithson) notamment, qui avait été pensée comme une
installation « éternelle », si elle n’avait pas été recouverte par le Great Salt
Lake.)
81 Interlude I : Quatre équations pour comprendre le travail plastique.

Figure 5. Equation 3.

Variation autour de l’équation précédente. Le méta – atelier coïncide


toujours avec une situation à partir de laquelle se réalise l’activité artistique.
En revanche, il n’y a pas de moment différé pour la visibilité de l’œuvre. Le
82 Manuel d'arts plastiques tome 1

moment de la gymnastique* est le moment de l’œuvre, celle-ci peut se


matérialiser. Cette équation décrit donc les cas où le matériau choisi est le
corps de l’artiste lui-même et/ou lorsque c’est la circonstance* de temps qui
est privilégiée. (Oppenheim en moto le long d’un fuseau horaire, par
exemple).
83 Interlude I : Quatre équations pour comprendre le travail plastique.

Enfin, mais nous l’avons évoqué avec les « objets » résiduels, les deux
situations précédentes peuvent être augmentées du schéma suivant lorsque
l’artiste documente sa pratique. Nous nous retrouvons alors en situation zéro
lorsque :
1. le document*, en tant que tel, est présenté dissocié de l’espace environnant,
dans un musée ou une galerie. C’est-à-dire, lorsque la présentation rejoue
l’objet artistique autonome.
Exemples : trois cas particulièrement courants dans les lieux d’art
contemporain :
- une photo document* tirée en très grand format, sous verre ou avec un
cadre (si sobre soit-il) ;
- une vidéo diffusée sur une télévision (« sony », parce que la marque est
toujours très visible), elle-même sur un socle ;
- lorsque les choix plastiques de l’objet ne coïncident pas avec l’idée de
document* (absence de hors champs, retouche photographique,
composition très pensée...).
84 Manuel d'arts plastiques tome 1

2. Le document* est suffisamment travaillé, ou retravaillé (montage, ajout


sonore, objet, retouche...) pour être autonome. Le sujet de l’« objet », même
s’il se constitue des débris d’un geste documenté, s’en trouve changé. Un écart
qui n’est pas souvent pris en compte.

Figure 6. Equation 4.
85 Interlude I : Quatre équations pour comprendre le travail plastique.

Il faut rappeler ici que l’usage de la photographie et de la vidéo comme


« document* » d’une œuvre (souvent in situ, éphémère,...) est l’une des
solutions critiques trouvées par les artistes pour déjouer le marché et les lieux
institutionnels de l’art. Bien sûr, cette critique avait lieu dans les années
soixante. Aujourd’hui les artistes, peu soucieux des formes qu’ils créent,
n’hésitent plus à confondre le document* avec l’œuvre (et le vendre, donc, au
prix fort).
86 Manuel d'arts plastiques tome 1

Figure 7. Equation 5.

L’équation n° 5 est une variation de l’équation n° 0. Elle présente les


pratiques dites d’ « installation » qui empruntent à l’assemblage et à la
scénographie. Ces pratiques prennent en compte le lieu d’exposition (sans
pour autant en déduire complètement l’œuvre, privilégiant les données
87 Interlude I : Quatre équations pour comprendre le travail plastique.

spatiales), les matériaux sont transformés ou employés comme objets


scénarisés.

Nous pouvons remarquer que cette suite d’équations peut devenir de


plus en plus complexe en fonction des œuvres. Il semblerait que faire une
œuvre, c’est déjà questionner le travail artistique.
88 Manuel d'arts plastiques tome 1

L’observation

S ans doute vous demandez-vous désormais comment vous mettre au


travail ? « Quoi faire ? » Il vous suffit alors de regarder autour de vous !
Une des aptitudes nécessaires pour faire des arts plastiques, c’est
l’observation. Et notre quotidien est saturé d’images*. Regardez un peu.
89 L’observation

Vous n’avez rien vu ?! Regardez d’un peu plus près. Il est vrai que ce
déversement d’images* favorise la gloutonnerie, mais reprenez votre place...
approchez vous.
90 Manuel d'arts plastiques tome 1

Vous êtes-vous procuré la crème


qui va négocier vos rides plus
efficacement qu’un sniper ?
Adorable contraste, des viseurs
pointés sur une femme qui sourit.
Métaphore des violences faites à la
représentation du corps, dont la publicité a le secret. Ici c’est la peau qui se
déchire comme du papier. Là, elle se retire, c’est un vêtement trop grand, ou,
vieille tôle, elle se froisse à l’image* d’une carrosserie.

Mais encore ! Examinons cette publicité pour des chaussures de marque


« Reebook 20». Est-il besoin de manier les concepts philosophiques avec
dextérité pour saisir à quel point un slogan tel que «I am what I am » (je suis
ce que je suis) est très discutable quant au sens qu’il diffuse.

20
Campagne début 2005.
91 L’observation

Parce qu’évidemment, il n’est pas question des vertus de leur


chaussure dans une telle tautologie, mais plutôt d’une leçon de vie, comme les
marques qui s’adressent aux adolescents savent les prodiguer. Retour régressif
d’une pensée archaïque dans laquelle nous devons nous reconnaître, et que
nous acceptons en achetant le produit. Un « Je suis ce que je suis » qui
suppose un « caractère » immuable à un individu, fixé une fois pour toutes. Le
contraire de l’épanouissement, la construction et le cheminement personnel.
92 Manuel d'arts plastiques tome 1

Bien plus qu’un slogan, un axiome de psychologie de comptoir, duquel nous


pouvons tirer les conséquences qui s’imposent : la « fatalité » et la
préexistence à nous-mêmes. Il s’agit déjà d’un prétexte à une
déresponsabilisation. En effet, pourquoi assumer nos choix puisque de toute
façon c’est la partie inconsciente et immuable qui nous habite qui décide de
nos actes ? On nous reprochera sans doute d’aller un peu loin. Pourtant, il faut
bien comprendre que l’une des modalités inhérentes à la publicité consiste en
une transaction. Une transaction d’identification que nous opérons avec les
images*, les sons et le texte. Qu’en est-il des images* pour cette campagne ?

Rassurez-vous, elles sont à la hauteur du texte. L’une, en noir et blanc,


qui se veut un portrait, propose un énonciateur au slogan. Le« I am what I
am » sort de sa bouche. Par ailleurs, du point de vue de la composition,
l’image* coïncide avec la typologie (gothique) « I am ». L’autre, en vis-à-vis
et en couleur, est une image* symbole, un attribut. Elle coïncide logiquement,
avec le « what I am » (ce que je suis). Elle propose une égalité entre l’ « être
93 L’observation

profond » du sujet et cette seconde image*. Et les publicitaires ne vont pas


nous épargner les clichés*. De l’image* vieillotte obtenue avec photoshop21
pour évoquer le souvenir d’enfance (une descente de toboggan), à la
représentation de la mère de famille idéale, celle qui fait la vaisselle et
s’occupe des gosses. Sans oublier le bras tatoué où figure un petit diablotin, ou
l’image* de la victoire sportive : une grosse coupe en argent. Puis... un extrait
de casier judiciaire ! Les empreintes digitales qu’on laisse lors d’une garde à
vue, voilà ce que je suis. Mais c’est un procédé récurrent dans la publicité et le
cinéma : esthétisation d’une fiche d’empreinte digitale, ambiance
commissariat de police, valorisation « romanesque » du mauvais garçon. Une
violence complètement désamorcée, « glamourisée » aux dépens de son sens.
Nous sommes face à une révolte sur papier glacé, dont on a gommé les
qualités transgressives, au profit du marketing : le but reste de nous vendre des
chaussures ! La révolte est sur-jouée par le dispositif de l’image*, elle est
codifiée ! Et c’est ce code qui happe le spectateur, désormais consommateur,
21
Logiciel de retouche d’image dont les effets sont devenus des clichés.
94 Manuel d'arts plastiques tome 1

qui s’identifie. Il va lui-même sur-interpréter, s’affubler des attributs de cette


violence « glamour » mais dans un monde où toute réelle transgression est
enrayée ! Parce que le capitalisme est inconscient et irresponsable des formes
qu’il engendre. Et c’est la chaîne de magasins E. Leclerc qui recycle les
affiches de mai 68 et de propagande communiste pour nous vendre une vie
moins chère ! De qui se moque-t-on ?

On l’aura compris, il ne s’agit pas pour nous de nous livrer à un


combat moralisateur. Nous avons bien conscience que les images* de la
publicité sont factices et que leur but est de vendre un produit. Cependant,
l’image* est un dispositif complexe, qu’on ne peut se permettre de manier
avec dilettantisme. En réactivant des clichés*, mille fois éculés et des
archaïsmes de pensée, la publicité, sans toujours s’en rendre compte, provoque
un sens qui va au-delà de celui pour lequel elle a été conçue. Elle s'inscrit dans
un dispositif qui la dépasse, qui n’est pas seulement celui d’une simple
95 L’observation

image*. Et elle n’assume pas le message complet de ce dispositif, qui, à un


certain niveau, est une formidable machine à annihilation du discernement.

Ici, ce sont deux clichés* lourds de conséquences qui se rencontrent.


L’intellectuel − il a une grosse tête, un col roulé sous un costume à carreaux
qui témoigne d’une faute de goût vestimentaire et du peu de souci qu’il a de
son apparence, souligné encore par des cheveux gras − et une jeune femme,
96 Manuel d'arts plastiques tome 1

« fashion », arrangée d’un tailleur rose et des attributs d’une féminité en


vogue : sac à main, petite raie sur le côté maintenue par une barrette dorée,
gloss, fard à paupières et sourire éclatant. C’est par elle que nous rentrons dans
l’image*, c’est elle qui parle. C'est-à-dire que c’est à cette représentation
scénarisée de la féminité, plus que discutable, que vous devez vous identifier
pour adhérer à un message dont la valeur a autant de saveur que le produit
vendu : une tête bien vide, mais un estomac bien plein de hamburgers !

Nous pourrions multiplier les exemples, pour montrer à quel point ces
images* sont doublement négociantes : elles vendent un produit, mais
négocient notre esprit critique. Elles diffusent un cancer de l’entendement en
nous laissant peu de place. Spectateurs, nous nous identifions complètement
aux corps en présence, communions avec le produit sous couvert de bonheur
et de vertu. Et puis il faut gommer les singularités sensibles, c’est la condition
sine qua non d’une bonne circulation de la marchandise. C’est comme cela
97 L’observation

que la publicité nous capte, mais elle diffuse toujours plus qu’un simple
message d’achat.

Hélas, l’irresponsabilité des formes se retrouve à d’autres niveaux de la


fabrique des images*. Quelle idée peut traverser l’esprit de ceux qui diffusent
l’information, en passant en boucle, une journée durant, la collision des avions
du 11 septembre 2001 dans les tours jumelles ? Pourquoi agrémenter cette
boucle, parfois, des derniers messages téléphoniques des victimes adressés à
leurs proches ? Bien sûr, il ne s’agit pas ici de regretter le manque de morale
des journalistes, mais plutôt de constater l’annihilation complète de la pensée
et du jugement face aux images*.
98 Manuel d'arts plastiques tome 1

Il est vrai que les images* de presse sont aux prises avec l’ambiguïté
inhérente aux images* enregistrées, entre document* d’une réalité qui
témoigne d’un évènement et « fiction », construction faussée de cette réalité.
La fiction est souvent le résultat d’une construction que les journalistes n’ont
pas contrôlée. Ils s’affairent au montage mais oublient que deux images*,
l’une à la suite de l’autre, prennent du sens. Ils règlent leur composition
photographique, réactivant des compositions passées, qui font sens avec
l’événement.
99 L’observation

Et si notre approche critique doit rester au niveau « plastique* », il ne


faut pas oublier non plus que la presse est la victime d’une censure
économique pernicieuse. L’information est devenue une marchandise que se
partagent quelques grands patrons, instaurant une véritable domination
médiatique. On assiste régulièrement à des mises en scène de problèmes socio-
économiques (quand ils ne passent pas à la trappe), à la dépolitisation du
citoyen par l’usage abusif de faits divers sans intérêts (sinon celui de faire
diversion), et des promotions douteuses (je suis toujours étonné par la page
culturelle des JT par exemple : promotion de superproductions
cinématographiques américaines, ou, comment faire de la publicité à des films
de divertissement qui n’en ont pas besoin...). C’est l’effet publicité qui
s’immisce dans le document*, depuis sa structure profonde jusqu’aux modes
de distribution.
100 Manuel d'arts plastiques tome 1

L. David, Marat assassiné, 1793.


101 L’observation

Alors, nous évoluons parmi des signes. Force est de constater que
l’artiste n’a plus le monopole de la fabrique d’images*. La publicité, la mode,
le design, la presse ont recours au même vocabulaire que les arts plastiques*.
Et nous venons de le constater, ces images* négociantes, si elles appliquent
des savoir-faire avec brio, n’en sont pas moins nulles quant au sens qu’elles
véhiculent.
102 Manuel d'arts plastiques tome 1

F. Goya, Tres de Mayo, 1814 et P.Picasso, Guernica, 1937.


103 L’observation

Toutes ces images*, mises bout à bout, construisent des fictions qui
nourrissent nos représentations du monde. Désormais, pernicieusement dictées
par un libéralisme généralisé, elles prennent en otage notre regard, et nous
assènent notre manière d’ « être au monde », de le comprendre et de le
construire. Ces images* vendent de manière univoque des idéologies souvent
réactionnaires, scénarisent des comportements formatés et véhiculent des
valeurs discutables. Elles nous proposent un scénario* à tenir. Parce que,
hélas, si peu armés, si peu disponibles aussi, nous subissons le journal télévisé
fait de reportages racoleurs22. Ce scénario*, si imperceptible soit-il, nous avons
appris à l’accepter et nous le discutons de moins en moins.

22
Pour mémoire, rappelons la formule de Patrick Le Lay, PDG de TF1 : " Ce que nous vendons à
Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible".
104 Manuel d'arts plastiques tome 1

F. de Manassein, portrait potentiellement officiel du président, 2004.


Réalisé à partir du portrait officiel réalisé par Bettina Reims.

C’est dans ce miasme que le travail artistique d’aujourd’hui intervient.


Nous ne pouvons négliger ces données et la pensée plastique* au travail est
105 L’observation

l’une des possibilités pour redonner au spectateur sa position : ouvrir aux


singularités sensibles, rétablir la pensée et le jugement critique, lutter contre la
misère symbolique. Autant d’observations de notre quotidien qui peuvent être
des sujets de dessins, de photographies, d’installations…Il s’agit de pirater les
images* disponibles ou d’en proposer d’autres. Des contre-images* discutant,
interrogant et proposant d’autres possibilités d’être au monde, ou des
représentations qui viennent combler les représentations absentes23, ou encore,
montrer ce qu’il y a sous les images* dominantes et les équilibrer en en
proposant d’autres, réfléchies et responsables de leur forme.

23
Le travail de Frédéric de Manassein est, à ce titre, particulièrement pertinent. Vous trouverez
quelques reproductions de ses travaux dans ces pages.
106 Manuel d'arts plastiques tome 1

F. de Manassein, Planisphère pour inverser les rapports de domination, 2004.

M’a-t-on compris ? ! En aucun cas il ne s’agit de s’ériger en donneur de


leçon aux spectateurs… mais toujours d’interroger et donner la possibilité de
s’interroger. Pour ceux qui auraient pour vocation de montrer de manière
107 L’observation

univoque ce qu’il faut voir ou ne pas voir, ce qu’il faut penser de manière
définitive de notre époque, alors ce livre n’est pas fait pour vous.

Les usages sociaux des images et des sons emploient des procédés
plastiques qui les dépassent et qui font signe. Seul le spécialiste de ces
dispositifs sensibles peut apporter un point de vue critique et constructif,
efficace24.

24
Nous aurions tort de soupçonner sous ces quelques lignes un regain d’intérêt pour « je ne sais
quelle » pensée « marxiste ». Ne nous méprenons pas, nos propositions artistiques ne sont pas des
réactivations du « réalisme » (socialiste ou non). Au contraire, elles proposent la réalisation d’œuvres
concrètes. Ces œuvres ne privilégient pas le contenu sur la forme comme elles ne privilégient pas la
forme sur le contenu, parce qu’elles supposent la forme et le contenu insécables. Si elles s’appuient
parfois sur l’observation des formes sociales, ils se trouvent que celles-ci s’inscrivent dans un monde
dominé aujourd’hui par le capitalisme global. Or, l’histoire aurait pris un autre chemin, les résultats de
l’observation seraient différents, mais la méthode et le travail plastique*, non !
108 Manuel d'arts plastiques tome 1

Carnet, crayons, appareil sous le bras... vous devez être sensibles aux
circonstances* repérables dans votre vie quotidienne : les occasions où
s’observent ces usages sociaux*. Vos interventions seront alors déduites de
ces moments.
109 L’observation

Les vrais desseins de M. George Bush (politique impolie #3), Pour une
darbouka, un sample et une boucle, 2003.
mode d’emploi
Sample : « I’m a poor lonesome cow boy »(chanter)
Boucle : Prélever d’un western (vent, chevaux et mouches...)
110 Manuel d'arts plastiques tome 1

1. Suivre le tracé des oléoducs sur la carte en énumérant le nom des


villes rencontrées.
2. Dans le même moment, redessiner le tracé des oléoducs sur la
peau de la darbouka.
3. Faire entendre un tak lorsque votre tracé rencontre une
exploitation de pétroles.
4. Chanter « i’m a poor lonesome cow boy » lorsque votre tracé
rencontre une base américaine.
5. La boucle joue en continu.
+ prise de son
14 février 2003
111 La circonstance

La circonstance
Soyez disponible.

Frédéric de Manassein, Sans titre, 2003. Dessin au stylo pinceau.


112 Manuel d'arts plastiques tome 1

S i la langue française nous apprend que l’on peut se passer d’une


proposition circonstancielle, les arts plastiques nous enseignent qu’il
s’agit au contraire de les repérer. Comme nous l’avons vu, notre réalité
quotidienne se constitue d’images*, de sons, de parfums... qui font signes. Ces
éléments sensibles, chargés de sens, se rencontrent ou se déploient dans des
circonstances* particulières. Celles-ci doivent être envisagées par le plasticien
comme un appui dans le réel et le travail plastique* se propose de les habiter
ou de les écrire.

Nous définirons alors la circonstance* par un lieu (site) et un moment


(occasion), que nous préférons à « espace » et « temps » qui sont des notions
abstraites. Car notre souci est de garder les pieds sur terre. En effet, la
circonstance* est un moment repéré par l’artiste qui possède des données
spécifiques de durée, de topologie, de circulation, mais aussi des
caractéristiques sociopolitiques, historiques et géographiques. Elle n’a pas le
confort d’un cadre (elle n’est pas encadrée) pourtant elle fait image* (pour
113 La circonstance

l’artiste), mais ses bords restent flous. La circonstance* est pleine de hors
champ, elle n’est qu’une partie du réel et se poursuit bien au-delà. Nous
pourrions la comparer à un précipité (au sens chimique du terme), une
rencontre sensible entre divers éléments qui produisent du sens. Ce précipité
n’est évidemment pas sans rappeler l’infra-mince25 défini par M. Duchamp.

Vous devez vous rendre disponible aux circonstances*, vous y glisser,


vous faire une légère place dans ce réel saisi. Puis, interroger ce site et ce
moment relevé, pour enfin, agir en conséquence.

Une fois ce nœud saisi, nous nous demanderons ce qu’il convient de


faire pour intervenir et qu’ajouter pour réaliser une œuvre plastique*
signifiante. L’œuvre va procéder d’une rencontre, celle de votre gestuelle
plastique*, de votre pensée des mains avec la circonstance*.
25
« Quand la fumée de tabac sent aussi de la bouche qui l’exhale, les deux odeurs s’épousent par
infra-mince » in DUCHAMP Marcel, Duchamp du signe, Paris, Flammarion, 1975, p. 274.
114 Manuel d'arts plastiques tome 1

G.Orozco, Island within an island, 1993.


Détritus organisés.
115 La circonstance

Photographie cibachrome.

Il paraît dès lors important de rappeler qu’il ne faut pas réduire une
circonstance* à ses seuls aspects visuels. Son rendez-vous ne saurait être que
multi-sensible.

Vous vous êtes exercés à les repérer ! Vous décidez alors, soit de les
habiter, soit de les construire.

Séjourner une circonstance

Les saillances de la circonstance.

I l n’est pas vraiment logique de disséquer la circonstance* en fonction de


ses deux dimensions : moment et lieu. Si « un bon travail, c’est la bonne
116 Manuel d'arts plastiques tome 1

chose, au bon endroit et au bon moment (Richard Long) », repérer dans


quelques œuvres, ce que l’artiste a privilégié, peut vous permettre de
discerner, dans votre vie quotidienne, de nouvelles circonstances. Ce
découpage arbitraire n’a qu’une valeur pédagogique, il faut rapidement
apprendre à s’en passer.

Habiter la circonstance*, c’est être attentif au moment, à la durée du


quelque chose remarquable (repérable). D’une part, l’essentiel du travail
repose sur cette attention forcenée, cette observation minutieuse de la
circonstance*. D’autre part, à partir de cette observation, tirer les
conséquences plastiques* qui s’imposent, et tisser avec la réalité une œuvre.
Isoler, indexer, souligner, rapprocher sont autant d’opérations qui vous
permettront d’habiter cette circonstance*. Et si vous prenez soin de ne pas la
résumer grossièrement, avec vos seules rétines, vous pourrez proposer des
117 La circonstance

travaux logiques déduits de la réalité26. Vous pourrez, multiplier les points de


vue, penser à la circulation des corps (le vôtre, celui du spectateur), examiner
la densité des événements...

La circonstance* a toujours des saillances. Il y a toujours d’une


circonstance* un ou plusieurs éléments qui viennent à nous. En effet, une
partie se détache, et il ne faut pourtant pas la décrocher de la circonstance*,
car elle est la condition de son sens, et, par là même, la condition du signe
qu’elle représente pour nous. Ces saillances peuvent être topologiques,
temporelles, historiques, sociopolitiques, bien qu’elles ne soient jamais
seulement une chose à la fois. Et, c’est à partir de ces saillances remarquables
26
Il va de soi que déduire l’œuvre de la réalité est une image un peu forte que nous aurons l’occasion
d’utiliser à nouveau. Cependant on aurait tort de penser que l’activité « plastique » décrite ici
suppose un réel « transcendantal ». Si déduction il y a, vis-à-vis de lui c’est dans le sens d’une
rencontre stimulatrice qui va incité un geste…notre « déduction » désigne bien une incitation mutuelle
dans la mesure ou le geste, la circonstance, les matériaux en présence sont en interrelation sans
présupposer d’une hiérarchie, une logique de relation réciproque.
118 Manuel d'arts plastiques tome 1

que vous allez commencer une activité. Les opérations que vous pouvez
envisager alors peuvent se classer en trois catégories complémentaires. Nous
rappelons que les opérations sont cumulables, et indifférentes au classement.
Nous distinguerons cependant les opérations qui épousent la circonstance*,
celles qui la contrarient et enfin les opérations inclusives, qui procèdent par
ajouts.

Epouser, contrarier, inclure.

E n effet, vous pouvez choisir de laisser la circonstance* se déployer sans


en interrompre le cours. Vous préférez vivre pleinement le moment. Les
opérations que vous choisirez de mettre en œuvre vont glisser sur la situation27
27
Il ne s’agit que d’un recours synonymique qu’il ne faudrait, en aucun cas, comprendre comme un
parallèle avec la situation « situationniste ». Mais nous pouvons cependant rendre hommage à la
théorie de la dérive, exercice très simple, qui consiste en un repérage des circonstances*. La dérive est
une opération plastique* du type « marcher », « flâner »... qui sont des opérations « pacifiques », se
déployant dans le moment sans en interrompre le cours. À noter que les circonstances* surviennent,
119 La circonstance

donnée : imiter, souligner, marcher... Au contraire, vous voulez détourner la


circonstance* du cours qu’elle a pris, parce que le contraste fait sens. Vous
utiliserez alors des opérations qui contrarieront la situation : perturber,
détourner, investir, retirer, agrandir... Enfin, vous constatez que votre travail
artistique nécessite l’inclusion d’un élément hétérogène à la circonstance*. Le
sens va naître du rapprochement de la circonstance* avec ce corps étranger.
Celui-ci peut être un matériau simple, comme il peut être une suite
d’opérations complexes qui se déploieraient en parallèle, dans un autre
moment, dont la simultanéité avec la circonstance* choisie produirait du sens.
Rapprocher, associer, ajouter, lier, théâtraliser,... sont quelques exemples
d’opérations inclusives.

Toutes les opérations, pour résoudre le problème circonstanciel dans


lequel vous vous trouvez, vont coopérer, mais nous nous en doutions, avec les
matériaux. Ceux que vous pouvez emprunter à la circonstance* même (c’est
dans la dérive, du point de vue émotionnel.
120 Manuel d'arts plastiques tome 1

d’ailleurs, déjà, une opération « épousante »), comme ceux que vous pouvez
importer. Ou, c’est votre corps, comme matériau premier, comme lieu ultime
de la gymnastique*, que vous connecterez d’abord à la situation.
121 La circonstance

Matériaux > Corps Matériaux Ready-made


VSaillances Scénarisés
simples
topologiques *isoler *multiplier *ajouter
*souligner *déplacer *associer
*imiter *rapprocher *agrandir
*marcher *soulever *intégrer
*perturber ... *juxtaposer
... *lier
*répéter
*multiplier
...
temporelles *investir *planter
... ...
historiques *théâtraliser *construire *montage
*juxtaposer... ... ...
Sociopolitiques *théâtraliser *montage
*juxtaposer... ...
Tableau 3. Opérations plastiques, circonstances et matériaux. Proposition de précipités.
122 Manuel d'arts plastiques tome 1

Documenter

C ’est particulièrement pour ces travaux que la photographie et la vidéo


s’avèrent importantes, dans la mesure où elles sont une solution pour
documenter votre intervention (nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer le
problème). Bien que les artistes aient accordé une confiance aveugle à ces
outils et à leur capacité objective de documentation* au cours de l’histoire de
l’art, ceux-ci font écart de par leur technologie. Nous ne pouvons plus,
aujourd’hui, affirmer que ces enregistrements sont des traces objectives
indiscutables (« faire une photographie, c’est déjà se trouver devant une
image* » P. Parreno.) De plus, les écarts peuvent se trouver à d’autres
niveaux. Si en admettant que vous ayez réussi à documenter* honnêtement
votre pratique extérieure, ces résidus seront susceptibles d’être exposés. Il ne
faut pas perdre de vue que les modes d’accrochage sont autant d’écart qui, non
123 La circonstance

réfléchis, peuvent détourner complètement le sens de votre intervention (sur le


mur, sur une table, au sol, sous verre, accroché avec une petite épingle, clouer,
grand format ou non...).
En effet, il est particulièrement important de prendre en compte le mode
d’accès du spectateur à l’œuvre. Il doit être en accord avec le sens de votre
travail.
124 Manuel d'arts plastiques tome 1

G.Orozco, Planets in volcano, 1992.


Photographie d’une installation de boules de neige.

« Mais ceci a bien mis en lumière le fait que la salle a toujours été aussi un cadre ou un format, et que la forme de la salle est
en contradiction avec les formes et l’expression émergeant du travail en question. »

Allan Kaprow, Assemblages, environements et happenings.


125 La circonstance

Échafauder une circonstance*

votre tour de faire image* ! La précédente remarque nous permet


À d’aborder les circonstances* que vous allez proposer, c’est-à-dire, celles
que vous allez écrire de toutes pièces, et que vous allez confronter au regard
(mais pas seulement) du spectateur. La circonstance* exposée en quelque
sorte, que nous préférons nommer de façon plus juste,
une « exposition circonstanciée ».

Vous détournez le scénario de l’exposition traditionnelle

S i comme nous l’avons vu les matériaux peuvent être scénarisés, une


circonstance* peut aussi cohabiter avec un scénario*. L’exposition est
126 Manuel d'arts plastiques tome 1

l’exemple type auquel vous allez être confronté d’une circonstance* qui est
aussi un moment scénarisé. Ce scénario* s’immisce à différents niveaux : de
l’expédition de la publicité ou du carton d’invitation jusqu’au moment
particulier de l’accrochage et du vernissage à la clôture de l’événement.
L’exposition dans un lieu d’art contemporain est d’une durée limitée et
déterminée a priori28. Et l’espace dévolu à ce type d’événement (le musée, la
galerie...) est un espace scénarisé lui aussi : les murs sont blancs et isolent de
l’espace environnant (la rupture entre l’art et la vie), les déplacements des
spectateurs sont formatés par l’architecture ainsi que par les œuvres elles-
mêmes...En effet, leurs positions, leurs vis-à-vis sont d’une extrême
importance.

Proposer une œuvre « circonstanciée », c’est déjà prendre en compte les


scénarii du jeu de l’exposition. Par exemple, comme ce fut le cas dans
l’histoire de l’art, certains artistes se sont joués du déterminisme sociopolitique
28
L’artiste prend trop peu souvent cette notion en compte.
127 La circonstance

du marché de l’art en comblant une galerie, ou en proposant, comme nous


l’avons vu, des documents plutôt que des œuvres (les solutions sont datées, les
problèmes toujours d’actualité, eux !)

Walter de Maria, The New York earth room, 1977.


127 tonnes de terre dans une galerie de 300m2
128 Manuel d'arts plastiques tome 1

Cette possibilité de jeu avec le scénario* de l’exposition classique comprise


peut s’ouvrir à tous les autres scénarii de visibilité.

Vous proposez votre site et votre moment

crire une circonstance* nécessite que l’on puisse la lire. Cela implique,
É mais nous avons insisté sur cette donnée depuis le début du manuel, que
les matériaux, le lieu et le moment, ainsi que les opérations plastiques* qui les
unissent, sont des signes et leurs connexions du sens. Proposer une situation,
c’est écrire une circonstance* pour le spectateur. C’est lui qui en sera l’unité.
D’une part, c’est par lui que va se développer le moment de la circonstance*,
d’autre part, c’est son corps qui va appréhender son espace. L’écriture doit être
suffisamment aboutie pour qu’elle soit projetée dans un lieu et un moment qui
129 La circonstance

diffèrent totalement de l’espace et du temps dans lequel le spectateur est


généralement convié.

Mais faisons quelques mises au point. Evidemment, il ne s’agit pas pour ce


dernier, d’être confronté à des états d’âme dans lesquels il pourra s’identifier,
ni de bousculer ses comportements − ce qui ne reviendrait à rien d’autre que
de lui proposer d’être un rat de laboratoire, avec son accord ou non. « L’art ne
contient pas la police » disait Cage en substance. L’œuvre circonstanciée ne
doit pas prendre le public en otage, mais doit, au contraire, lui remettre les
pieds sur terre. Elle refuse donc l’ambiance et l’interactivité de tous les
niveaux, car nous l’avons dit : l’artiste doit être responsable de ses œuvres, il
ne peut donc pas laisser faire l’œuvre à la première personne venue. De plus,
c’est une aporie de croire que l’intervention du spectateur dans la réalisation
artistique, permettrait d’affranchir les limites entre l’art et la vie. Ainsi nous
savons bien, lorsque nous jouons au monopoly par exemple, que l’argent ne
130 Manuel d'arts plastiques tome 1

nous appartient pas, mais nous acceptons de jouer les promoteurs immobiliers
pendant un certain temps, avant de retourner à notre « deux pièces ».

De même qu’il y a des opérations plastiques* de prise d’otage (confère


l’histoire classique de la peinture), il en existe qui nous mettent de plein pied
dans le réel. Nous en avons aperçu quelques unes au cours de cet exposé. Et la
circonstance* en est une, dans la mesure où elle ne procède pas du cadre, ni du
socle, et qu’elle ne doit pas utiliser d’estrade. Faut-il le rappeler, les premières
œuvres posées à même le sol d’exposition furent qualifiées de « théâtrales ».
Michaël Fried reprochait aux minimalistes de faire des œuvres sans spécificité.
« (...) ni peinture, ni sculpture, et donc vouées à l’entre-deux, le théâtre. » La
théâtralité, dénoncé par M. Fried, endommageait la pureté formelle
revendiquée par C. Greenberg. « Les œuvres tiennent compte des
circonstances* réelles de la rencontre entre l’œuvre d’art littéraliste et son
spectateur » (l’objet spécifique de Donald Judd par exemple.)
131 La circonstance

C’est pourtant bien cette « théâtralité » qui fut le dépassement du


modernisme, il s’agissait de :
- réaliser une œuvre déduite d’une circonstance* réelle (libérée du
socle et du cadre, donc de ce qui coupait l’œuvre de l’espace environnant) ;
- réaliser un objet dont l’approche n’est pas l’émotion instantanée du
modernisme, mais une expérience temporelle ;
– ne pas faire dépendre l’expérience esthétique seulement des qualités
formelles de l’objet.

C’est la disparition du socle et du cadre, dispositifs d’affirmation d’un


espace suggéré, qui fait basculer l’œuvre dans l’espace concret, qui renoue
avec le réel. Si, Fried choisit le terme de « théâtralité » pour qualifier ce
nouveau lien art et vie, le théâtre n’est pourtant pas non plus un modèle
d’œuvre littérale. Le « théâtre » représente aussi. Son cadre et son socle, c’est
l’estrade où se joue une représentation, qui délimite une séparation entre la
représentation et le spectateur. À ce titre, le théâtre épique de Brecht, s’il ne
132 Manuel d'arts plastiques tome 1

propose pas une rupture totale avec la représentation, n’en est pas moins une
approche efficace de la rupture avec la poétique aristotélicienne (drame et
catharsis). La « distanciation » est une mise à bas de l’estrade, dont l’artiste
plasticien doit s’inspirer : il doit impérativement montrer à quel processus le
spectateur assiste.

Dans son installation repulse bay (« cabinet de pulsions ») (1999),


Dominique Gonzalez-Foerster parvient avec quelques néons, la couleur lilas
sur les murs et la moquette, deux serviettes de plage et une échelle, à
interroger nos projections imaginaires. Elle propose un lieu entre mémoire et
réalité qui nous confronte à la question : « Qu’est ce qu’une image ? »
133 La circonstance

Vous investissez les scénarii de visibilité de notre société


contemporaine.

M ais le lieu de l’exposition n’est évidemment pas le seul moment


possible de visibilité. Il y a tous ceux de notre réalité quotidienne.
Internet, évidemment, les panneaux publicitaires du métro, la télévision qui
reste allumée toute la journée, les journaux, fanzines et autres flyers...Tous ces
scénarii sont aussi, autant de dispositifs à intégrer, à pervertir, en tout cas à
utiliser...
134 Manuel d'arts plastiques tome 1

Pierre Huygue, Rue Longvic (Billboard, Dijon), 1995.


Poster offset, vue de l’installation.
135 La circonstance

M ais que l’on ne se méprenne pas ! Encore une fois, vous ne devez pas
penser ces interventions comme des divertissements gratuits. Ces
scénarii ne sont pas, eux-mêmes, de pures fantaisies. L’usage social* des
images*, le dispositif complexe dans lequel elles circulent doivent
nécessairement être pensés par le plasticien. Mais pensés au sens où nous
l’entendons dans notre conception de la plasticité. La critique doit se faire au
niveau plastique de l’usage social, elle doit se servir du vocabulaire spécifique
de la plasticité pour déterminer précisément où le sens achoppe, et poursuivre
sa réflexion avec les moyens propres de la plasticité.

Voilà que nous allons manquer d’exemples pour soutenir notre propos.
Il faut dire que ces considérations sont très éloignées de celles de l’art actuel.
Ouvrons donc ce vaste terrain d’investigation que vous compléterez peut être.

Il ne vous reste plus qu’à retrousser vos manches, à vous munir de votre
petite trousse à outils plastiques, à vous rendre à l’atelier et à vous impliquer
136 Manuel d'arts plastiques tome 1

dans une activité. Parfois, certains problèmes abordés dans ce texte seront
confirmés par votre activité, parfois ils apparaîtront comme des inepties...
Vous déciderez alors, soit de vous en passer, soit d’écrire un manuel à votre
tour. Parce que c’est la pensée plastique au travail qu’il s’agit de sauver.
137 La circonstance

Philippe Ramette, Sans titre (éloge de la paresse I), utilisation, 2000.


Photographie 150x120 cm.
138 Manuel d'arts plastiques tome 1

Interlude II : De l’image

Image : Représentation d’un objet ou d’un corps par la peinture, la sculpture,


le dessin (source dictionnaire Larousse).
Une image* est un tour de magie. Car, comme les prestidigitateurs, les
artistes nous font regarder ailleurs pendant qu’ils escamotent quelque chose.
Puis, ils le font réapparaître. Alors nous oublions l’ailleurs que nous
regardions. Ce tour de magie a lieu sur une surface plane. Sur cette surface
plane, les artistes font apparaître la profondeur.

Qu’est-ce qu’une image classique ?

L’image* classique se construit de trajets et de masses. Notre œil, pour


comprendre ce que raconte une image*, est amené à parcourir la surface de
139 Interlude II : De l’image

celle-ci. L’artiste, très au fait de l’œil du spectateur, lui facilite la tâche en


composant son image* de trajets.
140 Manuel d'arts plastiques tome 1

Les trajets sont les parcours prévus par l’artiste pour son public. De ce
fait, celui-ci sait qu’il n’a pas à parcourir en détail toute la surface de l’image*,
puisqu’il est conduit.
Mais comme n’importe quelle promenade, ces parcours épuisent notre
œil. Alors l’artiste prépare sur le trajet de l’image* des pauses, comme les
aires de repos sur le bord des autoroutes. L’œil peut se reposer.
141 Interlude II : De l’image

Ces aires de repos pour les yeux, appelons-les des masses.


142 Manuel d'arts plastiques tome 1

La composition d’une image*, c’est ce subtil équilibre entre les trajets


et les masses.
143 Interlude II : De l’image

L’artiste, qui connaît bien son métier, a recours à une quantité de


formules toutes prêtes pour faire ses compositions. Parce qu’à force, les
artistes se passent leurs recettes, et celles-ci deviennent des règles de moins en
moins discutables. Alors certaines régions de l’image* deviennent plus
importantes que d’autres car notre œil, paraît-il, les aime particulièrement. Il y
va et y reste sans rechigner.
144 Manuel d'arts plastiques tome 1
145 Interlude II : De l’image

Alors, les artistes ont déduit des normes de cette manière de penser
l’image*.
Comme l’œil n’a rien à faire à l’extérieur de l’image*, les artistes
s’arrangent toujours pour que les trajets mènent à l’intérieur de celle-ci. Pour
éviter que l’œil ne s’égare, les artistes montent une clôture.
146 Manuel d'arts plastiques tome 1
147 Interlude II : De l’image

D’ailleurs, les artistes savent que pour faire une image* efficace, il ne faut pas
qu’il y ait trop de choses à voir. Généralement un, deux ou trois éléments
importants se trouvent dans l’image* et les trajets nous y conduisent.
148 Manuel d'arts plastiques tome 1
149 Interlude II : De l’image

Qu’est-ce que serait une image de la circonstance ?

Elle serait nécessairement constituée de trajets, mais de trajets multiples


dont aucun ne serait à privilégier. Parce qu’il n’y a pas de hiérarchie dans cette
image*.
150 Manuel d'arts plastiques tome 1
151 Interlude II : De l’image

En outre, les trajets peuvent sortir du champ de l’image*. Elle n’a pas
de clôture, elle a des bords flous, parce que la circonstance* n’est qu’une
partie d’un tout plus grand : la réalité.
152 Manuel d'arts plastiques tome 1
153 Interlude II : De l’image

Les masses sont logées à la même enseigne. Ça rentre, ça sort, ça se met un


peu partout. Alors, il n’y a plus seulement qu’une chose à voir. Pas un ou deux
points à regarder particulièrement, mais des « saillances ». Des éléments qui
ressortent un peu et qui sont bien connectés avec le reste, les trajets, les
masses, le fond. Comme la circonstance* qui est connectée à ce qui la
déborde. Parce que sans ces connexions, ça n’a pas de sens !
154 Manuel d'arts plastiques tome 1
155 Interlude II : De l’image

Et puis d’ailleurs, toute cette description n’a pas tellement d’importance parce
que l’image* de la circonstance* ne s’adresse pas qu’aux yeux.
156 Manuel d'arts plastiques tome 1
157 Conclusion

Conclusion

M ais où est passée l’ « étincelle » ? Ce petit truc qui enclenche le


processus créatif, cet embrayeur mystère qui habite l’artiste ? Il n’en
est pas question dans ce texte ? L’aurais-je mal lu ?

A la suite de ce manuel, pensez-vous encore réellement que le travail


plastique, plus que tout autre travail, nécessite une impulsion irraisonnée ? Au
contraire, si votre lecture fut assidue vous voici libérés des dieux qui vous
insufflaient l’Œuvre et de votre inconscient qui vous poussait de l’intérieur.
Débarrassés, vous pouvez dès maintenant entamer une réflexion plastique
rigoureuse en vous appuyant sur votre propre travail et vos analyses. Puis vous
vous servirez du vocabulaire spécifique de la plasticité et développerez le
regard aiguisé qu’elle nécessite sur la réalité. Pour ce faire, vous avez entre
vos mains vos quelques premières échappées ! Ce texte a été écrit en partie
158 Manuel d'arts plastiques tome 1

pour cela. Il propose de prendre en compte le réel, d’en déduire sa pratique,


d’exacerber sa sensibilité aux détails − de ceux de la gymnastique* à ceux de
l’exposition − pour apprendre à se responsabiliser des formes que nous
donnons à voir.

Trop souvent, l’artiste d’aujourd’hui assemble sans souci de comment,


de pourquoi et d’où, des objets qui ne sont souvent que des évocations
personnelles qui n’engagent qu’une symbolique ésotérique intime. Alors, nous
constatons toujours un décalage considérable entre ce que dit le cartel et ce
que dit effectivement le travail proposé. Des écarts dont ils se défendent sous
couvert de l’ouverture multiple aux sens recommandée par notre modernité.
Chacun voit ce qu’il veut ! Et si parfois d’autres tentent d’aborder des
problèmes contemporains, c’est pour tomber dans des clichés d’analyse et de
mise en œuvre artistique. Pensez-vous qu’il suffise de saupoudrer un peu
d’images* « pop » pour dénoncer l’esthétique des mass médias ? Suffit-il de
photographier des cadavres dans une morgue pour réaliser une allégorie
159 Conclusion

contemporaine de la mort ? D’accumuler des images pornographiques pour


accuser des archaïsmes de relation homme-femme ?

Le sens en arts plastiques se déploie d’opérations sensibles et d’écarts à


l’égard de la réalité (et les opérations sont des écarts.) Ces pivots, nous
espérons être parvenus à le montrer dans ce manuel, peuvent s’approcher
précisément. Ils opèrent dans l’atelier avec leurs hypothèses, leurs axes de
recherche, leurs démonstrations et leurs impasses. Réclamez une approche
réfléchie des arts plastiques, débarrassée des sensibleries et des états d’âmes.
Auscultez tous les dispositifs plastiques qu’offre la réalité quotidienne, parce
que vous en êtes maintenant le « spécialiste », et que vous avez votre mot à
dire sur l’usage des images et des sons qui nous entourent.

Mais vous pouvez toujours continuer à vous déverser si cela vous


chante... Cependant ce manuel ne vous y aidera pas.
160 Manuel d'arts plastiques tome 1

Celui-ci, vous l’aviez remarqué également, s’est composé à l’image de


la plasticité. Malgré les démonstrations linéaires que sa forme exige, il est fait
aussi de coutures. Les documents* qui soutiennent le texte ouvrent le sens du
discours, ils ne sont pas seulement des illustrations. Et s’ils sont des dessins,
c’est parce que les œuvres se lisent, et parce qu’elles sont des idées. Elles
interviennent donc à part entière comme un élément de l’écriture. De plus, de
part l’écart immense que représente ces reproductions d’œuvres singulières,
elles auront au moins cette valeur pédagogique : vous donnez le désir d’aller y
voir de plus près. Les tableaux quant à eux, s’ils clarifient toujours notre
propos, n’en restent pas moins des jeux qui ont cherché à stimuler votre
activité plastique. Enfin, ce manuel est aussi un parcours historique, présentant
les problèmes récents rencontrés par l’art contemporain et les quelques
solutions apportées par les artistes plasticiens. C’est aussi un fusil pour acérer
votre œil de spectateur.
161 Conclusion

Alors, rangez la bâche au placard, laissez pour de bon votre pouf à sa


place, nettoyez les pinceaux et jetez vos vieux tubes d’huile. Si les petites
mises au point de ce manuel se sont avérées efficaces, elles doivent vous
permettre de considérer autrement le travail artistique. Nous espérons que vous
aurez été sensibles au mode d’emploi qu’il représente, mais il ne doit pas
servir à la lettre, cette combinaison de textes et d’images* reste maintenant à
discuter.

Les arts plastiques sont un roman policier strict. Dans la pure tradition
anglo-saxonne, ils procèdent d’indices, d’analyses logiques, de formes
suspectes et de résolutions. Alors ce livre est une enquête inflexible sur les
différents éléments en jeux dans la production artistique. Au coté de la pipe et
de la loupe, il va traîner sur le guéridon, adossé dans votre pouf vous le
consulterez de temps à autre, comme les vieilles histoires qu’on se raconte au
coin d’un feu, parce que grâce à vous peut être, ce manuel sera vite daté.
162 Manuel d'arts plastiques tome 1

Lexique

Circonstance : Notre pensée occidentale envisage la circonstance


comme une anecdote dont on peut se passer. Nous proposons, à la suite de
l’histoire de l’art récente, une vision différente de la circonstance. Elle ne se
décompose pas en terme de temps et de lieu (qui sont des abstractions) parce
qu’elle est poly-dimensionnelle. Elle n’a pas le confort d’un cadre, c’est un
site et un moment choisis et reconnus par l’artiste. La circonstance a des
saillances qui font signes. Ces saillances sont dans un même temps d’ordres
topographique, temporel, sociopolitique ou historique... Ce sont ces saillances
qui vont permettre à l’artiste de déduire sa pratique de la circonstance.
L’œuvre qui en résulte est le précipité (au sens chimique du terme) de
l’activité gymnique avec les matériaux et la circonstance.
163 Lexique

Cliché : Le cliché désigne les représentations que nous avons pu voir


mille fois. De ce fait, il ne demande aucun effort perceptif de notre part. Il est
l’outil privilégié des publicitaires et son usage abusif construit des fictions. La
carte postale est un cliché, par exemple, qui « fictionnalise » les vacances : le
lieu, l’usage du temps libre...

Conduction : Une œuvre n’est pas un objet clos et autonome. Son


intérêt n’est pas seulement formel. Les matériaux, les gestes, la situation
choisie ou à vivre, sont producteurs de sens. L’œuvre est un procès ou le sens
est comme une chaleur qui se répand. Celui-ci se diffuse de matériau brut à
matériau brut, d’élément scénarisé à élément scénarisé ou de toutes autres
combinaisons.

Document : Dans la seconde moitié du 20ème siècle, l’objet matérialisé


par une pratique artistique a souvent été envisagé comme la trace objective
d’un processus ou d’une activité spécifiques dans un temps donné. L’usage de
164 Manuel d'arts plastiques tome 1

la photographie et de la vidéo a particulièrement contribué à documenter ces


œuvres qui privilégiaient l’acte plutôt que l’objet. Cependant, il faut prendre
en compte aujourd’hui, que toutes les images* sont les produits de dispositifs
complexes (cadrage, hors champs pour les plus simple), qui sont autant
d’écarts vis-à-vis de la réalité concernée. C’est le choix de ces dispositifs qui
peuvent tendre vers une « idée » d’objectivité.

Glamourisation : Appelée aussi effet « publicité » (qui est l’effet


papillon déplacé aux images*). Si la publicité est une image* factice dont le
but est principalement mercantile, le dispositif dans lequel elle intervient, son
usage social* complexe, lui donne un sens qui va bien au-delà et dont les
« publicitaires » se déresponsabilisent. La glamourisation est l’un de ses
dispositifs.
- Les battements d’aile : L’image* publicitaire nécessite, pour happer le
consommateur, deux pôles complémentaires. D’une part, la captation de la
libido et, d’autre part, la projection de fantasmes. Ces deux pôles, dans leurs
165 Lexique

processus de mise en image*, puisent dans un fond de clichés* : femme fatale,


mauvais garçon, talon aiguille, gros bras tatoué, vaisselle, sport...etc.
- La tornade : Ces clichés*, passés au filtre léché de l’esthétique papier glacé,
construisent des fictions d’une part, et motivent des clichés* de
comportements d’autre part, à force de répétition et d’identification : des
scénarii à tenir et des représentations du monde discutables. (Sournoise, la
glamourisation* ne touche pas seulement les représentations homme/femme,
elle peut aussi cautionner les rapports de force nord/sud par un recourt à
l’exotisme, teinté d’une pointe de nostalgie colonialiste. Nous la retrouvons
aussi dans la « fictionnalisation » de certains corps de métier (séries
télévisuelles notamment : policiers, professeurs, médecins et... artistes)). Il est
important de préciser qu’en scénarisant des comportements transgressifs, il ne
reste de ceux-ci qu’une série de « codes » à activer indépendamment de leurs
sens : des attitudes désamorcées.
166 Manuel d'arts plastiques tome 1

Gymnastique : La plasticité, au sens où nous l’entendons, n’est pas


d’un côté le corps, et de l’autre, l’esprit, qui seraient deux pôles distincts. Dans
la mesure où cette dichotomie est une aporie occidentale, la « gymnastique »
propose une alternative : une intelligence du corps. Celle-ci, dans un même
moment, est une activité du corps avec lui-même, l’environnement et les
objets. La pensée de cette activité se manifeste dans les gestes et les opérations
qui constituent la plasticité, ainsi que dans l’œuvre sens(ible).

Image : Voir interlude II : De l’image.

Négoce : Le négoce généralisé a son pendant sensible : les images*


négociantes. Elles sont la misère symbolique en vigueur, un gommage sans
précédent des singularités. Elles se distinguent par un double mouvement :
d’une part, elles vendent un produit ou un service, d’autre part, elles annihilent
le jugement et la pensée du spectateur dans la mesure où elles l’incorporent
(elles l’assimilent au scénario* global), et lui resservent des clichés* éculés.
167 Lexique

Elles négocient un produit et négocient son public. Le premier négoce*


correspond au sens littéral de la publicité, le second, au sens qui la déborde par
son usage social*.

Opérations plastiques : La pensée de l’activité plastique* se manifeste


dans des opérations plastiques. Elles ne sont pas des objets, ni des concepts,
mais des faits. Nous ne pouvons pas les nommer, juste approcher les
directions qu’elles peuvent prendre.
Les opérations ne sont pas un ensemble clos de gestes, dans la mesure où il
faut toujours en inventer. Elles sont indifférentes aux catégorisations et
suffisamment souples pour s’associer entre elles. Elles interviennent à tous les
niveaux de l’œuvre : mise en forme, exposition, sens...

Peinture : cas particulier des arts plastiques. Elle a dominé pendant


longtemps son histoire.
168 Manuel d'arts plastiques tome 1

Dépôt de pigments colorés sur une toile tendue sur un châssis, accrochée
verticalement sur un mur. Parfois, l’artiste décide de suggérer un espace ou un
corps, parfois au contraire, il décide d’affirmer la planéité de l’espace littéral
de la toile. L’histoire de ce cas particulier peut se comprendre comme le
parcours de cette libération, qui va de la figuration (illusion) à la mise en
valeur des éléments constitutifs de l’objet tableau : le cadre, le châssis, la toile,
le format, l’accrochage... etc.

Plastique : du grec plastikos : argile, cire...Le terme désigne les


matières malléables et semi-malléables qui peuvent être pétries avec les mains
pour leur donner une forme. Conséquemment, « plastique » désigne à la fois
un matériau et un geste (modeler). Puis, l’histoire va se charger de faire
dériver son sens entre l’une et l’autre de ses possibles significations. Sa
définition va hésiter entre l’aspect formel de l’objet artistique et l’action qui va
lui donner forme. Tour à tour, « plastique » va désigner le tout « cohérent et
169 Lexique

proportionné » d’une œuvre, où l’artiste rivalise avec le créateur, ou bien le


travail intérieur de l’artiste, où se forment les idées avant d’être matérialisées.
Dans ce manuel la plasticité est préférée à « plastique ». Elle supprime la
séparation entre la forme d’un côté et l’esprit de l’autre, grâce à la
gymnastique*.
Pour des informations supplémentaires, consulter : Dominique Château, Arts
plastiques : archéologie d’une notion, Ed. Jaqueline Chambon, Nîmes, 1999.

Règle locale : (le concept est emprunté à Frédéric de Manassein).


L’histoire de l’art occidentale a privilégié des cas particuliers de la plasticité.
En confondant l’œuvre avec sa réalisation, certains médiums se sont affirmés
comme l’unique possibilité artistique, et certaines techniques se sont
retrouvées sublimées dans des règles précises de savoir-faire. Ces règles sont
discutables (et, à la vue de l’histoire picturale du XXème siècle, discutées !) à
l’égard de l’histoire plastique générale. Elles n’ont jamais été des solutions de
problèmes plastiques.
170 Manuel d'arts plastiques tome 1

Scénario : (pluriel scenarii) ce terme a deux sens complémentaires


dans notre manuel.
Le scénario désigne 1. Une fiction de comportement à activer présente dans
un objet. 2. L’histoire et les références sociales d’un objet.
1. La publicité, par son usage social*, convoque des scénarii à activer. Ils
s’appuient sur des fictions qui sont autant de représentations faussées
du monde.
2. L’artiste, quand il travaille avec des matériaux scénarisés simples,
compose à partir de l’histoire que ces matériaux portent avec eux.
Lorsqu’il travaille avec des matériaux scénarisés complexes, il est au
prise aussi avec des objets qui cumulent les scénarii de type 1 et 2
décrits ici. Le problème pour lui va consister à enrayer le scénario de
type 1.
171 Lexique

Usage social : se dit à propos des objets (et les images* sont des
objets). Si les objets ont un sens, l’usage social en produit un autre. Il
fonctionne comme une suite d’opérations qui font signes. L’usage social de la
publicité, par exemple, trouve ses opérations dans : le sens (indépendant du
produit), le produit, la distribution (journaux, télévision), l’affichage (espace et
temps)...
172 Manuel d'arts plastiques tome 1

Table des matières

Table des matières


AVANT-PROPOS .................................................................................................................................3

INTRODUCTION................................................................................................................................14

LE MATÉRIEL....................................................................................................................................21

LE MATÉRIAU...................................................................................................................................37

INTERLUDE I: QUATRE ÉQUATIONS POUR COMPRENDRE LE TRAVAIL


PLASTIQUE.........................................................................................................................................73

L’OBSERVATION..............................................................................................................................90

LA CIRCONSTANCE.......................................................................................................................113

INTERLUDE II : DE L’IMAGE......................................................................................................140

CONCLUSION...................................................................................................................................159

LEXIQUE...........................................................................................................................................164

TABLE DES MATIÈRES.................................................................................................................174


173 Table des matières

BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................................................176
174 Manuel d'arts plastiques tome 1

Bibliographie

1. Catalogues d’exposition, monographie.

• 3éme Biennale d’Art Contemporain de Lyon, Paris, Réunion Des Musées


Nationaux/BAC, 1995.

• CABANE Pierre, Duchamp et Cie, Paris, Edition Pierre Terrail, 1997.

• CELANT Germano, Penone, trad. Anne Machet, Milan, Edition Electa,


1989.
175 Bibliographie

• BUREN Daniel, Mot à mot, B. Blistène Dir., Paris, Coéditions Edition du


centre Pompidou/ La Martinière / Ed. Xavier Barral, 2002.

• Gabriel Orozco : Trabajo, Galerie Chantal Crousel, Köln, Verlag der


Buchhandlung Walther Köning, s.d.

• GUERRERO Antoine, Chen Zen, New York, P.S.I contemporary art


center, 2003.

• LEGRAND Véronique et CHARLES Aurélie dir., L’esprit Fluxus,


Marseille, Editions des musées de Marseille, 1995.

• Paul KLEE, Musée d’art moderne de Saint-Étienne, Editions du musée,


1988.
176 Manuel d'arts plastiques tome 1

• Philippe Ramette : catalogue rationnel, édité par la galerie Xippas, Paris,


2004.

• Ubi Fluxus ibi motus (1990 –1962) : XLIV esposizione internanazionale


d’arte LA BIENNALE DI VENEZIA, Milan, Nuove edizioni Gabriele
Mazzotta, 1990.

• Yves KLEIN : Catalogue, Paris, Centre Georges Pompidou musée national


d’art moderne, 1983.
177 Bibliographie

2. Esthétiques, Sciences de l’Art.

• ARDENNE Paul, Un art contextuel : Création artistique en milieu urbain,


en situation, d’intervention, de participation, Paris, Flammarion, 2002.

• Art en théorie : 1900-1990 une anthologie par Charles Harrison et Paul


Wood, s. l., Edition Hazan, 1997.

• BOURRIAUD Nicolas, Postproduction, Dijon, Les presses du réel, 2004.

• CHATEAU Dominique, Arts plastiques : Archéologie d’une notion,


Nîmes, Editions Jaqueline Chambon, 1999.
178 Manuel d'arts plastiques tome 1

• COUCHOT Edmond, La technologie dans l’art : de la photographie à la


réalité virtuelle, Nimes, Ed. Jaqueline Chambon, 1998.

• DOMINO Christophe, A ciel ouvert : l’art contemporain à l’échelle du


paysage, coll. Tableaux choisis, Paris, Editions Scala, 1999.

• GODFREY Tony, L’art conceptuel, coll. Art&idées, s. l., Phaidon , 2003.

• KISSELEVA Olga, Cyberart : un essai sur l’art du dialogue, collection


Ouverture philosophique, Paris, L’Harmattan, 1999.

• KLONAIS Maria et THOMADAKIS Katherina, dir., Mutations de


l’image : art, cinéma, video, ordinateur, Paris, A.S.T.A.R.T.I pour l’art
audiovisuel, 1994.
179 Bibliographie

• Lussac Olivier, Happening et fluxus: polyexpressivité et pratique concrète


des arts, Paris, Arts et sciences de l'art, L'Harmattan, 2004.

• PARRENO Philippe, Speech Bubbles, Dijon, Les presses du réel, 2004.

• PLEYNET Marcelin, Système de la peinture, coll. « Points essais », Paris,


Editions du Seuil, 1977.

• SOURIAU Etienne, Vocabulaire d’esthétique, Paris, Presse universitaires


de France, 1990.

• TIBERGHIEN Gilles A., Nature, art, paysage, s. l., Acte sud/ Ecole
nationale supérieur du paysage/ Centre du paysage, 2001.
180 Manuel d'arts plastiques tome 1

3. Linguistiques, Sémiotiques.

• BARTHES Roland, Le degré zéro de l’écriture, coll. « Points», Paris,


Editions du Seuil, 1972.

• BARTHES Roland, Le plaisir du texte, coll. « essais », Paris, Editions du


Seuil, 1973.

• BARTHES Roland, Mythologie, coll. « Points », Ed. du Seuil, 1970

• CHARLES Daniel, Musiques nomades, Paris, Editions Kimé, 1998.

• ECO Umberto, L’œuvre ouverte, coll. « points essais », Paris, Editions du


Seuil, 1965.
181 Bibliographie

• ECO Umberto, six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs, coll.
« biblio essais », Paris, Grasset, 1994.

• KRISTEVA Julia, La révolution du langage poétique, coll. « points


essais », Paris, Editions du Seuil, 1978.

• KRISTEVA Julia, Le langage, cet inconnu, coll. « points essais », Paris,


Editions du Seuil, 1981.

• KRISTEVA Julia, Sèméiotikè, recherche pour une sémianalyse,


coll. « points essais », Paris, Editions du Seuil, 1978.

4. Littérature, Histoire, Société.


182 Manuel d'arts plastiques tome 1

• BAUDRILLARD Jean, « Le complot de l’art », Libération, 20 mai 1996.

• BAUDRILLARD Jean, La société de consommation, coll. Folio / Essais,


s.l., DENOEL, 1998.

• BAUDRILLARD Jean, les stratégies fatales, Paris, Editions Grasset et


Fasquelle, 1983.

• GAILLOT Michel, La techno : un laboratoire artistique et politique du


présent, collection Sens multiple, Paris, Dis Voir, s. d ..

• MONDZAIN Marie José, L’image peut-elle tuer ?, « le temps d’une


question »,s. l. , Bayard Editions, 2002.
183 Bibliographie

• QUIGNARD Pascal, Petits traités I & II, Folio, Paris, Gallimard, 1990.

5. Philosophies

• ARISTOTE, Poétique, s.l. , Mille et une nuits, mars 1997.

• GUATTARI Felix et DELEUZE Gilles, Mille plateaux : Capitalisme et


schizophrénie, Paris, Editions de minuit, 1980.

• JULLIEN François, Du « temps » : Eléments d’une philosophie du vivre,


« collège de philosophie », Paris, Grasset, 2001.

• JULLIEN François, Eloge de la fadeur : à partir de la pensée et de


l’esthétique de la Chine, « biblio essais », Paris, Grasset, 1991.
184 Manuel d'arts plastiques tome 1

• JULLIEN François, Figures de l’immanence, « biblio essais », Paris,


Grasset, 1993.

• JULLIEN François, Procès ou création : une introduction à la pensée


chinoise, « biblio essais », Paris, Grasset, 1989.

• JULLIEN François, Traité de l’efficacité, Paris, Grasset, 1996.

• LACAN Jacques, Ecrit I & II, Coll. « Points essais », Paris, Editions du
Seuil, 1971.

• LACAN Jacques, Encore, texte établi par Jacques-Alain Miller, coll. « Le


champ freudien », Paris, Editions du Seuil, 1975.
185 Bibliographie

• LACAN Jacques, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse,


texte établi par Jacques-Alain Miller, coll. « points essais », Paris, Editions
du Seuil, 1973.

• KRISTEVA Julia, sens et non-sens de la révolte, biblio essais, Paris,


Grasset, 1996.

• ONFRAY Michel, Traité d’athéologie : physique de la métaphysique,


Paris, Grasset, 2005.
186 Manuel d'arts plastiques tome 1

6. Ecrits théoriques d’artiste.

• BOULEZ Pierre, Leçons de musique, Christian Bourgois éditeur, Paris,


2005.

• BRECHT Bertold, Ecrits sur le théâtre épique, « Bibliothèque de la


pléiade », Paris, Gallimard, 2000.

• DUCHAMP Marcel, Duchamp du signe, Paris, Flammarion, 1975.

• GODARD Jean Luc, J. L. G par J. L. G, tome I et II, Paris, Editions des


Cahier du Cinéma, 1985.
187 Bibliographie

• KANDINSKY Vassili, Du spirituel dans l’art : et dans la peinture en


particulier, Folio Essais, s.l., Denoël, 1989.

• KANDINSKY Vassili, Point et ligne sur plan : contribution à l’analyse


des éléments de la peinture, Paris, Gallimard, 1991.

• KLEE Paul, Cours du Bahaus (Weimar 1921-1922) : Contributions à la


théorie de la forme picturale, Strasbourg, Editions des Musées de
Strasbourg et éditions Hazan, 2004.

• KLEE Paul, Journal, Paris, Grasset, 1959.

• KLEE Paul, Théorie de l’Art moderne, Bibliothèque Médiations, s.l.,


Denoël / Gonthier, 1975.
188 Manuel d'arts plastiques tome 1

7. Revues

• ART PRESS, Techno : anatomie des cultures électroniques, Hors série


numéro 19, 1998.

• La part de l’œil, Bruxelles, Presses de l’Académie royale des Beaux-Arts


de Bruxelles, 1985 à 1994.

• Peinture : Cahiers théoriques, n°14/15, Paris, Centre National des lettres,


s.d..

Vous aimerez peut-être aussi