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TRANSFUSION SANGUINE

Le groupage sanguin en question :


actualité et perspectives
Benoît Claviera,*

RÉSUMÉ SUMMARY
Le groupage sanguin est une analyse particulière car elle engage la sécurité Blood typing at stake: news and prospects
transfusionnelle. C’est pourquoi les pouvoirs publics ont défini dès 1965 puis Blood typing is a particular analysis because it in-
par la circulaire du 17/05/1985 des règles impératives. Plus récemment, l’arrêté volves blood safety. This is the reason why the
du 26/04/2002 modifiant l’arrêté du 26/11/1999 relatif à la bonne exécution public authorities set mandatory rules as early as
des analyses de biologie médicale a formulé des exigences précises en terme 1965 and then in 1985. More recently the order of
d’automation et d’informatisation, de contrôle de qualité interne et de règles April 26, 2002 amending the order of November 26,
de réalisation des analyses. Devant le constat de l’augmentation régulière de 1999 about the effectiveness of laboratory medicine
l’activité d’immuno-hématologie en France, un état des lieux des pratiques analyses drew up specific requirements in terms
a été réalisé. La répétition des groupages sanguins, le déploiement insuffi- of automation and informatization, internal quality
sant de la transmission électronique des résultats d’immuno-hématologie, control and implementation rules of the analyses.
la difficulté de prise en compte des résultats extérieurs par les structures After reporting that immunohematology activity in
de délivrance des produits sanguins labiles sont à l’origine de propositions France was steadily increasing, a check up of the
qui sont commentées et discutées. L’exigence de 2 déterminations de practices was conducted by a working group (WG).
groupe sanguin sur 2 prélèvements différents est réaffirmée pour sécuriser Repeated blood typing, the inadequate deployment
l’identification du patient prélevé. Un numéro identifiant national est le pré- of the electronic transmission of immunohemato-
requis à l’utilisation prolongée des données immuno-hématologiques et à logy results and the difficulties faced by labile blood
leur accessibilité élargie aux différents utilisateurs pour éviter la répétition products delivery services when taking into account
des groupages sanguins. L’objectif est de réduire les coûts pour le système the blood typing results carried out by external la-
de santé sans préjudice pour la sécurité transfusionnelle. boratories, led to proposals which are commented
out and discussed in the article. The WG reasserts
Groupage sanguin – réglementation – sécurité transfusionnelle – the need to collect two different blood samples in
informatisation – transmission électronique – order to do two separate blood group determina-
numéro identifiant national de patient – coût du système de santé. tions; the purpose is to secure the identification of
the patients during sample collection. A national
patient identification number is the prerequisite to
1. Introduction a prolonged use of the immunohematological data
and their extended accessibility to the different users
in order to avoid the repetition of blood typing. The
Le groupage sanguin est une analyse particulière car elle
objective is to reduce health care costs without
engage la sécurité transfusionnelle et donc la vie des
damaging blood safety.
patients transfusés. Le législateur s’est donc intéressé de
longue date à cette analyse pour améliorer les différentes
étapes du processus qui aboutissent à l’édition d’un docu- Blood typing – rules – blood safety –
ment de groupage valide pour transfuser les patients. La informatization – electronic transmission –
préparation d’une nouvelle réglementation pour autant national patient identification number – health care cost.
qu’elle soit susceptible de modifier notablement les règles
en vigueur peut susciter des interrogations. Nous tentons
de faire ici le point sur la réglementation en matière de 2. Rappel sur le principe
groupage sanguin à partir des données disponibles.
du groupage ABO-RH1 (D) et
a Département des laboratoires phénotypage RH-KEL1 (RH-K)
Centre de transfusion sanguine des Armées
1, rue du Lieutenant Raoul-Batany – B.P. 410 Le groupage sanguin ABO est une analyse multiparamé-
92141 Clamart cedex trique dont les modalités, définies par voie réglementaire,
reposent sur des impératifs. Ainsi, une réalisation de grou-
* Correspondance page sanguin ABO comporte obligatoirement deux épreuves
clavier@ctsa.armees.fr qui doivent être cohérentes entre elles [1] :
article reçu le 1er août, accepté le 24 octobre 2011 • une épreuve globulaire dite épreuve de Beth-Vincent qui per-
© 2012 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. met, grâce à l’utilisation de sérums-tests anti-ABO1 (anti-A),

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anti-ABO2 (anti-B) et anti-ABO3 (anti-AB), de mettre en 4. Les exigences
évidence les antigènes A et/ou B à la surface des hématies ;
• une épreuve plasmatique qui permet de mettre en évi- de l’arrêté du 26 avril 2002
dence dans le plasma du sujet, les anticorps naturels du
système ABO dirigés contre les antigènes absents des L’arrêté du 26 avril 2002 a formulé des exigences précises
érythrocytes, grâce à l’utilisation d’hématies-tests A1, A2, en terme d’automation et d’informatisation, de contrôle de
B, O. Nous verrons plus loin quelles places ont chacune qualité interne (CQI) et de règles de réalisation des analyses.
des hématies dans l’évolution de la réglementation. Quel que soit le degré d’automatisation et d’informatisation,
Le groupage RH1 (D) est réalisé à l’aide de deux réactifs la qualité des analyses est directement liée à la phase pré-
dont l’un possède une activité anti-RH1 (anti-D) et l’autre analytique qui comporte des opérations manuelles critiques
est un réactif témoin de constitution identique au réactif dont l’erreur peut remettre en cause la fiabilité du résultat :
anti-RH1 (anti-D) mais dépourvu de toute activité anti- • acceptation des échantillons et des documents accom-
corps spécifique. pagnateurs (prescription – fiche de suivi médical),
Le phénotypage RH-KEL1 (Rh-K) comprend l’étude des • saisie de l’état civil,
antigènes RH2 (C), RH3 (E), RH4 (c), RH5 (e) et KEL1 (K) • établissement du lien entre patient – support d’identifi-
à l’aide des réactifs anti-RH2 (anti-C), anti-RH3 (anti-E), cation positive – échantillon.
anti-RH4 (anti-c), anti-RH5 (anti-e) et anti-KEL1 (anti-K) et À ce titre, la saisie informatique de l’état civil à partir de
d’un réactif témoin. la prescription doit être suivie d’un contrôle basé sur une
deuxième saisie réalisée à partir des informations inscrites
sur l’échantillon et après une identification positive de
3. Évolution de la réglementation celui-ci [5], c’est-à-dire après apposition d’une étiquette
code à barres en vue de son identification par le système
La détermination des groupes sanguins doit être considérée automatisé.
par tout biologiste comme un examen d’une importance La qualification d’« automatique » pour un système donné
hors de l’ordinaire. La responsabilité d’un groupage erroné impose que celui-ci puisse prendre en charge certaines
est en effet très lourde de conséquences, c’est pourquoi phases de l’étape analytique apparaissant comme critique
les pouvoirs publics ont défini, dès 1965 et 1980, un cer- pour la fiabilité des résultats et puisse associer de façon
tain nombre de règles impératives [2]. Il n’est pas courant automatique et univoque le sang du patient aux résultats
qu’un examen biologique ait fait l’objet depuis près de correspondants via le support d’identification positive de
50 ans de définitions administratives légales qui engagent l’échantillon. Les objectifs de l’automation, indissociable
la responsabilité du biologiste. de l’informatisation, sont rappelés dans l’annexe DIX de
La circulaire du 17 mai 1985 relative à la prévention des l’arrêté : diminuer les risques d’erreur humaine relatifs à
accidents transfusionnels et des accidents d’allo-immuni- chaque étape de la réalisation des analyses, garantir une
sation a défini les règles de réalisation du groupage sanguin traçabilité fidèle de tous les éléments ayant contribué aux
ABO-D. L’épreuve sérique exigeait alors d’utiliser quatre opérations analytiques, gérer toutes les alarmes de dys-
hématies A1, A2, B et O. Les deux épreuves (épreuve fonctionnement du système [6]. L’annexe DX de l’arrêté
globulaire et épreuve sérique) devaient être réalisées par précise les critères minimums auxquels doivent répondre
deux techniciens différents, à l’aide de deux séries de les appareillages pour pouvoir être considérés comme
réactifs différentes [3]. Cette circulaire est restée en vigueur automatiques. L’ensemble de ces conditions permet désor-
pendant 17 ans. mais la pratique légale des groupages ABO-RH1 par un
L’introduction quasi simultanée de nouvelles technologies seul technicien et une seule réalisation par détermination.
comme la filtration et l’immuno-adhérence associée à l’évo- Toutefois, un typage érythrocytaire valide doit toujours
lution des réactifs produits par génie cellulaire a permis être réalisé sur 2 prélèvements différents à raison d’une
de répondre aux prescriptions sans cesse croissantes de détermination par prélèvement.
typages érythrocytaires, de recherche d’anticorps érythro- La pratique des CQI est désormais obligatoire alors qu’elle
cytaires (RAI) et d’améliorer ainsi la fiabilité des résultats. n’était que recommandée dans la circulaire de 1985. Elle
Étant donné les limites de la fiabilité humaine, il était devenu a pour objectif de garantir le maintien qualitatif du proces-
justifié d’introduire l’automation et l’informatisation afin sus analytique dans son ensemble et de détecter toute
de continuer à contribuer à l’amélioration de la sécurité anomalie ou altération pouvant être liée à de mauvaises
transfusionnelle [4]. Sensibilisé à toutes ces évolutions, le conditions techniques incluant les actions de distribution,
ministère chargé de la Santé a, en collaboration avec un agitation, centrifugation et lecture ou à une altération
groupe d’experts, modifié les modalités d’exécution des des réactifs ou supports de réaction. Que l’analyse soit
analyses d’immuno-hématologie en légiférant sous forme manuelle ou automatisée, certaines actions font intervenir
d’un arrêté ministériel en date du 26 avril 2002 modifiant du matériel qui peut s’altérer au cours du temps comme
l’arrêté du 26 novembre 1999 relatif à la bonne exécution l’agitateur et la centrifugeuse : les CQI sont donc justifiés
des analyses de biologie médicale (GBEA) [5]. Des règles et indispensables. Il en est de même de la performance
applicables à l’ensemble des laboratoires réalisant des des réactifs vis-à-vis des phénotypes normaux ou des
analyses d’immuno-hématologie et les conditions de prises variants faibles [4].
en compte des résultats par les établissements pratiquant Les règles de réalisation du groupage sanguin ont égale-
les délivrances de produits sanguins labiles (PSL) ont ainsi ment notablement évolué. L’utilisation de réactifs mono-
été définies. clonaux pour le groupage ABO-RH1 est obligatoire.

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TRANSFUSION SANGUINE

Le réactif anti-B utilisé ne doit pas donner de réaction transférés vers les structures de délivrance de produits
croisée vis-à-vis de l’antigène B acquis. L’un des deux sanguins labiles et pris en compte lors d’éventuelles trans-
réactifs, anti-A ou anti-AB, doit pouvoir reconnaître les fusions ultérieures, limitant ainsi la répétition d’analyses
hématies Ax. Les hématies-tests A1 et B sont les seules dont on sait que le résultat ne change pas avec le temps.
exigées pour réaliser l’épreuve plasmatique. En effet, la L’objet de ce travail a donc été :
suppression des hématies A2 ne met pas en jeu la sécurité • de faire un état des lieux des pratiques dans le domaine
[7]. De même la suppression de l’utilisation des hématies O de l’immuno-hématologie, en détaillant les points suivants :
se justifie par la prescription obligatoire de la RAI en cas de – la répartition de l’activité selon les structures réalisant
contextes prétransfusionnel, prénuptial et pré ou périnatal ; les analyses,
la RAI permet en effet de dépister les anti-H cliniquement – les modalités de transmission des résultats d’analyses
dangereux [4]. Les hématies A2 et O ne sont exigées que d’immuno-hématologie des laboratoires ayant réalisé les
pour la gestion des anomalies. On peut également noter analyses vers les structures de délivrance de produits
qu’il n’est plus exigé de travailler avec deux lots de réac- sanguins labiles,
tifs différents que l’analyse soit automatisée ou manuelle. – les modalités de prise en compte des résultats d’ana-
Dans les conditions d’automation et d’informatisation lyses issus de laboratoires extérieurs par les structures
exigées par la loi, une détermination de groupage san- de délivrance de produits sanguins labiles,
guin ABO-RH1 et phénotypage RH-KEL1 repose alors – les pratiques d’autres pays dans ce domaine,
sur une seule réalisation exécutée à l’aide d’un lot de • de proposer des voies de progrès qui permettraient
réactifs, d’un lot d’hématies-tests et par un technicien. d’améliorer l’efficience dans le domaine des analyses
Mais dans tous les autres cas, une détermination repose d’immuno-hématologie pré-transfusionnelles en France.
sur deux réalisations exécutées par deux techniciens
différents [4]. À titre d’exemples de non respect des exi- 5.2. Activité d’analyses
gences d’automation ou d’informatisation, on peut citer : d’immuno-hématologie en France
l’absence d’automatisation du groupage ou l’absence de En France, l’activité des analyses d’immuno-hématologie
transfert informatique du résultat issu de l’automate vers à visée transfusionnelle représente un coût global pour la
l’informatique centrale du laboratoire ou toute situation société supérieur à 310 millions d’euros par an.
qui implique la saisie manuelle des résultats. Quoi qu’il Cette activité est caractérisée par un très grand nombre
en soit, la saisie manuelle des résultats doit aussi pas- d’acteurs : LBM, laboratoires hospitaliers, établissements
ser par une double saisie effectuée par deux personnes français du sang (EFS) et Centre de transfusion sanguine
différentes. des Armées (CTSA). Les analyses dont le résultat ne change
pas dans le temps (groupe sanguin, phénotype RH2,3,4,5
5. Vers une évolution et KEL1, et autres antigènes érythrocytaires) et dont on sait
qu’elles sont en réalité répétées très fréquemment au-delà
de la réglementation des deux déterminations réglementaires représentent près
de 60 % (57 %) du coût global de cette activité, soit près
L’activité en matière de groupe sanguin et des pratiques en de 180 millions d’euros par an.
matière de sécurité immuno-hématologique des transfu-
sions sanguines en France a fait l’objet d’un rapport réalisé 5.3. État des lieux des transmissions
à la demande de M. le Directeur général de l’Union natio- électroniques des résultats
nale des caisses d’assurance maladie (UNCAM) auprès de La transmission électronique des résultats d’analyses
M. le Directeur général de l’Institut national de la transfu- immuno-hématologiques est une obligation réglemen-
sion sanguine (INTS), le Pr Philippe Rouger. Le rapport a taire depuis le 26 avril 2002. Néanmoins, elle n’est que
été remis le 25 septembre 2009 [8]. Nous rapportons ici partiellement déployée aujourd’hui : le système ERA mis
quelques éléments du rapport et propositions du groupe en place par l’EFS n’est pas déployé uniformément sur le
de travail concernant le groupage sanguin. Nous le citerons territoire, et nombreux sont les dépôts qui n’assurent pas
sous la dénomination « rapport de l’UNCAM ». cette fonctionnalité.
Au moment de l’enquête, un tiers des laboratoires hos-
5.1. Contexte de l’étude pitaliers et moins d’un quart des LBM n’avaient pas de
Devant le constat que plus de 5 ans après la publication capacité de transfert électronique de leurs résultats avec
de l’arrêté du 26 avril 2002 relatif aux bonnes pratiques leur site de délivrance de produits sanguins labiles de
d’immuno-hématologie, les relevés d’activité des LBM dans référence. À noter que 9 établissements de l’EFS sur 17
ce domaine ne montraient aucune diminution d’activité, n’ont aucune liaison ERA fonctionnelle.
mais plutôt une augmentation régulière, M. le Directeur L’outil ERA développé par l’EFS a pour objectif l’application
général de l’UNCAM a souhaité disposer d’une analyse au sens strict de l’arrêté du 26 avril 2002, à savoir l’inté-
détaillée de l’activité d’immuno-hématologie en France. Il gration des données de groupe sanguin dans le système
a demandé à l’INTS de réaliser cette analyse. d’information des sites de délivrance uniquement pour
L’arrêté du 26 avril 2002 ayant défini, dans son annexe DXI, assurer la sécurité de la délivrance de produits sanguins
les conditions de transmission électronique des résultats labiles. Ainsi, ce système, qui n’a pas été conçu pour la
d’analyses d’immuno-hématologie sécurisées, les condi- conservation à long terme des données d’immuno-héma-
tions pouvaient être théoriquement réunies pour que des tologie, ne peut pas contribuer à la réduction des dépenses
résultats d’analyses d’immuno-hématologie puissent être de santé dans ce domaine.

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Il n’existe aujourd’hui aucun outil développé à l’échelon 5.6. Propositions du groupe de travail
national pour rendre accessibles les résultats d’analyses
d’immuno-hématologie de façon pérenne aux structures 5.6.1. Propositions d’application immédiate
de délivrance qui en auraient besoin. Néanmoins, deux • Prise en compte manuelle des résultats d’analyses
expériences régionales, l’une déjà ancienne dans la région d’immuno-hématologie
Auvergne (et incluant le département de la Loire) et l’autre, En cas d’indisponibilité du transfert informatique des
débutante, dans la région Franche-Comté, abordent cette données d’immuno-hématologie vers les structures de
question de la mise à disposition des résultats des analyses délivrance, entrée possible des résultats d’analyses par
d’immuno-hématologie. Dans les deux cas, des serveurs double saisie réalisée selon un protocole rigoureux (un
d’identité gérés par l’ensemble des acteurs impliqués (LBM, texte réglementaire est requis).
laboratoires hospitaliers et EFS) sont à la base de cette • Facilitation de l’édition et/ou la réédition de résultats
capacité à mettre à disposition des données. Généralisation des rendus de résultat en format électro-
nique (un texte réglementaire est requis).
5.4. Prise en compte des résultats • Amélioration de l’information des prescripteurs
extérieurs par les structures Afin d’éviter des prescriptions répétées inutilement,
de délivrance de produits sanguins labiles notamment en établissement de santé, il est souhai-
Cette partie de l’enquête a soulevé deux questions : table que l’existence de la seule prescription (avant
• d’une part, le refus de certaines structures de délivrance le rendu du résultat) soit accessible aux médecins
de prise en compte manuelle des analyses réalisées par prescripteurs.
d’autres laboratoires (4 % des sites de l’EFS et 33 % des
dépôts hospitaliers) ; 5.6.2. Mesures de fond
• d’autre part, les conditions de réalisation trop souvent • Utilisation d’un numéro identifiant national
non satisfaisantes de cette prise en compte lorsqu’elle Cet identifiant est le pré-requis à toute utilisation prolongée
est faite, qui portent sérieusement atteinte à la sécurité. des données immuno-hématologiques et à l’élargissement
Il paraît indispensable de mettre un terme à cette hétéro- de leur accessibilité à toute autre structure que l’établis-
généité néfaste tant pour l’économie que pour la sécurité sement prescripteur.
des patients, en clarifiant par voie réglementaire les condi- • Mise en place de serveurs d’identité incluant un serveur
tions de prise en compte manuelle par les structures de de résultats
délivrance des résultats d’immuno-hématologie issus de Seul le développement de serveurs d’identité au fonction-
laboratoires extérieurs. nement desquels tous les acteurs concernés (laboratoires,
établissements de santé, EFS) devront obligatoirement
5.5. Pratiques existantes à l’étranger être associés permettra de réduire la répétition inutile des
Les pratiques à l’étranger sont extrêmement différentes analyses immuno-hématologiques.
des pratiques en France, pour deux raisons : Ces serveurs d’identité peuvent être intégrés au déploie-
• une organisation très différente de la nôtre, basée sur l’uni- ment du dossier médical personnel.
cité de la structure réalisant les analyses d’immuno-hémato- • Mise en place d’une prescription électronique d’analyse
logie et la délivrance des produits sanguins labiles, à savoir normalisée
des « banques de sang » hospitalières (que l’établissement La mise en place d’une norme de prescription électronique
de santé soit privé ou public) dont le fonctionnement est des analyses d’immuno-hématologie apportera une véri-
proche de nos dépôts de délivrance hospitaliers ; table maîtrise de la prescription.
• un positionnement différent de verrous de sécurité et des • Utilisation des résultats des analyses réalisées chez les
mesures de prévention des accidents immunologiques de donneurs de sang
transfusion sur le plan des techniques de laboratoires. Communication aux serveurs d’identité des résultats de
Au total, toutes ces solutions aboutissent à une sécurité groupes sanguins ABO RH1,2,3,4,5 KEL1 et autres anti-
immunologique de la délivrance des concentrés de globules gènes éventuellement réalisés chez les donneurs de sang
rouges vraisemblablement très proche de la nôtre. Les (mesure complexe à mettre en œuvre, mais d’un très grand
données d’hémovigilance des deux pays dont le système apport à long terme).
est en place depuis plusieurs années et dont les résultats • Modification de la nomenclature des actes de biologie :
sont disponibles (Royaume-Uni et Pays-Bas) corroborent – par la création d’une analyse unique « groupes ABO,
cette hypothèse. RH1,2,3,4,5 et KEL1 »
Les avantages de la politique française de prévention de Ce regroupement simplifiera le traitement des données et
l’immunisation contre les antigènes des systèmes RH et le rendu des résultats d’analyses immuno-hématologiques ;
KEL sont probables, bien que non mesurables précisé- – par la modification de l’analyse RAI dépistage
ment par les comparaisons de données d’hémovigilance. Intégration à la RAI d’une détermination simplifiée et éco-
Le groupe d’experts pense néanmoins qu’il s’agit d’une nome du groupe ABO par une épreuve sérique, confortant
bonne politique sécuritaire que l’on doit maintenir. Il en ainsi la compatibilité ABO entre le patient et les concentrés
est de même de l’exigence de deux déterminations sur de globules rouges.
deux échantillons différents pour considérer un résultat de • Carte Vitale et support de données d’immunohématologie
groupe sanguin ABO RH1 et de phénotype érythrocytaire, Le groupe de travail a formulé le souhait que si la décision
étant donné la fréquence élevée d’erreurs de prélèvement d’intégrer des données à caractère médical dans la carte
en vue d’analyses [9]. Vitale est prise, les groupes sanguins soient prioritaires.

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6. Discussion autre patient que celui identifié sur le tube) est de 0,3 à 0,9
pour 1 000. Une étude de Fialon et al. [12] réalisée par l’EFS
Quelques points peuvent être commentés ou discutés. Aquitaine – Limousin au sein du CHU de Bordeaux en 2010
révèle un taux similaire de 0,6 pour 1 000, ce qui représente
dans cette étude une fréquence d’un cas par semaine ; les
6.1. Facteurs contribuant
causes identifiées sont l’erreur d’étiquetage ou l’usurpation
à la répétition des analyses d’identité. Ainsi la raison d’être de cette double détermina-
Le rapport de l’UNCAM précise les facteurs contribuant
tion n’est plus tant dans une recherche de fiabilité biologique
à la répétition inutile des analyses [8] : du résultat que dans l’exigence de 2 contrôles d’identité du
• multiplicité des structures réalisant les analyses patient à deux moments différents lors des deux prélèvements.
d’immuno-hématologie,
• défauts de communication entre les prescripteurs et
6.4. Pré-requis d’un identifiant
les laboratoires engendrant une méconnaissance des
résultats antérieurs,
national unique
Un identifiant national unique est le pré-requis d’une prise
• faiblesse de la communication entre les laboratoires et
en compte des résultats des analyses de groupes sanguins
les sites de délivrance,
pendant toute la vie de la personne. Il permet des échanges
• crainte d’une mauvaise identification des patients ou
sécurisés de données, ce que n’assure pas l’identification
d’usurpation d’identité dont le corollaire est un refus de
par les seuls nom de naissance, prénom, date de nais-
réédition de résultats d’analyse par les laboratoires ayant
sance et sexe du fait du risque d’homonymie accru dans
réalisé les analyses.
les grandes bases de données. De plus, on peut espérer
La répétition des groupages sanguins est un moyen de
réduire le risque d’erreur de prélèvement, en effet Dzik et
détection des usurpations d’identité, mais à un prix élevé
al. [9] associent la mise en place d’un identifiant patient
pour la communauté. Cette redondance a été chiffrée
national en Suède et en Finlande avec des taux d’erreur
par une étude réalisée par la CNAMTS qui a montré que
de prélèvement trop bas pour être estimés.
sur une période de trois ans et demi 13 % des patients
avaient eu plus de deux déterminations de groupe sanguin.
6.5. Le maillon faible : l’identification
Le rapport note qu’aucun des accidents par incompati-
bilité ABO relevés dans l’hémovigilance française n’a été
des échantillons lors du prélèvement
L’automatisation et l’informatisation imposées par le GBEA,
rapporté à l’usurpation d’identité et que la répétition des
pour garantir exactitude et précision des résultats, ne règlent
analyses dans le but de détecter les usurpations d’iden-
pas pour autant les points critiques de la phase pré-analytique
tité n’améliore pas de façon mesurable la sécurité trans-
et notamment l’identification des échantillons lors du prélève-
fusionnelle en terme de compatibilité ABO. Cependant,
ment [13]. L’accréditation des laboratoires de biologie médi-
outre l’usurpation d’identité, l’erreur de prélèvement est
cale selon la norme EN ISO 15189 a pour objectif d’améliorer
une crainte qui ne semble pas infondée. En effet Linden
cette étape du processus. Toutefois la phase pré-analytique
et al. [9, 10] ont décrit que 14 % des transfusions incom-
reste souvent en dehors du contrôle direct du biologiste. Or le
patibles rapportées dans l’état de New York étaient dues
maillon faible reste le contrôle de concordance au moment du
à des erreurs de prélèvements.
prélèvement, entre l’identité du patient et l’identité portée sur
les documents, les étiquettes sur les tubes et sur les demandes
6.2. Prise en compte manuelle d’examens. C’est l’étape la plus difficile à sécuriser car elle
des résultats d’immuno-hématologie est encore entièrement humaine. C’est aussi la plus critique
La prise en compte manuelle des résultats d’immuno-héma- car une erreur d’étiquetage ou de prélèvement peut mettre en
tologie en l’absence de transfert informatique vers les dépôts jeu la sécurité transfusionnelle du patient d’autant que cette
de délivrance nécessite une double saisie par deux opérateurs erreur est difficile à mettre en évidence.
différents selon une procédure rigoureuse pour sécuriser l’in-
tégration des résultats. Cependant, dans les sites dont les 6.6. Modification de l’analyse RAI dépistage :
ressources humaines sont limitées ou pendant les heures de association à une épreuve sérique
garde, cette mesure est difficilement applicable à moins que Le rapport de l’UNCAM propose d’associer à la RAI dépis-
l’absence d’urgence autorise une deuxième saisie différée tage, une épreuve sérique pour vérifier dans le même temps
lors du changement d’équipe. Pour tous ces sites, seule la le groupe ABO du patient prélevé. Quelles en sont les limites ?
mise en place de transferts informatiques fiables sécurisera Elles concernent d’une part les difficultés d’interprétation dues
l’intégration des résultats de groupe sanguin. à l’insuffisance des anticorps anti-A et/ou anti-B en particulier
dans la population âgée, à des allo-anticorps s’exprimant
6.3. Exigence réaffirmée de 2 déterminations à température ambiante (anti-MNS1, anti-RH3 etc.), à des
sur 2 prélèvements différents auto-anticorps à l’état libre dans le plasma ou encore à la
Le rapport de l’UNCAM réaffirme à juste titre la nécessité présence d’anticorps anti-A1 chez des patients A2 ou A2B ;
de 2 déterminations de groupe sur 2 échantillons différents nous avons évalué dans notre activité, la fréquence de ces
pour considérer un résultat de groupe sanguin ABO-RH1 et anomalies de l’épreuve sérique à 2 % des groupages ABO
de phénotypage érythrocytaire. Dzik et al. [11] rapportent réalisés chez les patients hospitalisés (données non publiées).
dans une étude internationale réalisée en 2001 que le taux D’autre part, l’objectif de l’épreuve sérique est d’éviter l’er-
d’erreur d’étiquetage varie de 1,2 à 17 pour 1 000 et le taux reur de compatibilité ABO qui peut mettre en jeu la vie du
d’erreur de prélèvement (i-e tube contenant le sang d’un patient transfusé. Mais, ne vérifiant pas le phénotype RH KEL,

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elle n’exclut pas totalement une inversion de prélèvements tèmes d’information au niveau local, régional et national.
entre deux patients de même groupe ABO. Dans ce cas, C’est tout le système de santé qui est concerné. On assiste
selon l’étape à laquelle est survenue l’erreur de prélèvement à la mutation d’une réglementation « tout analytique » vers
(prélèvement du groupage ou prélèvement de la RAI), c’est une réglementation qui intègre l’économie de la santé dans
soit la validité de la RAI qui est mise en doute soit l’interpré- le but de réduire les coûts sans préjudice pour la sécu-
tation d’une allo-immunisation après transfusion ultérieure rité transfusionnelle. Cette transformation nécessite des
qui suscitera des problèmes d’interprétation. investissements et l’implication des différents acteurs de
la santé. L’efficacité des mesures mises en place dépen-
7. Conclusion dra également du degré de confiance que ces mesures
généreront auprès des utilisateurs.
Nous constatons que la législation concernant les grou-
pages sanguins, après avoir concerné strictement le Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits
domaine analytique, évolue vers une implication des sys- d’intérêts en relation avec cet article.

Références en France. Rapport réalisé à la demande de Monsieur le Directeur


Général de l’Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie auprès
de Monsieur le Directeur Général de l’Institut National de la Transfusion
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48 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2012 - N°439

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