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Nous n’avons plus à présenter La Joconde, le chef d’œuvre de Léonard de Vinci est
contemplée par sept millions de personnes chaque année. Protégée par une vitre, le tableau réussit à
être plus vu que regardé par le public. Pourtant, au fil du temps, La Joconde s’est détériorée :
craquelures et assombrissement général du tableau par le jaunissement des vernis, le tableau n’est
plus ce qu’il était lorsque de Vinci a posé son dernier coup de pinceau sur le portrait de Lisa Gherardini
qui sera présenté comme le joyau du Louvre.
Faut-il restaurer La Joconde ? La restauration du tableau est-elle pertinente avec les pratiques
contemporaines de restauration ? Ces questions impliquent qu’il est nécessaire, convenable, utile, de
restaurer le tableau. La restauration de La Joconde, est un sujet qui a déjà fait débat, qui a déjà reçu
une réponse mais la question est sans cesse posée par les chercheurs et les professionnels du
patrimoine. Est-il judicieux de restaurer La Joconde ? En effet, l’on ne commence une restauration que
lorsque l’on sait où l’on va précisément, jusqu’où la pellicule de vernis peut-être enlevée. De plus, la
restauration d’un tableau n‘est pas le fait de refaire le tableau. Ceci est le rôle des copies, des
reconstitutions numériques mais non de la restauration.
En effet, selon la norme française homologuée des principaux termes généraux et définition de la
conservation du patrimoine culturel, la restauration est précisée comme étant l’ensemble d’actions
entreprises sur un bien en état stable ou stabilisé, dans le but d’en améliorer l’appréciation, la
compréhension et/ou l’usage, tout en respectant et/ou en révélant son intérêt patrimonial et les
matériaux et les techniques utilisés. La restauration n’est ni la conservation préventive ni curative et elle
s’attache à la matérialité du tableau.
La Joconde est une œuvre complexe à restaurer dans le sens où, au-delà des considérations
techniques, elle s’inscrit dans une ère où la restauration est confrontée à des enjeux politiques et
culturels de démocratisation et d’accès à la culture qui rendent inaccessible non pas l’image mentale
que nous nous faisons de l’œuvre mais son image présentée sur les murs du Musée du Louvre. Ce
que nous attendons de la restauration n’est ainsi pas un effet de surprise de découvrir de nouvelles
couleurs mais une obsession de voir la Mona Lisa avec les couleurs que nous souhaiterions qu’elle
arbore dans un futur potentiel qui nous permettrait de nous replonger dans le passé.
Lorsqu’une restauration est envisagée, envisager à qui va profiter de cette restauration est un
enjeu central et important. Est-ce la foule de touristes agglutinée devant par milliers chaque jour ?
Sont-ce les professionnels du patrimoine qui la regardent de près ? Est-ce une volonté de satisfaire
une curiosité malsaine conduisant à percer les secrets du tableau ?
La culture s’est aujourd’hui transformée en industrie, l’objectif de conquérir des non-publics
risque de et a commencé à réduire le Musée du Louvre à présenter des icônes, au lieu de présenter
des tableaux avec une technique, une maîtrise et un savoir-faire. La Joconde a survécu à tant
d’époques, tant d’accidents, que la restaurer en enlevant les vernis serait presque créer une nouvelle
image. En effet, restaurer La Joconde n’est pas la simple restauration d’une œuvre d’art mais d’un
monument de la culture artistique, un monument presque historique et touristique. Cependant, pour
l’industrie culturelle, il semble que seul importe l’appétit du public et cette considération ne pousse ni à
la rigueur ni aux solutions exigeantes que souhaitent la restauration.
2 FESSY, Emmanuel, « La Joconde pourra-t-elle enfin retrouver ses vraies couleurs ? », Le Journal des Arts,
1998