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CouvEtude320_2010 20/03/14 15:08 Page1

entreprise personnel

N° 320
Mars 2014
L’équité en entreprise,

étude
enjeux, conditions, mesure

François Dubreuil

Siège Social
26, rue Vernet,
75008 PARIS
tél.+33 (0)1 49 52 34 20

Lyon
Le Rodin
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N° 320 Mars 2014
Etude

L’équité en entreprise,
enjeux, conditions, mesure

François Dubreuil
Sommaire
Sommaire 2

Introduction 3

1. Pourquoi s’intéresser à l’équité aujourd’hui ? 5


1. Mesurer le sentiment d’équité : définitions................................................................................................ 5
2. Pourquoi chercher à être un employeur équitable ? ............................................................................... 6
3. Quand les questions d’équité se posent-elles ? ......................................................................................... 9
4. Quels sont les enjeux d’équité actuels ? .................................................................................................. 14
5. Conclusion : pertinence de l’équité pour le DRH ................................................................................. 21

2. Dimensions et conditions de l’équité dans le management 23


1. Equité distributive : l’équilibre contribution/rétribution ...................................................................... 23
2. Equité des procédures d’évaluation et de sanction............................................................................... 27
3. Equité relationnelle : attention, inclusion, écoute ................................................................................. 30
4. Equité incarnée : vertu des détenteurs de l’autorité ............................................................................ 31
5. Interaction entre les dimensions ............................................................................................................... 33
6. Périmètre d’application de l’équité ........................................................................................................... 34

3. Mesurer pour agir 36


1. Mesurer les inégalités de rétribution et de contribution..................................................................... 36
2. Evaluer l’équité des procédures de GRH ................................................................................................ 38
3. Mesurer le sentiment d’équité ................................................................................................................... 40

Conclusion 50

Annexes : 51

Dernières parutions 55

Publications en anglais 56

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Introduction
Cette étude propose de faire un point sur l’équité.
L’équité est au cœur du travail de DRH. Elle est présente dans les grilles de rémunération, dans le
travail d’uniformisation des critères et pratiques d’augmentations, dans la recherche de l’égalité
homme femme, de pratiques non discriminantes. Elle est au cœur des relations sociales, des conflits,
négociations et discussions qui les animent. Les arguments d’équité sont présents lors de
l’établissement, du renouvellement ou de la clôture de la relation d’emploi. Ils sont constamment
mobilisés au sein même du travail : attribution des tâches au sein d’une équipe, reconnaissance des
efforts, du beau geste…
Malgré cela, l’équité demeure une notion mal définie, trop souvent abordée uniquement sous son
versant négatif (ex. prévention des discriminations) ou indirectement, comme facteur d’engagement,
de prévention des RPS, comme si elle n’avait pas d’intérêt propre.
Il y a certaines raisons évidentes à cet évitement. L’intérêt égoïste conduit spontanément à l’adoption
de pratiques peu équitables. L’équité exige effort, maîtrise, vision de long terme et altruisme.
L’observation des comportements individuels ou collectifs enseigne que l’équité ne peut être qu’un
projet constant. De plus, comme l’équité renvoie pour partie à un sentiment subjectif, affecté par
des passions collectives, le doute est vite instillé sur le fait qu’on puisse objectiver l’équité… Les
actions des salariés étant principalement motivées par l’équité perçue, l’employeur risque de
s’intéresser moins au progrès de l’équité objective, qu’au maintien de l’apparence de l’équité. Les
syndicats et les ONG seront à l’opposé tentés d’exacerber le sentiment d’injustice pour faire
progresser l’équité objective. L’équité semble souvent un champ de lutte entre les défenseurs d’un
ordre social qui les privilégie, des agitateurs cherchant à remettre en cause cet ordre social, des
individus et des collectifs habillant la poursuite de leur intérêt égoïste dans des arguments généraux
pour justifier l’exercice du rapport de force. Dans ce contexte, afficher désintérêt, ironie et cynisme
sur l’équité, a fini par devenir une manière d’afficher sa maturité.
L’équité ressemble toutefois sur tous ces éléments - avec quelques années de retard - à la santé. Ce
n’est qu’après s’être longtemps focalisés sur l’évitement et la compensation des accidents, les
maladies professionnelles et risques psychosociaux, que les acteurs semblent accepter peu à peu de
discuter et rechercher la « qualité de vie au travail »1. La santé, malgré son caractère également
fortement subjectif est devenue un objectif. Cette étude propose de prendre au sérieux l’équité.
En effet assurer l’équité est un levier essentiel du développement durable de l’entreprise. Dans un
contexte de crise économique durable, cette équité est d’autant plus attendue. N’est-il pas
préoccupant par exemple pour la compétitivité de la France que si peu de Français soient convaincus
que les efforts sont récompensés ? Que l’accroissement de la réglementation soit si souvent la
première réponse au constat de situations inéquitables ?
La seconde partie et nos encadrés en annexe proposent donc de s’attacher à définir l’équité.
Ceci permet ensuite de proposer dans la dernière partie un cadre pour mesurer l’équité et les
variations du sentiment d’équité. Elle propose notamment un mode d’enquête multi thèmes et multi
cibles que nous avons développé au sein d’Entreprise&Personnel.

1
Cf l’ANI sur la qualité de vie au travail en 2013 qui vient après l’ANI sur le stress de 2008, et passage en 2005 de la médecine du travail
aux services de santé au travail
3
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« La pire injustice qu'on peut faire aux gens, c'est de les prendre pour des anges. »
Yves Beauchemin

« Ne sème pas dans les sillons de l'injustice, de peur de la moissonner au septuple. »


La Bible

1. Pourquoi s’intéresser à l’équité aujourd’hui ?


Cette partie propose d’aborder les enjeux de l’équité pour l’entreprise et le DRH. Après une
clarification de certains termes, elle abordera successivement la question du pourquoi s’intéresser à
l’équité en entreprise en tant que DRH, du quand est-ce que les questions d’équité se posent avec le
plus d’acuité, avant de terminer avec la question du comment les enjeux d’équité se posent dans les
entreprises françaises aujourd’hui.

1. Mesurer le sentiment d’équité : définitions


Avant d’aller plus loin, il peut être utile de préciser le sens de certains mots.

 Equité ou justice ?
Les deux termes sont perçus dans cette étude comme relativement équivalents.
Les travaux mentionnés utilisent selon le choix des auteurs un terme ou l’autre.
Historiquement en Occident, la distinction entre justice et équité, renvoie à la distinction faite
par Aristote entre l’application de la loi, qu’exige la justice, et l’adaptation de la loi au cas
précis, qu’exige l’équité. Les théories du Care, pour opérer une distinction similaire, parleront
plutôt d’une autre approche de la morale et de la justice. Les travaux du courant dit de la
justice organisationnelle, auxquels cette étude fait fréquemment référence, distinguent la
justice distributive, des procédures, et la justice interpersonnelle.
La préférence pour le mot équité dans cette étude est liée à trois raisons. Le mot justice
renvoie dans le langage courant à l’appareil judiciaire (ministère de la Justice) et donc au légal,
pas toujours applicable, plus qu’au légitime dans la situation. Le mot justice renvoie davantage à
une démarche de réparation de dommages, tandis que l’équité oriente davantage dans une
démarche davantage préventive. Un syndicaliste lutte contre l’injustice, là où un DRH cherche
à organiser l’équité.2 Enfin, le mot justice évoque plutôt l’absolu transcendant difficile à
atteindre (comme dans l’expression « trouver le mot juste ») tandis que l’équité relève plus
d’une démarche pragmatique.

 Equité ou égalité ?
Les mouvements progressistes et le discours juridique ont une forte préférence pour le mot
égalité, même lorsqu’il s’agit de justifier des inégalités, ainsi de diverses expressions consacrées
« à travail égal, salaire égal », « égalité professionnelle », « égalité des chances ». Si l’égalité

2
Comme dans la différence entre le livre du syndicaliste et prêtre ouvrier Jean Girette, Je cherche la justice, paru en 1973 aux éditions
France Empire et le livre de Jean Fombonne, DRH et président de l’ANDCP, Diriger le personnel avec équité, paru en 1991, aux éditions
Organisations
5
entre citoyens a un vrai sens, appliqué à un collectif hiérarchisé tourné vers l’action en
commun, le mot égalité cache plus de choses qu’il ne permet d’en résoudre.
L’expression « à travail égal, salaire égal », éloigne par exemple du traitement de la question
essentielle : quels sont les travaux supérieurs à d’autres, et comment hiérarchiser entre eux ?
Parler d’équité distributive aborde plus directement l’enjeu réel, comment ajuster au mieux les
rétributions aux contributions.
La notion d’égalité rend également difficile la question de la prise en compte des différences.
L’équité relationnelle permet d’aborder plus directement les enjeux du développement inclusif
de chacun dans ses différences3.
Le mot égalité prédispose enfin à une approche unidimensionnelle, égalisation des revenus
(sociale) ou égalisation des chances (libérale). Le mot équité s’écarte de cette rigueur
mathématique et encourage à un jugement informé parce qu’ayant abordé une décision sous
plusieurs angles, plutôt qu’à la déresponsabilisation par l’application stricte d’une règle.

 L’équité est-elle mesurable ou subjective ?


L’équité est à la fois une réalité objectivement mesurable d’une relation et le sentiment
historiquement, culturellement et subjectivement situé de ses protagonistes.
D’un point de vue objectif, l’équité est perceptible depuis l’externe et peut faire l’objet d’un
relatif consensus. Il existe quelques critères universels et quelques indicateurs de mesure
indépendants de l’observateur. On peut par exemple observer des inégalités de revenus qui
sont un indice de l’équité du rapport entre contribution et rétribution, l’égalité de traitement
des candidatures masculines et féminines. Ces observations conduisent à un jugement informé
sur le caractère plus ou moins équitable de la relation d’emploi, et ce de manière relativement
indépendante de la perception des personnes concernées. Il n’y a pas en effet
systématiquement corrélation entre l’équité objectivable de la relation d’emploi et la
perception subjective des salariés et de l’employeur. Les salariés d’une entreprise peuvent
décrire comme équitable une relation qui objectivement ne l’est pas, soit parce qu’elle leur
convient, soit parce qu’ils ont intériorisé des stéréotypes inégalitaires, soit parce qu’ils
craignent des rétorsions en cas de critique. De façon opposée, des salariés peuvent déployer
une énergie importante à dénoncer des iniquités, au sein d’une relation d’emploi,
objectivement équitable du point de vue d’un observateur extérieur, par exemple parce que
les injustices restantes dans un milieu de travail fortement équitable sont plus saillantes.
D’un point de vue culturellement et subjectivement situé, chacun peut avoir des perceptions
différentes de ce qui est équitable suivant sa culture, sa génération, etc. Cela ne veut pas dire
pour autant qu’on ne puisse rien en dire. Il est possible en effet d’interroger les personnes sur
leur sentiment d’équité et d’observer des corrélations entre ce sentiment d’équité et la
performance économique et sociale de l’entreprise ou d’un pays. C’est ce que nous proposons
de faire dans la partie 3.

2. Pourquoi chercher à être un employeur équitable ?


Equité, justice, égalité, que cela soit mesurable objectivement ou un sentiment : en quoi cela
concerne-t-il l’entreprise ? Pourquoi chercher à être un employeur équitable ?
Il est possible d’apporter 4 réponses à cette question :

3
Le titre du livre de Pierre Rosanvallon, La société des égaux, publié aux éditions du Seuil en 2011, illustre bien cette difficulté. L’auteur y
interroge les transformations de l’idéal d’égalité et propose de porter davantage attention à la singularité, la réciprocité, la
communalité, trois termes qui ne sont pas compatibles avec l’idéal d’égalité entre monades similaires et indépendantes. L’égalité
mathématique est de moins en moins pertinente.

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 Parce que c’est la chose juste à faire
 Parce qu’on y est contraint
 Parce qu’être équitable limite les risques
 Parce qu’être équitable est source de gains

 Etre un employeur équitable est un devoir


La première réponse à la question « Pourquoi chercher à être un employeur équitable ? »,
brève, mais importante, est d’ordre axiologique, tout simplement parce que c’est la chose juste
à faire.
Elle est brève dans la mesure où elle coupe court aux questions d’ordre économique (est-ce
que cela rapporte), voire juridiques (est-ce légal ?), ou sociologiques (est-ce acceptable ?). En
effet au sujet de l’équité, comme de bien d’autres, si l’on doit expliquer à quelqu’un pourquoi
elle est souhaitable, c’est que l’affaire est mal enclenchée. Pas plus que le courage, la prudence,
ou l’honnêteté, l’équité n’est quelque chose qui peut dépendre d’un choix rationnel établi en
fonction de l’intérêt qu’il y a à paraître courageux, prudent, honnête, équitable. Fort
heureusement les études empiriques conduites dans les pays occidentaux montrent que le sens
de l’équité est fort répandu. Diverses études expérimentales montrent que les personnes sont
prêtes à subir un certain coût pour assurer le respect de l’équité.
Mais jusqu’à quel point ? Les endroits éloignés où il est loisible d’être homme d’honneur étant
rares… et éloignés… il faut toutefois bien tenir compte des situations réelles qui rendent
difficile et parfois coûteuse la recherche de l’équité.

 On ne peut pas toujours se permettre d’être inéquitable


Une autre manière de ne pas se poser la question est de considérer qu’on a rarement la
possibilité d’être durablement fortement inéquitable. Avant de discuter des avantages à long
terme de l’adoption de pratiques équitables, il faut bien commencer par reconnaître qu’être
inéquitable dans une transaction, une relation, est plus avantageux à court terme mais à
condition de pouvoir se le permettre. Pour pouvoir abuser, il faut en effet disposer d’un
rapport de force favorable ou d’une grande capacité de séduction. C’est ainsi que les
entreprises très attractives grâce à leur marque peuvent multiplier le recours aux stagiaires,
que certains managers charismatiques s’approprient avec succès le travail des autres, etc.
L’équité peut en ce sens être conçue comme un pis-aller : ce à quoi il faut se résoudre lorsqu’il
est impossible d’imposer ce qui serait le plus à son avantage.
Si l’équité est si souvent écartée comme une préoccupation lointaine, c’est que les rapports de
force ont une matérialité bien plus apparente. Dans la compétition pour l’accès aux
ressources, chacun a un intérêt personnel évident à chercher à augmenter sa part au-delà de
ce qui serait probablement équitable, quitte à contourner les règles, à se constituer un réseau
d’alliés redevables, à manquer de respect pour les autres. Parce qu’il faut être fort pour
échapper à la nécessité d’être juste ou pour pouvoir exiger que justice soit faite, il est logique
d’accorder un grand intérêt à l’établissement du rapport de force avec d’autres.
Mais loin d’être incompatible avec les rapports de force, préoccupation d’idéalistes, la question
des pratiques équitables à adopter émerge souvent comme réflexion pragmatique en vue
d’éviter ou réguler les conflits avec les autres, entre les autres. Il s’agit souvent d’éviter que ces
conflits ne dégénèrent et entraînent notamment l’intervention de la puissance publique. Etre
équitable est un mode de gestion des risques.

 Etre inéquitable fait porter des risques


Le rapport des forces étant constamment mouvant et la liste des forces en présence toujours
renouvelée, l’adoption de pratiques équitables relève d’une mesure de prudence. L’abus d’une

7
position provisoirement dominante étant susceptible d’entraîner du ressentiment et des
mesures de rétorsion, il est préférable de s’en tenir à ce qui semble équitable aux parties et à
l’opinion générale. S’éloigner par ses pratiques du sentiment d’équité général comporte
toujours des risques.
Les notes de conjoncture successives depuis trois ans ont pointé une montée du sentiment
d’iniquité comme déclencheur des conflits sociaux sous l’effet de deux évolutions.
Il y a tout d’abord un renforcement en longue période de la juridicisation des rapports sociaux
et notamment de la référence aux droits fondamentaux. En France, la Halde a été créée en
2005, afin de réduire les discriminations infondées entre personnes. La révision
constitutionnelle de 2008 a rendu possible le recours pour inconstitutionnalité des lois. Le
contrôle de la mise en œuvre de l’article 6 de la déclaration française des droits de l’Homme
et du citoyen a ainsi été renforcé. Les droits de l’Homme sont devenus un axe majeur de
l’action politique, y compris au plan international (ingérence humanitaire, principes de l’ONU
et de l’OCDE à l’intention des entreprises…). Cette évolution s’accompagne d’une prise de
conscience par les personnes de leurs droits et d’une sensibilité plus grande à leur non respect.
Par ailleurs, si le sentiment d’iniquité s’impose comme une des causes majeures des conflits
actuels, c’est aussi par suite d’une modification des conditions d’engagement des conflits
sociaux. En France, depuis 1946, le droit de grève est un droit constitutionnel individuel. Il y a
donc toujours eu l’engagement de conflits spontanés localisés. Néanmoins, de tels conflits
étaient auparavant l’exception. L’essentiel des conflits était porté par une ou plusieurs
organisation(s) syndicale(s) en lien avec une estimation des gains à partager. Dans le contexte
actuel d’affaiblissement constant du syndicalisme – aux effectifs vieillissants et décroissants,
toujours plus divisés dans des syndicats concurrents – et de dégradation de la situation
économique, il lui est de plus en plus difficile d’organiser des mouvements sociaux liés à une
analyse et à une stratégie de rapports de force. Dans ce contexte, les mobilisations qui restent
sont celles qui s’appuient sur un fort ressort émotionnel, une « indignation », liée à des
situations perçues comme fortement inéquitables.
A l’occasion de diagnostics sociaux réalisés par Entreprise&Personnel, nous avons pu observer
divers conflits de ce type. Sur un site de production aéronautique de haute technologie,
l’annonce de hausses de salaires pour les cadres dirigeants a entraîné une grève longue de 3
semaines. Dans le secteur de l’énergie, c’est la juxtaposition du pourcentage d’augmentations
accordé aux directeurs généraux des deux principales entreprises avec le niveau
d’augmentation générale accordé par la branche qui a enclenché en 2009 la plus forte grève
depuis 1995. Dans une entreprise automobile, c’est l’abandon, négocié avec l’organisation
représentative des cadres, des enveloppes prévues pour les augmentations des jeunes cadres
qui a déclenché sur les réseaux sociaux internes de vives discussions entre ces derniers,
conduisant à revenir in fine sur la mesure proposée. Les conflits peuvent également être liés à
des injustices perçues très locales. Dans une entreprise de service aux collectivités locales,
c’est par solidarité avec une superviseure écartée sans ménagement, qu’a été engagée une
plainte pour harcèlement et discrimination.
La conflictualité sociale se déplace également de plus en plus sur le terrain de la santé4,
domaine qui fait l’objet d’une obligation de résultat pour l’employeur. Or la perception de
l’équité de traitement est une composante majeure des risques psychosociaux.5 Les personnes
qui déclarent être traitées injustement au travail, ne pas être respectées, effectuer des efforts
importants sans reconnaissance adéquate, souffrent plus fréquemment d’anxiété, de dépression
ou de maladies cardiaques.
Les travaux du courant de la justice organisationnelle ont établi des corrélations statistiques
entre le sentiment d’injustice et des comportements négatifs aussi variés que les vols, la

4
Voir notamment Dubreuil, F (2012) De la régulation sociale à la performance sociale ? Etude E&P n° 302
5
Voir infra partie 3.1, pour une étude du lien entre mesure des RPS et mesure de l’équité

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violation des règles organisationnelles, les comportements de retrait, les actes de sabotage sur
le lieu de travail.

 Être équitable est source de gains à moyen et long terme


Différents travaux convergent pour souligner qu’à long terme les sociétés et entreprises
équitables prospèrent davantage que celles traversées par de fortes injustices, de sorte que
comme individu il est préférable de travailler au sein d’un collectif gouverné de façon équitable.
Empiriquement Kate Pickett et Richard Wilkinson6 ont montré que les sociétés les plus
égalitaires sont statistiquement marquées par une mobilité sociale plus forte, une meilleure
santé, une meilleure éducation, une plus forte innovation. Lorsque chacun a le sentiment que
les contributions sont rétribuées équitablement, l’implication et la coopération sont plus fortes
que si chacun craint d’être spolié du fruit de son effort et exige un engagement contractuel ou
attend d’y être contraint pour consentir à un effort supplémentaire. Anticiper l’équité de
traitement conduit à partager ses apprentissages, l’anticipation opposée conduisant plutôt à
préserver sa marge de manœuvre. Cette anticipation est nourrie de l’observation des
pratiques réelles. Si les retards ou absences ne sont jamais sanctionnés, et la présence pas
reconnue, pourquoi être à l’heure ? Si les promotions sont attribuées aux plus
« loyaux »/« serviles » ou aux plus diplômés, pourquoi investir dans le contenu du travail,
l’expertise métier ? L’équité observée est donc au cœur de la crédibilité des promesses et
menaces du management, l’aune à laquelle est appréciée la réalité des discours.
Différentes études du courant de la justice organisationnelle7 ont ainsi montré une corrélation
du sentiment d’équité avec la performance au travail et les comportements d’entraide. Cette
corrélation est confirmée avec toutes les dimensions de l’équité (voir partie 2 sur ces
distinctions). Du point de vue de l’équité distributive, les personnes qui s’estiment payées
moins que leur niveau de contribution relatif tendent à réduire leur effort. Celles qui
s’estiment payées plus augmentent leur contribution, notamment en qualité. La justice des
procédures d’évaluation a un impact d’autant plus élevé qu’il s’agit d’accepter une mauvaise
nouvelle (absence d’augmentation, sanction, licenciement). Il en va de même de la justice
interpersonnelle perçue dans le comportement des managers (respect, écoute, dialogue).
Si l’équité a un impact économique, c’est aussi parce qu’elle a un impact social. Etre traité de
façon équitable conforte le sentiment d’être reconnu comme personne, participant de plein
droit, et non comme un simple instrument. Ce faisant, être traité équitablement renforce le
sentiment d’appartenance à l’entreprise. Inversement la force du sentiment d’appartenance
renforce les attentes en matière d’équité. L’équité favorise également la confiance entre les
salariés et avec leurs responsables hiérarchiques et donc les comportements vertueux
d’attention aux autres, d’entraide, de partage des apprentissages, et plus généralement
l’engagement au service de l’entreprise… D’ailleurs les enquêtes sur « l’engagement8 » des
salariés comportent toutes des questions relatives à l’équité, soit à l’intérieur de la variable
finale mesurée, soit comme facteur explicatif des variations.

3. Quand les questions d’équité se posent-elles ?


L’équité est une préoccupation ancienne de la GRH, une préoccupation souvent rendue
invisible par l’application quotidienne des mécanismes qui l’incarnent. Il n’est heureusement pas
nécessaire de se poser chaque jour de grandes questions sur l’équité. Parfois toutefois, les
questions d’équité se posent de façon plus explicite, sont source de dilemme éthique pour les

6
Pickett (K.), Wilkinson (R.), 2013, op. cit.
7
Bagger J. , Cropanzano R., Ko, J., 2006 « La justice organisationnelle : définitions, modèles et nouveaux développement », in
Comportement organisationnel Vol2, notamment pp 25-26 et 35-44
8
Voir infra partie 3. La présentation des mesures de l’engagement et leur lien avec la mesure de l’équité
9
décideurs, de controverse entre acteurs sociaux. Quels sont ces moments où l’équité acquière
une acuité plus grande ?
Certains sont propres à la vie de l’entreprise et reviennent de façon récurrente. D’autres
surviennent de façon imprévisible et toujours renouvelée lorsqu’éclatent certaines « affaires ».

 Les moments équité


On peut repérer 7 types d’épreuves9 récurrentes engageant fortement l’équité.

— Négociations annuelles sur les salaires et l’emploi


Chaque année les négociations annuelles obligatoires sont un moment important de la
conflictualité sociale. Les arguments portent sur le partage entre les salaires et les profits, sur
le poids respectif des augmentations générales et individuelles, sur l’évolution de l’éventail des
salaires, et notamment depuis quelques années, sur l’évolution du salaire du dirigeant au regard
des salaires moyens.

— Entretien annuel
L’entretien annuel s’est imposé comme un rendez-vous de référence dans la plupart des
entreprises. S’y préparent notamment la fixation des objectifs, les augmentations annuelles,
l’attribution de la rémunération variable, les décisions de formation et de mobilité. Les
entreprises prévoient également différents types de dispositifs d’harmonisation notamment en
matière de rémunération (cf. partie 2).

— Attribution d’emploi
L’attribution des emplois, qu’elle vise un candidat externe à l’entreprise ou interne, est une
décision qui impacte fortement sur le sentiment d’équité interne. En externe, l’attention est
concentrée sur l’absence de discrimination directe et indirecte et le respect des candidats dans
le processus. En interne elle signale fortement le type de comportements attendus pour
progresser dans l’entreprise. L’entretien de recrutement est souvent un dispositif d’évaluation
très important, mais les grilles d’évaluation, le fonctionnement des revues de personnels ont
également un impact déterminant.

— Politique de rémunération / critères de classification


Plus rares, les moments de refonte des conventions collectives, d’ajout ou de modification d’un
élément important de la rémunération engagent d’importantes discussions en matière d’équité.
Les discussions portent notamment sur les critères retenus pour la pesée des fonctions, sur
l’impact en matière d’égalité professionnelle, sur l’éventail des salaires, sur la largeur des
bandes de salaires.

— Discipline
L’exercice de la discipline est le versant négatif de la sanction. Son exercice est davantage (cf.
sur ce point partie 2.3.) encadré par le droit que l’attribution de sanctions positives
(augmentation, promotion) : les avertissements, mises à pied, etc. doivent s’appuyer sur un
règlement intérieur, respecter des procédures. L’exercice de la discipline est bien plus qu’un
face à face entre l’employeur et le salarié en faute. Il concerne l’équité sur l’ensemble du
collectif (voir infra 2.4). Comme le notait Jean Fombonne, « Le sens moral commun s’exaspère

9
La notion « d’épreuve » renvoie au courant de l’économie des conventions. Les écrits de cette approche ont en commun de chercher
à mettre au jour les différents types de justification, permettent d’organiser des compétitions ordonnées autour d’épreuves épurées
(concurrence libre et non faussée sur le marché des biens et services, concurrence entre candidats lors d’une élection…) et qui
s’affrontent et se composent fréquemment dans les épreuves concrètes ; faut-il pour l’attribution d’un emploi préférer le réseau de
connaissance du dirigeant assurant la confiance ou la mise en concurrence des talents présents sur le marché ? L’ouvrage fondateur est
Boltanski L., Thévenot,L, (1991) Les économies de la grandeur, Gallimard

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lorsqu’il constate que des tolérances en matière de ponctualité, absences, qualité du travail,
etc. sont consenties à quelques-uns alors qu’elles sont refusées au grand nombre »10.

— Licenciements économiques
Les licenciements économiques sont des moments d’autant plus chargés qu’ils mettent un
terme à la relation d’emploi et donc à l’horizon de coopération. Les discussions vont porter
sur les critères de licenciements, les dispositifs de reclassement, la compensation. Les grandes
entreprises préfèrent souvent recourir désormais à des plans de départ volontaires. Sans
entrer dans les considérations sur l’efficacité économique de ces plans, il faut noter qu’ils
tendent à « invisibiliser » des problèmes d’équité pourtant bien réels : ces départs sont-ils
volontaires ? Est-il équitable de proposer des sommes d’argent à chacun, quand des actions de
reclassement seraient dans l’intérêt objectif de la majorité ?

— Politique de formation
Même si cela peut paraître moins crucial, la politique de formation comporte d’importants
enjeux d’équité : attention au maintien de l’employabilité de tous et non concentration des
efforts de formation sur ceux qui sont déjà le plus formés et ont le plus d’appétence pour la
formation, actions pour l’égalité professionnelle, possibilités offertes de formations en cours de
vie professionnelle au service de la promotion des talents et de l’ascension sociale.

 Controverses autour de l’équité


L’équité ne s’exprime pas uniquement de façon récurrente à l’intérieur d’épreuves ordonnées
par l’entreprise. Régulièrement des affaires éclatent, survenant d’endroits imprévus, souvent
initialement invisibles, débordant les cadres que les dirigeants voudraient bien régler.
Le changement permanent renouvelle en effet la manière dont se posent et se règlent les
problèmes. De nouveaux acteurs émergent, des thèmes s’imposent comme centraux puis
déclinent11.
hauts revenus
Elites ,

Rémunération des dirigeants,


traders et stars
Insider/outsider
Entreprise / riverains

Iniquités entre générations


Interne Inégalités externe à
à l’entreprise hommes / femmes l’entreprise
Exclus , bas revenus

Harcèlement,
Précaires, migrants

violence Aidants

Travailleurs / assistés
Discriminations

10
Fombonne, J. 1991, op.cit., p. 181
11
Le renouvellement des sujets en matière d’équité répond à une dynamique interne, analogue à celle qui anime l’évolution des règles
sportives. Dans le sport, comme dans les affaires, des règles sont nécessaires pour qu’il y ait une concurrence « libre et non faussée »
et un intérêt au jeu. Les compétiteurs ont un intérêt collectif à ce que les règles soient respectées. Sans elles, il n’y aurait
qu’affrontement ou désintérêt. Toutefois, individuellement, chaque compétiteur a un intérêt évident à trouver la meilleure utilisation
des règles existantes, à les contourner, voire à les transgresser secrètement. Il en résulte une dynamique d’évolution qui rend les
règles régulièrement inadaptées, dépassées. Cette inadaptation génère un sentiment d’iniquité dont résultent des conflits,
controverses, affaires, qui conduisent à faire évoluer règles et pratiques. Par exemple l’encadrement de la relation d’emploi par le code
du travail, a conduit de nombreuses entreprises à faire jouer le droit des sociétés contre le droit du travail (grand nombre de filiales ou
franchisés comptant peu de salariés). A leur tour, les salariés ont réagi en exprimant leurs demandes en termes de droits humains
(égalité professionnelle, santé). Sur cette dynamique interne voir Boltanski L. Chiappello, E., 1999, Le nouvel esprit du capitalisme,
Gallimard
11
Dans nos sociétés « post modernes » marquées par l’affaiblissement des grands clivages
idéologiques, l’équité est d’ailleurs de moins en moins perçue comme le terrain d’affrontement
entre des grandes visions alternatives, marxiste, chrétienne, libérale ou républicaine. Elle est de
plus en plus saisie à travers un ensemble « d’affaires » qui révèlent ses différents aspects. Ces
affaires sont propulsées sur le devant de la scène par des lanceurs d’alerte12. Les débats et
controverses qui en résultent occupent plus ou moins l’espace médiatique. De ce fait, ils font
l’objet d’une prise en charge par les régulateurs politiques qui s’efforcent de déminer les sujets.
Le sentiment général d’équité se construit en relation au traitement de ces affaires.
Il est donc intéressant de procéder à une cartographie des sujets d’équité qui font
controverse.13
Nous proposons d’illustrer 4 types d’affaires proposés sur la carte. Toutes ont en commun de
mobiliser des acteurs divers (syndicats patronaux et de salariés, mais aussi ONG de défense
des droits de l’Homme, collectifs de sans papiers, comités éthique, collèges d’expertise,
intellectuels engagés, journalistes…) dans des confrontations multiformes (grèves, plaintes en
justice, lobbying auprès des parlementaires, campagnes d’information du public).

— Rémunération des dirigeants, des traders et des stars (top 1/1000)


Comme le soulignait Sylvie Saint-Onge, lors de l’université d’Hiver d’Entreprise&Personnel, la
rémunération des dirigeants des grandes entreprises a augmenté fortement depuis le début des
années 90 et plus rapidement que le chiffre d’affaires, les profits ou le cours boursier des dites
entreprises14. Olivier Godechot15 a montré que dans l’univers des banques d’affaire, les traders
disposaient d’un fort pouvoir de négociation avec leur employeur, ce qui leur a permis de voir
leur rémunération progresser très fortement à la faveur de l’explosion des transactions
boursières.
Cette forte croissance des très hauts revenus a entraîné la multiplication des conflits sociaux,
affaires médiatiques et plaintes juridiques en lien avec la rémunération des dirigeants ou des
traders dans tous les pays de l’OCDE.
Les régulateurs ont d’abord exigé une plus grande transparence dans la fixation des
rémunérations ; l’Union européenne a ainsi recommandé en 2004 et 2009 le vote en
assemblée générale de la rémunération des dirigeants, mesure rendue obligatoire dans 9 pays
de l’Union européenne. Certaines pratiques, notamment les parachutes dorés et retraites
chapeaux, sont de plus en plus encadrées. Les réglementations s’orientent désormais vers un
encadrement des rémunérations. L’Europe est intervenue pour encadrer le montant des bonus
des traders qui a été limité au salaire fixe en 2013. La rémunération des dirigeants
d’entreprises publiques a été plafonnée en France à 450 000 euros. Le sujet reste hautement
sensible et susceptible de ressurgir à tout moment.

— Migrants, sous-traitants et responsabilité du donneur d’ordre


A l’autre bout de la hiérarchie des rémunérations, différentes affaires ont émergé autour des
conditions de travail des travailleurs les plus pauvres et précaires, souvent étrangers. La
conjugaison d’écarts importants de niveau de vie entre les pays, de moyens de transport
toujours plus accessibles et de l’accroissement du niveau d’éducation dans le monde a
maintenu des flux d’immigration importants dans tous les pays occidentaux et ce malgré le
durcissement constant des politiques migratoires. Les conditions de travail et d’accès à la

12
Pour un exposé complet des évolutions récentes de la sociologie pour traiter et penser cette dynamique des alertes, voir
Chateauraynaud, F. 2011, Essai de balistique sociologique, Paris, éditions Pétra
13
Ce type de démarche est d’ailleurs de plus en plus fréquent dans les démarches de RSE. La version 4 de la GRI (l’initiative mondiale
pour des bilans intégrés au service du développement durable) propose ainsi de débuter toute démarche de reporting par une
cartographie des parties prenantes de l’entreprise et de leurs enjeux.
14
Cahiers de l’université d’Hiver 2013 – E&P
15
Godechot, O (2001), Les traders, La découverte, « Textes à l'appui », Paris

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protection sociale de ces migrants illégaux font l’objet de controverses fréquentes et ce dans
un très grand nombre de pays dans le monde. La présence de travailleurs migrants permet d’un
côté à la population nationale d’échapper à certaines occupations dangereuses ou dégradantes,
tout en affaiblissant de l’autre son pouvoir de négociation sur le marché du travail et en
augmentant les tensions dans un contexte de fort chômage. En France, l’employeur commet
une infraction pénale lorsqu’il emploie des étrangers sans titre de travail. Le durcissement des
contrôles sur les employeurs a conduit à l’émergence de nombreuses grèves de travailleurs
sans papiers sur la période 2009-2011. Ces travailleurs exigeaient leur régularisation au regard
de leur présence sur le territoire ou a minima leur indemnisation ainsi que la valorisation de
leurs droits sociaux dans les cas de licenciements. Ces conflits ont été marqués par une forte
présence de la CGT, d’organisations politiques marquées à gauche, mais aussi par la présence
d’acteurs plus inhabituels comme des collectifs de sans papiers, des organisations de défense
des droits de l’Homme. Les grèves visaient souvent à conduire les employeurs à appuyer les
demandes de régularisation, voire à infléchir la politique migratoire. La responsabilité des
donneurs d’ordre vis-à-vis des sous-traitants reste également au cœur d’un débat juridique,
politique et médiatique.
Il n’est pas possible d’entrer dans les différentes controverses liées aux travailleurs pauvres.
Toutefois qu’il s’agisse des travailleurs détachés européens, de l’insertion des jeunes ou des
formes de travail précaire, on note de la même façon, la présence d’acteurs atypiques
(association contre le chômage, Florence Aubenas et « Quai de Ouistreham », « Génération
précaire »), d’alliances complexes (y compris au niveau de l’Union européenne), rebondissant
sur des scènes multiples.

— Prise en compte du handicap, de la parentalité et des aidants


E&P a publié en 2013 une étude Vivre ensemble en entreprise (n° 317), mettant en avant
l’adoption de pratiques RH inclusives de la diversité des personnes dans leur contexte, comme
voie intermédiaire entre les pratiques visant l’intégration dans un collectif uniforme et les
pratiques encourageant la coexistence dans des mondes séparés. Il y a désormais bien
longtemps que les deux parents travaillent. La prise en charge des enfants et des non
productifs par des institutions spécialisées, crèche, école, centre aéré, asile, maison de retraite,
est venue rendre possible cette double activité. La marche vers l’égalité professionnelle,
l’affaiblissement de la stabilité de la famille nucléaire, le vieillissement de la population, les
difficultés de financement des institutions spécialisées, la remise en cause de leur efficacité pour
intégrer, tout concourt à rechercher une plus grande implication de tous dans l’adoption de
pratiques inclusives. Pour l’entreprise, il s’agit notamment d’accueillir en son sein des salariés
porteurs de handicap, de reconnaître ceux qui agissent pour les inclure, ainsi que de tenir
compte de la diversité des situations des salariés aidants. Avec près de deux millions de
familles monoparentales et 4 millions d’actifs aidants de parents dépendants, pour 23 millions
de salariés et 26 millions d’actifs au travail, les situations sont loin d’être anecdotiques.

— Respect des salariés et prévention des violences au travail


La violence collective dans les relations sociales a très fortement diminué dans les entreprises,
ce point est trop souvent oublié. Pour autant, la violence n’a pas disparu avec la réduction de
ses formes les plus apparentes. La tolérance surtout aux actes violents a diminué. En France,
l’attention a été focalisée notamment sur la figure du harcèlement moral : « des agissements
répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail
susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou
mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Deux livres ont marqué l’opinion
publique au tournant des années 2000, Le harcèlement moral de Marie France Hirigoyen,
Souffrance en France de Christophe Desjours16. Depuis, les mises en cause pour harcèlement se
sont multipliées (8 % des Français s’estimeraient harcelés au travail). De façon plus visible,

16
Hirigoyen, M. F., (1998) Le Harcèlement moral : la violence perverse au quotidien, Éditions La Découverte & Syros, Desjours C., (1999)
Souffrance en France. On peut aussi penser au reportage de Striptease sur la grève chez Maryflo
13
plusieurs entreprises, souvent publiques, ont été accusées publiquement d’être responsables
de certains suicides de leurs salariés. Le CHSCT est devenu un lieu d’affrontement majeur,
notamment par le recours aux expertises. On a vu émerger des « associations de victimes ».
Les affaires générées autour de ces dossiers ont été particulièrement marquantes pour
l’opinion publique. Elles prennent naissance souvent dans des situations de contournement des
contraintes procédurales liées aux licenciements économiques par la recherche de départs et
de mobilités pas toujours volontaires et des situations d’inattention portées aux contraintes du
travail et difficultés opérationnelles des salariés.

4. Quels sont les enjeux d’équité actuels ?


Les sous-parties précédentes ont permis de présenter pourquoi la fonction RH et l’entreprise
a intérêt à se saisir des enjeux d’équité et quand ces questions d’équité se posent avec le plus
d’acuité. Mais comment ces questions se posent-elles dans les entreprises françaises
aujourd’hui ? Y a-t-il un contexte général qui donne aux enjeux d’équité une acuité
particulière ?
En s’appuyant sur les dimensions de l’équité présentées dans la partie suivante, cette sous-
partie avance cinq thèses :
 La réduction des perspectives de croissance accroît les exigences d’équité, notamment
procédurale et réduit la tolérance aux écarts de revenus,
 L’évolution récente a conduit une part croissante des Français à douter du fait que les
efforts, la compétence, la performance soient réellement reconnus en entreprise,
 La défiance dans l’équité des pratiques des employeurs conduit à une hypertrophie de la
réglementation,
 La demande de pratiques inclusives de la diversité des situations personnelles se heurte à la
difficulté culturelle française à négocier en face à face,
 Il y a un manque de confiance dans l’équité des dirigeants lié à leur parcours fréquemment
transvers et à leur manque d’implication dans l’interne.

 Crise économique, inégalités et perceptions d’équité


— Baisse de la croissance, quel impact sur le sentiment d’équité ?
La France se caractérise par la baisse très régulière de son rythme de croissance annuelle :
5,9 % dans les années 60, 4,1 % dans les années 70, 2,3 % dans les années 80, 1,9 % dans les
années 90, 1,3 % dans les années 2000, seulement 1 % depuis le début des années 2010. Ce
ralentissement de la croissance a trois conséquences distinctes pour l’équité.
Le taux de croissance influe fortement sur l’acceptation des inégalités de revenus.
Le ralentissement de la croissance tend à accroître la distance symbolique entre les couches
sociales, comme l’a bien montré Louis Chauvel17. Lorsque dans les années 70, le taux de
croissance des revenus était de 4 % par an, il fallait 18 ans pour qu’un revenu double. Un cadre
gagnant à l’époque 4 fois un revenu d’ouvrier, l’ouvrier pouvait escompter accéder à ce niveau
de vie 36 ans plus tard. S’il faut 18 ans pour doubler le revenu avec 4 % de croissance, il en faut
70 avec 1 %. Même si un cadre ne gagne plus que le double du salaire d’un ouvrier, avec une
hypothèse de 0,5 % de croissance en 2014, il faudra attendre 140 ans avant que des ouvriers
aient son niveau de vie actuel.

17
Chauvel, L. (2010) Le Destin des générations : structure sociale et cohortes en France du XXe siècle aux années 2010, PUF

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Du fait de ce ralentissement, la mobilité sociale ascendante a régressé, tandis que la mobilité
descendante a progressé. Or ces mobilités descendantes plus nombreuses sont également
rendues plus difficiles à vivre. En période de croissance, ne pas augmenter suffisait à
sanctionner. En période de stabilité, il faut accepter/faire accepter des baisses de revenu.
En résumé, l’accélération de la croissance rend acceptables des inégalités fortes et croissantes,
tandis que tout ralentissement de la croissance rend moins acceptables ces mêmes inégalités.
Nul hasard à l’explosion de mai 68 : les inégalités salariales étaient au sommet et la croissance
commençait à s’épuiser. Il en va de même des tensions actuelles dans les pays émergents.
La baisse du taux de croissance entraîne le risque d’enclencher une dynamique
négative de recherche de coupables. Dans ce contexte, l’équité est cruciale.
Le ralentissement continu de la croissance économique en France, alors que la croissance
mondiale reste forte et que l’Asie notamment connaît un véritable décollage économique,
entraîne également un sentiment d’échec et de déclin relatif. Le constat d’un déclin conduit
assez spontanément à une recherche des causes de ce décrochage. Mais de la recherche de
causes, il est aisé de passer à la recherche de responsables… ou de coupables. La même
logique prévaut dans chaque entreprise lorsqu’elle connaît une période de fortes difficultés :
qui est responsable du déclin ? Qui doit supporter les efforts d’ajustement ? Le risque est que
chacun s’efforce de maintenir sa situation en imputant à d’autres la responsabilité des difficultés
communes. C’est précisément lorsque les nouvelles à annoncer sont mauvaises, que l’équité
est plus que jamais nécessaire pour permettre à chacun de consentir à des efforts
supplémentaires, à une moindre rétribution. Pour l’acceptabilité d’un plan social, de chaque
licenciement, il est fondamental de respecter les procédures et les personnes appelées à
quitter l’entreprise. Or malheureusement, pour les dirigeants et managers, les décisions
négatives sont également souvent difficiles à annoncer, sans imputer la responsabilité de ces
décisions à ceux qui en subissent les conséquences18.
A mesure que les populations anticipent une croissance faible comme horizon
durable, l’existence de très hauts revenus devient de moins en moins tolérée
La baisse tendancielle de la croissance en Occident conduit la population et les entreprises à
s’habituer à l’idée que la croissance restera faible, notamment au regard des limites physiques
de la planète. L’abandon progressif des attentes en matière de croissance vient modérer la
recherche de responsables évoquée au point précédent, et possède également ses propres
effets. Remettre en cause la poursuite indéfinie de la croissance interroge en effet en
profondeur notre modèle de développement. Quelle est la légitimité de niveaux de revenus
s’ils ne sont pas généralisables ? Lorsque la croissance économique est nulle, les revenus des
uns sont nécessairement pris aux autres. L’adoption d’une croissance faible ou nulle comme
horizon conduit donc à l’exigence d’une répartition plus égalitaire des revenus. Il faut prêter
attention au succès mondial d’un livre comme Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous19.
Statistiques internationales à l’appui, ce livre montre que la corrélation entre le niveau de
revenus moyen d’un pays et le bien-être général de sa population est de plus en plus faible au
fur et à mesure que le PIB par tête progresse. Il démontre également que les pays dans
lesquels la répartition des revenus est fortement égalitaire ont de façon statistiquement
significative : une population en meilleure santé, mieux formée, un niveau de criminalité plus
faible, des citoyens davantage confiants, une mobilité sociale plus élevée, une innovation plus
forte et une meilleure prise en compte des enjeux de long terme.

18
Voir à ce sujet Nadisic, T., « Pourquoi les managers ajoutent-ils de l’injustice à l’injustice ? Les antécédents de l’effet Churchill », Revue
Française de Gestion, 2008
19
Wilkinson R., Pickett, K, (2013) Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous, Les Petits Matins, trad. de The spirit Level, Why equality is
better for everyone, 2010, Penguin Books
15
— Evolution des inégalités dans le monde : l’exception française
Entre 1914 et 1970, en moyenne les inégalités au sein des pays n’ont cessé de décroître, tandis
que les inégalités internationales n’ont cessé de se renforcer, l’Occident affichant une
croissance économique nettement supérieure au reste du monde et des progrès constants de
l’Etat-providence. La situation s’est aujourd’hui inversée. Les inégalités internationales se
rétrécissent sous l’effet de la forte croissance des pays émergents. Il y a donc une forte
diminution des situations d’extrême pauvreté au niveau mondial.20 En revanche, depuis le début
des années 1980, les inégalités augmentent au sein des pays, qu’ils soient occidentaux ou
émergents, et avec elles, les enjeux d’équité et les tensions sociales.
Le mouvement des « Indignados » en Espagne, celui de « Occupy Wall Street », aux Etats-Unis
d’Amérique, la fronde sociale au Brésil en 2013, tous ces mouvements ont émergé sur fond
d’inégalités croissantes, autour de leur dénonciation. En 2014 le Forum économique de Davos
a fait de la croissance des inégalités économiques le deuxième plus grand risque pour les mois
à venir (le premier étant les tensions géopolitiques au Moyen-Orient).
Dans ce contexte d’inégalités croissantes, il faut noter la position particulière de la France. A
l’instar des pays de l’OCDE, son niveau de croissance économique a décru. A la différence de
ces pays toutefois, les inégalités de revenu ont décru en France depuis le début des années 90.

 Une faible rétribution du mérite en France


Début 2011, le livre de Michel Forsé et Olivier Galland21 posait ce paradoxe, comment
comprendre qu’en France le sentiment d’iniquité soit si vif et croissant, alors que les inégalités
de revenu y sont plus faibles et stables ? La principale réponse proposée est que les inégalités
de revenu existantes sont perçues comme indépendantes du mérite.
La note de conjoncture d’Entreprise&Personnel de 2012 soulignait que la campagne
présidentielle française avait vu s’affronter deux visions de l’équité. L’une à gauche a mis
l’accent sur l’injustice de la moindre taxation des très hauts revenus dans un contexte de crise,
et ce alors que ces revenus progressent très fortement. L’autre à droite avait mis l’accent sur
l’injustice faite à ceux qui travaillent par rapport à ceux qui bénéficient des minima sociaux.
L’observation de l’évolution des niveaux de vie en France montre que ces deux démarches
font sens.
Depuis le milieu des années 90, les très hauts revenus ont augmenté plus vite que les autres en
France : +6,6% par an pour le top 0,01 % contre +1,3 % pour 90 % de la population.
Parallèlement, le niveau de vie des plus bas revenus a également progressé plus rapidement
que le revenu moyen, sous l’effet notamment de la progression des minima sociaux et du
SMIC, notamment à l’occasion des 35h. La France est un des pays de l’OCDE où le ratio SMIC
/ salaire moyen est un des plus élevés. Il est passé de 45 % du salaire moyen en 1980 à près de
65 % en 2012, avec par voie de conséquence une forte proportion de salariés au SMIC : 13 %
début 2013. Les membres de la vaste classe moyenne, qu’ils soient petits commerçants,
ouvriers qualifiés, techniciens, professions intermédiaires ou cadres, voient leurs revenus
distancés par le haut des revenus des dirigeants, des stars et du capital et rattrapés par le bas
du fait de la hausse des minima sociaux.
Par ailleurs, si la taxation des hauts revenus et des entreprises est restée globalement stable en
France, alors qu’elle a fortement baissé dans les pays anglo-saxons, il n’en reste pas moins que
les Français dotés de hauts revenus et les très grandes entreprises paient proportionnellement
moins d’impôts que le reste des Français et des entreprises. Or, depuis l’élection présidentielle
de 2012, la hausse de la fiscalité a porté essentiellement sur la classe moyenne, qui se voit
également exclure progressivement des transferts concentrés sur les plus nécessiteux.

20
Sur ce sujet, voir Bourguignon, F., (2012) La Mondialisation de l’inégalité, Seuil
21
Forsé M., Galland, O., (2011) Les Français face aux inégalités et à la justice sociale, Armand Colin, notamment le chapitre 12

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Ces deux éléments concourent à expliquer la présence d’un sentiment d’iniquité globalement
élevé, malgré un niveau global d’inégalités bien plus faible que dans les années 60. Il est lié à
l’impression que ceux qui s’investissent dans le travail ne sont pas ceux qui voient leurs
revenus progresser22.
Cette perception que les efforts ne sont pas récompensés est également perceptible en
entreprise. Lors de notre première université d’Hiver, nous faisions le constat avec Sociovision
que pour 60 % des Français, dans leur entreprise « que l’on travaille plus ou moins, cela ne fait
aucune différence ». C’est que les possibilités de progression diminuent sous le quadruple effet
d’une croissance faible, d’un développement des entreprises par croissance externe, de la
réduction du nombre d’échelons hiérarchiques et de l’afflux de jeunes diplômés. Comme le
soulignait la note de conjoncture sociale 2013 « Jamais les entreprises n’ont autant parlé de
compétence, performance, talent, valorisation des acquis de l’expérience et jamais les barrières
n’ont semblé si difficiles à franchir […] La possibilité d’entrer au bas de l’échelle (avec peu de
diplômes) et de progresser jusqu’aux plus hautes fonctions de l’entreprise par son mérite
semble s’évanouir »23.
Malgré plusieurs décennies de réforme du marché du travail, malgré le passage des entreprises
de la « qualification » à la « compétence », malgré la baisse des primes d’ancienneté, le
ralentissement de la croissance conduit à cet état de fait : jamais ces déterminants
bureaucratiques que sont le diplôme24, l’âge et l’ancienneté n’ont eu une telle importance dans
la fixation des revenus25. Le baromètre du MEDEF sur la perception de l’égalité des chances en
entreprise souligne d’ailleurs que les salariés français se sentent en particulier concernés par
l’inégalité des chances suivant l’âge et le niveau de diplôme (pour une présentation plus
détaillée voir infra en 3.3). Yves Barou, président de l’AFPA et du cercle des DRH Européens,
concluait notre université d’Hiver 2013 consacrée à la performance, en soulignant que la
première contribution de la fonction RH à la performance durable de l’entreprise en France
devrait être d’instaurer davantage d’équité en matière de rémunération, en rémunérant selon
les responsabilités et les compétences, au lieu de valoriser à l’excès l’âge et le diplôme.

 Défiance envers l’employeur


Parmi les facteurs rendant moins visibles le lien entre contribution et rétribution, Yann Algan,
Pierre Cahuc et André Zylbelberg26 soulignent l’opacité du fonctionnement de la protection
sociale en France, du fait de son éclatement corporatiste. Cette opacité entraîne une défiance
sur l’égalité des contributions et bénéfices de tous, d’autant que l’importance de l’intervention
étatique affaiblit et déresponsabilise les partenaires sociaux. Par bien des aspects, la France des
années 2010 que ces trois auteurs décrivent, reste proche de cette France que décrivait Michel
Crozier dans les années 60 : marquée par l’évitement des négociations de face à face, au profit
de la recherche d’un Etat arbitre, régulant les interactions dans le détail.

22
Voir aussi, p.378-379, Rosanvallon, P., (2011) La société des égaux, Seuil
23
Basilien J., Gilabert M., Falcimagne, D., (2013) Une résignation rageuse, Note de conjoncture sociale E&P p. 41
24 Le rôle du diplôme dans le fonctionnement du marché du travail en France renvoie également à la crise de l’Ecole et notamment à la
perte de confiance dans sa capacité à faire vivre l’idéal méritocratique républicain. L’enquête du Programme international pour le suivi
des élèves (PISA) montre qu’à l’âge de 15 ans, au sein de l’ensemble de l’OCDE, la France est le pays au sein duquel les origines
sociales des élèves ont l’impact le plus fort sur leurs résultats. Les élèves issus de l’immigration ont également plus de difficulté en
France qu’ailleurs. C’est donc bien avant leur entrée sur le marché du travail que les jeunes acquièrent le sentiment que les efforts sont
très inégalement récompensés et cette impression est confirmée lorsqu’ils entrent sur le marché du travail. L’enquête européenne sur
les valeurs montre d’ailleurs que les Français sont caractérisés par une croyance faible dans le fait que la réussite dépend des efforts.
25
Voir notamment Gautié, J. (2004) « Les marchés internes du travail, l’emploi et les salaires », Revue Française d’Économie, 18(4), p. 33-
63. Dans la crise, cette rigidité des salaires français pose par ailleurs de plus en plus question, les salaires progressant plus vite que la
productivité de 2009 à 2013 et ce malgré la hausse du chômage. Askenazy P., Bozio A., et García-Peñalosa, C., Note du conseil
d’analyse économique, mai 2013 http://www.cae-eco.fr/Dynamique-des-salaires-par-temps-de-crise.html
26
Algan, Y., Cahuc, P., (2006) La société de défiance, http://www.cepremap.fr/depot/opus/OPUS09.pdf, et son actualisation
http://www.sciencespo.fr/lafabriquedelaconfiance/ voir aussi le graphique très parlant p 98 de Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous
(op.cit). « La France est bien en dessous de la courbe de régression qui lie normalement inégalités et confiance. Malgré un niveau
d’inégalités moyen, le niveau de confiance est un des plus faibles de l’OCDE ».
17
Les trois facteurs qui pénalisent le plus la compétitivité de la France en 2013 dans le
classement de Davos sont : les pratiques de recrutement et licenciement (136ème rang sur 142),
la qualité du dialogue social (133e) et l’importance de la réglementation étatique (116e). Ils sont
évidemment en lien.
La part des salaires dans la valeur ajoutée/le taux de marge des entreprises a souvent attiré
l’attention des économistes et des partis politiques. Elle est pourtant restée très stable, autour
de 70 % depuis 1986. Elle a chuté en dessous de 69 % dans les périodes de plus forte
croissance, fin des années 80, 90 ou 2007-2008. Elle a augmenté dans les périodes de
ralentissement, pour atteindre 72 % en 2013. A chaque baisse ou hausse, on a observé une
réaction gouvernementale instaurant un dispositif spécifique, souvent non négocié ou imposé à
la suite de l’échec de la négociation sociale. En 2011, le président Sarkozy instaurait la prime de
partage des profits, sur la base du rapport Coty qui pointait une légère diminution de la part
des salaires dans la valeur ajoutée et surtout la forte croissance des dividendes. En 2012, le
Président Hollande instaurait le CICE afin de réduire le coût du travail et restaurer la
compétitivité de la France au regard de nos partenaires commerciaux. Auparavant c’était les
35h et la hausse du SMIC afférente.
En matière de licenciements économiques, la fin du contrôle administratif en 1986 a été
rapidement suivie par l’entrée en vigueur d’un contrôle judiciaire sur la réalité du motif
économique du licenciement et le respect des procédures de consultation. Il en a résulté une
grande frilosité des grandes entreprises à engager des licenciements économiques dans le
cadre de « plans de sauvegarde de l’emploi ». Le recours à l’intérim, aux CDD, à la sous-
traitance, aux départs volontaires ou, depuis 2008, à la rupture conventionnelle ont constitué
autant de manières d’éviter d’avoir à procéder à des licenciements économiques collectifs.
L’accord interprofessionnel sur la sécurisation des parcours professionnels signé en 2013
marque de ce point de vue une rupture, moins par l’assouplissement modéré des procédures
de licenciement qu’il autorise, que par le simple fait qu’il se soit agi d’un accord négocié, visant
à favoriser des accords négociés. Reste à savoir s’il sera vraiment utilisé.
En matière de recrutement, la « révolution numérique » n’a modifié en rien la spécificité du
marché du travail français : importance des candidatures spontanées (38 % des embauches en
2011), des relations sur place (20 %) et des réembauches (16 % post intérim et CDD
notamment). Seul un quart du marché du travail externe est public et permet une concurrence
ouverte autour d’offres précises. Un tiers des embauches a lieu par le réseau, un tiers par
choix de l’employeur à l’intérieur d’un vivier de candidatures, souvent parvenues par réseau.
Or le recrutement par réseau favorise le recrutement de personnes proches, d’un point de
vue familial, ethnique ou sociologique. Ce fonctionnement rend ainsi possibles les pratiques de
discrimination que dénonce Jean François Amadieu dans le livre noir des DRH27. Les travaux
de Guillemette de Larquier et Emmanuelle Marcha28 montrent également que les processus les
plus formalisés de recrutement adoptés par les grandes entreprises sont plus excluants vis-à-
vis des séniors et des peu diplômés. L’importance des recrutements par réembauche souligne
le dualisme du marché du travail, les entreprises hésitant à recruter des CDI perçus comme
« protégés », les jeunes commençant fréquemment par une période d’emploi précaire. L’Etat
de son côté a multiplié les dispositifs spécifiques en direction des jeunes (stages, alternance,
contrat emploi solidarité, de génération…), du handicap. Réseau, diplômes et dispositifs aidés,
il y a peu de place pour une sélection ouverte des meilleures compétences.
Répartition de la valeur ajoutée, licenciement, recrutement, autant de sujets dans lesquels la
réglementation étatique intervient pour rétablir une équité perçue comme initialement
défaillante du fait des pratiques des employeurs. Le renforcement de cette réglementation finit
toutefois par envoyer un signal de défiance envers le dialogue social. La réglementation
protectrice finit également par générer ses propres contradictions : la protection contre les

27
Amadieu, J.F., (2013) Le livre noir des DRH, Seuil,
28
Chapitre 2 in François Eymard-Duvernay (dir.), (2012) Épreuves d’évaluation et chômage, Toulouse, Octarès Éditions,

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licenciements renforce le dualisme du marché du travail, qui exige de renforcer la lutte contre
les discriminations et l’abus de stages, etc.

 Difficultés à négocier et difficultés du management inclusif en France


Trop souvent les difficultés des relations sociales en France sont renvoyées à la présence de
syndicats « révolutionnaires » peu portés vers la négociation. Or l’évitement de la négociation
en face à face et la préférence pour des règles externes est loin de se limiter aux relations
entre les partenaires sociaux. Il s’applique également à la relation managériale et aux évolutions
de carrière. C’est probablement un des éléments qui rend si difficile en France la négociation
de compromis locaux entre managers et salariés, au service notamment d’une plus grande
inclusion des aidants et de la diversité des situations de chacun.
Il peut être utile pour éclairer cette difficulté française à négocier, de mobiliser Charles
Cogan29. Commentateur éclairé du style de négociation (diplomatique) français, il le résume
ainsi : « Parler le premier ; parler longuement et dans le style de la dissertation ; trouver la
meilleure solution, par l’exercice de la raison, et s’y tenir avec ténacité – ce qu’on appelle, en
anglais, positional negotiations ; et finalement ne pas se soucier du fait de se trouver seul […]
Après tout, quand on a trouvé la meilleure solution par la voie de la raison, on est peu enclin à
la changer ». Le négociateur français oscille entre imposition et révolte contre l’ordre
dominant, dans « une dualité entre la culture de l’underdog et les restes de la tradition de « la
grande nation » avec « d’un côté, un orgueil qui va parfois jusqu’à l’arrogance et, de l’autre, un
manque de confiance ». « Derrière une façade de certitude, les Français sont très susceptibles,
surtout vis-à-vis des marques de mépris ». Dans ce contexte « sans l’empathie, les discussions
avec les Français risquent de tomber dans la confrontation ». Ainsi culturellement, chacun en
France serait bien vite tenté de penser qu’il a raison, que les autres n’ont pas compris ou sont
de mauvaise foi et de refuser tout compromis, a fortiori s’il a le sentiment d’être méprisé. On
comprend à quel point les règles externes peuvent paraître utiles pour limiter les conflits et
pourquoi les managers français sont toujours moins bien évalués dans les enquêtes
internationales.
De nombreux travaux culturalistes soulignent cette tendance française à privilégier la règle
externe, cadre de référence inégalement appliqué, à la négociation de compromis effectifs
entre égaux. La France est caractérisée par une forte aversion pour l’incertitude, un
fonctionnement très hiérarchique et des pratiques très individualistes. Philippe d’Iribarne30 a su
rendre le sens de cette configuration en montrant comment en France la liberté a été pensée
d’abord comme liberté d’action au sein d’un champ de compétences déterminé. Cette
conception de la liberté est ce qui explique l’aspiration largement partagée dans les entreprises
françaises à disposer d’une compétence reconnue par un statut externe à la relation
hiérarchique ou avec les collègues (donc le besoin de règles), ainsi que l’aversion pour la
négociation avec les autres au nom de l’autonomie (individualisme).
Le problème en matière d’équité réside dans la difficulté à maintenir cette aspiration partagée à
disposer d’un travail à soi, garanti par un statut protecteur, avec l’aspiration croissante à des
arrangements individualisés de la relation d’emploi, pour permettre la prise en compte des
situations de chacun31. On rencontre souvent dans les enquêtes de terrain ou les propos
informels, un sentiment de malaise chez les encadrants et les subordonnés, autour de la prise
en compte des contraintes personnelles. Jusqu’où peut et doit aller l’entreprise ? Sur quoi
peut-on, doit-on négocier ? Fixer la même règle pour tous, sans se soucier de la possibilité,
voire de la réalité de sa mise en œuvre, est plus confortable que de discuter et composer avec
les contraintes et souhaits de chacun. Le sujet des contraintes familiales reste souvent tabou au
nom notamment du principe du respect de la vie privée. Les exemples rencontrés sur le

29
Charles Cogan, « Le style diplomatique français » in Annuaire Français des Relations Internationales, 2007
30
D’Iribarne, P., (2006) L’étrangeté française, Seuil, (1989) La logique de l’honneur, Seuil
31
De Ré – Vannière, L., (2013) Vivre ensemble en entreprise, Etude E&P n°317
19
terrain (cf. partie 2.3) montrent pourtant qu’il existe des figures du « bon manager de
proximité », capables de négocier des compromis dans le respect de l’autre.

 Défiance envers des dirigeants « traversants » manquant de courage


Selon Algan Cahuc et Zylberberg, les divisions liées à l’occupation allemande ont un impact
durable sur la confiance entre les Français et entre eux et leurs élites. D’autres facteurs que
l’histoire longue sont toutefois à l’œuvre pour expliquer la forte défiance réciproque en France
entre dirigeants et dirigés.
Les mêmes auteurs32 soulignent par exemple que « si 66 % des dirigeants des grandes
entreprises en Allemagne et 51 % au Royaume-Uni ont fait une carrière interne, en France,
c'est le cas seulement pour 21 % d'entre eux ». Thomas Philippon33 pointait dans son livre le
lien entre mauvaise qualité des relations sociales et existence de dirigeants extérieurs à
l’entreprise. François-Xavier Dudouet et Hervé Joly montrent dans leur étude de 200734 sur
les dirigeants du CAC 40, que la quasi-totalité des 900 dirigeants français (membres des Etats
Majors, des Conseils d’administration ou de surveillance…) sont issus de grandes écoles. Trois
écoles (X, ENA et HEC) fournissent à elles seules 46 % des dirigeants français, alors qu’elles
rassemblent, ensemble, moins d’un millier d’élèves par classe d’âge de 800 000. Par ailleurs
28 % de ces dirigeants de grandes entreprises privées et 42 % des PDG sont issus de la
fonction publique. Parmi ces dirigeants issus du public, 69 % (soit près de 20 % des dirigeants
des entreprises privées) sont issus des 6 grands corps, c’est-à-dire d’une sélection concentrée
sur moins de 30 personnes par an ! Plus de 10 % des dirigeants sont également passés par un
cabinet ministériel, de gauche (44) ou de droite (52). La concentration des postes de dirigeants
sur quelques écoles, comme la forte prévalence du public et du politique trouveraient leur
origine dans le fonctionnement actif des réseaux d’anciens (la force du réseau HEC expliquant
l’écart entre HEC et ESSEC). Les entreprises françaises sont ainsi dirigées par des élites
largement extérieures à elles, en termes d’ancienneté dans l’entreprise, de milieu de référence,
de projection dans le parcours ultérieur. Le concours, le réseau d’anciens/corps d’Etat et le
réseau politique ont compté fortement dans l’accès au poste de dirigeant, plus peut-être que
les performances antérieures ou la maîtrise du secteur de l’entreprise. Elles sont appelées à
jouer également par la suite.
Il est donc logique d’escompter une moins grande implication de ces dirigeants externes dans
le développement interne de successeurs potentiels (puisqu’ils seront recrutés à l’extérieur au
sein du réseau pertinent), ainsi qu’une plus grande difficulté à résoudre les tensions internes.
Un dirigeant issu de l’externe aura tendance à se doter d’un cabinet composé de personnes de
confiance pour contrôler l’action des managers « locaux ». Le livre de François Dupuy35 Lost in
Management est une critique féroce de la dérive technocratique de nombreuses entreprises
françaises. Selon l’auteur, processus et procédures ont été multipliés pour pallier en un sens
un manque de décision et la défiance de la direction dans ses hiérarchiques, comme si
dirigeants, puis managers avaient renoncé à réguler l’interne. Or ce que les salariés attendent
des dirigeants et managers (cf. partie 2.2, point 4) c’est d’abord de porter l’intérêt collectif de
l’entreprise, plus que celui de leur carrière, mais aussi de faire appliquer les règles internes et
prendre les décisions qui s’imposent, même si c’est désagréable, même si cela sera contesté. Le
dualisme du marché du travail, (entre les CDI et les autres), peut ainsi avoir son pendant en
interne, l’impression que certains comportements déviants ne sont jamais sanctionnés, la
charge de travail étant reportée encore une fois sur la « majorité silencieuse ».

32
Algan, Y, Cahuc P, et Zylberberg, A., (2012) La fabrique de la défiance, Albin Michel
33
Philippon, T., (2007), Un capitalisme d’héritiers, Seuil
34
Dudouet, F.-X, Joly, H., (2010) « Les dirigeants français du CAC 40 : élitisme scolaire et passage par l’État », Sociologies pratiques, N°21
35
Dupuy., F., (2011) Lost in management, Seuil

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5. Conclusion : pertinence de l’équité pour le DRH
La France offre ce paradoxe d’un fort sentiment d’iniquité au sein d’une société où les
inégalités sont dans la moyenne de l’OCDE et surtout stables, alors qu’elles croissent partout
ailleurs. Ce sentiment d’injustice est en fait exprimé de plus en plus par la vaste classe
moyenne qui a investi l’école et le travail, et « se lève tôt ». C’est elle qui porte l’essentiel du
coût de l’accroissement de la fiscalité, tout en bénéficiant de moins en moins des transferts
ciblés vers les plus pauvres, elle qui doit renoncer aux promesses de progression de carrière
méritocratique. A cela s’ajoute une réglementation, qui accroît les différences entre salariés
plus et moins protégés, délégitime les acteurs sociaux, une difficulté culturelle à négocier des
arrangements locaux, au moment où les attentes de prise en compte de la diversité des
situations individuelles se renforcent et qu’existe une défiance croissante entre dirigeants et
dirigés. Pour la fonction RH, une telle situation renvoie à un relatif constat d’échec : malgré les
moyens consacrés à la gestion des compétences, au développement des talents, au dialogue
social, l’essentiel se joue ailleurs que dans l’entreprise (école, âge, code du travail, SMIC) et ce
qui se joue en entreprise est fréquemment fortement décrié (sentiment d’iniquité, acrimonie
des relations sociales).
Quelle action engager dès lors ? Excluons d’emblée l’attente de l’Homme providentiel ou d’un
changement culturel radical. La proposition de cette étude est plus modestement de prendre
au sérieux les attentes d’équité. Une GRH équitable est une dimension cruciale pour le
développement durable d’une entreprise. Autour de ce projet, la fonction RH peut proposer
un thème de dialogue et de progrès intéressant pour la direction, les syndicats, manager et
salariés, démontrer son expertise et sa plus value à la performance économique et sociale, non
pas uniquement en vue d’améliorer l’image perçue de la marque employeur, mais bien comme
contribution à la performance économique et sociale, par l’amélioration de la contribution de
chacun et la coopération entre tous.
CAS D’ECOLE :
A QUI ATTRIBUER DES ACTIVITES DE PILOTAGE D’UNE EQUIPE TECHNIQUE ?

L’enjeu se pose notamment en termes de gestion de la carrière d’un(e) jeune cadre à


potentiel. Cette personne est particulièrement motivée à l’idée de faire ses preuves,
mobile, a priori très compétente pour ce poste. Les responsabilités liées à ce poste la
situent toutefois à un niveau de classification et salarial nettement plus élevé.
Faut-il attribuer la mission et le poste avec le niveau de salaire normal à ce jeune cadre ?
Cela entraîne le risque à la fois de jalousie de la part de ceux qui n’ont pas eu
l’opportunité d’être candidats et corrélativement le risque que ce cadre soit ensuite
longtemps bloqué à ce niveau-là et en ressente une certaine frustration.
Faut-il attribuer le poste mais à un niveau de rémunération inférieur, lié à une
progression plus « normale » pour ce cadre ? Mais alors la personne promue pourra
s’estimer traitée de manière inéquitable par rapport aux autres cadres qui exercent le
même type de poste avec des niveaux de rétribution supérieurs.
Faut-il ne pas attribuer ce poste à ce jeune cadre, en le cantonnant à des activités peut-
être en dessous de ses capacités, mais conformes à son niveau de rémunération actuel ?
Le simple cadrage de la réflexion en termes de gestion de carrière d’une personne à
potentiel incite à un compromis entre progression normale et niveau normal du poste.
On pourrait toutefois poser l’enjeu tout à fait autrement et se demander comment
choisir pour le poste entre différents candidats : le/la jeune cadre à potentiel en
question, un cadre exerçant des activités similaires à un niveau de rémunération plus
élevé et ayant donc des attentes supérieures, un cadre de l’équipe issu de la maîtrise
actuellement en fin de carrière, ayant un niveau de rémunération intermédiaire. L’équité
amènerait alors à privilégier à court terme le meilleur ratio salaire / efficacité anticipée
dans le poste, voire variation de la masse salariale / efficacité. La prise en compte du long

21
terme amènerait à envisager également les effets de rétroaction (impact sur la
motivation des uns et des autres liée notamment à l’équité perçue de la décision,
facilitation de réduction d’effectif).
Il pourrait se trouver que le meilleur candidat pour le poste en termes de compétences
et d’efficacité soit un cadre travaillant sur des missions proches pour un prestataire en
régie. Lui proposer un poste dans l’entreprise pourrait répondre à ses attentes. Or, la
question de l’ouverture du poste à l’externe est souvent une décision indépendante, pas
forcément à la main du manager recruteur. De plus l’équité tend à être pensée
prioritairement au sein de l’entreprise, ne serait-ce que parce que ceux avec qui l’on est
amené à travailler dans la durée (les salariés permanents et leurs représentants) sont
plus susceptibles de demander des justifications et d’en tenir compte.
La situation peut être rendue plus complexe si entrent en jeu des sexes différents, des
origines sociales et ethniques différentes, avec le risque de biais liés à des préjugés du
décideur ou de biais contraires liés aux politiques d’entreprise en matière de diversité et
d’égalité professionnelle. On peut également y ajouter les relations d’amitié ou
d’appartenance à une « écurie » (un réseau), susceptibles d’amener le décisionnaire à
décider en fonction de ses intérêts (de carrière notamment) plus qu’en fonction des
intérêts de la structure.
Le simple exposé d’une situation hypothétique pourtant simplifiée montre la variété des
registres d’argumentation et donc les difficultés potentielles de la décision et surtout de
sa justification. Cela montre aussi que l’équité ne peut pas découler de la seule clarté des
procédures et des critères d’évaluation affichés ou même de la décision prise au final.
L’équité résidera également très largement dans l’attention portée aux candidats, la
qualité des arguments présentés pour justifier la décision et in fine la confiance dans
l’équité des décisionnaires. Une même décision sans ou avec examen des candidatures,
sans ou avec explicitation des critères, voire prise par une personne ou une autre, sera
perçue comme plus ou moins équitable. L’équité sera souvent perçue dans la durée.

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« On peut se servir de la théorie pour choisir l'acte qu'on va accomplir : c'est la sottise.
On peut aussi s'en servir pour justifier l'acte qu'on a accompli : c'est de l'habileté ».
Propos de O. L. Barenton, confiseur

2. Dimensions et conditions de l’équité dans


le management
Pour définir l’équité et les conditions de sa réalisation, cette partie propose de la saisir dans quatre
dimensions, à savoir l’équité
 distributive : répartition équitable des contributions/rétributions
 procédurale : des procédures uniformes, claires, élaborées de façon participative
 relationnelle : attention portée au développement des personnes dans leur contexte
 incarnée : attachement des décideurs à défendre l’intérêt du collectif et sanctionner les
manquements aux règles
Les quatre premières sous-parties présentent chacune de ces dimensions. L’interaction entre ces
dimensions et le périmètre d’application de l’équité sont ensuite discutés.
L’objectif de cette partie est de fournir un repérage des arguments susceptibles d’être mobilisés par
les uns et les autres, et les conditions pour progresser dans l’équité. Ce travail de définition est
également le préalable au travail de mesure qui sera proposé dans la partie suivante.

1. Equité distributive : l’équilibre contribution/rétribution


On trouve un relatif consensus en philosophie, droit et sciences sociales (voir annexes) pour
définir comme équitable une société dans laquelle la répartition des biens conduit à donner à
chacun selon sa contribution. Cette distribution des rétributions à proportion des
contributions est d’ailleurs également perçue comme étant source d’efficacité de progrès et de
bien-être. L’anticipation d’une évaluation équitable conduit chacun à adopter des
comportements vertueux (effort discrétionnaire, partage d’apprentissage, entraide). A
l’opposé, le vécu de situations inéquitables de sous rémunération ou sur rémunération relative,
conduit les personnes concernées à ajuster autant qu’il leur est possible leur contribution pour
rétablir l’équité (réduire leur effort si elles s’estiment moins payées que les autres au vu de
leur contribution, l’augmenter si elles s’estiment plus payées).
Au-delà de ce consensus, plusieurs points demeurent toutefois en débat :
 Comment mesurer contribution et rétribution ?
 Quelle proportionnalité assurer entre contribution et rétribution ?
 Faut-il prioriser l’équité des positions ou l’équité des trajectoires ?
 Par rapport à qui mesurer la proportionnalité entre contribution et rétribution ?

23
 Comment mesurer contribution et rétribution ?
Dès lors que l’on s’accorde sur l’idée que l’équité repose sur une proportionnalité relative
entre contribution et rétribution, se pose la question de comment sont définies, mesurées et
perçues contribution et rétribution.

— Mesurer la contribution
Dans l’idéal de la société de marché, l’artisan ou le titulaire d’une profession libérale voit sa
rémunération relative déterminée par sa contribution individuelle. Au sein d’une entreprise en
revanche, de nombreux salariés coopèrent à l’élaboration d’un ou plusieurs
produit(s)/service(s) qui sont ensuite mis sur le marché. Comment dès lors mesurer la part du
produit/service liée à chaque salarié et donc la part des revenus tirés de sa vente qui est due à
chacun ?
A la rémunération « à la pièce » des contributions de chaque travailleur autonome, a succédé
le versement d’un salaire établi en fonction de l’état du marché du travail pour une profession /
un type d’emploi. Les écarts pertinents pour la justice distributive sont devenus :
- les écarts de rémunération entre type d’emploi/profession (ampleur, fondement),
- les écarts de rémunération entre titulaires d’un même emploi (ampleur, fondement),
- les écarts dans l’accès aux emplois de niveau élevé, entre différents types de population
(critères effectifs d’attribution de ces emplois).
Pour hiérarchiser des emplois dans une convention collective, attribuer une prime variable,
attribuer une augmentation ou un emploi, différents critères peuvent être utilisés :
- performances individuelles (elles-mêmes plurielles : impact sur le chiffre d’affaires, la
rentabilité, la satisfaction client, qualité des actes posés)
- temps de travail effectif, disponibilité pour faire face à des demandes atypiques
- niveau de compétence et volonté d’amélioration
- prise d’initiative conduisant à des gains
- niveau d’implication et d’effort
- contribution au collectif (vie sociale, partage des apprentissages)
- dureté spécifique des conditions de travail (poste, type de client, transports)
- niveau de responsabilité (clients importants, dossiers complexes)
- niveau de diplôme et anticipation de contributions à venir
- l’ancienneté et les contributions passées
- …
Le fait qu’une entreprise spécifie la liste des critères à prendre en compte par les évaluateurs,
ne garantit pas que ce seront les critères effectivement utilisés par ces derniers. Ils peuvent
estimer que d’autres sont pertinents et surtout avoir à composer avec les perceptions de
justice des salariés évalués ou par leurs représentants. Les critères n’étant pas de même
nature, il est de plus difficile d’établir objectivement comment ils se compensent les uns les
autres (que vaut la contribution au collectif au regard de la performance individuelle ?). Chaque
salarié aura intérêt et tendance à insister sur l’importance de sa forme de contribution. Le
manager aura lui intérêt à rétribuer en fonction de l’impact estimé sur la contribution à venir,
donc en priorité vers ceux qui ont des exigences et des alternatives plus grandes.
Malgré cette difficulté à mesurer les contributions et l’intérêt que peuvent avoir les uns et les
autres à s’écarter d’une mesure équitable, les entreprises se dotent toutes de pratiques de
GRH permettant de progresser dans l’objectivation des contributions.
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Les bonnes pratiques pour la mesure de la contribution individuelle consistent par exemple à
déterminer une liste des critères d’évaluation estimés les plus importants dans l’emploi afin de
les intégrer dans le support d’évaluation annuel, et à inciter les managers à synthétiser ces
critères dans une évaluation du niveau de contribution individuel. Ces évaluations sont ensuite
inter comparées par la fonction RH, qui procède à un retour vers les managers pour
uniformiser l’interprétation des critères, de leur poids respectif, des niveaux d’attente et
assurer ainsi une plus grande objectivité des évaluations.

— Mesurer la rétribution
En entreprise, la rétribution peut sembler plus simple à mesurer que la contribution. La
rémunération en est l’aspect le plus visible et le plus important. De fait, au niveau de
l’entreprise, la rétribution est essentiellement mesurée à travers la rémunération (avec la
difficulté de la valorisation des avantages en nature.
Mais jusqu’où faut-il étendre la valorisation des avantages en nature ? Du point de vue des
salariés, la rétribution peut inclure :
- la rémunération salariale, fixe, variable, différée, socialisée,
- l’impact positif du travail sur la santé,
- les souplesses horaires et possibilités de conciliation avec la vie personnelle,
- l’accès à des moyens de mobilité et de communication,
- l’accès à des modalités de formation et d’apprentissage,
- la qualité du cadre de travail et de son environnement (localisation du site),
- la qualité de l’ambiance, la reconnaissance non monétaire par la hiérarchie, les clients et
collègues,
- l’intérêt du travail et des missions confiées.
De façon concrète, dans les équipes, le fait que certains concentrent les missions intéressantes
ou valorisantes, ou les investissements formation, sans que les raisons en soient perçues
clairement, sera considéré comme tout aussi inéquitable que des écarts dans la rétribution
monétaire. De même, certains éléments de rétribution non monétaire (souplesse horaire,
localisation, intérêt du travail) peuvent fonder des absences d’augmentation monétaire.
En lien avec ce sujet, les entreprises se préoccupent d’ailleurs de mesurer la qualité de vie au
travail, de proposer des mécanismes de formation/promotion aux plus méritants et de
développer une offre employeur à la carte (logement, transport, protection santé, garderies)
adaptée aux attentes de différents types de population, handicapés, étudiants, jeunes parents.

 Quelle proportionnalité assurer entre contribution et rétribution ?


Au-delà des enjeux de mesure, la manière d’articuler contribution et rétribution fait également
débat36. Les considérations d’équité amènent à prendre en compte au moins cinq éléments :

— Limitation de la proportionnalité par la garantie de minima


Dans les écrits philosophiques, dans de nombreux mécanismes juridiques (SMIC, minima
conventionnels, minima sociaux), comme dans les conceptions spontanées des salariés37, on

36
Cf. Richard, A., Réinterroger la rémunération variable, Etude E&P, n°293
37
Forsé et Galland montrent que lorsqu’ils sont interrogés sur le salaire moyen d’une profession, les salariés ont une représentation
assez juste de son niveau, d’autant plus juste qu’elle est bas dans la hiérarchie sociale. Par ailleurs malgré des différences entre les
personnes, il se dégage un consensus autour d’un souhait de réduction des inégalités. En moyenne, le salaire des ouvriers est ainsi
perçu à 1115 euros par mois et souhaité à 1487 (+33 %) tandis que le salaire des PDG est perçu à 70 826 euros et souhaité à 27690
euros par mois (-61%), le revenu du médecin généraliste constituant un pivot estimé à 6772 euros et souhaité à 6464.
25
trouve diverses justifications d’une garantie d’un minimum d’accès aux conditions de base de la
citoyenneté (logement, nourriture, éducation…).
En entreprise, on trouve fréquemment l’exigence d’augmentations générales couvrant
l’augmentation de l’inflation, notamment pour les bas revenus (SMIC). En vue de favoriser la
capacité à faire face aux changements et la mobilité interne, certaines entreprises développent
des programmes de maîtrise de la langue française et des mathématiques de base pour des
personnes très peu qualifiées. Le point commun de toutes ces actions est que l’entreprise est
aussi un lieu de solidarité, et qu’il est important que chacun ait une reconnaissance minimale et
une chance minimale de succès ultérieur.

— Concentration des gains sur ceux qui les déclenchent


Même si ce point reste débattu, on trouve fréquemment l’idée qu’au-delà de la contribution en
termes d’efforts, investissement, privations, la première contribution est le déclenchement de
l’action qui génère un gain. C’est ce rôle déclencheur qui conduit à attribuer à la personne un
droit à rétribution, une partie de la propriété des gains qui n’auraient pas eu lieu sans leur
action, au sein de la structure38. Ceci conduit à donner à certains la possibilité de tirer des
revenus très importants de façon relativement indépendante des sacrifices auxquels ils
consentent. Ce type de rétribution s’applique à plusieurs populations déterminantes pour le
succès de leurs organisations et qui ont en commun ce rôle d’initiateurs « auteurs » de
l’action : dirigeants, traders, commerciaux ou acheteurs grands comptes, dépositaires de
brevets ou d’innovations, sportifs, auteurs ou acteurs « stars ».

— Maximum de rétribution en vue d’une compétition libre et non faussée


L’ampleur des gains déclenchés par certains dépend très fortement de la structure dans
laquelle ils évoluent (un excellent joueur/dirigeant/commercial verra son impact décupler en
rejoignant une structure plus grande). Ces hauts revenus sont donc fréquemment contestés
(voir partie 1).
Un des arguments est que de très fortes inégalités dans la répartition des revenus risquent de
conduire à des abus de la part de ceux qui sont très bien dotés. Ils sont en effet en capacité
d’accorder des avantages extraordinaires, d’obtenir ainsi des comportements de soumission et
d’une manière générale de faire obstacle au fonctionnement normal d’une économie de
marché. D’une façon plus générale, la concentration des augmentations ou du variable sur
quelques-uns sera très souvent critiquée.

— La solidarité face au hasard


S’il est légitime de redistribuer les gains vers ceux qui en sont à l’origine, il est également
pertinent de ne pas redistribuer les gains dus essentiellement au hasard et surtout limiter les
pertes de ceux qui sont les victimes de la malchance. La prise en charge et le reclassement des
victimes d’accident de travail ou de trajet est le cas le plus flagrant. Mais d’une manière
générale, notamment lorsque la contribution comporte une part de résultats, il importe de
faire la part entre ce qui relève de la contribution personnelle et ce qui relève de l’état du
marché ou plus généralement des aléas (succès/insuccès d’un produit, abandon d’une
technologie, équipe en sous effectif, état du matériel). L’entreprise est aussi une sorte de
collectif assurantiel, dans lequel s’opèrent une péréquation et un lissage des gains dans la
durée.

— Le refus de « l’égalitarisme » inéquitable


Devant tant de potentielles complexités, le plus simple est trop souvent pour certains
hiérarchiques et/ou certains syndicats d’en appeler à des augmentations uniformes ou à une

38
Le travail de Pierre-Michel Menger, 2009, Le travail créateur, Seuil, est très intéressant à ce sujet, comme plus généralement les travaux
sur l’économie de l’attention, cf. pour une introduction l’EP veille E&P n° 92

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règle d’ancienneté sans chercher à tenir compte des mérites de chacun. Ceci parait éviter
d’avoir à discuter des mérites de chacun, de créer des jalousies.
Il s’agit là d’une position faussement égalitaire, en effet la majeure partie des inégalités de
revenu au sein de l’entreprise est liée aux inégalités de rémunération entre les emplois.
Demeure donc toujours la nécessité de choisir entre des postulants pour l’accès aux emplois
les plus rémunérés. On ne peut donc pas éviter comme employeur d’avoir à discuter des
mérites respectifs des uns et des autres.
Pour encourager la rétribution au mérite, certains entreprises recommandent une distribution
cible au sein d’une équipe dans les évaluations sur le niveau de contribution individuelle (ex.
10 % top, 40 % moyen sup, 30 % moyen inf., 20 % inférieur) ou une distribution des volumes
d’augmentation individuelle.

 Prioriser l’équité des positions ou l’équité des trajectoires ?


Pour établir l’équité distributive, deux formes d’argumentation sont possibles :
 Les discussions peuvent porter en statique sur les écarts de rétribution au regard des
salariés dans le même emploi dans l’entreprise, dans un emploi similaire dans une
organisation différente, ou par rapport à des professions proches.
 Les discussions peuvent porter également en dynamique sur les écarts de rétribution au
regard de salariés de même diplôme embauchés à la même date, donc en termes de
parcours depuis l’embauche, au regard des contributions relatives depuis cette date.
Dans un monde utopique déjà équitable, ces deux formes d’équité seraient équivalentes et se
renforceraient réciproquement. Dans un monde dans lequel les situations perçues comme
inéquitables sont fréquentes, ces deux formes d’équité sont en tension.
Privilégier une équité dynamique (augmentations suivant la contribution relative depuis
l’embauche) risque d’ossifier les écarts initiaux potentiellement inéquitables ou d’empêcher
l’ajustement que devrait entraîner une nouvelle situation. Par exemple deux salariés de même
profil recrutés, l’un en 2007 (année de tension sur le marché du travail) et l’autre en 2009
(année de forte croissance du chômage) seront recrutés à niveaux de rémunération
sensiblement différents. En période de faible croissance, si la rémunération progresse à
l’occasion d’augmentations, l’écart de rémunération initial peut très bien ne jamais être
rattrapé. Autre exemple, pour encourager le reclassement de salariés anciens des fonctions
techniques dans des emplois de relation clientèle normalement moins rémunérés, il leur est
proposé le maintien de leur rémunération. Ceci entraîne un sentiment d’iniquité vis-à-vis de
leurs collègues (par ailleurs plus performants).
Une focalisation sur l’équité de traitement selon l’emploi exercé (statique), conduirait dans une
même situation à égaliser le salaire des deux entrants à l’occasion par exemple de leur poste
suivant, en accordant au premier une augmentation nettement plus faible que celle accordée au
second et ce, malgré des niveaux de performance similaire, au risque d’un départ. Exiger une
baisse de rémunération à l’occasion d’une mutation vers un emploi moins qualifié pourrait
augmenter la résistance aux changements demandés par l’entreprise.

2. Equité des procédures d’évaluation et de sanction


Que l’on interroge la philosophie, le droit, les sciences sociales et de gestion, on trouve une
forme de consensus autour du fait que la fin ne justifie pas seule les moyens. Pour établir
l’équité dans la distribution des rétributions et contribution que nous avons présentée au point
précédent, tous les moyens ne sont pas justes.

27
Dans cette partie, il n’est pas question de la pertinence sur le fond des critères d’évaluation
des personnes et des emplois et des inégalités de rétribution qui en résultent, mais
uniquement de la qualité formelle des procédures et règles de sanction (positive ou négative).

 Absence de biais illégitimes ou illégaux


Le premier niveau d’équité attendu d’une procédure est qu’elle n’intègre pas des critères sans
rapport avec la décision à prendre et entraînant une inégalité de traitement infondée entre
salariés ou candidats. Ces biais peuvent être directs, par exemple si une annonce de
recrutement externe ou interne cible laisse entendre dès sa formulation que sont attendus des
candidat(e)s d’un sexe donné, d’une tranche d’âge précise, voire d’un niveau de diplôme. Ils
peuvent être indirects si par exemple les modalités de recrutement accordent une très grande
importance au réseau, dont on sait qu’il tend à conduire au recrutement d’une population
homogène avec la population en place, en termes de sexe, milieu social, origine ethnique.

 Application uniforme
Une règle (critères d’évaluation, procédure de décision…) pour être équitable doit d’abord
être la même pour tous. Elle doit notamment s’appliquer à ceux qui l’édictent, à ceux qui en
vérifient et sanctionnent l’application. On parle volontiers à ce sujet du devoir d’exemplarité
du dirigeant. Il doit le premier se soumettre à la règle, afin d’en renforcer la légitimité et d’en
assurer la pleine exécution39. A défaut de s’appliquer à tous, les limites de son périmètre
doivent être claires et fondées (par exemple certaines règles et critères pour les
commerciaux, d’autres dans un métier différent).
Elle doit également s’appliquer de manière uniforme. Ici entre en jeu la question des
adaptations et interprétations locales. Un des rôles de la fonction RH est fréquemment
d’assurer une certaine uniformité dans l’application des règles internes par les managers, en
particulier dans le pilotage des processus d’évaluation, de mobilité interne ou de sanction
disciplinaire. Cette uniformité entre en tension avec la nécessité de tenir compte des
contextes et de la diversité des personnes (voir infra).

 Clarté et publicité
Pour vérifier l’absence de biais et assurer une application uniforme, les règles doivent être
énoncées clairement et le fonctionnement des dispositifs qu’elles organisent doit être connu.
Cette clarté est d’abord à penser règle par règle (ex. fonctionnement de l’intéressement, de la
part variable…), dispositif par dispositif. Elle est aussi à penser dans l’ensemble.
Concernant l’entretien annuel par exemple, il y a d’abord la clarté du support d’entretien (ex.
critères d’évaluation), de l’éventuel guide d’utilisation, il y a aussi la clarté sur l’utilisation qui
est faite de l’entretien, la clarté des objectifs éventuellement fixés et les difficultés de mise en
œuvre dès lors que l’organisation est matricielle par exemple et que les objectifs des différents
hiérarchiques sont en conflit.

 Appui sur des éléments pertinents et égalité des parties


Dans toute procédure de sanction adoptée (recrutement, entretien annuel, entretien
disciplinaire…), un autre enjeu est celui de la qualité des informations qui fondent la décision
et de l’accès aux éléments qui fondent la décision pour la personne évaluée.
L’équité d’une décision repose sur la qualité du travail de préparation (et parfois d’enquête)
préalable. Il s’agit d’aller au-delà d’une évaluation basée sur une perception spontanée,
quelques retours épars, ou sur l’application mécaniste au regard d’indicateurs préétablis. Même

39
Concernant l’entretien annuel par exemple, il n’est pas rare de constater que cette pratique officiellement recommandée tend à ne pas
être mise en œuvre au plus haut niveau de la hiérarchie de l’entreprise ou au sein de la DRH.

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dans des cas d’imprudence ou infraction manifeste, certes, un travail d’enquête peut être
révélateur de difficultés plus profondes à traiter40.
Si ce travail d’information repose d’abord sur le hiérarchique décisionnaire, il peut être facilité
par l’entreprise. Le manager dispose-t-il du temps pour préparer l’entretien ? Certains
éléments sont-ils remis aux préalable à l’évaluateur et à l’évalué ? Les procédures sont-elles
expliquées aux nouveaux arrivants, à ceux qui maîtrisent mal l’expression écrite ?
Le recours à des procédures de recrutement interne exigeant une grande maîtrise de l’oral
(entretien), peut être un obstacle à la reconnaissance des compétences dans certaines
professions où l’oral est peu utilisé. Lors de notre journée d’études 2012 sur l’équité au cœur
de la cohésion sociale, une des entreprises témoignait par exemple d’actions engagées pour
aider certaines personnes à préparer des entretiens internes de recrutement et mieux mettre
en avant leurs compétences.
En matière d’entretien annuel, il est par exemple de bon aloi que la personne qui conduit
l’entretien ait une visibilité et connaissance du travail de la personne évaluée, qu’évaluateur et
évalué puissent s’appuyer sur des éléments objectifs fournis par le système de gestion.

 Mode d’élaboration des règles et procédures


Au sein des sociétés démocratiques, les règles sont perçues comme d’autant plus légitimes
qu’elles ont associé à leur élaboration ceux à qui elles s’appliquent.
Dans les entreprises françaises, on peut distinguer entre les règles négociées avec des
représentants syndicaux, celles qui font l’objet d’une consultation des représentants du
personnel et celles qui font l’objet d’une consultation de l’ensemble des salariés ou plus
fréquemment d’un ou plusieurs groupes projets mis sur place à cet effet. Il s’agit là de trois
formes de participation plus ou moins directes, plus ou moins influentes sur le contenu final de
la règle adoptée.
Concernant l’entretien annuel d’appréciation par exemple, l’employeur doit consulter le
CHSCT puis le comité d’entreprise avant d’instaurer ou modifier son fonctionnement.

 Possibilité de s’exprimer et d’appeler de la décision


Une procédure d’évaluation équitable suppose de permettre à la personne de s’exprimer sur
les éléments à la base de son évaluation, c’est le sens des entretiens de recrutement,
d’évaluation, de sanction disciplinaire.
Les procédures d’appel interne sont rares en entreprise, par souci d’efficacité, volonté d’éviter
la remise en cause de l’autorité hiérarchique ou ne serait-ce que parce que le juge externe
constitue formellement un appel des décisions internes. De nombreuses entreprises
encouragent la mobilité des hiérarchiques et des salariés, la comparaison d’évaluations, ce qui
contribue à éviter les situations d’enfermement dans le jugement d’une seule personne. Sans
être formellement prévue, la pratique de l’appel existe de façon concrète (sollicitation
d’entretien avec le RH, le N+2, un délégué du personnel). Elle est souvent mal vue. Le recours
à une instance d’appel doit avoir un coût en cas d’abus, si l’on entend éviter que le recours soit
systématique. Il n’en reste pas moins que les entreprises qui mettent en place des médiateurs
pour aplanir les tensions relationnelles internes sont souvent surprises de découvrir des cas de
situations bloquées, méconnues des acteurs susceptibles d’être impliqués (partenaires sociaux,
RH, médecine du travail). Or il n’est rien de pire du point de vue du sentiment d’injustice que
la perception qu’aucun appel n’est possible.

40
Jean Fombonne, 1991, op.cit. développe en plusieurs pages l’intérêt d’une telle investigation autour de cas apparents de négligence (se
réchauffer auprès d’un brasero alors qu’on est couvert de produits inflammables) ou de délinquance (utilisation frauduleuse de la carte
repas du service). Dépasser les apparences permet de traiter la situation de façon pacifiée et plus efficace en profondeur.
29
En résumé, on peut considérer qu’il existe un consensus autour de l’idée que l’équité exige des
procédures uniformes, claires, s’appuyant sur des éléments pertinents, élaborées de façon
participative et offrant des possibilités d’expression et d’appel.

3. Equité relationnelle : attention, inclusion, écoute


Chacun connaît l’expression attribuée à Térence « justice extrême est extrême injustice ».
C’est pour éviter une application aveugle de la loi qu’en France, le code pénal a toujours prévu
le pouvoir d’appréciation du juge « en fonction des circonstances de l'infraction et de la
personnalité de son auteur ». En philosophie, cette importance pour l’équité de la prise en
compte des circonstances et de la personnalité des personnes concernées est au cœur de ce
que l’on a coutume d’appeler les théories du care. En sociologie, François Dubet et Pierre
Rosenvallon ont montré récemment l’importance des attentes de reconnaissance de la
singularité de chacun comme personne. Le courant de recherche en gestion dit de la justice
organisationnelle a pointé dans ses enquêtes par questionnaire l’existence et l’importance du
sentiment d’équité relationnelle (sur tous ces points, voir nos encadrés).
L’équité procédurale et l’équité distributive renvoient à la recherche de règles a priori, visant à
éviter les conflits de répartition des bénéfices entre individus égoïstes en compétition. L’équité
relationnelle renvoie de façon très différente à la recherche des modalités d’un dialogue
respectueux permettant d’aplanir et d’arbitrer par la coopération, les dilemmes de
responsabilité qui traversent chacune des personnes engagées dans des relations d’aide.
En entreprise, cette prise en compte de la diversité des personnes trouve une traduction tant
au niveau des politiques (offre employeur adaptée aux différents types de salariés, différents
âges de la vie) qu’au niveau du hiérarchique de proximité dont la mission est moins de faire
appliquer le règlement intérieur et davantage d’écouter les salariés de son équipe, de leur
donner les moyens de répondre aux exigences de l’entreprise et de les aider à déployer leurs
projets personnels, à l’intérieur du champ de contraintes de l’entreprise.

 Conflits de responsabilité, contexte, singularité de chaque salarié


Les situations de conflits de valeurs et d’exigences sont de plus en plus fréquentes dans une
société complexe : un salarié doit concilier les exigences de l’employeur, des différents
hiérarchiques en matriciel, de la famille nucléaire, de la prise en charge des parents âgés, les
attentes spécifiques de différents clients. L’enjeu est de moins en moins de déterminer quelle
règle doit s’appliquer ou comment amener des individus égoïstes à un respect de règles
impersonnelles. Il est de plus en plus souvent de mettre en dialogue les attentes légitimes des
uns et des autres pour construire une solution qui fasse sens localement. L’attention au
contexte renvoie dans cette approche de l’équité à une attention à la personne concrète et
aux éléments susceptibles de l’aider, elle, dans son développement.
Par exemple dans un magasin de grande distribution, l’objectif de présence des effectifs
nécessaires est rendu compatible par la chef de caisse, avec une grande flexibilité des horaires
pour besoin personnel des caissiers (essentiellement des caissières). La construction des
plannings est d’abord établie collectivement. Ensuite les absences sont tolérées (transformées
en jours non travaillés ou congés) en échange d’une disponibilité en cas de besoin (lié par
exemple à l’absence d’un(e) collègue). Cela signifie un lourd travail d’ajustement permanent par
la chef de caisse, récompensé par un taux de présence (collectif) record, une reconnaissance
très forte de la hiérarchique. Ce type d’arrangements implique une discussion de la vie privée
qui peut être perçue comme une intrusion de l’employeur (par exemple lors de l’entretien de
retour après une absence pour maladie), mais qui sera souvent acceptée et même sollicitée
dès lors qu’elle est de bonne foi.

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 Le respect comme condition du dialogue
Insister ainsi sur l’importance de l’échange et de la discussion pour trouver des solutions
partagées aux conflits de responsabilité conduit à focaliser l’attention sur les conditions et la
réalité du dialogue.
La hiérarchie statutaire de la taille des bureaux et épaisseur de moquette a disparu dans de
nombreuses entreprises. Pour autant, lors des diagnostics sociaux que nous menons, on
trouve toujours parmi les premiers signes d’un dysfonctionnement, des salariés qui signalent un
hiérarchique qui ne dit jamais « bonjour » ou « merci », l’absence de toute sociabilité
commune ou la description de « phénomènes de cour ».
Il n’y a rien de nouveau à rappeler que l’expérience du respect comme personne – ou du
mépris – est un élément crucial du sentiment d’équité. Il s’agit là d’un standard essentiel de
qualité du management, et d’un art difficile, le propre des dirigeants et hiérarchique étant
d’être très occupés, sollicités, notamment pour trancher des conflits, ce qui en soi tend à
rendre moins disponible.
On note par contre dans les entreprises, sous l’influence du législateur, une attention
croissante à la violence verbale et psychologique, au harcèlement moral et sexuel. Si l’exigence
de la civilité et du respect est une quête constante, la tolérance pour les formes les plus
visibles de violence verbale et d’irrespect à l’égard des femmes ou des minorités d’origine
religieuse ou ethnique semble en tout cas nettement en baisse. L’idée de l’égalité en droit de
tous les humains semble ainsi poursuivre son chemin et entraîner l’exigence d’une plus grande
considération de chacun en entreprise.

 L’écoute et la restitution comme matérialité du dialogue


L’écoute (le sentiment de ne pas être écouté) est également une dimension importante du
sentiment d’équité (d’injustice). Les entreprises se sont dotés de différents dispositifs visant à
renforcer l’écoute des salariés (enquêtes, forums intranets, entretiens annuels, politique de la
porte ouverte, "open space"…). Les démarches de restitution des propos tenus par les
salariés, manière de démontrer qu’il y a eu écoute, même si évidemment toutes les suggestions
et demandes ne trouvent pas une réponse positive, sont toutefois encore rares. Les bonnes
pratiques repérées sont par exemple dans la restitution de démarches d’enquête, de présenter
les résultats sous la forme « vous nous avez dit, nous avons fait », dans les entretiens annuels,
d’archiver les demandes et remarques des salariés comme celles des hiérarchiques, d’assurer
un suivi des réponses apportées aux questions posées par les délégués du personnel, un suivi
des demandes de médiation adressées au médiateur interne par type de sollicitations (conflits
relationnels, difficultés personnelles).

4. Equité incarnée : vertu des détenteurs de l’autorité


L’équité a été abordée successivement comme équité dans la distribution des contributions et
rétributions, équité des procédures de distribution, équité de l’attention à chacun par le
dialogue. Il n’en reste pas moins qu’ultimement elle est aussi et surtout le résultat de l’action
des personnes qui se voient confier une autorité par l’entreprise. Le sentiment d’équité au sein
de l’entreprise dépend de l’exemplarité des dirigeants et donc des actions de sensibilisation et
des critères de sélection de l’encadrement.
L’équité relationnelle renvoyait déjà pour partie à des qualités personnelles des encadrants,
dans une posture toutefois essentiellement d’accompagnateurs. L’exercice de l’autorité
hiérarchique suppose également fréquemment des postures plus tranchées, pour sanctionner
une infraction ou performance insuffisante. A quelles conditions d’équité répondent-elles ?

31
 Nécessité du pouvoir discrétionnaire
Comme le soulignait Lord Acton « Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu tend à
corrompre absolument ». Tout détenteur d’une autorité est tenté d’utiliser le pouvoir à des
fins personnelles (népotisme, favoritisme…). Dans certains cas, cela peut être au service direct
de sa propre carrière (servilité, échanges de services au sein d’un ou plusieurs clans
transverses à l’entreprise, réseaux politiques, d’écoles, « écuries »).
La solution moderne à cette difficulté a consisté à multiplier les contre-pouvoirs. Chaque
dirigeant est tenu responsable de son action devant d’autres. En entreprise le PDG rend des
comptes à son conseil d’administration, les comptes de l’entreprise sont certifiés par un expert
comptable, les instances représentatives du personnel disposent de divers pouvoirs, etc. La
même logique s’applique dans les filiales et établissements. Les contrôles réciproques sont
censés limiter la concentration du pouvoir et ainsi renforcer la moralité de tous, grâce à la
vigilance partagée de chacun.
Les trois dimensions de l’équité abordées précédemment tendent à encadrer le pouvoir
discrétionnaire des dirigeants en posant des contraintes portant sur la répartition des charges
et rétributions, les procédures à respecter, la posture à adopter.
La division des pouvoirs et l’encadrement de son exercice discrétionnaire par les managers ne
peuvent pas suffire toutefois à assurer l’équité. L’excessive division comporte également ses
propres risques. Dans les organisations pilotées à distance en matriciel que nous avons
décrites dans l’étude 302 sur la régulation sociale ou l’étude Managers, non merci ! (mars 2011,
étude E&P n°297), nous observons souvent des situations dans lesquelles le pouvoir
discrétionnaire local des hiérarchiques est excessivement réduit, ce qui paradoxalement peut
conduire certains à adopter des pratiques répréhensibles pour obtenir ce qu’ils ne peuvent
plus négocier.
Dès lors qu’on abandonne le projet illusoire de réduire indéfiniment le pouvoir discrétionnaire
et l’idée que le pouvoir est le problème, reste une autre voie, préciser l’équité spécifiquement
attendue des hiérarchiques dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire.
Comme le notait Jean Fombonne41, « Un responsable, dans l’entreprise n’est pas là pour
administrer la justice ou jouer les pères La vertu, mais pour obtenir des résultats économiques
en faisant agir d’autres personnes. Il se trouve cependant qu’une efficacité ne peut être
maintenue durablement dans un climat démoralisant d’injustice. Lorsqu’un subordonné dit de
son chef qu’il est exigeant mais c’est juste un grand compliment ». Quels sont les éléments
cruciaux, non encore abordés, susceptibles de conduire à un tel jugement ?

 Etre au service de la réussite collective de son équipe


Le manager est d’abord le garant de la réussite de l’équipe qu’il pilote, c’est cet objectif qui
fonde sa légitimité à prendre des décisions, y compris difficiles. Cette légitimité sera perdue s’il
donne l’impression de ne pas contribuer au succès économique de la structure qu’il dirige, de
servir sa carrière, son pouvoir, son confort en priorité.
En quelque part, l’équité des décisions du dirigeant se lit donc aussi ex post dans le succès
qu’elles apportent. Un recrutement, une promotion, une sanction qui améliorent la situation
seront plus aisément perçus comme justes. Un échec sera suspecté d’être une faute.
Etre le garant de la réussite collective signifie que le responsable vise autant que possible à
construire un collectif soudé, voire harmonieux : il intervient lorsque pertinent ou sollicité
pour résoudre les conflits interpersonnels, il interdit les violences internes, favorise l’entraide.
A l’opposé, un manager qui « divise pour mieux régner », ne sera pas perçu comme équitable
dans ses actes, quand bien même il respecterait formellement les procédures, les critères

41
Fombonne, J. 1991, op. Cit, pp 36-37

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objectifs d’évaluation, une apparence de respect. Cela signifie aussi défendre ses subordonnés
(devant des clients, d’autres services), assumer, dans une certaine mesure, une logique féodale
de protection des vassaux en évitant d’entrer dans la logique de « cour », qui menace de
couper les dirigeants de la réalité du terrain.

 Faire respecter les règles du jeu


L’équité suppose surtout d’oser sanctionner les abus, fautes, manquements et trouver les
bonnes manières de le faire. Faire respecter les règles du jeu, ce n’est pas, ou pas seulement,
écarter sans guère réfléchir pour manque de résultats ceux dont il est aisé de se séparer, par
exemple un intérimaire. Un manager est surtout attendu pour sa capacité à maintenir vivantes
les règles qui valent pour les salariés permanents. Cela peut vouloir dire mettre fin à des
situations d’abus, retards, absences, qualité du travail, y compris lorsqu’elles sont installées de
longue date, par des acteurs disposant parfois d’un fort pouvoir de négociation. A trop se
centrer sur les sanctions abusives, qui sont souvent surtout des sanctions maladroites, on
oublie que le sentiment d’équité est également fortement affecté par l’absence de sanction.
L’absence de sanction est souvent une solution de confort pour le responsable d’une équipe.
Face à une personnalité difficile, ayant éventuellement appris à recourir à des arrêts maladies à
des moments opportuns, pris des contacts avec des syndicats, avocats ou bénéficiant d’un
statut de représentant du personnel ou encore proche d’un administrateur de l’entreprise, de
clients importants, il est tentant de ne rien faire. Avec pour conséquence un signal négatif
envoyé aux autres. Face à un collectif mobilisable, ayant de fortes capacités d’agir sur la
profitabilité de l’entreprise, éviter de « mettre le feu aux poudres » peut conduire à laisser se
généraliser des écarts divers.
Etre équitable comme responsable, c’est donc aussi affronter avec courage des situations
difficiles, et user pour cela de sens tactique, en anticipant et en s’ajustant rapidement aux
réactions (conflit social, désengagement, départs).

5. Interaction entre les dimensions


Viser l’équité en entreprise c’est donc viser à assurer :
- A chacun selon sa contribution
- L’égalité de traitement entre tous
- Une attention au développement des personnes
- Le développement de l’entreprise par la mise en application des règles du jeu
L’équité et son évolution en positif ou négatif peuvent être parfois évidents. Nos
diagnostics sociaux montrent fréquemment que les salariés savent dessiner un avant et un
après, marquant une dégradation ou une amélioration de la situation en la matière (apparition
ou fin de certains abus, de certaines inégalités criantes).
Dans certains cas, la situation est contrastée et les évolutions contradictoires. Il n’y
a pas de problème sur le fond des décisions, mais les procédures sont inappropriées ou leur
mise en œuvre inutilement vexatoire. Ou bien les procédures ont été clarifiées, mais il reste
un souci avec certains encadrants. Il est donc pertinent d’observer comment les différentes
dimensions de l’équité interagissent entre elles.
Les travaux du courant sur la justice organisationnelle (voir annexes) ont montré qu’il existe
une interaction entre l’équité de la distribution des résultats d’une part et l’équité procédurale
et relationnelle. Lorsque la rétribution est perçue comme injuste, a fortiori lorsqu’elle est
négative (sanction disciplinaire, licenciement), l’équité procédurale est fondamentale pour
l’acceptation de la décision. En son absence, on dénote significativement plus d’actes de
33
rétorsion (baisse de contribution, départs, grève, vols, sabotages). On observe une interaction
du même type avec l’équité relationnelle, la transparence dans la communication, le respect
porté à ceux qui sont appelés à quitter l’entreprise sont essentiels pour l’acceptation des
départs. Inversement lorsque les résultats d’une évaluation paraissent équilibrés ou à tout le
moins avantageux, l’absence de procédure ou le manque de dialogue sont tolérés.
D’autres travaux ont montré que, pour les salariés, la justice perçue des procédures
d’évaluation a plus d’influence que la justice perçue des rétributions42 sur l’appréciation du
responsable hiérarchique et sur le degré d’engagement au service de l’employeur.
L’équité est également un sujet parfois très controversé. Les différentes dimensions de
l’équité peuvent notamment entrer en conflit. Par exemple, les contraintes de procédures
existantes pour l’adoption de sanctions, peuvent être dénoncées comme étant la cause de la
non sanction de certains abus (retards, irrespect…). Certains hiérarchiques peuvent privilégier
l’application stricte de la même règle pour tous, là où d’autres privilégieront l’adoption
d’arrangements tenant compte des spécificités de chacun.

6. Périmètre d’application de l’équité


Quel est le périmètre sur lequel il convient de rechercher l’équité ?
La question se pose tout particulièrement en matière de justice distributive. Comme on l’a vu,
le sentiment d’équité en la matière est basé sur la perception que les rétributions relatives que
l’on reçoit sont en rapport avec sa propre contribution relative. La question de « à qui se
comparer » est donc tout aussi importante que la question de « sur quoi se comparer ».
De façon stratégique, chacun aura tendance à choisir des bases de comparaison favorables. Les
différents salariés pourront être tentés de démontrer qu’ils subissent un traitement
défavorable au regard de quelques exemples choisis à cet effet (telle et telle personne, mais
pas telle et telle autre, tel et tel emploi, mais pas tel et tel autre, l’interne mais pas l’externe ou
l’inverse), chacun estimant contribuer plus et recevoir moins. L’employeur pourra pointer de
la même façon d’autres comparaisons pour déduire qu’il n’y a pas lieu de procéder à des
augmentations. La comparaison contribution/rétribution peut également être opérée au nom
d’un groupe par son porte-parole. Les organisations représentatives de métiers ou professions
procèdent régulièrement ainsi (médecins spécialistes, généralistes, infirmières, mécaniciens,
électriciens…). Le choix des références de comparaison n’est pas qu’un choix stratégique, il a
aussi une dimension identitaire, se comparer à certains, c’est chercher à être reconnu comme
comparable.
Concrètement, au final, les attentes d’équité sont de moins en moins fortes à mesure que l’on
s’éloigne du collectif de travail et d’autant plus fortes que la coopération est nécessaire.
Chaque manager adoptant certains arrangements dans le cadre de son équipe, nos diagnostics
montrent que les tensions sociales naissent souvent de la révélation par les partenaires sociaux
de différences importantes dans les pratiques de différentes équipes de travail sur un même
site. Les mouvements ou procès liés à des comparaisons intersites sont désormais très rares.
Comme indiqué dans l’encadré juridique en annexe, l’égalité de traitement est exigée
légalement en France au sein d’un même employeur, sur le territoire français.
Ce cadre juridique est cohérent avec un marché du travail dominé en France par les grands
employeurs et marqué par une faible mobilité inter entreprises43. L’équité au sein d’un
employeur est le propre d’un pays comme la France qui valorise le marché interne de l’emploi,

42
Sur ces différents points, voir notamment Bagger J. , Cropanzano R., Ko, J., 2006 (op.cit.) pp 31 32, ainsi que Nadisic T., 2008 (op.cit)
43
En 2013, 31% des salariés français du privé travaillent dans des entreprises de plus de 5000 salariés, ce pourcentage est croissant. La
très grande majorité des salariés du public travaillent pour des grands employeurs (ministères, hôpitaux, grandes villes). 45 % des
salariés français ont plus de 10 ans d’ancienneté. L’ancienneté croît également, la mobilité inter entreprises diminuant constamment.

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à la différence de pays comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni dans lesquels les marchés
professionnels et le marché externe sont une référence plus forte.
On note toutefois une incertitude croissante autour de l’équité attendue sur le périmètre d’un
groupe d’entreprises. Légalement, l’entreprise, actionnaire majoritaire de filiales qui ont une
personnalité juridique, n’est pas l’employeur de leurs salariés et n’est donc pas tenue de veiller
à l’équité des pratiques entre ses différentes filiales. Concrètement, de nombreux salariés
poursuivent une carrière au sein d’un groupe, sont gérés par des instances de groupe, et
changent d’employeur et de convention collective sans forcément s’en rendre compte. Les
grands groupes croissent fortement par acquisition de filiales, ceci entraîne des tensions
spécifiques en matière d’équité. De surcroît, un groupe d’entreprises peut décider
unilatéralement du niveau de tarifications internes et choisir de s’écarter plus ou moins
durablement des niveaux de prix sur le marché externe. Il en résulte que le niveau de gains ou
de pertes d’une filiale (et donc de rémunération de ses parties prenantes) pourra être
influencé par cette décision sur les prix internes, tout autant que par l’efficacité collective de
cette entité. Nous avons eu l’occasion par exemple d’intervenir dans une société de transport
marquée par un conflit social dur. Ce conflit trouvait sa source notamment dans la perte
d’intéressement subie par tous les salariés à la suite d’un déménagement sur un nouveau site
plus moderne. Cette perte d’intéressement était sans rapport avec le niveau d’investissement
des salariés au travail et perçue comme liée fortement aux conditions de tarifications internes.

35
3. Mesurer pour agir
La première partie a montré l’importance de l’équité pour le développement durable de l’entreprise,
et son importance cruciale dans les entreprises françaises aujourd’hui : Confrontées à une crise
durable, à une perte de confiance de la grande majorité des salariés dans l’équité du partage des
efforts et des gains, à une inflation réglementaire constante, à une défiance croissante envers les
dirigeants, à une difficulté partagée à tous les niveaux à se faire confiance pour négocier en face à face
des solutions équitables, interpellées à l’occasion de multiples affaires, comment pourraient-elles
redresser la barre sans s’attacher à démontrer l’équité de leurs pratiques de management ?
La seconde partie a permis de repérer quatre aspects sur lesquels travailler pour améliorer l’équité
dans une communauté de travail : une rétribution à proportion du mérite, des procédures de
décision claires, équilibrées, uniformes, l’attention au développement de chacun dans son contexte,
des dirigeants à la fois pilotes et arbitres. Chacune de ces dimensions peut être complexe à réaliser,
ces dimensions sont également souvent en tension et les débats sur le périmètre pertinent de
l’équité sont également nombreux. Etre au clair sur les dimensions et conditions de l’équité permet
déjà d’améliorer l’argumentation des décisions prises, ce qui est en soi un progrès. Mais ce progrès
souhaitable en matière d’équité est-il mesurable ?
Cette troisième partie fait précisément le bilan des pratiques de mesure de l’équité et propose une
méthode globale originale pour mesurer et mettre en débat le sentiment d’équité. Dans la lignée des
travaux engagés au sein d’Entreprise&Personnel autour de la performance sociale, il s’agit d’intégrer
des mesures relatives aux comportements (contributions, rétributions, mise en œuvre des
procédures, impacts sur la conflictualité juridique et sociale, l’accidentologie, l’absentéisme…), et des
mesures sur les perceptions des salariés sur les différentes dimensions de l’équité, et plus largement
sur les différentes composantes de la relation d’emploi.
Mesurer, pour l’améliorer, l’équité de ses pratiques d’employeur suppose de :
0. Porter attention aux « affaires », aux sujets qui mobilisent le plus l’attention de l’opinion, du
législateur et des juges en matière d’équité (cf. partie 1)
1. Mesurer les inégalités de rétribution et de contribution
2. Evaluer le caractère équitable des procédures d’évaluation et de leur mise en œuvre
3. Interroger les salariés, dirigeants, syndicats et managers sur leur perception de l’équité au sein
de l’entreprise.

1. Mesurer les inégalités de rétribution et de contribution


Pour avancer vers davantage d’équité au travail, il importe de mesurer les inégalités de revenu
et de contribution, de mettre en discussion leur légitimité et de prendre des actions pour
corriger les situations perçues comme illégitimes. Dès lors que l’on aborde le sujet de la
rémunération, la situation est évidemment très sensible, mais aussi plus signifiante pour tous
les acteurs.

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 Les obligations de reporting actuelles
La présentation du Rapport annuel sur la situation économique et les perspectives de
l'entreprise et les négociations annuelles obligatoires sont l’occasion de discuter de l’évolution
relative des profits, de l’emploi et des salaires.
Les entreprises françaises de plus de 300 salariés ont également l’obligation de communiquer
dans le bilan social, l’évolution du ratio D9/D1 des rémunérations du décile le plus élevé au
décile le plus faible ou de la rémunération moyenne des cadres à celle des ouvriers, ainsi que le
montant global des 10 rémunérations les plus élevées.
La présentation du plan de formation et les éléments repris dans le bilan social, permettent
d’observer les inégalités dans le recours à la formation selon les catégories d’emploi et le sexe.
Le rapport de situation comparée impose de regarder par catégorie professionnelle la
rémunération, l’ancienneté, l’âge, le recours au temps partiel, le type de contrat (CDD/CDI)
selon le sexe et donc de repérer des inégalités éventuellement injustifiées.
Les obligations de reporting concernant l’équité sont nombreuses et pas forcément
ordonnées. Elles ne sont pas non plus exhaustives, notamment parce qu’elles mesurent très
peu les contributions.

 Les indicateurs d’inégalité pertinents


Les indicateurs à suivre sont à déterminer en fonction de l’acuité des controverses et des
choix de l’entreprise. De façon standard, les indicateurs suivants peuvent être proposés :
 Evolution dans le temps de la répartition de la valeur ajoutée (salaire moyen, emploi,
investissements, résultat d’exploitation),
 Eventail des salaires : rémunération des dirigeants au regard du salaire moyen, ratio D9/D1
et/ou coefficient de Gini, critères de hiérarchisation des salaires
 Hiérarchie des emplois et attribution des emplois :
- Ratio des rémunérations femmes/hommes, répartition des effectifs hommes/femmes
selon le type et le niveau d’emploi, notamment dans l’équipe dirigeante et les instances
de gouvernance,
- Ecarts de rémunération à fonction équivalente ou profil équivalent : variations de la
rétribution sur un même emploi, selon l’âge, le lieu, l’ancienneté, le diplôme, le niveau de
performance,
- Ecarts d’évolution de revenus à date d’embauche et diplôme équivalent, selon le sexe,
l’ancienneté, l’historique des évaluations de performance.
 Distribution du variable et des augmentations annuelles et distribution de l’atteinte des
objectifs ou des évaluations du bilan de l’année dans le cadre des entretiens annuels,
 Inégalités dans l’accès à la formation.

 Les bonnes pratiques fréquentes


En s’appuyant sur les données de reporting obligatoire et souvent sur des données
complémentaires choisies, les entreprises se donnent souvent des objectifs de façon unilatérale
sur certains indicateurs, voire engagent des négociations avec leurs partenaires sociaux.
Les sujets de la répartition de la valeur ajoutée et de l’éventail des rémunérations resteront
logiquement toujours très controversés, il sera donc difficile de déterminer un objectif
consensuel. Les accords de compétitivité démontrent toutefois la possibilité d’accords sociaux
portant sur les salaires, l’emploi et l’investissement, à partir de constats partagés notamment
sur la dégradation des marges et les contraintes de compétitivité.

37
En dehors des entreprises publiques qui y sont contraintes, quelques entreprises se sont
dotées d’un salaire maximum, souvent sous la forme d’un ratio entre le salaire du dirigeant et
le salaire moyen ou minimum. Le distributeur anglais John Lewis s’est doté d’un ratio de 75 fois
le salaire minimal par exemple, il est de plus de 1000 chez Nike selon le classement de
Bloomberg44.
Sur le plan de l’équité des augmentations et du variable, de nombreuses entreprises articulent
une instance de discussion et d’évaluation annuelle (l’entretien annuel), un archivage de cette
évaluation dans un dossier personnel et des comités d’évaluation orientant les décisions en
matière de rémunération, de formation et d’affectation. Les modalités de fonctionnement et
d’interaction entre ces trois éléments sont très variables. Le point essentiel est que les
évaluations hiérarchiques successives (souvent fondées sur des éléments objectifs également
tracés) permettent d’appuyer les décisions en matière d’évolution de la rémunération45, tandis
que les intercomparaisons permettent de discuter des biais d’évaluation propres à certains
hiérarchiques. Le suivi est souvent renforcé pour les dirigeants et salariés identifiés à potentiel.
Le sujet en matière d’équité qui fait le plus consensus est la recherche d’égalité professionnelle
entre les hommes et les femmes. Les entreprises adoptent divers objectifs : féminisation
progressive des instances dirigeantes, féminisation du recrutement, réduction des écarts
salariaux par métier, réduction des écarts dans les vitesses de promotions… Les écarts de
rémunération à fonction équivalente ou de vitesse de progression à profil équivalent font
d’ailleurs rarement l’objet de mesures et d’objectifs en dehors de ce sujet de l’égalité homme-
femme, alors que ce type de mesure pourrait être utilisé pour mesurer et démontrer la
capacité de l’entreprise à reconnaître le mérite.

2. Evaluer l’équité des procédures de GRH


Les grandes entreprises communiquent de plus en plus en direction du grand public sur le
contenu de leurs politiques RH, par exemple sur leur site internet ou dans le rapport annuel.
Elles indiquent par exemple la procédure de fixation de rémunération des dirigeants, sa
conformité au code de déontologie applicable46, présentent leurs programmes de détection du
potentiel, programmes de formations qualifiantes, la diffusion de leur charte de management
éthique, le niveau de sensibilisation à la discrimination et au respect des droits de l’homme, la
réalisation des entretiens annuels.
Il s’agit là d’un effort de clarification vis-à-vis des salariés, des managers et RH et des candidats
potentiels, qui vient contrebalancer pour partie la diversité fréquemment croissante des règles
RH applicables au sein d’un groupe, de la multitude de filiales, secteurs d’activités, sites,
conventions collectives.
L’évaluation du caractère équitable de règles de GRH en place sera plus pertinente au niveau
d’un employeur unique (une filiale) lorsque les règles sont les mêmes.

44
http://go.bloomberg.com/multimedia/ceo-pay-ratio/
45
Les pratiques de distribution forcée du variable ou des augmentations ont été condamnées en France. Rien n’interdit néanmoins de
distribuer les salariés en plusieurs classes selon leur niveau de contribution estimée.
46
Par exemple un rapport de développement durable mentionne l’existence de comités de rémunération et de nomination composés
d’administrateurs indépendants et précise que « le Conseil fonctionne selon les principes du gouvernement d’entreprise en vigueur en
France, tels que présentés dans le code de gouvernement d’entreprise AFEP-MEDEF. Régulièrement, le Conseil d’administration est
amené à débattre de sa gouvernance et à la faire évoluer. Au cours de l’exercice 2012, le Conseil d’administration a fait procéder à une
évaluation de son fonctionnement par un cabinet indépendant. D'une manière générale, le fonctionnement opérationnel du Conseil et
de ses Comités s'est amélioré depuis la dernière évaluation réalisée par un cabinet indépendant en 2010 et les auto-évaluations
réalisées en 2011et 2012 »

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 Vérifier l’absence de biais
Mais comment évaluer objectivement le caractère plus ou moins équitable d’une procédure de
GRH ? Selon quel référentiel ? A quel tiers éventuel recourir ?
Il existe déjà de fait des tiers externes proposant chacun un référentiel d’évaluation. Le ranking
Great Place to work propose un regard sur les procédures, dont un des aspects est l’équité des
pratiques RH. Le label diversité proposé par l’Afnor intègre explicitement un regard sur
l’équité des règles et pratiques de GRH. Il se limite toutefois à son volet absence de
discriminations.
L’obtention du label diversité suppose d’engager un travail d’analyse de ses pratiques de
recrutement externe, d’accueil et d’intégration, de gestion des carrières et de formation, en
vue de réduire les biais conduisant à des formes de discrimination directe et indirecte. Par
exemple sur le recrutement47, il s’agira de :
- porter un regard sur les canaux de recherche de candidats (privilégier les offres aux
candidatures spontanées),
- s’assurer que des critères de sélection non discriminants ont été formalisés pour les
différents emplois, avec notamment l’absence de mention discriminatoire (âge, sexe, fourchette
expérience, fonctions à caractère sexué, situation de famille), que ces critères sont
communiqués aux éventuels prestataires, repris dans les annonces et les supports d’appui à la
sélection,
- procéder à un suivi quantitatif et qualitatif des candidatures reçues,
- s’assurer que le processus de recrutement est bien communiqué aux candidats et que les
refus apportés à des candidatures sont signifiés par une réponse.
Les agences de notation sociale portent également un regard sur certaines pratiques internes,
notamment en fonction des affaires/alertes soulevées par les partenaires sociaux ou la presse.
Elles ont toutefois peu de moyens d’enquête et agissent plus comme des incitations au progrès
que comme des appuis pour identifier comment améliorer les pratiques internes.

 Mesurer la mise en œuvre des procédures de GRH


Le plus souvent les entreprises se dotent également d’indicateurs qui mesurent le niveau de
déploiement d’une procédure de GRH jugée a priori équitable, par exemple :
- % des salariés ayant eu un entretien annuel,
- % d’embauchés récents ayant un tuteur,
- % de managers formés à la charte du management, évalués via un 360°,
- % des recruteurs sensibilisés aux risques de pratiques discriminatoires,
- % des sites ayant déployé la politique de lutte contre la discrimination / label diversité,
- % des postes pourvus en interne après publication dans la bourse d’emploi.
Le fait que 90 % des managers et salariés déclarent avoir eu un entretien d’évaluation annuel,
ne garantit pas que tous ces entretiens ont eu effectivement lieu et encore moins qu’ils se sont
déroulés d’une manière appropriée et perçue comme équitable par les parties. Cela indique
néanmoins un fonctionnement a priori plus encadré (appuyé sur des éléments objectifs tout en
permettant la discussion) qu’un fonctionnement sans aucun entretien de ce type. De même
certains postes publiés sont peut-être déjà « fléchés », mais la publication sur une bourse
d’emploi permet au moins de repérer de nouveaux candidats.

47
Voir aussi EP Pratiques E&P n°14
39
3. Mesurer le sentiment d’équité
La pratique consistant à interroger les salariés d’une entreprise par questionnaire a désormais
une longue histoire48. Ces enquêtes ont souvent permis à la DRH d’objectiver et renforcer
son expertise sur le fonctionnement social interne, en complétant les remontées hiérarchiques
et syndicales caractérisées par des filtres et biais importants. La DRH renforce ainsi sa capacité
d’appui à la conduite du changement. Les résultats d’enquête, présentés et débattus avec les
partenaires sociaux et les managers, permettent d’élaborer des plans d’action constructifs.
Progressivement à partir des années 2000, les enquêtes auprès des salariés semblent avoir
perdu cette capacité à objectiver la situation sociale et à renforcer la DRH dans ses rôles.
D’une enquête de référence conduite par la fonction RH autour d’un questionnaire pensé en
fonction des enjeux de l’entreprise, on est souvent passé à une multitude d’enquêtes,
conduites sur des thèmes variés, par des acteurs différents, sur la base de questionnaires
standards. Ces enquêtes nourrissent ce faisant la controverse, chaque acteur produisant son
enquête, son modèle, ses chiffres.
Nous proposons de faire le point sur trois types d’enquête fréquemment déployées : les
enquêtes d’engagement, les enquêtes RPS, les enquêtes sur les discriminations. Ces enquêtes,
très différentes dans leurs modalités, leur contenu, ont en commun d’adopter à chaque fois un
parti pris (pro employeur, pro salarié, pro « discriminés »), sans jamais aborder de front les
enjeux d’équité, pourtant centraux.
Les enquêtes engagement conduites fréquemment sous l’égide de la direction générale ou de la
direction de la communication vont rechercher l’engagement maximum au service de
l’entreprise. Les enquêtes sur les risques psychosociaux, commanditées fréquemment par les
CHSCT vont chercher à améliorer la qualité de vie au travail en réduisant au minimum les
situations de stress et de non reconnaissance. Est-il pertinent de séparer ces deux sujets ?
Engagement et QVT peuvent-ils être obtenus indépendamment l’un de l’autre ? Ne s’agit-il pas
également de contreparties à équilibrer dans le cadre d’une relation salariale équitable ?
Peut-on se contenter de chercher à éliminer les formes de discrimination les plus flagrantes
sans s’interroger sur ce que seraient les critères d’une décision équitable ?
L’objectif étant l’établissement d’un outil de mesure du sentiment d’équité des salariés, cette
sous-partie entre dans le détail du fonctionnement des enquêtes existantes auprès des salariés,
contenu, modalités de conduite, forme des questions. Les lecteurs moins intéressés par cette
partie technique peuvent se limiter à la lecture du tableau de synthèse ci-dessous que nous
commentons dans les pages restantes de cette étude.

48
Pour une perspective historique, Etude E&P, (2005), R. Baïetto et E. Frank, L’observation sociale en entreprise Toujours d’actualité ?

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Engagement RPS Discrimination Equité

Finalité(s) Augmenter Réduire les risques Réduire les Multiples à prioriser


l’engagement dans d’atteinte à la santé discriminations en local :
l’entreprise engagement, santé,
équité, compétence,
coopération

Commanditaires Direction générale, CHSCT, Service de Diversité DRH


santé

Cible interrogée Ensemble des Ensemble des Sondage des Ensemble des
salariés salariés, patients salariés salariés,
Comité de direction
Elus
Managers

Place de l’équité Levier Levier En creux Une des finalités

Dimensions de Distributive, Distributive, Distributive Les quatre


l’équité interpersonnelle interpersonnelle,

Formulation des Positive Alternant positif et Négative Alternant positif et


questions négatif négatif

Impact sur les Mobilisés et évalués Difficultés avec Peu concernés Renforcer les marges
managers individuellement double contrainte de manœuvre
Evaluer la
performance sociale
collective

 Les limites des enquêtes engagement


Nombre d’entreprises ont adopté des enquêtes types dites « d’engagement ». Ce type
d’enquête est fréquemment déployé au niveau de l’ensemble d’un groupe, dans ses différentes
filiales et implantations, afin d’assurer une forme de pilotage par la tête de groupe.
A la différence des enquêtes générales de climat social pilotées antérieurement ou
parallèlement par les DRH, ces enquêtes visent en priorité la direction générale et le
management dans une optique de mobilisation du management et de conduite du changement.
L’interrogation porte en général sur la totalité des salariés49 et non sur un échantillon
représentatif dans une optique de connaissance du fonctionnement social.
Ces enquêtes prévoient une restitution sur les différents périmètres managériaux, chaque
manager étant invité à restituer les résultats et à conduire un plan d’action. Ces enquêtes sont
ainsi « engageantes » pour le management dans leurs modalités de mise en œuvre tout autant
que dans leur objet. Cette pratique de restitution à un niveau managérial fin est d’ailleurs
fréquemment critiquée, tout particulièrement lorsqu’elle est associée à l’évaluation individuelle
des managers. Elle peut constituer une forme de notation des hiérarchiques par les salariés
susceptibles de faire l’objet de différentes stratégies déviantes, elle est susceptible notamment
de mettre en difficulté certains managers de façon contreproductive…
Quelles que soient les variations liées au prestataire retenu (Hewitt, Hay, Towers Watson,
Ipsos...), le point commun de ces questionnaires est de construire un indicateur synthétique
« d’engagement » à partir des réponses à une demi-douzaine de questions clés. Comme
indiqué dans l’étude d’Aine O’Donnell50, il s’agit le plus souvent de mesurer l’engagement au

49
Pour des raisons de coût, l’interrogation est parfois limitée à une partie des salariés. Par exemple, dans une entreprise il y a
interrogation biannuelle d’un tiers des salariés, avec rotation du tiers interrogé, entre deux interrogations des salariés, il y a
interrogation sur les seuls managers. Certaines entreprises se limitent à l’interrogation des managers.
50
O’Donnell., A, Pratiques managériales et engagement des salariés, Etude EP n°290, p 5-6
41
service de l’entreprise, plus que d’engagement dans le travail. Les questions portent dans la
plupart des questionnaires sur l’adhésion aux buts de l’organisation, la volonté d’engager des
efforts à son service et l’intention de rester dans ses effectifs. La moyenne pondérée des
réponses aux questions permettant de déterminer un niveau « d’engagement » durable au
service de l’entreprise. Certains prestataires proposent désormais d’inclure des questions
portant sur l’engagement dans le travail et de suivre les deux formes d’engagement : dans
l’entreprise, dans le travail.
Quelle que soit sa définition exacte, cet « engagement » est en tout cas ce qui est à améliorer.
Le processus d’enquête doit permettre d’engager toujours davantage les salariés au service de
l’entreprise. Pour cela, ces enquêtes comportent systématiquement la comparaison à des
résultats d’autres entreprises, parfois par secteur d’activité ou par taille, afin de repérer des
marges potentielles de progression, ainsi qu’une analyse statistique visant à déterminer quelles
sont les questions les plus caractéristiques des salariés engagés sur le périmètre considéré et
donc les leviers probablement les plus efficaces pour améliorer l’engagement.
Pour procéder à cette analyse, des leviers : les questionnaires engagement comportent des
questions sur différents aspects de la vie de l’entreprise. Ces questions (entre 25 et 80 suivant
les entreprises) portent sur la stratégie, le management, la RSE, la rétribution, la relation client,
la rétribution, les conditions de travail.
Parmi ces questions, certaines sont relatives à l’équité perçue de la rétribution (ex. « Je
considère que mon salaire correspond à ma contribution ») ou à l’équité relationnelle du
hiérarchique « Mon responsable hiérarchique reconnaît les contributions de chacun et les
réussites des membres de son équipe ». Dans les entreprises que nous avons accompagnées
ou fait témoigner dans des clubs ou journées d’étude, les items relatifs à l’équité perçue de la
rétribution sont d’ailleurs fréquemment parmi les principaux leviers d’engagement et les items
relatifs aux relations hiérarchiques parmi les principaux leviers de désengagement.
Dans leurs rapports de restitution, les enquêtes incitent dirigeants et managers à adopter des
actions en priorité vers ce qui est susceptible d’améliorer le niveau d’engagement.
Concrètement elles suggèrent d’agir afin d’améliorer le niveau d’approbation sur des
affirmations les plus corrélées avec l’engagement. L’équité, la qualité de vie au travail, ne sont
prises en compte qu’en tant que leviers d’engagement et non pour elles-mêmes ou pour leur
impact sur la santé ou le développement des compétences des salariés.
Or si l’on peut concevoir que pour la direction générale, l’engagement des salariés soit la
priorité, du point de vue des salariés ou des syndicats, ces thèmes peuvent tout à fait être une
priorité, qu’ils soient ou non corrélés à leur engagement.
Les enquêtes engagement présentent de fait souvent le défaut d’être focalisées sur ce qui
intéresse la direction générale. Ceci est perceptible dans l’objet des questions souvent
centrées sur des aspects de stratégie, RSE, plus que sur le travail quotidien. Ces enquêtes se
présentent également sous la forme d’une liste d’affirmations normatives rédigées de façon
positive, de telle sorte qu’une personne qui se dirait tout à fait d’accord avec toutes les
affirmations déclarerait vivre dans une entreprise idéale. Réduisant la réticence des managers à
communiquer les résultats, ce choix de formulation entraîne aussi le risque d’une moindre
implication des salariés dans leurs réponses et de plans d’actions inadaptés à leurs attentes.

— Les limites des enquêtes de mesure des risques psycho sociaux


Parallèlement et souvent dans les mêmes entreprises, on a vu se développer le recours aux
enquêtes de mesure des risques d’origine psycho-sociale. Leur objet est de réduire l’exposition
à ces risques et de prévenir les atteintes à la santé physique et psychologique des salariés qui
en résultent.
La priorité est donc donnée à la santé des salariés et dans une optique de protection. Les
salariés sont appréhendés comme étant des victimes potentielles de risques auxquels ils sont

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exposés, plus que comme des acteurs de leur propre santé, ou a fortiori du succès de
l’entreprise pour laquelle ils travaillent.
La méthode d’interrogation est variable. Dans certains cas un questionnaire est adressé par le
médecin à l’occasion de la visite médicale régulière, ce qui permet l’édition de statistiques
régulières. Dans d’autres, il s’agit d’enquêtes auprès de l’ensemble des salariés. Les
demandeurs sont souvent les représentants du personnel et notamment le CHSCT. Le
périmètre est donc souvent plus restreint : France, ou établissement par établissement.
Certaines entreprises ont préféré encourager une démarche conjointe direction/partenaires
sociaux avec des groupes d’analyse de situation de travail davantage participatifs.
La plupart des enquêtes RPS s’appuient sur des travaux de recherche51 et notamment deux
questionnaires aux liens largement validés avec la santé :
 Le modèle exigences/maîtrise/soutien (ou Job content questionnaire) de Robert Karasek,
Professeur à l’Université du Massachusetts Lowell, la version courte comporte 26
questions,
 le modèle du déséquilibre effort/récompense (Effort/reward Imbalance) proposé par
Johannes Siegrist, Professeur de sociologie médicale à la Faculté de médecine de l'Université
de Düsseldorf ; la version courte comporte 23 questions.
Le modèle de Karasek différencie des populations selon le niveau d’exigences de leur travail, le
degré de maîtrise qu’elles ont sur sa réalisation et le soutien qu’elles reçoivent de
l’environnement. Le stress est prévu à son maximum dès lors que se cumulent exigences
fortes, autonomie et soutien faibles. Ce modèle découle directement de la définition même du
stress, c'est-à-dire ce qui est ressenti lorsque qu’un déséquilibre est perçu entre ce qui est
exigé de la personne et les ressources dont elle dispose pour répondre à ces exigences. Le
questionnement vise à repérer les catégories d’emplois (et populations) exposées à un fort
niveau de risque (celles qui font face aux situations de travail les plus exigeantes, avec moins
d’autonomie et de soutien) pour agir prioritairement sur elles.
Le modèle de Siegrist interroge lui la perception du niveau d’effort et du niveau de
récompense. Le déséquilibre entre les efforts réalisés et la reconnaissance reçue pour cet
effort est également créateur de stress. L’idée est qu’une personne qui ne parvient pas à
obtenir de la reconnaissance malgré tous ses efforts vit une situation de stress. Le modèle est
également prédictif de divers atteintes à la santé physique et mentale.
En complément de ces deux questionnaires, on trouve souvent également des questions
relatives à l’exposition à des situations de violences physiques ou psychologiques, à la
confrontation à des situations de souffrance éthique, portant sur la santé perçue.
Ces enquêtes intègrent également plusieurs questions relatives à l’équité au travail. La partie
« soutien social » du Karasek comporte des questions proches des dimensions équité
relationnelle et managériale (Mon supérieur réussit facilement à faire collaborer ses subordonnés,
mon supérieur prête attention à ce que je dis). Le Siegrist intègre directement des préoccupations
de justice distributive (Vu tous mes efforts, je reçois le respect et l’estime que je mérite à mon
travail, on me traite injustement à mon travail). Les questions relatives aux violences subies sont
également pertinentes en termes d’équité (dimension relationnelle et managériale du respect
des personnes). Toutefois, dans ces enquêtes RPS, l’équité n’est évoquée qu’au regard de son
impact sur la santé, impact d’ailleurs très sensible52, elle n’est pas prise en compte pour elle-
même ou pour son impact sur l’engagement, la coopération.

51
Le collège d’expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux a rendu en 2011 un rapport qui continue à faire référence
http://www.college-risquespsychosociaux-travail.fr/rapport-final,fr,8,59.cfm
52
Le rapport du collège d’expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux (op.cit) recommande d’ailleurs d’intégrer les travaux
issus du courant de la justice organisationnelle, et notamment ses dimensions de justice procédurale et relationnelle en complément de
la justice distributive déjà présente dans le Siegrist, en soulignant l’impact sur la santé et notamment les risques de décès par maladie
cardio-vasculaire.
43
D’une façon plus générale, les enquêtes RPS sont beaucoup plus centrées sur le quotidien du
travail que les enquêtes d’engagement. Les questions y sont parfois descriptives (sans
« bonne » réponse, ex. Mon travail exige de longues périodes de concentration ou de répondre
rapidement à de fréquentes sollicitations). Les affirmations alternent tonalité positive et négative.
Par exemple : Vu tous mes efforts, je reçois le respect et l’estime que je mérite à mon travail (ERI15)
mais aussi On me traite injustement à mon travail (ERI10). Ceci améliore l’implication des
répondants dans leurs réponses et la crédibilité des enquêtes. En revanche les enquêtes RPS
minorent d’autres sujets. La réputation de l’entreprise, la clarté de la stratégie, la motivation
n’ayant pas été identifiées comme ayant un impact majeur sur la santé ne sont guère abordées,
alors qu’il s’agit de notions très importantes pour le succès de l’entreprise. La tonalité de
certains questionnaires rédigés par des prestataires en forte proximité avec des centrales
syndicales conduit les entreprises à moins utiliser et communiquer sur les résultats.

COORDONNER LES ENQUETES MOBILISANT LES MANAGERS ET SALARIES

D’une entreprise à l’autre, la coordination entre différentes enquêtes est inégale.


Parfois elle semble absente. Les enquêtes se succèdent alors, engagement, RPS, mais
aussi diversité, sans oublier parfois sécurité ou qualité. Managers et salariés doivent alors
répondre plusieurs fois. Ils sont également censés élaborer un plan d’action à la suite de
chaque démarche. Les managers sont alors interpellés par les différents pilotes de ces
démarches d’enquête au niveau de l’entreprise, qui ne partagent pas forcément entre
eux. Dans ces cas, la non coordination manifeste à la fois l’acrimonie des relations
sociales (direction et syndicats mobilisant chacun leur enquête), mais aussi le manque
d’articulation entre les différents pilotes de processus au niveau de l’entreprise, résultant
en une augmentation des contraintes pour les managers opérationnels. Ces situations
s’accompagnent fréquemment d’un manque de pilote et de constitution d’expertise
interne, les enquêtes successives redécouvrant des éléments déjà connus.
Dans d’autres cas, une enquête s’est imposée comme la référence majeure de
l’entreprise, suivie par la direction générale, objet de plans de communication et d’action
vers les salariés. Ses résultats sont partagés entre plusieurs services de la fonction RH
(santé sécurité, diversité, formation). Elle est par ailleurs parfois complétée localement
ou sur un thème, mais en connaissance de cause. Un pilote national assure le partage des
données, l’animation de la communication et des plans d’action.
Une troisième situation caractérise certaines grandes entreprises dans lesquelles il y a
une clarification du portefeuille d’enquête, avec une différenciation des rythmes, ex.
engagement tous les deux ans, RPS tous les 4 ans, et une veille par sondage tous les 6
mois. Différents acteurs pilotent chacun leur dispositif, mais l’architecture d’ensemble
est pensée par la DRH et validée par la DG de façon à être comprise par les
opérationnels.

 Les enquêtes portant sur les discriminations / la diversité


Les enquêtes portant sur la perception de l’existence de discrimination tendent également à se
généraliser. Les entreprises engagées dans le label diversité (lancé en 2008) sont incitées à
procéder à un diagnostic initial et à une mesure régulière, notamment de « la satisfaction de
son personnel en matière de diversité ». Il n’existe pas dans les entreprises d’enquête interne
référence en matière de discrimination/diversité. Certaines entreprises conduisent des
enquêtes spécifiques par sondage, d’autres intègrent quelques questions dans une enquête
existante, en général en interrogeant sur l’existence perçue de discriminations illégales.
En France, elles peuvent se référer à deux baromètres nationaux qui ont l’avantage de fournir
une forme de référentiel de comparaison. Le baromètre du défenseur des droits est publié

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chaque année depuis 2008. Le MEDEF publie depuis 2012 son baromètre de la perception de
l’égalité des chances53.
Le baromètre du défenseur des droits est centré sur les critères légaux de discrimination
illégale. Une des questions posées est : « De manière générale, à compétences égales : Etre
âgé(e) de plus de 55 ans, Etre une femme enceinte, Etre une personne obèse, Etre une
personne handicapée, Etre d’origine étrangère ou de nationalité étrangère, c’est selon vous
plutôt un avantage, plutôt un inconvénient ou ni l’un ni l’autre pour être embauché ? » ;
suivent des items relatifs aux critères illégaux. Les autres questions portent sur le fait d’avoir
été victime de discrimination ou de harcèlement discriminatoire, d’anticiper pouvoir l’être un
jour, d’avoir été témoin de discrimination, le moment de la discrimination (travail quotidien,
évolution de carrière…), le critère de discrimination concerné (sexe, apparence physique,
grossesse, origine ethnique…), l’origine des discriminations subies (supérieur hiérarchique,
collègues…) et la réaction adoptée (ne rien faire, en parler à son hiérarchique, à un RH, à un
responsable syndical).
Le baromètre du MEDEF a choisi d’élargir les critères étudiés, en incluant notamment le
diplôme, qui n’est pas un critère de discrimination illégale. Le diplôme arrive d’ailleurs en
deuxième situation comme critère sur lequel les personnes anticipent de pouvoir un jour être
discriminées, après l’âge (tout le monde vieillit) et le genre. Le diplôme est un critère
intéressant dans la mesure où si les grandes entreprises font mieux sur tous les critères de
discrimination officiels, ce sont les salariés des grandes entreprises qui disent le plus souvent
qu’ « une personne avec pas ou peu de diplômes et pourtant de très bonnes compétences… »
aura des difficultés à se faire embaucher, à être mise en contact avec la clientèle ou à accéder à
des postes à responsabilité.
S’il est important d’interroger le sentiment des salariés sur la prévalence des pratiques
discriminatoires en entreprise, l’inconvénient de l’entrée par les discriminations/la diversité est
son caractère « en creux ». Ces enquêtes visent à mesurer le recours à des critères
« interdits » en vue de réduire ce recours, et non à mesurer le recours aux critères qui
seraient pertinents ou à interroger la perception du fonctionnement des instances dans
lesquelles sont prises de toute façon des décisions distinguant les personnes (variable,
augmentation, recrutement interne et externe).

 La démarche d’E&P pour mesurer le sentiment d’équité


Entreprise&Personnel a toujours privilégié une approche systémique de la gestion des
ressources humaines, intégrant les différentes expertises (rémunération, sociologie, droit,
GPEC, organisation du travail, diversité) au service du développement économique et social
d’une entreprise donnée, compte tenu de son histoire et de son contexte.
Au tournant des années 90, cette orientation avait conduit à la mise en forme d’une enquête
type « Energie Humaine = Management, Culture, Communication », en prise avec notre
conception d’alors de la régulation sociale. Cette enquête a été déployée dans de nombreuses
grandes entreprises. Tout en maintenant sa volonté d’une approche globale, au cours des
années 2000, Entreprise&Personnel a surtout accompagné des Directions de ressources
humaines désireuses de conduire une enquête de climat social sur mesure, au contenu élaboré
de manière participative. Les différents questionnaires ainsi conçus ont permis
progressivement, conjointement à la réflexion engagée autour de l’évolution de la régulation
sociale, à la formalisation d’un modèle d’enquête plus général.

http://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/upload/ifop-ddd-oit-7eme-barometre-discriminations-travail.pdf
53

http://www.medef-rh.fr/Barometre-national-de-perception-de-l-egalite-des-chances-Resultats-de-l-edition-2013-LH2-pour-le-
Medef_a329.html
45
— L’équité au cœur d’une performance sociale plurielle perçue
Ce modèle d’enquête54 prend acte de l’évolution qui conduit la DRH à se présenter comme
garante de la performance sociale, tout comme la direction financière s’assure de la
performance financière de l’entreprise. Cette performance sociale est à la fois un souhait de la
direction de l’entreprise et une exigence de ses parties prenantes. Les pouvoirs publics
notamment lui imposent désormais des obligations de résultats (et non uniquement de respect
de la loi) : santé, employabilité. Les partenaires sociaux sont également vigilants sur ces points.
Les candidats sont attentifs à la marque employeur.
Or si la performance financière est une performance unifiée (au sens de l’étude 31555) : la
performance sociale est une performance plurielle. Il s’agit d’être performant dans des
dimensions non commensurables. Nous en avons proposé, dans l’étude 302 déjà citée, une
liste de cinq :
 Engagement,
 Employabilité/capacités,
 Equité du management
 Coopération
 Santé
Au sein de la performance sociale, l’équité occupe une place particulière. Elle est un sujet
important en soi, qui a un impact sur chacun des autres. L’équité est aussi et surtout ce point
d’équilibre entre ce que l’entreprise demande, de l’engagement, des compétences, de la
coopération, et ce qu’elle offre, de la rétribution, du développement des compétences, des
conditions de travail.
Le modèle de questionnement proposé par E&P (et qui a été testé dans des univers de très
grandes entreprises internationales comme dans celui de PME, voir encadré page suivante)
utilise ces 5 dimensions en se refusant à toute hiérarchisation a priori. C’est autour des
résultats que dirigeants et managers sont invités à définir ce qu’ils souhaitent améliorer en
priorité (l’engagement, la santé, l’équité...). Dans ce modèle, la performance sociale est
assimilable à un volume à 5 dimensions ou à un radar sur une surface.
Le questionnaire alterne des questions à formulation positive et négative. Sa taille de référence
se situe à 50 questions (10 par dimension), mais peut varier de 25 à 65, de manière
participative avec les entreprises. Le poids relatif donné à chaque dimension reflète notamment
les priorités de l’entreprise. Des analyses statistiques permettent d’identifier pour chaque
thème, les questions les plus corrélées et donc les actions potentiellement les plus
contributives. Elles permettent également de repérer les questions les plus corrélées à
l’amélioration de la performance sociale dans son ensemble.

— Les questions du volet équité


Les questions du volet « équité du management » sont validées avec chaque entreprise, dans
leur objet, leur nombre, leur formulation. Nous posons simplement quelques contraintes :
alternance de questions positives et négatives, interrogation sur les différentes dimensions de
l’équité, nombre limité de questions.

54
Peu de prestataires proposent des enquêtes généralistes de ce type. Signalons tout de même le questionnement proposé par Great
Place to work, qui est relativement complet, notamment an matière d’équité. Il aborde moins néanmoins les questions de santé et
surtout très peu les aspects de dialogue social, probablement du fait de son origine nord-américaine. Sa principale limite est
probablement d’accorder autant d’importance au ranking des « meilleurs employeurs ». Son utilisation reste limitée en France à des
démarches de marque employeur tournées vers l’externe ou à des entreprises nord-américaines.
55
Les ventes, l’innovation des produits et services, la réduction des coûts peuvent se résumer dans une mesure monétaire qui permet de
comparer avec une échelle unique, chiffres d’affaires, budget recherche, taux de marge, économies cf. Gautier B, Le Boulaire, M., De
Felix, C. Picq, T., 2013, Performance : retrouver les chemins du collectif, Etude E&P n° 315

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Quatre questions sont récurrentes :
 Les critères d’évaluation annuelle ne sont pas clairs,
 Dans cette entreprise, la rémunération est cohérente avec le mérite,
 Au travail, je ne me sens pas respecté,
 Mon supérieur hiérarchique direct est équitable dans ses décisions.
Ces quatre questions renvoient directement aux quatre dimensions de l’équité identifiée dans
le cadre de cette étude. Elles s’inspirent de questionnaires validés par la recherche, notamment
Colquitt 2001, Van Dierendonck 2004, Siegrist (200456).
A ces 4 questions s’ajoutent selon les cas des questions portant sur :
 la perception de discriminations (au sein de X, nous sommes traités équitablement quel que
soit notre… (âge etc.)), la possibilité de recours ou soutien en cas de traitement perçu
comme injuste,
 la perception de l’équité de la reconnaissance reçue pour les contributions individuelles
et/ou pour les contributions à la performance collective, sur la perception de l’équité des
promotions,
 La prise en compte des remarques et l’écoute,
 la mise en œuvre des règles de travail par la hiérarchie et la sanction des abus, l’existence
de pratiques de favoritisme.
L’équité au cœur de la performance sociale, 3 cas en entreprise
Cette troisième partie propose d’accorder une place importante à la mesure du sentiment
d’équité des salariés, compte tenu de l’importance de ce sujet et de son interaction avec de
nombreux autres. Comme la première partie l’a rappelé, ce sentiment influe tant sur la
conflictualité sociale et la santé que sur l’engagement, la coopération et le partage des
apprentissages. Par cohérence avec notre vision systémique et notre souhait d’éviter la
multiplication des approches épuisant les managers, nous avons préféré intégrer l’équité dans
une démarche d’enquête générale multi-thèmes plutôt que proposer une enquête spécifique de
plus. Cet encadré synthétise trois cas très différents de mise en œuvre de cette approche
générale :
Deux très grandes entreprises (plus de 15 000 salariés), avec une démarche d’enquête
semestrielle par sondage au service d’une mobilisation collective impulsée par les dirigeants sur
la performance sociale et une démarche d’enquête biannuelle auprès de tous les salariés de
l’entreprise, au service d’une aide apportée au directeur d’établissement dans la détermination
des priorités managériales et sociales.
Une entreprise de taille plus réduite (500 salariés) avec une enquête bi annuelle élargie en
2014 à une interrogation multi acteurs.
Une entreprise importante de son secteur en France fait l’objet d’une crise sociale
importante. L’enquête RPS réalisée à l’initiative des syndicats révèle un climat très
dégradé et tranche fortement avec l’enquête managériale réalisée l’année précédente.
Entreprise&Personnel intervient en appui à la conception d’une enquête de rythme
semestriel comportant un volet sur l’équité managériale (reconnaissance de la
contribution, respect comme personne, écoute, équité des décisions). Sur le fond, le

56
Siegrist, J., Starke, D., Chandola, T., Godin, I., Marmot, M., Niedhammer, I. and Peter, R., 2004, ‘The measurement of effort-reward
imbalance at work: European comparisons’, Social Science and Medicine, Vol. 58, No. 8, pp. 1483–1499.
Leadership Behavior and Subordinate Well-Being.van Dierendonck, Dirk; Haynes, Clare; Borrill, Carol; Stride, Chris, 2004, Journal of
Occupational Health Psychology, Vol 9(2), Apr, 165-175. doi:
Colquitt JA, Conlon DE, Wesson MJ, Porter CO, Ng KY., 2001, J Appl Psychol., juin ;86(3):425-45, “Justice at the millennium: a meta-
analytic review of 25 years of organizational justice research.”
47
questionnaire (par ailleurs couplé avec le suivi de certains indicateurs RH clés) a été
conçu comme synthèse des enquêtes alors existantes, avec alternance de questions
positives et négatives, recours à un prestataire d’enquête réputé, pour procéder à un
sondage téléphonique, de façon à assurer une crédibilité maximale du dispositif. Pour
éviter « la course à la meilleure note », ce questionnaire est conçu dans une logique
collective, l’objectif est la mobilisation de l’ensemble des dirigeants au périmètre France
sur l’amélioration de la performance sociale. Près de 4 ans après son lancement, ce
dispositif est toujours en œuvre et a été décliné à l’international.
La DRH groupe d’un opérateur de transport en France décide de réduire ses actions
d’appui au management, en les transférant à ses DRH métiers et notamment de mettre
un terme à son marché cadre pour une enquête d’engagement. Dans le même temps,
elle impulse une démarche de valorisation de la performance managériale et sociale des
managers et propose un dispositif de diagnostic local partagé de la qualité de vie au
travail. La DRH d’un des métiers souhaite mettre à disposition de ses directeurs
d’établissement une enquête qui puisse les aider à piloter leur performance managériale
et sociale. Le questionnaire discuté et validé avec un groupe de directeurs reprend les 5
axes de la performance sociale. L’équité managériale comprend des questions sur la
reconnaissance des contributions, la réalisation d’entretiens annuels et la possibilité de
recours, l’écoute et le respect, l’équité des décisions. Ce questionnaire est adressé (avec
l’aide d’un prestataire externe) à l’ensemble de la population salariée des établissements
participants (un sur deux). Les directeurs d’établissement disposent ainsi d’une vision de
la perception de la performance sociale par les salariés, dans ses différents volets, ainsi
que d’une analyse des corrélations avec chacun des thèmes et sur l’ensemble de la
performance sociale. Ils peuvent s’appuyer pour l’interprétation des résultats et la mise
en place de plans d’action, sur la cellule d’appui managériale de la DRH. Nous travaillons
avec cette dernière à l’élaboration et l’ajustement de supports d’appui à l’interprétation
des résultats et au passage à l’action. Le dispositif conçu et réalisé en 2012, porté et
amélioré en 2013, a été généralisé fin 2013 au siège et à diverses entités intégrées dans
la direction. Les retours des managers opérationnels sont positifs, notamment pour la
liberté laissée dans le choix des priorités d’actions locales et l’articulation opérée entre
le dispositif d’enquête et les plans d’actions transverses à l’entreprise.
Une mutuelle de taille intermédiaire souhaite conduire un baromètre d’opinion interne
auprès de ses salariés. Le questionnaire est discuté avec une commission des risques
psychosociaux qui rassemble des salariés de divers services (dont des élus du personnel)
ainsi que le médecin du travail et est également calé sur les 5 dimensions de la
performance sociale. Les questions sur l’équité dans le management sont du même type
que précédemment, reconnaissance, écoute et respect, soutien hiérarchique, évaluation
équitable, possibilité de recours, promotions accordées aux bonnes personnes. Les
résultats quantitatifs de l’enquête, ainsi que les verbatim, révèlent un faible sentiment
d’équité, notamment concernant les promotions. Engagée dans l’obtention du label
diversité, la structure engage des actions de sensibilisation aux discriminations et de
soutien à la préparation des entretiens de recrutement interne. Deux ans plus tard,
l’enquête est reprise en renforçant le volet équité, en intégrant notamment des
questions visant à évaluer l’existence de discriminations. Pour sa deuxième édition, le
baromètre devient multi-cibles, avec l’interrogation des salariés sur près de 70
questions, dont une vingtaine sont reprises pour une interrogation allégée du comité de
direction et des managers. Ceci permet notamment de mobiliser directement le CODIR
dans l’appropriation des résultats en confrontant sa vision avec celle des salariés et des
managers,

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— Une démarche d’enquête équitable
Comme prestataire d’enquête ou conseil à la réalisation d’enquête, nous recommandons
toujours une présentation de la démarche et des principaux résultats aux partenaires sociaux.
Nous recommandons également l’implication des utilisateurs des résultats, managers, autres
directions fonctionnelles, dans l’ajustement du questionnaire, la précision du mode d’utilisation
des résultats.
Pour conduire une enquête centrée sur l’amélioration du sentiment d’équité, nos propositions
vont plus loin. Autant les enquêtes unidimensionnelles gagnent à donner un caractère quasi
objectif à ce qu’elles mesurent : le sentiment d’équité, le niveau de risque psychosocial, autant
les sentiments concernant l’équité de la relation d’emploi gagnent à être discutés en
interrogeant les divers protagonistes de cette relation, les salariés bien sûr, mais aussi la
direction générale, les élus et l’encadrement.
Notre proposition actuelle (voir illustration en encadré) est « à tiroirs ». Elle consiste à
compléter l’enquête menée auprès des salariés par une enquête auprès du comité de direction,
avec un questionnaire adapté éventuellement raccourci ; l’objectif est de croiser la vision du
comité de direction et celle des salariés : ont-ils la même vision des choses ? Sur quels points
convergent-ils le plus ? Divergent-ils le plus ?
La même démarche est proposée envers les élus du comité d’entreprise, ce qui suppose
évidemment d’être prêt à un partage des résultats et une certaine maturité dans le dialogue
social. Il est alors possible de regarder les convergences et divergences entre l’opinion des
salariés, du comité de direction et des élus du personnel.
Enfin, un quatrième niveau consiste à interroger de façon spécifique ceux qui ont des
responsabilités hiérarchiques.
Par rapport aux enquêtes d’engagement, la différence est de taille, il ne s’agit pas de comparer
les « notes » reçues par les différents managers en en faisant des indices de la qualité
individuelle du manager, ou même de s’interroger sur le niveau d’engagement des différentes
strates hiérarchiques, mais bien de mettre en discussion les visions des dirigeants, des élus du
personnel, des managers et des salariés. Aucun n’est ainsi présupposé détenteur de la vérité,
comme lorsqu’on suppose que ce que répondent les salariés est le reflet fidèle de leur
engagement ou niveau de stress. En revanche le dispositif repose sur la certitude que c’est
l’interaction entre ces différents acteurs qui sera source de performance collective. Dirigeants,
salariés, partenaires sociaux et encadrement peuvent avoir des visions différentes du niveau
d’engagement, de stress, de l’équité de la relation d’emploi et des priorités à établir entre ces
différents sujets, mais c’est la qualité de leur interaction et des compromis tissés entre la vision
et les priorités des uns et des autres, qui permettra ou non des progrès.
Ce type d’enquête croisée est d’ailleurs de plus en plus fréquent en sciences sociales (ex.
l’enquête Réponse qui vise DRH, élus et salariés) et dans les entreprises57.

57
L’enquête DGRH de 2010 avait croisé par exemple selon cette logique les priorités RH des salariés et des DRH. http://masterage.univ-
paris1.fr/IMG/pdf/Barometre_DGRH_2010.pdf page 20. Le baromètre de l’égalité des chances du MEDEF (op.cit) croise les sujets
prioritaires pour les salariés et pour les entreprises.
49
Conclusion
La première partie a montré l’importance des enjeux d’équité pour l’entreprise et le DRH. Le
sentiment d’équité est corrélé positivement avec l’implication dans le travail, l’engagement dans
l’entreprise, les comportements d’entraide, de coopération et corrélé négativement avec les conflits
sociaux, les plaintes en justice, les comportements délictueux (vols, sabotages) ainsi qu’avec de
nombreuses atteintes à la santé. Si l’équité dans la relation d’emploi est un enjeu dans le monde
entier, cet enjeu a probablement une acuité particulière en France compte tenu du ralentissement
continu de la croissance, du sentiment largement partagé que les efforts ne sont pas reconnus, de la
défiance croissante envers les dirigeants et pour contrebalancer le cercle vicieux bureaucratique si
aisément à l’œuvre en France : dénonciation de situations décrites comme inéquitables, mise en place
de règles étatiques rapidement contournées et source de nouvelles difficultés, conduisant à un
renforcement constant de la réglementation sans que l’équité en sorte renforcée.
Comment appréhender l’équité en entreprise ? Cette étude a proposé de distinguer :
 L’équité distributive : à chacun selon sa contribution
 L’équité procédurale : l’égalité de traitement entre tous
 L’équité relationnelle : une attention au développement de chacun dans son contexte
 L’équité incarnée : des hiérarchiques arbitres et pilotes, mettant en application des règles du jeu
au service du développement de l’entreprise
L’équité renvoie à un travail sur la distribution du travail et de résultats, sur les procédures internes,
sur la manière de traiter chacun et sur le développement des personnes en position d’autorité. Ces
dimensions interagissent entre elles. L’équité dans les procédures et dans les rapports
interpersonnels est d’autant plus nécessaire que les résultats à annoncer sont défavorables ou que la
répartition des résultats et des efforts est inéquitable. Les discussions sur l’équité portent également
fréquemment sur son périmètre d’application, au sein d’une équipe, entre équipes, entre
établissements, entre filiales d’un groupe… L’équité est en effet un objet toujours en discussion, ce
qui rend important de maîtriser a minima son langage pour pouvoir justifier au mieux des décisions
nécessairement imparfaites qui seront prises.
Ces éléments posés, la troisième partie a proposé un cadre de référence pour mesurer l’équité en
entreprise. Cette mesure est objective sur certains points : éventail des salaires, partage des revenus,
écarts salariaux hommes femmes, biais discriminatoire manifeste de certaines procédures. Elle repose
sur la perception subjective des salariés sur d’autres points. Les enquêtes fréquemment déployées en
entreprise accordent peu de place au sentiment d’équité, ou uniquement dans sa version négative
(sentiment de discrimination). Ceci fonde la proposition d’E&P d’une enquête générale comportant
un volet équité au sein d’une mesure d’ensemble de la performance sociale. Cette enquête vise en
priorité les salariés, mais l’interrogation de ces derniers gagne à être complétée par une interrogation
du comité de direction, des élus et des managers. Là où nous l’avons pratiqué, ce déplacement et cet
élargissement de la focale des enquêtes a rencontré un écho positif.
Notre espoir est que la réflexion et la méthode proposées dans cette étude autour de l’équité
contribuent à restaurer la confiance réciproque et à nous aider à traverser avec succès les mutations
en cours.

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Annexes :

51
 L’équité en philosophie
On distingue classiquement plusieurs approches en philosophie morale :
Les approches déontologiques étudient les obligations. Kant est ici la référence majeure. Être
équitable, c’est prendre une décision basée sur des critères universels et publics,
Les approches conséquentialistes s’intéressent aux conséquences des choix. L’école utilitariste qui
domine en leur sein, considère que les règles et décisions équitables sont celles qui favorisent le bien-
être au niveau de la Société, notamment en récompensant les actions utiles et punissant les actes
nocifs.58 Bentham et John Stuart Mill sont ici les références principales,
Les approches perfectionnistes s’intéressent aux vertus des personnes déployées dans leurs
pratiques. L’équité est une vertu (compétence, capacité) susceptible d’être acquise et qu’il convient
de développer. Aristote est ici la référence historique,
Récemment, (Paperman, 200459) plusieurs auteurs féministes ont considéré que les trois théories
morales évoquées ci-dessus, et en particulier la conception déontologiste, ne rendaient pas compte
du sens moral souvent adopté par les femmes. Elles ont placé au centre de la moralité, le fait de
prendre soin des autres dans une optique de développement (ce qui réactive certains principes
chrétiens). Poser un acte équitable suppose selon elles d’assumer l’existence de conflits de
responsabilité et de leur chercher une résolution par le dialogue. Caroll Gilligan est souvent
considérée comme une fondatrice de cette approche.
Ces 4 grands courants philosophiques ont des approches différentes de l’équité, ce qui a conduit à la
distinction proposée de 4 dimensions de l’équité.
Aristote est souvent cité comme référence fondatrice. Il distingue la justice au niveau global et au
niveau d’un acte (justice particulière). Dans une société juste, les hommes se conforment à la loi,
parce qu’elle est légitime, en les orientant vers le bien, et parce qu’ils sont rendus vertueux par ses
incitations/sanctions/soutiens. Pour Aristote, le bien (ce qui est conforme à la nature humaine) est en
effet antérieur au juste. Un acte particulier sera juste de façon différente selon les situations. Dans les
décisions d’attribution de postes, d’honneurs, de revenus, la distribution doit être faite selon le
mérite (justice distributive). Dans les situations d’échange, il convient de rechercher l’égalité (juste
prix) entre les choses échangées. Quand la justice globale exige la conformité aux lois, un acte
particulier peut exiger de s’en écarter au vu du contexte par souci d’équité.
Au niveau d’une société dans son ensemble, la difficulté moderne réside dans l’abandon de cette
référence à une nature humaine, à un bien et donc à un mérite clairement identifiable. Lorsque Rawls
réfléchit aux conditions que doit remplir une société juste, il pose comme condition sa compatibilité
avec une pluralité de conceptions de la vie bonne (selon la religion, la position vis-à-vis de la
technique). Il pose alors deux principes. Une société juste doit d’abord garantir un ensemble de
libertés de base égales à tous ses citoyens (information, circulation, expression, vote). Les inégalités
économiques et sociales au sein de cette société doivent par ailleurs répondre à deux conditions :
elles se rapportent à des postes ou fonctions ouverts à tous dans des conditions d’égalité équitable
des chances (principe de juste égalité des chances). Elles doivent exister pour le plus grand bénéfice
des membres les moins avantagés de la société.60 Sen61 poursuit la discussion en critiquant la priorité
donnée par Rawls à l’égalité formelle, ou la priorité donnée par les utilitaristes au bien-être. Il
importe davantage selon lui de chercher à égaliser les capacités d’action et réduire les inégalités
concrètes les plus flagrantes.

58
Au sein de cette approche, il existe un débat sur l’intérêt de la redistribution. Pour Pareto et Pigou, il est pertinent de redistribuer en
direction des plus pauvres, qui gagnent davantage en bonheur à disposer de ressources monétaires supplémentaires, que les riches n’en
perdent. Pour Lionel Robbins, il n’est pas possible de comparer des niveaux de bonheur (utilité) et donc de procéder à ce type de
raisonnement. Les approches utilitaristes les plus récentes (Dworkin, Barry, Feuerbay) cherchent à égaliser non plus l’utilité, mais les
chances. Il importe qu’au niveau de la société, les inégalités constatées reflètent les décisions des personnes, et que soient compensées
les inégalités initiales (ex. héritage) ou les événements aléatoires (catastrophes naturelles).
59
Patricia Paperman, « Perspectives féministes sur la justice », L’Année sociologique 2004 – vol. 54 – N° 2
60
Rawlls, 1995, Libéralisme politique, p347
61
Sen A., 2009, L’idée de justice, Flammarion

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 L’équité en Sciences sociales
La distinction entre philosophie, droit et sciences sociales n’est pas toujours aisée, plusieurs auteurs
ayant été philosophes, sociologues /économistes et législateurs. Tandis que la philosophie morale
s’efforce de spécifier ce qui devrait être, le droit de dire ce qui doit être, les sciences sociales
étudient les représentations et les pratiques des personnes en matière d’équité. Selon Dubet et al.,62,
la justice au travail est envisagée par les salariés, simultanément comme justice rendue aux
personnes en tant qu’êtres, appartenant à une commune humanité (ce qui crée une exigence de
similitude et de modération des inégalités), singuliers (d’où une exigence d’autonomie) et inégaux en
mérite (qu’il soit acquis par l’effort, la compétence ou la performance). Chaque acteur est capable de
mobiliser les trois notions de justice (égalité, autonomie, mérite), bien que tous les acteurs ne le
fassent pas également et ne le fassent pas de la même façon dans toutes les circonstances. La justice,
dans cette conception, résulte d’un équilibre : toute inégalité excessive, toute atteinte excessive à
l’autonomie ou tout déni du mérite est susceptible d’être vécu comme une injustice. Cette trilogie
est assez proche de la trilogie des formes de reconnaissance amoureuse, juridique, culturelle,
proposée par Axel Honeth63. Une différence majeure entre reconnaissance et justice réside dans le
fait que le sentiment d’être reconnu est relatif aux perceptions du sujet concernant des situations
qu’il a vécues, tandis que le sentiment de justice tient compte de l’ensemble des situations présentes
dans l’organisation et dont le sujet a connaissance, même s’il n’y est pas personnellement exposé,
pour procéder à des jugements relatifs.
Concernant l’évaluation du seul mérite, la théorie de l’équité proposée par John Stacey Adams64
postule que les individus développent des croyances sur ce qui est une juste reconnaissance en
échange d’un travail accompli. Ils comparent le rapport entre ce qu’ils donnent à leur employeur
(efforts, temps passé, etc.) et ce qu’ils en reçoivent (rémunération, reconnaissance, réputation,
sécurité, possibilités de promotion, etc.) avec le même rapport « calculé » pour des personnes jugées
équivalentes (de par leur fonction, leur travail, leur statut, etc.). Un salarié peut ainsi estimer que son
mérite est reconnu par l’entreprise… mais de façon bien moindre que les personnes équivalentes. Le
modèle d’Adams prédit que, confronté à une telle situation, le salarié ajustera son niveau d’effort
pour rétablir l’équilibre entre contribution et rétribution.
Développé à partir du modèle de John Adams, pour appréhender de façon quantitative les
perceptions de justice des salariés, le modèle de la justice organisationnelle retrouve une trilogie
proche de celle établie par Dubet et Honneth. Le modèle distingue en effet de façon stabilisée, trois
dimensions indépendantes contribuant au sentiment de justice : la perception de l’équité de la
distribution des ressources et des avantages (justice distributive), des processus et des procédures
conditionnant cette distribution (justice procédurale) et des relations interpersonnelles à l’occasion
de cette distribution (justice interactionnelle) (Bagger J., Cropanzano R., Ko, J., 2006, op.cit.). La
justice distributive (ou rétributive) est atteinte quand un individu calculant un ratio entre ses
contributions et ses rétributions l’estime juste, en se comparant à d’autres personnes placées dans la
même situation que lui. La justice procédurale caractérise le fait que les procédures relatives à la
distribution des charges et des avantages sont appliquées à tout le monde de la même façon ; sont
exemptes de préjugés et de biais personnels ; s’appuient sur des informations exactes ; prennent en
compte l’ensemble des informations et critères pertinents ; correspondent à l’éthique actuelle de la
société. La justice interactionnelle reflète le degré de dignité et de respect avec lequel les employés
sont traités par l’autorité, la présence ou non d’explications fournies par l’autorité managériale et
plus généralement la qualité de la relation.

62
Dubet, 2006, Injustices, l’expérience des inégalités au travail, Seuil
63
Honneth, 2000, La lutte pour la reconnaissance, Editions du Cerf
64
Adams, J.S. 1965. Inequity in social exchange. Adv. Exp. Soc. Psychol. 62:335-343.
53
 L’équité en droit
L'équité est le principe modérateur du droit objectif (lois, règlements administratifs) selon lequel
chacun peut prétendre à un traitement juste, égalitaire et raisonnable. Dans certains cas, la loi fait
une place à la notion d'équité en laissant au juge le soin de se déterminer « ex aequo et bono »
(selon ce qui est équitable et bon) c'est-à-dire, en écartant les règles légales lorsqu'il estime que leur
application stricte aurait des conséquences inégalitaires ou déraisonnables. Dans la procédure de
l'arbitrage, la désignation d'un arbitre ayant la mission de juger comme « amiable compositeur » vaut
mandat pour le ou les arbitres d'écarter la règle de droit et de juger en fonction de l'équité.
En matière de droit du travail, les exigences des pouvoirs publics en matière d’équité sont
croissantes. En 1978 le droit communautaire dans le cadre de la lutte contre les discriminations a
imposé l'égalité salariale entre hommes et femmes. En 1996 l'arrêt Ponsolle a étendu le principe « à
travail égal salaire égal » à tous les salariés en situation identique de travail. A partir de 2000, ce
principe a été appliqué aux avantages catégoriels. L’exigence d’équité est abordée de deux manières,
qui font l’objet d’un régime de preuve différent : interdiction de toute discrimination illicite et
exigence d’égalité de traitement.
« Une discrimination génère un traitement défavorable en considération d’un motif illicite » : Aux
termes de l’article L1132-1 du code du travail sont illicites des faits ou décisions qui directement ou
indirectement ou par association affectent des personnes en raison de « leur origine, leur sexe, leurs
mœurs, leurs orientations sexuelles, leur âge, la situation de famille et la grossesse, leurs
caractéristiques génétiques, l’appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race,
leurs opinions politiques, leurs activités syndicales ou mutualistes, leurs convictions religieuses,
l’apparence physique, leurs noms de famille, leur état de santé ou leur handicap ». S’agissant de ces
cas de discrimination, le salarié n'aura à établir qu'une P R E S O M P T I O N des faits et l'employeur devra
s'en expliquer. C'est donc sur l'employeur que repose la charge de la preuve contraire.
Le traitement inégalitaire des salariés dans l’entreprise est plus large. Il consiste en tout fait ou
décision contraire au principe « à travail égal, salaire égal. », sans limitation de motifs. Il peut être
constaté entre deux salariés, un salarié et un groupe ou entre un groupe et un autre groupe de
salariés. A la différence de la discrimination, c'est au salarié de prouver les inégalités de traitement
qu'il dénonce. Suivant l'article L3121-4 du CT65 : sont considérés comme ayant une valeur égale, les
travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles
consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de
l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse. Si le salarié apporte la
preuve d'une disparité de traitement, il appartient alors à l'employeur de justifier de cette différence de
rémunération par des éléments objectifs (ex. chiffre d’affaires vs implication dans le travail) et
pertinents. Outre la formation, les responsabilités, les conditions de travail, les performances de la
personne, son ancienneté, son parcours antérieur atypique (ex. reclassement suite à incapacité), l’état
du marché de l’emploi peuvent également justifier des niveaux de rétribution différents.
Sans que le terme « équité » soit employé en droit pour traiter de ces aspects, il est pertinent de
noter que comme prévu par les études du sentiment d’équité, l’encadrement procédural des
sanctions disciplinaires et licenciements (règlement intérieur, entretien préalable…) est plus
important que l’encadrement des augmentations et embauches. L’interdiction posée par le droit des
violences verbales et du harcèlement est également en rapport avec l’exigence d’équité
interpersonnelle.

65

http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=D58460D9478D30E0FF59D73BE116A4F9.tpdjo16v_1?idArticle=LEGIAR
TI000006902820&cidTexte=LEGITEXT000006072050&dateTexte=20130112

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313 L’emploi des jeunes en Europe : enfin une priorité ? - Jean-Pierre Basilien - Juliane Lau - Michèle
Rescourio-Gilabert – juillet 2013
312 La gestion de l’inaptitude professionnelle : prévenir plutôt que subir - Elsa Chiffe - Jean-
Christophe Debande – juillet 2013
EPP311 Donner des marges de manœuvre aux managers de proximité - Patricia Vesin - Patrick Perrier-
Aine O'Donnell –juin 2013
310 Contribution d'E&P au débat public sur la réforme de la formation professionnelle - Sandra
Enlart - Bernard Masingue – juin 2013
309 Qualité du travail : quelles préoccupations en Europe – Anne Bastien – Juliane Lau – février
2013
308 Réussir le déploiement des accords collectifs d’entreprise – Michèle Rescourio-Gilabert – en
collaboration avec Jean-Pierre Basilien et Sophie Pagès – décembre 2012
307 L’austérité aujourd’hui, l’emploi demain ? Note de conjoncture sociale – Jean-Pierre Basilien –
Michèle Rescourio-Gilabert – octobre 2012
306 A la rencontre des managers en Europe : une galerie de portraits – Nicole Vardanega-Lachaud,
Sophie Marsaudon – septembre 2012
EPP25 RH 2.0 : simple mise à jour ou véritable transformation ? – Maud Dégruel - François Lecombe –
septembre 2012

305 Choisir les bons leviers pour insérer les jeunes non qualifiés – E&P et Institut Montaigne – Sandra
Enlart - Bernard Masingue – juillet 2012
304 Le modèle social européen en crise ? – Jean-Pierre Basilien - Michèle Rescourio-Gilabert - juin
2012

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Publications en anglais
318a Improving businesses’ competitiveness: Recent changes in collective bargaining in 4 European
countries (France, Germany, Italy, United Kingdom) – panorama n°4 – A. Broughton - A. R.C.D.
Nacamulli - Lazazzara - H. Lesch - Dr O. Stettes – M.-N. Lopez - M. Rescourio-Gilabert –
December 2014
311a Empowering Front-line, Managers - Patricia Vesin - Patrick Perrier- Aine O’Donnell -
September 2013
309a Quality of Work: How does it matter in Europe? A comparative analysis of four EU states -
Sally Wilson- Alessandra Lazazzara - Dr Oliver Stettes - Marie-Noëlle Lopez- Anne Bastien
and Juliane Lau - February 2013
304a The European social model in crisis? - Jean-Pierre Basilien- Michèle Rescourio-Gilabert- july
2012
303a Managing Extended Working Life – Martine Le Boulaire - Xuan Tran – june 2012 –
299a French and German companies in China : contrasting management practices in a context of
change - Martine le Boulaire – Jean Louis Rocca – Sabine Hazouard – Rémi Bourguignon –
march 2012
298a The Engaged Enterprise - Social Cohesion, Performance, and Society - Sandra Enlart –
November 2011
297a Who Wants to Be a Front-line Manager? - Áine O’Donnell, Patricia Vesin, Patrick Perrier –
November 2011
296a The cognitive component of work – S. Enlart, M. Dégruel, M. Le Boulaire, S. Marsaudon –
February 2011
295a New itineraries for managing skills: Prioritizing context - P. Gilbert – M. Le Boulaire -
July-11
294a HR's role in work organisation:Why, how, and where? - Pascale Fotius – september2011
279a - Does skills management serve corporate strategy and performance? - Martine Le Boulaire -
Didier Retour IAE de Grenoble – july2011

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