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Il y a-t-il une méthode en anthropologie ?

Nous enfermons trop souvent l’anthropologie dans une vocation à traquer la


spécificité culturelle et dans une moindre mesure à la relativiser, construisant ainsi des
champs de classification entre sociétés traditionnelles et sociétés modernes. Les
anthropologues se spécialisent dans leurs objets propres (la religion, l’économie, la
politique, la santé…) choisissant chacun leurs théories d’analyse (marxisme, structuralisme,
fonctionnalisme, interactionnisme…). Mais l’anthropologie est d’abord liée à un projet dont
l’ambition, comme l’avance Pierre BOURDIEU, est « de dire la vérité » (2001, p.170) sur
l’homme dans son ensemble, ou sur l’homme « tout entier » (LAPLANTINE, 2006, p.9), c'est-
à-dire dans toutes les sociétés et de toutes les époques. Marc AUGE justifie ainsi cette
démarche par le souci « de repérer et de comprendre les différences » (2006, p.9). Et ce
projet, pour être mené de la façon scientifique dont elle se revendique (science humaine),
est impensable sans méthode. C’est la méthode qui nous distingue des spéculations
hasardeuses sur ce qu’est ou ce que devrait être l’homme en général. Ainsi, au-delà du «
dire la vérité », l’ambition de l’anthropologie est tout autant de définir les conditions dans
lesquelles on peut dire la vérité. Il n’existe pas une méthode standardisée en anthropologie
qui soit reconnue de façon consensuelle à la façon d’autres disciplines, notamment
quantitatives, comme l’épidémiologie ou les statistiques. Des manuels de méthodes sont
disponibles bien sûr, mais ils alimentent davantage le débat en présentant le point de vue de
l’auteur, qu’ils ne contribuent à étayer un consensus. Cette absence de règles communes de
bonne conduite est une difficulté importante, comme nous l’avons dit, pour les personnes
extérieures à la discipline. Mais elle est aussi ce qui fonde la pertinence de l’anthropologie. Il
est effectivement difficile de dire si telle ou telle méthode utilisée par un chercheur est
conforme à la discipline, et donc de se prononcer sur le sérieux ou la validité de ses résultats.
Et dans le même temps, ce champ méthodologique ouvert laisse la place au progrès et à
l’innovation. Il prévient l’enfermement dans les concepts et l’idéologie de leaders, s’expose à
la critique et permet d’avantage d’opportunités pour accéder à la réalité. Il est la condition
justement de la rigueur scientifique des sciences humaines. La complexité de la démarche de
l’étude de l’homme par l’homme ne peut s’adapter en effet à un processus figé. Jean-Pierre
OLIVIER de SARDAN avance ainsi que « le métier d’anthropologue relève surtout d’un savoir-
faire appris sur le tas, qui fait sans doute de l’anthropologie la plus artisanale et la plus
bricolée des sciences sociales » (2008, p.26). Mais il est malgré tout une démarche de
recherche autour de laquelle s’accorde à notre sens la majorité des anthropologues et que
résume fort bien François LAPLANTINE : « La spécificité de la démarche anthropologique se
base sur l’observation rigoureuse, par imprégnation lente et continue, de groupes humains
minuscules avec lesquels nous entretenons un rapport personnel » (2006, p.13). Et les outils
classiques qui supportent cette démarche sont l’étude bibliographique, l’enquête de terrain
au contact direct des personnes sur un temps suffisamment long, les entretiens non

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2013-articlelkc-faya-la_demarche_de_recherche_en_anthropologie.pdf (letknowcafe.org)
directifs, et l’observation participante. Nous reviendrons longuement sur ces outils
techniques tout en nous installant définitivement dans ce que Didier FASSIN nomme «
l’inquiétude heuristique » (2008, p.10) pour nous interroger toujours sur ce en quoi notre
démarche de recherche permet effectivement d’analyser et de mieux comprendre les faits
sociaux et la réalité de ce que nous étudions. Et il faut rendre contagieuse cette exigence de
notre discipline en la partageant avec "les autres", en favorisant les débats notamment par
le biais d’échanges et d’écrits sur le sujet. L’ethnographe est aussi de cette façon interpelé
sur le sens et le destin de son travail : inquiétude de l’utilité de notre démarche ; inquiétude
de l’opportunité à réduire le malheur ou la souffrance d’autrui ; inquiétude de l’ambigüité
d’un regard voyeur ; inquiétude du respect de l’autre dès lors qu’on l’observe se débattant
dans de multiples difficultés (BENSA in FASSIN, 2008, p.327).

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