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Introduction
Le français, l’espagnol, le portugais et le catalan sont des langues romanes
qui, au cours des siècles, se sont croisées mutuellement à de nombreuses
occasions. Il n’y a aucun doute que, du point de vue du lexique, parmi les
quatre, c’est le français qui a été le plus généreux envers les autres.
Évidemment, l’époque où il a pu influencer le plus profondément ses sœurs
romanes a été le Siècle des Lumières, c’est-à-dire la période du rationalisme,
des grands philosophes, écrivains et encyclopédistes tels que Rousseau,
D’Alembert, Diderot, Voltaire, etc., et quand le français est devenu la langue
internationale de la diplomatie.
En ce qui concerne l’espagnol, c’est justement au XVIIIe siècle que la
dynastie des Bourbons, avec Philippe V, s’installe définitivement sur le trône
d’Espagne. Ce pays éprouve alors une intense francisation qui coïncide avec
« una quiebra en la tradición hispánica y un auge de la influencia extranjera »
(Lapesa, 1981 [1942] : 400). Le Portugal, malgré de nombreuses différences,
expérimente lui aussi à la même époque un rapprochement avec la culture et la
pensée de la France : « Portugal não podia ficar alheio à modernização cultural
e os ‘estrangeirados’ encarregar-se-iam de aproximar o país do pensamento
europeu, nomeadamente do francês » (Cardeira, 2006 : 75). La situation du
catalan est plus compliquée car, d’un côté des Pyrénées, il perd du terrain en
faveur du français, après avoir été éliminé des tribunaux et des écoles du
Roussillon par Louis XIV (1638-1715) ; de l’autre côté des Pyrénées, l’expansion
du castillan, qui remonte aux siècles précédents, provoque un affaiblissement des
autres langues utilisées dans la Péninsule Ibérique, par exemple du galicien et
bien entendu du catalan (Lapesa, 1981[1942]: 285-287, Lleal, 2003 : 132).
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PIOTR SORBET : La gastronomie ibérique dans la langue française
Corpus
Afin de présenter les mots français d’origine espagnole (hispanismes),
portugaise (lusophonismes) et catalane (catalanismes) dans le domaine de la
gastronomie, nous avons compulsé les dictionnaires suivants : le Nouveau
Dictionnaire étymologique et historique (DED), le Dictionnaire étymologique
et historique de la langue française (DEB), le Dictionnaire des mots d’origine
étrangère (DMEH), Le Petit Robert 2001 (RE2001) et le Petit Robert 2014
(RE2014). Nous avons complété ce répertoire dictionnairique avec les travaux
linguistiques suivants : Les mots étrangers et L’aventure des mots français
venus d’ailleurs (LMW).
Le choix des sources lexicographiques sur lesquelles nous nous sommes
basés nous paraît suffisamment ample et facile à justifier. En effet, le but de
cette contribution était de présenter seulement les vocables qui puissent être
généralement connus ou qui soient présents dans les dictionnaires qu’on utilise
au quotidien. Pour cette raison, afin d’élaborer les listes de nos mots, nous
n’avons pas utilisé d’œuvres spécialisées ou typiquement gastronomiques.
Cependant, parfois, elles nous ont servi à compléter certaines informations
concernant les mots précédemment trouvés dans les dictionnaires. Il s’agit
surtout du Grand Larousse Gastronomique de l’année 2007 (GLG).
Néanmoins, il faut souligner que les informations étymologiques que nous
avons trouvées étaient quelquefois contradictoires. Ainsi, nous avons été
conduits à faire appel au Trésor de la Langue Française, au Dictionnaire
Historique de la Langue Française, au Diccionario crítico etimológico
castellano e hispánico et au Diccionari eimològic. Malgré la diversité de nos
répertoires, parfois, nous n’avons pas pu établir avec sûreté l’origine de certains
mots. Pour cette raison, nous avons conféré à certains emprunts le signe (?)
pour indiquer explicitement que ces cas ne manquent pas d’un certain degré
d’incertitude.
Analyse quantitative
Nous devons, avant de présenter les résultats quantitatifs de nos recherches,
signaler quelques problèmes de comptage.
En premier lieu, notons que les sources sur lesquelles nous nous sommes
basés emploient deux méthodes étymologiques différentes pour discerner
l’origine des mots qu’on y trouve. En effet, il y en a qui prennent en
considération l’étymologie directe, et d’autres, l’étymologie indirecte. Les
premières, ainsi, indiquent seulement la langue dans laquelle le français a puisé
le mot en question, et les deuxièmes préfèrent révéler la langue dont un mot est
originaire, c’est-à-dire, elles ne prennent pas en considération les langues dites
intermédiaires. Il y a aussi des sources qui conjuguent les deux points de vue,
encore que, parfois, elles le fassent d’une manière inconséquente.
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Revue d’Études Françaises No 19 (2014)
En deuxième lieu, les sources qui ont été utilisées pour élaborer les listes
d’emprunts diffèrent, d’un côté par leurs caractères (dictionnaires généraux ≠
dictionnaires ou travaux sur les mots étrangers ≠ dictionnaires étymologiques),
et d’un autre côté, elles sont de diverses complexités, donc, de dimensions plus
importantes.
Pour les raisons que nous venons de signaler, les résultats des comptages,
selon les sources, peuvent varier et leurs confrontations réciproques peuvent
aboutir à des conclusions relativement différentes. Par conséquent, parmi toutes
les œuvres énumérées plus haut, nous avons décidé de comparer les deux
dictionnaires généraux (RE2001, RE2014) ce qui, à notre avis, apporte deux
avantages inestimables. Premièrement, ils réunissent les mots utilisés au
quotidien. Deuxièmement, ils ne s’opposent pas du point de vue de leurs
caractères car ce sont des dictionnaires généraux ; de plus, ils ont été édités
sous les mêmes auspices (Robert). Nous avons analysé, donc, le RE2001 et le
RE2014 afin de dénicher tous les mots d’origines espagnole, portugaise et
catalane. Les résultats se présentent de la manière suivante :
hispanismes lusophonismes catalanismes TOTAL
RE2001 456 121 15 592
RE2014 465 121 18 604
Nous observons clairement que parmi les trois langues ibériques c’est
l’espagnol qui a fourni le plus de mots à la langue française. Il dépasse
indéniablement, sous cet aspect, le portugais et le catalan ; ce dernier a prêté
très peu de vocables au français. Notons toutefois que le nombre d’hispanismes
et de catalanismes répertoriés comme tels dans les deux dictionnaires est inégal.
Pour expliquer brièvement ce fait, intéressons-nous aux catalanismes.
En premier lieu, il faut noter que le RE2014 répertorie de nouvelles entrées,
par exemple churro, flamant, rousquille, salicorne. En deuxième lieu, il
corrige, précise ou, tout simplement, change parfois les informations relatives à
l’origine de certains mots fournies par le RE2001. Par exemple ce dernier,
comme le fait le DEB1, explique que le vocable abricot viendrait du catalan
albercoc. Une information similaire peut être retrouvée dans le DED et le
DMEH où, toutefois, on indique une forme du mot catalan différente, c’est-à-
dire, abercoc. Les quatre dictionnaires (DEB, DED, DMEH, RE2001) et le LMW
précisent que le mot catalan serait un emprunt à l’arabe al-barqūq. Autrement
dit, le catalan serait dans ce cas une langue intermédiaire entre le français et
l’arabe. Quant au RE2014, celui-ci fournit une information divergente. En effet,
on y constate qu’abricot proviendrait « de l’espagnol albaricoque ou du
1
Pour être précis, ce dictionnaire indique deux origines possibles, en premier lieu, la catalane, et
en deuxième lieu, l’espagnole.
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PIOTR SORBET : La gastronomie ibérique dans la langue française
Analyse qualitative
Nous avons déjà estimé le corpus des mots d’origine ibérique. À partir de
celui-ci nous pouvons commencer, maintenant, à exposer les éléments qu’on y
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PIOTR SORBET : La gastronomie ibérique dans la langue française
Pour compléter les informations concernant les emprunts cités ci-dessus nous
voulons insister sur le fait qu’il arrive que ces emprunts présentent souvent plus
d’une graphie, par exemple, cacahouète / cacahuète, chayote / chayotte, copra /
coprah, jambose / jamerose, paelle / paëlla, rousquille / rosquille, chili / chile,
etc. Constatons que les variations orthographiques de ces quelques mots ont
tendance à se résoudre en faveur d’une orthographe ou d’une autre. Par
exemple, dans le RE2001, on retrouve chili et chile, en revanche, le RE2014
n’indique que la première graphie, c’est-à-dire chili. Cela peut signifier que
synchroniquement la deuxième graphie est moins fréquente.
La prononciation de certains emprunts dévoile leurs origines car elle
manifeste un son étranger à la langue française, par exemple, dans fajita
[faxita]2 et mojito [mɔxito] nous discernons la consonne fricative vélaire sourde
[x]. D’autres mots présentent une altération dans leurs prononciations car ils en
ont deux. Par exemple, churro [ʃuʀo] / [t͡ʃuʀo] ou enchilada [ɛnʃilada] /
[ɛnt͡ʃilada], où dans chaque paire de ces mots la deuxième réalisation possible
possède la consonne affriquée post-alvéolaire sourde qui n’est pas
caractéristique pour le système phonologique du français contemporain.
En ce qui concerne les mots que nous avons énumérés, il y en a deux qui
méritent une observation morphologique particulière. Il s’agit de gambas et
tapas. En effet, leurs formes proviennent des formes du pluriel de leurs
étymons, respectivement cat. gambes (← gamba) et esp. tapas (← tapa).
Encore que l’hispanisme, selon le RE2001 et le RE2014, est un mot féminin pluriel,
donc un plurale tantum, en revanche, le catalanisme est un mot féminin pluriel
(gambas) mais il peut également être rarement utilisé sous la forme gamba.
Il convient encore, de se pencher sur les mots : paella et olla-podrida. En
effet, ce sont des exemples d’emprunts aller-retour. Le premier a été emprunté
à l’ancien français paele (< lat. patella) ‘plat métallique peu profond’ par le
catalan, puis, devenu paella, par l’espagnol, qui à son tour l’a retransmis au
français au XXe siècle (LMW, DEB). En revanche, le deuxième terme (olla-
podrida), a été calqué et est devenu en français pot-pourri qui, à son tour a été
emprunté par l’espagnol potpurrí / popurrí ‘mélange de diverses choses’.
Conclusion
Nous avons analysé l’influence générale de trois langues ibériques sur le
vocabulaire français et nous avons abouti aux conclusions suivantes. Les
résultats des recherches sur les emprunts d’origine ibérique dépendent
fortement des sources sur lesquelles elles sont basées. Le français a puisé le
plus dans les idiomes ibériques au XVIIe siècle. Parmi les trois, c’est l’espagnol
qui a fourni le plus de mots au français. Durant les dix dernières années le
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En ce qui concerne les transcriptions phonétiques, nous avons pris comme référence le RE2014.
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PIOTR SORBET : La gastronomie ibérique dans la langue française
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PIOTR SORBET
Université Marie Curie-Skłodowska, Lublin, Pologne
Courriel : lepierre@o2.pl
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