Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
2024 02:04
Meta
Journal des traducteurs
Translators' Journal
La traduction phraséologique
Claudia Maria Xatara
ISSN
0026-0452 (imprimé)
1492-1421 (numérique)
Découvrir la revue
Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 2002 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique
d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.
https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/
BLOC-NOTES
facteur spécifique d’efficacité communication- appropriée avec l’autre langue en question, en pré-
nelle. À cause de cela, il ne peut être valable cisant les conditions d’emploi.
pédagogiquement d’apprendre aux étudiants d’une Ainsi, en prenant en compte le français et le
seconde langue à déchiffrer des messages plus ou portugais, langues avec lesquelles nous travaillons,
moins cultivés et à exclure des relations de com- on a, pour « faire feu de tout bois » ou pour « s’em-
plicité communes qui sont nourries par les natifs barquer sans biscuit », les paraphrases définition-
entre eux, ambiance où se placent les phraséo- nelles respectives utilizar todos os meios de que se
logismes. Il n’existe pas d’individu qui, en conver- dispõe no momento et meter-se num negócio sem
sation avec des étrangers dont il pense maîtriser la dispor dos meios necessários para se sair bem dele,
langue, ne considère très traumatisant de perdre la au lieu des traductions idiomatiques queimar todos
face dans ces situations banales de la vie quoti- os cartuchos et embarcar em canoa furada.
dienne, quand il tombe sur un phraséologisme Le traducteur qui doit « ménager la chèvre et
qu’il n’arrive pas à décoder (Galisson 1988). Facili- le chou », ne devra pas seulement administrar
ter, donc, pour les sujets parlants ou apprenants interesses contraditórios, mais il devra, idiomatique-
d’une seconde langue, l’incorporation de ces unités ment, acender uma vela a Deus e outra ao Diabo, ou
linguistiques conventionnelles, c’est la tâche d’un alors agradar a gregos e troianos, ou encore jogar
enseignement qui, aidé surtout par des dictionnai- com pau de dois bicos. De la même façon, pour tra-
res spéciaux bilingues, met en valeur le lexique duire les proverbes « Au royaume des aveugles, les
comme l’un des responsables de la fluidité et l’effi- borgnes sont rois » et « À brebis tondue, Dieu
cience de la communication souhaitée (Tagnin mesure le vent », par exemple, il ne peut pas se
1988). satisfaire, respectivement, de l’explication « un
Quant au traducteur, il doit préciser des mots médiocre quelconque paraît notable s’il est com-
qui désignent le mieux, dans la langue cible, la paré à des gens sans aucune valeur » ou « Dieu
notion présentée dans le texte de la langue source. donne les épreuves proportionnelles à la faiblesse
En fait, outre l’obligation de connaître presque humaine » ; le traducteur ne doit pas non plus se
toute la grammaire et une tranche assez raisonna- contenter de la traduction littérale No reino dos
ble du lexique commun d’une langue, il est fonda- cegos, os caolhos são reis pour le premier proverbe,
mental que le traducteur puisse se servir d’un ou Para ovelha tosquiada, Deus mede o vento pour
grand répertoire de formes figées, en discernant le deuxième, mais il a à trouver les proverbes équi-
leur signifié connotatif et en les rendant appropriés valents — figés et consacrés : Em terra de cegos,
à des contextes spécifiques. À cette fin, il doit tout quem tem um olho é rei et Deus dá o frio conforme o
d’abord reconnaître l’unité de traduction minimale, cobertor.
qui est un problème de segmentation. Chaque Il diminuera aussi la qualité de la traduction
lexie complexe, abondamment présente dans le si, par exemple, « glisser la peau de banane » reçoit
discours familier, quand il s’agit des unités phraséo- en portugais une ‘explication’ comme enganar,
logiques de la langue générale, et dans le discours lograr, burlar ou ludibriar, au lieu de son équiva-
technico-scientifique, dans le cas des unités termi- lence idiomatique précise, puxar o tapete ou dar
nologiques, représente une unité de traduction uma rasteira ; ou encore, levar vantagem ne doit
minimale, car en étant une lexie, quoique com- pas être consideré comme la ‘traduction’ de l’idio-
plexe, elle est par conséquent, la moindre unité de matisme « couper l’herbe sous les pieds », parce
fonctionnement syntaxique (Molinie 1986). que, dans ce cas, la traduction ‘idiomatique’ conve-
Ayant identifié l’une de ces lexies comme nable est passar a perna.
unité de traduction minimale, le traducteur doit Les dictionnaires spéciaux devraient rendre
alors, quand il ne trouve pas dans la langue cible mieux compte de la question en décrivant les uni-
un équivalent satisfaisant à quelque phraséo- tés lexicales sélectionnées par leurs caractéristiques
logisme du texte de la langue source, analyser la spécifiques, par exemple, celles qui représentent les
valeur de l’équivalent proposé par les dictionnaires, faux amis pour une autre langue, les verbes qui
puisque le degré de fréquence et le registre relativi- régissent des prépositions déterminées, les mots
sent même la portée des traductions. Par exemple, qui constituent des champs lexicaux du vocabulaire
le traducteur devra reconnaître « finir en queue de érotique ou les expressions considérées comme
poisson », comme unité de traduction minimale, et idiomatiques, tous ces renseignements pourraient
pas seulement « queue de poisson », pour la tra- faire l’objet d’ouvrages lexicographiques spéciaux.
duction phraséologique acabar em pizza. Mais le Dans les dictionnaires d’idiomatismes, on pourrait
plus grand problème c’est que, dans la plupart des ainsi trouver avec une plus grande précision tirar
dictionnaires bilingues, ces unités lexicales, si elles água do joelho pour « changer l’eau des olives », ou
sont répertoriées, ne sont que définies qu’avec les rodar a baiana pour « jeter son bonnet par-dessus
mêmes paraphrases présentées par les monolingues, les moulins », ou encore chover no molhado pour
au lieu d’être traduites, dans une correspondance « faire double emploi ».
S’il s’agit d’une lexie terminologique, la pré- forme ⇒ absence d’équivalences lexicales to-
occupation est la même : il ne suffit pas de définir, tales, mais sans altération de structure, d’effet
bien que très correctement, son signifié ; le traduc- ou de niveau de langue : mouillé comme un ca-
teur doit présenter pour le mot de la langue source nard → molhado como um pinto ; promettre
un équivalent terminologique dans la langue cible ; monts et merveilles → prometer mundos e
ainsi pour « cour d’assises » il aura supremo tribu- fundos ; travail arabe → seviço porco ;
nal federal, pour « appareil de détente », válvula b) quand les phraséologismes se traduisent par
redutora de pressão, pour « poutre maîtresse », viga des unités à forme bien diverse ⇒ absence
mestra. d’équivalences lexicales totales et altération
Seulement dans les cas où le phraséologisme de structure, d’effet ou de niveau de langue :
d’une culture n’a pas de corrrespondant dans avoir plusieurs cordes à son arc → ter muitas
l’autre langue, il est conseillé de recourir à des glo- cartas na manga ; entrer comme dans un mou-
ses définitionnelles (Rézeau 1990) : à une unité lin → estar como na casa da mãe Joana ; tarte
phraséologique peut correspondre, dans une autre à la crème → carne de vaca ;
langue, une formulation identique, ou une formu- c) quand les phraséologismes se traduisent par
lation pareille ou même une formulation assez dif- des paraphrases ⇒ absence d’équivalences
férente, qui rende compte de visions du monde lexicales, cas où l’on fait appel à des gloses —
divergentes ou non, en respectant les spécificités recours fréquent entre les cultures assez dif-
culturelle, sociale et linguistique de chaque peuple. férentes (Rey 1986) — ou des paraphrases
Une bonne traduction phraséologique, bien (Fuchs 1982) : fondre comme neige au soleil →
que beaucoup de traducteurs considèrent les phra- emagrecer do dia para a noite ; n’écouter que
séologismes intraduisibles, doit prendre en compte d’une oreille → ouvir sem prestar atenção ;
non seulement la signification, mais aussi la situa- quadrature du cercle → problema insolúvel,
tion de communication, ce qui inclut la différence etc.
entre l’oral et l’écrit et le degré d’ajustement de Il ne suffit point, pour le traducteur, d’être
l’émetteur au récepteur, en plus de considérations très conscient de la notion que les unités phraséo-
d’ordre sociolinguistique. logiques révèlent dans le texte de la langue étran-
La traduction appropriée, c’est-à-dire celle gère, fait que l’on peut obtenir sans effort par
dont le sens est le plus semblable possible, pour le l’intermédiaire des dictionnaires monolingues. La
portugais brésilien de n’importe quelle unité phra- maîtrise des idiomatismes est indispensable au tra-
séologique en français pourra être littérale ou non ducteur, non seulement parce qu’elle évite l’erreur
littérale. Nous n’employons pas ici, cependant, le fréquente de traduire littéralement les phraséolo-
sens rigoureux du mot « littéral » : on sait que rien gismes, mais aussi parce qu’elle permet de choisir
ne sera jamais rigoureusement littéral en traduc- parmi plusieurs synonymes celui qui stylistique-
tion, puisque l’on peut avoir de la littéralité quant ment s’approche le plus de l’original (Tristá 1988).
à la forme, mais jamais quant à la signification. Alors, conscient de la difficulté de pouvoir
La traduction littérale, beaucoup moins fré- compter sur une mémoire prodigieuse de toute son
quente, qui a lieu quand le phraséologisme de la expérience culturelle et linguistique, au moment
langue d’origine se concrétise dans la langue cible où il doit se souvenir, le plus vite possible, de cor-
en unités identiques, aura les caractéristiques respondances précises, justement parce qu’il lui
suivantes : présence d’équivalents lexicaux et con- manque d’ouvrages de référence soigneux et plus
servation de la même structure (classe grammati- complets, dans le secteur dictionnaires spéciaux,
cale et ordre syntagmatique), de même effet et de c’est le traducteur lui-même qui doit en premier
même niveau de langue. Si l’on cherche la corres- déterminer les besoins de dictionnaires phraséolo-
pondance, par exemple, d’expressions idiomati- giques, qui pourraient correspondre à une impor-
ques comme « arriver comme un ouragan », « fort tante économie d’efforts.
comme un taureau », « faire comme le renard et les Les séries phraséologiques représentent, ainsi,
raisins », on trouve sans effort les équivalences un phénomène complexe et cohérent, dont le sens
chegar como um furacão, forte como um touro, fazer est régi par des mécanismes sémantiques profonds,
como a raposa e as uvas. mais qui attendent des recherches pour les élucider
Les idiomatismes traduits de façon non litté- (Mejri 1994). Mais n’importe quel phraséologisme
rale sont beaucoup plus nombreux et le méca- peut avoir, d’une langue à autre, un « traitement
nisme de traduction correspond en fait à trois traductoire ».
types :
a) quand les phraséologismes se traduisent par Claudia Maria Xatara
Université Estadual Paulista, São José
des idiomatismes semblables aussi dans la
do Rio Preto, Brésil