AFRIQUE MOYEN-ORIENT

MAGAZINE
N° 143 DU 22 MARS 2020

CAMEROUN / ENERGIE
BRAQUAGE À CIEL OUVERT À ENERGY OF
CAMEROON (ENEO): QUAND LE DIRECTEUR
GÉNÉRAL, LE CONSEIL D’ADMINISTRATION
ET LE TOP MANAGEMENT DE ENEO
TRAFIQUENT LES FACTURES EN VUE D’EX-
TORQUER DES CENTAINES DE MILLIARDS
AU TRÉSOR PUBLIC À QUELQUES JOURS DE
LA RENATIONALISATION
L
e cataclysme s’abat sur Eneo. Le ciel
ne cesse de s’assombrir au dessus de
cette structure, laissant présager de
très violents orages. Entre déséqui-
libre financier sans précédent, délestages en
cascade, colère des industriels, avalanche
de grèves des sous-traitants, mise en exa-
men d’anciens dirigeants du secteur, mise en
demeure du gouvernement…l’avenir de En-
ergy Of Cameroon ne tient plus qu’à un fil.
Aux commandes de Eneo depuis novembre
2019, Éric Mansuy livre une copie bien plus
qu’inquiétante. En effet, Eneo sombre depuis
peu dans une crise de liquidité aiguë dans
le secteur de l’électricité. Pour cause, accu-
mulation de dettes, défaut de paiement des
factures et des « dettes futures au fur et
à mesure qu’elles arrivent à échéance », à
en croire la correspondance datée du 14 avril
2023 du patron d’Actis, David Grylls, au pre-
mier ministre, Joseph Dion Ngute.

Depuis plus de 7 ans déjà, la gestion finan-

cière du secteur de l’énergie électrique au Ca-
meroun laisse à désirer. En effet, les charges
du secteur sont supérieures aux recettes re- David Grylls explique que, la majeure partie
couvrées. En charge de la collecte et de la de cette dette accumulée concerne l’électri-
redistribution des recettes à l’ensemble des cité consommée par l’État, les pouvoirs pu-
acteurs du secteur, Eneo se démarque par blics et les entités publiques. Elle est com-
un déficit de trésorerie criard. Évalué à une plétée par les remboursements de la taxe sur
dizaine de milliards de FCFA par mois il y a la valeur ajoutée pour 2022 et les paiements
de cela quelques années, ce déficit aurait ex- de compensation tarifaire qui sont dus mais
plosé pour atteindre les 29 milliards de FCFA n’ont pas été effectués. Les intérêts sur les
au mois de mai 2023, selon les chiffres du paiements en retard s’accumulent et la dette
Ministère de l’eau et de l’énergie. continue de croître. Il en résulte une crise de
liquidité aiguë dans le secteur de l’électricité.
Au moment où l’État lance le processus de Dans le même temps, indique le patron d’Ac-
renationalisation de Energy of Cameroun tis, Eneo doit toujours effectuer des paie-
(Eneo), l’entreprise présente un « risque éle- ments importants aux fournisseurs d’énergie
vé de cessation de paiement ». En fin d’an- KPDC et DPDC, qui appartiennent à Globe-
née 2022, son déficit de trésorerie a atteint leq, Sonatrel (Société bationale de transport
113 milliards de FCFA, tandis que sa dette de l’électricité), Sonara (société nationale de
culmine à 700 milliards de FCFA. Faute d’être raffinage) et EDC (electricity development
payées par l’électricien, ces dernières trans- corporation).
fèrent une partie de leurs charges à l’État,
exerçant ainsi une pression sur la trésorerie Selon le rapport général des commissaires
publique camerounaise. Ce qui menace de aux comptes des états financiers de dé-
dérouter les prévisions budgétaires. cembre 2020, le bilan au 31 décembre 2020
fait apparaitre des capitaux propres d’une va-
leur de plus de 158 508 millions de FCFA,
pour un résultat net bénéficiaire de 5 577 mil-
lions de FCFA, en plus du tableau de flux de
trésorerie.

Par ailleurs, des insuffisances criardes sont

notamment relevées dans les comptes de bi-
lan telles que les provisions pour factures non
parvenues et non justifiées d’une valeur de
plus de 13 580 millions de FCFA, des immo-
bilisations en cours non justifiées de l’ordre
de 1 218 millions de FCFA, des différences
de soldes dans les comptes fournisseurs où
certains d’entre eux ont confirmé un montant
créditeur de 1 552 millions de FCFA tandis
que les mêmes comptes chez ENEO sont
débiteurs d’un peu plus de 1 659 millions de
FCFA, soit une différence non justifiée de 3
218 millions de FCFA.

« Quelques stocks ont été multipliés par près

de 6 depuis 2016, cependant nous sommes
constamment en rupture de stocks de l’élé-
ment essentiel qu’est le compteur ; allez
donc voir ce qu’il y a dans ses stocks et ses
méthodes de valorisation. Les charges cou-
rantes ou sans traçabilité en milliards FCFA
sont masquées comme immobilisations ; il
suffit de demander au Régulateur le nombre
de projets rejetés sans conséquences pour
les donneurs d’ordres ; les employés et les
clients peuvent toujours se plaindre ; l’Entre-
prise est utilisée comme outils de règlements
de comptes, les procès perdus et les coûts
engendrés sont supportées par Eneo. Il suf-
fit de regarder le volume de saisies conser-
vatoires et attributions en milliards FCFA
auprès de nos clients tels que la SABC ou
encore MTN », déclarait alors Éric Pambe,
directeur commercial d’Eneo qui a refusé de
s’associer à cette arnaque de haut vol.

Plusieurs experts dans le domaine s’ac-

cordent sur le fait que cette machination fi-
nancière au sein de Eneo et du trésor public
camerounais suffit à entraîner le pays vers
une crise financière sans précédent. Entre
l’insuffisance d’information sur les contrôles
relatifs aux stocks et immobilisations en
consignation ; insuffisance de l’information
relative aux travaux encaissés et non exé-
cutés, suivi comptable insuffisant des projets
d’immobilisation en cours ; incohérence entre
les données commerciales relatives aux
avances sur consommation, aux créances et
avoirs des clients d’après CMS et les don-
nées comptables ; ainsi que la suspension
non justifiée des comptes des factures des
fournisseurs d’immobilisations non parve-
nues ; les déboires sont légions..
Cette situation résulte aussi en partie d’une
surfacturation de accrue de la dette par
l’équipe dirigeante en place, au moment où
celle-ci s’apprête à prendre la porte avec la
renationalisation, au regard de son rende-
ment catastrophique. Avec bien évidemment
le soutien de certaines pontes du régime dis-
simulées dans les abysses du pouvoir qui
usent de stratagèmes sombres pour piller
les caisses de l’Etat et s’enrichir à coup de
factures fictives. Ceci implique qu’il y a une
dette fictive dans les comptes d’Eneo envers
l’Etat de 60 milliards FCFA qui doit être annu-
lée avec une correction urgente et systéma-
tique des états financiers.
Pour rappel, Eneo Cameroon SA (ex AES
SONEL SA) est une société camerounaise
d’électricité privatisée en 2001. Elle est dé-
tenue par le groupe américain AES Corpora-
tion, acteur majeur de l’électricité au niveau
mondial, et le gouvernement camerounais.
De son côté, l’investisseur britannique Actis,
qui détient 51% de la société Eneo – titulaire
de la concession de distribution d’électricité
jusqu’en juillet 2031 – envisage de céder ses
parts avant la fin de la durée de sa conces-
sion au Cameroun.