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Sous la pression du FMI, certains comptes et contrats pétroliers jusque-là dissimulés ont
enfin été dévoilés au grand jour. Notre analyse exclusive de ces documents permet de
mieux comprendre pourquoi le Congo perçoit d’aussi maigres revenus pétroliers. Nous
divulguons d’apparentes pratiques commerciales abusives utilisées par les compagnies
pétrolières étrangères et des millions de dollars de fonds manquants.
La Société nationale des pétroles du Congo totale de pétrole et de gaz en 2017 (voir
(SNPC) est la plus grosse entreprise d’Etat du diagramme 1).
Congo, ainsi qu’un des principaux piliers de
La SNPC a à peine atteint le seuil de
l’économie de ce petit pays d’Afrique
rentabilité sur la période comprise entre
centrale. Avec un bilan représentant près de
2012 et 2018, les années pour lesquelles ses
50 % du PIB du Congo, sa solvabilité relève
comptes sont publics (voir diagramme 2).
de l’intérêt national. Néanmoins, sa santé
Malgré des ventes à hauteur de 5,7 milliards
financière n’est pas au beau fixe.
de dollars au cours de cette période,
Les mauvais résultats de l’entreprise se l’entreprise n’a tiré que 123 millions de
traduisent par de maigres revenus pétroliers dollars de bénéfices, et a contracté 741
pour l’Etat. Les dividendes qui lui sont millions de dollars de dettes uniquement
reversés en tant qu’unique actionnaire de la auprès d’entreprises pétrolières étrangères,
SNPC sont invariablement faibles, voire nuls, parmi lesquelles Total, Eni et Chevron. 2 En
d’après les comptes de la SNPC et les 2018, l’entreprise était en grande partie
rapports de l’Initiative pour la transparence financée grâce à des capitaux empruntés
des industries extractives (ITIE). Vingt et un (elle avait donc plus de dettes que de
pour cent de la part de production pétrolière capitaux propres, un signe de risque
de l’Etat en 2017 ont servi à rembourser les financier), plus encore que d’autres sociétés
onéreux emprunts souscrits par la SNPC pétrolières nationales telles que Sonangol en
auprès de négociants en matières premières, Angola, Petronas en Malaisie ou Socar en
selon l’ITIE. 1 De façon générale, le Trésor Azerbaïdjan (voir diagramme 3). 3
public congolais a perçu l’équivalent en
dollars de moins de 3 % de la production
Millions de dollars d’Eni passés par pertes Si Eni, entreprise italienne cotée en bourse, a
et profits ? bien passé 283 millions de dollars par pertes
et profits (c’est-à-dire annulé cette somme
En sus de son passif circulant, la SNPC de la dette) au bénéfice de la SNPC,
supporte également une dette financière à qu’aurait-elle reçu en contrepartie ? Le
long-terme d’au moins 905 millions de Conseil d’administration d’Eni a-t-il été
dollars qu’elle doit rembourser en pétrole ou consulté sur cette décision apparemment
qui est gagé contre du pétrole. En 2012, cette contraire aux intérêts de ses actionnaires ?
dette ne s’élevait qu’à 144 millions de
dollars, mais représente aujourd’hui près de L’absence de justification commerciale pour
8 % du PIB national. Ce type de dette est des accords chiffrés à plusieurs millions de
remboursable dans un délai supérieur à un dollars est un signal d’alerte majeur de
an. corruption. Les renouvellements de permis
d’Eni en 2014 font l’objet d’une investigation
Près du tiers des dettes financières de la récente de Global Witness, ainsi que d’une
SNPC constituait initialement un passif enquête pour corruption menée par le
circulant (à court-terme) dû à Eni. En 2014, parquet de Milan sur les activités et
l’entreprise d’Etat convertit ce passif en partenaires locaux congolais de l’entreprise
dette financière dans le cadre du italienne. Notre analyse des comptes de la
renouvellement des permis de Djambala, SNPC soulève d’autres questions
Foukanda, Kitina et Mwafi (anciens Marine VI importantes autour de ces accords.
et VII) avec le géant pétrolier. Au cours de
cette procédure, la SNPC retire les titres à Eni
• En 2018, la SNPC a « avancé » près de 3 millions de dollars de frais à ses avocats dans le
cadre d’un emprunt arrangé par l’Ecobank, soit « bien plus que quiconque serait prêt à
payer », selon un avocat spécialisé en restructuration de la dette. Pourquoi la SNPC
emploie-t-elle des avocats aussi onéreux ?
• En 2016 et 2018, 327 millions et 423 millions de dollars, respectivement, n’ont été
expliqués dans le passif circulant de l’entreprise d’Etat.* A quelles autres entités la
SNPC doit-elle de l’argent (ou du pétrole) et pourquoi ?
• En 2018, des entités non-identifiées devaient 1,18 milliard de dollars à la SNPC. À qui la
SNPC a-t-elle prêté cet agent, et pourquoi ? Quelles sont ses chances de recouvrer ces
sommes ?
• Fin 2018, la République du Congo devait 1,84 milliard de dollars aux négociants en
matières premières Glencore, Trafigura et Orion Oil pour des prêts adossés au pétrole
contractés par la SNPC. Toutefois, ces prêts sont intraçables sur les comptes de
l’entreprise d’Etat. Comment a été dépensé cet argent ?
• Dividendes :
o Selon ses états financiers de 2018, la SNPC indique avoir payé 140 millions de
dividendes en 2017. Pourtant, dans ses états financiers de 2017, on ne retrouve
aucune trace de paiement de dividende. Comment expliquer cet écart de
140 millions sur les dividendes déclarés pour 2017 ?
o Selon ses états financiers de 2016, la SNPC aurait payé 15,93 millions de dollars
de dividendes à l’Etat. Néanmoins, d’après le rapport ITIE de la même année, le
Trésor public déclare n’avoir rien perçu. Ces 15,93 millions de dollars ont-ils
bien été versés, et si tel est le cas, à qui ? Toujours selon le rapport de l’ITIE, la
SNPC aurait déclaré que cette somme était « une constatation comptable, et
non pas un versement ».
• En 2014, Eni pourrait avoir passé 283 millions de dollars de passif circulant de la SNPC
par pertes et profits. Pourquoi ? Et qu’aurait reçu l’entreprise italienne en contrepartie
de cette faveur présumée ?
* En 2018, la SNPC supportait 2,83 milliards de dollars de passif circulant dus à des « créditeurs divers » (page 40
des états financiers de 2018). D’après ce même document, ce chiffre est principalement constitué des « dettes
des partenaires pétroliers liées au portage des coûts pétroliers ». Toutefois, cette « dette » de portage ne revient
qu’à 2,41 milliards de dollars (voir le tableau « Compte avances partenaires pétroliers » page 62 des comptes
2018) ; 423 millions de dollars demeurent donc injustifiés. On observe un autre écart de 327 millions de dollars
dans l’état financier de 2016 de l’entreprise d’Etat – entre le total de 2,38 milliards de dollars renseigné dans le
tableau « Evolution des comptes des partenaires » (page 9) et les 2,71 milliards du tableau « Compte d’avance
partenaires » (page 43).
1
Selon l’ITIE (page 12), la part de la production www.finances.gouv.cg/fr/documentation,
totale de pétrole et de gaz du Congo en 2017 consulté le 10.01.2020.
représente l’équivalent de 1,44 milliard de dollars. 3
Afin de comparer différentes sociétés pétrolières
Vingt et un pourcent de cette somme (302.392.594 nationales entre elles, nous avons calculé leur
dollars) a servi à rembourser des prêts adossés au ratio de capitaux empruntés selon une formule
pétrole accordés par plusieurs négociants en
fonds propres/dettes, c’est-à-dire en divisant leur
matières premières (page 13). Voir diagramme 1.
passif total par le total de leurs fonds propres.
Les intérêts sur ces prêts représentaient 41 % du
montant total versé par le Congo entre janvier et Cette formule indique qu’en fin 2018, la SNPC
octobre 2019 pour s’acquitter de ces dettes – une présentait un ratio d’endettement de 2.59, contre
preuve du coût élevé de ces prêts. Voir : les résultats suivants : Sonangol, Angola (1.47) ;
https://www.finances.gouv.cg/sites/default/files/ Petronas, Malaisie (0.5) ; SOCAR, Azerbaïdjan (1.6).
documents/Situation%20de%20la%20dette%20 Généralement, un ratio d’endettement supérieur
publique%20%20_31_OCTOBRE_%202019.pdf,
à 2 représente un scénario risqué. Nous tirons
consulté le 20.01.2020.
2
Notre analyse porte sur la dette indiquée dans les donc la conclusion que la SNPC est « lourdement
comptes de la SNPC que l’entreprise doit financée par des capitaux empruntés » (highly
rembourser en barils de pétrole ou qui est gagée leveraged). Voir
sur le pétrole. L’entreprise a d’autres dettes d’un www.investopedia.com/terms/l/leverageratio.as
total de 643 millions de dollars sur ses comptes en p, consulté le 10.01.2020.
fin décembre 2018, mais nous n’avons pas exploré 4
Ce chiffre de 3,3 milliards de dollars comprend :
celles-ci. Les états financiers vérifiés de
les 2,41 milliards de dollars de passif circulant de
l’entreprise de 2012 à 2018 sont publiés sur le site
la SNPC auprès de ses partenaires pétroliers ; les
internet du ministère des Finances :
299 millions de dollars d’encours de la dette
financière due à Eni ; et les 606 millions de dollars