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Chapitre 3. L'évaluation Dynamique Des Besoins Psychologiques Et Éducatifs Au Service de L'inclusion Scolaire
Chapitre 3. L'évaluation Dynamique Des Besoins Psychologiques Et Éducatifs Au Service de L'inclusion Scolaire
Chapitre 3. L'évaluation Dynamique Des Besoins Psychologiques Et Éducatifs Au Service de L'inclusion Scolaire
Chapitre
1. Introduction
L a réflexion que nous menons sur l’évaluation des enfants dits à besoins
spécifiques et leur développement s’inscrit dans le cadre plus large de l’évolution
des paradigmes, passant d’une « prise en charge d’un patient » à un
1
Nous nous inscrivons bien entendu dans le cadre de la Convention des Nations 2
unies relative aux droits des personnes handicapées [1] qui conduit les États
signataires à faire évoluer tant les dispositifs législatifs que les pratiques
professionnelles et à bâtir une société inclusive.
Nous commencerons par exposer un cas clinique, qui ne se veut pas un « modèle à 4
suivre » mais plutôt un exemple de réalité vécue nous permettant d’émettre quelques
pistes de réflexion. Ensuite nous tenterons d’approfondir le chemin qu’il nous
faudra parcourir pour modifier nos pratiques et permettre le passage d’une
approche intégrative à une approche inclusive.
2. Étude de cas
Alexandre est âgé de 6 ans et est scolarisé en 3e maternelle (i.e. grande section
de maternelle dans le système scolaire français) lorsque débute le processus
d’évaluation. Il est né prématurément à 36 semaines d’aménorrhée et a été
placé, avec son petit frère, dans une famille d’accueil vers l’âge de 3 ans [1]. Ses
accueillants familiaux ont par ailleurs deux enfants biologiques, plus jeunes
qu’Alexandre, qui a dès lors la position d’aîné dans la fratrie.
Une évaluation pluridisciplinaire est demandée par l’équipe éducative à la suite
d’un retard langagier et pédagogique. L’enseignante estime qu’Alexandre ne
possède pas les prérequis nécessaires pour aborder une première année de
primaire (i.e. cours préparatoire dans la nomenclature française) et propose un
maintien en 3e maternelle pour lui laisser le temps d’évoluer. Le protocole
d’évaluation était composé de quatre parties : un examen des fonctions
intellectuelles, un examen des prérequis scolaires, un examen psychomoteur et
un entretien psychoaffectif. Le tableau 3.1 présente les épreuves administrées
ainsi que les résultats obtenus lors de l’évaluation des fonctions intellectuelles.
Habiletés
métaphonologiques (N-
EEL)
Répétition de mots
0/12 -2σ inférieur
complexes
Répond
Epreuves de rimes - - systématiquement par
l’affirmative
Identification du Incompréhension de la
- -
phonème initial consigne
Compréhension verbale
Consignes complexes
(NEPSY) 6/28 - 3,5 σ inférieur
Graphomotricité
Copie de figures
(NEPSY)
19/72 - 4,4 σ inférieur
Perception visuelle
(Inizan)
Discrimination
6/30 - 3,5 σ inférieur
visuelle
Traitement numérique
(TEDIMATH)
Chaîne numérique
verbale et quantification
Comptage 0/8 < perc. 20 inférieur
Compréhension du
système numérique
Répond
Décision numérique
- - systématiquement par
écrite
l’affirmative
Comparaison de
- - Non réalisable
nombres arabes
Répond
Décision numérique
- - systématiquement par
orale
l’affirmative
Opération
mathématiques
Opération avec
- - Non réalisable
support imagé
Dextérité manuelle
(MABC)
Équilibre statique
(MABC)
Équilibre dynamique
PNPG : 3 ‘’ - 1,6 σ limite
(MABC)
Organisation du schéma
corporel (Bergès-Lézine)
Organisation spatiale
Représentation spatiale
Copie de figures
3/9 Niveau 4-5 ans inférieur
géométriques (Santucci)
D’autres types d’élèves sont également considérés comme plus à risque d’être 19
orientés vers l’enseignement spécialisé, notamment les enfants issus de
l’immigration et les enfants issus de milieux défavorisés (voir par exemple Tremblay,
2010 ; McKinsey, 2015), faisant apparaître un lien entre milieu de vie et orientation
scolaire. Il s’agit ici de difficultés pour l’enfant à s’adapter à la culture scolaire mais
aussi d’une difficulté de l’école à s’adapter à l’enfant et à se rendre accessible à lui. À
nouveau, nous pouvons faire l’hypothèse qu’une évaluation dynamique du potentiel
d’apprentissage de ces élèves serait plus à même de rendre compte de leurs besoins
qu’une évaluation standardisée. Or, actuellement, l’orientation vers l’enseignement
spécialisé s’appuie uniquement sur des tests et épreuves peu écologiques, ne prenant
pas en compte les variables environnementales.
3. De l’intégration à l’inclusion
On le comprend : l’approche inclusive des situations de handicap repose sur un 21
changement de paradigmes, dont celui de l’évaluation, qui induit un changement de
la culture professionnelle des psychologues et des différents corps de métier engagés
dans l’éducation et le soin. Il s’agit en effet de distinguer les évaluations normées et
les évaluations dynamiques. Les premières sont centrées sur le niveau de
fonctionnement actuel de l’enfant et le situent par rapport à son groupe d’âge ou à
une norme. Les méthodes d’évaluation dynamiques évaluent, quant à elles, les
éléments utiles à l’intervention éducative (voir Tourette, 2006, pour une synthèse).
Elles se sont développées à l’origine dans la perspective de la remédiation cognitive
et s’inscrivent aujourd’hui dans un contexte d’accompagnement institutionnel de la
personne. Plusieurs travaux, dont ceux rassemblés par Arnold et Horan (2017) au
titre de l’European Federation of Psychological Associations (EFPA) et dans les
synthèses publiées en France par le CNESCO (2016), déclinent les éléments
d’organisation et de fonctionnement des systèmes scolaires nécessaires pour tendre
vers les pratiques inclusives (Mellier et Corman, 2017). C’est en ce sens que Lazarova
(2017) propose de parler d’établissements « pro-inclusifs » pour marquer qu’ils
s’inscrivent dans des processus constants de changements selon les besoins des
personnes. De ce point de vue, l’inclusion ne se décrète pas. Elle se construit au fil de
l’évolution des besoins des personnes et au fil des évolutions institutionnelles. Les
préconisations pro-inclusives peuvent être étendues aux systèmes de santé, au
champ médico-social, et à toutes formes de situations de différences dont les
handicaps.
Exemple d’items
Une autre dimension du système concerne la capacité des enseignants et des autres 31
professionnels à soutenir l’enfant. On sera attentif à tempérer les professionnels qui
s’engagent « la fleur au fusil » sans estimer les enjeux de la continuité de
l’accompagnement et le nécessaire travail en équipe, à tout le moins à plusieurs avec
une coordination effective des actions. On veillera aussi à protéger les enseignants
du stress et de l’épuisement (Doudin, Curchod-Ruedi, Lafortune et Lafranchise,
2011)
L’implication des parents, voire du système familial, est une composante essentielle 32
de la conduite d’un projet d’intégration et, au-delà, de la mise en place d’une école
inclusive (Deslandes, 2015). Cela présuppose d’examiner la manière dont un
partenariat école-famille peut être mis en place et sur quels fondements. Plusieurs
modèles existent (Epstein, 1987 ; Hoover-Dempsey et Sandler 1997 ; Bouchard,
1999 et 2002) visant à décrire les dynamiques à mettre en œuvre pour faire se
rencontrer les attentes conjointes des familles et des milieux scolaires. Ces modèles
reposent sur la reconnaissance des expertises de chacun et sur une définition
explicite des rôles et fonctions de chaque partenaire dans un projet éducatif
(Boudreault et al., 2001). Il nous semble important d’insister sur le fait que la
participation du parent à ce projet et le partenariat à construire avec les
professionnels ne doivent pas conduire ce parent à jouer un rôle de co-professionnel,
devenant en quelque sorte responsable d’un « échec » dans l’évolution de l’enfant.
Dans la situation clinique présentée, les parents, avant l’intervention d’un médiateur
externe, ont été amenés à se sentir « coupables » d’un mauvais choix dans
l’orientation de leur enfant alors que dans le même temps, ils étaient écartés du
processus décisionnel au prétexte qu’ils ne seraient « que » des parents, ne pouvant
donc prendre une position rationnelle.
Parmi plusieurs outils, les questionnaires de mesure des habitudes de vie (MHAVIE) 36
ont vocation à évaluer la qualité de la participation sociale de la personne. Ils se
déclinent en 3 formes selon l’âge et les tâches développementales (Schleyer-
Lindermann et Piolat, 2011). La forme de 4 mois à 4 ans concerne la petite enfance ; la
forme 5 ans à 13 ans considère l’enfance, enfin il existe une forme pour l’adulte.
Chaque item de la MHAVIE (Fougeyrollas, Noreau, Lepage, 2014) attend trois
réponses : le niveau de réalisation (sans difficulté, avec difficulté, par substitution,
non réalisée, ne s’applique pas) ; le niveau d’aide requis (sans aide, aide technique,
aménagement, aide humaine additionnelle), et le niveau de satisfaction du
répondant, c’est-à-dire la personne adulte ou enfant, le parent ou l’intervenant. Le
niveau de satisfaction est évalué sur une échelle de 4 degrés allant de « très
insatisfait » à « très satisfait ». Le questionnaire peut être renseigné lors d’une
entrevue, en auto ou en hétéroévaluation. Il porte sur douze catégories d’habitudes
de vie réparties en activités courantes et rôles sociaux (tableau 3.6).
1. Nutrition 7. Responsabilités
D’autres outils recommandent l’observation du jeune selon la tâche ou le jeu qui lui 37
est proposé et en prenant en compte l’émergence ou esquisses d’activités selon les
aides fournies à la personne. Le bilan sensorimoteur (Bullinger, 2004, et Borghini,
chapitre ?? de cet ouvrage) est un exemple d’évaluation des capacités du jeune enfant
où le psychologue teste des hypothèses sur ce qui fait actuellement obstacle à la
réalisation perceptivo-motrice d’un réseau de situations. Pour beaucoup de
situations d’évaluation, y compris chez le jeune enfant, le recours aux écrans des
tablettes permet l’évaluation écologique des capacités tout en mettant à disposition
du psychologue un large éventail de situations.
L’ensemble de ces démarches centrées sur les facteurs qui font obstacle à la 40
réalisation d’activités, combinées à une évaluation de la qualité de l’environnement,
permettent d’identifier des habitudes de vie valorisées et les besoins d’aide (services,
compensations). Elles préconisent l’évaluation périodique des résultats obtenus et
de la progression, ce qui autorise à estimer les effets d’interaction entre facteurs
capables de réduire le handicap. La démarche d’identification des obstacles à la
réalisation d’activités sert de base à la définition de plans de services individualisés
(projet de vie et pas seulement projet de soins) par objectifs centrés sur
l’amélioration de la qualité des habitudes de vie (qualité de participation sociale,
exercice des droits humains).
L’établissement d’un diagnostic tel que prévu dans une définition biomédicale ou 42
essentialiste du handicap demande de lister les symptômes et les déficits de la
personne. Cette compréhension catégorielle est attendue par les organismes de
gestion administrative et politique des maladies et des handicaps. Elle permet de
calculer les prévalences par types de troubles pour répondre aux demandes, et si
possible d’anticiper les besoins en formation des personnels. C’est dans cette
perspective que des plans prioritaires d’action sanitaire et sociale sont fixés, comme
aujourd’hui les plans autisme en France.
4. Conclusion
L’évolution vers une école inclusive est en marche et, ce, même si nombre de 47
professionnels de terrain mais aussi de responsables administratifs semblent
ignorer ce changement fondamental de paradigme et l’ensemble des enjeux qui y
sont liés. Les pays d’Amérique du Nord ainsi que les pays nordiques ont ouvert la
voie il y a trente ans déjà. Nous pouvons maintenant mieux connaître ce qui a pu
définir ce qu’est ou ce que devrait être une école inclusive et dépasser la confusion
que l’on fait avec la logique intégrative, les obstacles rencontrés mais aussi ce qui a
constitué des facilitateurs permettant à une école de s’ouvrir réellement aux besoins
éducatifs de tous les élèves quelles que soient leurs caractéristiques personnelles.
Parmi ces facilitateurs, un changement fondamental de notre représentation de
l’élève dit « à besoins spécifiques » est essentiel. En effet, vu sous la forme d’un
simple diagnostic, l’élève est vu comme pas ou peu capable de satisfaire aux
exigences du système scolaire traditionnel et amène les enseignants eux-mêmes à
douter de leurs compétences pour mettre en place les apprentissages dès qu’une
difficulté se présente. Pourtant, à un moment ou l’autre, les difficultés
d’apprentissages touchent l’ensemble des élèves, avec une intensité et durée plus ou
moins variables. Leur remédiation est pleinement du ressort des pédagogues.
Dans ce chapitre, notre souci a été de montrer qu’un changement dans nos modes 48
d’évaluation, qui ne peuvent en aucun cas se limiter à un simple constat de non-
performance à un test mais qui doivent être dynamiques et mettre en avant les
compétences sur lesquelles l’adulte éducateur (parent ou professionnel), va
permettre d’élaborer un projet éducatif ambitieux.
Nous sommes conscients que plusieurs autres pistes auraient été également 49
intéressantes à explorer comme le rôle et l’impact des pairs sur les apprentissages
d’un enfant en difficulté, ou encore l’utilisation correctement pensée des
technologies de l’information et de la communication. L’accent devrait aussi porter
sur les dimensions socioémotionnelles, notamment le modèle interne opérant
d’attachement qui joue sur la confiance ou le crédit que l’enfant peut porter à l’autre
dans les relations sociales, y compris dans un contexte scolaire. On a insisté aussi sur
l’intérêt d’évaluer la qualité de vie dont ses composantes scolaires. Cela peut être
enrichi par une analyse du climat scolaire, notamment dans les situations à risques
de brimades et de harcèlement dont sont plus souvent victimes les enfants en
situation de handicap.
Points clés
Notes
[2] En Belgique, les parents peuvent faire le choix d’un enseignement spécialisé si leur
enfant rencontre des difficultés scolaires et/ou une déficience nécessitant un
environnement adapté. Du personnel paramédical, psychologique et social
complète l’équipe éducative. L’enseignement spécialisé est organisé en 8 types
(9 types en Communauté flamande). Le type 1 accueille des enfants présentant une
déficience intellectuelle légère. Pour plus d’informations, voir
www.enseignement.be
[2] Une discussion quant à la pertinence de cette approche sera proposée dans la
discussion, après la présentation du cas d’Alexandre.
Plan
1. Introduction
2. Étude de cas
3. De l’intégration à l’inclusion
4. Conclusion
Bibliographie
Références bibliographiques
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Auteurs
Aurélie Huyse
Daniel Mellier
Jean-Jacques Detraux
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