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Le dollar, instrument de l’hégémonie états-unienne dans le monde

Introduction

Accroche : une plus grande internationalisation du yuan (RMB) face au dollar, mais à
pas comptés : au printemps 2023, l’introduction d’actions en renminbi – autre nom du
yuan chinois- à la bourse de Hongkong (doc. 7). Vers une dédollarisation progressive du
système monétaire international ? C’est aussi un objectif des BRICS avec leur New
Development Bank. Une problématique actuelle : cf. « Can BRICS De-dollarize the Global
Financial System ? » Zongyuan Zoe LIU, Mihaela PAPA, 2022

Analyse des termes

- Le dollar : la monnaie des Etats-Unis, dont le nom vient d’une déformation des
monnaies des pays germaniques des temps modernes, le « thaler », créée aux Etats-Unis
en 1792 : c’est l’une des premières affirmations de souveraineté de la jeune nation.
Appelé communément « billet vert ».

Les trois fonctions classiques de la monnaie : unité de compte, moyen de paiement,


réserve de valeur.

Rappels historiques

- Créé en 1792 donc. Les premières pièces sont frappées en 1793, dont la valeur est
indexée sur l’argent (24 grammes d’argent pour 1 dollar). A la même époque est créée
la First National Bank, première Banque centrale qui, résultat d’un compromis entre
Hamilton le fédéraliste et Jefferson l’anti-fédéraliste, gère la dette fédérale mais n’a pas
le droit d’émettre des dollars. Elle finit par disparaître dans les années 1830 et c’est le
gouvernement fédéral qui, dans un système très décentralisé, donne son accord à des
banques privées pour qu’elles émettent leur propre monnaie (8 000 banques pour des
dizaines de milliers de sortes de dollars différents- les faux monnayeurs s’en donnent à
cœur joie !).

- Le système est une première fois remis à plat dans les années 1860 par Lincoln : 1863,
un unique billet à dos vert (impossible à reproduire pour les faux monnayeurs), frappé
de l’aigle américain, dans un système bimétallique (argent et or). Le monométallisme-or
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est institué en 1900 (1,5 dollar l’once d’or), en application de la loi de Gresham (« la
mauvaise monnaie chasse la bonne »).

- A la suite de la panique bancaire de 1907, les Etats-Unis sont contraints de ré-instituer


une Banque fédérale (centrale), seule habilitée cette fois à émettre du dollar : le Federal
Reserve System (1913), constitué des banques régionales (12 succursales héritières des
anciennes grandes banques privées) et d’un bureau des gouverneurs. Fait unique au
monde : une Banque centrale privée et indépendante, mais placée sous l’étroite
surveillance du gouvernement fédéral (son gouverneur est nommé par le président des
USA).

→ Insister sur les spécificités du dollar :

La seule monnaie acceptée partout dans le monde. A la fois monnaie nationale


américaine et monnaie internationale, tout repose dans ce paradoxe : comment
concilier les deux ? paradoxe de Robert TRIFFIN, économiste belge professeur à Harvard,
auteur de Gold and the Dollar Crisis. The Future of Convertibility, 1960) =
- ou bien les USA restreignent leurs déficits et dans ce cas le monde manquera de dollars
- ou bien les USA s’installent dans les déficits et le dollar finira par perdre sa crédibilité
Selon O. FEIERTAG dans Olivier FEIERTAG, « Le "privilège insigne" du dollar : les deux
faces de la globalisation », Questions internationales (2020), le dollar est à l’intersection
des deux logiques de notre mondialisation : d’un côté celle des Etats-nation, de l’autre
celle du marché global = ce qui donne aux Etats-Unis un « privilège insigne » (reprenant
la formule au général De Gaulle).

→ Attention à la notion d’hégémonie dans le sujet : une domination sans partage,


mélange de contrainte et d’acceptation. Celle du dollar, monnaie nationale et
internationale. Celle de l’économie américaine. Celle des Etats-Unis plus largement : le
dollar comme vecteur de domination mondiale et d’américanisation du monde. Penser
à bien relier dans la problématique et dans la démonstration l’hégémonie du dollar à
l’hégémonie globale des Etats-Unis.

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Problématique. Comment les Etats-Unis ont-ils pu réussi à imposer une domination
pérenne du dollar dans le système monétaire international, malgré la récurrence des
crises, au service de leur hégémonie mondiale ? Peut-on dire que cette hégémonie du
dollar touche à sa fin en ce début de XXIème siècle, alors même que la toute-puissance
du dollar est de plus en plus contestée à l’image de l’hégémonie états-unienne dans le
monde ?

I. La mise en place de l’hégémonie du dollar sur le système monétaire


international accompagne historiquement la montée en puissance des
Etats-Unis
Pour Serge Sur (QI, été 2020), le règne du dollar est le « produit » de cette montée en
puissance, et la nourrit en retour.

1. L’avènement du « roi-dollar » se réalise en plusieurs étapes :

- A Washington en 1913, la consolidation du dollar : le monométallisme-or a été institué


en 1900 (1,5 dollar l’once d’or), en application de la loi de Gresham (« la mauvaise
monnaie chasse la bonne »). A la suite de la panique bancaire de 1907, les Etats-Unis
sont contraints de réinstituer une Banque fédérale (centrale), seule habilitée cette fois à
émettre du dollar : le Federal Reserve System (1913), constitué des banques régionales
(12 succursales héritières des anciennes grandes banques privées) et d’un bureau des
gouverneurs. Les USA passent de débiteurs à créanciers du monde durant la Première
Guerre mondiale.

- A Gênes, en 1922 : de monnaie périphérique, le dollar est devenu monnaie-pivot du


nouveau SMI. Toutes les monnaies nationales peuvent revenir à l’ancrage à l’or, mais le
dollar peut constituer une monnaie de réserve substitutive. Les Etats-Unis n’ont donc
plus à se soucier des déficits de leur budget et de leur balance des paiements, payés dans
leur monnaie- des « déficits sans pleur » comme le dit Jacques Rueff. Ce phénomène
explique selon Jacques Rueff la frénésie d'endettement des États-Unis pendant les
années 1920, jusqu'à dépasser 350 % du PIB, et l'explosion finale qui débouche sur la
crise de 1929. Dans ce contexte intervient le Banking Act, 1935 : une plus forte
centralisation des décisions à Washington et une indépendance (au moins théorique,
avec le retrait du secrétaire au Trésor) du FED.

- A Bretton Woods en juillet-août 1944 (44 pays présents autour des Etats-Unis,
pratiquement tous les pays du « monde libre »), le dollar devient la monnaie pivot :
3
1 / monnaie de référence : les autres doivent annoncer leur parité en or ou en dollar (et
ne pas fluctuer dans une proportion supérieure à 1%);
2 / seule monnaie convertible en or (cela résulte de la décision annoncée en 1947 et du
fait que le Royaume-Uni échoue au même moment à rétablir sa convertibilité) ; 35
dollars pour une once d’or
3/ la monnaie d'un pays qui dispose de la majorité (relative) des voix au FMI (avec un
droit de veto de fait car toute décision doit être prise à la majorité des 80%).

2. Après 1945, le dollar est au service de la superpuissance hégémonique états-unienne


Pour Serge Sur, il en est devenu un des principaux vecteurs, avec une dollarisation
croissante de l’économie mondiale.

- A l’issue de la guerre, le dollar est adossé à une puissance écrasante de l’économie


américaine dans le monde : 70% du stock d’or mondial (85 % des réserves monétaires
en or), 50% du PIB, 25 % des exportations mondiales… il est très recherché dans le
monde, qui en manque à l’issue de la guerre, notamment l’Europe et le Japon : c’est le
dollar gap.

- La « diplomatie du dollar » s’étend durant la Guerre froide : le dollar, qui est la


monnaie de la reconstruction et du développement, permet aux Etats-Unis de conclure
de nombreux pactes politico-militaires. Les plans Marshall pour l’Europe et les plans
Dodge et Draper pour le Japon. L’Alliance pour le Progrès est ainsi une sorte de « plan
Marshall pour l’Amérique ». Ce mécanisme d'aide économique, adopté dans le cadre de
l'Organisation des États Américains, a pour objectif de favoriser le développement
économique et social de l'Amérique latine et ainsi d’y favoriser la démocratie. Il est
évidemment une pièce importante dans la stratégie de protection contre la menace
communiste croissante. Malgré plus de 20 milliards de dollars distribués, le plan n’a
toutefois pas les résultats escomptés et, progressivement réduit, il est définitivement
abandonné par le président Nixon en 1973. Toutefois, la dollarisation des économies en
développement, notamment en Amérique latine, s’accélère avec la crise de la dette dans
les années 1980.

- Il en découle que le dollar est de plus en plus abondant dans le monde, également du
fait des guerres américaines (Corée, Vietnam), du fait de la course aux armements et à
l’espace (programme Apollo), de la politique d’internationalisation des FTN dans les
années 1950-60 (l’« Amérique bis »). D'où la montée d'une spéculation internationale
que le Pool de l'or essaie d'endiguer dans les années 1960 => 3/.
4
3. La position dominante du dollar dans le monde cause des difficultés à l’économie
américaine (dilemme de Triffin), ainsi qu’à la puissance dans son ensemble

- Le dollar connaît des difficultés croissantes. Créé en 1961 avec le plan Kennedy et
dissout en mars 1968 du fait d'une spéculation trop forte. Il regroupe les principales
banques centrales des pays développés qui, décidées à maintenir la parité or à 35 dollars
l'once, décident de coordonner leurs actions en intervenant sur les marchés (vendre de
l’or, acheter du dollar), comme le voulait le système de l’étalon-or. A partir de la fin 1964
et du début de 1965, la France du général de Gaulle demande de plus en plus de
remboursement de ses dollars en or, l’Allemagne fait de même mais plus discrètement.
Ainsi, les réserves en or du Trésor s’effondrent dans la seule décennie 1960 de 20 000
tonnes à 9 000, soit de 70% à 30% du stock d’or mondial. Seules 20% des réserves
détenues par les Banques centrales étrangères sont réellement couvertes par l’encaisse
du Trésor en or.

- Le creusement des « déficits jumeaux » aux Etats-Unis - déficit public et déficit


courant (biens et services) - provoque le « Nixon Choc » en 1971, suivi de deux
dévaluations du dollar (1971 et 1973), qui s’accompagnent d’une surtaxe unilatérale de
10% sur les importations : véritable séisme monétaire, qui fait entrer le monde dans le
régime des changes flottants (entériné à la Jamaïque en 1976) et de la « guerre
économique » (dévaluations compétitives, néoprotectionnisme). La formule de John
Connally fait mouche : « le dollar est notre monnaie mais votre problème » : nous le
dévaluons, c’est à vous de faire baisser également vos monnaies si vous voulez
sauvegarder vos positions économiques (notamment commerciales). Une politique très
nationaliste (au service des intérêts américains) qui est une constante depuis lors.

- Avec des conséquences majeures sur l’économie mondiale. Les variations constituent
autant de chocs que l'économie mondiale a du mal à encaisser :
— le premier choc pétrolier que l'OPEP présente comme un rattrapage après la
dévaluation du dollar et le développement de l'inflation mondiale ; le deuxième en
pleine baisse du dollar également, avant une remontée brutale de celui-ci
— la dette du Tiers Monde qui pose un problème à partir du moment où le dollar
s'apprécie en 1979 (elle est largement libellée en dollar), en lien avec les hausses
de taux d’intérêt (la dette a été contractée à intérêts variables)
— le recyclage des pétrodollars du Moyen-Orient et des excédents industriels
japonais et asiatiques constituent un levier de la « globalisation financière ».

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II. Malgré la fin du système de Bretton Woods, l’hégémonie du dollar n’est
pas remise en cause et continue de constituer un instrument de domination
états-unienne sur le monde

1. Le dollar conserve une position dominante dans le monde, à l’image de l’économie


américaine

- Le dollar montre une résistance exceptionnelle. Pour Patrick ALLARD (« L’économie


mondiale peut-elle renoncer au dollar ? », QI, été 2020), le dollar a survécu à ce qu’il
nomme trois « moments Triffin » successifs :
1 / dans les années 1960, se soldant par la création des DTS,
2 / à la fin des années 1970 avec la nomination de Volcker à la FED (en Europe, création
du SME),
3 / avec la crise des subprimes et conséquences avec rôle des BRICS et relance des DTS
intégrant la Chine.
= un exemple à développer : un moment de crise profonde, où l’on croit à la fin du dollar.
Edouard TETREAU : « l’Amérique a perdu la maitrise de sa finance, de sa monnaie et
d’une certaine façon d’elle-même ». Myret ZAKI annonce la « fin du dollar », dans un
gigantesque krach financier mondial. Selon lui, comparé à l'or, le dollar perd 98 % de sa
valeur entre 1971 et 2010. On irait alors vers un abandon du dollar comme grande
monnaie internationale de réserve et d’échanges, avec différents scénarii possibles : le
triomphe de l’euro, le remplacement du dollar par un panier de monnaies, l'essor
international du yuan, la densification des échanges hors dollar entre pays émergents.
Avec la fin du règne du dollar, c’en serait terminé de la domination économique
américaine (et de la domination tout court).

- Par conséquent, sa domination ne s’en trouve pas réellement diminuée… Le billet vert
maintient ses positions contre toute attente. Serge SUR (doc. 2) : « La suprématie du
dollar est le fruit de la supériorité de l’économie américaine. Celle-ci est plutôt en déclin
relatif du fait de la montée puissance des économies européennes, de la Chine et des pays
industrialisés d’Asie comme des pays émergents. Le dollar n’en a été que modérément
affecté, il a survécu à ce déclin, il le compense même dans une large mesure. D’abord
produit, il est devenu vecteur et demeure sauvegarde ». Le dollar peut ainsi continuer de
remplir donc tous les rôles de la monnaie au niveau mondial : étalon de valeur (prix
annoncés en dollars : cf. matières premières, aéronautique…), réserve de valeur, moyen
de paiement. Les chiffres suivants le prouvent :

6
Doc 6 :

Devises US dollar Euro Livre sterling Yen Yuan


(renmibi)
En % des 52% 33% 7% 3,5% 1,9%
échanges
internationaux
En % des réserves 62% 21% 4,4% 5,6% 2,2%
Banques centrales
En % des 44% 16% 6% 11% 2%
opérations sur le
marché des
changes
En % des 58% 22% 2% 3% Moins de 1%
émissions de
dettes
internationales
En % des 40% 32,5 7 3,5 1,9
paiements
internationaux
(SWIFT)

- Le poids du dollar dans les réserves de change continue de dessiner une domination
globale :

7
2. Le dollar est toujours capable d’organiser l’économie financière mondiale en centres
et périphéries :

- Les États-Unis constituent le centre de la mondialisation économique et financière.


La Fed a toujours été capable depuis l’après 2GM de fournir le monde en liquidités
suffisantes, notamment aux banques du monde entier (système CHIPS : Clearing House
Interbank Payments System). La Fed exerce un rôle prédominant dans la politique
monétaire mondiale et, par contrecoup, dans l’économie. Les États-Unis disposent du
plus grand marché financier mondial (45% de la capitalisation boursière mondiale). En
cas de crise financière, la liquidité en dollars risque de s’assécher, ce qui peut entraîner
des défauts de paiement contagieux. Le monde est donc tributaire du réseau de prêts de
la Fed aux autres banques centrales (accords dits de swaps). La FED joue ainsi le rôle de
PDR, actionnant la planche à dollars pour nourrir la demande mondiale : 1 000 milliards
de dollars en 2009 (lors récession subprime), 4 500 milliards de dollars en 2014 (risque
de rechute), 6 500 milliards de dollars en 2020 (crise COVID).

- Des périphéries intégrées gravitent autour de ce centre : ce sont les principaux


partenaires des Etats-Unis en termes d’échanges commerciaux et financières (Europe,
Canada, Australie), ils suivent la politique monétaire de la Fed. Lorsque la Fed décide, pour
des raisons de politique intérieure, d’assouplir sa politique monétaire, les autres pays en
subissent le contrecoup, comme dans les années 2010 : les autres pays perdent en
compétitivité-prix, leurs places financières attirent les capitaux à court terme, dits flottants
(hot money), d’où un risque systémique accru. Certains pays utilisent un dollar national,
sans forcément l’ancrer au dollar américain (mais c’est souvent le cas) : les devises du
Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de Singapour et du Liberia, par exemple,
sont toutes appelées dollars, mais sont des monnaies nationales complètement
différentes.

- Des périphéries dominées dépendent souvent fortement du dollar :

1 / De nombreux pays utilisent le dollar américain à la place d’une monnaie nationale :


ils sont 16 (« zone dollar »), surtout en Amérique, surtout dans la Caraïbes et dans le
Pacifique : Porto Rico, Équateur, Panama, Somalie, El Salvador, Îles Turks et Caicos,
Guam, Îles Vierges américaines, Timor-Leste, Îles Vierges britanniques, Îles Marshall,
Samoa Américaine, États fédérés de Micronésie, Mariannes du Nord (îles), Caraïbes
Pays-Bas, Bonaire.

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2/ Au-delà, 66 pays ont un ancrage de leur monnaie au dollar (currency peg) : un ancrage
fixe ou ancrage flottant. 8 ont actuellement un ancrage fixe : 8 pays ont actuellement un
taux de change fixe avec le dollar : Aruba, Bahamas, Barbade, Bermudes, Macao, Hong
Kong, Bahreïn, Belize. Cet ancrage fixe peut soit être temporaire (en cas de crise, comme
en Amérique du Sud), soit durable.

Les « rogue states » sont privés de dollar et peinent à s’insérer à la mondialisation, à


l’image de l’Iran.

3. Enfin, les Etats-Unis continent de tirer un profit maximal du dollar au service de leur
hégémonie globale
Le dollar est désormais une « sauvegarde » (S. SUR) pour une hégémonie globale en
déclin.

- Revenir en deux mots sur les symptômes de ce déclin (voir autre sujet).

- Or, le dollar constitue toujours un moyen de financement aisé pour les acteurs de
l’économie états-unienne : le dollar continue de fournir des conditions de financement
exceptionnelles pour l’Etat fédéral mais aussi pour les acteurs privés (entreprises, fonds
d’investissements) = un « privilège exorbitant » (J. RUEFF). A relier à la domination
financière états-unienne : les bons du Trésor américain constituent 75% des obligations
« sûres » et l’essentiel de ceux affichant un taux d’intérêt positif. Les non-résidents
américains possèdent l’équivalent de 20 000 milliards de titres financiers américains, soit
100% du PIB US et 22% du PIB mondial. Sans compter que le dollar constitue une
protection financière contre les variations des taux de change, qui ne concernent ainsi
que les entreprises étrangères.

- De surcroît, il est devenu un instrument de pression politique sur des entités


étrangères en pouvant les priver d’accès au système de paiement américain. Lois
d’extraterritorialité (ou plutôt de territorialité élargie) : touchent les entreprises qui
commerce et investissent en dollars dans le monde, mais menacées de se voir fermer le
marché intérieur américain. Plus 7 500 entités ciblées depuis 2002 : 400 par an entre
2002 et 2014, 800 par an en 2015-2016, 1 500 en 2018 ! Les États-Unis ont toujours été
tentés d’utiliser le dollar pour assurer leurs objectifs diplomatiques – interdiction
d’utiliser le dollar pour financer des pays sous embargo américain. Désormais, cette
extraterritorialité a néanmoins dépassé la mesure traditionnelle. Ce n’est pas seulement
l’usage du dollar qui est régi par le droit américain. Quand un pays décide de commercer
9
à l’aide d’une autre monnaie que le dollar avec une nation sous embargo américain, ce
pays fait désormais l’objet de sanctions et il est menacé de perdre l’accès au marché
américain. A. LAIDI, Le droit, nouvelle arme de la guerre économique, 2020-

III. Toutefois, les perspectives de dédollarisation de l’économie mondiale


sont à prendre au sérieux, en lien avec le risque de déclassement des Etats-
Unis.

1. Il existe des efforts croissants de dédollarisation de l’économie mondiale.


La domination mondiale du dollar est moins bien acceptée, les menaces planant sur le
dollar se font toujours plus précises.

- La Chine et les BRICS. Dès 2009, en lien avec la crise mondiale : la Chine, alors premier
possesseur étranger de bons du Trésor américains (30 % du total environ, devant le
Japon, puis les pays de l’OPEP), met en cause la politique économique et monétaire
américain. La Chine a perdu confiance dans les Etats-Unis et veut s’autonomiser. Noter
que le yuan a été arrimé au dollar jusqu’en 2005 et qu’aujourd’hui il est arrimé à un
panier d’une vingtaine de monnaie dont le dollar (qui compte pour 22%). Deux actions
majeures :
● Revente des bons du Trésor US : moins de 1 000 milliards aujourd’hui, derrière l’UE et
le Japon.
● Internationalisation du yuan : dès 2007, possibilité d’émettre des obligations en
renminbi depuis HK puis bientôt Singapour, Londres… Puis encouragement au commerce
en renminbi notamment dans le cadre du projet des nouvelles routes de la soie, puis
lancement en 2015 du système de paiement interbancaire chinois, le CIPS, intégration
de la monnaie chinoise dans le panier DTS en 2016. 2018 contrats à terme en RMB sur le
pétrole brut. La Chine autorise ses exportateurs à opérer en yuan et les banques
centrales étrangères à acquérir ses bons du Trésor (la Malaisie est la première à le faire
en septembre 2010).

- Des projets régionaux :

● Projet de l’Organisation de Coopération de Shanghai de commercer sans dollars, grâce


à des accords de swaps ; même projet entre les BRIC en juin 2009. Des accords de ce
genre ont été signés entre la Chine et la Malaisie, l’Argentine, l’Indonésie, la Biélorussie,
la Corée (cela est autorisé, non obligatoire), le Brésil (fer contre téléphones portables).
Pourtant, ces accords ne représentent qu’une part minime du commerce mondial.
10
● Projets de monnaie commune : dans la péninsule Arabique, une tentative d’union
monétaire (jamais réalisée), idem en Amérique latine (projet de Sur relancé en 2023 par
Argentine et Brésil), idem en Afrique de l’Ouest (réalisée avec l’ECO), mais pour quelles
conséquences ? = sans doute pas de réelle autonomie vis-à-vis des grandes monnaies
mondiales (dollar, euro).

- Les tentatives de créer des nouvelles monnaies :

● Le DTS : échec après une nouvelle émission en 2009 incluant désormais le yuan. Les
droits de tirage spéciaux (DTS ; en anglais Special Drawing Rights, SDR) sont un
instrument monétaire international créé par le FMI en 1969 pour compléter les réserves
officielles existantes des pays membres. Le DTS est constitué d'un panier de devises
réévalué tous les cinq ans, constitué depuis le 1 er octobre 2016 des devises suivantes :
dollar américain euro, livre sterling, yen, yuan ou rénmínbì (RMB). La baisse du poids du
dollar dans ce panier face au RMB : environ 40% contre 10% (donc une baisse très
relative).

● Des monnaies numériques alternatives : des cryptomonnaies comme le Bitcoin ou


l’Ether mais très grande instabilité (pas de rôle de réserve de valeur). Le libra devenu
diem de Facebook et Zuckerberg : une monnaie digitale, gérée par un consortium
d’acteurs privés, et adossée à un panier de monnaies fiduciaires.

2. Toutefois, aucune d’alternative crédible au dollar ne se dessine :


Retour au doc. 6

- Un euro en difficultés. Des progrès réels, mais une monnaie surtout à vocation
régionale. Des problèmes de gouvernance majeurs. A traversé de graves crises et
demeure fragilisé par la forte hétérogénéité des économies européennes. Ne devance le
dollar que pour la quantité de billets émis.

- Un yuan à l’internationalisation lente et difficile. Les banques centrales détiennent


moins de 200 milliards de dollars de renminbi, contre 3 800 milliards de dollars, soit près
de 20 fois moins. Toutefois, 25% du commerce extérieur chinois est déjà en renminbi. Et
la monnaie chinoise est entrée en 2016 dans le panier de DTS (mais avec un coefficient
de pondération 4 fois inférieur à celui du dollar US). Mais des limites majeures à
l’internationalisation du renminbi :

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● un montant de commerce encore faible – forte inertie des opérateurs qui rechignent
à changer de monnaie
● le refus de voir le taux de change fixé par le marché
● le refus de libéraliser les flux de capitaux et de devises : une stratégie de
« convertibilité contrôlée »

- L’échec des monnaies numériques indépendantes, les projets de monnaies


numériques banques centrales (MNBC). Les Etats-Unis veulent proposer une alternative
aux cryptomonnaies comme le Bitcoin. Conscient du retard accumulé par rapport à la
Chine, le président Joe Biden vient d'annoncer la mise en chantier d'un dollar numérique
(mars 2022). Cette future monnaie devrait permettre de réduire les frais bancaires et
d'accélérer les transferts. Le projet pourrait favoriser l’inclusion bancaire Aux Etats-Unis,
5% des foyers ne disposent pas encore d'un compte en banque.

3. Il n’en reste pas moins que la politique monétaire américaine comporte de grands
risques pour l’avenir :

- Un risque économique systémique. La politique de dollar facile et de faibles taux, dans


un contexte de poursuite de l’hégémonie du dollar, ne laisse toutefois pas
d’inquiéter (elle a été interrompue en 2022, sans doute un peu tard) : analyse de l’ancien
gouverneur de la Banque de France Jacques DE ROSIERE dans QI été 2020 :
1 / elle a accéléré l’inflation mondiale
2 / elle a favorisé l’excès d’endettement : depuis la crise de 2008, la dette mondiale est
passée de 190 000 à 250 000 milliards de dollars (+ 30%)
3 / elle engendre des bulles spéculatives : actions et obligations
4 / elle affaiblit l’importance des taux d’intérêt qui perdent leur rôle de signal de qualité
5 / elle affaiblit le système bancaire en baissant ses marges et pousse à des
investissements plus risqués (voir les deux ponts précédents)
6 / elle habitue les Etats à ne pas se soucier de la rigueur de leurs comptes nationaux

- Elle s’insère plus largement dans la pratique de la guerre économique, et notamment


monétaire : doc. 4 Pascal Riché : la guerre monétaire, dans le contexte post-subprimes.
L’immensité des déficits jumeaux américains et de la dette publique : 30 000 milliards de
dollars, 125% du PIB. Les Etats-Unis pourraient perdre cette guerre et connaître la
démondialisation (réélection de Trump en 2024 ?).

12
- Elle pose plus largement la question de la redéfinition de la puissance américaine
dans le monde : repli néo-isolationniste et nationaliste (priorité au dollar comme
monnaie nationale ?) ou poursuite d’une mission universaliste (dollar comme monnaie
internationale ?). A relier aux questionnements sur la « transition hégémonique ».

Conclusion
Comme l’écrit Serge SUR (doc. 2), le dollar a donc été « produit, vecteur puis
sauvegarde » de l’hégémonie états-unienne dans le monde. Pour Patrick ALLARD,
l’hégémonie du dollar elle-même a été un « accident de l’histoire inscrit dans la durée » :
une monnaie de plus très recherchée dans le monde, au service d’une économie
dominante. Malgré la fin du système de Bretton Woods dans les années 1970, le dollar
est resté depuis un demi-siècle la monnaie de référence mondiale et la Fed continue de
faire la pluie et le beau temps sur les marchés, malgré la récurrence des « moments
Triffin » (P. Allard) qu’elle a su passer sans encombre. La dédollarisation n’est pas pour
demain…

• Bibliographie

HENRY Gérard-Marie, Le dollar, monnaie internationale. Histoire, mécanisme, enjeux


(2004)
Questions internationales, été 2020 : « Le règne du dollar », notamment :
- Olivier FEIERTAG, « Le "privilège insigne" du dollar : les deux faces de la
globalisation »
- Adrien FAUDOT, « Les déterminants de la domination internationale du dollar »
- Patrick ALLARD, « L’économie mondiale peut-elle renoncer au dollar ? »
RUEFF Jacques, Le péché monétaire de l’Occident (1971) et La Réforme du système
monétaire international (1973)
TETREAU Edouard, Quand le dollar nous tue (2011)
ZAKI Myret, La fin du dollar. Comment le dollar est devenu la plus grande bulle
spéculative de l’histoire (2011)

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