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2.

Le clergé paroissial

L’encadrement des fidèles est d’abord assuré par le clergé paroissial. Les curés, qui ont la
« charge des âmes » (cura animorum), servent aussi de relais au pouvoir lointain du roi : ils
assurent la diffusion des ordonnances royales, lues pendant l’office du dimanche, et tiennent le
registre des baptêmes et des sépultures (ordonnance de Villers-Cotterêts, 1539). Leur origine
sociale et géographique ne les distingue pas beaucoup de leurs paroissiens dont ils partagent la
culture, les mœurs et les défauts : on compte parmi eux beaucoup de fils de paysans aisés et de
notables villageois venus d’une localité voisine ou de la région.
La formation religieuse et intellectuelle de ce clergé paroissial est, de manière générale, très
faible. Beaucoup de prêtres ignorent le latin et sont incapables d’expliquer le dogme à leurs
paroissiens. La situation ne doit pourtant pas être caricaturée : ainsi dans le Rouergue au début
du XVIe siècle, toute ordination est soumise à un examen à la fois théorique (latin) et
pratique (liturgie, connaissance des dogmes). Les séminaires n’existent pas encore, mais
certains ont étudié dans les collèges et à la faculté des arts. L’imprimerie a par ailleurs multiplié
et rendu bon marché toute une littérature de conseils et d’instructions à l’usage des curés. Le
mode de vie du clergé entre par ailleurs souvent en contradiction avec les exigences de leur
état, comme l’attestent les comptes-rendus de visites paroissiales rédigés par les évêques. Le
prêtre paillard, concubinaire ou ignare n’est pas rare (même si c’est aussi un lieu commun de
la littérature critique) : aux XIVe et XVe siècles, dans les diocèses de Grenoble ou de Rodez,
près de 20 % des prêtres sont concubinaires. Il semble pourtant que les fidèles aient toléré les
vices personnels de leur curé, dans la mesure où celui-ci était capable de procéder correctement
à la messe et à tous les sacrements nécessaires à leur salut. Beaucoup plus répandu est
l’absentéisme du curé : dans le diocèse de Rodez, 84 % des prêtres sont absents de leur paroisse
entre 1518 et 1528. Le bénéfice – les biens et les revenus attachés à une charge ecclésiastique
– est en effet bien souvent employé par son titulaire pour faire autre chose : résider en ville,
poursuivre des études, servir un prince, se consacrer à la littérature (Rabelais, Joachim du
Bellay). Cet absentéisme est aggravé par la pratique du cumul des bénéfices. Le soin des âmes
de la paroisse est alors confié contre rémunération à un remplaçant, le vicaire. L’image du prêtre
désormais salarié s’en trouve dévalorisée, d’autant plus que les vicaires ont souvent une
formation très rudimentaire. Cette situation favorise une intervention plus grande des laïcs dans
les affaires de la paroisse : reconstruction de l’église, administration de l’école ou de l’hôpital
autrefois du ressort des clercs.

Dès le début du XVIe siècle, les humanistes dénoncent le conformisme des pratiques
religieuses et plus particulièrement de la hiérarchie ecclésiastique : dans son Eloge de la folie
(1509), Erasme dénonce le luxe du haut clergé, l’oisiveté des moines et la passivité des fidèles.
On retrouve ces contestations chez les humanistes français, Marguerite d’Angoulême ou
Rabelais. Toutes leurs critiques sont cohérentes avec leur fidélité envers les Ecritures : ils
pensent que l’Eglise a trop tendance à s’affranchir des textes sacrés. Il faut cependant insister
sur le travail remarquable accompli dès le début du XVIe siècle par les évêques humanistes,
dans le cadre de leurs diocèses, pour améliorer l’encadrement des fidèles.

3. Une sensibilité religieuse nouvelle


Il est certain que les « abus » de l’Eglise catholique, du pape, des moines et des curés ne
suffisent pas à expliquer le profond désir de réforme qui s’exprime en Europe dans les premières
décennies du XVIe siècle. La Réforme (catholique ou protestante) est avant tout une réponse à
un intense besoin spirituel. Les épreuves du XVe siècle (guerres, épidémies) ont profondément
marqué la sensibilité religieuse des populations, en accroissant le sentiment de culpabilité (les
épreuves sont vécues comme des châtiments divins) et les peurs eschatologiques (le sentiment
de l’imminence de la fin du monde). La mort est au centre des préoccupations du temps, et sa
représentation se transforme. Les sculpteurs et les poètes détaillent complaisamment les étapes
de la décomposition physique du corps défunt ou les supplices de l’Enfer (cf. Jérôme Bosch,
Le jugement dernier). Le thème de la danse macabre – farandole qui entraîne chacun, pauvre
ou riche, vers son inéluctable fin – devient très populaire. La question du salut de l’âme
(comment sauver son âme, échapper à l’enfer et gagner la vie éternelle ?) se fait plus
angoissante.

A cette angoisse, les fidèles répondent par un foisonnement d’expériences religieuses


collectives et individuelles. Cette multiplicité des formes de piété s’explique par la
diversification sociale et par l’émergence d’élites urbaines à la spiritualité plus exigeante. Avec
l’appui de l’Eglise, les fidèles s’ingénient à multiplier les médiations entre le ciel et la terre : le
culte des saints, l’adoration des reliques, les pèlerinages proches ou lointains contribuent à
rassurer les fidèles.
Ainsi, le culte marial se développe : la Vierge de Miséricorde abritant les fidèles dans les
plis de son grand manteau protecteur devient un thème iconographique très répandu.
La croyance au purgatoire (apparue au XIIe siècle, vulgarisée au XVe siècle) permet
également de remédier à l’angoisse d’un au-delà irrémédiablement divisé entre Paradis et Enfer.
C’est en effet par là que devront transiter les âmes que Dieu aura jugées indignes d’accéder
directement au Paradis, afin d’y purger leurs péchés (purgatoire vient de purgare, purifier).
L’attention des fidèles se focalise alors sur les moyens de raccourcir le temps purgatoire. Des
« remises de peine » soigneusement tarifées, les indulgences, s’obtiennent du pape ou des
évêques à l’occasion d’un pèlerinage, d’aumônes, de jeûnes ou d’autres actes de dévotion. Les
dizaines, les centaines voire les milliers de messes que les testateurs commandent de célébrer
après leur mort doivent de la même manière adoucir leurs peines dans l’au-delà et raccourcir
leur temps de purgation. Cette « comptabilité de l’au-delà » (selon l’expression de l’historien
J. Chiffoleau) s’appuie dans une certaine mesure sur les nouvelles techniques de compte, de
calcul et d’échange qui modèlent profondément les comportements urbains. Mais ce
foisonnement extraordinaire des pratiques de piété (que l’on peut rapprocher des ornements du
gothique flamboyant) permet surtout de tisser un réseau serré de relations avec les morts et avec
Dieu, au moment où les intermédiaires habituels – les clercs – apparaissent incapables de
remplir leur tâche.

Dans les milieux urbains et lettrés commence par ailleurs à se dégager une relation plus
personnelle de l’homme au sacré, que facilite la multiplication par l’imprimerie des ouvrages
de piété. Voir par exemple la diffusion en France de la devotio moderna : cette nouvelle forme
de piété, apparue dans les Flandres à la fin du XVe siècle, exprime l’aspiration à une pratique
chrétienne moins formaliste, plus intérieure et plus exigeante. Elle repose sur la méditation
intérieure, des exercices spirituels, la pratique de l’examen de conscience et la lecture des
sources essentielles du christianisme (l’Ancien Testament, les Evangiles, les Epîtres de saint
Paul). Ce souci de retour à l’Evangile comme source de la vie intérieure est partagé par des
humanistes comme Erasme ou Lefèvre d’Etaples.
III. Le choc de la Réformation

1. La naissance du luthéranisme

La Réforme protestante s’ancre dans l’intense recherche spirituelle de l’époque. Elle naît des
recherches et des inquiétudes de Martin Luther (1483-1546), moine augustin et professeur de
théologie à l’université de Wittenberg. En 1517, Luther publie ses 95 thèses, dans lesquelles il
critique durement le système des indulgences, qui selon lui ne peuvent aucunement contribuer
au salut. Après avoir refusé de se soumettre à Rome, il est excommunié et mis au ban de
l’Empire (1521). Il précise entre temps sa doctrine dans plusieurs ouvrages parus en 1520 (De
la liberté du chrétien, la Captivité babylonienne de l’Eglise, etc.).
Le message luthérien repose sur deux grands principes :
- sola fide : à la question du salut (que faut-il faire pour être sauvé ?), Luther donne une
réponse radicale, celle de la justification par la foi seule : seuls seront sauvés les hommes
auxquels Dieu accorde sa grâce, qui se manifeste par le don de la foi. La grâce de Dieu est
gratuite, elle n’est pas donnée en fonction des mérites de l’homme : croire que l’on peut acheter
son salut ou y contribuer par les œuvres (pèlerinages, messes, prières pour les morts, etc.) est
une offense à la toute-puissance divine. Il n’y a donc pas de purgatoire, et le culte des saints,
des reliques ou de la Vierge n’a aucune efficacité. Le sola fide fonde en revanche une relation
personnelle et directe entre Dieu et le fidèle : il n’est nul besoin d’Eglise ou de doctrine
ecclésiastique. D’où le second principe :
- sola scriptura : l’Ecriture sainte est le seul support de la foi (et non la tradition de l’Eglise).
Triple conséquence :
1) elle doit donc être accessible à tous, notamment par des traductions en langue
vulgaire.
2) les clercs n’ont aucun monopole sur l’interprétation des textes sacrés : c’est le
sacerdoce universel.
3) l’Ecriture ne fonde que deux sacrements, le baptême et l’eucharistie (communion cf.
cène, dernier repas du Christ) : Luther ne reconnaît pas les cinq autres sacrements du
catholicisme1.
Le choc provoqué par Luther vient de ce qu’il déborde le cercle des inquiétudes savantes et
mobilise un vaste public à travers tous les milieux de la société, en s’adressant à des aspirations
et à des inquiétudes politiques et religieuses largement partagées : le sentiment anti-romain,
l’angoisse du salut. Rapidement, des pans entiers de l’Empire et de l’Europe du Nord (Suède,
Angleterre, Norvège et Danemark) rejettent la suprématie pontificale pour adopter le
luthéranisme. En France, on peut distinguer dans les années 1520-1530 deux types d’aspirations
à la réforme.

1 Soit la confirmation, la pénitence (qui suit la confession), l’extrême-onction, l’ordre et le mariage.


2. L’échec du courant évangélique

Le premier, le courant évangélique, réunit des chrétiens qui considèrent l’Ecriture sainte
comme l’unique règle de foi, qui n’accordent pas ou peu d’importance au culte des saints et des
reliques, qui adhèrent souvent à la doctrine de la justification par la foi seule mais qui ne veulent
pas rompre avec l’Eglise établie. L’évangélisme conduit à une expérience de réforme originale,
menée à Meaux dans les années 1520 par l’évêque Guillaume Briçonnet, entouré d’une brillante
équipe où figurent Lefèvre d’Etaples et Guillaume Farel. Les efforts du groupe portent avant
tout sur la réforme du clergé et sur la prédication auprès des fidèles : Briçonnet simplifie le
culte, introduit le français dans la liturgie, fait même distribuer aux fidèles des traductions de
l’Evangile pour améliorer leur connaissance du message divin. Rapidement, la Faculté de
théologie de Paris relève certains propos des prédicateurs comme proches des positions
luthériennes.
Briçonnet jouit un temps de la protection de François Ier, qui est conscient de la nécessité
d’une réforme disciplinaire de l’Eglise et sans doute influencé par sa sœur Marguerite de
Navarre, très au fait des nouvelles idées et des nouvelles sensibilités religieuses. Mais à la
faveur de la captivité du roi (1525), la Sorbonne et le Parlement de Paris ouvrent le procès du
groupe de Meaux. Le cénacle se disperse, certains (Briçonnet) réaffirmant leur fidélité à Rome,
d’autres (Farel) rejoignant les cités réformées. Bien avant que la ligne de partage entre
protestants et catholiques soit nette, le choc causé par la rupture luthérienne de 1517 rend
impossible une réforme interne de l’Eglise suivant les principes évangéliques ; les humanistes
sont très vite assimilés aux luthériens. La dispersion du groupe de Meaux ne met pas fin à
l’expérience évangélique : le foyer le plus vivant se développe ensuite autour de Marguerite de
Navarre, sœur de François Ier, proche de Guillaume Briçonnet et de Lefèvre d’Etaples.

3. La diffusion de la Réforme et la réaction du pouvoir

Ceux qui rompent avec l’Eglise ne forment encore que des groupes dispersés. Ils sont
influencés par Luther (dont les textes circulent rapidement en France), mais aussi par les
communautés réformées qui se structurent aux marges du royaume au début des années 1520 :
à Strasbourg sous la direction de Martin Bucer,
à Neuchâtel sous la direction de Guillaume Farel,
à Zurich sous la direction d’Ulrich Zwingli.
Dans ces villes, les églises sont vidées de leurs images, les revenus du clergé et les couvents
sont saisis, l’enseignement et l’assistance complètement réorganisés.

Les « luthériens » français, partisans d’une réforme plus radicale que celle de Meaux, se
signalent à l’attention du public et du pouvoir par des comportements provocateurs (cuisines
grasses en Carême), par des actes iconoclastes (destruction d’images peintes ou sculptées des
saints et de la Vierge, coupables selon eux de faire écran entre les fidèles et Dieu et de susciter
des pratiques idolâtres), par leurs attaques contre la « messe papiste ». L’affaire des placards en
est la manifestation la plus spectaculaire. Dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, dans les rues
de Paris, en province et jusque sur la porte de la chambre à coucher du roi, sont placardées de
petites affiches (37 ´ 25 cm) intitulées « Articles véritables sur les horribles, grands et
insupportables abus de la Messe papale inventée directement contre la Sainte Cène de Jésus-
Christ ». L’auteur, anonyme (mais il s’agit d’Antoine Marcourt, un exilé français influencé par
Zwingli), y dénonce :
- les cérémonies pompeuses, où au prix de « sonneries, bêlements, chatteries, cérémonies,
luminaires, encensements, déguisements et telles manières de singeries », le prêtre
embobine le « pauvre monde ».
- l’imposture de la messe catholique, qui prétend transformer les substances du pain et du
vin en corps et en sang du Christ (c’est la doctrine de la transsubstantiation : les
apparences restent celles du pain et du vin, mais leur substance a changé). Pour les
réformateurs influencés par Zwingli, l’eucharistie n’est qu’une commémoration du
dernier repas du Christ ; le pain et le vin ne sont que des symboles. Pour dénoncer le
culte selon eux fallacieux du « Dieu de pâte », les « luthériens » détruisent les hosties
ou les donnent à manger aux animaux sous les yeux horrifiés des catholiques.
Le scandale est énorme, la répression très dure : un édit de janvier 1535 annonce la décision
royale d’exterminer « la secte luthérienne ». L’activité d’imprimerie est même interdite
pendant un temps. Beaucoup fuient alors (parmi eux Jean Calvin), d’autres prennent peur et
rentrent dans les rangs (François Rabelais, Clément Marot), plusieurs dizaines de suspects
d’hérésie sont condamnés au bûcher. L’affaire des Placards est un moment essentiel dans la
consolidation des positions respectives du roi et des partisans de la Réforme.

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