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CIVILE, NATURELLE,
POLITIQUE ET RELIGIEUSE
T O M E XIV.
A P A R I S .
M. D. C. C. L.
Contenus en ce Tome;
AMERIQUE MERIDIONALE
C hAPITRE P R E M I E R . Des-
cription des différentes Pr ovinces de
Terreferme. Nourriture, habillement
mœurs, Coutumes, Gouvernement,
Religion & cérémonies des divers
peuples qui habitent ces Provinces,
Page I
CHAPITRE I I I . De la Religion,
ér des différentes cérémonies des
Brefiliens, 31
C H A P I T R E I V . Situation duPays
des Moxes ; leur Gouvernement ,
leurs occupations, leur Religion »
leurs Minières , leurs focietês ; Cé-
rémonies de leurs Enterremens &
de leurs Mariages; Remèdes dont
ils fe fervent dans leurs maladies}
Simples qui croijfent dans leur Pays;
Particularités d'un Animal appelle*
t)corame , _ 4$
CHAPITRE V I I . Origine du
mufe, & ou il fe forme. Nourriture
de Vanimal qui produit le mufe, 99
a iij
T A B L E
AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE,.
CHAPITRE I I . Religion,Temples*
Sacrifices, Pénitences , Fêtes, Dif-
cipline, Cérémonies de Paix & de
Guerre ; Mariages , Obfeques des
Mexicains, & des Peuples leurs voï-
fins, 12 J
CHAPITRE X I I . De la Religion
des Virginiens ; de leurs Prêtres,
& de leurs Devins ; de leurs Fc~
tes, de leurs dévotions, de leurt
danfes > & de leurs cérémonies de
paix & de guerre ; de leurs cérémo-
nies nuptiales , & de leurs cérémo-
nies funèbres, 301
T A B L E
CHAPITRE X I V . Description
géographique des grandes & des pe-
tites Antilles ; mœurs , coutumes,
Religion, cérémonies des Habitans
de ces Isles, 327
C H A P I T R E X V . De l'Isle de
Saint - Domingue ; combien cette
Isle étoit peuplée lorsque les Cas-
tillans y aborderent; caractère de
Christophe Colomb ; son départ pour
- l'Espagne ; désordres des Castillans
pendant son absence ; soulevement des
Indiens ; retour de Colomb à Saint-
Domingue ; longue & cruelle guerre
faite aux Indiens ; leur servitude ;
leur destruction; leur apologie, 3,48
CHAPITRE X V I . Description de
la Terre de Feu ; erreur des Cartes,
D E S C H A P I T R E S .
anciennes & modernes fur l'étendue
de cette Terre ; caractere, coutumes,
usages, nourritures, vêtemens des
Habitans de cette Terre ; erreurs des
Cartes fur la situation du Cap de
Horn ; description des Villes de Lima
& de la Conception, 372
AMERIQUE MERIDIONALE.
CHAPITRE PREMIER.
Description des différentes Provinces de
Terre ferme. Nourriture, habillement,
mœurs, Coutumes, Gouvernement,
Religion & cérémonies des divers
peuples qui habitent ces Provinces.
A Province de Terre-Ferme,
qui portoit autrefois le nom
de Castille d'or, a près de
deux cens quatre-vingt-dix
lieuës dans fa plus grande largeur, du
Midy au Septentrion , & cinq cens
Tome XIV. A
2 R E C U E I L
soixante-dix-fept dans fa plus grande
longueur d'Orient en Occident; elle
eft bornée à l'Orient & au Septen-
trion par la mer du Nord ; au Midy par
le Pays des. Amazones & par le P e -
rou ; & à l'Occident par la mer du
S u d , & par la Nouvelle Espagne.
C e Pays fe divise en fix principales
parties, qui font l'Audience de Pana-
ma, l'Audience de Santa-fé, la partie
qui dépend de l'Audience de Saint-
Domingue , le Pays de Paria, la
Guyane & la Caribane. Sous ces A u -
diences font compris onze G o u v e r -
nemens, qui font ceux de la Nouvelle
Grenade, de Paria, de Carthagene,
de Sainte-Marthe, de R i o , de la H a -
c h a , de Venezula, de la Nouvelle A n -
dalousie, de Caribane, de G o g a n e ,
où eft l'Isle de C a y e n n e , de Castille
d ' o r , & de Popayan.
Santa-fé eft la Capitale de la N o u -
velle Grenade ; elle eft le Siège d'un
A r c h e v ê q u e , d'un Gouverneur &
d'un Conseil Souverain. Cette Ville
eft située près d'un L a c , qui portoit
autrefois le nom de Guatavita. Con
D'O B S E R V A T I O N S . 3
3à où les Indiens de l'Amérique Méri-
dionale avoient coutume d'aller ado-
rer leurs Idoles.
Panama eft la Capitale de la Ca&
tille d'or ; c'eft le Siège d ' u n E v ê q u e ,
Se d'une Audience Royale.
L e s principales rivières de Terre-
Ferme, font l'Orenoque, les rivières
de Sainte-Marthe , de la Magdeleine,
d'Efquibo, de Berbico , de M a r o n y ,
-d'Yapoco, Sec.
L a chaleur eft excefïïve dans cette
Province , ce qui n'empêche pas ce-
pendant que l'air n'y loit très-fain ;
mais il en faut excepter les environs
xle l'Iftme' de Panama , où il y a
beaucoup de marais. I l croît peu de
bled dans ce Pays ; mais on y recueille
beaucoup de may , du moins dans les
endroits qui ne font pas coupés par
des marais ou des montagnes. L e s
prairies font partout couvertes de nom-
breux troupeaux. D a v i t y rapporte
après Herera, que dans le Gouverne-
ment de la Nouvelle Grenade, il y a
tel Habitant qui a jufqu'à vingt mille
bœufs & autant de brebis. Il y a auiïï
A ij
4 R E C U E I L
en Terre-Ferme un grand nombre de
mines d'or, d'argent, d'azur 6c de cui-
vre ; on y trouve de même des ro-
chers d'émeraudes & d'autres pierres
précieuses. Une autre richesse de cette
Province, c'est une grande quantité
d'arbres qui donnent différentes fortes
de gommes.
Il y a beaucoup de crocodiles dans
les rivieres, & l'on trouve dans les fo-
rêts un grand nombre de tigres, de
l y o n s , de chevreuils, de porcs-épics,
& d'autres bêtes sauvages. Il y a dans
la nouvelle Andalousie, un animal fin-
gulier, appelle Aranata, qui a des
pieds d'homme, une barbe de b o u c ,
& qui court sur les arbres comme un
chat sauvage, lorsqu'il veut éviter les
flèches qu'on lui tire.
L e s Habitans de cette Province
font confister la beauté à avoir les dents
extrêmement noires ; aussi ont-ils
grand foin de se les noircir tous les
jours avec la poudre d'une herbe qu'ils
nomment bay ou gay. Ils se nourrissent
de lezards, de sauterelles, de chauve-
fouris, d'écrevisses, d'araignées, d'a-
Èi'ô B S E R V A T I O S. 5
beilles,& de corbeaux; ils font même
iî peu délicats, que comme les Hot-
tentots ils fe font un plaifir de manger
la vermine dont ils font ordinairement
couverts.
Ces Sauvages vont nuds, Se fe con-
tentent de couvrir leur nudité de quel-
ques coquilles d'efeargots. Dans leu^s
v Fêtes ils le parent de plumes de diver-
fes couleurs ; ils fe coupent les che-
veux au-deiïus des oreilles, & s'arra-
chent la barbe. L e s filles Se les fem-
mes vont nues * ainfî que les hommes j
mais pour paraître avoir k s jambes &
les cuiiïes plus groffes, elles ont la
manie d'entortiller, leurs genoux d'un
nombre infini de bandes de toutes for-
tes de peaux. Linfchot rapporte que
les Prêtres de ces Indiens ne marient
point de filles, qu'ils ne leur ayent
fait faire auparavant l'apprentiflàge du
mariage ; il ajoute une autre fiagula-
rité non moins curieufe, qui e f l , que
les principaux de laNation ont la cou-
tume de céder pour une nuit la plus
belle de leurs femmes aux étranger*
qui vont loger chez eux.
A iij
6 R E C 0 E r L
Nous finirons,ce chapitre par une
courte defcription des cérémonies les
plus remarquables qui font en ufage
par«ri les differens peuples qui habi-
tent les diverfes Pcovinces de T e r r e -
Ferme.
L e s peuples deDarienV,de Panama,
de la nouvelle Grenade Se deCumane,
croyent qu'il y a un Dieu au C i e l ;
que ce Dieu eft le Soleil, mari de la
L u n e ; ils croyent auffi qu'il y a un
mauvais principe; ils lui.préfentent
pour l'appaifer, des fleurs, des fruits,
des parfums, Si du may.
L a manière dont leurs Prêtres , qui
font auffi Médecins, guériffent les ma-
lades , eft des plus fingulieres. Ils font
affeoir le malade fur une pierre, en-
fuite le Prêtre Médecin prend un pe-
tit arc Se de petites flèches, les tire
le plus vite qu'il lut eft poffible contre
le corps de fon malade, qui eft tout
nud. Leur addrefTe à tirer de l'arc les
fait toujours vifer fort jufte; & déplus»
il y a un arrêt à la flèche , afin qu'elle
ne -pénètre qu'autant qu'il le faut. S i
la flèche ouvre une veine remplie de
D'OBSERVATIONS. 7
Vent, & qu'alors le fang en forte avec
quelqu'impétuosité, le Médecin &
ceux qui font présens à l'opération,
fautent de j o y e , & témoignent par
leurs gestes, que l'opération eft heu-
reufe.
Ces Prêtres font vœu de conti-
nence, & s'ils le rompent, on les la-
pide & on les brûle fans rémission.
L e s Indiens de la vallée de Tania
adorent le Soleil & la L u n e , Se une
Idole nommée Chiapen. Avant que
d'aller à la guerre on lui sacrifie des
Esclaves & des Prisonniers, & on
teint le corps de l'Idole avec le fang de
la victime.
Cumane & Paria reconnoissent pour
leurs D i e u x , le Soleil & la Lune ; le
tonnere & les éclairs font les fuites de
4a colere du premier, & lorsqu'il s'é-
clipse, ils mettent en %sage les plus
grandes mortifications pour lui faire
revenir la lumiere; on s'arrache les
c h e v e u x , on se perce avec des arrêtes
de poissons; les femmes se déchirent
le visage, & les filles se tirent du sang
des bras.
A iiij
8 R E C U E I L
Ceux que l'on deftine à être Prê-
tres , font dès l'enfance initiés à la
Prêtrife ; on fait faire à ces jeunes
gens une retraite de deux années au
milieu des bois; ils ne mangent
rien qui ait du fang, ne voyent point
de femmes, oublient leur parenté,&ne
fortent point des cavernes. L e s vieux
Piajas, e'eft ainfi que s'appellent les
Prêtres de ces Indiens, vont les vifi-
ter & les endoftriner de nuit. Lorfque
Iè tems de la retraite des jeunes C a n -
didats eft accompli, leurs Piajas leur
donnent un certificat par le moyen
duquel ils font reconnus Prêtres , L i -
cenciés, & Docteurs ès A r t s , en M é -
decine & en Magie.
L e s femmes des Indiens de Darien
vont à la guerre comme les hommes,
& manient l'arc & les flèches avec
autant d'adretfe que de courage; ils
brûlent leurs Prifonniers de guerre ;
mais avant que d'en venir à l'exécu-
tion , ils leur arrachent une dent.
Les Indiens de Darien & de Par
nama n'affilient jamais au Confeil de
Guerre ou d'Etat qu'en habit décent.,
D'OBSERVATIONS. 9
c'eSt-à-dire, la toile de coton fur le
corps, l'écharpe fur les cuisses, l'an-
neau fur le nez ou sur la bouche, le
colier de dents, de coquilles, ou de
rassade autour du c o l , & il faut sça-
voir, que ces coliers pesent jusqu'à
vingt-cinq à trente livres, & qu'ils
descendent fort souvent jusqu'au nom-
bril. Ils dansent fans façon dans leurs
habits de cérémonie. Après qu'ils ont
pris leurs places, un jeune garçon al-
lume un rouleau de tabac qu'il met à
la bouche en guise de pipe, & s'en
va de rang en rang fumer au nez de
Messieurs les Conseillers, qui reçoi-
vent cette fumée avec toute la satis-
faétion possible, & la regardent com-
me un signe d'honneur & de res-
pecL
T o u s ces peuples ne font aucun
quartier à leurs ennemis ; s'ils ne les
massacrent pas fur le champ, c'est pour
les sacrifier à leurs Idoles, pour les
assommer ou pour les brûler en leurs
assemblées solemnelles. L e s Indiens
de la nouvelle Grenade & de Cuma-
nechâtrent les jeunes gens qu'ils font
10 R E C E I L
prisonniers, & les engraissent en-
suite.
Ceux de Venezula peignent autant
de parties de leurs corps qu'ils ont tué
d'ennemis. A u premier ennemi tué, on
se peint les bras ; au sécond, la poi-
trine; au troisiéme, ilssetirent des li-
gnes de couleur depuis le nez jusqu aux
oreilles.
Les Indiens de Darien ont plusieurs
femmes; ils peuvent même s'en défai-
re en les vendant aussitôt qu'ils s'en
dégoutent; outre c e l a , ils ont des
femmes publiques. D è s que les filles
ont atteint l'âge nubile, on leur don-
ne le tablier & elles ne paroissent plus-
en public. A u logis ellessesevoilent l e
visage, même devant leur pere ; heu-
reufement pour elles, on les marie
promptement.
Lorsqu'un Indien de Darien cm
de Panama se marie, il préfente, à la
porte de la Cabane à chacun des Con-
vives, une callebasse pleine de chicali,.
qui est la boisson ordinaire de ces In-
diens. T o u s ceux qui font de la noce,
boivent ainsi à la porte. L e pere du
D'OBSERVATIONS. II
garçon fait fa harangue, tenant à la
main droite l'arc & une fléche, dont il
préfente la pointe ; ensuite il danse &
fait diverses postures bizares, qui ne
sinissent pas qu'il ne soit accablé de fa-
tigue 8c de sueur. L a danse a c h e v é e ,
le pere du garçon se met à genoux, &
préfente son fils à fa fiancée, dont le
pere à genoux, comme celui du ma-
rié, danse à son tour, &fait les mêmes
postures que le premier. A peine les
civilités font-elles finies de part &
d'autre, que le paranymphe du marié
avec le reste de fa fuite, courent aux
champs la hache à la main, en fautant
& cabriolant, pour abattre les arbres
qui occupent le terrein où doivent l o -
ger les deux conjoints, & tandis que
les hommes défrichent cette terre, le
paranymphe de la mariée & toute sa
fuite y sement les grains.
L e pere de la mariée, ou à son défaut
son plus proche parent, la garde à v u e
une semaine dans l'appartement où il
couche. A u bout de ce tems-là, elle est
remise au mari.
C e s Indiens ensevelissoient leurs
12 R E CUE I L
Caciques avec des coliers d'or garnit
d'émeraudes, ou du moins ils enter-
roient avec eux ce qu'ils possedoient
pendant leur v i e , n'oubliant pas de
mettre de quoi boire & de quoi man-
ger près du corps. C e peuple imitoit
ses Souverains ; quelquefois les fem-
mes suivoient leurs maris en l'autre
monde. Une femme qui nourrit son
enfant, venant à mourir, il faut que
l'enfant parte avec elle ; car fans cela,
disent ces Indiens, il resteroit orphe-
lin. On le met à la mamelle de la
défunte avec laquelle on l'enterre.
Il y a parmi ces S a u v a g e s , des
filles qui font v œ u de virginité &
la gardent au péril même de leur v i e ,
puisque toujours armées pour la chasse
à laquelle ces chastes guerrieres s'oc-
cupent uniquement, elles tuent har-
diment celui qui attente à leur pu-
deur.
Les peuples de Clebagua-, de Ca-
ribane & de la nouvelle Andalousie,
adorent les squelettes dessechés de
leurs ancêtres. Ils ont aussi beaucoup
de vénération pour les tigres à qui ils
D'OBSERVATIONS. 13
abandonnent ordinairement les cada-
vres de leurs morts, parce qu'ils s'i-
maginent que le Soleil, qui est la
Divinité qu'ils a d o r e n t , fait fa
course dans un char traîné par des ti-
gres.
Ces peuples reçoivent dans une cé-
rémonie solemnelle ce qu'ils appellent
l'esprit de courage. L e don de cet es-
prit se fait par les Prêtres, qui com-
mencent la cérémonie par des chan-
fons & des danses, où chacun écume
& s'agite comme un démoniaque. U n
fort petit calme succede à l'agitation
violente, & pour lors l'on chante &
l'on danse avec plus de justesse & de
mesure. Tous ceux qui défirent que
les Prêtres leur communiquent l'esprit,
se tiennent par la main, & continuent
à danser sans relâche, pendant que
trois ou quatre Prêtres entrent dans
le cercle & courent fur les Danseurs,
les uns avec une callebasse au bout
d'un bâton, les autres avec un long
roseau rempli de tabac allumé, dont
ils souflent la fumée fur les Danseurs
en prononçant ces paroles: Recevez,
14 R E C U E I L
tous l'esprit de force, par lequel vous
pourrez, vaincre les ennemis.
L e s peuples de Paria plongent dans
une riviere le malade qui est attaqué
de la fiévre, & le font ensuite courir
à perte d'haleine, à coups de fouet, au-
tour d'un grand feu, après quoi ils le
portent dans fou hamac ; une longue
abstinence est encore un des remedes
qu'ils employent pour la guérison de
leurs malades, quelquefois ils se fer-
vent de la saignée, alors ils ouvrent
une des veines des reins.
Si la maladie est à peu-près désespe-
r é e , on porte le malade en son hamac
dans un bois; on suspend l'hamac en-
tre deux arbres, & l'on danse toute la
journée autour du malade; dès que la
nuit est venue, on lui saisse de quoi se
nourrir pendant quatre jours, & on
l'abandonne à son fort ; s'il guérit à la
bonne heure ; que s'il expire, on ne
s'en inquiète guéres.
L e s peuples qui habitent aux envi-
rons de l'Orenoque, pendent dans
leurs cabannes les squelettes de leurs
morts, & les ornent de plumes & de
D'OBSERVATIONS. 15
coliers, après que la pourriture a con-
fumé la chair des cadavres, d'autres
réduisent en poudre les os de leurs
Caciques ; les femmes & les amis
de ces guerriers infusent cette poudre
dans leur boisson, & ensevelissent de
cette façon dans leurs entrailles, ceux
qu'ils ont cheris ou respectés pendant
leur vie. Quelques autres peuples de la
Guiane font de grandes réjouissances
après la mort de leurs C h e f s , & por-
tent le plaisir jusqu'à l'yvresse, pen-
dant qu'une des femmes du défunt s'af-
flige, & hurle à persuader qu'elle v a
se désesperer. C e s derniers peuples
donnent des captifs ou des esclaves
au défunt pour le servir en l'autre
monde.
L e s Prêtres, Médecins de ces peu-
ples, passent par des épreuves assez
difficiles avant que de pouvoir être
reconnus Docteurs en l'une & en
l'autre prosession. O n pile des
feuilles vertes de tabac ; on en ex-
prime le suc, & on remplit de ces
feuilles la capacité d'un grand ver-
16 R E C U E I L
r e , que l'on fait vuider à celui qui
veut se faire. recevoir Prêtre , Méde-
cin , ou Boyé.
CHAPITRE
D'OBSERVATIONS. 17
AMERIQUE MERIDIONALE.
CHAPITRE II.
Découverte & situation du Brésil ;
fertilité du Pays ; mœurs de ses Ha-
bitans, leur nourriture, leurs occu-
pations, leur coutume, leur Gou-
vernement.
28 RECUEIL
l'Etranger doit leur répondre en pleu-
rant, ou il faut du moins qu'il lui en
coûte quelque soupir. Après cette cé-
rémonie l'Hôte de la maison demande
au nouveau venu comment il se p o r t e ,
ce qu'il désire, & lui fait servir à man-
ger. S'il ne doit partir que le lende-
main, on lui fait tendre un Amacas,
autour duquel on allume du feu, pour
qu'il ne soit pas incommodé de la
fraîcheur de la nuit. Si l'Etranger est
un Européen, il reconnoît le bon trai-
tement qu'on lui a fait par quelque
petit présent, comme de couteaux, de
ciséaux, ou de miroirs.
Quant à ce qui concerne le Gou-
vernement de ces peuples, il n'est
pas uniforme ; les uns font gouvernés
par un Chef qu'ils élisent entre les
plus notables d'entr'eux, & les au-
t r e s , tels que les Miramonins, les
Cariges vivent indépendans, sans
Loi ni Conducteurs : Mais les terres
qui appartiennent aux Portugais sont
divisées en quatorze Gouvernemens,
ou Capitaineries ; chaque Capitaine-
rie a son Gouverneur, & ils dépen-
B ' O B ' S E R V A T I ONS. 29
dent tous d'un Vice-R oi , qui fait fa
réfidence dans la Ville de San-Salva-
dor , Capitale de la Province. Cette
Ville eft fituée dans la Baye de tous
les Saints fur la côte Orientale ; elle
eft le Siège d'un Archevêque & d'une
Juftice Royale ; les autres Villes les
plus considérables , fortt celles de'
Saint - Sebaftien,-d'Olinde , ou de
Pernambouc , & de- Maragnan
qui ont chacun Un Evêquë% Suf-
fragant de l'Archevêque de San-Sal--
vadof. . -' ,'| '%
Les richefTes que les Portugais ti-
rent du Br'efU , conjiftent principale-
ment en fucre ; ils ont dans l'efpace
de cent cinquante lieues de côtes, plus
de quatre cens moulins, & prefqu'au-
tant qui font répandus çà & là le long
des côtes les plus éloignées: O r ,
chaque moulin rend par an environ
vingt-cinq mille quintaux de fucre.
L e s Portugais tirent encore du Bre-
fîl une grande quantité de t a b a c ,
d'huile de baleine, de confitures fé--
ehes & liquides, Se principalemcnt-
C iij;
30 R E C U E I L
du gingembre verd confît ; sans
compter l'argent immense que la ri
viere de la Plata fournit aux P o r
tugais»
D'OBSERVATIONS. 31
AMERIQUE MERIDIONALE.
CHAPITRE lit
î)e la Religion, & des différentet
cérémonies des Brésiliens.
• -
L E s Brefîliens n'ont ni T e m p l e s ,
ni monumens à l'honneur d'au-
cune Divinité; ils ne fçavent ce que
c'eft que la création du monde, &
ne distinguent les tems que par k f
Lunes-| mais, on ne peut pas dire qu'ils
n'ont abfolument point d'idée de la
Divinité ; car ils lèvent fouvent les
mains vers le Soleil & la Lune en li-
gne d'admiration. Ils ont quelqu'idée
du déluge ; car ils racontent qu'un
Etranger fort puiffant, & qui haïfïbit
extrêmement leurs ancêtres , les fit
tous périr par une violente inonda-
tion , excepté deux qu'il réferva pour
faire de nouveaux hommes , defquels
ils fe difent defcendus; cette tradi-
tion qui déligne affez le déluge, fe
C iiij.
32 R E C U E I L
trouve dans leurs chansons ; ils crai-
gnent beaucoup le démon, qu'ils ap-
pellent Aignan, cependant ils ne lui
rendent aucun hommage ; ils ne crai-
gnent pas moins le tonnerre; & quand
on leur dit qu'il faut adorer Dieu qui
est l'Auteur du tonnerre ; c'est chose
étrange, répondent-ils, que Dieu qui
est si bon, épouvante les hommes par
le tonnerre.
Ils ont beaucoup de vénération
pour un certain fruit aussi gros qu'un
oeuf d'Autruche, & semblable à des
callébasses ; ils l'appellent Maraca,
Lorsque les Prêtres Bresiliens font
la visite de leurs Dioceses, ils n'ou-
blient jamais leurs Maraques,
qu'ils font adorer solemnellement ; ils
les élevent au haut d'un b â t o n , fi-
chent le bâton en t e r r e , les font or-
ner de belles plumes, & persuadent
les Habitans du Village de porter à
boire & à manger à ces Maraques,
parce que, selon ces Prêtres, cela leur
est agréable, & qu'elles se plaisent à
être ainsi régalées; les Chefs & les
peres de familles viennent offrir à ces
D'OBSERVATIONS. 33
Maraques une partie de leurs provi-
sions, & c'est un grand crime que
d'enlever ce qu'on a consacré à ces
Idoles ; les Prêtres assurent que l'Es-
prit rend ces oracles par l'organe des
Maraques ; enfin, ils les regardent
comme des Dieux domestiques, &
pour cet effet, après que la consécra-
tion en a été faite solemnellement
par leurs Prêtres, ils les emportent
au logis, & les consultent dans les
occasions. Quelques Ecrivains rap-
portent que les Bresiliens adorent aussi
la L u n e , surtout quand elle est nou-
velle.
Les fêtes de ces peuples consistent
principalement en danses & en chan-
sons, qui roulent fur leurs beaux faits
d'armes, & fervent à conserver la mé-
moire de leurs Guerriers. Un de ces
beaux faits, c'est le massacre des Pri-
sonniers, mangés ensuite, comme nous
l'avons d i t , dans des assemblées so-
lemnelles.
Les Boyés ou Prêtres, interprétent
aussi les songes, & font accroire aux
peuples qu'ils o n t de secrettes intelli-
34 RECUEIL
gences avec le démon ; que par ibfl
moyen , ils peuvent détourner les
fléaux, les maladies. Le Boyé conCake
l'Oracle dans une cafe faite exprès ; il
y trouve un hamac propre , & bonne
provifion de caouin ( boiffon des jbre-
iîiiens ) préparé par une vierge de dix
à douze ans. L e B o y é qui pendant dix
jours entiers doit s'être privé des plai-
flrs du mariage , fe lave avant que fe
mettre au lit, & c'eft-là qu'il eonfulte
l'Efprit, qui ne manque pas de répon-
dre à fes prières; mais il efl bon de
remarquer que l'évocation de l'Efprit
fc fait fans témoins.
Nous avons dit que les Brésiliens
qui habitent l'intérieur du Pays fe fai-
foient fouvent la guerre les uns aux
autres; mais ce n'eft point le déiïr des
conquêtes qui leur fait prendre les ar-
mes , ni l'envie de s'enrichir des dé-
pouilles de leurs ennemis ; ils ne fe
déterminent à faire la guerre que pour
vanger la mort de leurs parens & de
leurs amis qui ont été dévorés par
ceux qui les ont fait Prifonniers. L o r s
donc qu'ils ont pris la réfolution d'al-
D'OBSERVATIONS. 35
ler porter la guerre chez leurs enne-
mis, ils feront souvent vingt à trente
lieues pour les aller chercher. Quand
ils approchent du Pays ennemi, les
plus courageux & les plus intrépides
prennent les devants, & se mettent en
embuscade dans les forêts, où ils de-
meurent quelquefois vingt-quatre heu-
res fans faire aucun mouvement ; mai-
heur à ceux qu'ils peuvent surprendre,
ils font destinés à être rôtis & man-
g é s , ou fi on ne peut les emmener,
on leur coupe bras & jambes, & ceux
entre les mains de qui ils font tombés,
les emportent par morceaux. Avant
que d'en venir à une action générale,
ils ont accoutumé de pouffer des hur-
lemens épouvantables, & les cris re-
doublent à mesure que les deux ar-
mées approchent ; ils font retentir
l'air de leurs instrumens de guerre ;
les Soldats des deux armées se mena-
cent & se montrent les uns aux autres
les os de ceux qu'ils ont mangés, &
un grand nombre de dents enfilés, qui
pendent à leur col. La fureur & la ra-
ge avec laquelle ils combattent est in-
exprimable.
36 RECUEIL
Ceux qui ont fait des Prisonniers
sont obligés de les nourrir & de les
engraisser ; on donne des femmes à
ces Prisonniers ; mais on ne donne
pas des hommes aux femmes qu'on a
prises à la guerre. La femme qu'on
donne au Captif lui sert également
la nuit & le jour. Il a même le privi-
lege de chasser & de se divertir jus-
qu'au moment de sa mort. Lorsqu'il est
devenu bien gras, on pense à l'expé-
dier ; on assemble solemnellement le
peuple ; & l'on c o m m e n c e la fête par
des danses & autres semblables diver-
tissemens que l'yvrognerie anime ; le
Prisonnier lui-même prend part aux
plaisirs, danse, b o i t , s'enyvre, s'é-
tourdit enfin pour mourir avec plus
d'intrépidité. Après s'être divertis
pendant quelques heures de cette
façon, deux ou trois hommes des plus
robustes, saisissent le Prisonnier, & le
lient par le milieu du corps avec des
cordes de c o t o n , sans que pour cela
le Prisonnier paroisse effrayé du mo-
ment fatal qui approche ; on le pro-
mene en triomphe dans tout le Villa-
D'OBSERVATIONS. 37
g e , après quoi on l'expose quelque-
tems aux insultes de tout le peuple ;
ceux qui l'ont lié le gardent à v û ë , &
se tenant éloignés à huit ou dix pieds
de lui, tirent également, l'un à droite
l'autre à gauche, les cordons dont il
est lié ; un troisieme Sauvage apporte
des pierres à ce misérable, & on lui
permet de les jetter contre ceux qui
l'environnent. Il est bon de sçavoir
que celui qui a l'honneur de prendre
un Prisonnier, prend en même-rems
un nouveau titre ; & que le titre qu'il
acquiert est un degré de noblesse.
Quand le Prisonnier a achevé de jet-
ter ses pierres, un Sauvage s'avance
avec la tacape, qui est une espece de
m a s s ë , & lui tient quelques discours
qu'on peut appeller la sentence de
mort du Prisonnier. Le coup suit les
discours de fort près. Si le Prisonnier
en recevant le coup de mort, tombe
sur le d o s , c'est un présage de la
mort de celui qui l'a frappé. D è s
que le Captif est assommé, la femme
qu'on lui avoit donné pour son ser-
vice, se jette sur le corps du mort &
38 R E C U E I L
pleure ; mais la douleur est fort pas-
sagere, puisque peu de tems après, elle
se régale avec les autres de la chair du
pauvre défunt.
Rien de plus simple que les céré-
monies nuptiales des Bresiliens ; ils
évitent dans leurs mariages de pren-
dre pour femmes, leur m e r e , leur
s œ u r , ou leur fille ; pour les autres
dégrés de parenté, on n'y prend pas
garde parmi eux. Dès qu'un garçon
est en âge d'approcher des femmes,
il lui est permis de s'en donner une.
Lorsqu'une fille lui a g r é e , il en
va faire la demande, & pour cet ef-
fet, il s'addresse aux parens ; & si elle
n'en a point, il parle aux amis ou même
aux voisins de la fille,& la leur de-
mande pour femme ; s'il obtient leur
consentement, le voilà devenu mari
fur le champ, sans qu'il soit besoin
d'autres cérémonies ; que s'il est re-
fusé, il se désiste de sa poursuite, &
ne paroît pas s'en affliger beaucoup.
Il est non-seulement permis à un hom-
me de prendre plusieurs femmes ; mais
c'est là une chose qui lui fait honneur ;
D'OBSERVATIONS. 39
aussi ceux qui parmi eux sont estimés
les plus courageux & les plus vail-
lans, ne se bornent-ils pas à une feule
femme, il y en a qui en ont jusqu'à
huit ; il y en a toujours une mieux
aimée, & ce qu'il y a de surprenant,
c'est que les autres ne paroissent point
jalouses de cette prédilection ; elles
s'occupent toutes ensemble aux af-
faires de leur ménage, à cultiver leur
jardin, à planter des racines, à faire
des hamacs & autres choses sembla-
bles, & vivent dans une parfaite
union. Il est permis au mari de répu-
dier fa femme, & la femme de son
coté, peut dire à son mari qu'elle ne
veut, ou qu'elle ne peut plus vivre
avec lui ; & s'il lui permet de se reti-
rer, elle peut se marier à un autre, se
réservant le droit de quitter ce second
mari comme elle a fait le premier.
Le mari tient le lit après l'accou-
chement de sa femme, & joue fort
bien le rôle d'une accouchée, en re-
cevant les visites de couche, & se
faisant soigner comme s'il étoit bien
malade. Ses amis & ses parens ne
manquent pas de venir le complimen-
40 R E C U E I L
ter, & lui font chacun quelque petir
présent de gâteaux, ou de quelqu'au-
tre friandise semblable ; cependant il
est l'accoucheur de sa femme ; il cou-
pe à belles dents le cordon à son en-
fant, & lui écàche le nez, ensuite il
le lave & le peint de rouge & de noir;
enfin, il se met au lit, & la femme re-
tourne à l'ouvrage. La naissance de
l'enfant est suivi de quelques forma-
lités assez simples. Si le nouveau né
est un garçon, le pere pose auprès de
lui un a r c , des flèches & un couteau,
l'exhorte à être courageux, & finit
par lui donner un nom qu'il emprunte
de ce qui lui frappe le plus l'imagina-
tion ; quand l'enfant est devenu grand,
le pere le mené avec lui, & lui ap-
prend à tuer les hommes ; à cela se
réduit leur art militaire. Pour les fil-
les, on les élevé au ménagé ; quand
elles ont donné les premieres mar-
ques de leur capacité pour le mariage,
on célebre une fête solemnelle.
Ils croyent l'immortalité de l ' a m e ,
puisqu'ils assurent que les gens de bien
( c'est-à-dire, ceux qui ont fait périr
beaucoup
D'OBSERVATIONS. 41
Beaucoup d'ennemis ) vont au-de-là
des montagnes goûter les félicités d e
leur Paradis. A l'égard de ceux, qui
ont manqué de courage, le démon
les tourmente en l'autre vie. Ils res-
pectent fort un certain oiseau dont le
chant triste & lugubre se fait entendre
pendant la nuit ; ils disent qu'il est le
messager de leurs parens & amis dé-
funts, & qu'il vient leur donner des
nouvelles de l'autre monde. Ils disent
qu'en observant bien son chant, après
leur m o r t , fussent-ils vaincus par
leurs ennemis, ils iront pourtant re-
voir un jour leurs ancêtres au-de-là
des hautes montagnes ; qu'ils y vivront
fans cesse dans les plaisirs, & qu'ils
chanteront & danseront éternellement.
Lorsque quelque Bresilien est ma-
lade, il se fait sucer l'endroit où il se
sent du mal par quelqu'un de ses amis
ou par quelque Charlatan, q u i , non-
feulement promet au malade de le
guérir, mais encore de lui procurer une
longue vie. La premiere chose par où
il commence, c'est que si le malade
veut manger, il permet qu'on lui don-
TimeX IV. - D
42 R E C U E I L
ne tout ce qu'il demande ; cependant
l'on danse, l'on chante & l'on fait
bonne chere pour consoler le malade.
S'il meurt, les chants se convertissent
en lamentations & en pleurs ; les fem-
mes surtout se signalent par les cris
épouvantables qu'elles pouffent, &
par les discours touchans qu'elles ad-
dressent au défunt. Il est donc mort !
disent les unes, celui qui étoit si vail-
lant, & qui nous a fait manger tant
de Prisonniers. Oh ! que c'étoit un
excellent Chaffeur, disent les autres.
Helas ! il est v r a i , nous ne le verrons
plus, répondent les hommes, jusqu'à
ce que nous soyons derriere les mon-
tagnes où nous danserons avec lui.
I l s lavent & peignent leurs morts,
après quoi on les enveloppe dans une
toile de coton, ou si c'est un Chef,
dans son hamac, orné de toutes ses
plumes, & de ses autres ornemens ; on
le met dans une maniere de cerceuil,
de telle façon qu'aucune terre ne tou-
che le corps, Se on lui porte tous les
jours à manger, afin qu'après son dé-
cès il ne meure pas de faim, outre que
D ' O B s E R v A ' T I O N SV 43
les danfes éternelles de l'autre monde
le fatiguent tellement, qu'il eft bien
aife de venir de tems en tems fe re-
faire en celui-ci. On defcend les morts
droits fur leurs jambes en des foffes
rondes , & faites en forme de puits
ou de tonneau ; on apporte à manger
au mort jufqu'à ce qu'il foit corrom-
pu ; & la raifon de cette coutume ,
c'eft de prévenir la malice du démon,
qui ne manqueroit pas d'emporter le
corps, s'il ne trouvoit de quoi man-
ger auprès de la fofle. Comme ils
changent fouvent de demeure , afin
que l'endroit où eft la fofle ne de-
vienne pas inconnu, ils la couvrent
de pindo, qui eft une plante du Bre-
fil. & toutes les fois qu'ils paffent près
de ces foffes, ils font des chants lugu-
bres à l'honneur des morts avec un
tintamare épouvantable, on diroit
qu'ils veulent les refliifciter. Le deuil
de ces peuples confifte encore à ne
manger qu'après le Soleil couché , Sç
pendant un mois que le deuil dure, on
va régulièrement chaque jour pleurer
fur la fofle.
Dij
44 R ECU EI £
C H A P I T R E IV.
Situation du Pays des Moxes ; leur
Gouvernement , leurs occupations,
leur Religion, leurs Miniflres , leurs
focietés ; Cérémonies de leurs Enter-
remens & de leurs-Mariages ; Re-
mèdes dont ils fe fervent dans leurs
maladies ; Simples qui croijfent dans-
leur Pays s Particularités d'un Ani*
mal appelle Ocorame,
C H A P I T R E V.
Origine des Mamelus, situation de leurs
Villes, leurs brigandages, leurs ru-
ses, leurs cruautés. Nature du Pays
habité par les Manacicas, leur ca-
ractére, leur génie, leur Religion,
leurs cérémonies, leurs coutumes ; au-
torité de leurs Caciques, forme de leur
Gouvernement. Mœurs & usages des
Marocotas.
/
86 R E C U EI L
AMERIQUE MERIDIONALE,
C H A P I T R E VI.
Bornes & étenduë du Pays des Ama
zones. Fruits, plantes & animaux
qu'on y trouve. Des armes, du com
merce, de la Religion, & des céré
monies des Habitans de cette Pro
vince.
CHAPITRE VII.
Origine du mufc, & oh il fe forme..
Nourriture de l'animal qui produit
le mufc.
Iiij
102 R E C U E IL
C H A P I T R E VIII.
Caractere des Chiriguanes. Disposition
de leurs Bourgades, Leurs parures.
Leurs vêtemens. Leurs mariages.
La science de leurs Médecins. Leurs
coutumes à la naissance de leurs en-
fans. Leurs devoirs envers les morts.
Leur opinion fur l'état de l'ame sé-
parée du corps.
AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE.
CHAPITRE PREMIER:
Du Nouveau Mexique.
C e t t e P r o v i n c e est b o r n é e au S e p -
t e n t r i o n par le P a y s de T e g n a r o dans
l a L o u i s i a n e , d o n t elle est séparée en
partie par la r i v i e r e S a l a d o ; au M i -
d y par le v i e u x M e x i q u e , & à l ' O c -
c i d e n t par la M e r v e r m e i l l e , & par la
C a l i f o r n i e , d o n t elle est séparée p a r
l a r i v i e r e que les E s p a g n o l s appellent
Ris-Colorado ; o n la divise e n trois
principales p a r t i e s , qui font le n o u -
v e a u M e x i q u e , la n o u v e l l e N a v a r r e ,
& la P r o v i n c e de Sonora.
L ' a i r y est d o u x & t r è s - f a i n , &
q u o i q u ' i l y ait un très-grand n o m b r e
de m o n t a g n e s , la terre y est c e p e n -
dant très-fertile en p â t u r a g e s , en m a ï s ,
e n m e l o n s , & en plusieurs autres l é -
g u m e s ; o n y t r o u v e des mines d'ar-
g e n t , & d'autres m é t a u x , des tur-
q u o i f e s , des émeraudes & du c r y s t a l ;
o n y v o i t des c e r f s , des c h e v r e u i l s ,
d e s l i é v r e s , d e s c h e v a u x , des v a c h e s ,
& une espece d e m o u t o n d e la gran-
deur d'un petit b o e u f ; enfin, il y a de
L ij
124 R E C U E I L
g r a n d e s forêts d e pins & de cedres-, &
l'on y p ê c h e d ' e x c e l l e n s poissons dans
les lacs qui y font assez c o m m u n s ; &
d e s perles dans la m e r v e r m e i l l e .
L e n o u v e a u M e x i q u e est habité par
un g r a n d n o m b r e de différens peuples,
qui font tous assez p o l i c é s , & qui v i -
v e n t d e leur agriculture & d e leur
chasse ; les principaux font les Moquis,
les Qunis, & les Yumas, qui d e m e u -
rent v e r s le S e p t e n t r i o n .
D'OBSERVATIONS. 125
AMERIQUE SEPTENTRIONALE.
CHAPITRE IL
Religion, Temples, Sacrifices, Péniten-
ces, Fêtes, Discipline, Cérémonies
de Paix & de Guerre ; Mariages »
Obseques des Mexicains ,& des Peu-
ples leurs voisins.
L ES M e x i c a i n s a d o r o i e n t Vitzli-
putzli, c o m m e souverain S e i -
g n e u r d e toutes c h o s e s , & C r é a t e u r
d u C i e l & de la T e r r e ; mais c e D i e u
suprême a v o i t besoin du s e c o u r s d ' u n e
infinité de G é n i e s p o u r g o u v e r n e r l e
m o n d e . Vitzliputzli étoit u n e figure
humaine assise sur un T r ô n e soutenu
par un g l o b e d'azur. I l sortoit d e s
d e u x c ô t é s de c e g l o b e quatre bâtons
d o n t le b o u t étoit taillé e n tête d e
serpent, cela formoit un brancart q u e
les Sacrificateurs portoient fur leurs
épaules quand ils produisoient l ' I d o l e
L iij
126 R E C U E I L
e n public ; elle a v o i t fur l a tête un
casque de plumes de diverses c o u l e u r s
e n figure d ' o i s e a u , a v e c le b e c & la,
c r ê t e d ' o r bruni ; son v i s a g e étoit af-
freux & s é v e r e , & e n c o r e plus enlaidi
par deux r a y e s bleues qu'elle a v o i t
l ' u n e fur le front Si l'autre fur le n e z .
S a main droite s'appuyoit fur une c o u -
l e u v r e o n d o y a n t e qui lui s e r v o i t d e b â -
ton ; la g a u c h e p o r t o i t quatre flèches
qu'ils r e v e r o i e n t c o m m e un présent d u
C i e l , & un b o u c l i e r c o u v e r t de c i n q
p l u m e s blanches mises en c r o i x . C e
D i e u étoit c o u v e r t d e perles & d e
joyaux.
Tlalock ressembloit assez à l ' I d o l e
q u e n o u s v e n o n s de d é c r i r e , aussi l e s
M e x i c a i n s tenoient-ils ces deux D i e u x
p o u r f r e r e s , & si b o n s a m i s , q u ' i l s
p a r t a g e o i e n t entr'eux le p o u v o i r s o u -
v e r a i n , & ils ne leur offroient à tous-
d e u x qu'une m ê m e v i c t i m e .
Tscalipuca étoit l a D i v i n i t é d e la-
p é n i t e n c e , les M e x i c a i n s l ' i n v o q u o i e n t
dans l ' a d v e r s i t é , p a r c e qu'ils c r o y o i e n t
qu'elle châtioit les p é c h é s du genre h u -
tnain par la peste & l a famine.
D'OBSERVATIONS. 127
L e Mercure & le Plutus des M e x i -
cains étoient aussi réprésentés en f o r -
m e h u m a i n e , e x c e p t é q u ' i l a v o i t la t ê t e
d'un oiseau.
Tozy, c'est-à-dire, notre g r a n d e
m e r e , étoit née m o r t e l l e ; Vitzliputzli
lui procura les- honneurs d e la D i v i -
n i t é , en o r d o n n a n t aux M e x i c a i n s d e
la d e m a n d e r pour lui à son pere q u i
é t o i t R o i de Calhucacan; après q u o i ,
il leur o r d o n n a aussi d e la t u e r , de l ' é -
c o r c h e r ensuite, & de c o u v r i r un j e u -
n e h o m m e de fa peau ; c'est ainsi q u ' e l l e
fut d é p o u i l l é e de l'humanité p o u r ê t r e
é l e v é e au rang des D i e u x .
O n a d o r o i t au M e x i q u e u n e autre
I d o l e , qui étoit faite de toutes les se-
n i e n c e s d e la terre pétries dans l e s a n g
d e quelques jeunes enfans destinés à
lui être sacrifiés, après q u ' o n a v o i t
arraché le c œ u r à c e s i n n o c e n t e s v i c -
times. C e coeur étoit offert à cette
I d o l e , q u e les P r ê t r e s c o n s a c r o i e n t
a v e c toute la folemnité possible e n p r é -
sence d e t o u t l e p e u p l e .
I l y a v o i t dans la V i l l e de M e x i -
q u e huit T e m p l e s é g a l e m e n t s u p e r b e s
• L iiij
128 R E C U E I L
mais rien n ' é g a l o i t la grandeur de c e -
lui de V i t z l i p u t z l y . O n entroit d'a-
b o r d dans une g r a n d e place q u a r r é e ,
& fermée d'une muraille d e p i e r r e s ,
o ù plusieurs c o u l e u v r e s de relief entre-
laffées d e diverses manieres au d e h o r s
d e la m u r a i l l e , imprimoient d e l'hor-
r e u r , principalement à la vûë du fron-
tispice de la première p o r t e , qui en
é t o i t c h a r g é , n o n fans quelque s i g n i -
fications mystérieuses. A v a n t que d'ar-
r i v e r à cette première p o r t e , on ren-
c o n t r a i t une espéce de C h a p e l l e , qui
'étoit pas. m o i n s affreuse ; elle étoit
S de p i e r r e , é l e v é e de trente d e g r é s ,
a v e c une terrasse en h a u t , o ù l ' o n
a v o i t planté fur un m ê m e r a n g , & d'es-
p a c e en e s p a c e , plusieurs troncs d e
g r a n d s arbres taillés é g a l e m e n t , qui
s o u t e n o i e n t des perches qui passoient
d'un arbre à l'autre ; ils a v o i e n t enfilé
par les temples à c h a c u n e d e c e s per-
c h e s quelques crânes des m a l h e u r e u x
q u i a v o i e n t été i m m o l é s , dont le n o m -
b r e étoit toujours é g a l , p a r c e que l e s
Ministres du T e m p l e a v o i e n t foin d e
r e m p l a c e r c e l l e s qui t o m b o i e n t par
l'injure des t e m s .
D'OBSERVATIONS. 129
L e s quatre côtés de la place a v o i e n t
c h a c u n une p o r t e , qui fe r é p o n d o i e n t ,
& étoient o u v e r t e s fur les quatre prin-
cipaux v e n t s ; chaque porte a v o i t fur
fon portail quatre statues de p i e r r e ,
qui s e m b l o i e n t par leurs gests, mon-
trer le c h e m i n ; elles tenoient le rang
d e D i e u x Liminaires ou Portiers. L e s
l o g e m e n s des Sacrificateurs & des M i -
nifires étoient appliqués à la partie in-
térieure d e la muraille de la p l a c e ,
a v e c quelques b o u t i q u e s qui en o c -
c u p o i e n t tout le c i r c u i t , fans r e t r a n -
c h e r que fort peu de chose de fa c a -
pacité si v a s t e , que huit à dix m i l l e
personnes y dansoient c o m m o d é m e n t
a u x jours d e leurs fêtes les plus s o l e n -
nelles.
A u centre de cette p l a c e s ' é l e v o i t
une g r a n d e machine de pierre qui se
d é c o u v r o i t au-dessus des plus hautes
tours de la V i l l e ; elle alloit toujours
e n diminuant jusqu'à f o r m e r une d e m i e
p i r a m i d e , d o n t trois des c ô t é s étoient
en g l a c i s , 3c le quatrième soutenoit
un escalier ; fa hauteur étoit d e s i x -
v i n g t d é g r é s , & sa construction. si so-
130 R E C U E I L
lide, qu'elle se terminoit en une p l a c e
d e quarante pieds en q u a r r é , dont l e
Plancher étoit c o u v e r t fort p r o p r e -
m e n t de divers carreaux de jaspe d e
t o u t e s fortes de c o u l e u r s ; les p i l i e r s
o u appuis d'une manière de balustra-
d e , qui regnoient autour d e cette
p l a c e , étoient tournés en c o q u i l l e s d e
l i m a ç o n , & r e v ê t u s par les deux f a -
c e s de pierres n o i r e s , appliquées a v e c
f o i n , & jointes par l e m o y e n d ' u n
bitume r o u g e & b l a n c , c e qui d o n -
noit b e a u c o u p d ' a g r é m e n t à tout c e t
édifice.
A u x d e u x côtés d e la b a l u s t r a d e ,
à l'endroit o ù l'escalier s i n i s s o i t , d e u x
s t a t u ë s d e m a r b r e soutenoient d ' u n e
m a n i è r e qui e x p r i m o i t fort bien l e u r
t r a v a i l , deux g r a n d s chandeliers d'u-
ne façon extraordinaire. P l u s a v a n t
une pierre v e r t e s ' é l e v o i t de cinq
p i e d s de h a u t , taillée en d o s d ' â n e ,
o ù l ' o n é t e n d o i t fur le d o s le miséra-
b l e qui d e v o i t servir d e v i c t i m e , afin
d e lui fendre l ' e s t o m a c , & d'en tirer
l e c œ u r ; au-dessus de cette p i e r r e r
e n f a c e d e l'escalier, o n t r o u v o i t une
D'OBSERVATIONS. 131
C h a p e l l e d o n t la s t r u c t u r e étoit so-
lide & bien e n t e n d u e , c o u v e r t e d'un
toît d e b o i s rare & p r é c i e u x , fous l e -
q u e l ils a v o i e n t p l a c é leur I d o l e fur
un autel é l e v é , entouré de rideaux.
U n e autre chapelle à g a u c h e de la
p r e m i è r e , & de la m ê m e fabrique &
g r a n d e u r , enfermoit l ' I d o l e a p p e l l é e
Ilalock L e trésor de ces d e u x C h a -
pelles étoit d'un prix inestimable ; les
murailles & les autels étoient c o u v e r t s
d e j o y a u x , & de pierres précieuses fur
des plumes d e c o u l e u r s .
C e s peuples a v o i e n t destiné c e r -
taines maisons obscures au l o g e m e n t
d'une infinité d ' I d o l e s c o u v e r t e s o u
p o u r mieux dire incrustées du s a n g
d o n t o n les c o u v r o i t tous les j o u r s .
L a puanteur d e c e s c h a r n i e r s , o ù l ' o n
n e m a r c h o i t que dans le s a n g , dont le
p a v é étoit c o u v e r t , ne diminuoit en,
rien la d é v o t i o n ; mais l'entrée n'en
é t o i t permise q u ' a u x N o b l e s , & p o u r
m i e u x r e l e v e r l'éclat d e ce p r i v i l e g e ,
les Prêtres ne leur permettoient pas
d'entrer, fans a v o i r auparavant i m m o -
lé un h o m m e .
132 R E E C U E I L
O n conduisoit c e u x qui d e v o i e n t
être s a c r i f i é s , à un charnier qui s'ele-
v o i t en maniere d e platte- forme ; un
P r ê t r e qui tenoit à la main une I d o l e
faite de f r o m e n t , de maïs & d e m i e l ,
s'approchoit de c e s malheureux & leur
présentoit à chacun en particulier cette
I d o l e , en leur disant : Voilà votre
Dieu. Ensuite il se r e t i r o i t , & l ' o n
conduisoit immédiatement a p r è s , les
v i c t i m e s sur une terrasse, qui étoit le
lieu destiné au sacrifice ; c'est-là que
six Ministres d e l ' I d o l e e x p e d i o i e n t
ces v i c t i m e s . A p r è s q u ' o n leur a v o i t
arraché l e c œ u r , o n précipitoit l e
c o r p s d u haut de la terrasse en b a s ;
l e moins q u ' o n sacrifioit de c e s v i c t i -
m e s en une feule f o i s , c'étoit quarante
o u c i n q u a n t e ; le G r a n d P r ê t r e a v o i t
seul le droit de fendre l'estomac de la
victime.
E n certaines fêtes on r e v ê t o i t un
h o m m e d e la p e a u e n c o r e toute s a n -
g l a n t e d'un de c e u x q u i a v o i e n t été
sacrifiés. E n c e t é t a t , il c o u r o i t les
rues & les p l a c e s de la V i l l e , en d e -
mandant l'aumône à tous c e u x q u ' i l
D'OBSERVATIONS. 133
r e n c o n t r o i t , & frappant c e u x qui la.
refusoient. C e t t e espece de mascarade
ne finissoit q u e quand la peau d o n t
o n étoit r e v ê t u c o m m e n ç o i t à sentir
mauvais.
L e C a p t i f qui étoit c o n d a m n é p o u -
v o i t se défendre contre le P r ê t r e qui
d e v o i t l ' i m m o l e r . A t t a c h é par les
pieds à une p i e r r e , il paroit les c o u p s
q u e le Prêtre lui portoit. S'il a v o i t le
b o n h e u r d e v a i n c r e , il étoit relâché ;
s'il étoit v a i n c u , le P r ê t r e , après
l ' a v o i r t u é , l ' é c o r c h o i t , & saisoit ser-
v i r les m e m b r e s d e c e malheureux à
un de c e s repas qu'ils appelloient Re-
ligieux.
L e s P r ê t r e s , en qualité de M é d i a -
teurs entre les D i e u x & les h o m m e s ,
s'infligeoient des pénitences ; ils se ti-
roient du sang d e la c h e v i l l e du p i e d ,
o u ils se flagelloient a v e c de g r o s
n œ u d s d e c o r d e s , o u quelquefois ils
se frappoient l'un l'autre à g r a n d s coups
d e pierres.
L e s M e x i c a i n s a v o i e n t un O r d r e
d e V e s t a l e s v ê t u e s de b l a n c , qui p o r -
toient le n o m de F i l l e s de la P é n i -
134 RECECUEIL
t e n c e ; elles entroient en R e l i g i o n à
l ' â g e de d o u z e à treize ans : C e s F i l l e s
d e v o i e n t a v o i r l a tête r a s é e , e x c e p t é
q u ' e n certain t e m s , il leur étoit per-
m i s de laisser c r o î t r e leurs c h e v e u x .
U n e A b b e s s e dirigeoit ces R e l i g i e u s e s ,
d o n t les fonctions consistoient à tenir
les T e m p l e s n e t s , & à apprêter les
v i a n d e s s a c r é e s que l ' o n présentoit
aux I d o l e s , & qui s e r v o i e n t ensuite à
l a nourriture de leurs Ministres ; elles
s ' o c c u p o i e n t aussi à faire des c o u v e r -
tures & d'autres semblables o r n e m e n s
p o u r les T e m p l e s & pour les I d o l e s .
A minuit elles se l e v o i e n t pour s e r v i r
les D i e u x , & pratiquer certaines aus-
térités à q u o i la R e g l e l e s o b l i g e o i t ,
surtout elles étoient o b l i g é e s à une
i n v i o l a b l e v i r g i n i t é , la perte d e l a -
quelle étoit punie de m o r t ; mais elles
p o u v o i e n t se marier après un certain
t e m s passé dans le C l o î t r e . ils a v o i e n t
aussi pour les jeunes h o m m e s un S e m i -
naire ou C o n v e n t semblable à celui d e s
jeunes filles.
Presque toutes les F ê t e s des M e x i -
cains étoient sanglantes. A l a fin de
D'OBSERVATIONS, 135
chaque m o i s o n sacrifioit quelques
C a p t i f s , & l ' o n c o u r o i t les rues vêtu
d e leurs p e a u x . L o r s q u e les grains
c o m m e n ç o i e n t à m o n t e r , o n sacrifioit
a u D i e u des E a u x un g a r ç o n & une
fille d'environ trois ans. O n sacrifioit
à c e m ê m e D i e u quatre enfans escla-
v e s d e l'âge d e fixa sept a n s , lorsque
l e s grains a v o i e n t e n v i r o n deux pieds
de haut. U n e autre fête o b l i g e o i t les
principaux de l ' E m p i r e à se rendre
dans la C a p i t a l e de l ' E t a t , L e soir d e
l a F ê t e , o n travestissoit une f e m m e q u i
d e v o i t representer le D i e u du S e l , &
p r e n d r e part à la j o y e publique ; mais
o n l a sacrifioit le lendemain. L e s M a r -
chands c é l e b r o i e n t aussi des fêtes san-
glantes à l'honneur de leur M e r c u r e
dans le T e m p l e qui lui étoit c o n s a c r é .
O n c é l e b r o i t l a F ê t e de Tscalipuca.
avec beaucoup de dévotion. L e s P r ê -
tres a c c o r d o i e n t alors au p e u p l e la ré-
miflîon d e ses péchés ; o n y sacrifioit
u n captif. L a v e i l l e d e la fête le P r ê -
tre de Tscalipuca, se dépouilloit d e
ses habits p o u r en r e c e v o i r d'autres d e
l a part des N o b l e s M e x i c a i n s , qui
136 RECECUEIL
v e n o i e n t c o m m e le reste du p e u p l e , se
r e c o n c i l i e r a v e c cette I d o l e de la P é n i -
t e n c e . O n o u v r o i t les portes du T e m -
p l e à tous les pécheurs répentans ; un
des principaux Ministres du D i e u pa-
roiflbit alors en public , & sonnoit
du c o r , en se tournant v e r s les qua-
tre v e n t s , c o m m e s'il eût v o u l u a p -
p e l l e r toute la terre à la p é n i t e n c e ;
après q u o i il prenoit de la poussiere
& la portoit à la b o u c h e en montrant
le C i e l ; tout le peuple imitoit le P r ê -
t r e , & l'on n'entendoit plus que des
v o i x e n t r e - c o u p é e s de s a n g l o t s , d e
pleurs & de g é m i s s e m e n s ; o n se r o u -
loit dans la p o u s s i e r e , i l arrivoit m ê m e
que c e u x qui le sentoient c o u p a b l e s de
crimes les confessoient h a u t e m e n t , ne
p o u v a n t résister à la f r a y e u r que le
son du c o r portoit dans leur c o n -
f e i e n c e . L e son du c o r duroit dix jours;
le dernier j o u r on p o r t o i t en procession
Tscalipuca ; les d é v o t s se d o n n o i e n t
la discipline fur les épaules a v e c des
c o r d e s ; quelques-uns ornoient d e ra-
m e a u x la c o u r & le T e m p l e , & pars-
m o i e n t les chemins d e fleurs.
Après
D'OBSERVATIONS. 137
A p r è s la procession chacun faisoit
ses offrandes ; le peuple faisoit ensuite
un repas assez s e m b l a b l e à c e s repas
r e l i g i e u x que l'ancien paganisme a v o i t
institués à la g l o i r e de ses D i e u x . O n
faisoit après le sacré r e p a s , le sacrifi-
c e de celui qui pendant l'année a v o i t
été l'image v i v a n t e du D i e u de la P é -
n i t e n c e , & toute la c é r é m o n i e sînissoit
c o m m e celle des autres f ê t e s , par d e s
danses & des c a n t i q u e s .
Cérémonies Nuptiales.
L e s mariages se contractaient p a r
l'autorité des P r ê t r e s ; a p r è s qu'on-
D'OBSERVATIONS. 139
s'étoit a c c o r d é sur les a r t i c l e s , les
d e u x parties se rendoient au T e m p l e ,
o ù un des Sacrificateurs e x a m i n o i t
leur v o l o n t é par des questions p r é -
cifes & destinées à cet u s a g e . I l pre-
noit ensuite d'une main le v o i l e de la
f e m m e & la mante du m a r i , & il les
n o u o i t ensemblé par un c o i n , afin d e
lignifier le lien intérieur des v o l o n t é s ;
ils retournoient à leurs maisons a v e c
cette espece d ' e n g a g e m e n t , a c c o m p a -
g n é s du Sacrificateur. L à , ils alloient
visiter le f o y e r , qui s e l o n leur i m a -
g i n a t i o n , étoit le M é d i a t e u r des dif-
férends entre les mariés ; ils en fai-
foient le tour sept fois de fuite p r é c e -
dés par le S a c r i f i c a t e u r , & cette
c é r é m o n i e étoit s u i v i e de celle de s'as-
f e o i r , afin de r e c e v o i r é g a l e m e n t la
chaleur du feu. L e marié a v o i t de son
c ô t é , deux vieillards pour assistans ou
t é m o i n s , & la mariée d e u x vieilles
f e m m e s . A l'entrée de la nuit une es-
p e c e d'entremeteuse a c c o m p a g n é e d e
quatre matrones , armées chacune-
d'un f l a m b e a u , c h a r g e o i t la m a r i é e
fur son d o s & l a p o r t o i t au l o g i s du
M ij
140 R E C U E I L
m a r i é . L e repas nuptial suivoit d e
près, & quand on s'étoit suffisamment
diverti à manger & à boire r i e s vieil-
lards prenoient l e marié à p a r t , & les
vieilles la m a r i é e , pour leur donner
e n particulier des conseils utiles & né-
ceflaires en c e changement d'état.
L e d i v o r c e é t o i t fréquent au M e x i r
que ; il sussisoit pour le f a i r e , que l e
consenterment fût r é c i p r o q u e , & c e
P r o c è s n ' a l l a i t p o i n t jusqu'aux J u g e s ,
c e u x qui en connoissoient le d é c i -
d o i e n t fur le champ. L a femme rete-
n o i t les filles, & le mari les g a r ç o n s ;
M a i s du m o m e n t que le mariage étoit
r o m p u , il étoit défendu fous peine d e
la v i e , de se réunir ; ils, se faisoient un
p o i n t d'honneur de la chasteté de leurs
f e m m e s , & o n châtioit un adultère du
dernier suplice ; mais o n permettoit les
f e m m e s p u b l i q u e s , & les maisons d e
débauche.
L e s enfans n o u v e a u x nés étoient
portés a v e c folemnité au T e m p l e . S i
l e s enfans étoient N o b l e s , o n leur
mettoit une é p é e à la main d r o i t e , &
à l a g a u c h e un b o u c l i e r , que les peres
D'OBSERVATIONS. 141
c o n s e r v o i e n t particulièrement p o u r
cet u s a g e ; s'ils v e n o i e n t d'artisans, o n
faisoit la m ê m e c é r é m o n i e a v e c q u e l -
q u e s outils o u instrumens m é c a n i -
q u e s . A p r è s cela le Prêtre p o r t o i t
l'enfant a u p r è s de l ' A u t e l , o ù il lui
tiroit q u e l q u e s g o û t e s de s a n g des
oreilles Se des parties n a t u r e l l e s , a v e c
une épine o u a v e c une lancette de
p i e r r e ; ensuite il jettoit de l'eau fur
l'enfant, o u m ê m e il le b a i g n o i t en fai-
fant quelques imprécations. L a S a g e -
f e m m e prenoit l'enfant quatre j o u r s
a p r è s fa naissance, le portoit tout nud
dans la cour o ù l ' o n a v o i t préparé
du j o n c fur lequel on mettoit un vase
d ' e a u ; la S a g e - f e m m e p l o n g e o i t c e
petit enfant dans le v a s e , Se lorsque l ' a -
blution étoit finie, trois petits g a r ç o n s
o u trois enfans p r o n o n ç o i e n t t o u t haut
le nom de l'enfant. V i n g t jours après
la naissance, le pere & la mere por-
toient l'enfant au T e m p l e , & le p r é -
fentoient au Prêtre a v e c une offrande.
D è s - l o r s o n l ' e n g a g e o i t à la profes-
fion qui plaisoit le plus aux parens.
S ' i l é t o i t destiné à l a Prêtrise, o n l e
142 R E C U E I L
remettent à quinze ans a u x P r ê t r e s ;
s'il étoit destiné à la g u e r r e , o n le d é -
livroit au m ê m e âge à celui qui a v o i t
foin d'instruire la jeunesse dans l'art
militaire. E n c e dernier cas l'offrande
lui étoit d o n n é e .
L e s Mexicains croyoient l'immor-
talité de l ' a m e , & reconnoissoient des-
r é c o m p e n f e s & des peines dans l'éter-
nité ; ils p l a ç o i e n t le séjour des B i e n -
h e u r e u x près du S o l e i l . E n t r e c e s
B i e n h e u r e u x , c e u x qui étoient m o r t s
à la g u e r r e , & c e u x que l'on a v o i t sa-
crifiés aux D i e u x , o c c u p o i e n t les pre-
mières places.
L e s o b s é q u e s , 8e toutes les c é r é m o -
nies funèbres étoient du d é p a r t e m e n t
d e la Prêtrise ; on enterroit o r d i n a i -
r e m e n t les morts dans leurs j a r d i n s ,
o u dans leurs maisons ; la c o u r étoit
l ' e n d r o i t du l o g i s que l'on choisissoit
p o u r c e l a , quelquefois o n alloit les e n -
terrer dans les endroits o ù o n s a c r i -
fîoit aux I d o l e s ; enfin, o n les brûloit
s o u v e n t ; après q u o i on ensevelissoit
leurs c e n d r e s dans les T e m p l e s , Se
a v e c e l l e s , les cendres des m e u b l e s ,
D'OBSERVATIONS. 143
des uStenciles & de tout ce que l'on
jugeoit d e v o i r leur être nécessaire en
l'autre v i e . L a manière d'enterrer les
G r a n d s étoit extrêmement superbe. L e s
P r ê t r e s v e n o i e n t au-devant a v e c leurs
brasiers d e c o p a l , chantant d'un t o n
m é l a n c o l i q u e des h y m n e s funèbres
ils é l e v o i e n t à diverses fois le c o r p s
en haut durant q u ' o n sacrifioit c e u x
qui é t o i e n t destinés à s e r v i r c e s c o r p s
distingués. O n faifoit mourir les D o -
m e s t i q u e s , afin qu'ils tinssent c o m p a -
gnie à leurs M a î t r e s . C ' é t o i t une
m a r q u e d ' a m o u r e x q u i s , mais o r d i -
naire aux f e m m e s l é g i t i m e s , d e c é -
lebrer par leurs morts les funérailles
de leurs maris ; o n enterroit a v e c c e s
m o r t s b e a u c o u p d'or & d'argent pour
faire les frais du v o y a g e qu'ils
c r o y o i e n t l o n g & f â c h e u x ; les o b -
féques duraient dix j o u r s . C e l l e s d e
l ' E m p e r e u r se faisoient de la m a n i è r e
suivante :
L o r s q u ' i l étoit m a l a d e , o n m e t t o i t
u n masque fur la face des I d o l e s , &
l ' o n ne l'ôtoit plus que le P r i n c e ne
fut m o r t o u g u é r i . S'il m o u r o i t , l ' o n
144 RECU E I L
publioit sa m o r t , & un o r d r e de l e
pleurer dans toute l'étendue de ses
E t a t s . T o u t e la N o b l e s s e étoit invitée
à ses funérailles. L e s quatre premières
nuits d'après ta m o r t , on faisoit g a r d e
autour d u c o r p s de l ' E m p e r e u r , après
cela on le l a v o i t , o n prenoit un t o u -
pet de ses c h e v e u x que l ' o n c o n s e r -
v o i t c o m m e une r e l i q u e , parce q u e ,
sélon les M e x i c a i n s , ce toupet répre-
fentoit l ' a m e . O n lui mettoit une é m e -
raude dans la b o u c h e , on l ' e n v e l o p -
poit dans dix-fept mantes d'un t r a v a i l
e x q u i s ; fur la dernière de c e s mantes
o n v o y o i t l'image de la D i v i n i t é qui
a v o i t été particulièrement l ' o b j e t d e
la v é n é r a t i o n du S o u v e r a i n ; on lui
mettoit un masque fur le v i s a g e , &
on le p o r t o i t ainsi dans l e T e m p l e
d e cette I d o l e . O n jettoit le c o r p s
dans le feu a v e c tout c e qui lui étoit
destiné ; o n étrangloit un c h i e n q u i
d e v o i t être son g u i d e en l'autre m o n -
de ; on lui sacrifioit plusieurs j o u r s d e
fuite un g r a n d n o m b r e d'esclaves &
d'autres g e n s pour l'aller servir ; enfin,
on enfermoit les cendres & l e t o u -
pet
T
D'O <B S E B. v A T i OTS s. 145
vpet de c h e v e u x en un cercueil o r n e
par dedans de toutes fortes d e p e i n
tures d ' I d o l e s , & fur le c e r c u e i l
l ' s n mettoit l ' i m a g e du P r i n c e d é
funt.
Tome XIV. N
146 R E C U E I L
AMERIQUE SEPTENTRIONALE.
C H A P I T R E III,
Situation & bornes du Canada, de
la Louisiane, & de l'Isle de Terre-
Neuve. Qualités de ces divers Pays ;
nourriture, habillement, occupation,
Gouvernement des Habitans de ces
Provinces.
AMERIQUE SEPTENTRIONALE,
CHAPITRE IV.
Religion, coutumes , ufages, mariages -,
obfeques ; cérémonies de guerre &
de cbajfe des peuples du Canada, dit
M\fjiffipy, & de Terre-Neuve.
T E s peuples du Canada & de
JLJ Terre-Neuve, de même que ceux
qui habitent fur les bords du Miflîflî-
py n'ont que des idées très-confufes
de la Divinité. Toute leur religion
confifte à rendre quelqu'hommage au
Soleil qu'ils reconnoiftent, mais feu-
lement en apparence, pour celui qui a
tout fait & conferve tout. Lorfqu'ils
prennent du tabac, ils jettent leurs re-
gards fur le S o l e i l , & lorfqu'ils ont
allumé leur calumet, ils le lui pré-
fentent & le prient de fumer. Quand
ils apperçoivent Y aurore, ils envoyent
au Soleil levant la première fumée de
leurs calumets , en marmotant quel-
ques
D ' O B S E R V A T I O N S . 1 6 1
Q ij
188 R E C U E I L
CHAPITRE V.
Des Castors du Canada. Description
de cet animal; différentes espéces
de Castors ; leur addresse à construire
leurs cabannes ; maniere dont elles
sont bâties; diverses chasses aux
Castors.
C H A P I T R E VI.
Description de l'Isle de Bourbon ; gran-
deur des Habitations de cette Isle;
arbres, fruits, & animaux singu-
liers qui s'y trouvent. Description du
Lezard, de l'Ecureuil volant, du
Poisson volant, du Poisson cornu, du
Requin, du Marsouin, Oc.
T ij
220 R E C U E I L
CHAPITRE VII.
Langues différentes des Hurons, des
Abnakis, des Algonkins, des Illi-
nois, des Outaouaks, & de plusieurs
autres Nations de la Nouvelle Fran-
ce. Leurs eccupations, leurs habille-
mens, leur adreese à tirer de l'arc,
leur tendresse pour leurs enfans ; cé-
rémonies de leur sunérailles ; maniere
cruelle dont ils traitent leurs Prison-
-niers de guerre
CHAPITRE
D'OBSERVATIONS. 241
C H A P I T R E VIII.
z ij
268 RECUEIL
AMERIQUE SEPTENTRIONALE.
CHAPITRE IX.
C E T T E Provinceferrommoit au-
trefois Jaquaz.a. C e fut J ean P o n -
ce d e L e o n , q u H ' a y a n t d é c o u v e r t e le
j o u r d e P â q u e s Fleuri , que les Efpa-
g n o l s appellent pafcua de Flores, lui
d o n n a le n o m de F l o r i d e .
E l l e eflfituéeen partie fur le golfe
du M e x i q u e & en partie fur la m e r du
e
N o r d , & elle s'étend depuis le 2 7 . d e -
g r é quarante minutes de latitude , jus-
qu'au trente-Sixième , & depuis le deux
cens quatre-vingt - feptiéme d e g r é d e
longitude jufqu'au deux cens q u a t r e -
vingt-dix-feptiéme trentejminur.es. Ain*
fi elle a e n v i r o n cent quatre-vjngt-fix
D'O B S - E R V À T I O N S . 269
lieues du Midi au Septentriorij& autanl
d ' O r i e n t en O c c i d e n t .
E l l e eft b o r n é e au S e p t e n t r i o n par
les m o n t a g n e s de l'Apalache qui la ré-
parent de l a L o u i f i a n e ; à l'Orient par la
m e r du N o r d , au Midi par le golfe du
M e x i q u e ,•& à l ' O c c i d e n t e n c o r e par
la L o u i f i a n e , d o n t e l i e efl féparée p a r i a
riviere de M o b i l e .
L ' a i r y efl pur , ferain& t e m p é r é ;
& l'on y fent peu de vents v i o l e n s , &
il n ' y t o m b e de p l u y e , que lorfque la
vent du S u d foufîe; ce qui ne dure pas
l o n g - t e m s . L e P a y s efl plat & fertile ,
étant arrofé d'un très-grand n o m b r e d e
ruifTeaux & d e rivieres. L e s F l o r i d i e n s
f e m e n t i e u r m a y s deux fois l ' a n n é e ,
fçavoirau m o i s d e M a r s & au mois d e
Juillet ; au bout de trois mois ils le
recueillent , & laiffent repofer leurs
terres le refte d e l'année. Ils n e les
fument point ; mais pour les engraiffer
ils y répandent les cendres des herbes
qu'ils ont brûlées. Ils ont de fort beaux
Se excellens melons ; b e a u c o u p de pins,
l e cerifiers fauvages , de grofeliers ,
lechâtaigniers,d'arbres demaflin, de
Z
iij
270 R l C U E I L
c y p r è s , de p r u n i e r s , de l a u r i e r s , d e
p a l m i e r s , de néfliers & de vignes fau-
vages , qui rampent fous les arbres v o i -
fins. Il y croit auffi des racines qu'ils
appellent halts d o n t ils font du pain
dans le befoin.
L e P a y s eft rempli d ' o u r s , de cerfs ,,
d e loups , d e diveries efpeces de c h e -
vreuils , de l é o p a r d s , de chiens fauva-
g e s , de lièvres,, de paons > de p e r r o -
quets , de p i g e o n s , de t o a r t e r d l e s , d e
merles , de corneilles, d e f a u c o n s , d e
g r u e s , de cigognes, d ' o y e s fauvages ,
d e c a n a r d s , de h é r o n s , de poules d ' I n -
des , & de diverfes e'peces de p e r d r i x .
L e s rivieres a b o n d e n t en oiieaux & en
poiflons. L e s rivages d e la mer four-
millent en tout tems de m o u l e s , d'huî-
tres , d e palourdes & de toutes f o r -
tes de coquillages. C e que ce p a y s
a d ' i n c o m m o d e , ce font les coufins &
les crocodiles qui y font en t r è s - g r a n d
n o m b r e , & qui ne font que t r o p d a n -
gereux p o u r les V o y a g e u r s .
S e l o n L e f c a r b o t il y a des mines d ' o r
dans les montagnes de l ' A p a l a c h e , &
il y en a auffi d or & d'argent aux enç
B ' O B S E R V A T I O N S. 271
virons de la rivière de M a i ; mais ce'
font des tréforsinutiles, les S a u v a g e s
n'ayant pas e n c o r e voulu les d é c o u v r i r
aux E f p a g n o l s , c o m m e ceux du Pérou-
& des autres contrées de l ' A m é r i q u e
le faifoient autrefois.
L e s F l o r i d i e n s font forts & robuftes
& bien p r o p o r t i o n n é s . I l s naiffent
b l a n c s ; mais ils d e v i e n n e n t d'une c o u -
leur olivâtre , à force de fe frotter d'un
certain o n g u e n t , qui eft p o u r eux un;
fard précieux. Ils font très-legers à la
eourfe. L e u r s femmes o n t foin de fe
peindre le corps de diverfes couleurs'
qui ne peuvent s'effacer. E l l e s font
très-agiles , & nagent avec une adreffe
merveilleufe dans les plus g r a n d e s r i -
vieres en tenant leurs enfans d'un b r a s .
I l y a parmi ces peuples un grand n o m -
b r e d ' h e r m a p h r o d i t e s qui leur t i e n n e n t
lieu de bêtes de c h a r g e , & qui font
ordinairement e m p l o y é s à p o r t e r les
munitions de guerre & de b o u c h e .
L e s Floridiens font naturellement
vindicatifs, hardis & c o u r a g e u x , &
aiment paffionément les a r m e s ; p o i n t
d e peuples qui pouffent plus loin q u ' -
Z iiij
272 R E C U E I L
eux la lasciveté ; à ce vice ils en joi-
g n e n t un a u t r e , qui est d'être de rusés
v o l e u r s . L e u r occupation ordinaire est
la g u e r r e & la pêche. L e u r façon d e
p r e n d r e des baleines est s i n g u l i e r e , se
p r o u v e assez leur intrépidité. D è s qu'ils
a p p e r ç o i v e n t une b a l e i n e , ils se j e t -
tent dans leurs c a n o t s , & s'approchant
d u c ô t é de la b a l e i n e , ils sautent dessus,
& s'étant placés sur son c o l , ils lui en-
s o n c e n t un b â t o n sort pointu dans un
d e s n a s e a u x ; l'animal furieux s'enfon-
c e au fond d e l ' e a u , se reparoît b i e n -
t ô t après au-dessus en s'agitant v i o l e m -
ment. L'Indien cependant demeure
t o u j o u r s assis & f e r m e sur cet a n i m a l ,
& lui enfonce un second b â t o n dans
l'autre n a r r i n e , c e qui sait p e r d r e en-
tierement la respiration à la baleine ; il
se remet alors dans son canot qu'il tient
attaché au côté de la baleine a v e c une
c o r d e , & la conduit ainsi à b o r d .
C e s S a u v a g e s se nourrissent de pain
& de farine de maïs & de m i e l , d o n t
ils sont leurs p r o v i s i o n s , ausquels ils
ajoutent des poissons secs & r o t i s . L e u r
c o u t u m e est de se retirer tous les ans.
D'OBSERVATIONS. 273
durant trois o u quatre mois dans des
cabannes couvertes de feuilles d e p a l -
miers o ù ils se nourrissent de r a c i n e s ,
d e chair de cerfs, de paon & d'autres
volailles & gibiers. L e u r boisson f a v o -
rite est faite du jus de certaines h e r b e s .
Ils en usent principalement lorsqu'ils
vont à quelque expédition p é r i l l e u s e ,
p a r c e que cette liqueur a la vertu d'em-
p ê c h e r la faim & la sois p o u r v i n g t -
quatre h e u r e s , & qu'elle fortifie e x -
t r ê m e m e n t sans monter à la tête.
I l s n'épousent qu'une seule femme ;
mais leurs chefs & leurs Capitaines
p e u v e n t en a v o i r deux o u trois. L a
premiere est la plus h o n o r é e , & ses en-
fans sont déclarés seuls vrais successeurs
du G o u v e r n e m e n t .
274 RECUEIL
AMERIQUE SEРТЕNTRIONALE.
C H A P I T R E X.
De la religion des Peuples de la floride,
de leurs Prêtres, de leurs emplois, de
leur discipline, de leur habillement s
cérémonies de guerre observées par les
floridiens, leurs cérémonies funébres,
leurs cérémonies nuptiales ; châtiment
des femmes adulteres.
L E s peuples de la Floride a d o r e n t
le S o l e i l&laL u n e , mais sans l e u r
offrir de prieres ni de sacrifices. T o u t e -
sois ils ont des T e m p l e s , mais ils ne
s'en servent que p o u r y enterrer ceux
qui m e u r e n t , & p o u r y enfermer ce
qu'ils ont de plus précieux. I l s a d o -
rent aussi le diable sous le n o m d e
Toya, & ils tâchent de l'appaiser par
toutes sortes d ' h o m m a g e s , parce qu'ils:
en sont cruellement tourmentés. Pur-
D'OBSERVATIONS. 275
c h a s r a p p o r t e que le d é m o n leur fait,
des incisions dans la c h a i r , qu'il les
effraye par des visions p o u r les obliger
à lui sacrifier des victimes h u m a i n e s .
M a i s il y a g r a n d e apparence que c e
sont les P r ê t r e s du d é m o n qui ont re-
cours à tous ces Stratagêmes p o u r s é -
duire ces peuples.
L e culte qu'ils rendent au Soleil
consiste à le saluer lorsqu'il se l e v e , &
à chanter des h y m n e s à sa l o u a n g e ,&
à lui rendre tous les soirs le m ê m e
h o m m a g e . O u t r e cela ils brûlent q u a -
tre sois l'année en son h o n n e u r des
parfums solemnels sur la m o n t a g n e d'O-
lainq. L a veille de la fête les P r ê t r e s
v o n t en retraite sur la m o n t a g n e , p o u r
m i e u x & préparer à L'action solemnelle
du lendemain. L e peuple se c o n t e n t e
de s'y rendre avant le jour. T o u t est
éclairé pendant la nuit de feux q u ' o n
allume sur la m o n t a g n e ; mais les d é -
v o t s n'oferoient a p p r o c h e r du T e m p l e
o u plutôt de la g r o t t e qui est dédiée au
S o l e i l . L ' a c c è s de ce lieu de d é v o t i o n
n'est permis qu'aux Jaovas o u P r ê t r e s ,
& c'est à e u x que les d é v o t s remettent
276 R E C U E I L
leurs offrandes & leurs d o n s que c e s
Jaovas suspendent ensuite à des per-
ches placées à chaque côté du p o r t a i l .
L e s offrandes restent suspenduës jus-
qu'à la fin de la c é r é m o n i e , alors ils
en font la distribution c o n f o r m é m e n t
à la v o l o n t é du donateur.
D è s que le Soleil c o m m e n c e à luire,
les Jaovas c o m m e n c e n t à chanter ses
louanges en se jettant à g e n o u x à d i -
verses reprises ; après quoi ils jettent
des parfums dans le feu s a c r é , qui est
allumé devant la p o r t e du T e m p l e . L e
P r ê t r e verse ensuite du miel dans u n e
p i e r r e creusée exprès p o u r cet usage,
& qui est devant une table d e pierre.
I l répand auprès de la pierre b e a u -
c o u p de maïs à d e m i b r i s é & dépouillé
d e sa p e a u ; c'est la pâture de quelques
o i s e a u x , q u i , selon l'opinion des F l o -
r i d i e n s , chantent les louanges du S o -
leil. Pendant que les P r ê t r e s b r û l e n t
les parfums, & chantent à l ' h o n n e u r
d e cet a s t r e , le peuple se prosterne &
fait ses d é v o t i o n s . L a cérémonie f i n i t
p a r les jeux, les danses & les plaisirs.
L!essentiel d e la fête s'acheve à midi
D'OBSERVATIONS. 277
A l o r s les Jaovas entourent la t a b l e ,
e n redoublant les chansons & les cris
d e j o y e , & quand le Soleil c o m m e n c e
à d o r e r les b o r d s de la t a b l e , ils jettent
dans le feu tout ce qui leur reste de
parfums. Six Jaovas choisis au sort
restent auprès de la t a b l e , & d o n n e n t
la liberté, à six oiseaux du Soleil q u e
l'on avoit apportés dans des cages p o u r
les faire servir à cette c é r é m o n i e . L a
d é l i v r a n c e de ces oiseaux est suivie
0d'une procession de dévots, qui descen-
dent de la m o n t a g n e avec des rameaux
à la m a i n , & se rendent à l'entrée du
T e m p l e où les Jaovas les introduiseent,
ensuite les pélerins se lavent le visage
& les mains d'une eau sacrée.
L e T e m p l e consacré au Soleil & à
son culte par les floridiens d'Apalache
est une g r o t t e spacieuse taillée naturel-
lement dans le r o c à l ' O r i e n t de la
m o n t a g n e ; o n dit qu'elle a deux cens
pieds de long, qu'elle est o v a l e , qu'elle
s'élève à six-vingt pieds de h a u t e u r , &
que d e la v o û t e percée au milieu jus-
qu'au-desîus du terrein de la m o n t a g n e ,
il en vient assez de j o u r p o u r éclairer
cette g r o t t e .
278 RECUEIL
Q u e l q u e s peuples de la floride sa-
crifient leurs premiers nés au Soleil o u
plutôt à leurs S o u v e r a i n s . D u moins est-
il certain que cette cruelle cérémonie se
fait en présence d'un de ces P r i n c e s o u
Caciques qu'ils appellent Paraouftis.
P e n d a n t que la mere de l'enfant se c o u -
v r e la f a c e , pleure & g é m i t , & que les
femmes qui l'ont a c c o m p a g n é e c h a n -
tent & dansent en faisant un c e r c l e ,
une autre f e m m e p a r o î t au milieu
d u c e r c l e , tenant l'enfant entre ses
b r a s , & le m o n t r a n t d e loin au Pa-
raoufti ; cette f e m m e danse c o m m e ses
c o m p a g n e s & chante les louanges du
Paraoufti. A p r è s cela le P r ê t r e qui est
au milieu de six F l o r i d i e n s , vient é c r a -
ser cet enfant. L a victime doit toujours
être un g a r ç o n .
C e s m ê m e s peuples offrent a v e c
b e a u c o u p de c é r é m o n i e la représenta-
t i o n d'un cerf au S o l e i l , & choisissent
p o u r cet effet la peau du plus g r a n d
cerf qu'ils puissent t r o u v e r . A p r è s l'a-
v o i r remplie de toutes sortes d ' h e r b e s ;
ils l'ornent de f l e u r s & de fruits, &
l'élevent au sommet d'un grand a r b r e ,
D'OBSERVATION. 279
la tête t o u r n é e au Soleil levant. C e t t e
c é r é m o n i e se fait tous les ans vers la
fin du m o i s de février. E l l e est tou-
jours a c c o m p a g n é e d e prieres & d e
chansons que le Paraoufti & un des
premiers Jaovas e n t o n n e n t eux - m ê -
m e s à la tête des dévots. Les floridiens
d e m a n d e n t au Soleil qu'il lui plaise d e
bénir les fruits de la t e r r e . P o u r la peau
d u cerf elle reste exposée sur l'arbre
jusqu'à l'année suivante.
ils ont une autre fête r e m a r q u a b l e .
L e peuple s'assemble sous la conduite
d'un Puraoufti pour aller rendre ses
-devoirs à Toya. La fête lé sait dans une
g r a n d e place que les femmes ont o r n é e
le jour qui précede celui de la c é r é m o -
nie. A p r è s que l'assemblée s'est f o r -
m é e en c e r c l e , trois Jaovas peints d e
plusieurs couleurs depuis les pieds jus-
-qu'à la t ê t e , paroissent au milieu du
c e r c l e a v e c des t a m b o u r s au son des-
quelsils chantent & dansent en faisant
des gestes & des grimaces e x t r a o r d i -
naires. L'assemblée r é p o n d en c h œ u r
a u chant de ces P r ê t r e s , q u i , a p r è s
a v o i r sait trois o u quatre tours de danse,
280 R E C U E I L
quittent brusquement la p a r t i e , & s'en-
fuyent dans les bois. C ' e s t - l à qu'ils
v o n t consulter Toya. C e t t e suite m y s t é -
rieuse i n t e r r o m p t la d é v o t i o n , mais les
femmes la continuent tout le jour par
des pleurs & des hurlemens. E l l e s sont
aux bras de leurs f i l l e s des taillades &
des incisions a v e c des écailles de m o u -
l e s , & jettent en l'air c o m m e un h o m -
m a g e dû à Toya le sang qui découle d e
ces playes en invoquant trois sois cette
I d o l e . D e u x jours après les Jaovas
reviennent des b o i s , & dansent en la
m ê m e place qu'ils avoient quittée si
brusquement. L a danse f i n i t par un r e -
p a s , dont une abstinence de trois jours
n e les met guere en état de se passer.
L e s F l o r i d i e n n e s v o n t pleurer & g é -
mir fur les t o m b e a u x d e leurs maris d é -
funts,& pour dernier t é m o i g n a g e d e l à
tendreffe con jugale,ees veuvesdéfolées
fe coupent^ entièrement les cheveux ,
& les fement fur ces t o m b e a u x ; & ce
qui efi à- o b f e r v e r , c'eft q u e l l e s n e
p e u v e n t le remarier qu'après que leurs •
c h e v e u x font revenus à leur p r e m i e r e
longueur , c'eft-à-dire , lorfqu'ils paf-
fent les épaules.
I l s enfevelifferrt \<zuxsP"araoitftîs a v e c
toute la magnificence qu'ils p e u v e n t
imaginer. L e t o m b e a u efl e n t o u r é d e
flèches plantées en terre par la p o i n t e .
O n m e t au-defTus d e ce m o n u m e n t
la c o u p e qui (ervoit à c e S o u v e r a i n .
T r o i s jours fe paffent en jeûnes & e n
pleurs fur fon tombeau.' L e s Paraouf—
tis fes alliés viennent le pleurer a v e c
les mêmes c é r é m o n i e s . O n fe rafe la;
tête pour l'amour d é lui. Enfin des pleu-
reufes de proféffion le pleurent t r o i s
fois le jour pendant fix m o i s , le m a t i n ,
à midi Se le, foir. O n brûle tout ce<
d'O B S E R V A T I O N S. 287
qu'il a possedé dans sa v i e , & le m ê m e -
usage s'observe à la m o r t des P r ê t r e s .
O n les ensevelit dans leurs maisons
a p r è s q u o i l'on brûle la maison & les
effets du défunt. Purchas dit que les
peuples de la Floride après avoir brûlé
ces c o r p s s a c r é s , en réduitent les os en
p o u d r e & les d o n n e n t à b o i r e un a n
a p r è s aux p r o c h e s parens des défunts.
Q u e l q u e s Floridiens enterrent a v e c
leurs S o u v e r a i n s des esclaves tout en
v i e p o u r les aller servir d a n s l'autre
monde.
C e u x d'Apalache e m b a u m e n t les
corps de leurs parens & amis défunts.
Ils les laissent à-peu-près trois mois dans,
le b a u m e , a p r è s q u o i ces corps dése-
c h é s par la force des d r o g u e s a r o m a -
tiques sont revêtus d e belles peaux &
mis dans des cercueils de c e d r e . L e s
parens g a r d e n t le cercueil chez eux l'es-
p a c e de d o u z e L u n e s entieres-, ensuite
o n le p o r t e à la forêt v o i s i n e , & l'on
enterre le défunt au pied d'un a r b r e .
I l s en usent plus n o b l e m e n t e n c o r e à
l'égard d e leurs Paraouftis. A p r è s les
a v o i r e m b a u m é s , revêtus de leurs or-
n e m e n s , parés d e plumes & d e c o l i e r s ,
288 R e c u e i L
e n les g a r d e trois ans dans l ' a p p a r -
tement o ù ils sont m o r t s , & p e n d a n t
ce tems-là ils sont enfermés dans des
cercueils de cedre; ce t e r m e étant e x -
p i r é , on les porte au t o m b e a u de leurs
prédecesseurs, qui se t r o u v e au pied d e
la montagne d'Olainq ; on les descend-
dans une g r o t t e , d o n t o n ferme l ' o u -
verture avec d e g r o s c a i l l o u x , & l ' o n
pend aux b r a n c h e s des arbres voisïns
du t o m b e a u , les armes dont ils se ser-
voient à la g u e r r e , c o m m e autant de
témoignages de leur valeur. L e s plus
prochef parens plantent un cédre a u -
p r è s de la g r o t t e , & l ' e n t r e t i e n n e n t
a v e c soin à la gloire du défunt. S i
l'arbre meurt o n lui en substitue aussi-
tôt un autre.
L e s Apalachites c r o y e n t l ' i m m o r t a -
lité de l ' a m e , & que ceux qui ont bien
v ê c u sont portés au Ciel & placés e n t r e
les Etoiles. Ils assignent la d e m e u r e des
méchans dans les précipices des h a u t e s
m o n t a g n e s du N o r d , parmi les o u r s ,
au milieu des n e i g e s , des glaces & d e s
frimats.
L e s I n d i e n s de la C a r o l i n e c r o y e n t
D ' O B SE R V A TIO N S. 289
la transmigration des ames ; & q u a n d
il meurt quelqu'un parmi e u x , o n en-
t e r r e a v e c lui d e s provisions & quel-
ques ustenciles p o u r le besoin.
L e s I n d i e n s de la Floride n ' é p o u -
sent d ' o r d i n a i r e qu'une f e m m e qui est
obligée de g a r d e r la fidélité à son m a r i .
P o u r les G r a n d s du P a y s , ils se dis-
p e n n t d e l ' u s a g e , qui n e p e r m e t
qu'une f e m m e au peuple. I l s en p r e n -
nent&autant qu'ils veulent ; mais il n ' y
en a qu'une d e l é g i t i m e , & les autres
ne sont que des concubines.
L e s Apalachites ne se marient pas
h o r s de leurs familles. I l leur est permis
d e contracter m a r i a g e dans tous les
dégrés qui sont au-dessous d e frere &
d e sœur.
C e s derniers peuples d o n n e n t à leurs
enfans mâles les n o m s des ennemis
qu'ils ont t u é s , ou des Villages qu'ils
o n t b r û l é s , o u des prisonniers qui
tome XIV. B b
290 R E C U E I L
s o n t m o r t s à leur service. P o u r les
f i l l e s , elles p o r t e n t ceux de leurs m e -
r e s o u d e leurs grand - m e r e s d é c e -
dées car ils observent q u e d e u x
personnes de la famille ne portent pas
l e m ê m e n o m . O n affine que les maris
n ' o n t point de c o m m e r c e a v e c leurs
femmes depuis qu'elles se t r o u v e n t e n -
ceintes jusqu'à ce qu'elles soient a c c o u -
c h é e s , & qu'ils ne m a n g e n t pas m ê m e
d e ce qu'elles ont t o u c h é pendant le
t e m s de leur grosiesse.
L e s Floridiens des environs de Panues
& marient tard ; & cependant on assure
q u ' à dix à 12 ans,les f i l l e s ne le sont plus
q u e d e n o m . L e s femmes des M e s L u -
c a y e s p o r t e n t p o u r la bienséance un
tablier de c o t o n ; & lesf i l l e sn e le pren-
n e n t q u e q u a n d elles sont en âge d e
devenir f e m m e s .
L e s peuples d e la Floride ont une
loi qui o r d o n n e sur peine d e la v i e ,
q u e si quelqu'un a des indices suffisans
p o u r croire qu'une f e m m e soit adul-
t e r e , il doit la d é n o n c e r au C a c i q u e ,
o u en son absence aux J u g e s du lieu.
E n conséquence de cette dénonciation
D'OBERVATIONS, 291
o n informe c o n t r e la personne a c c u -
s é e , & o n s'en saisit, si elle se t r o u v e
coupable. A la premiere fête t o u t le
Village s'assemble & se r a n g e en h a y e .
L a f e m m e coupable et l ' a m e n é e , &
les J u g e s déclarent à son mari qui est
présent qu'elle est c o n v a i n c u e de m a u -
vaise v i e , & lui o r d o n n e n t de la traiter
selon la rigueur des loix. L e mari la
dépouille alors t o u t e nuë & la rase ;
châtiment h o n t e u x parmi les I n d i e n s
de l ' A m é r i q u e ; & p o u r m a r q u e qu'il
la r é p u d i e , il se retire a v e c les habits
d e la f e m m e , & l ' a b a n d o n n e au p o u -
v o i r des J u g e s . D e u x d e ceux-ci c o m -
m a n d e n t aussitôt à la criminelle d e
passer d e v a n t ceux qui sont en h a y e ,
& d'aller déclarer son crime aux d e u x
autres J u g e s qui se sont placés à l'autre
e x t r ê m i t é d e la h a y e . E l l e obéit & a p r è s
s'être a v o u é e c o u p a b l e , elle r e t o u r n e
v e r s ses premier J u g e s ; mais p e n d a n t
t o u t ce trajet les assistans se font un plaisir
& un devoir de la sister & d e l'accabler
d'injures. L e peuple qui la voit t o u t e
nuë lui jette d e s m o t t e s de t e r r e , de la
paille, des m o r c e a u x de nattes & autres
B b ij
292 R E C U E I L
choies semblables. A p r è s avoir essuyé
toutes ces a v a n i e s , elle est bannie de
la contrée se remise entre les mains d e
ses p a r e n s , qui la couvrent d'une man-
t e , & l ' e m m e n e n t hors de la P r o v i n c e ,
en prenant bien g a r d e qu'elle ne soit
vue d'aucun I n d i e n du P a y s .
D a n s la P r o v i n c e de Taf cal v ea la
L o i est e n c o r e plus sévere, puisqu'elle
p e r m e t à un I n d i e n d o n t la f e m m e est
convaincue d ' a d u l t e r e , de lui ôter lui-
m ê m e la vie ; p o u r cet e f f e t , il la m e -
n e hors du B o u r g , l'attache à un a r b r e ,
o u à un p i e u , qu'il fiche en t e r r e , & la
tue à coups d e f l é c h e s .
D O B S E R V A T I O N S , 293
'AMERIQUE SEPTENTRIONALE.
CHAPITRE X 1.
Situation & bornes de la Virginie i
fertilité du Pays ; mœurs, coutumes ,
ufages , gouvernement des Virgi-
rtiens.
AMERIQUE SEPTENTRIONALE.
C H A P I T R E XII.
De la Religion des Virginienr ; de leurs.
Prêtres, & de leurs Devins ; de leurs
Fêtes, de leurs dévotions, de leurs
danfes, & de leurs cérémonies de
paix & de guerre ; de leurs cérémo-
nies nuptiales, & de leurs céremo-
nies funébres.
D d ij
318 REGcuEil
CHAPITRE XIII.
Description de la Californie. Caratlere,
mœurs & occupations des Habitans
de cette Isle. Plantes, fruits & ani-
maux singuliers qui s'y trouvent.
I L y a dans la C a l i f o r n i e , c o m m e
d a n s les plus beaux P a y s du m o n d e ,
d e g r a n d e s p l a i n e s , d'agréables v a l -
l é e s , d'excellens pâturages en t o u t t e m s
p o u r le g r o s & le menu bétail, de belles
s o u r c e s d'eaux v i v e s , des ruisseaux &
des rivières dont les b o r d s font c o u -
verts d e faules, de r o s e a u x , & d e v i -
gnes sauvages.
P e n d a n t l ' E t é , les chaleurs y sont
g r a n d e s le long des c ô t e s , & il y pleut
r a r e m e n t ; mais dans les t e r r e s , l'air est
plus t e m p e r é , & le chaud n ' y est jamais
excessif. I l en est de m ê m e de l'hyver à
p r o p o r t i o n . D a n s la saison d e s p l u y e s ,
c'est un déluge d'eau. Q u a n d elle est
passée, au lieu d e p l u y e s , la. rosée le,-.
D' O B S E R V A T I O N S. 319
t r o u v e »fi a b o n d a n t e tous les m a t i n s ,
q u ' o n croiroit qu'il eût plû; ce qui r e n d
la terre très-fertile. D a n s les mois d ' A -
vril , de M a y & de J u i n , il t o m b e a v e c
la rote e une efpece de m a n n e qui fe
c o n g e l é , & qui s'endurcit fur les feuil-
les des r o f e a u x ; elle eft un peu m o i n s
blanche que le fucre ; mais elle en a
t o u t e la d o u c e u n
L e s rivieres font fort poilîonneufes ;
& o n y t r o u v e fur tout beaucoup d ' é -
crevifîes, q u ' o n transporte en des efpe- '
ces de réfervoirs d'où on les tire dans le
befoin. I l y a auflï b e a u c o u p d e ces
fruits que les E pagnols appellent Xi-
carnés, & qui font de meilleur goût"
q u e ceux que l'on mange dans tout le
M e x i q u e . A i n f i , o n peut dire que la
Californie eft u n P a y s très-fertile. O n
t r o u v e fur les montagnes pendant t o u t e *
l ' a n n é e , &rprefque dans toutes les fai-
f o n s , d e grofles piftaches de diverfes
efpeces , entr'autres celles q u e les Chi-
nois , qui font les naturels du P a y s , a p -
pellent palofanfto. L ' a r b r e porte beau--
c o u p de fruit, & l'on en tire d'excel-
lent encens*
D d iiij
320 R E C U E I E L
Si ce P a y s est a b o n d a n t en fruits, il
n e l'est pas moins en grains. Il y en a
d e q u a t o r z e fortes, d o n t ces peuples se
nourrissent. Ils se servent auffi des ra-
cines des arbres 8c des p l a n t e s , e n -
t r ' a u r e s d e celle d'yguea, pour faire
une espèce de pain. I l y vient des cher-
vis exce l e n s , une espéce de saiseoles
r o u g e s d o n t on m a n g e b e a u c o u p , des
citrouilles, & des melons d'eau d'une
grolseu: extraordinaire.
L e P a y s est fi b o n . qu'il n'est pas ra-
r e que b e a u c o u p de plantes portent du
fruit trois fois l'année. A i n s i , avec le
t r a v a i l q u ' o n a p p o r t e r o i t à cultiver la
t e r r e , 8c un peu d'habileté à sçavoir
m é n a g e r les e a u x , o n v e r r o i t tout Je
P a y s e x t r ê m e m e n t f e r t i l e ;-il n ' y a ni
fruits ni grains qu'on n'y cueillit en très-
grande abondance.
O u t r e plusieurs fortes d'animaux-,
qui nous font c o n n u s , qu'on t r o u v e ici
e n g r a n c e q u a n t i t é , 8c qui font b o n s à
m a n g e r , c o m m e des cerfs, des lièvres,
d e s l a p i n s , 8c a u t r e s , il y a de d e u x
fortes de bêtes f a u v e s , qui s o n t i n c o n -
nuës en E u r o p e . O u les appelle des mou
D'OBSERVATIONS. 321
i o n s , parce qu'elles ont quelque chose
de la figure des n ô t r e s . L a première es-
p é c e est de la grandeur d'un veau d'un
o u deux ans. L e u r tête a-beaucoup de
rapport à celle d'un cers ; & leurs cor-
ne ; qui font extraordinairement grof-
ses, à celles d'un bélier. Ils ont la
q u e u e , & le poil qui est marqueté, plus
court e n c o r e que les cerfs ; mais
la corne du pied est g r a n d e , r o n d e &
f e n d u e c o m m e celle des bœufs. L e u r
chair est fort b o n n e & fort délicate
L ' a u t r e espèce de m o u t o n s , dont les-
uns font b l a n c s , & les autres n o i r s , dif-
férent moins des nôtres. Ils font plus
g r a n d s , & ils ont b e a u c o u p plus d e
laine ; elle se file aisément 5c est p r o p r e
à mettre en œ u v r e .
O u t r e ces animaux d o n t on peut se
n o u r r i r , il y a des lions, des chats fau-
v a g e s , & plusieurs autres semblables à
ceux qu'on t r o u v e en la nouvelle Es-
p a g n e . O n a p o r t é dans la Californie,
des v a c h e s , & quantité de menu bétail,
c o m m e des brebis & des c h è v r e s , qui
y ont fort multiplié pendant un tems
O n y a auffi p o r t é des chevaux &
322 R E C U E I L
des cavales pour en peupler le P a y s .
P o u r les oiseaux, tous ceux du Me--
x i q u e , & presque tous ceux d'Espagne
se trouvent dans la Californie. Il y a
des p i g e o n s , des t o u r t e r e l l e s , des
a l o u e t t e s , des perdrix d'un g o û t e x , el-
l e n t , & en grand n o m b r e , des o y e s
des c a n a r d s , & de plusieurs autres for-
tes d'oiseaux de rivière & de mer.
L a mer est fort poissonneusè, & le
- poisson en est d'un bon goût. O n y pê-
che des sardines, des a n c h o i s , & du t o n ,
qui se laisse prendre à la main au b o r d d e
la mer. O n y v o i t aussi assez s o u v e n t
des b a l e i n e s , & de toutes fortes de t o r -
tues. L e s rivages font remplis de m o n -
c e a u x de c o q u i l l a g e s , beaucoup plus
g r o s que les nacres de perles. C e n'est
pas de la mer que l'on tire le sel, il y a -
des s a l i n e s , d o n t le sel est blanc & lui-
sant c o m m e le crystal ; mais en m ê m e -
tems si d u r , qu'on est souvent obligé d e
le r o m p r e à grands coups de marteau.
Il y a près de deux s i é c l e s qu'on con-
noît la Californie. Ses côtes sont sa-
meuses par la pêche des perles ; c'est
ce qui l'a r e n d u e l'objet des voeux les-
D'OBSERVATIONS. 323
plus empressés des E u r o p é e n s , qui o n t
souvent formé des entreprises pour s'y
établir.
Q u o i q u e le Ciel ait été fi libéral à l'é-
g a r d des C a l i f o r n i e n s , & que la terre
produise d'elle-même ce qui ne vient
ailleurs qu'avec b e a u c o u p de peine &
de travail; c e p e n d a n t , ils ne font aucun
cas de l'abondance,.ni des richesses de
leur P a y s . C o n t e n s de trouver ce qui
est nécessaire à la v i e , ils se mettent peu
en peine de tout le reste. P o u r la p ê c h e
du poisson, ils se servent de petits r a -
deaux ; & ils s'en servent d'autant plus
h a r d i m e n t , qu'ils sont excellens na-
geurs.
L e P a y s est fort peuplé dans les ter-
r e s , surtout du côté du N o r d , Se q u o i -
qu'il n ' y ait guéres de B o u r g a d e s qui
n e soient composées de v i n g t , t r e n t e ,
quarante & cinquante familles, ils n'ont
point de maisons. L ' o m b r e des arbres
les défend des ardeurs du Soleil pen-
dant le j o u r , Se ils se sont des branches
& des f e u i l l a g e s , une espére de t o î t
contre les mauvais tems de la nuit. L ' h i -
v e r , ils s'enferment dans des. c a v e s ,
324 R E C U E I L
qu'ils creusenten t e r r e , & y demeurera
plusieurs ensemble.
L e s h o m m e s sont tout nuds. Ils se cei-
g n e n t la tête d'une b a n d e de toile t r è s -
d é l i é e , ou d'une efpéce de rezeau. Ils
portent au col, & quelquefois aux mains
p o u r o r n e m e n t , diverses figures de na-
cres de perles allez bien t r a v a i l l é e s , en-
trelaffées avec beaucoup de p r o p r e t é ,
de petits fruits r o n d s , à peu près c o m -
m e des grains de chapelet. Ils n ' o n t
pour a r m e s , que l ' a r c , la flèche ou le
j a v e l o t ; mais ils les portent toujours à
la m a i n , font pour chasser, soit p o u r se
défendre de leurs ennemis ; car les
B o u r g a d e s se sont assez s o u v e n t la
guerre les unes aux autres.
L e s f e m m e s sont vêtuës un peu plus
modestiement, portant depuis la ceintu-
re jusqu'aux g e n o u x , une manière de ta-
blier tissu de rezeaux c o m m e les nates
les plusf i n e s .Elles se couvrent les épau-
les de peaux de b ê t e s , & portent à la
tête c o m m e les h o m m e s , des rezeaux
fort déliés C e s rezeaux sont si propre?»
que les Officiers Espagnols s'en servent
p o u r attacher leurs c h e v e u x . Elles ont.
D'OBSERVATIONS. 325
c o m m e les h o m m e s des colliers d e n a -
c r e , mêlés de n o y a u x de fruits & d e
c o q u i l l a g e s , qui leur pendent jufqu'à
la c e i n t u r e , & des brasselets d e m ê m e
matière que les colliers.
L ' o c c u p a t i o n la plus ordinaire des
h o m m e s & d e s s e m m e s , est de filer. L e
fil se fait de longues h e r b e s , qui leur
tiennent lieu de lin & de c h a n v r e , o u
bien de matière c o t o n e u f e , qui se trou-
v e dans l'écorce de certains fruits.
D u fil le plus fin ils sont les divers or-
nemens dont ils se p a r e n t , & du plus
grossier, des sacs pour divers usages,
& des rets pour pêcher. L e s h o m m e s
outre cela avec diverses h e r b e s , d o n t
les fibres font extrêmement serrées &
filasseuses, & qu'ils sçavent très-bien
m a n i e r , s'employent à faire une espéce
d e vaisselle, & de batterie de cuifine
assez n o u v e l l e , & d e toutes fortes de
grandeurs. L e s pièces les plus petites
servent de tafses,les m é d i o c r e s d'assiet-
t e s , de p l a t s , & quelquefois de p a r a -
f o l s , d o n t lesf e m m e sle couvrent la tê-
t e ; & les plus grandes de corbeilles à
ramasser les fruits, & quelquefois d e
326 R E C U E I L .
p o ë l e s & de bassins à les faire cuire.
M a i s il faut fans celle avoir la p r é c a u -
t i o n d e remuer ces vaisseaux p e n d a n t
qu'ils font fur le f e u , d e peur que la
flamme ne s'y a t t a c h e , ce qui les b r û -
leroit en très-peu de tems.
L e s Californiens ont b e a u c o u p d e
v i v a c i t é , Se font naturellement rail-
leurs. O n ne t r o u v e parmi eux aucune
forme de g o u v e r n e m e n t , ni presque d e
R e l i g i o n & de culte reglé. I l s a d o r e n t
la L u n e ; & en son h o n n e u r , ils se c o u -
pent les c h e v e u x , & les donnent à leurs
P r ê t r e s , qui s'en servent à diverses
fortes de superstitions. C h a q u e famille
se fait des loix à son g r é ; & c'est appa-
r e m m e n t ce qui les p o r t e fi souvent à
en venir aux mains les uns c o n t r e les
autres.
-
D'OBSERVATIONS. 327
AMERIQUE SEPTENTRIONALE.
C H A P I T R E XIV.
Description géographique des grandes
& des petites Antilles ; mœurs, cou-
tumes, Religion, cérémonies des Ha-
bitans de ces Isles.
O N a d o n n é le n o m d'Antilles à
un grand n o m b r e d'Jfles qui se
r e n c o n t r e n t avant que d ' a b o r d e r à l ' A -
merique du côté du M e x i q u e .
L ' I s l e de C u b a est la plus g r a n d e
des A n t i l l e s , elle a deux cens v i n g t -
iîx lieues dans sa plus grande l o n g u e u r
d ' O r i e n t en O c c i d e n t ; vingt lieuës d e
largeur en de certains e n d r o i t s , q u a -
rante en d'autres, & plus de q u a t r e
cens cinquante de circuit. O n n ' y r e -
cueille que fort p e u d e m a ï s , de bled
& de sucre ; o n ne voit presque d a n s
t o u t le P a y s q u e bois & m o n t a g n e s ;
mais il y a quelques mines d ' o r & d e
528 R E C U E I L
c u i v r e , & b e a u c o u p de paftel. On
v o i t dans cette Isle une g r a n d e quan-
tité de v a c h e s , d e p o u r c e a u x , de c r o -
c o d i l l e s ; & vers les c ô t e s , l'on p ê c h e
un grand n o m b r e de baleines ; on y
t r o u v e aussi d e l'ambre gris.
I l y a dans cette Isle sept Villes
principales ; celle de la H a v a n e , ou d e
S a i n t - C h r i n o p h e , e f î la Capitale ; elle
est le Siège d'un E v è q u e sussragant d e
l ' A r c h e v ê q u e d e Saint - D o m i n g u e
d a n s l'Isle Efpagnole.
L I s l e de Saint D o m i n g u e , q u e
l ' o n appelle aussi l'Isle E s p a g n o l e , est
s i t u é e presqu'à l'Orient de celle de C u -
b a ; elle a environ cent trente lieues
d e longueur d ' O r i e n t en O c c i d e n t ;
quarante o u cinquante de l a r g e u r , &
trois cens de circuit. L e s u c r e , le c o -
t o n , la caffe, les o r a n g e r s , les c i t r o -
n i e r s , les o l i v i e r s , le m a ï s , & l'yuca
y croiffent en a b o n d a n c e . O n t r o u v e
d a n s cette Isle plufieurs mines d ' o r ; i l
y a une g r a n d e quantité d e vaches &
de c h e v a u x , & de toutes fortes de v o -
lailles 8c d'animaux que les Espagnols
y ont apportés de l ' E u r o p e . O n p ê c h e
vers
D'OBS-ERVATIONS. 329
vers les côtes des b a l e i n e s , des do-
r a d e s , des l a m e n t i n s , que l'on instruit
c o m m e des chiens ; mais ce que c e t t e
Isle a de p a r t i c u l i e r , c'est une e s p e c e
d'insecte que l'on appelle concyof.
C e s petits animaux ont quatre y e u x ,
deux à la t ê t e , & deux fous les ailes,
qui rendent une si g r a n d e lumiere p e n -
dant la n u i t , que les H a b i t a n s se ser-
vent quelque fois de ces insectes au lieu,
d e flambeaux pour s'éclairer.
L a partie O r i e n t a l e de cette Isle ap
p a r t i e n i à l ' E s p a g n e , Se la partie. O c -
cidentale au R o i d e F r a n c e qui y e n -
v o y é un G o u v e r n e u r , dont la réfi-
dence ordinaire est au petit G o a v e .
L'Ifte J a m a ï q u e s i t n é e au M i d y d e
celle de C u b a a environ quarante cinq,
lieues d e longueur d ' O r i e n t en O c -
c i d e n t ; vingt de l a r g e u r , & cent o n z e
de circuit. La terre y est aussi sertile
que dans l'Isle de S a i n t - D o m i n g u e .
L a Capitale de cette Isle efl' P o r t -
Royal.
L ' I s l e d e Porto-Rico, s ì t u é e à l ' O -
rient de c e l l e de Saint D o m i n a l e , a-
environ quarante lieues dans fa plus
Dome XIV. Ee
330 RECUeIl
g r a n d e étendue d ' O r i e n t en O c e i d e n t ; :
d o u z e ou quinze dans fa plus g r a n d e
largeur ; & cent vingt de circuit. L a
température de l'air & la f e r t i l i t é de la
terre font à peu près les m ê m e s qu'à la
J a m a ï q u e . La Capitale de cette Isle est
Saint-Jean de Porto-Rieo. E i l e est le
S i è g e d'un E v ê q u e suffragant de l'Ar-
c h e v ê q u e de S a i n t - D o m i n g u e , & la
d e m e u r e ordinaire du G o u v e r n e u r .
L e s petites Antilles n o m m é e s Ca-
rîbes ou Cannibales, du n o m des p e u -
ples qui les habitoient lorsqu'elles su-
rent d é c o u v e r t e s , font rangées de ma-
nière qu'elles forment à peu p r è s la
figure d'une faulx, dont la convexité"
est tournée vers l ' O r i e n t . L ' a i r y est
un peu plus chaud qu'aux grandes A n -
t i l l e s , & la terre y est moins f e r t i l e ;
on y recueille cependant b e a u c o u p d e
m a ï s , d ' y u c a , de s u c r e , de tabac &
d'indigo. Le Pont la Barbade est la
seule Villef e r m é eque l'on t r o u v e dans
ces Isles.
L e s Isles de la Martinique, de Sainte-
L u c i e , de G r e n a d e , de la G u a d e l o u -
p e , de la M a r i e - G a l a n d e , d e la D é -
d'OBSERVATIONS. 331
t i r a d e , de S a i n t - C h r i s t o p h e , de S a i n t -
M a r t i n , d e S a i n t e - C r o i x , & d e Saint-
B a r t h e l e m y , font les plus grandes &
les plus confiderables des petites A n -
tilles, & font habitées par les F r a n -
ç o i s , & par un grand n o m b r e deNégres-
gres qui font leurs esclaves ; mais ils
n e possedent que la moitié de l'Isle
d e Saint-Christophe. L e s Isles de la
B a r b a d e , d ' A n t i g o a , de M i e v e s , &
d e M o n t s a r a , avec l'autre partie d e
celle de Saint C h r i s t o p h e , a p p a r t i e n -
nent aux A n g l o i s .
L ' I s l e de la G u a d e l o u p e , a p r è s
de cent lieues de circuit; la partie q u i
est s i t u é e au S u d - O u e s t , a b o n d e e n
m a n i o c , en y u c a , en s u c r e , en indi-
g o , en patates, en b a n a n e s , en a n a -
n a s , & en plusieurs autres fruits par-
ticuliers. O n pêche vers les c ô t e s une
g r a n d e quantité de tortues & de lamen-
tins. C e que cette Isle a d ' i n c o m m o d e ,
c'est qu'elle est exposée à d e v i o l e n s
ouragans.
L'Isle de la Maritinique a e n v i r o n
seize ou dix-huit lieues de l o n g u e u r ,
& quarante-cinq ou cinquante d e c i r -
E e ij
332 R E C U E I L
cuit. L ' a i r y est plus c h a u d q u ' à la
G u a d e l o u p e , & la terre y est aussi
p l u s fertile; on y recueille principale-
m e n t beaucoup de l u c r e , d e cafte &
d e c o t o n . I l y a dans cette 111e un
F o r t appelle le Fort Saint Pierre. L a
maison du G o u v e r n e u r en est éloi-
g n é e d'une lieuë.
L'Isle d e S a i n t - C h r i s t o p h e n ' a g u e -
r e s q u e neuf lieuës d e l o n g u e u r , &
v i n g t environ d e circuit. L'on n ' y
plante que des cannes de s u c r e , du
m a n i o c , des p a t a t e s , & d'autres fruits
& racines nécessaires, p o u r la nour-
riture.
L e s A n g l o i s y o n t un G o u v e r -
neur & deux F o r t s , & les F r a n ç o i s
y en o n t ; trois avec, un G o u v e r -
neur..
L ' I s l e de Sainte-Groix située au
S u d - E s t de P o r t o - R i c o , n'a que dix
lieuës de l o n g u e u r , quatre o u cinq
d e l a r g e u r , & trente de circuit. L a
t e r r e y est t r è s - f e r t i l e , & a b o n d a
principalement en l u c r e , en t a b a c , &
en indigo ; on y t r o u v e beaucoup de-
river.es qui forment, un g r a n d nombre»
D'O B S E R v AT r o N . 333
d'étangs très-abondans en poissons;
mais dont les eaux croupissent en c e r -
tains t e m s , & exhalent des v a p e u r s
infectées. C e t t e Isle est habitée p a r
les F r a n ç o i s qui y o n t un G o u v e r -
neur.
L ' I s l e de la B a r b a d e possedée par
les A n g l o i s , a environ trente lieues
d e circuit. L ' o n dit que l'on y c o m p t e
plus de vingt mille h o m m e s de guerre
& plus d e q u a r a n t e mille esclaves. Le
Pont de la Barbade est la Capitale d e
cette I s t e , n o n moins fertile que
celles dont nous v e n o n s parler. C e t t e
Ville est composée d'environ, quinze
cens maisons parfaitement bâties d e
briques & de pierres de taille; Ces H-
bitans sont presque t o u s M a r c h a n d s . I l
nous refle à parler d e la religion & des
cérémonies des divers peuples qui ha-
b i t e n t , ou p o u r mieux d i r e , qui ha-
bitoient les différentes Isles d o n t n o u s
v e n o n s d e d o n n e r une courte descrip-
tion.
L e s Caribes ou Cannibales reconnois-
sent deux p r i n c i p e s , l'un b o n , l'autre
m a u v a i s , qu'ils appellent Maboya-
334 R E C U E I L
Louquo é t o i t , à ce qu'ils d i s e n t , le
premier h o m m e . I l d o n n a l'origine au
genre h u m a i n , c r é a les poissons & r e s -
s u c i t a trois jours après la m o r t , en-
suite il s'en retourna au C i e l . A p r è s
le départ de Louquo, les animaux ter-
restres furent créés ; ils croyent la créa-
tion de la terre & de la m e r ; mais n o n
pas celle du Ciel. Ils ont aussi quelque
idée du d é l u g e , & en attribuent la
cause à la méchanceté des h o m m e s de
ce tems-là. Q u o i q u e p r é v e n u s d e la
malice de Maboya, ils le prient c e -
p e n d a n t , pendant qu'ils disent que le
premier principe étant bienfaisant, il
est inutile de le prier.
l i s offrent aux b o n s esprits qu'ils
appellent Chemen, de la cassave, & les
prémices de leurs fruits. O n les pose
sur des t a b l e s , & les esprits s'y r e n -
dent pour manger & b o i r e ces p r é -
sens ; p r e u v e de c e l a , c'est que les C a -
ribes assurent que l'on entend r e m u e r
les vases où l'on a mis ces p r é s e n s , &
le bruit des mâchoires de ces D i e u x .
Presque tous les V o y a g e u r s ,& C a -
tholiques & P r o t e s t a n s , assurent que
D'OBSERVATIONS. 335
ces peuples sont t o u r m e n t é s du d é -
m o n qui les b a t , les é g r a t i g n e , les-
blesse m ê m e c r u e l l e m e n t , p o u r les
obliger à faire ponctuellement ce qu'il
leur d e m a n d e .
C e s S a u v a g e s prétendent que les
chauve-souris sont des Chemens, d o n t
l'office est d e faire la garde pendant
la nuit. Ils g a r d e n t souvent dans u n e
cailebasse, les cheveux ou les o s d e
quelqu'un de leurs parens désunts; ils
les consultent dans l'occasion, & leurs
P r ê t r e s , ou Boiés, leur sont a c c r o i r e
q u e l'esprit du mort les avertit des des-
seins de leurs e n n e m i s .
C e s Boiés qui sont en m ê m e tems
M é d e c i n s , o n t chacun leur génie par-
ticulier qu'ils se vantent d e p o u v o i r
é v o q u e r par le chant de certaines p a -
r o l e s , & par la fumée du t a b a c . O n
n ' é v o q u e ce génie o u ce démon q u e
p e n d a n t la n u i t , & dans un lieu où il
n ' y a ni feu ni lumiere. C e s m ê m e s
Boiés o n t , à ce qu'ils p r é t e n d e n t , le se-
cret d e tuer leurs ennemis par des
charmes.
L e s anciens Boiés préparent par une
336 R E C U E i t
d i c i p l i n e assez r i g o u r e u s e , celui q u e
l'on destine à la prêtrise. D è s l'on en-
sance-il doit s'abstenir de plusieurs
sortes. de v i a n d e s , & même jeûner au
pain & à l'eau dans une p e i t e c a s e ,
o ù il ne v o i t personne que l'es Maî-
tres qui lui sont des incisions dans la
p e a u ; ils lui d o n n e n t à boire du jus d e
t a b a c , q u i le purgeant a v e c v i o l e n c e ,
le d é g a g e n t , disent-ils, des impuretés
de, la t e r r e , & facilite à son esprit,
l'accès du Chemen. Ils lui frottent le
corps de g o m m e & le couvrent en
fuite de p l u m e s , afin qu'il soit dili-
gent à consulter les génies & p r o m p t
à exécuter leurs o r d r e s ; ils lui e n s i -
gnent à guerir les m a l a d i e s , & la ma-
niere d ' é v o q u e r les esprits.
Lorsque quelque Caribeest m a l a d e ,
on sait aussitôt venir un Boié. Celui-
ci éteint d'abord les feux de la c a s e , &
sait sortir les personnes qui lui sont sns-
pectes ; après cela il se retire en un
coin où il o r d o n n e qu'on amene le
m a l a d e , fume un bout de t a b a c , d o n t
il b r o y e dans ses mains une p a r t i e ,
& faisant e n mème-tems claquer ses
doigts,
D'OBSERVATIONS. 337
d o i g t s , soufle en l'air ce qu'il a b r o y é .
L e Chemen arrive à l'odeur d e ce p a r
f u m , & r é p o n d aux questions du Boie ;
celui-ci s ' a p p r o c h e de son malade, tâte,
presse, manie plusieurs fois d e suite la
partie affligée,' si le mal est extérieusr,
& seint d'en retirer la cause du m a l ;
souvent il suce l'endroit m a l a d e .
Si la consolation d e l'esprit n e p r o
duit aucun soulagement au m a l a d e ,
le B o i é lui déclare q u e son D i e u , o u
si l'on aime mieux son d i a b l e , v e u t
l'avoir en sa c o m p a g n i e , & le d é l i
v r e r des peines d e cette v i e . Si l e
m a l a d e revient en santé o n sait u n
feslin au M a b o y a . L a cassave & la b o i s -
son qu'on lui sert restent toute la nuit
sur la table. L e B o i é se m e t en posses-
sion le l e n d e m a i n , d e ces offrandes si
vénérables aux C a r i b e s , qu'il n'ensper
mis qu'aux v i e i l l a r d s , 8e aux premiers
de la N a t i o n d ' y t o u c h e r . A la fin d u
festin o n noircit le convalescent a v e c
des p o m m e s d e Junpa, ce qui le r e n d
aussi laid qu'un diable.
Lorsqu'il s'agit d e faire la g u e r r e ,
q u e l q u e vieille f e m m e e n sait le p r o -
Tome XIV, ff
338 R E C U E I L
j e t , h a r a n g u e la c o m p a g n i e p o u r l'ex-
c i t e r à la v e n g e a n c e , & lorsqu'elle
v o i t que par l'effet de ses discours & d e
l ' o u i c o u , qui est leur b o i l l o n , l'assem-
blée c o m m e n c e à d o n n e r des lignes
évidens de f u r e u r , elle jette au milieu
d e la place quelques m e m b r e s b o u -
canés de ceux qu'ils ont tués à la g u e r -
r e . A p r è ; c e l a , un Capitaine séconde
la vieille,& harangue sur le m ê m e sujet.
L e u r maniere de faire la guerre c o n -
siste en surprises & en embuscades. I l s
se couvrent de branches & de feuilles
depuis les pieds jusqu'à la t ê t e , & se
sont un masque avec une seuille de ba-
lisier qu'ils percent à l'endroit des
y e u x . E n cet é t a t , ils se mettent à c ô t é
d'un arbre & attendent leurs ennemis
au passage pour leur fendre la tête
d'un coup d e massue, ou leur tirer une
f l è c h equand ils sont passés. Lorsqu'ils
attaquent une mai son c o u v e r t e d e
feuilles de cannes ou de p a l m i e r s , ils
mettent le feu à la c o u v e r t u r e en tirant
dessus des f l è c h e s où ils o n t a t t a c h é
une poignée de c o t o n , qu'ils allument
dans le m o m e n t qu'ils la d é c o c h e n t .
D'OBSERVATIONS. 339
L e u r s flèches font empoifonnées ;
elles font toutes coupées par de peti-
tes h o c h e s , qui font des ardillons f o r t
p r o p r e m e n t travaillés, Se taillés de m a -
nière qu'ils n ' e m p ê c h e n t pas la flèche
d ' e n t r e r , mais de fortir fans élargit
confidérab'ement la p l a y e , o u fans la
pouffer vers la partie oppofée , p o u r
la retirer par une nouvelle bleffure. I l s
o n t foin d e faire deux taillades à l'en-
d r o i t o ù le rofeau de la flèche eft enté
à la p o i n t e , afin que quand L pointe
eft entrée dans le corps , le refte de la
flèche t o m b e , en laiffant dans le c o r p s
la partie de la flèche qui efl empoilon-
n é e . I l s traitent leurs prisonniers d e
g u e r r e à peu près c o m m e lesCanadiens
traitent l e s leurs.
• L a fervitude des femmes chez les
•Caribeseft fi g r a n d e , qu'il eft inoui
q u ' u n e femme m a n g e a v e c fon m a r i ,
•ou en fa préfence. L e m o i n d r e foup-
•çon d'infidélité fuffit p o u r qu'un Ca-
r i b e fe c r o y e en droit de répudier fon
époufe.
A d o u z e ans o u e n v i r o n , on d o n n e
Je tablier aux filles ; c'eft le fi?nal d e
F fij
340 R E C U E I L
modestie & de chasteté. A u x Isles L u -
cayes dès-qu'une mere reconnoît à
certains accidens n a t u r e l s , que sa f i l l e
p e u t être reçuë au n o m b r e -des sem-
m e s , les parens s'assemblent & sont
u n e fête après laquelle o n lui d o n n e
un rezeau de c o t o n rempli d ' h e r b e s ,
qu'elle p o r t e désormais autour des
cuisses. A v a n t cela elle étoit nue c o m -
m e la main. Q u a n d une fille devient
n u b i l e , elle est o b l i g é e de jeûner dix
j o u r s à la cassave seche. Si elle résiste à
la f a i m , c ' e s t une p r e u v e qu'elle sera
bonne ménagere.
I l arrive quelquefois qu'un C a r i b e
d e m a n d e d ' a v a n c e le fruit d'une f e m -
m e e n c e i n t e , en cas que ce soit u n e
f i l l e .Si on le lui a c c o r d e , il m a r q u e la
f e m m e au ventre a v e c du rocour. D è s
q u e la f i l l e a sept ou huit a n s , il l a sait
c o u c h e r avec lui pour l'aguerrir.
U n pere observe à la naissance d e
son p r e m i e r n é m â l e , une retraite &
un jeûne très - austere d e trente o u
q u a r a n t e j o u r s . L e tems du jeûne ex-
p i r é , o n choisit deux jeunes C a r i b e s
p o u r lui taillader la p e a u , & lui f a i r e
D'OB-SERVATIONS. 341
des estasilades partout le corps ; ils
frottent ses playes a v e c du jus d e t a -
b a c , après quoi on le m e t sur un siége
peint en r o u g e . L e s femmes a p p o r -
tent à manger, les vieillards le p r é -
s«ntent au patient & m ê m e le lui m e t -
tent à la b o u c h e c o m m e à un petit e n -
fant ; ils le sont boire d e m ê m e , lui
tenant le c o l , Se q u a n d il a f i n i d e
manger les vieillards sont des largesses
d e deux piéces d e cassave q u e c e pau-
v r e p e r e martyrisé tient entre les
mains. L a c é r é m o n i e se sait en place
p u b l i q u e , & pendant qu'elle d u r e , il
est m o n t é sur deux cassaves qu'il est
obligé de manger ensuite. O n f r o t t a
d e sang le visage d e l'enfant ; cela sersr
à le rendre plus Vaillant ; & plus l e
p e r e t é m o i g n e de p a t i e n c e , plus l'en-
fant aura d e c o u r a g e . D è s que l'en-
sant est n é , o n le baigne, & s'il naît
d e n u i t , le pere se baigne aussi. L ' e n -
sant a parain & m a r a i n e , du moins si
l'on peut appeller ainsi ceux qui p e r -
cent à l'enfant les o r e i l l e s , la l é -
v r e i n f é r i e u r e , & l'entre- deux des
narrines. L ' o n passe d e s f i l s . dans
Efiij.
342 R E C U E I L
ces t r o u s & l'on y attache d e s p e n -
dans.
L o r s q u ' u n C a r i b e est m o r t , o n l e
m e t dans un puits creusé au coin d'une
c a b a n n e , d ' e n v i r o n quatre pieds d e
d i a m e t r e , & de six à sept pieds d e
p r o s o n d e u r . I l y est accroupi les cou-
t e s sur les g e n o u x , les paumes d e ses.
m a i n s soutiennent ses j o u e s . I l est
peint de r o u g e avec des moustaches &
des r a y e s noires d'une autre teinture
q u e les o r d i n a i r e s , qui ne sont que d e
sinipa. S e s cheveux sont liés d e r r i e r e
la t ê t e , son a r c , ses f l é c h e s , sa mas-
sue & son couteau à côté de lui. O n
l'ensable jusqu'aux g e n o u x seulement
p o u r le soutenir dans sa posture.
A p r è s que t o u s les parens o n t sait
l'examen du c o r p s , o n c o m b l e la
fosse ; on sait ensuite un feu tout a u -
p r è s , & chacun s'accroupit autour d e
c e feu ; les h o m m e s s'y placent der-
r i è r e les f e m m e s , & les invitent à
pleurer en les touchant sur les bras ;
alors ils pleurent tous e n s e m b l e , au
d e m a n d e n t a u défunt l a cause d e sa
mort.
D ' O B S E R V A T I O N S . 343
Ils c r o y e n t qu'un m ê m e h o m m e a
plusieurs a i n e s , & q u e celle du c œ u r
est i m m o r t e l l e ; ils en l o g e n t une à la
t ê t e , celle-ci est la séconde en d i g n i t é ;
les autres o c c u p e n t les jointures &
les endroits du corps o ù il y a batte-
ment d'artere. L a premiere est i m m o r -
t e l l e ; après être sortie d e ce m o n d e ,
elle v a o c c u p e r en l'autre un b e a u
jeune corps tout neuf; les autres a m e s
restent ici p o u r animer des bêtes o u
d e v e n i r tout au plus de m a u v a i s g é -
nies.
L e s H a b i t a n s de l'Isle E s p a g n o l e ,
autre peuple des A n t i l l e s , rendoient
aux Chemens ou a u x d é m o n s un cul-
t e singulier. L e s C a c i q u e s o u C h e f s
d e la N a t i o n en indiquoient la solem-
n'rté par des h e r a u t s , & lorsque l e
jour d e la c é r é m o n i e étoit v e n u , ils
m a r c h o i e n t en procesffion a v e c u n
t a m b o u r à la tête de leurs sujets de l'un
& d e l'autre sexe. L e s h o m m e s & les
femmes étoient d a n s leurs plus b e a u x
a t o u r s ; les f i l l e s y paroissoient n u e s ;
ils se rendoient tous ensemble au T e m -
p l e d e c e s f a u t e s D i v i n i t é s , que l ' o n
F f iiij
344 RïCUEH
y v o y o ï t reprelentees ious des n g n r e s
extraordinaires toutes également hir
deufes. O n y v o y o i t auffi les Prêtres
fervant ces I d o l e s , , & les priant a v e c
d e s cris & des hurlemens é p o u v a n t a -
bles. U n e partie des offrandes con?
fïftoit en gâteaux que certaines fem-
m e s portoient en des corbeilles or-
nées de fleurs ; après quoi au fignal
des Prêtres elles danfoient & c h a n r
toient les l o u a n g e s des Chemens , o£-
fjroient leurs g â t e a u x , & fîniffoient
cet afte de d é v o t i o n par les louanges
de leurs anciens Rois- o u C a c i q u e s ,
& par des prières pour la profperité
de la N a t i o n . L e s Prêtres rompoient
ces gâteaux en plufieurs p i è c e s , d o n t
ils faifoient enfuite la diftriburion aux
h o m m e s ; il falloit garder chez foi du-
rant le cours de l ' a n n é e , ces m o r c e a u x
de gâteaux confacrés par l'offrande
qu'on avoit été faire aux Chemens. O n
affuroit q u e c'étoient des préferva-
îifs contre plufieurs fortes d'accidens»
L o r f q u e la proceffionétoit p r ê t e d'en-
t r e r dans le T e m p l e , le C a c i q u e qui-
Ja conduisit s'afTeioit à. l'entrée. La,
D'OBSERVATIONS. 345
procession entroit en chantant & p a s -
soit en r e v û ë d e v a n t lui e n se p r é -
sentant devant l ' I d o l e ; o n se souroit
un petit bâton dans le gosier pour s'ex-
citer au vomissement : car ii falloit se
présenter net d e v a n t son D i e u , &
p o u r ainsi. dire le c œ u r sur les l e -
vres.
L e u r s Chemens se c o m m u n i q u o i e n t
aux P r ê t r e s , & quelquefois se f a i -
soient e n t e n d r e au p e u p l e , soit- que
ce sût un artifice du. d é m o n ou u n e
r,use du Boié. O n jugeoit de la réponse
d e l'oracle par la contenance du P r ê -
tre. S'il dansoit & c h a n t o i t , c ' é t o i t
b o n signe; s'il avoit l'air t r i s t e , le peu-
ple s'affligeoit & jeûnoit jusqu'à e s
qu'il y e û t esperance d e r é c o n c i l i a -
tion a v e c ses D i e u x .
L ' o r i g i n e qu'ils donnoient au g e n r e
humain est si e x t r a v a g a n t e , q u ' o n a u -
r a peine à croire q u e la folie ait p û
être poussée si loin. L e s h o m m e s , d i -
soient i l s , sont sortis de deux cavernes
d'une m o n t a g n e . D e l'une sortirent
ceux q u ' o n peut appeller d e la b o n n e
sorte, c ' e s t - à - d i r e , la. f l e u r & l'élite
346 R E C U E I L
d u g e n r e humain. D e l ' a u t r e , c e qu'il
y a d e plus chetis & de plus vil parmi
e u x . L e Soleil irrité de cette sortie
changea e n pierre celui qui gardois
l ' o u v e r t u r e de la m o n t a g n e . L ' a s t r e
d u j o u r métamorphosa ces n o u v e a u x
V e n u s en a r b r e s , en grenouilles, &
quoiqu'il en soit, l ' U n i v e r s nelaissa pas
d e se peupler. L e Soleil & la L u n e
sortirent eux mêmes d'une g r o t t e d e
l'Isle p o u r éclairer l ' U n i v e r s ; aussi
la g r o t t e étoit elle si fameuse q u e les
H a b i t a n s d e l'Isle Espagnole y al-
loient faire des pelerinages qui ne d e -
v o i e n t rien à ceux que l'on sait ailleurs.
L a c a v e r n e étoit o r n é e de peintures
d ' u n g o û t I n d i e n ; mais avant que
d ' y e n t r e r , o n rendoit ses devoirs à
d e u x d é m o n s qui g a r d o i e n t l'entrée
L a poligamie étoit établie en cette
I s l e , o n y prenoit autant d e f e m m e s
q u ' o n e n p o u v o i t entretenir ; les C a -
ciques en a v o i e n t pour le moins une
trentaine. A p r è s la m o n d'un C h e f
d e la N a t i o n o n lui e n v o y o i t d e u x
o u trois de ses f e m m e s p o u r le ser-
vir e n l'autre v i e . M a l g r é cette p l u r a -
D'OBSERVATIONS. 347
lité des f e m m e s , ils d o n n o i e n t d a n s
un g o û t également a b o m i n a b l e & b i -
z a r e . I l s c r o y o i e n t aux revenans ; ils
s'imaginoient que les m o r t s couroient
la nuit. C e s m o r t s , tout m o r t s qu'ils
é t o i e n t , en vouloient quelquefois a u x
f e m m e s ; mais ces r e v e n a n s n'avoient
la permission d'emprunter la f o r m e
humaine qu'avec certaines restrictions
qui ne les r e n d o i e n t ni aimables a u x
f e m m e s , ni redoutables a u x maris.
348 R E C U E I L
CHAPITRE XV.
D e l'Isle Saint-Domingue; combien
cette Isle étoit peuplée lorsque les Cas-
tillans y aborderent ; caractere de
Christophe Colomb, son départ pour
l'Espagne ; désordres des Castillans
pendant son absence ;soulevement des
Indiens ; retour de Colomb à Saint-
Domingue ; longue & cruelle guerre
faite aux Indiens ; leur servitude;
leur destructions leur apologie.
L O R s Q U E l'Amiral Christophe
C o l o m b a b o r d a p o u r là premiere
sois à l'Isle Haiti, ( c'est le n o m I n
dien d e S a i n t - D o m i n g u e ) il ne fut pas
m o i n s surpris de sa g r a n d e u r , que d e
la multitude prodigieuse d e ses H a b i -
tans. C e t t e terre de deux cens lieuës
de l o n g u e u r , sur soixante & quelque
fois quatre-vingt d e l a r g e u r , lui p a r u t
habitée de toutes parts, non-seulement
dans les plaines qui s'étendent d e p u i s
D ' O B S E R V A T I O NS.
349
te t o r d de la m e r , jusqu'aux monta-
gnes qui o c c u p e n t le milieu d e l'Ifle
dans t o u t e là l o n g u e u r d e l'Eft à
F O u e f t ; mais e n c o r e dan« les m o n t a -
g n e s m ê m e s , lefquelles, quoique fort
e f c a r p é e s , formoient néanmoins des
E t a t s confiderables.
A en c r o i r e l'Hiftorien E f p a g n o l ,
il n ' y a v o i t pas moins d ' u n million
d ' I n d i e n s , lorfque C o l o m b en fit la d é -
c o u v e r t e . E n nous décrivant les g u e r -
res que ces C o n q u e r a n s du n o u v e a u
m o n d e eurent à foutenir , il n o u s
les répréfente combattans c o n t r e des
a r m é e s d e cent mille h o m m e s , qui
m a r c h o i e n t fous -les étendards d'un
feul C a c i q u e . I l s c o m p t e n t cinq o a
fix C a c i q u e s , d o n t la puifTance étoit
é g a l e , & q u ' o n n'a pû réduire que les
uns après les a u t r e s .
D e cette multitude d ' I n d i e n s , il
n'en refte p a s un feul, au moins dans
la partie Françoife de l'Ifle, o ù l'on
n e trouve, aujourd'hui aucun vefrigé
d e fes anciens H a b i t a n s . I l n ' y en a
plus dans la partie Efpagnofe, à la
réferve d'un petit c a n t o n , qui a é t é
350 R E C U E I L
l o n g tems i n c o n n u , & où q u e l q u e s -
uns se sont m a i n t e n u s , c o m m e par mi-
r a c l e , au milieu d e leurs ennemis.
O n doit r e n d r e justice au zéle & à
la pieté des R o i s C a t h o l i q u e s F e r d i -
n a n d & I s a b e l l e , qui prirent les p r é -
cautions les plus sages pour assurer la
tranquilité d e leurs n o u v e a u x sujets.
I l s vouloient q u ' o n les attirât plutôt
p a r la d o u c e u r , par la r a i s o n , & p a r
les b o n s e x e m p l e s , que par la f o r c e &
la violence. Si leurs o r d r e s ne surent
pas e x é c u t é s , la saute ne doit pas e n
ê t r e rejettée sur C h r i s t o p h e C o l o m b ;
il s'en sallut bien qu'un si g r a n d h o m -
m e sût s e c o n d é c o m m e il le méritoir.
L a troupe des nouveaux A r g o n a u t e s
que c o n d u i s o i t e e m o d e r n e J a s o n , n'é-
toit pas t o u t e composée de H é r o s ; si
q u e l q u e s - u n s en eurent la b r a v o u r e ,
tsès-peu en eurent la sagese & la m o -
d e r a t i o n . C ' é t o i e n t p o u r la plupart des
h o m m e s que l'espoir de l'impunité des
crimes d o n t ils étoient c o u p a b l e s ,
avoit exilés v o l o n t a i r e m e n t de leur
p a t r i e , & q u i , au hazard d'une m o r t ,
du moins h o n o r a b l e , aspiroient a u x
D ' O B S E R V A T I O N S . 351
r i c h e s e s immenses d e cette C o n -
quête.
C e f u t , c o m m e o n s ç a i t , au c o m -
m e n c e m e n t d e D é c e m b r e d e l'année
1 4 9 7 , que Christophe C o l o m b , après
un long trajet, & de grandes f a t i g u e s ,
a b o r d a enfin à cette Isle, à l a q u e l e il
d o n n a d'abord, à cause de la g r a n d e u r ,
l e n o m de Hispaniola, ou de petite Es-
pagne O n ne l'appella. Saint-Dominque
que dans la suite d e s t e m s , 6c c'est l a
C a p i t a l e qui a d o n n é insensiblement l e
n o m à toute l'Isle.
C e sut par sa pointe la plus O c c i -
d e n t a l e , qu'il la reconnut. Il rangea
d ' a b o r d toute la c ô t e qui sait la partie
d u N o r d , & r e m o n t a n t a v e c peine d e
l'Ouest à l ' E s t , il jetta l'ancre dans un
p o r t d e la P r o v i n c e d e M a r i e n , entre
Mancenil & M o n t e - C h r i s t , qu'il a p -
pella P o r t - R o y a l . C e canton étoit sous
la domination d'un des principaux C a -
ciques d e l'Isle, n o m m é Guacanariq.
Il n ' y a v o i t rien d e barbare d a n s
les manieres d e c e P r i n c e ; ses Sujets
s'apprivoiserent bien tôt avec ces
é t r a n g e r s , dont la vûë les avoit d'e-
352 R E C U E I L
b o r d surpris. I l s les reçurent a v e c tou
t e la cordialité possible ; Se ils se dis-
putoient les uns aux autres à qui fe-
r o i t le plus de caresses à ces nouveaux
hôtes.
C e u x - c i firent bientôt c o n n o î t r e ,
que l'or étoit le principal objet de leurs
recherches. L e s I n d i e n s se firent aussi-
tôt un plaisir de se dépouiller de leurs
riches colliers & de leurs autres o r n e -
m e n s , p o u r en faire présent à ces n o u
v e a u x v e n u s . U n e s o n n e t t e , ou quel-
qu'autre b a b i o l e de verre qu'on leur
d o n n o i t en é c h a n g e , leur sembloient
préférables à toutes les richesses qu'ils
tiroient d e leurs mines.
L e vaisseau q u e m o n t o i t l ' A m i r a l
étoit mouillé sur un f o n d de mauvaise
t e n u ë ; a y a n t chassé sur ses a n c r e s , i l al
la tout à coup se briser contre des r o
c h e r s à f l e u r d'eau. C e t accident d é -
concertoit les mesures de C o l o m b , &
le m e t t o i t , p o u r ainsi d i r e , à la merci
des Indiens.
L e b o n R o i Guacanariq n'oublia
rien pour le consoler de cette perte. I l
c o m m a n d a sur le c h a m p une n o m b r e u
se
D'OBSERVATIONS, 353
fe escadre de c a n o t s , p o u r aller au se
cours du bâtiment é t r a n g e r , & de peur
que la vûë de la p r o y e ne tentât ses S u -
j e t s , il alla l u i - m ê m e les tenir en res-
pect. par sa présence. I l fit p r o m p t e m e n t
retirer tous les effets du vaisseau, les
fit transporter dans un magazin sur le
b o r d de la m e r , Se les f i t - g a r d e r a v e c
soin. Enfin t o u c h é de l'affiction d e
G o l o m b , ce b o n P r i n c e versa des lar-
m e s , & pour le d é d o m m a g e r autant
qu'il lui étoit possible, il lui offrit t o u t
c e qu'il possedoit dans l'étendue de ses
E t a t s , Se le pria d ' yf i x e rsa d e m e u r e .
L ' A m i r a l à qui il restoit u n e c a r a -
v e l l e , obligé d'aller r e n d r e c o m p t e e n
E s p a g n e de sa d é c o u v e r t e , répondit à
ce G é n é r a l C a c i q u e , qu'il ne p o u v o i t
pas demeurer plus l o n g - t e m s a v e c l u i ;
mais qu'en attendant son r e t o u r , q u i
n e seroit pas é l o i g n é ; il lui laisseroie
une partie d e ses gens. C e C a c i q u e
s'employa aussitôt à faire c o n s t r u i r e
u n bâtiment fût & c o m m o d e p o u r ses
n o u v e a u x h ô t e s . D e s débris du vais-
seau é c h o u é , on éleva u n e espece d e
E o r t , auquel C o l o m b d o n n a le nom
tome XIV, Gs,
354 R E C U E I L
d e Navidad, parce qu'il étoit e n t r é
d a n s cette B a y e le jour de la N a t i v i t é
d e N o t r e Seigneur. O n le munit p a r
d e h o r s d'un b o n fossé ; il étoit défendu
d'ailleurs par une C o m p a g n i e de qua-
r a n t e h o m m e s , sous la conduite d ' u n
b r a v e C o r d o u a n , n o m m é Diegue d ' A -
tasia. O n lui laissa un C a n o n i e r e x -
p e r t , a v e c quelques pieces de c a m p a -
g n e , un C h a r p e n t i e r , un C h i r u r g i e n ,
& o n les p o u r v u t de munitions pour une
a n n é e entiere.
L ' é l o i g n e m e n t d e C o l o m b sut la
source du d é r a n g e m e n t de la n o u v e l l e
C o l o n i e . Ils ne l'eurent pas plutôt p e r -
d u de v û ë , qu'ils oublièrent les leçons
d e m o d é r a t i o n & de sagesse qu'il leur
a v o i t d o n n é e s ; la division introduisit
le désordre , & le libertinage y mit le
c o m b l e . E g a l e m e n t avares & d é b a u -
chés , ils se répandirent c o m m e des
loups ravissans dans tous les lieux cir-
c o n v ù i s i n s , se jettant a v e c fureur sur
l'or & les f e m m e s des I n d i e n s . Ils j o i -
gnirent la cruauté à la v i o l e n c e , &
poussèrent tellement à b o u t leur p a -
tience, q u ' a u lieu d'amis s i n c e r e s ,
D' O BSERV A T I ON S 355
ils en firent des ennemis irréconci-
liables.
T o u t e s les r e m o n t r a n c e s q u e leur
fit G u a c a n a r i q surent inutiles, ils n'en
continuèrent pas moins leurs b r i g a n -
dages. I l s f i r e n t p l u s , ils a b a n d o n n è -
rent la Forteresse, & a y a n t p é n é t r é
chez les N a t i o n s voisines, ils laisserent
p a r t o u t les plus funestes impressions d e
leur libertinage. T a n t de crimes ne su-
r e n t pas l o n g - t e m s impunis. C e s I n -
diens qui ne connoissoient ces E t r a n -
gers que par leurs v i o l e n c e s , leur d i s -
sérent des e m b û c h e s ; Caunabo , un d e s
C a c i q u e s de l ' I s l e , e n surprit q u e l q u e s -
uns lorsqu'ils enlevoient ses f e m m e s ,
& les massacra t o u s ; ce fut-là c o m m e
le signal du soulevement général ; o n
ne fit plus de quartier à tous ceux q u ' o n
put d é c o u v r i r .
Caunabo, à la tête de ce qu'il put r a -
rnasser de ses V a s s a u x , s'avança jus-
qu'au s o r t de Navidad, o ù il n ' y a v o i t
que cinq S o l d a t s , qui f i d e l s aux ordres-
û'Ara/îa, ne v o u l u r e n t jamais le q u i t -
ter. E n v a i n cef i d è l e8c zélé Guacanariq;
vola-t'il au secours de ses amis ? S u r -
G g ij
356 R E C U E IL
pris d'une attaque fi brufque , il n'eaf-
pas le tems d e s'y préparer. L ' a r m é e
d e C a u n a b o b e a u c o u p plus forte , eut
aifément le d é d i t s ; & ce C a c i q u e ble£-
fé fut obligé d ' a b a n d o n n e r fes n o u -
veaux alliés à leur mauvais fort. Ils fe
défendirent a v e c b e a u c o u p de v a l e u r , .
& l e s I n d i e n s n'ofoient les a p p r o c h e r
p e n d a n t le j o u r ; mais s'étant coulés
dans les foffés à la faveur des ténébresi
ils mirent le feu au F o r t , qui fut b i e n -
tôt con fumé.
L e p r o m p t retour de l ' A m i r a l , qui.
a b o r d a a v e c une flotte nombreufe à
' F o r t - R é a l , auroit pû rétablir la tran-,
quillité ; mais n ' a y a n t e n c o r e e m m e n é
a v e c lui que le ramas de la canaille Sç
des b r i g a n s , dont on avoit p u r g é l'Eft
p a g n e , & vuîdé les prifons ; des gens
d e ce caraclere n'étoient capables que.
d'aigrir le mal. D ' a i l l e u r s , la p l u p a r t
des Chefs qui comnaandoient fous lui»
jaloux d e f o n a u t o r i t é , ne g a r d è r e n t ,
;
CHAPITRE XVI.
Bcfpripùm de la Terre de Fat ; erreur
des Cartes anciennes & modernes
fur l'étendue de cette Terre i.carac-
teres , coutumes , ufages, nourriture,
véiem-.ns des Haliians de cette
Tvre ; erreur des Cartes fur la ft-
tuation Au Cap dé ffoi n ; deferip-
tion des Villes de Lima & de la Con-
ception.
eft
D ' O B S E R V A T I O N S. 377
eft oeauck: régulier ; elle eft fituée dans
Un terrain uni, au pied des montagnes.
Elle eft baignée d'une petite riviere, qui
groffit extraordinairement dans l'Été ,
par les torrens qui tombent des monta-
gnes voifines quand les neiges fe fon-
dent. Il y a au milieu de Lima une belle"
& grande place, bornée d'un côté, par
le Palais du Viceroi, qui n'a rien de
magnifique ; 8c de l'autre, par l'Eglife
Cathédrale, & lé Palais de l'Archevê-
que. Les deux autres côtés font fermés'
par des maifons particulières, & par
quelques boutiques de Marchands. On
voit encore au}ourd'huiie§ triftes effets
de la ruine & de- la défolatiorf'gér.érale
que caufa le tremblement de terre arri-
vé en x.S82. Comme cestremblemens
font aifez fréquens au Pérou, les mai-
fons n'y font pas fort élevées. Celles d e
Lima n'ont prefque qu'un étage ; elles
font bâtiesoebois^ou déterre, 8c cou-
verte? d'un toît plat qui fert de terraffe».
Mais fi les maifons ont peu d'appa-
rence , les rues font fort belles, vaftes ,
Jpacieufes, tirées au cordeau , 8c entre-
coupées de diftanceendiftance par des*
Tome-XIK ' I
378 R E CDEIL
rues detraverfe moins larges, pour lâ
facilité Se la commodité du commerce.
Les Eglifes de Lima font magnifi-
ques , bâties felon les règles de l'art, Se
furies plus excellens modèles d'Italie.
Les autels font propres Si fuperbement
parés , Se quoique les Eglifes foient en
grand nombre, elles ibnt toutes cepen-
dant fort bien entretenues; l'or Se Par-
gentn'yfont point épargnés; mais le
travail ne répond pas à la richeffe de la
matière.
D'OBSERVATIONS. 379
CHAPITRE XVII.
De la Pintade. Si la Pintade eft différente
de la Méleaçride. Des Pintades de
meftiques, & des Pintades mar ones.
K.K iij
390 RECUEIL
CHAPITRE XVIIL
Des étincelles qui fe découvrent fur la
furface de la Mer. Des Iris de la Mer;
& des Exhalations qui fe ferment pen-
dant la nuit.