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Paru en 2009 dans Becerra Sylvia et Peltier Anne, Risques et environnement : recherches
interdisciplinaires sur la vulnérabilité des sociétés, Paris : l’Harmattan, coll. Sociologies et
environnement, p.331-346
1. Introduction
Depuis maintenant trente ans, les sciences humaines se sont largement penchées sur les
risques. Pourtant le lien à l’espace a été assez peu développé : il reste le plus souvent implicite
dans les questions territoriales qui traversent pourtant les très nombreuses recherches sur la
gestion des risques (approches « culturelles » de la vulnérabilité, rôle des différents
agents/acteurs dans l’appréhension des risques, etc.). Dans la classique définition du risque
comme une fonction aléa – vulnérabilité, les géographes ont plutôt pointé leur focale spatiale
sur l’étude des aléas, en particulier des aléas d’origine naturelle et, plus récemment, sur
l’évaluation « matérielle » des enjeux. Reste moins étudiés les aspects politiques et
sociologiques de la vulnérabilité ainsi que l’appréhension socio-psychologique qu’ont les
individus des risques auxquels ils sont exposés, peut-être en partie liée aux perceptions qu’ils
ont de leur environnement et des territoires qu’ils occupent. Les représentations sociales /
cognitives des risques par les individu ont été peu analysés en prenant en compte une
dimension spatiale, en considérant la localisation des individus sur le territoire, ainsi que leur
distance aux sources de risque, toutes informations qui nous paraissent pourtant importantes à
intégrer dans l’étude de la vulnérabilité sociale. La place des géographes dans ce type
d’études est ici rapidement retracée (2).
La constitution d’un corpus permettant d’étudier les représentations socio-spatiales des
citadins nous a conduit à mener une enquête par questionnaire. L’agglomération de Mulhouse,
soumise à plusieurs risques majeurs, a constitué notre terrain d’étude. Parce que nous
supputons l'influence de l'espace sur les représentations cognitives et donc sur la vulnérabilité
de la population, il nous a semblé important de prendre en compte ce facteur géographique
dans la constitution de l'échantillon qui concerne près de 500 personnes, réparties en 2
groupes selon leur occupation de l’espace urbain, diurne pour les travailleurs et le public des
établissements de santé ou d’enseignement, surtout nocturne pour les habitants. Les questions
ont porté sur la place des risques majeurs parmi d'autres préoccupations sociétales, la
connaissance des risques locaux, des moyens de gestion, des consignes de sécurité à suivre en
cas de catastrophe et des modalités de l'information préventive (3). Pour tenter de tirer le
meilleur parti des résultats de notre enquête, riches et complexes, nous proposons un indice de
vulnérabilité socio-spatiale, certes pour le moment encore partiel, fondé sur les réponses à
notre questionnaire. L’intérêt, outre l’agrégation et la pondération des indicacteurs qui en sont
tirés, est de permettre une représentation cartographique de la vulnérabilité liée aux
représentations (4). Un nombre certains de limites et d’interrogations restent cependant à
lever pour assurer la validité et, éventuellement, l’opérationnalité de cet indice, que nous
espérons, à terme, pouvoir articuler et/ou agréger à d’autres données et indices permettant de
proposer une représentation de vulnérabilité socio-spatiale « synthétique ».
1
2. Géographie et risques majeurs
La relation risques-territoire a déjà été soulignée et discutée (voir par exemple Dauphiné
2003 ; November 2002) et la géographie des risques est devenue un sujet « académique », en
France comme tend à en témoigner la place qui leur est consacrée dans les programmes des
collégiens et lycéens couronnée par l’inscription du sujet aux concours d’entrée dans
l’enseignement secondaire de géographie entre 2003 et 2005 (BO n°3 du 22 mai 2003) qui a
suscité une floraison de manuel et d’ouvrages sur le thème.
Traditionnellement cependant, les géographes ont longtemps étudié les risques en se
focalisant sur l'aléa, sur le phénomène potentiellement destructeur, sur les processus en jeu et
leurs manifestations physiques, en particulier pour les risques d’origine naturelle qui ont été
privilégiés par la communauté, en France. Aux Etats-Unis, l’école de Chicago et l’écologie
humaine ont influencé les géographes américains qui se penchaient sur les « risques » dès les
années 1930-1940, tels Gilbert F. White suivi de Robert W. Kates et Ian Burton pour les plus
connus. Ces courants ont probablement contribué à donner une plus grande place aux
relations des sociétés avec leur environnement dans toutes les composantes de cette relation
(sociale, politique, psycho-sociologique, matérielle). En revanche, l’intérêt des géographes
« humains » français ne s’est manifesté que plus tardivement en France. Cet intérêt s’est alors
tourné vers l’appréhension, l’évaluation, la cartographie des éléments exposés à ces menaces,
qu'il s'agisse des hommes, de leurs biens, de leurs activités ou de l'environnement,
L’approche matérielle des enjeux intéresse les géographes à la fois du point de vue
heuristique et managérial. Cette dernière approche, gestionnaire a, très certainement,
influencé notablement le tournant pris par les géographes dans leur étude des risques
majeurs : la dimension spatiale y est relativement centrale, notamment pour les aspects
organisationnels de la prévention et pour la planification de l’espace. Ce créneau est de plus
en plus occupé par les géographes en raison de l’évolution même de la géographie, ainsi que
le suggéraient par exemple les animateurs du colloque « Evolution de la recherche sur le
risque en géographie » organisé par le Comité national français de géographie (31 mai-1er juin
2007, Nanterre ; interventions de Claude Kergomar et Catherine Meur-Férec notamment). Le
glissement d’une approche des risques centrée sur l’aléa vers une analyse plus largement
tournée vers les vulnérabilités tiendrait tout d’abord au contexte de la recherche et de
l’enseignement de la géographie, en particulier :
- la tendance à l’association des études universitaires avec les milieux opérationnels,
notamment dans l’organisation des cursus d’enseignement (stages, partenariats
« collectivités locales-université » dans la proposition de sujets de mémoire de 3ème
cycle), et afin d’offrir des débouchés professionnels pour les étudiants géographes vers
les milieux de l’aménagement et de la gestion des territoires, dont les risques sont une
thématique en plein développement,
- l’organisation même de la recherche de manière générale, son financement par projets
courts, souvent appliqués et fortement orientés par le politique, lui-même se justifiant
de la pression économique et sociale pour choisir les thèmes proposés aux équipes de
recherches lors d’appels d’offre nationaux (émanant des ministères le plus souvent) ou
internationaux. L’orientation de la recherche en géographie vers l’aménagement et la
gestion des territoires s’appuie également sur une justification en termes d’utilité
sociétale qui revendique d’apporter des éléments de réponse à une « demande
sociale ».
Plus spécifique à l’évolution de la discipline en tant que telle, le risque (parmi les
problématiques environnementales) pourrait être ressenti comme un objet permettant de
réconcilier les deux sœurs fâchées depuis un siècle que sont la géographie physique et la
géographie humaine.
2
Le terme « vulnérabilité » semble donc occuper de plus en plus d’espace dans l’équation des
risques telle qu’elle est envisagée par les géographes. Il fait, du coup, l’objet de nombreuses
discussions (par exemple : Cutter et al 2000 ; Adger 2006 ; Cutter 2003). Les dimensions
physiques, biophysiques, structurelles (bâtiments, équipements) ou infrastructurelles (voirie et
réseaux) sont couramment évaluées, mais les aspects sociaux, eux, sont nettement moins
abordés dans la mesure où il est souvent très difficile de les quantifier, même au moment de
l’analyse des retours d’expérience où sont estimés pertes et coûts (Cutter et al 2003). Même
s’il est largement admis que les risques sont une construction sociale, comment évaluer, voire
tout simplement cerner la vulnérabilité liée au fonctionnement des institutions, à l’impact
psychologique de la présence ou de l’affichage d’un aléa sur les différentes composantes de la
société, à la déstructuration politique ou économique de la société qu’occasionnerait
vraisemblablement une catastrophe, quelle qu’en soit la nature ? Des indicateurs qualitatifs
sont cependant proposés, à diverses échelles. Ils sont généralement issus de données
statistiques disponibles ou à recueillir à diverses sources (voir par exemple Chardon 1994;
Chardon & Thouret 1994). Ce qui manque le plus souvent concerne la vulnérabilité liée aux
représentations1 des risques dans son extension socio-spatiale.
Certes, l’importance des représentations cognitives dans la construction sociale des risques est
admise. Du seul point de vue gestionnaire, tel qu’il tend à s’imposer dans le monde de la
recherche en géographie, ainsi que nous l’avons indiqué plus haut, les représentations des
risques vont avoir des conséquences sur les comportements et les pratiques, soit quotidiennes,
soit en cas de « crise ». Les représentations des risques, largement étudiées par les
psychologues (Paul Slovic et consort pour le paradigme psychométrique notamment, (Slovic
2000), les sociologues et les anthropologues (en particulier le courant « culturaliste » de Mary
Douglas (Douglas 1992; Douglas & Wildavsky 1982), sont différenciées selon des variables
sociales, démographiques, culturelles, temporelles / historiques et spatiales. En tant qu’elles
influencent en partie la vulnérabilité sociale, la faisant à son tour varier dans l’espace, nous
avons cherché à les explorer d’abord, à en traduire l’impact sur la vulnérabilité sociale
ensuite, à représenter les variations socio-spatiales de cette vulnérabilité enfin, par le biais de
la cartographie. A la suite de quelques géographes français qui se sont aventurés sur le terrain
de la cartographie de la vulnérabilité sociale, nous avons donc amorcé une recherche sur les
représentations individuelles des risques, leur impact sur la vulnérabilité et leur variation dans
l’espace. Rassembler les données sur cette question a supposé d’élaborer un questionnaire,
déployé dans l’agglomération de Mulhouse que la configuration spatiale expose à divers
risques.
La région de Mulhouse est particulièrement bien adaptée aux études de risques. En effet, elle
est exposée à sept aléas de nature différente, naturels ou technologiques. Les douze
communes2 sur lesquelles porte notre enquête constituent ainsi un terrain propice aux études
1
Nous retenons ici le terme de représentations qui correspond au terme « perception » plus généralement
utilisé, notamment en psychologie sociale et environnementale et repris par les politiques et les médias. Ce
dernier terme, malgré la banalisation de son usage, nous paraît mal adapté à la question des risques dans la
mesure où il suppose la mise en jeu des sens par un stimulus… lequel nous semble souvent plutôt abstrait
lorsque l’on parle de risques, car l’une des dimensions importantes de ces risques est d’être « potentiels ».
2
Baldersheim, Brunstatt, Habsheim, Illzach, Kingersheim, Lutterbach, Morschwiller-le-Bas, Mulhouse, Pfastatt,
Riedisheim, Sausheim et Wittelsheim
3
multirisques.
Tout d’abord, Mulhouse est localisée dans le sud du Fossé Rhénan, qui constitue un fossé
d’effondrement, entre les Vosges et la Forêt Noire, où s’écoule le Rhin. La plaque africaine
remonte vers la plaque eurasienne, ce qui a pour conséquence de réactiver des failles
anciennes situées dans le Fossé Rhénan. Le contexte tectonique est donc favorable à
l’occurrence de tremblements de terre importants, comme en témoigne la sismicité historique
(ensemble des séismes du passé dont il est fait état dans les archives) et instrumentale
(événements survenus après 1980, date à laquelle les réseaux permanents de surveillance
sismique ont commencé à enregistrer les tremblements de terre) (fig. 1).
Concernant les inondations, la ville de Mulhouse s’est construite au fil de l’eau. L’homme a
progressivement su maîtriser la force hydraulique : de nuisance (marais progressivement
asséchés), l’eau est devenue un atout pour le développement de la ville. Aujourd’hui, le risque
inondation est maîtrisé dans la ville de Mulhouse, mais l’atlas des zones inondables indique
que les communes localisées en amont (Lutterbach, Morschwiller-le-Bas) et en aval (Illzach,
Sausheim, Baldersheim) ne sont pas exemptes de ce type d’événement.
Les coulées de boue touchent le sud de l’agglomération. Elles sont généralement déclenchées
par les orages de printemps qui viennent s’abattre sur les sols nus des plantations de maïs et
sont alimentées par les plaquages de terrains meubles sur les collines du Sundgau, premiers
contreforts du Jura.
4
En ce qui concerne les risques technologiques, on peut tout d’abord citer le risque industriel.
Mulhouse est une ville industrielle ancienne, dont l’économie s’est développée autour des
industries textiles. Le blanchiment et la coloration des tissus ont entraîné le développement
des industries chimiques. A l’heure actuelle, trois sites sont classés Seveso 2 dans
l’agglomération mulhousienne et font l’objet de plans particuliers d’intervention 3 (PPI) : une
entreprise spécialisée dans la chimique organique, un entrepôt pétrolier et une entreprise de
transport de matières dangereuses. La gare de triage de Mulhouse constitue un quatrième site
à part, non classé, mais faisant l’objet d’un PPI en raison de la quantité de matières
dangereuses qui y sont stockées et qui y transitent (fig. 2).
5
mulhousienne, qui pourrait être en partie submergée si la digue de retenue venait à céder.
Quant à la centrale nucléaire de Fessenheim, bien que localisée à plus de 30 km au nord-est de
la ville, un accident majeur sur son site n’épargnerait pas l’agglomération.
Notre étude s’est focalisée sur les risques sismique et technologiques pour deux raisons :
d’une part, ils concernent l’ensemble des communes de l’agglomération ; d’autre part, leur
faible probabilité d’occurrence peut constituer un frein à la construction d’une culture des
risques.
En termes de vulnérabilité, la zone urbaine comptait 217 720 habitants en 1999 (source :
recensement INSEE), de nombreuses activités économiques, des axes de communication qui
peuvent lui porter préjudice en cas de crise. En effet, la ville est véritablement enserrée dans
des réseaux ferrés, autoroutiers, fluviaux, qui peuvent s’avérer problématiques pour la
circulation des services de secours. Par ailleurs, le franchissement de ces axes se fait par
l’intermédiaire de ponts, qui pourraient isoler le sud-est de l’agglomération, où se trouvent les
deux principaux centres hospitaliers.
b. Une enquête par questionnaire pour évaluer les représentations cognitives des
risques
Afin d’évaluer les représentations cognitives des risques par la population mulhousienne,
nous avons réalisé une enquête par questionnaire. Trois groupes d'individus ont été
considérés : les résidants, les actifs et le « public » (individus fréquentant des établissements
collectifs dans la journée, comme les hôpitaux, les universités, les maisons de retraite...).
Cette distinction a permis d'introduire une dimension spatio-temporelle par une répartition
différenciée des individus dans l'espace en fonction du temps (jour/nuit dans notre cas).
Étant donné l'hypothèse que nous formulons selon laquelle l'espace influence les
représentations cognitives et donc la vulnérabilité de la population, il nous a semblé naturel de
prendre en compte ce facteur dans la constitution de l'échantillon. Nous avons procédé à un
échantillonnage multi-stratifié suivant le sexe, l’âge (des individus âgés de plus de 15 ans ont
été retenus) et la commune de résidence (pour les résidants) ; la commune de lieu de travail /
de fréquentation d’équipement collectif et le secteur d’activité (pour les actifs / le public).
Nous souhaitions interroger 250 résidants, 200 actifs et 50 personnes du public. Au final, 229,
208 et 54 questionnaires se sont avérés exploitables, respectivement pour chaque sous-
échantillon.
Les résidants ont été interrogés dans le flux, l’échantillon a été constitué à partir des données
du recensement de 1999. Le tableau 1 illustre la composition du sous-échantillon, en
comparaison avec la structure de la population de l’agglomération. L’échantillon présente une
représentativité correcte de la population mère.
Structure de la population de
Composition du sous-
Variable l’agglomération
échantillon des habitants (%)
mulhousienne (%)
Sexe Hommes 47,6 48,2
Femmes 52,4 51,6
Age 15-20 ans 9,6 8,5
21-30 ans 27,1 18,3
31-40 ans 14,8 19,0
41-50 ans 10,9 17,7
6
51-60 ans 16,6 13,4
> 61 ans 21,0 23,8
Commune de Baldersheim 0,4 1,2
résidence Brunstatt 2,2 3,0
Habsheim 2,2 2,2
Illzach 6,1 7,6
Kingersheim 5,7 2,9
Lutterbach 2,6 2,9
Morschwiller-le-Bas 0,9 1,4
Mulhouse 56,3 56,8
Pfastatt 2,6 4,2
Riedisheim 6,1 6,4
Sausheim 1,7 2,8
Wittelsheim 7,0 5,3
Tableau 1 : Composition du sous-échantillon des habitants en comparaison avec la population
recensée en 1999.
Les actifs ont été interrogés sur leur lieu de travail, tirés au hasard. Le sous-échantillon a été
constitué à partir du fichier SIRENE (répertoire des établissements et des entreprises), plus
particulièrement des secteurs d’activités NAF (nomenclature des activités françaises) et du
nombre de salariés pour chacun de ces secteurs. Enfin, les personnes du public ont été
interrogées dans les lieux qu’ils fréquentaient.
4. Résultats
Une analyse statistique globale des réponses à nos questionnaires permet de faire un
panorama de la représentation par les citadins des risques et de leur gestion à l’échelon de
l’agglomération mulhousienne.
a. Réponses au questionnaire
Les risques collectifs n’apparaissent pas comme une source majeure de préoccupation des
Mulhousiens : après un sujet environnemental un peu vague et vaste (la pollution des milieux)
tout de même, ce sont les difficultés d’ordre économique et « civiques » qui viennent aux
premiers rangs des préoccupations (fig. 3), au moins pour les habitants ainsi que nous en
informe une analyse plus fine des différentiations d’appréhension selon les groupes (diurne /
nocturne) différencié dans la constitution même de notre échantillon (fig. 4).
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Figure 3 : Classement des problèmes de société dominants aux yeux des Mulhousiens.
L’insécurité, les accidents de la route et les risques alimentaires pour le premier rang, les
maladies graves, les toxicomanies pour le deuxième rang, tous problèmes dont les incidences
sont plus « individuelles » que collectives, sont deux fois plus ressentis lorsque l’on s’adresse
aux individus en tant qu’habitants ; la dégradation de l’environnement et les risques majeurs
sont plus préoccupants pour les travailleurs, peut-être en raison de leur caractère plus collectif
(fig. 4).
8
Figure 4 : Classement au premier rang des problèmes de société préoccupants selon les
groupes diurne / nocturne.
Parmi les questions environnementales, les plus présentes à l’esprit des Mulhousiens sont les
nuisances quotidiennes, non les risques majeurs (fig. 5) dont l’occurrence a un caractère
exceptionnel.
Figure 5 : Les risques classés au premier rang des préoccupations des mulhousiens.
Notre questionnaire étant largement tourné vers la gestion des risques (qui comprend
notamment les moyens déployés par les autorités dans le cadre de la politique de prévention),
nous cherchions à connaître la réception, par les citadins, de l’information préventive. De ce
point de vue, malgré la régularité des campagnes menées par la ville de Mulhouse, il apparaît
que les citadins s’y sentent insuffisamment informés (tab. 1), tant des risques de manière
générale que des consignes de sécurité plus particulièrement, ce qui se traduit par l’ignorance
que les 2/3 des répondants formulent lorsqu’on leur demande de décrire les mesures de
sécurité à suivre en cas de catastrophe (naturelle ou technologique).
4
Le Dossier d’Information Communal sur les RIsques Majeurs (DICRIM) avait été distribué en 2004 dans la
ville de Mulhouse.
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Figure 6 : Classement des acteurs crédités de la plus grande confiance par les citadins pour les
informer des risques auxquels ils sont exposés.
Figure 7 : Classement des acteurs crédités de la légitimité des citadins pour les informer sur
les risques majeurs auxquels ils sont exposés.
Nous nous sommes inspirés des travaux de D’Ercole (1996) et Cutter et al. (2000). D’après
D’Ercole, la vulnérabilité socio-spatiale d’un individu est fonction de trois catégories de
facteurs : 1) les représentations cognitives des risques, notamment le fait de se sentir exposé à
des risques ; 2) la connaissance des risques, et notamment la connaissance des procédures
d’alerte, des consignes de sécurité à adopter en cas de crise, du contexte local en termes
10
d’aléas et d’événements passés, des acteurs censés délivrer l’information… ; 3) des facteurs
contraignants, inhérents aux individus (âge, situation familiale…) ou structurels (distance aux
hôpitaux, aux casernes de pompiers…).
Les questions de l’enquête se rapportant à ces facteurs ont été sélectionnées, en distinguant les
questions propres au risque sismique de celles spécifiques aux risques technologiques, deux
indices ayant été calculés pour chaque individu, un pour chaque risque. Les réponses données
par les individus ont été affectées d’une « valeur », entre 0 et 1, où 0 correspond à une faible
vulnérabilité et 1 à une vulnérabilité élevée. Par exemple, à la question sur la connaissance
des consignes de sécurité, si l’individu interrogé donnait une « mauvaise » réponse
relativement aux consignes ou au bon sens (« si une explosion survient dans l’usine chimique,
je vais chercher mes enfants à l’école »), une valeur de 1 lui était assignée pour cette question.
Si la réponse était bonne (« en cas de séisme, je me mets sous une table »), une valeur de 0 lui
était attribuée. L’indice final est obtenu par la moyenne pondérée des différentes valeurs. La
pondération en question nous a permis d’introduire une différenciation dans la contribution
des différents indicateurs fournis par les réponses, en fonction de l’importance relative
accordée à certains facteurs : ainsi, les indicateurs qui rendent compte de la connaissance des
risques ont été crédité d’un poids plus important dans la vulnérabilité socio-spatiale des
individus.
La moyenne des indices est égale à 0,57 pour les deux indices. Cependant, on peut observer
des différenciations suivant les catégories sociales, professionnelles ou démographiques des
individus (tabl. 2). En ce qui concerne les groupes d’âge, on observe qu’il y a peu de
différences d’un groupe à l’autre. Seuls les retraités se distinguent. Cela peut provenir tout
d’abord du fait que l’âge peut être considéré comme l’un des facteurs contraignants qui
entraîne une plus grande vulnérabilité des individus (mobilité réduite, perceptions diminuées,
etc.). Une autre hypothèse porte sur le fait que les personnes âgées se sentent de manière
générale plus exposées à l’insécurité de type civique et plus concernées par la dégradation des
relations sociales ; elles ne pensent pas en premier lieu aux risques majeurs lorsqu’on leur
demande ce qui les préoccupe le plus. Dès lors, peu conscientes des risques et faiblement au
courant des conduites à tenir en cas de catastrophe, elles sont considérées comme plus
vulnérables. Concernant les différences entre « indice sismique » et « indice industriel », elle
est faible pour l’ensemble de la population, excepté pour les 15-20 ans pour lesquels l’indice
de vulnérabilité au risque industriel est plus faible qu’au risque sismique, ce qui reste encore
une énigme pour nous.
Un autre croisement (tabl. 3) porte sur les indices de vulnérabilité selon la profession ou
catégorie professionnelle (PCS) des enquêtés.On observe alors que les ingénieurs, les
enseignants, dans une moindre mesure les cadres sont caractérisés par une vulnérabilité
sensiblement plus faible que les autres catégories. Leur formation qui leur permet d’avoir un
capital de connaissances plus important, incluant les risques auxquels ils sont exposés en est
une explication. On peut également mentionner le rôle éventuel des responsabilités auxquels
11
ils ont à faire face : amenés à gérer des groupes, qu’il s’agissent d’étudiants, de lycéens ou de
subordonnés, dans le quotidien mais aussi en cas de crise, ils ont peut-être davantage acquis
des connaissances (compétences ?) en termes en termes de sécurité civile. Ainsi, ils peuvent
bénéficier de formations de sauveteurs secouristes ou d’une sensibilisation particulière étant
donné leur rôle de manager. Les artisans, quant à eux, sont plutôt amenés à travailler seuls ou
en petits groupes. Plus curieusement, les chefs d’entreprises apparaissent particulièrement
vulnérables aux séismes : cela proviendrait-il d’un volontaire déni par rapport à leurs
responsabilités en matière de construction parasismique ?
Deux cartographies ont été réalisées : à l’échelle de l’individu et à celle du quartier. Seules les
cartographies à l’échelle du quartier sont présentées ici. Le découpage de l’agglomération en
quartiers a été effectué à partir d’une analyse morphologique de l’espace urbain par le biais de
photographies aériennes, d’une carte topographique et du découpage en IRIS (îlots regroupés
pour l’information statistique). Nous avons obtenu 67 quartiers, auxquels nous avons attribué
des valeurs d’indices correspondant à la moyenne des indices des individus résidant ou
travaillant dans ces quartiers. Cette partition en quartiers a également permis de représenter
les réponses obtenues pour chacune des questions de l’enquête (fig. 8 et 9).
La première carte (fig. 8) montre l’impact de la distance à la source de danger et/ou le rôle
éventuel de la campagne d’information qui se déploie en principe à l’intérieur du périmètre
PPI pour le risque industriel. Cette carte indique la proportion d’individus interrogés ayant
répondu « le risque industriel » à la question ouverte « quels sont les risques auxquels vous
vous sentez exposé ici ? ». En effet, excepté deux quartiers, les individus se sentant exposés
12
au risque industriel sont localisés à l’intérieur du périmètre PPI. La distance à la source de
danger (en l’occurrence les sites classés Seveso) semble donc avoir une influence sur les
représentations cognitives et sur le fait de se sentir exposé ou non au risque industriel. Ceci
est particulièrement vrai pour le secteur industriel localisé à l’est, et pour lequel trois quartiers
adjacents montrent une forte proportion d’individus se sentant exposés. Il faut cependant
relativiser ces résultats, qui ne concernent qu’une faible part des individus interrogés : en
effet, on note qu’une part très faible d’interviewés a cité le risque industriel à cette question
(5,3 %), ce qui est illustré par le nombre important de quartiers caractérisés par une
proportion nulle. Notons, pour l’intégration de ce type de réponse à notre indice de
vulnérabilité, que nous posons comme hypothèse qu’un individu qui se sent exposé
(perception) et l’est « réellement », car il se situe dans la zone d’effets d’un éventuel sinistre,
est moins vulnérable que celui qui ignorerait cette exposition.
Fig. 8 : Proportion d’individus ayant répondu cité le risque industriel parmi les risques
auxquels ils se sentaient exposés à leur domicile ou sur leur lieu de travail ou lieu public
fréquenté (question ouverte). Les quartiers pour lesquels aucun individu n’a cité le risque
industriel à cette question ont été volontairement isolés avec une teinte différente.
13
Fig. 9 : La connaissance des risques et de l’information afférente : proportion d’individus
ayant répondu « oui » ou « oui plus ou moins » à la question « connaissez-vous les consignes
de sécurité à suivre en cas d’accident industriel ? » (haut). Proportion d’individus ayant
répondu « non » à la question « vous sentez-vous suffisamment informé sur les risques en
général ? » (bas).
Ces résultats se répercutent dans les cartes de l’indice de vulnérabilité. En effet, l’efficacité de
l’information préventive au sein du PPI peut être questionnée, étant donnés les résultats
fournis par les cartes suivantes (fig. 10). Ces cartes font apparaître des résultats étonnants : la
première, correspondant à l’indice de vulnérabilité sismique, ne démontre pas de logique
spatiale dans les résultats. Il semble que les individus soient plus ou moins vulnérables aux
séismes quel que soit leur quartier d’origine. Par contre, concernant le risque industriel, on
aurait pu s’attendre à observer des individus moins vulnérables (car mieux informés) au sein
du PPI. Or, il n’en est rien, au contraire, on observe le résultat inverse : on retrouve à
l’intérieur des périmètres PPI des individus plus vulnérables car moins « conscients » du
risque industriel, moins bien informés. L’influence de la distance à la source est ici inverse,
comme d’autres l’ont montré (Bonnet E., 2002).
14
Fig. 10 : Cartes de l’indice de vulnérabilité sismique (haut) et industrielle (bas).
Cette cartographie par quartier lisse, certes, les résultats de l’échelle individuelle. Cependant,
elle permet d’obtenir des tendances (corroborées par les résultats fournis par la cartographie à
l’échelle individuelle (Glatron & Beck 2007). Surtout, dans un objectif opérationnel, elle peut
servir de base à la mise en place de campagnes d’informations ciblées sur certains quartiers
qui affichent une vulnérabilité plus élevée.
4. Discussion
Les résultats globaux ont fourni des résultats extrêmement nombreux et riches. Une analyse
multivariée permettrait vraisemblablement d’aller au-delà des enseignements que nous
pouvons dores et déjà tirer des grandes tendances que nous observons (connaissance des
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phénomènes par les habitants et les travailleurs, impact des campagnes d’information
préventive sur la connaissance des modalités et des acteurs de la gestion des risques, des
consignes à suivre en cas de catastrophe, etc.). Nous avons pu montrer que la dimension
spatiale avait une influence non négligeable sur la vulnérabilité sociale telle que nous pouvons
la décrire sur la base d’indicateurs construits à partir des réponses à nos questionnaires de
« perception ». Toutefois, la relation entre la proximité aux sources de risque et la
vulnérabilité socio-spatiale n’apparaît pas simple : dans le cas des risques industriels, elle est
même contre-intuitive puisque le facteur « connaissance des risques et des consignes » que
l’information préventive est censée délivrer et dont nous avons supposé qu’elle limite la
vulnérabilité ne semble pas, au final, réduire la vulnérabilité sociale que nous avons tenté de
construire. Si cette question de l’information s’avérait effectivement centrale, cela remettrait
en cause l’efficacité des campagnes préventive. Peut-être y a-t-il ici deux autres facteurs
explicatifs à proposer, dont il convient évidemment d’explorer la portée :
- d’une part, la question de l’appropriation de cette information par les citadins qui ne se
sentent pas nécessairement concernés. Cette appropriation est encore plus faible parmi
les travailleurs, notamment parce que l’information sur les risques majeurs ne passe
pas du tout par l’entreprise, elle reste exclusivement adressée aux résidants, ce qui
nous paraît relever d’une carence importante dans la réglementation ;
- d’autre part, mais de manière liée, la spatialisation du risque est pour ainsi dire absente
de l’information, de sorte que les personnes informées ne visualisent pas l’extension
des espaces potentiellement touchés, ce qui peut, éventuellement, leur faire penser
qu’ils ne sont pas concernés, réduisant l’éventuelle appropriation des informations. Si,
globalement, on observe une bonne connaissance des dangers et aléas (présence de
failles actives, d’usines chimiques sur le territoire urbain, etc.), le sentiment
d’exposition n’en découle pas nécessairement en l’absence d’une démonstration claire
des limites spatiales cette exposition et même si ces limites sont implicites du fait de la
distribution même de plaquettes d’information préventive.
5. Conclusion – perspectives
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L’approche des risques par les géographes implique de s’attacher davantage à la vulnérabilité
des enjeux. Notre étude de la vulnérabilité socio-spatiale dépasse l’approche psycho-
sociologique classique en intégrant la distance aux sources de danger et la représentation
cartographique des résultats obtenus. L’enquête menée ici dans l’agglomération mulhousienne
a permis de dégager un des rôles de cette distance aux sources, rôle qui ne semble pas
toujours évident à cerner tant les résultats obtenus sont parfois contradictoires : la relation
entre distance et vulnérabilité est donc complexe. L’enquête a permis également de montrer
des différenciations liées à la nature du risque étudié (sismique vs industriel) et, d’une
manière générale, d’interroger l’efficacité des campagnes d’information telles qu’elles sont
actuellement mises en œuvre.
Plusieurs perspectives de travail s’offrent à nous. Sur le volet scientifique, les travaux sur le
lien entre information, représentations cognitives et comportements en cas de crise (donc lien
entre représentations et vulnérabilité) doivent être poursuivis, notamment par l’intermédiaire
de l’analyse de retours d’expériences. Par ailleurs, la question de la spatialisation de
l’information sur les risques pourrait être appréhendée par des enquêtes associées à des cartes
mentales, comme l’avait par exemple fait E. Bonnet (2002). Enfin, concernant la
méthodologie, des réflexions supplémentaires sur la constitution de l’indice et sa
représentation cartographique (généralisation aux quartiers) doivent être menées.
Bibliographie sommaire
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