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Bloc 2 : Révolution scientifique, virage technologique et

informatisation des sociétés : impacts sur l'organisation des


sociétés, du travail, de la formation professionnelle.

SOCI3320 01M 202330 .- Cours 11.-Modèles théoriques des relations entre


Technologies et sociétés technologie et société (1) & La sociologie des usages (2)

12 février 2024
ROMANNE PRESUME
Bloc 2 : Révolution scientifique, virage
technologique et informatisation des
Plan
sociétés : impacts sur l'organisation des
sociétés, du travail, de la formation 0.- Révolution numérique (5 diapos restantes) [Suite]
professionnelle. I.- Modèles théoriques des relations entre technologie et société
Cours 11.-Modèles théoriques des
relations entre technologie et société A.- Le déterminisme technologique
(1) & La sociologie des usages (2) 1.- Déterminisme radicale
2.- Déterminisme souple ou maitrisable
B.- La construction sociale
C.- La co construction

Plan de la présentation II.- Sociologie des usages


Introduction
A.- L’évolution de la sociologie des usages de 1980 à 1995
B.- Seconde topique (1995-2010) : nouvelles orientations vers l’ethnographie de
l’activité - abandon d’un point de vue centré sur l’objet technique
C.- Les conséquences pour une sociologie des usages.
D.- Une nouvelle vision de l’usager.
E.- Publication de soi et jeux d’identité
Conclusion
Bloc 2 : Révolution scientifique, virage technologique et informatisation des sociétés : impacts sur
l'organisation des sociétés, du travail, de la formation professionnelle
Cours 11.-Modèles théoriques des relations entre technologie et société (1) & La sociologie des usages (2)

Sources
 PROULX S. (2015), « La sociologie des usages, et après ? », Revue française des sciences de l'information et de la communication. URL :
http://rfsic.revues.org/1230

 BOULLIER D., (2019), « Sociologie des usages », chap. 2, pp. 149-178, dans BOULLIER D., (2019), Sociologie du numérique. 2ème éd.,
Malakoff, Armand Colin, 572 p.
 Lejeune, M. (2015). L’apport de la sociologie de la technologie à la professionnalisation de l’ingénieur. Phronesis, 4(2), 34–41. https://doi.org/10.7202/1033448ar
 VALENDUC G. (2005 ), La technologie, un jeu de société. Louvain-La-Neuve, Bruylant-Academia, 251 p.
https://www.google.ca/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjv2vSouvT8AhXXPEQIHW1SBl0QFnoECBEQAQ&url=https%3A%2F%2Fwww.researchgate.net%2Fpublication%2F359469469_La_technologie_un_jeu_de_
societe&usg=AOvVaw2vDa6fiPDU2Qxasp4UnS-L
I.-Modèles théoriques des relations entre technologie et société
Trois modèles et leurs différentes variantes: déterminisme technologique, construction sociale et co construction
A.- Le déterminisme technologique
• Le déterminisme technologique met l’emphase sur l’impact de la technologie sur la société, sur le caractère contraignant de la technologie.
 Selon ce modèle, c’est la technologique qui influence la société et non l’inverse. On part de l’idée selon laquelle « la science détermine
la technologie qui elle détermine la société » (Lejeune, M., 2015, p. 37).
 En général, lorsqu’on aborde les impacts sociaux, organisationnels et environnementaux de la technologie, cela nous renvoie surtout
au déterminisme technologique (Ibid.).
• On y distingue le déterminisme dur ou radical et le déterminisme souple.

1. Le déterminisme radical ou dur appelé « déterminisme à l’état brut »


• Ce déterminisme peut se résumer de la manière suivante : « la technologie se développe suivant sa propre logique systémique et s’impose
à l’ensemble de la société ; l’organisation sociale est déterminée et façonnée par la technologie » (G. Valenduc, 2005, p. 217).
• Jacque Ellul est le porte-étendard de ce courant.
 Vous vous en souvenez que nous avons vu avec J. Ellul l’autonomie de la technique dans l’un de nos cours. Nous avons vu que la
technique est autonome et parce qu’elle est autonome, elle s’affranchit du contrôle de l’homme.
 La technique est indépendante par rapport à l’économie, par rapport à la politique et par rapport à la morale (Ellul, 1954, p. 142).
 Ce ne sont pas les transformations sociales, politiques et économiques qui influencent la technologie, mais c’est bien l’inverse. Avec
cette approche, le social se dissout dans la Technique (G. Valenduc, 2005, p. 11).
I.-Modèles théoriques des relations entre technologie et société
Trois modèles et leurs différentes variantes: déterminisme technologique, construction sociale et co construction
A.- Le déterminisme technologique
1. Le déterminisme radical ou dur appelé « déterminisme à l’état brut »
 J. Ellul insiste aussi sur l’autoaccroissement de la technique. Pour lui, la technique, en raison de son autonomie, « se transforme et
progresse à peu près sans intervention décisive de l'homme » (J. Ellul, op. cit., p. 96). Elle favorise l’émergence et le déploiement de
nouvelles techniques. Elle engendre de nouvelles valeurs, accroit sa puissance sur la sphère politique (G. Valenduc, 2005, p. 217).
 « L’emprise de la technique sur l’homme est donc amenée à s’accroître » (J. Ellul cité par D. Raynaud, op. cit., p. 44).
 La Technique constitue un système qu’il appelle le système technicien qui échappe au jugement moral et à l’emprise du politique […],
s’étend à la sphère du politique […], avale la culture et englobe la civilisation » (G. Valenduc, 2005, pp. 15, 16).
 Ce système technicien exerce son emprise sur la société (G. Valenduc, 2005, pp. 217, 218).
• Les autorités étatiques vont s’aligner du côté du système technicien pour mieux asseoir leur domination sociale et mieux restreindre la
liberté individuelle (Ibid.).
• Donc, le déterminisme radical repose sur « [un] caractère univoque et unidirectionnel de la relation entre technologie et société » (G.
Valenduc, 2005, p. 218)
I.-Modèles théoriques des relations entre technologie et société
Trois modèles et leurs différentes variantes: déterminisme technologique, construction sociale et co construction
A.- Le déterminisme technologique
2.- Le déterminisme souple ou maitrisable
• ce déterminisme met l’emphase sur le choix technologique.
 Cette vision admet l’existence de plusieurs options technologiques, plusieurs possibilités qui requièrent un choix de la part des acteurs
sociaux.
 Au niveau politique et économique, il existe un ensemble problème. Pour y faire face, les décideurs politiques doivent faire un choix
parmi un ensemble d’options technologiques qui se présentent devant eux (G. Valenduc, 2005, pp. 15, 16).
• Ce type de déterminisme offre aux décideurs une certaine marge de liberté, c’est-à-dire, « des options technologiques en amont du
changement technologique » (Lejeune, M., 2015, p. 37).
• « Un ingénieur dans une entreprise pourrait par exemple choisir parmi plusieurs technologies celle qui répond à ses attentes, en fonction
du contexte social (ex. : pressions du marché, revendications syndicales, contraintes économiques, etc.) » (Lejeune, M., 2015, p. 37).
• Les acteurs sociaux doivent examiner les différentes options technologiques qui se présentent devant eux, les comparer en vue de
déterminer leurs avantages et inconvénients, leurs conséquences à court, à moyen et à long terme sur la société.
 Donc ce processus peut amener les acteurs à prendre une décision, à faire un choix technologique parmi les options qui se présentent
devant eux.
I.-Modèles théoriques des relations entre technologie et société
Trois modèles et leurs différentes variantes: déterminisme technologique, construction sociale et co construction
A.- Le déterminisme technologique
2.- Le déterminisme souple ou maitrisable
 Pour G. Valenduc, « Ces processus de décision impliquent des acteurs, se fondent sur une rhétorique (argumentation, légitimation) et
font référence à un contexte » (G. Valenduc, 2005, p. 218).
 Ici, on se trouve en présence de trois éléments qui vont à l’encontre du déterminisme radical.
 Il s’agit de : « Acteurs, rhétorique, contexte » (Ibid.).
 Ces trois élément nous renvoient à une forme de déterminisme que l’on appelle déterminisme souple ou maitrisable puisque l’on
considère que chacune des options technologiques en présence a des impacts importants sur la société.
 De plus, lorsqu’on s’arrête sur choix technologique, on doit assumer ses conséquences, soit en abandonnant les choix préalables au
profit d’autres choix éventuels, soit en prenant des mesures visant à réduire les impacts négatifs et à augmenter les impacts positifs
(Ibid.).
 De ce point de vue, « les choix technologiques sont en même temps, et indissociablement, des choix politiques, économiques,
sociétaux, juridiques, culturels, […] » (Ibid., p. 219).
 Pour D. Vinck, avec ce modèle, « la technologie est donnée, mais la société peut encore en moduler les effets, alors que dans le
modèle déterministe pur, la technologie et les effets sont donnés » ( Ibid., p. 26).
I. Modèles théoriques des relations entre technologie et société
Trois modèles et leurs différentes variantes: déterminisme technologique, construction sociale et co construction
B.- Le constructivisme social appelé « socioconstructivisme »
• Le constructivisme social appelé « socioconstructivisme » présente la technologie comme un construit social.
• Selon cette vision, ce sont les rapports sociaux qui déterminent la technologie et qu’un artefact technique est « un artefact socialement
construit » (Ibid., p. 219).
• Ce courant remet en question l’existence d’une technologie autonome qui impacte sur la société.
 Selon cette approche, la technologie se matérialise à travers les rapports sociaux. Elle est totalement « construite et déterminée par le
social » (G. Valenduc, 2005, p. 6).
 Dans cette logique, « ce sont les rapports sociaux inscrits par certains dans la technologie qui s’imposent à l’ensemble de la société »
(Ibid.)
 Cette perspective considère la technologique comme « un instrument au service de stratégies, une façon de traduire les représentations
et les intérêts des acteurs en présence » (Ibid.).
 Porte-étendard : Michel Callon et Bruno Latour avec la théorie de la traduction et de l’acteur réseau. Ce courant met l’accent sur
l’analyse des controverses.
• « C’est dans les controverses que se révèlent les positions et intentions des acteurs, que se nouent les rapports de forces, que s’impose
progressivement une solution technologique parmi d’autres. L’issue d’une controverse dépend tantôt d’une succession d’événements
contingents, tantôt du résultat de stratégies manœuvrières, tantôt d’effets de rhétorique, tantôt des modalités de résolution d’un conflit »
(Ibid., p. 6).
• Comme pour le déterminisme technologique, ce courant est aussi unidirectionnel, mais en sens inverse, c’est-à-dire, c’est le social qui
influence la technologie.
I.-Modèles théoriques des relations entre technologie et société
Trois modèles et leurs différentes variantes: déterminisme technologique, construction sociale et co construction
C.- Coévolution de la technologie et de la société
• Plusieurs approches se situent à l’intersection du terminisme technologique et du constructivisme social.
• Ils mettent l’accent sur l’influence réciproque entre la technologie et la société. Cette approche prend appui sur « [la] sociologie du travail,
[la] sociologie des organisations, [et la] sociologie des usages » (Ibid., pp. 222).
 À travers la sociologie du travail, cette approche examine différentes situations en milieu de travail et postule que « les facteurs
technologiques et les facteurs sociaux sont étroitement imbriqués » (Ibid.). Porte-étendard : Friedmann, Naville et Touraine
 La sociologie des organisations nous montre jusqu’à quel point les technologies et les organisations interagissent ensemble et
s’adaptent mutuellement. Elle met en même temps en lumière « la variabilité des configurations organisationnelles liées aux
changements technologiques et la prégnance d’une vision sociotechnique des concepteurs des technologies » (Ibid.).
 La sociologie des usages met l’accent sur les impacts des usagers sur la conception, la diffusion et l’appropriation de la technologie
(Ibid.). Elle n’aborde pas l’étude de la technologie en amont (conception, production), mais en aval (appropriation).
 Selon cette vision, la construction sociale de l’usage est un processus qui peut être examiné de différentes manières. Ce processus
comporte plusieurs étapes : « des phases d’adoption, de découverte, d’apprentissage et de banalisation qui concourent à
l’inscription sociale des technologies » (Ibid.).
 Porte-étendard : Williams et Edge avec leurs approches pluridisciplinaires.
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II. La sociologie des usages
Introduction :
• La sociologie des usages est apparue en France au cours des années 1980.
 Elle découle des études sociologiques abordant la manière dont les individus utilisent les objets techniques comme « le
magnétoscope, la télécommande du téléviseur, l’informatique à domicile ou le répondeur téléphonique » (Proulx, 2015,
p. 2).
 Ces études visaient surtout à évaluer les premières expériences des gens avec « le Minitel, le câble ou la visiophonie »
(Ibid.).
 Ces premières études gravitent et se stabilisent autour des concepts et « [des] catégories analytiques d’usage, de
pratique, de représentation et de contexte (social, culturel ou politique) » (Ibid.)
 En d'autres termes, ces recherches se concentrent sur les objets techniques et l'usage que les gens en font.
 Les études de Michel de Certeau représentent une assise théorique de cette tradition de recherche qui se concentre sur
« de pratiquants ordinaires résistant aux stratégies omniprésentes des industries culturelles par des tactiques de
détournement, contournement et autres bricolages » (Certeau, 1980 ; Proulx, 1994 cités par Proulx, 2015, p. 2).
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II. La sociologie des usages

Introduction :
 Cette tradition de recherche institue un cadre d’analyse très critique analogue à « celle d’une sociologie des mouvements
sociaux » (Ibid.).
 Les tenants de cette tradition de recherche militent en faveur de « « l’alphabétisme informatique » et « l’appropriation
sociale des technologies » » qu’ils considèrent comme « une source possible d’autonomie pour les personnes et
d’émancipation sociale et politique pour les groupes » (Proulx, 2015, p. 2).
 En 2000, Josiane Jouët a réexaminé la sociologie des usages et préconise à ce qu’elle soit considérée au même niveau
que toutes les autres disciplines des sciences sociales.
 Un an plus tard, Serge Proulx a formulé trois critères qui peuvent servir de guide en vue de réévaluer le domaine d’étude
des usages :
a. « une meilleure articulation avec les travaux sur l’innovation permettant de penser la coordination entre les
pratiques des concepteurs et des usagers » (Ibid.);
b. « une prise en compte des approches sociocognitives (telle que le modèle de la cognition distribuée) pour
appréhender les pratiques d’usage dans un contexte situé » (Ibid.);
c. « l’enchâssement des analyses microsociologiques des usages dans l’étude des enjeux macrosociologiques relevant
d’une approche sociopolitique » (Ibid.).
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II. La sociologie des usages

Introduction :
• En 2011, Josiane Jouët réexamina la sociologie des usages et dressa un inventaire des études françaises dans ce domaine.
 Elle apercevait « la transmission de certaines postures d’investigation – notamment la mise à distance du déterminisme
technique – en même temps qu’une récurrence de quelques thématiques (appropriation, innovation autour des
protocoles de communication, nouvelles pratiques en réseau) » (Ibid., p. 2).
 Elle constate aussi plusieurs traits de discontinuité. Car, la technologie a connu des progrès qui ont des incidences
significatives sur les acteurs concernés, entrainant du même coup de nouvelles formes de médiations.
• « la question de la médiation opérée par la technologie a connu une nouvelle vigueur du fait de l’importance prise par les
Internet Studies ; les problématiques se sont complexifiées (explosion des services d’Internet, développement de nouvelles
interfaces et configurations sociotechniques, diversification des usages) ; les protocoles d’observation se sont raffinés (suivi
des usagers à la trace, observation des pratiques en ligne, production de graphes relationnels faisant émerger la structure et les
flux de réseaux) » (Ibid.).
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II. La sociologie des usages

Introduction :
• En ce qui concerne les études sur les usages, on déplore le fait que les corpus soient seulement structurés autour des traces laissées par les
utilisateurs.
 Une telle posture peut excessivement « conduire à un empirisme méthodologique à outrance sans consistance théorique, l’épaisseur
sociologique des usages se réduisant à n’être plus qu’une comptabilisation de clics » (Ibid., p. 2).
 L’obsession pour la quantification des traces a réduit l’usager à un clic seulement. Par exemple, lorsque nous achetons sur Amazon,
eBay ou autres, ces sites utilisent nos clics et nos achats pour définir nos goûts et nos préférences comme consommateur (Ibid.).
 Les outils techniques qu’ils utilisent réduisent l’individu à « n’être qu’un consommateur-avec-des-goûts alors que l’être humain est
beaucoup plus que cette description sans qualité » (Ibid., pp. 2, 3).
 Sous cet angle, Josiane Jouët a observé l’existence d’un risque de « « réification des liens électroniques » alors que l’usager appartient
pourtant simultanément à plusieurs « mondes sociaux » » (Ibid., p. 3).
 On tente de définir l’usager à partir d’une seule dimension de sa vie : son type d’achat en ligne, ses clics sur différents objets pour
déterminer ses gouts et ses préférences alors que l’identité de l’individu est plurielle.
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II. La sociologie des usages

A.- L’évolution de la sociologie des usages de 1980 à 1995


• De 1980 à 1995, la sociologie des usages développée en France était déconnectée de celle développée dans d’autres pays, notamment des
pays anglo-saxons.
 Elle se fait de manière « mono-disciplinaire (sociologie) ».
 Dans la plupart des cas, elle s’appuie sur « [les] différentes branches de la sociologie (travail, organisations, famille, loisirs,
communication, technologie) » (Ibid., p. 4).
 Cependant, elle reste, sur le plan théorique, enfermée dans la sociologie française (Ibid.).
 Au cours de cette période, la sociologie des usages a mobilisé quatre concepts fondamentaux : « Usage d’un objet technique ; pratique
quotidienne d’un individu ou d’un groupe ; représentations de la technique ; contexte social, culturel ou politique » (Ibid.).
 Ces notions constituent un cadre de référence, c’est-à-dire un outil d’analyse pour aborder les questions de « l’appropriation sociale des
technologies de l’information et de la communication (TIC), l’appropriation renvoyant à des possibilités d’autonomie et
d’émancipation pour les individus et les groupes » (Ibid.). Même au début des années 1990, cette sociologie française des usages
poursuit son évolution tout en continuant à se replier sur elle-même. Elle ne cherche pas vraiment à « s’inspirer directement des
travaux liés à la conception des dispositifs et des interfaces » (Ibid., p. 4).
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II. La sociologie des usages
La sociologie des usages
A.- L’évolution de la sociologie des usages de 1980 à 1995
• De manière précise, le paradigme utilisé pour appréhender la sociologie des usages était unitaire.
 L’approche utilisée était exclusivement sociologique.
 Dans les études, on mettait d’abord l’accent sur les objets techniques, et de manière plus précise, la façon dont les gens
utilisaient ces objets.
 Donc, on cherchait à savoir « ce que les gens font avec les objets techniques », c’est-à-dire « l’usage de ces objets »
(Ibid., p. 5).
 Dans cette logique, cette première sociologie des usages priorise le déterminisme technique,
 Il s’agit d’un courant de pensée qui postule que « Le progrès technique, le type de production ou l’émergence des
médias électroniques, par exemple, auraient des effets directs sur la vie au travail, la structure des organisations ou la
dynamique de la vie domestique » (Doray et Millerand, 2015, p. 66).
 Le raisonnement qui soutient cette approche est que l’objet technique, par sa seule existence, influence le social.
 Implicitement, cela signifie que « l’évolution technique serait autonome ou indépendante de l’organisation du social car
produite dans une dynamique essentiellement interne (la technique produit la technique) » (Ibid.).
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II.- La sociologie des usages

A.- L’évolution de la sociologie des usages de 1980 à 1995


• Sous cet angle, la sociologie des usages de tradition française accuse un retard par rapport à « d’autres traditions de recherche liées aux
sciences de l’ingénieur, à l’ergonomie et à la conception des dispositifs techniques » qui, depuis 1945, examinaient « la place et le rôle de
l’homme dans les systèmes techniques » (Proulx, op. cit., p. 4).
 Toutefois, il faut aussi tenir compte du fait que « certains sociologues des sciences et des techniques [des années 1990] ont
[déjà]commencé à prendre en compte les acquis de ces traditions présentes du côté de la conception des dispositifs » (Ibid., p. 4).
 Nous devons quand même mentionner qu’ils ne cherchent pas à inscrire directement leurs études dans la sociologie des usages.
 Néanmoins, ils reconnaissent que « leur théorie de l’acteur-réseau, de même que leur incitation à décrire finement l’agentivité des
objets techniques et la réciprocité des interactions entre utilisateurs et concepteurs, ont graduellement imprégné les problématiques
d’usage » (Ibid., p. 4).
 « Ces travaux en anthropologie des sciences et des techniques ont permis à l’observateur d’ouvrir la « boîte noire » que constituait
jusqu’ici le dispositif sociotechnique pour mettre en évidence le travail de médiation technique du dispositif et aussi connecter
directement les problématiques de l’utilisation et de la conception (pour un examen contemporain des enjeux de ces problématiques »
(Ibid.).
Bloc 2 : Révolution scientifique, virage technologique et informatisation des sociétés : impacts sur
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II. La sociologie des usages

B.- Seconde topique (1995-2010) : nouvelles orientations vers l’ethnographie de l’activité - abandon d’un point de vue centré sur
l’objet technique
• À partir de 1995, on estime que la sociologie des usages orientée vers les objets techniques était insatisfaisante pour l’analyse « des
situations et des pratiques d’usage dans les milieux les plus divers, notamment dans les organisations et les situations contraintes par
l’organisation du travail » (Ibid., pp. 4, 5).
 On va adopter une posture alternative qui vise à inscrire les incidences de la technique dans un autre angle d’approche plus vaste qui
prend en compte la pluralité de déterminations (Doray et Millerand, 2015, p. 67).
 Donc, au lieu de parler de « déterminisme technique », on va mettre l’accent sur le « déterminisme multiple » (Ibid.).
 Dans cette perspective, « L’organisation, par exemple, serait façonnée non seulement par les techniques adoptées, mais aussi par les
stratégies des acteurs, les modes de gestion du changement technologique, le type de marché économique dans lequel l’entreprise
baigne, etc. » (Ibid., p. 67).
 De nombreuses études empiriques réalisées au cours de cette période abordaient les situations et les usages dans divers milieux sous un
angle pluridisciplinaire (Proulx, op. cit., p. 5).
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II. La sociologie des usages

B.- Seconde topique (1995-2010) : nouvelles orientations vers l’ethnographie de l’activité - abandon d’un point de vue centré sur
l’objet technique
 Désormais, « Divers modèles d’étude ont émergé à partir de nombreux travaux empiriques. Les modèles sont devenus pluriels et
davantage interdisciplinaires » (Ibid., p. 5).
 Des chercheurs venant d’horizons divers ont recouru à une gamme « de problématiques et de cadrages théoriques » (Ibid.).
 Ils se sont appuyés sur diverses approches et références théoriques provenant de « L’ethnométhodologie, l’anthropologie des sciences
et des techniques, les approches de la cognition située, la sociologie pragmatique, la théorie de l’activité », et autres (Ibid.).
 Il s’agit d’une nouvelle manière d’envisager l’étude des usages qui vise d’une part à l’affranchir d’une vision exclusivement
sociologique et d’autre part en la libérant du « focus analytique orienté prioritairement vers les objets techniques (et en particulier,
l’usage de ces objets) ».
 Avec ce nouvel angle d’approche, la technologie est devenue non le seul aspect de « l’écologie humaine et sociale », mais une
dimension parmi tant d’autres.
 C’est en observant attentivement les activités de l’homme que l’on parviendra à mieux comprendre l’importance des « objets
techniques dans l’environnement équipé des agents » (Ibid.).
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II. La sociologie des usages

B.- Seconde topique (1995-2010) : nouvelles orientations vers l’ethnographie de l’activité - abandon d’un point de vue centré sur
l’objet technique
 Ainsi, « Le travail d’observation consiste à décrire non plus « ce que les gens font avec les objets techniques » (première topique) mais
bien : « ce que les gens font (tout court)… Ce dans quoi les humains sont engagés » ».
 Cette nouvelle manière d’envisager les usages retentit auprès des sociologues de style pragmatique, notamment avec la sociologie des
épreuves (Ibid.).
 Elle est apparue comme « un méta-modèle qui met en relief et hiérarchise les principaux niveaux d’analyse pouvant être mobilisés
selon différents angles de vue sur les pratiques et les situations d’usage » (Ibid., p. 5).
 Dans cette perspective, Serge Proulx a conçu une grille dans laquelle se regroupent en cinq dimensions les modèles théoriques et
méthodologiques servant à encadrer les études empiriques sur les usages :
1. « Suivre l’utilisateur dans son face-à-face avec l’objet technique : décrire l’interaction dialogique utilisateur / dispositif technique
(Human-Computer Interaction - HCI) » (Ibid., p. 5) ;
2. « Suivre le cours d’actions de coordination entre le concepteur et l’usager : cet angle postule une perméabilité entre les univers du
concepteur et de l’usager ; le concepteur inscrit des « scripts » (Akrich, 1987) dans les objets techniques, inscriptions corrigées et
ajustées en permanence en fonction des attentes et des pratiques déployées par l’usager » (Ibid., p. 5) ;
Bloc 2 : Révolution scientifique, virage technologique et informatisation des sociétés : impacts sur
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II. La sociologie des usages

B.- Seconde topique (1995-2010) : nouvelles orientations vers l’ethnographie de l’activité - abandon d’un point de vue centré sur
l’objet technique
3. « Décrire de manière fine et détaillée la situation d’usage : décrire de façon étoffée (thick description) les pratiques des agents et
des collectifs dans l’environnement équipé (description compréhensive de l’expérience de l’usager individuel ou collectif) » (Ibid., p.
5) ;
4. « Suivre la trajectoire de l’objet prescripteur : au fil de sa construction, depuis les premiers tâtonnements des concepteurs jusqu’à
sa stabilisation pour une mise en marché, des dimensions politiques et morales se voient inscrites dans le design de l’objet technique ;
ce travail itératif d’ajustement des inscriptions se répercute dans la « configuration de l’usager » (Woolgar, 1991) » (Ibid., p. 5) ;
5. « Retracer l’ancrage collectif et historique des usages dans des séries et séquences structurelles (logiques) qui constituent les
formes sociohistoriques de l’usage » (Ibid., p. 5) ;
 « Dans le contexte de ces travaux descriptifs et ethnographiques sur les activités en situation, la centralité du point de vue de
l’observateur sur l’usage des technologies par l’agent humain a été abandonnée. L’observateur s’attache plutôt à décrire la totalité
de l’activité en situation, la mobilisation d’un dispositif technique par l’agent humain devenant l’une des dimensions de la
description parmi d’autres. L’observateur décrit comment les agents se coordonnent entre eux et avec les dispositifs techniques, en
habitant de façon durable dans un environnement équipé de technologies ».
Bloc 2 : Révolution scientifique, virage technologique et informatisation des sociétés : impacts sur
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II. La sociologie des usages

C.- Les conséquences pour une sociologie des usages.


Serge Proulx (2015) a relevé six conséquences :
1. Un nouveau regard sur les utilisateurs qui ne sont plus considérés comme des usagers naïfs, mais comme des individus possédant des
connaissances et des habiletés à la fois spécifiques et variées.
a. Ainsi, l’utilisateur détient à la fois plusieurs statuts.
b. Il est en même temps « citoyen, consommateur […], producteur (en particulier, dans le nouveau contexte de l’explosion des
plateformes numériques) » (Ibid., p. 6)
2. La deuxième conséquence se rapporte à la « complexification des conditions d’observation des situations d’usage ».
a. L’accent ne porte plus sur les objets techniques et leurs conditions d’usage.
b. On cherche à « abandonner le focus descriptif orienté exclusivement vers les objets techniques (et leurs usages) » (Ibid.).
Bloc 2 : Révolution scientifique, virage technologique et informatisation des sociétés : impacts sur
l'organisation des sociétés, du travail, de la formation professionnelle.
II. La sociologie des usages

C.- Les conséquences pour une sociologie des usages.


Serge Proulx (2015) a relevé six conséquences :
3. La reconnaissance de la force de la détermination qu’il ne faut pas confondre avec le déterminisme technique.
 En fait, l’étude des objets techniques et les conditions de leurs utilisations sont tout à fait légitimes.
 La première sociologie des usages a légitimement abordé les objets techniques, « l’appropriation, les détournements et les bricolages »
des utilisateurs. (Ibid.).
 Cependant, ce qu’on reproche surtout à cette sociologie c’est parce que l’attention était polarisée uniquement sur ces objets techniques.
 Conséquemment cela amène « les chercheurs à négliger l’agentivité de la technologie elle-même ».
 Or, avec la nouvelle sociologie, on a mis beaucoup d’emphase sur l’agentivité.
 L’utilisateur est considéré comme un agent, c’est-à-dire quelqu’un qui possède la capacité et les compétences nécessaires pour agir sur
l’environnement technique.
 Donc, un usager est un agent qui peut agir sur « la situation dans laquelle le dispositif technique intervient, ce dispositif n’étant plus
considéré comme central ni dans la description ni dans l’explication sociologique de la situation » (Ibid.).
 Donc, l’usager est « un acteur en situation qui possède des habiletés spécifiques ».
Bloc 2 : Révolution scientifique, virage technologique et informatisation des sociétés : impacts sur
l'organisation des sociétés, du travail, de la formation professionnelle.
II. La sociologie des usages

C.- Les conséquences pour une sociologie des usages.


Serge Proulx (2015) a relevé six conséquences :
4. Les outils numériques sont en constantes évolutions.
 Ils sont assujettis à « un régime d’innovation permanente ».
 Cela a provoqué l’instabilité des objets techniques ainsi que celle de leurs environnements.
 Ces situations privilégient « [les] concepteurs dans leurs relations avec les usagers, ce qui suppose de réinterroger la
nature de la coordination entre concepteurs et usagers » (Ibid., p. 6) ;
5. on constate, parmi les observateurs, de nouvelles divergences et de rivalités par rapport aux postures épistémiques qu’ils
veulent mobiliser en vue de « rendre compte des cadres sociaux des pratiques d’usage » ;
6. Au final, on peut faire ressortir les relations qui existent « entre les diverses postures épistémiques adoptées par les
chercheurs et les orientations idéologiques des principaux commanditaires de ces études d’usage (État, industrie) ».
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l'organisation des sociétés, du travail, de la formation professionnelle.
II. La sociologie des usages

D.- Une nouvelle vision de l’usager.


• Avec la nouvelle sociologie, on adopte une nouvelle attitude envers les utilisateurs.
• Désormais, un usager est vu comme une personne qui détient le savoir et les habiletés nécessaires en vue d’agir sur son
environnement technique. Comme acteur,
1. il est appelé à agir sur « la situation dans laquelle le dispositif technique intervient, ce dispositif n’étant plus considéré comme
central ni dans la description ni dans l’explication sociologique de la situation » (Ibid., p. 6).
2. il possède des compétences à la fois spécifiques et plurielles. «[..] Non seulement il possède une maîtrise relative du dispositif
technique, mais surtout, il agit de manière (à la fois) autonome et contrainte dans sa situation de travail compte tenu des
dispositions et compétences acquises dans le contexte organisationnel de la situation » (Ibid.).
3. il est une personne en situation qui dispose des habiletés particulières et qui s’associe avec ses collaborateurs de travail en
partageant avec eux ses expériences et ses pratiques de travail (Ibid., p. 7).
4. il possède une pluralité d’identités en fonction de ses différents statuts (familial, professionnel et autres).
En outre, il peut agir sur son environnement en mobilisant d’autres usagers pour former l’association des usagers communément
appelée « usagers collectifs » ou « communautés d’usagers » (Ibid., p. 7). Cela est possible dans les circonstances où l’on cherche
à développer « des nouvelles applications et des nouveaux services liés aux sites de réseaux socionumériques » (Ibid., p. 7),
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l'organisation des sociétés, du travail, de la formation professionnelle.
II. La sociologie des usages

E.- Publication de soi et jeux d’identité


• Depuis 2000, les technologies numériques ont offert la possibilité de publier des renseignements intimes et personnels.
(Ibid., p. 17).
• De manière schématique, Cardon (2008) cité par D. Bouiller (2019, p. 111) a présenté quatre dimensions de l’identité en
ligne
 La première dimension est l’identité civile.
 C’est l’identité réelle de l’individu.
 Elle se rapporte à ses caractéristiques personnelles (âge, sexe, physique) et psychologiques, ses photographies, son
tempérament, ses éducations et ses activités professionnelles.
 À travers cet aspect, l’individu se présente comme il est dans la réalité.
 La deuxième identité est celle que Cardon appelle l’identité agissante.
 Elle regroupe les actes posés par l’individu dans sa vie civile et professionnelle.
 Ses engagements dans la communauté, ses groupes d’intérêt, son réseau professionnel.
Bloc 2 : Révolution scientifique, virage technologique et informatisation des sociétés : impacts sur
l'organisation des sociétés, du travail, de la formation professionnelle.
II. La sociologie des usages

E.- Publication de soi et jeux d’identité


 Ensuite, il y a ce que Cardon appelle l’identité narrative.
 C’est l’identité telle qu’elle est rapportée par l’individu.
 Elle concerne son surnom, son journal intime, la description de sa vie quotidienne, le journal de ses trajets, sa famille,
ses beaux et ses mauvais moments.
 Mais, il y a souvent une zone d’ombre dans ces récits parce que l’individu présente parfois un seul aspect de sa vie,
celui qui semble faire beaucoup plus son affaire.
 Tantôt, il amplifie certaines informations tout en faisant ressortir sa dimension humaine, en étalant ses richesses, ses
connaissances et autres qui n’ont parfois aucun rapport avec la réalité.
 Cependant, en ce qui concerne les informations déplaisantes, il préfère souvent les garder sous silence.
 La quatrième identité est celle que Cardon appelle identité virtuelle. Là, on va trouver plusieurs éléments comme des
contenus auto productifs, des avatars, personnages d’emprunts, indicateur de réputation. Par exemple, « publier, poster,
liker, partager, commenter, tweeter » sont des signes qui témoignent de l’engagent de l’internaute et qui lui confèrent de
la notoriété sur les réseaux sociaux.
Bloc 2 : Révolution scientifique, virage technologique et informatisation des sociétés : impacts sur
l'organisation des sociétés, du travail, de la formation professionnelle.
II.-La sociologie des usages
E.- Publication de soi et jeux d’identité

Sources : Cardon (2008) cité par D. Bouiller (2019, p. 111)


Bloc 2 : Révolution scientifique, virage technologique et informatisation des sociétés : impacts sur
l'organisation des sociétés, du travail, de la formation professionnelle
Cours 11.-Modèles théoriques des relations entre technologie et société (1) & La sociologie des usages (2)
Conclusion:
• Résumé du cours

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