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L’ASSISTANTE DE SERVICE SOCIAL

RÉVÈLE NOTRE HANDICAP


Vincent-Sosthène Fouda-Essomba

RÉSUMÉ : Comme toute relation sociale, la relation d’aide est un échange entre des
acteurs qui, dans un contexte particulier, occupent une place hiérarchique et des rôles
déterminés. Sa finalité (venir en aide à autrui) lui confère, cependant, un caractère spé-
cifique : elle met en scène un aidé et un aidant. L’accompagnement est une démarche
qui imprègne aussi bien l’aidé que l’aidant, et qui justifie la convocation permanente
des compétences professionnelles. Selon le milieu dans lequel il exerce, les marges de
manœuvre dont il dispose, les ressources qui se révèlent à l’accompagné, le travailleur
social se retrouve dans un processus qui vient en permanence questionner sa posture
professionnelle. Cet article tente une intrusion dans cette relation en interrogeant
ses dimensions physique, psychologique et sociale. Pour comprendre le rapport que
l’usager entretient avec l’assistante de service social qui l’accompagne, il nous a donc
semblé nécessaire de resituer le moment de la rencontre – le temps du face-à-face.

MOTSCLÉS : écoute active, empathie, enlacer, intervention sociale individuelle, lâcher,


non-jugement, tenir, travailleur social.

Nous sommes tous handicapés face aux besoins de l’autre, de celui qui
pousse notre porte et qui a besoin d’un accompagnement. Patauds devant la
difficulté de l’autre, maladroits dans l’écoute, nous avons besoin d’un sacré
coup de main pour avancer sur le chemin de l’accompagnement coconstruit.
Tout cela fait appel à la fois aux politiques publiques, aux valeurs déonto-
logiques professionnelles, aux méthodes de la profession, au cadre institu-
tionnel (mission, fonctionnement), ainsi qu’à l’usager dans une bonne dose
de positionnement professionnel (Pascal, 2002).

LA QUESTION DU SOCIAL EN FRANCE


La question du social en France se partage entre l’État, les collectivités et
les organismes de sécurité sociale. Avec des entrées par dispositif (« à chaque
dispositif son accompagnement »), c’est un vade-mecum que le travailleur
social (assistante de service social, éducatrice spécialisée, conseillère en éco-
nomie sociale et familiale) acquiert dès les centres de formation et qui le
guidera tout au long de sa carrière.
Quel que soit le lieu où il exerce : dans les centres communaux d’action
sociale (CCAS), en unité territoriale de prévention et d’action sociale (UTPAS),
en maison d’enfants à caractère social (MECS), en dispositif institut théra-
peutique éducatif et pédagogique (DITEP), en centre d’hébergement et de
réinsertion sociale (CHRS), en hôpital, en établissement d’hébergement pour
personnes âgées dépendantes (EHPAD), en établissement public de santé
mentale (ESPM), dans l’accompagnement des bénéficiaires du revenu de soli-
darité active (RSA), l’action sociale de la branche famille, l’accompagnement

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des étrangers mineurs non accompagnés (MNA) et primo-arrivants, l’ac-
compagnement social mis en œuvre par le secteur associatif, les exemples
pourraient se multiplier à l’infini, l’assistante de service social ne sort jamais
indemne de sa première rencontre avec celui qui frappe à la porte de son
bureau pour la première fois.
C’est conscient de cet état de fait qu’Henri Pascal présente l’assistante de
service social comme étant celle qui s’aventure dans les « zones obscures de
la société : les prostituées, les tuberculeux, les enfants abandonnés75 », et la
liste est loin d’être exhaustive. La porte d’entrée de tout accompagnement
social est justement l’accueil qui écoute avant de rassurer, qui écoute avant
de construire. Parlant du « travail social, formation à l’accompagnement76 »,
Catherine de Béchillon établit un parallèle entre l’accompagnement social
tel que l’assistante de service social le pratique au quotidien et l’enfant qui
apprend à monter à bicyclette. Jusqu’alors, dit-elle, « les petites roues supplé-
mentaires maintenaient son équilibre et sa sécurité, mais il veut grandir et
on les enlève ». Elle dégage le triptyque : enlacer, tenir, puis lâcher.
Si l’assistante de service social a la chance que l’enfant parte du premier
coup avec sa bicyclette, que celui qu’il accompagne prenne son envol assez
rapidement, qu’il marche avec souplesse sur ses deux jambes, toutes les
assistantes de service social sont plus ou moins handicapées du social, et
chaque accompagnement vient le leur rappeler. On tient le vélo pendant
longtemps et quand on se relève, on a une lombalgie. Le cœur du métier d’as-
sistante de service social est la relation d’aide dans l’accueil, dans l’écoute
active, l’empathie et le non-jugement. Ces mots sont loin d’être des préten-
tions : ce sont des ingrédients nécessaires à l’exercice de la profession, et
ils ont une circulation à double sens. La société dans laquelle nous vivons
développe au quotidien de nouvelles problématiques auxquelles tous les
citoyens doivent faire face. Cependant, comme une mère aime particulière-
ment son enfant le plus fragile, celui qui pousse la porte d’une structure pour
demander l’intervention d’une assistante de service social mobilise toutes
les attentions. C’est la raison pour laquelle l’assistante de service social est au
carrefour de plusieurs savoirs : elle est à l’entrecroisement entre les sphères
psychologique, sociologique, juridique et administrative. L’assistante de ser-
vice social est le médecin du social avec tout ce que cela comporte comme
responsabilités, y compris le respect du code de déontologie de sa corpo-
ration et, de fait, le secret professionnel. Alors, elle devrait commencer sa
rééducation sociale par une kinésithérapie de sa discipline : les politiques
sociales, le code de déontologie, le cadre institutionnel, son rapport à l’usager.
Beaucoup n’aiment pas l’utilisation du mot « usager », mais il représente ici
la personne, le groupe, le collectif, la communauté. C’est avec ces outils que
l’assistante de service social va déployer toutes les potentialités profession-
nelles dont elle est capable et qu’elle ne soupçonne même pas.

75. Henri Pascal, « À l’origine du service social : de “la vie des saint(e)s” aux iconoclastes des
années 70 », Écrire pour et sur le travail social, 23 juin 2022. Disponible sur : dubasque.org/a-
lorigine-du-service-social-de-la-vie-des-saintes-aux-iconoclastes-des-annees-70/.
76. Catherine de Béchillon, « Le travail social, formation à l'accompagnement », EMPAN, n° 74, 2009,
p. 107-112. Disponible sur : www.cairn.info/revue-empan-2009-2-page-107.htm.

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QUE VISE L’INTERVENTION SOCIALE INDIVIDUELLE ?
L’intervention sociale individuelle en travail social, la plus convoquée au
quotidien par l’assistante de service social, vise, d’une part, à accompagner
une personne dans ses souffrances afin qu’elle puisse leur donner un sens,
d’autre part, à l’aider à obtenir le plus grand nombre de ressources possibles
afin qu’elle puisse participer activement à son devenir individuel et au deve-
nir collectif de la société en tant qu’actrice sociale. Comment donner un sens
à ses souffrances ? C’est un travail qui passe à la fois par l’identification des
souffrances dont est porteuse la personne, par leur reconnaissance, et enfin
par l’établissement d’un rapport distancié avec elles afin que l’accompagne-
ment offert ne soit pas brouillé par notre affect.
Ainsi, contrairement à la plupart des autres professions d’aide, le travail
social part du sens social et collectif que prennent les difficultés vécues par
une personne : ses sentiments, ses actions, ses pensées sont situés dans son
contexte familial, communautaire et sociétal. Le travail social intervient sur
ce rapport plutôt que sur les déficiences de la personne elle-même. De plus,
parce que le travail social reconnaît un sens social aux difficultés éprou-
vées, il s’ensuit que « l’intervention sociale individuelle doit s’inscrire dans
un ensemble d’actions, de rôles et d’activités, d’une portée plus large et plus
collective » (Bourgon et Gusew, 2007, p. 123). Les souffrances et les besoins
que l’on pointe du doigt doivent toujours être nommés.

COMMENT SE FAIT L’ACCOMPAGNEMENT ?


C’est ce à quoi l’assistante de travail social est confrontée au quotidien
au point de penser que c’est de la routine ! Cependant, il n’en est rien. L’ac-
compagnement est sans cesse en œuvre, depuis la prise de rendez-vous dans
le « service de triage » jusqu’à l’accueil de l’usager dans le bureau, et tout au
long des échanges que l’on aura avec lui. Il faut garder présent à l’esprit que
rien ne peut se faire si l’on n’est pas « avec » la personne. L’accompagnement
n’est pas banal dans le quotidien de l’assistante de service social, parce que
les problèmes et les personnes que l’on reçoit sont complexes et d’une infinie
variété, et qu’« être avec et aux côtés de » prend des formes diverses. Offrir
une aide professionnelle à celui qui la demande comme à celui qui nous
est signalé ou dont nous pressentons qu’il en a besoin ne se fait pas au nom
de la générosité, qui ne suffit ni à évaluer les problèmes, ni à les traiter, ni à
identifier les difficultés en cause, ce qui ne permet pas à la personne de les
supporter ou de les résoudre seule. En parlant de l’intervention individuelle
comme de l’intervention auprès des familles et des couples, Louise Carignan
dit que celles-ci peuvent « prendre différentes couleurs selon la perspective
théorique dans laquelle la travailleuse sociale s’inscrit77 ». Actuellement,
trois approches dominent la pratique du travail social en intervention indi-
viduelle : l’approche systémique, l’approche bioécologique et l’approche
structurelle (Carignan, 2017). Il reste vrai que l’accueil et l’accompagnement
de l’autre touchent en premier l’empathie, à laquelle viennent se greffer tous

77. Marc Fourdrignier, Yvette Molina et Françoise Tschopp (dir.), Dynamiques du travail social en pays
francophones, Genève, Édition IES, 2017.

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les référentiels dits « de pratiques professionnelles ». Tout cela est adossé sur
un coconstruit au quotidien avec la personne concernée dans une approche
globale de sa situation particulière. Coconstruire un plan d’actions sur la
base d’objectifs négociés et formalisés avec la personne, identifier et coopé-
rer avec les acteurs locaux ou du territoire dans le respect du secret profes-
sionnel, utiliser des techniques relationnelles appropriées, mettre en œuvre
des stratégies, agir dans le respect des règles déontologiques, ajuster sa pos-
ture en fonction des caractéristiques de l’environnement, des enjeux de la
situation et de la personne, accompagner l’évolution de la personne : voilà
qui ne se fait pas sans se livrer soi-même, sans donner du sien.

CONCLUSION
L’analyse qui précède ne prétend pas épuiser le débat autour de l’accom-
pagnement social, ni même avoir repéré tous les critères pertinents pour éva-
luer les théories et les pratiques de l’accompagnement social : tel n’en est pas
l’objectif. Elle constitue un premier essai pour débroussailler un problème
particulièrement complexe qui surgit dans la rencontre de l’autre. Certaines
pistes ouvertes pourraient paraître superflues, alors que d’autres auraient pu
être introduites et explorées. Par ailleurs, cette analyse se situe en amont des
référentiels de pratiques professionnelles qui accompagnent l’assistante de
service social tout au long de sa carrière, notre conviction étant, au demeu-
rant, que la pratique sur le terrain ne dispose pas des instruments adéquats
pour « travailler théoriquement » les accompagnements professionnels. Si
l’on admet que le travail social est avant tout une rencontre avec les fragi-
lités humaines, le comment accompagner l’autre dans son rapport avec ses
fragilités sociales bute, comme toutes les sciences sociales, sur la singularité
des cas, des personnes et des besoins en lien avec le cadre institutionnel.
Le référentiel de l’intervention sociale sert cependant à tracer un cadre de
travail pour l’assistante de service social, mais aussi à dresser pour elle une
digue de protection.

BIBLIOGRAPHIE
De Robertis C., Orsoni M., Pascal H. et Romagnan M., L’intervention sociale
d’intérêt collectif. De la personne au territoire, Rennes, Presses de l’EHESP,
coll. « Politiques et interventions sociales », 3e édition, 2022, p. 90. Disponible
sur : https://storage.canalblog.com/93/31/520661/88416490.pdf
Pascal H., « Une pédagogie pour développer la puissance sociale des popula-
tions », Allocution à la conférence de l’Association internationale des écoles
de travail social, Montpellier, 15-18 juillet 2002.
Béchillon C. de, « Le travail social, formation à l’accompagnement », EMPAN,
n° 74, 2009, p. 107-112. Disponible sur : www.cairn.info/revue-empan-2009-2-
page-107.htm.
Bourgon M. et Gusew A., « L’intervention individuelle en travail social », in Des-
lauriers J.-P. et Hurtubise Y. (dir.), Introduction au travail social, Presses de
l’Université Laval, coll. « Travail social », 2007, p. 121-141.
Carignan L., « Principales approches en travail social », in Turcotte D. et Deslau-
riers J.-P. (dir.), Méthodologie de l’intervention sociale personnelle, Presses de
l’université Laval, coll. « Travail social », 2017, p. 141-161.

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