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Pourquoi le Medef perd son Monsieur social

Le départ d'Antoine Foucher, en charge des dossiers sociaux au Medef, symbolise


l'orientation de plus en plus libérale de l'organisation patronale. Une ligne que le
directeur général adjoint ne pouvait plus assumer.

par Manuel Jardinaud et Anne-Cécile Geoffroy 21/06/2016 Liaisons Sociales Magazine

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D.R.

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 Antoine Foucher, héraut du dialogue au Medef - 04/03/2015

L’idée lui trottait dans la tête depuis un moment. Elle est officielle depuis lundi 20 juin.
Antoine Foucher, directeur général adjoint du Medef en charge des affaires sociales, a
démissionné de son poste. Un départ symbolique quatre jours après l’échec de la négociation
sur l’assurance chômage où les « libéraux » de l’organisation patronale ont pris clairement le
dessus sur les « réformistes », dont Antoine Foucher était l’incarnation. Et la veille de la
présentation des propositions du Medef pour la présidentielle.

L’ancien conseiller technique auprès de Xavier Bertrand, alors ministre du Travail, confirme
un choix qu’il mûrissait depuis plusieurs mois : « C’est assez naturel pour moi aujourd’hui
d’aller travailler pour une entreprise après dix ans au sein d’institutions comme le Sénat, un
cabinet ministériel et, donc, le Medef. » Il ironise : « Je veux maintenant vérifier que les
dispositifs que j’ai contribué à construire fonctionnent ! »

Minoritaire dans son propre camp

Il est attendu chez Schneider Electric France début septembre où il sera en charge de
l’innovation et des relations sociales. L’occasion aussi d’être plus libre dans son engagement
politique, lui qui est proche des idées d’Alain Juppé. Un observateur de la sphère sociale va
plus loin : « C’est une façon de préparer un avenir politique, car il est difficile de passer
directement du Medef à un poste gouvernemental. »

Antoine Foucher savait aussi que les mois à venir, avec la présidentielle en perspective,
allaient faire perdre du sel à sa fonction, faute de négociations interprofessionnelles majeures.
Mais il se sentait surtout minoritaire dans son propre camp où les fédérations comme le BTP
ou le Syntec, et plus globalement celles des services, à la doctrine sociale très libérale, pèsent
de plus en plus lourd. Et ont réussi à bloquer une possibilité de compromis sur l’assurance
chômage que portait le sherpa du social avec l’appui de l’UIMM et de son président
Alexandre Saubot.

Regain des "antisociaux"

Un ancien baron du Medef reconnaît comme légitime le départ d’Antoine Foucher pour
construire son parcours professionnel. Tout en insistant sur la difficulté qu’il avait
effectivement à exister dans « un Medef où le débat est difficile entre les tenants du
paritarisme et ceux qui n’y croient pas. On observe vraiment un regain des antisociaux. » Pour
lui, « Antoine Foucher considère que la démocratie sociale d'aujourd'hui, même si le dialogue
peut être amélioré et le paritarisme simplifié, est préférable à la loi du marché ou aux
décisions entre les mains du gouvernement. » Une doctrine que ne porte pas Pierre Gattaz
aujourd’hui. « Les circonstances ont donc accéléré la mise en œuvre de sa décision », ajoute-t-
il.

L’agenda social – hors loi Travail – va être allégé d’ici à mai 2017. Avec le départ d’Antoine
Foucher, le Medef perd néanmoins son meilleur atout pour recréer de la confiance avec les
syndicats dans cette période a priori plus calme. Car, de façon quasi unanime, les
représentants des confédérations louent son sens de l’écoute, malgré les désaccords de fond.

Luttes d'influence

Michel Beaugas, le nouveau chef de file du social chez Force ouvrière, évoque « un homme
compétent, prêt à porter des propositions dès lors qu’elles sont acceptables pour le Medef. On
perd un interlocuteur de qualité. » Dans sa confédération, l’analyse est claire : les
ultralibéraux ont gagné.

Aujourd’hui certainement. A moyen terme, rien n’est moins sûr. Les luttes d’influence
s’intensifient entre les tenants d’une démocratie sociale minimale, incarnée par les deux vice-
présidents du Medef Geoffroy Roux de Bézieux et Thibault Lanxade, et les réformistes,
comme Alexandre Saubot à la métallurgie et Florence Poivey à la plasturgie. En ligne de
mire, la succession de Pierre Gattaz en 2018. L’UIMM va encore agiter le chiffon rouge de
son indispensable soutien financier pour mettre au pas « les faucons du Medef ». Une bataille
qu’Antoine Foucher regardera désormais de loin

atronat

Antoine Foucher, héraut du dialogue au


Medef
À 34 ans, il règne sur le social dans la maison patronale. Un poste clé pour ce nouveau
directeur général adjoint, porteur d’une vision rénovatrice des relations sociales. Mais
qui aura fort à faire pour convaincre les conservateurs.

par Manuel Jardinaud 04/03/2015 Liaisons Sociales Magazine

Lahcène Abib

Le nouveau patron du social, c’est lui. Bombardé, à 34 ans, directeur général adjoint du
Medef, Antoine Foucher succède à un dinosaure, Dominique Tellier. Un vieux briscard
autoritaire, resté dans la maison plus de trente ans, qui collectionnait les détracteurs au sein du
patronat. Mais qui pesait très lourd grâce à son immense savoir en matière sociale.
Aujourd’hui, Avenue Bosquet, le changement d’ère est manifeste. «Tellier avait construit un
mur autour de lui», confie un cadre de la maison. Pas son successeur qui, lui, souhaite
décloisonner et en finir avec le fonctionnement en silos. Recruté, en juin 2012, comme
directeur des relations sociales, de l’éducation et de la formation professionnelle, Antoine
Foucher se voit désormais en animateur d’un véritable pôle social, transversal, rassemblant les
quatre directions dont il a la charge. Soit une cinquantaine de collaborateurs travaillant sur les
sujets relatifs aux relations sociales, à la protection sociale, à l’éducation et à la formation
professionnelle.

Sur le fond, les évolutions ne se font pas encore sentir. À petits pas, Antoine Foucher veut en
effet insuffler une vision –mieux, une doctrine– pour moderniser l’économie française. «Nous
devons conserver notre histoire sociale mais l’adapter au XXIè siècle en restant fidèles à notre
héritage», explique ce licencié en philosophie et lettres modernes. Il plaide pour une
«alchimie sociale» qui rendrait les entreprises plus compétitives en développant le travail
collectif, basé sur des projets communs et partagés.

Avec, en corollaire, une moindre place de la loi. Une vision très proche de celle du délégué
général de l’UIMM, Jean-François Pilliard, vice-président du Medef chargé du social. Lequel
confirme : «Nous considérons tous deux que le premier lieu du dialogue social est
l’entreprise.» «Il ne s’agit pas d’inverser les normes mais de déplacer le curseur de la -
production de la règle vers le terrain», précise le nouveau DGA. En clair : favoriser la négo-
ciation en privilégiant les accords d’entreprise, avant ceux relevant des branches ou de
l’interprofessionnel.

«Fougueux et idéaliste».

La posture de ce duo intergénérationnel «avec une convergence d’analyse et de recherche de


solutions», selon Jean-François Pilliard, s’avère nécessaire pour rassurer les plus libéraux, au
premier rang desquels Geoffroy Roux de Bézieux. Pas simple. Porte-parole de l’aile des «
entrepreneurs », le président du pôle économie du Medef n’a pas la réputation d’être un
indéfectible défenseur d’une relation productive et apaisée avec les syndicats !

Autre dirigeant – et pas des moindres – à évangéliser, Pierre Gattaz. Depuis son élection, le
président du Medef se montre plus concentré sur les questions économiques que sur les
problématiques sociales. «Il faut réconcilier compétitivité et social», réaffirme pourtant, tout
de go, Antoine Foucher. Comme pour faire passer un message à son patron. Tout en sachant
fort bien qu’il va lui falloir déployer sur la durée ses talents de négociateur pour rallier les
tenants d’une ligne moins progressiste au sein de l’organisation.

En est-il capable ? «Il sait trouver des idées, c’est un inventif», assure Franck Morel, avocat
associé au cabinet Barthélémy. Ex-dircab adjoint de Xavier Bertrand au ministère du Travail,
ce dernier l’a vu à l’œuvre Rue de Grenelle, entre 2010 et 2012, comme conseiller technique.
Sa phrase préférée ? « On va trouver une solution », rapporte Florence Poivey, négociatrice en
chef du Medef lors des négociations sur la formation professionnelle, fin 2013. «J’ai été
impressionnée par cela lors de la négociation», poursuit-elle.

Malgré son visage lisse de jeune cadre sans histoire, Antoine Foucher est déjà rompu aux
dialogues musclés. «Il y a une analogie avec mon job initial d’administrateur au Sénat, au sein
de la commission des Affaires sociales. Il fallait inventer de nouveaux droits et les faire
accepter par la droite comme par la gauche», confie-t-il. «Il sait trouver des voies de passage
et des équilibres parfois précaires», confirme Franck Morel, qui estime néanmoins que son
ancien poulain gagnerait à mieux structurer sa créativité.

Antoine Foucher aurait-il donc les défauts de ses qualités ? «Il est fougueux et idéalist »,
estime Florence Sautejeau, directrice des affaires sociales de la Fédération nationale des
travaux publics, qui apprécie l’homme et sa manière de travailler. «Il doit encore apprendre à
écouter plus finement», abonde Florence Poivey, par ailleurs élogieuse à l’égard de son
«sherpa». «Il peut progresser dans sa connaissance des entreprises», complète Jean-François
Pilliard, qui vante son souci d’aller au contact des adhérents.

Télétravail outre-Rhin.

À l’extérieur du Medef, ceux qui le côtoient forment un chœur plutôt flatteur à son propos.
Ainsi de Marie-Françoise Leflon, la secrétaire générale de la CFE-CGC, qui esquisse un profil
de «redoutable négociateur qui ne perd pas de vue les intérêts qu’il défend, tout en faisant en
sorte qu’il n’y ait pas de rupture». Numéro deux de la CFDT, Véronique Descacq retient,
elle, trois qualités qui en font un partenaire de choix lors des négociations : «Franc, direct et
carré !»

Tous vantent sa connaissance technique des dossiers, fruit d’heures passées dans son bureau
de l’Avenue Bosquet : «gros bosseur», «force de travail rare», «engagement sans faille»…,
Antoine Foucher ne récuse pas les qualificatifs : «Quand je me sens bien dans ce que je fais, je
travaille beaucoup. C’est la contrepartie de mon exigence et du sens que je souhaite donner à
mon travail.»

Malgré tout, il a subi un premier échec de taille, avec la négociation avortée sur la
modernisation du dialogue social, en janvier. «Je n’ai jamais autant travaillé de ma vie. J’ai
vraiment un coup au moral», confie-t-il, au sortir d’un après-midi studieux à l’Unedic, où il
siège comme administrateur. Pour chasser les doutes, Antoine Foucher peut compter sur ses
week-ends. Tous les jeudis soir, il s’envole pour l’Allemagne retrouver sa femme et son fils
de 18 mois. Le vendredi, il télétravaille donc d’outre-Rhin pour pouvoir aller chercher son
bambin à la crèche.

Une situation dont il s’amuse : «Je contribue à faire que le Medef soit exemplaire sur
l’équilibre vie pro et vie perso !» Un succès non négligeable à mettre à son crédit. Et une
preuve du souffle de jeunesse qu’il impose au patronat, qui a fait grincer les dents de certains
vieux caciques

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